FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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RÉUNION CONJOINTE
LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
LE COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU
COMMERCE INTERNATIONAL DE LA CHAMBRE DES COMMUNES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 22 avril 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, joint au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, se réunit aujourd’hui, à 15 h 30, en vue de rencontrer Sa Sainteté le dalaï-lama et sa délégation.
L’honorable Consiglio Di Nino et M. Bernard Patry (coprésidents) occupent le fauteuil.
[Français]
M. Patry (Le coprésident): Je vous souhaite la bienvenue, Votre Sainteté. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement de la Chambre des communes et de la motion adoptée par le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes le 23 mars 2004, au nom de mes collègues de la Chambre des communes, je tiens à vous dire combien nous sommes honorés de vous accueillir pour cette deuxième visite devant notre comité; la première remontant à 1990.
[Traduction]
Au cours de la dernière année, des membres du Comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères et du commerce international ont consacré beaucoup de temps à l'étude des relations du Canada avec les pays du monde musulman. Au fil de leurs rencontres et de leurs voyages, ils ont pu se rendre compte de l'importance accrue de la religion dans les affaires internationales et de la nécessité d'un meilleur dialogue entre les diverses cultures et les confessions.
En Jordanie, j'ai eu le privilège de discuter avec Son Altesse Royale le Prince Le Hassan de l'importance accrue de ce dialogue entre les diverses confessions. Le 31 mars dernier, nous avons déposé un rapport adopté à l'unanimité par les représentants de tous les partis où l'on faisait des recommandations en ce sens au gouvernement du Canada.
Aujourd'hui c'est aussi le Jour de la terre. À cette occasion, votre point de vue concernant la pérennité du développement dans le monde et les questions de mondialisation et de consommation revêt une très grande importance pour les parlementaires et le peuple du Canada.
De plus, en tant que chef spirituel à l'échelle mondiale, vos suggestions sur la façon dont les parlementaires à travers le monde peuvent gérer ce monde et cette technologie modernes sont importantes.
[Français]
Ici je m’arrête, car je suis impatient de vous entendre. Toutefois, avant de vous écouter, je demanderais à mon coprésident, l'honorable sénateur Di Nino, de vous souhaiter la bienvenue au nom du Sénat du Canada.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino (coprésident): Votre Sainteté, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue, particulièrement au nom de notre président qui n'a pas pu venir, et au nom de tous mes collègues du Sénat. Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue et c'est avec un grand plaisir que nous écouterons vos sages paroles.
M. Patry (coprésident): J'ajoute que Sa Sainteté est accompagnée de M. Thubten Samdup, M. Tenzin Dargyal, M. Lodi Gyari et M. Sandhong Rintoche.
Je vous en prie.
M. Thubten Samdup, président, Comité Canada-Tibet: Bonjour. En tant que président national du Comité Canada-Tibet, je voudrais dire quelques mots. Je suis sûr que la plupart d'entre vous ont adhéré à la campagne que nous avons lancée il y a près de quatre ans. Je suis très heureux d'annoncer que près de 170 députés ont adhéré à cette campagne. Vous méritez tous des applaudissements.
Nous avons lancé cette campagne car nous estimons que le Canada a un rôle à jouer dans la lutte permanente et non violente du Tibet. Nous sommes fiers d'être les défenseurs des droits de la personne et de la paix dans le monde. Les récents témoignages de sympathie et de soutien démontrés par la population canadienne en général ont été remarquables.
Grâce à ce très large appui, vous avez répondu en adhérant à la campagne que nous avons lancée. Le message que nous avons envoyé à notre premier ministre est clair, non seulement nous voulons qu'il rencontre Sa Sainteté, mais nous demandons plus. Nous ne voulons pas de paroles sans geste mais quelque chose de concret, quelque chose que pourrions travailler.
J'ai toujours dit que les auteurs de cette initiative étaient les Tibétains et les amis des Tibétains au Canada. Nous l'avons fait volontairement parce que nous avons eu le sentiment qu'il fallait faire quelque chose très vite.
Vous avez répondu et nous en sommes très heureux. Je voudrais vous remercier tous au nom des Tibétains au Canada et de nos amis. Voilà, mon collègue va dire quelques mots en français. Merci encore à tous, nous comptons sur votre continuel soutien.
