ETHI Rapport du Comité
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CHAPITRE TROIS LES MODÈLES DE FINANCEMENT
Tout au long de nos audiences, on nous a présenté diverses options pour le financement des bureaux des hauts fonctionnaires du Parlement. Quatre modèles en sont ressortis : le modèle du commissaire à l’éthique, le modèle du Royaume-Uni, le modèle du groupe d’experts et le modèle pluriannuel.
LE MODÈLE DU COMMISSAIRE À L’ÉTHIQUE
Tel que mentionné plus haut dans le présent rapport, avec le modèle du commissaire à l’éthique, les budgets des hauts fonctionnaires du Parlement seraient d’abord examinés par le Président de la Chambre des communes ou du Sénat, ou les deux, qui les achemineraient ensuite au président du Conseil du Trésor pour présentation avec les budgets des dépenses du gouvernement pour l’exercice financier concerné. Par conséquent, ils ne seraient pas sujets à l’examen détaillé du Secrétariat du Conseil du Trésor ou à l’approbation du Conseil du Trésor.
Le commissaire à l’information, John Reid, s’est avéré un ardent défenseur du modèle du commissaire à l’éthique, notamment parce qu’il gagnerait ainsi l’appui du Président de la Chambre des communes ou du Sénat, qui veillerait au « bien-être administratif » de son bureau.
Nous n'avons pas de ministre, à toutes fins pratiques, pour aller nous défendre au Conseil du Trésor. Théoriquement, nous nous adressons au Conseil du Trésor par l'intermédiaire du ministre de la Justice, mais il n'a pas pour rôle de nous défendre. … C'est important, car il y a des arbitrages qui se font au Conseil du Trésor, mais nous n'avons aucun ministre au sein du Cabinet qui considère avoir la responsabilité de s'occuper de nous. (10 février 2005)
La pertinence de ce modèle pour les autres hauts fonctionnaires semble moins évidente. Si le commissaire à l’information avoue préférer un mécanisme qui soit simple, transparent et compatible avec la nature de son bureau, il reconnaît ne pas avoir à tenir compte de la même vaste gamme de questions politiques que la commissaire à la vie privée, par exemple. À tout prendre, John Reid a déclaré qu’à titre de haut fonctionnaire du Parlement, il devrait faire examiner son budget par le Parlement et non par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire les ministres de la Couronne qui siègent au Conseil du Trésor.
Bernard Shapiro, commissaire à l’éthique, se dit satisfait de son mécanisme de financement actuel, surtout du fait qu’il serait tout à fait inapproprié, dans son cas, que ce soit un organe du gouvernement qui prenne les décisions financières touchant son bureau. Il reconnaît toutefois qu’il y aurait lieu d’instaurer un mécanisme de supervision ou d’analyse critique pour appuyer le Président de la Chambre des communes, et proposerait à cet égard des programmes annuels de vérification externe et interne. Le commissaire suggère aussi qu’un comité parlementaire procède à un examen ultérieur des activités de son bureau pour régler, le cas échéant, les problèmes de reddition des comptes.
Les représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor doutent que le modèle du commissaire à l’éthique convienne parfaitement aux autres hauts fonctionnaires du Parlement. Ils craignent notamment que la faible intervention du gouvernement à ce mécanisme ne nuise à sa responsabilité en matière de saine gestion des ressources publiques. À leurs yeux, il s’agirait d’un modèle trop simple pour les autres hauts fonctionnaires dont les mandats sont plus larges et les incidences budgétaires plus lourdes, car dans leur cas, les questions de supervision, d’analyse critique du budget et de reddition des comptes deviennent plus complexes.
Les représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor ont proposé au Comité quelques versions modifiées du modèle du commissaire à l’éthique. Dans un premier exemple, les propositions budgétaires passeraient d’abord par les rouages de gestion du Parlement, sans doute par l’entremise de la régie interne de la Chambre des communes et du Sénat. Les Présidents des deux chambres en achemineraient ensuite les résultats au Conseil du Trésor pour qu’ils soient présentés dans le budget des dépenses du gouvernement. Il y aurait donc intervention des comités parlementaires et du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui serait chargé d’établir des paramètres budgétaires généraux et d’en examiner le rendement.
Dans un deuxième exemple, on combinerait les budgets des hauts fonctionnaires du Parlement en une seule grande enveloppe parlementaire. Les budgets des dépenses seraient alors préparés pour eux de la même façon qu’on le fait actuellement pour la Chambre des communes, le Sénat et la Bibliothèque du Parlement. Les représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor insistent toutefois pour dire qu’il y aurait lieu de prévoir un mécanisme d’administration et d’analyse critique des budgets et de tenir compte de certains aspects législatifs et peut-être même constitutionnels. En outre, le professeur Paul Thomas, dans son mémoire au Comité, a fait savoir qu’un modèle ainsi fondé sur des « parts appropriées » pourrait s’avérer problématique en cas de compressions budgétaires, car les bureaux à grande visibilité risqueraient de « battre » les organismes de moindre envergure.
Comme on l’a déjà mentionné, depuis quatre ans, la vérificatrice générale cherche à trouver un mécanisme de financement qui serait indépendant du Secrétariat du Conseil du Trésor, un ministère dont elle doit faire la vérification. Dans sa quête d’un nouveau processus d’établissement du budget, la vérificatrice générale a présenté diverses options dont l’une utilise comme modèle le mécanisme de financement prévu pour le National Audit Office (bureau national de la vérification) du Royaume-Uni.
Dans ce pays, une commission parlementaire créée par une loi et réunissant des représentants de tous les partis examine le projet de budget du National Audit Office et dépose un rapport au Parlement en incluant toute modification qu’elle juge nécessaire. Connu sous le nom de Public Accounts Commission (commission des comptes publics), cet organisme comprend le président du Comité des comptes publics, le chef du gouvernement et sept autres députés nommés par la Chambre, mais ne siégeant pas au Cabinet. Les membres de la commission demeurent en poste tant qu’ils ne renoncent pas à se présenter à une élection, qu’ils conservent leur poste de député ou qu’un autre député n’est pas proposé ou nommé à leur place. La commission se réunit habituellement deux fois par an et doit prendre en compte les avis du Comité des comptes publics et du Trésor (l’équivalent du ministère des Finances).
L’une des principales préoccupations soulevées par les témoins à l’égard de ce modèle est que l’argent versé au contrôleur et au vérificateur général du R.-U. provient directement du budget des dépenses déposé devant la Chambre des communes par la commission. Notre Constitution prévoit plutôt que c’est la Couronne qui engage les dépenses et que le rôle du Parlement se limite à approuver, rejeter ou réduire les propositions de dépenses, comme le montrent les articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 186711.
Les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor ont indiqué que le modèle britannique pourrait être adapté de manière à respecter notre cadre constitutionnel et conventionnel relatif au processus budgétaire, en s’inspirant peut-être du processus budgétaire prévu pour la Chambre, le Sénat et la Bibliothèque du Parlement. Ces budgets sont en effet établis et étudiés au moyen des mécanismes internes du Parlement et le budget des dépenses est ensuite présenté au Conseil du Trésor pour dépôt dans le cadre du processus budgétaire du gouvernement. Le Conseil du Trésor dépose simplement ces budgets avec les autres budgets des dépenses du gouvernement; ils ne font pas l’objet d’un examen et d’une analyse critique par le Conseil du Trésor.
On a aussi proposé que le modèle britannique soit modifié par l’établissement d’un comité parlementaire élargi qui compterait des représentants de tous les partis et des deux chambres du Parlement. En fait, les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor ont indiqué que les comités parlementaires pourraient examiner les budgets des dépenses proposés par les hauts fonctionnaires du Parlement à la lumière des données du gouvernement sur les paramètres du budget et le rendement. Les résultats de cet examen seraient ensuite utilisés par le Conseil du Trésor pour mettre la dernière main aux budgets des dépenses.
Ces fonctionnaires ont aussi proposé que les comités parlementaires concernés soient consultés par le Secrétariat du Conseil du Trésor concernant les budgets préparés par les hauts fonctionnaires du Parlement avant leur examen et leur finalisation dans le cadre du processus normal du Conseil du Trésor. On a toutefois reconnu que cette approche pourrait bien ne pas éliminer les apparences de conflits d’intérêts qui entachent le processus de financement actuel.
On a aussi discuté d’une option selon laquelle un ou des comités parlementaires recevraient des projets de budget des hauts fonctionnaires du Parlement pour examen et feraient ensuite rapport au Conseil du Trésor en vue de leur dépôt au Parlement dans le cadre du processus budgétaire normal. Ce processus semblerait similaire aux modèles de financement utilisés dans certaines provinces12. La commissaire aux langues officielles, lors de sa comparution devant le Comité, était clairement en faveur d’un examen parlementaire de son budget par les comités des langues officielles de la Chambre des communes et du Sénat :
Dans notre cas, il semble logique que toutes les questions qui peuvent mettre en jeu notre indépendance ou notre budget soient soumises à l'examen des parlementaires par l'entremise des comités des langues officielles, car ils connaissent à fond les enjeux et les conséquences pratiques de nos propositions budgétaires. (15 février 2005)
Dans le mémoire qu’il a présenté au Comité, le professeur Thomas a toutefois servi un avertissement concernant le recours aux comités parlementaires pour le processus d’établissement des budgets des hauts fonctionnaires du Parlement. Il a souligné que bien qu’il ne semble pas que le gouvernement soit directement impliqué dans ce processus, il pourrait tout de même exercer des pressions indirectes sur un comité dans un gouvernement majoritaire. Ainsi, les dirigeants du parti au pouvoir pourraient demander à leurs députés de serrer la bride à une agence parlementaire qui dépense allègrement ou qui lui cause de l’embarras politique13.