[Français]
M. Tenzin Dargyal, président, bureau de Montréal, Comité Canada-Tibet: Nous remercions tous ceux qui sont présents cet après-midi. Nous sommes très fiers d'annoncer que nous avons réussi à rallier 162 députés fédéraux qui appuient notre campagne pour que le Canada agisse comme médiateur entre Sa Sainteté et la Chine pour finalement résoudre la question du Tibet. C’est vraiment grâce au support du grand public et de tous les gens qui sont présents aujourd’hui. Nous nous sommes toujours dit que si un mouvement pacifiste survit, c’est la guerre qui se meurt. Je vous remercie.
M. Patry (Le coprésident): La parole est à vous, Votre Sainteté.
[Traduction]
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: Membres des deux comités permanents, je voudrais exprimer ma profonde gratitude de m'avoir donné l'occasion d'être parmi vous aujourd'hui. Je vous remercie aussi tous de votre intérêt.
Je vais parler de la question tibétaine. En parlant de la question tibétaine, j'ai toujours à l'esprit la situation géographique, la culture ancienne et le patrimoine.
Avant 1950, le Tibet était complètement une terre de paix.
À cette époque, la paix régnait tout le long de la frontière indienne moderne. Tout a changé avec la nouvelle situation. Aujourd'hui, pour ce qui est de l'Inde et la Chine, les deux pays les plus peuplés, la confiance mutuelle et l'amitié entre ces deux nations sont extrêmement importantes. Vue sous cet angle, la question tibétaine entre dans le cadre de la confiance mutuelle entre la Chine et l'Inde.
À un autre niveau, le Tibet est habituellement considéré comme le toit du monde. Les principales rivières qui coulent du Pakistan à la Chine prennent leur source au Tibet. Par conséquent, la protection de l'environnement tibétain est très important pour toutes les régions de l'Asie. Des milliards de gens dépendent de ces eaux.
Il y a aussi un patrimoine culturel. La culture tibétaine est très influencée par les messages bouddhistes d'amour, de non-violence et de respect pour toutes les formes de vie. Non seulement notre culture est l'une des plus anciennes au monde, mais elle est aussi valable dans le monde d'aujourd'hui rempli de violence et de haine. Je crois que la culture tibétaine est l'une des anciennes cultures qui peut aider à réduire ces émotions négatives.
Aujourd'hui, l'écologie rencontre quelques problèmes au Tibet. La préservation de la culture tibétaine a aussi des problèmes. Ces problèmes ne sont pas dus à une catastrophe naturelle mais sont le fait du comportement des hommes. Par conséquent, une approche politique est nécessaire.
La Chine et le Tibet ont, durant de nombreux siècles, eu des liens très étroits. À cette époque moderne, il y a une interdépendance. Les deux pays son liés. C'est la nouvelle réalité. En outre, le Tibet est arriéré du point de vue technologique.
Prenant en considération tous ces facteurs, je crois que le meilleur moyen de résoudre le problème est de ne pas demander la séparation ou l'indépendance; nous devrions plutôt rester dans la République populaire de Chine. Entre-temps, il devrait y avoir une politique intérieure plus réaliste.
En fait, la Constitution de la République populaire de Chine garantit à toutes les minorités, notamment les Tibétains et les Mongoliens, un statut d'autonomie. Donc, si ce droit, que la Constitution garantit, était sincèrement accordé, de nombreux problèmes seraient résolus.
Au cours des années 50, le gouvernement chinois était dirigé par le président Mao Tse-tung. Pour des raisons pragmatiques, le gouvernement chinois avait finalement décidé une libération pacifique. Le gouvernement tibétain local et le gouvernement central chinois avaient conclu un accord appelé l'Accord en 17 points. Cet accord, si vous l'étudiez, est vraiment dans l'esprit d'un seul pays, de deux systèmes.
La situation est devenue difficile par la suite. En 1959, je n'avais qu'un seul choix, celui de m'évader. Environ 100 000 Tibétains ont ensuite quitté le pays.
Nous avons le devoir et la responsabilité de préserver la culture et le patrimoine du Tibet. Même après notre arrivée en Inde, en tant que réfugiés, nous avons fait de notre mieux pour préserver la culture, la spiritualité et la langue du Tibet. Ainsi, il y a, aujourd'hui, un nombre croissant de personnes intéressées par la culture et la spiritualité tibétaines.