Un autre modèle proposé par la vérificatrice générale prévoit le recours à un groupe d’experts pour procéder à un examen critique des propositions budgétaires des hauts fonctionnaires du Parlement. Ce groupe d’experts ferait rapport sur l’ensemble et les détails du budget des dépenses de chaque bureau aux Présidents de la Chambre et du Sénat et au président du Conseil du Trésor pour dépôt dans le cadre de l’examen parlementaire du processus budgétaire. Comme dans le cas du modèle du commissaire à l’éthique, les budgets des dépenses ne feraient pas l’objet d’un dernier examen détaillé par le Secrétariat du Conseil du Trésor ou d’une approbation par le Conseil du Trésor.
En vertu de la proposition de la vérificatrice générale, le groupe d’experts pourrait comprendre trois personnes respectivement nommées par le Président de la Chambre des communes, le Président du Sénat et le président du Conseil du Trésor. Ce groupe pourrait se réunir plusieurs fois par année, suivant le processus régulier de préparation et de présentation des demandes relatives aux budgets principaux et supplémentaires des dépenses. Il rencontrerait les hauts fonctionnaires du Parlement, leurs agents financiers supérieurs, et des fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor.
L’un des éléments positifs de ce modèle, selon la vérificatrice générale, est qu’il pourrait être mis en oeuvre sans modifier les lois et au moyen d’un protocole d’entente entre les deux Présidents, le président du Conseil du Trésor, et les hauts fonctionnaires du Parlement. La commissaire à la protection de la vie privée aimait aussi l’idée de ne pas avoir à changer les lois.
Bien que les conditions et modalités opérationnelles restent à définir, notre Commissariat appuie le concept de création d'un comité d'experts. Le modèle du comité d'experts est conforme à la fonction d'indépendance de notre Commissariat et peut-être même bien que je ne présume pas parler en leur nom des autres hauts fonctionnaires du Parlement. Il est conçu pour fournir un régime d'imputabilité et de transparence qui fonctionne bien. D'autre part, cette approche ne requiert aucune modification législative, et c'est la formule que nous privilégions à l'heure actuelle. (10 février 2005)
D’un autre côté, au moins deux témoins se sont inquiétés que cette proposition puisse être interprétée comme une délégation des pouvoirs liés au processus d’établissement du budget de la part du Parlement et de l’exécutif. Ici aussi, des questions constitutionnelles pourraient être soulevées si des experts étaient autorisés à approuver des demandes budgétaires. De plus, le coût de ce groupe d’experts a suscité certaines inquiétudes, tout comme la possibilité de devoir en constituer plusieurs pour s’occuper de tous les hauts fonctionnaires du Parlement.
Le commissaire à l’éthique a toutefois reconnu que s’il fallait modifier son mécanisme de financement actuel, le modèle du groupe d’experts pourrait constituer un ajout raisonnable à son modèle avant la présentation du budget des dépenses du commissaire au Président de la Chambre des communes.
Si, pour une raison ou une autre, d’autres modifications étaient jugées nécessaires, le groupe d’experts semble être un mécanisme raisonnable à insérer avant la présentation de nos prévisions budgétaires au Président de la Chambre. Cette solution a trois raisons de me plaire : premièrement, elle maintient l’indépendance du Bureau par rapport à la législature et au gouvernement, qui sont tous les deux assujettis aux régimes d’éthique que nous administrons; deuxièmement, si le groupe est choisi avec soin, le Président de la Chambre des communes recevrait des avis reposant sur un savoir-faire et un jugement véritablement indépendants; troisièmement, elle permet de reconnaître la valeur d’un examen parlementaire a posteriori grâce à la structure des comités14.
En fait, les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor étaient d’accord pour qu’un groupe d’experts participe au processus d’analyse budgétaire sous la direction du Parlement et du gouvernement. D’autres témoins ont aussi indiqué qu’un tel groupe pourrait seconder un comité parlementaire ou collaborer avec les hauts fonctionnaires du Parlement pour élaborer des présentations budgétaires.