Entre-temps, notre principale responsabilité est envers le Tibet. Il y a près de 6 millions de Tibétains dans notre patrie. Au cours des 45 dernières années, parfois la situation s'était améliorée; parfois, elle était difficile. Par exemple, au début des années 80, quand Hu Yaobang était au pouvoir, il y avait de l'espoir. Je crois que si ce climat d'espoir avait subsisté, la question tibétaine aurait été réglée aujourd'hui. J'en suis pratiquement sûr.
Malheureusement, de nombreux facteurs ont fait que le gouvernement central a adopté une position plus dure. Plus tard, les événements de la Place Tiananmen ont eu lieu. La situation au Tibet a aussi empiré. Cependant, en dépit de certaines déconvenues, nous poursuivons nos efforts. Nous avons toujours insisté que nous devons trouver une solution par le dialogue.
Nous avons renoué le dialogue avec le gouvernement chinois il y a environ deux ans. Nous pensions que cela avait bien commencé. Deux de nos délégations ont visité la Chine, à ce jour, et ont eu des pourparlers. Jusqu'à présent, notre priorité a été de bâtir la confiance, car les dirigeants chinois et le gouvernement chinois ont beaucoup de méfiance. Ils m'accusent d'être un séparatiste. Je crois que le gouvernement chinois m'accuse d'être un séparatiste à la façon québécoise. Un journaliste m'a posé une question à ce sujet. J'ai répondu que je ne savais pas. Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Il peut y avoir quelques similarités ou quelques différences, mais ce n'est pas à moi de les trouver. Le gouvernement chinois a décidé qu'il y a trop de méfiance. Notre tâche prioritaire est de dissiper cette méfiance. Il y a, aujourd'hui, quelques signes positifs du côté des Chinois, mais cela peut prendre du temps.
J'aimerais aussi mentionner qu'à l'intérieur du Tibet, depuis la reprise de notre dialogue, rien n'indique un assouplissement ou une amélioration. Nous sommes déterminés à trouver une solution mutuellement acceptable dans le cadre de la constitution chinoise. C'est la ligne que nous suivons.
Jusqu'à présent, de nombreux gouvernements, en particulier de nombreux parlements du monde libre, nous accordent un vrai soutien. Je suis sûr que cette reprise du contact direct — je crois que la persuasion de nos partisans et de nos amis, qui ont fait part de leur préoccupation, a eu un certain effet.
Premièrement, je profite de cette occasion pour exprimer ma gratitude au nom des quelques milliers de Tibétains qui se sont installés avec beaucoup de joie dans ce pays. Deuxièmement, vous considérez aussi sérieusement les préoccupations et les droits de 620 millions de personnes. Donc, je peux exprimer la gratitude de 620 millions de personnes. Votre appui demeure crucial. Je vous prie de nous aider à établir un dialogue constructif avec le gouvernement chinois.
J'estime que la position du Canada — étant donné les bonnes relations qu'il entretient avec la République populaire de Chine. Je dis toujours à mes partisans que les attitudes négatives vis-à-vis du gouvernement chinois ne nous aident pas alors qu'une attitude plus positive, amicale et pas antagoniste à l'égard du gouvernement chinois peut aider. Le Canada peut, de manière amicale et positive, leur dire sincèrement et honnêtement qu'ils devraient résoudre le problème tibétain.
Que le gouvernement chinois le reconnaisse ou non, le problème existe. Chaque personne qui se rend au Tibet sait que la situation a mal tourné. Le gouvernement chinois le sait aussi; le Tibet est un sujet très épineux pour les Chinois. Les dirigeants chinois disent que la situation est tout à fait normale, que la majorité des gens sont réellement heureux et satisfaits; si cela était le cas, il n'y aurait aucune raison donc que le Tibet soit un sujet épineux.
Il y a aussi un grand nombre de soldats chinois, en dépit de l'amélioration des relations avec l'Inde. La situation actuelle au Tibet n'est pas bonne ni pour les Tibétains ni pour les Chinois.
Le gouvernement chinois a encore plus de problèmes à résoudre, notamment l'unification de Taïwan. Il doit aussi régler le problème de Hong Kong. La question tibétaine est facile à résoudre. Si l'on devait comparer la question du Tibet à celle de Taïwan, il serait beaucoup plus facile de résoudre la question tibétaine. Pour l'intérêt même de la Chine, je crois que le moment est venu de parler sérieusement. Nous sommes fermement résolus à ne pas demander l'indépendance, en dépit des vives critiques émises par de jeunes Tibétains à l'égard de ma position. Le temps est donc venu de résoudre la question tibétaine de manière plus réaliste — en recherchant scientifiquement la vérité à partir des faits et sans les fausser. Accepter la réalité et trouver une solution.
M. Patry (coprésident): Merci beaucoup, votre Sainteté, pour votre déclaration préliminaire. Je rappelle aux collègues des deux chambres qu'il reste 25 minutes pour les questions et les réponses. Je donnerai la parole à ceux qui veulent poser des questions en allant d'un côté du Parlement à l'autre. Je vous prie de poser une seule question très courte. Il est préférable que les réponses soient plus longues que les questions.
M. Day: Monsieur, je vous remercie d'être venu. La liberté de religion est la pierre angulaire de la paix. Un pays qui favorise la liberté de religion, favorise aussi la liberté d'expression, la liberté d'association, la protection des gens et toutes sortes de droits.
Quand vous voyagez et que vous faites la promotion de la paix, ce qui est tellement admirable, est-ce que vous incluez cela dans votre discussion? De nombreux gouvernements ne favorisent pas la liberté de religion à l'intérieur des frontières de leur pays, tant d'autres libertés sont interdites. Cela crée des tensions et menace la paix. Pensez-vous que cela soit quelque chose que vous pourrez promouvoir et discuter avec les autres chefs d'État? Si le Tibet devient une entité comme vous le souhaitez, serait-il démocratique? À quoi ressemblerait-il?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: La promotion de l'harmonie religieuse est l'un de mes engagements de toujours. Il n'existe pas de base sûre pour imposer des restrictions à la religion. Je crois que les diverses traditions religieuses ont le potentiel de créer des familles pacifiques et compatissantes, des communautés pacifiques et ainsi de suite.
À cause des différences dans les traditions religieuses, il y a quelques fois des attitudes un peu méfiantes ou négatives. Il faut aussi dire que certains individus utilisent la religion à leurs propres fins. Autrement, je pense que la promotion de l'harmonie religieuse est très possible. Grâce à cela, le rapprochement entre les différentes traditions peut certainement être positif.
En ce qui concerne la démocratie, je pense que nous avons atteint, au sein de la communauté tibétaine, un niveau de démocratie supérieur à celui de la Chine. Il est important de rappeler que nous sommes arrivés en Inde en avril 1959, en moins de deux ans, nous avions commencé le processus de démocratisation. Nous avons commencé la rédaction de la Constitution du futur Tibet en se fondant sur les principes de la démocratie. Finalement, en 1963, nous l'avons adoptée. Dans cette constitution, une disposition mentionne que l'autorité du Dalaï-Lama peut être abolie par une majorité à deux tiers du Parlement.
En outre, en 1969, j'ai déclaré publiquement que l'avenir de la fonction de Dalaï-Lama dépend du peuple tibétain. En 1992, j'ai déclaré que lorsque viendra le jour de notre retour, avec un certain degré de liberté, je passerai toute mon autorité légitime au gouvernement local. Ce gouvernement local sera démocratiquement élu.
Entre-temps, alors que nous demeurons en Inde, nous avons franchi une étape très importante du processus de démocratisation il y a environ trois ans. C'était la première fois que nous avons élu un dirigeant politique. Cette personne, le vénérable professeur Samdhong Rinpoche, est un autre moine — assez semblable au Dalaï-Lama — un moine bouddhiste qui a étudié la philosophie bouddhiste et pas la politique moderne. À cette époque, un laïque et Samdhong Rinpoche sont entrés dans un type de compétition, mais une compétition amicale et pacifique. Finalement, Samdhong Rinpoche a remporté une majorité. Je suis très fier que, même au sein de notre communauté de réfugiés, nous avons déjà un dirigeant politique vraiment élu.
Depuis cette élection, j'ai toujours décrit mon poste comme étant une semi-retraite. Évidemment, lorsque des questions importantes sont débattues ou lorsqu'il faut prendre des décisions, le vénérable Samdhong Rinpoche me demande toujours mon avis. Cependant, je dis toujours que c'est lui qui doit prendre la décision finale et non moi. Au cours des dernières 45 années, cela a été je crois notre cheminement vers la démocratie.
Le sénateur De Bané: Votre Sainteté, lorsque vous songez aux différents défis qui menacent notre planète, quels sont les deux ou trois défis qui selon vous demandent qu'on s'y occupe en priorité?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: La population est le premier défi. Nous avons aujourd'hui un écart entre les riches et les pauvres: au niveau mondial et au niveau national. Non seulement, ce n'est pas moralement inacceptable, mais c'est aussi un problème pratique. Nous devons traiter ce problème d'écart considérable entre les riches et les pauvres.