LE MODÈLE DE FINANCEMENT PLURIANNUEL
L’idée d’une formule de financement permanente et durable pour les hauts fonctionnaires du Parlement a été présentée de manière détaillée par le professeur Forcese lors de sa comparution devant le Comité :
J’ai donc pensé à une formule pluriannuelle qui établirait le financement de base des hauts fonctionnaires du Parlement, pour éviter à ceux-ci l’obligation qu’ils ont actuellement de s’adresser chaque année au Conseil du Trésor ou pour écarter au moins la perception que leurs activités dans une année donnée pourraient influencer la mesure dans laquelle le gouvernement est disposé à leur accorder un financement suffisant. L’idée a des incidences sur la question de l’indépendance ainsi que sur les frais entraînés par l’établissement d’un groupe d’experts. (8 mars 2005)
Avec ce modèle, le financement augmenterait automatiquement selon un repère objectif et sur une période de temps donné (p. ex. cinq ans). Les majorations annuelles pourraient être fondées sur des critères objectifs liés aux fonctions particulières de chaque haut fonctionnaire (p. ex., le nombre de plaintes reçues par le commissaire à l’information). Si la formule de financement était adoptée par voie législative, ces critères pourraient être énoncés dans la loi. En fait, on pourrait envisager d’inclure d’autres critères comme l’état de l’économie au moment de la majoration projetée.
Un inconvénient possible de la formule de financement pluriannuel est que le Parlement, un groupe d’experts ou l’exécutif devrait tout de même procéder à un examen pour déterminer les crédits initiaux. Des examens subséquents pourraient aussi se révéler nécessaires à la fin de la période de temps prévue afin de s’assurer que les crédits de départ et la formule de majoration établie conviennent toujours.
Dans leur mémoire au Comité, les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor ont mentionné des modèles quelque peu similaires qui pourraient être adoptés pour les hauts fonctionnaires du Parlement. Ainsi, on a proposé d’adopter une formule de financement où les crédits de départ pourraient par exemple être rajustés en fonction de l’augmentation ou de la réduction du budget du gouvernement ou d’un autre repère similaire. On pourrait aussi mettre en oeuvre un processus d’examen cyclique qui permettrait un financement pluriannuel fondé sur des prévisions des ressources requises préparées par les hauts fonctionnaires et ensuite validées par des examens des ressources et de la gestion effectués par le Secrétariat du Conseil du Trésor.
Le professeur Thomas, dans son mémoire au Comité, a également reconnu qu’on pourrait indexer les dépenses des hauts fonctionnaires du Parlement en fonction d’un repère donné (augmentation moyenne des dépenses du gouvernement, intensification des activités, etc.). Il a toutefois souligné que cette approche semble à première vue simple, mais qu’elle peut comporter un certain nombre de lacunes dont la principale est justement de devoir trouver ce repère approprié.
Trouver le point de référence le plus approprié sera sujet à controverse et artificiel, car cette façon de faire substitue le calcul à la délibération et au jugement. Lorsque les circonstances changeront, la nature automatique de la formule pourrait entraîner des avantages inopportuns ou des insuffisances pour des organismes particuliers15.
11 | 53. Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des Communes. 54. Il ne sera pas loisible à la Chambre des Communes d'adopter aucune résolution, adresse ou bill pour l'appropriation d'une partie quelconque du revenu public, ou d'aucune taxe ou impôt, à un objet qui n'aura pas, au préalable, été recommandé à la Chambre par un message du gouverneur général durant la session pendant laquelle telle résolution, adresse ou bill est proposé. |
12 | Par exemple, en Alberta et en Colombie-Britannique, les commissaires à l’information et à la protection de la vie privée soumettent leurs propositions budgétaires annuelles à un comité de l’assemblée législative pour approbation : au Comité permanent des affaires législatives en Alberta et au Comité permanent des finances et des services gouvernementaux en Colombie-Britannique. Les documents remis au Comité par le Bureau de la vérificatrice générale indiquent également que la majorité des lois provinciales sur le vérificateur général prévoient que les budgets des bureaux des vérificateurs généraux sont transmis à un comité de l’assemblée législative, qui peut formuler des recommandations ou apporter des modifications, le budget révisé étant ensuite soumis à l’assemblée législative pour inclusion dans le budget des dépenses de la province en vue de son approbation. |
13 | Paul Thomas, note 10, p. 3. |
14 | Lettre au greffier du Comité, le 8 mars 2005. |
15 | Thomas, note 10, p. 3. |