En Chine, qui est un pays socialiste, cet écart existe. Personnellement, sur le plan économique, je suis socialiste. Vu sous cet angle, il est incroyable de voir l'écart qui existe entre les riches et les pauvres en Chine.
Les besoins fondamentaux des gens du Sud ne sont pas adéquats. La famine est aussi une possibilité. Dans certains cas, c'est dû à leurs propres erreurs. Certains de ces gouvernements dépensent beaucoup d'argent en armement, mais négligent l'agriculture, l'enseignement ou la formation. Voilà leurs propres erreurs. Cependant, le niveau de vie général des gens du Sud est bas, alors que celui des pays industrialisés du Nord est élevé. Tôt ou tard, il faut que ces deux niveaux s'équilibrent.
En Amérique, les États-Unis sont le pays le plus riche, mais il y a encore beaucoup d'Américains pauvres. Le nombre de milliardaires augmente mais beaucoup de gens vivent encore dans la pauvreté.
Au Canada, la situation économique des Premières nations et l'enseignement qui leur est offert dans plusieurs domaines ne sont pas uniformes bien que la Constitution canadienne garantisse l'égalité, l'égalité des droits. Comme en Amérique, elle garantit l'égalité des droits, mais à cause de cela, la situation économique est parfois difficile.
Alors se pose la question de la population. À partir des chiffres actuels de la population, si le niveau de vie des personnes qui vivent au Sud augmente jusqu'à égaler celui des personnes vivant au Nord, la question qui se pose est de savoir si les ressources naturelles seront suffisantes.
L'Inde et la Chine réunissent une population de plus de 2 milliards. S'ils avaient le même niveau de développement économique que les États-Unis, et que le Canada aussi, je crois que chaque famille aurait deux voitures, quelquefois trois. Si chaque personne de cette population de 2 milliards possédait une voiture, il y aurait plus de 2 milliards de voitures. Au plan de la pollution seulement, ce serait très difficile.
Le problème de la population est donc très important. Il y a aussi l'écart entre les riches et les pauvres. Il nous faut régler ces problèmes.
L'environnement est un autre problème. Sur le plan politique, je prie toujours et je dis à ceux qui m'écoutent que l'un de nos objectifs absolus devrait être la démilitarisation à l'échelle mondiale. Le commerce des armes devrait être soumis à une législation plus stricte. Progressivement, nous pourrons interdire les armes nucléaires, chimiques et biologiques et éventuellement toutes les armes offensives.
M. Eggleton: Votre Sainteté, je suis heureux de vous accueillir pour la deuxième fois, la première fois, c'était dans les années 80 alors que j'étais maire de Toronto et que vous êtes venu dans ma ville.
Vous avez touché le fond du problème qui semble être le refus du gouvernement chinois de vous rencontrer quand vous avez dit que la séparation ou l'indépendance ne faisaient pas partie de votre programme politique. Vous avez dit que les problèmes du peuple tibétain sont d'ordre écologique et culturel et qu'ils touchent aussi les libertés religieuses et les droits de la personne.
Comment pouvez-vous concilier cela avec le fait qu'un membre de votre délégation, la personne assise près de vous, est le président du Gouvernement tibétain en exil? De quelle façon cela est-il généralement perçu? Que faut-il entendre par Gouvernement tibétain en exil et comment concilier ce gouvernement avec votre déclaration ne demandant ni séparation ni indépendance?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: En 1992, j'ai bien précisé dans une déclaration publique que dès que nous retournerons avec l'assurance d'être libres, notre gouvernement en exil sera automatiquement dissous. Nous n'avons pas de privilèges spéciaux à gagner à l'intérieur du Tibet. Notre dirigeant politique élu va vous en parler.
Le vénérable Samdhong Rinpoche, président, Gouvernement tibétain en exil: Le Gouvernement tibétain en exil n'est pas le gouvernement d'une nation. Quand Sa Sainteté a cherché asile en Inde, il y avait un gouvernement légitime du Tibet. C'était un gouvernement local en relation avec le gouvernement de la République populaire de Chine. La République populaire de Chine a dûment reconnu que le gouvernement de Sa Sainteté était un gouvernement légitime de la population tibétaine locale. Il y a 362 ans que ce gouvernement existe, depuis le cinquième Dalaï-Lama jusqu'à nos jours. Il est dûment reconnu par de nombreuses nations, y compris la République populaire de Chine.
L'Accord de 17 points a été conclu avec ce gouvernement local dûment reconnu et même si le sceau de ce gouvernement local n'était pas présent, il y avait un double. Par conséquent, le Gouvernement tibétain en exil ne représente pas une nation séparée. C'est le même gouvernement qui existe depuis 1951 en vertu de l'Accord de 17 points et il continue d'exister aujourd'hui.
Le sénateur Andreychuk: Votre Sainteté, votre message n'a pas changé depuis la dernière fois que je vous ai entendu. Il est toujours aussi convaincant au sujet de la paix et de la reprise d'un dialogue fructueux.
La situation a changé depuis la fin des années 80. Jusqu'à quel point la situation s'est-elle dégradée au Tibet? Afin que nous puissions demander à notre gouvernement qu'il poursuive dans les meilleurs délais ses efforts auprès des Chinois pour l'établissement d'un dialogue plus constructif.
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: Il m'arrive de la décrire ainsi: Une ancienne nation qui a un patrimoine culturel unique est en train de mourir. La situation est grave. Mon représentant, ici présent, s'est rendu en Chine à deux reprises. Avant ses visites, dans les années 80, il y a eu également une commission d'enquête indienne. Il s'était aussi rendu là-bas à cette occasion. Il est également allé au Tibet l'année dernière. Par conséquent, il peut vous communiquer des informations plus récentes.
M. Lodi Gyari, envoyé spécial de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, Comité Canada Tibet: De toute évidence, je crois que le temps presse. Le temps ne joue ni en faveur des Tibétains ni des Chinois. Les Tibétains, comme l'a indiqué Sa Sainteté, sont marginalisés à tous les niveaux. À ce moment même, nous sommes en train d'être marginalisés économiquement. Nous sommes aussi en train d'être marginalisés par le transfert massif d'une population non tibétaine qui s'installe sur le plateau, ce qui représente une menace considérable pour la survie de cette culture unique dont a toujours parlé Sa Sainteté.
Nous avons exhorté les Chinois — ce n'est pas Sa sainteté qui est le problème. Malheureusement, les dirigeants chinois continuent de considérer que Sa Sainteté est le problème. Nous disons que les Chinois et les Tibétains doivent saisir cette occasion exceptionnelle qu'est Sa Sainteté pour régler ce problème. Les Chinois pensent parfois que le temps jour en leur faveur. Ils croient que sans Sa Sainteté la question tibétaine aurait été réglée d'une manière ou d'une autre.
Si quelque chose devait arriver à Sa Sainteté avant la résolution de cette question, l'amertume et la colère des Tibétains envers la domination chinoise surviraient des générations durant. Nous avons déjà vu cela dans d'autres parties du monde.
Donc, nous avons une occasion unique. Nous avons tout fait pour trouver une solution. Ainsi que l'a indiqué Sa Sainteté tout à l'heure, certains d'entre nous sont allés deux fois en Chine. Sa Sainteté m'a demandé récemment d'entrer en contact avec le gouvernement chinois pour lui dire que Sa Sainteté voulait que nous y retournions. Votre soutien est très important.
Le temps presse vraiment pour les Tibétains et aussi pour les Chinois. Nous espérons que les dirigeants chinois feront preuve de sagesse et profiteront de l'opportunité que constitue Sa Sainteté pour régler le problème.
La légitimité est une autre question. Bien que les Chinois puissent occuper physiquement le Tibet, leur présence ne sera jamais légitime tant qu'une solution n'est pas trouvée avec l'accord du peuple tibétain et la bénédiction de Sa Sainteté. Le gouvernement chinois doit en être conscient. Même si le gouvernement chinois devait rester pendant très longtemps, il ne sera pas légitime. Les Tibétains n'accepteront pas la légitimité de ce gouvernement. En outre, le reste du monde n'accepte pas la légitimité du gouvernement chinois au Tibet. Peu importe ce que disent d'autres gouvernements à propos de la réalité, nous savons tous au fond de nous-mêmes que le Tibet est une nation distincte qui a subi un préjudice.
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: Nous disons que des Tibétains se meurent, que la culture se meure. Durant la visite à Pékin, faite au siècle dernier par le treizième Dalaï-Lama, mon prédécesseur dont je suis la réincarnation, il y avait une communauté mandchoue qui avait sa propre langue et qui pratiquait le bouddhisme tibétain. À cette époque, l'empereur de Chine était un mandchou. Je crois que c'était en 1904. Exactement un demi-siècle plus tard, en 1954, je suis allé aussi à Pékin et en Mandchourie, mais la communauté mandchoue n'existait plus. Elle avait été complètement assimilée.
Il y avait aussi la région autonome de la Mongolie intérieure qui avait un statut politique similaire. Aujourd'hui, dans cette région, selon des sources d'information mongoles indépendantes, il y a 3 millions de Mongoles et 18 millions de Chinois. Aujourd'hui, les Mongoles indigènes sont la minorité ou une communauté insignifiante sur leur propre terre — et ils ne sont pas les seuls à devenir une minorité. Quelque chose s'est passé au cours de ce siècle. Donc, à moins que nous fassions très attention, il est très possible que cela se produise au Tibet.
M. Gyari: Nous considérons l'invasion démographique massive qui a lieu au Tibet comme l'une des plus grandes menaces. Comme pour Hong Kong, le gouvernement chinois a accepté d'interdire aux autres citoyens de la Chine continentale de s'installer à Hong Kong. Nous estimons que, pour l'avenir, si nous négocions une solution, il y a déjà un précédent, même si Hong Kong fait aujourd'hui partie de la Chine. Les citoyens chinois d'autres régions de la Chine ne peuvent pas s'installer librement à Hong Kong. Donc, en se fondant sur ces mêmes critères, nous estimons qu'il y a un précédent qui pourrait être mis en oeuvre si le gouvernement chinois le souhaite.
[Français]
M. Bergeron: Votre Sainteté, nous sommes non seulement très honorés, mais interpellés par votre présence parmi nous, dans la mesure où vous souhaitez voir le Canada jouer un rôle au niveau de la solution négociée qui doit intervenir sur la question du Tibet.
Or, indépendamment des signatures recueillies auprès des parlementaires, l'attitude du gouvernement canadien à l'égard du Tibet, et à votre égard, s'appuie sur les prétentions chinoises selon lesquelles le Tibet a toujours fait partie du territoire de la Chine et sur le fait que cette question relève des affaires internes de la Chine.
Concrètement, que souhaitez-vous voir le Canada faire pour jouer le rôle que vous souhaitez lui voir jouer?
[Traduction]
Le sénateur Carney: Je remercie Sa Sainteté d'avoir fait un si long voyage pour nous encourager à épanouir un bon coeur, comme vous avez dit à Vancouver.
Vous avez parlé de vos préoccupations concernant la préservation de la culture du Tibet, de son patrimoine et de son environnement et de votre besoin de chercher une solution dans le cadre de la Constitution chinoise.
De quelle façon, nous parlementaires, pouvons-nous vous aider?
Mme McDonough: L'une des raisons de l'universalité de votre message et pour laquelle il est perçu comme une source d'inspiration par beaucoup d'entre nous, c'est qu'il ne sépare pas la spiritualité de l'application des valeurs spirituelles dans la vie politique et économique.
Je me demande, sachant que vous ne craignez pas de vous prononcer sur ces sujets, si vous pouvez nous donner votre avis sur l'escalade de la course aux armements et la militarisation de l'espace qui va être lancée par les États-Unis sous forme d'un programme national de défense antimissile?
M. Obhrai: Votre Sainteté, je vous remercie d'être venu. J'ai été exposé à la culture tibétaine lorsque j'étais enfant et que je lisais les livres de M. Lobsang Rampa. Je les ai tous lus quand j'étais enfant. Je connais donc bien la culture tibétaine et les problèmes du Tibet.
Avec l'ouverture de la Chine — à l'époque où vous vous êtes enfui du Tibet pour aller en Chine, la Chine était un pays à économie socialiste fermée. Aujourd'hui, la Chine est une société ouverte avec ses déroutements, sa situation interne — par exemple, la place Tiananmen et les événements qui ont suivi.
Dans ce contexte, ne pensez-vous pas que la demande tibétaine pour l'autonomie — je comprends votre demande d'autonomie, mais quelque part, le Tibet a toujours été un pays indépendant. Ne serait-ce pas là votre objectif final, si des changements arrivent, dans ce cas en Chine?
M. Caccia: Votre Sainteté, dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné qu'il fallait une approche politique. Cette approche politique inclut-elle les Nations Unies et dans ce cas de quelle façon?
M. Wilfert: Vous avez indiqué, qu'à votre avis, la question tibétaine pourrait être résolue plus rapidement que la situation à Taïwan. Pouvez-vous nous dire, étant donné que les droits de la personne constitue le principe essentiel de la politique étrangère du Canada et que les libertés d'expression et de religion sont importantes pour les Canadiens, de quelle façon pouvons-nous vous aider le mieux pour accélérer ce processus, puisqu'en 2007, le chemin de fer à Lhassa sera terminé et accélérera l'assimilation du peuple tibétain?
Mme Leung: Votre Sainteté, en tant que député canadien d'origine chinoise, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue. Je me demande si nous pouvons avoir un médiateur international pour négocier, pour faire asseoir le Tibet et la Chine à la même table et trouver une solution pacifique?
La Chine et Taïwan ont eu des négociations dans le passé. Une délégation chinoise représentait la Chine et une délégation taïwanaise représentait Taïwan. Elles ont essayé de trouver une solution pacifique. Elles ont échoué, mais cela est un autre exemple.
Laquelle de ces deux propositions pensez-vous est la plus réalisable — celle du médiateur international ou le deuxième exemple?
M. Patry (coprésident): Votre Sainteté, on vous a posé plusieurs questions. C'est à votre tour de parler.
Sa Sainteté le Dalaï-Lama: En fait, depuis l'Accord de 17 points, il y a eu un contact direct avec le gouvernement chinois sans l'intermédiaire d'un tiers. Depuis 1979, nous avons eu des contacts directs. Nous avons toujours essayé d'avoir des contacts directs. Le contact direct a été renoué récemment. Nous voulons toujours avoir des contacts directs. Cependant, une tierce partie peut aider à concrétiser ce dialogue constructif.
En ce qui concerne l'armement, je crois avoir déjà mentionné que notre objectif devrait être la démilitarisation au niveau mondial, étape par étape. Il vaut mieux ne pas dépenser beaucoup d'argent pour l'armement dans l'espace.
Au sujet de l'approche politique, les problèmes que nous soulevons, principalement au Tibet, ne sont pas des catastrophes naturelles, mais résultent de la politique du gouvernement central. Il faut donc une solution politique. Nous voulons un contact direct. Nous ne pensons pas à une participation des Nations Unies. Il est vrai, qu'au début des années 60, la question tibétaine a été débattue aux Nations Unies et que trois résolutions ont été adoptées. Toutefois, la situation à cette époque était différente. Aujourd'hui, nous visons surtout les contacts directs.
Au sujet de la question de Taïwan et de celle du Tibet, lors d'une visite à Pékin, au début des années 80, notre délégation — je crois que c'était la deuxième ou la troisième délégation — a déclaré, en réponse à un haut fonctionnaire chinois, que nous avions plus de droit de demander certains droits que Taïwan, car nous estimons avoir une culture différente, y compris une langue différente — ce genre de choses.
Le haut fonctionnaire chinois a répondu qu'il y avait de très grandes différences. Il a dit que Taïwan n'était pas encore libéré, que le Tibet était déjà libéré, donc que Taïwan est en position de demander plus. J'ai ensuite mentionné que la situation au Tibet est comparativement moins difficile. Il y a trop de complications là-bas. Récemment, à la suite d'un vote, je pense que l'attitude de la population taïwanaise s'est raffermie, c'est une situation très compliquée.
Puisque le Tibet est déjà, a été libéré de leurs propres mains, il ne reste qu'à trouver le moyen d'offrir aux Tibétains une vie plus satisfaisante. C'est plus facile. Je crois avoir répondu à votre question.
M. Patry (coprésident): Merci, votre Sainteté.
Le sénateur Di Nino (coprésident): Votre Sainteté, tout d'abord, nous vous remercions d'avoir gracieusement accepté notre invitation à venir vous adresser à la séance conjointe des deux Chambres et du Comité des affaires étrangères.
Nous vous adressons nos meilleurs voeux de succès dans la réalisation de l'objectif que vous vous êtes fixé pour trouver une solution à un problème qui existe depuis très longtemps et qui est plutôt difficile à régler. Je suis sûr que je parle au nom de la majorité des parlementaires lorsque je dis que nous vous tendons la main en geste d'amitié et que nous vous souhaitons une coopération. Dans la mesure de nos moyens, je crois que l'ensemble des parlementaires vous soutient dans votre combat. Je vous remercie d'être venu.
La séance est levée.