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PACP Rapport du Comité

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LES DÉCISIONS DU GOUVERNEMENT ONT LIMITÉ LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES DÉPENSES PUBLIQUES DU RAPPORT DE MAI 2006 DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU CANADA

Introduction

La Loi sur les armes à feu a été adoptée en 1995, peu après l’établissement du Programme canadien de contrôle des armes à feu. Depuis sa création, ce programme a suscité beaucoup d’attention parmi les parlementaires, surtout à compter de décembre 2002, au moment du dépôt d’un rapport de la vérificatrice générale du Canada sur cette question. Celle-ci avait découvert que le Parlement n’était pas au courant de la hausse fulgurante du coût de ce programme et ne disposait pas de renseignements suffisants pour suivre de près le programme et demander des comptes à son sujet. En octobre 2003, après lecture du rapport, le Comité avait recommandé que le gouvernement fournisse au Parlement des informations plus détaillées sur les coûts du programme.

En mai 2006, la vérificatrice générale a déposé son rapport intitulé Le point à la Chambre des communes, lequel offre un suivi de vérifications antérieures. Elle y fait le point, justement, sur la vérification du Programme de contrôle des armes à feu, au cours de laquelle les vérificateurs ont mis au jour des questions importantes pour le Parlement, d’où la décision de la vérificatrice générale de déposer un rapport spécial intitulé Les décisions du gouvernement ont limité le contrôle parlementaire des dépenses publiques. Ce dernier rapport explique comment deux « erreurs » comptables, l’une commise par le ministère de la Justice en 2002-2003 et l’autre par le Centre des armes à feu du Canada en 2003-2004, gênent le contrôle des dépenses publiques par la Chambre des communes [1]. On y indique également que la comptabilisation des dépenses relatives à un contrat en cours d’exécution n’est peut-être pas effectuée correctement et que des décisions importantes prises par le gouvernement à propos de ces problèmes de comptabilisation n’ont pas été consignées dans des documents.

Le Comité s’était dit vivement inquiété par l’usage sélectif de règles comptables pour cacher les coûts du Programme de contrôle des armes à feu. Vu l’importance de ces questions pour le Parlement, le Comité a décidé de consacrer deux audiences au rapport de la vérificatrice générale. Le 3 mai 2006, il a rencontré la vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, qui était accompagnée pour l’occasion de deux directeurs principaux, Peter Kasurak et Frank Vandenhoven. Il a aussi entendu les témoignages de William Baker, ancien commissaire du Centre des armes à feu du Canada, et de John Brunet, chef de la direction financière du Centre, ainsi que ceux de représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor, soit Charles-Antoine St-Jean, contrôleur général du Canada, John Morgan, contrôleur général adjoint par intérim, Susan Cartwright, secrétaire adjointe, et Bill Matthews, directeur principal. Morris Rosenberg, ancien sous-ministre de la Justice, a aussi comparu devant le Comité, en compagnie de Wayne Ganim, ancien directeur adjoint des Finances à Justice Canada. John Wiersema a comparu pour sa part en tant qu’ancien contrôleur général du Canada par intérim.

Le 8 juin 2006, c’était au tour de Margaret Bloodworth, ancienne sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada, Jim Judd, ancien secrétaire du président du Conseil du Trésor, ainsi que, de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Scott Leslie, directeur principal, Henry Sano, directeur général, et John Shearer, ancien sous-ministre adjoint, de venir témoigner devant le Comité. John Wiersema s’est joint à la discussion au cours de l’audience.

Observations and Recommandations

  1. Première erreur comptable

    Au cours de l’exercice 2002-2003, le Programme de contrôle des armes à feu le « Programme » était sous la responsabilité du ministère de la Justice. Dans son Rapport sur les plans et les priorités de 2002-2003, le ministère avait établi à 113 millions de dollars les prévisions de dépenses relatives au Programme, dont 72 millions de dollars avaient été demandés par le Ministère au Parlement en octobre 2002, dans le cadre de son Budget supplémentaire des dépenses (A). Ce dernier montant faisait partie du crédit général demandé par le Ministère. La Chambre des communes ayant décidé, par consentement unanime, de réduire les fonds destinés au ministère de la Justice du montant précisé pour le Programme en décembre 2003, le ministre de la Justice a demandé au Parlement une somme de 59 millions de dollars pour le Programme dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) de février 2003. Interrogé sur cette question à la Chambre, le ministre de la Justice de l’époque, l’hon. Martin Cauchon, avait indiqué : « Le budget supplémentaire des dépenses (B) fait état d’une somme d’environ 59 millions de dollars, qui fait partie du montant de 100 millions de dollars [2]. » La Chambre a subséquemment approuvé la demande de fonds additionnels.

    En octobre 2003, le ministère de la Justice indiquait que les dépenses réelles du Centre en 2002-2003 s’établissaient à 78,3 millions de dollars, mais que ce montant ne comprenait pas les coûts de développement d’un nouveau système électronique de gestion de l’information sur les permis et les enregistrements d’armes à feu (le Système canadien d’information relativement aux armes à feu, ou SCIRAF II). La vérificatrice générale a conclu qu’il s’agissait d’une erreur puisqu’on ne s’était pas conformé à la Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice (CAFE) du Conseil du Trésor, suivant laquelle les coûts doivent être comptabilisés comme des dépenses à imputer à un crédit ministériel dans l’exercice où elles ont été engagées, plutôt que lorsqu’elles deviennent exigibles en vertu d’un contrat.

    C’était même une erreur grave puisque, si les 39 millions de dollars avaient été comptabilités correctement, les dépenses relatives au Programme pour l’année en question auraient été de 117 millions de dollars, soit beaucoup plus que ce que le ministre de la Justice avait indiqué à la Chambre. Néanmoins, même si ce montant avait été comptabilisé comme il se doit en 2002-2003, il n’y aurait pas eu dépassement des crédits puisque le Programme faisait alors partie du budget global du ministère de la Justice.

    Des fonctionnaires de ce ministère ont expliqué au Comité comment les dépenses liées au SCIRAF avaient été comptabilisées. Wayne Ganim, ancien directeur général des Finances du ministère, a indiqué :

    Lorsque nous avons pensé établir un compte à payer à la fin de l’exercice pour la totalité du contrat, plus un montant pour les délais, je ne m’étais pas rendu compte que je pouvais débiter ce montant du crédit en vertu de l’article 33 de la Loi, car la marchandise n’avait pas été livrée le 31 mars, tel que prévu dans le contrat. Il y avait trop de doutes quant à la validité du contrat en matière de livraison des services connus. Un autre aspect important, c’est que le contrat a été conçu dans le but de transférer le risque total au fournisseur. C’est un contrat de transfert de risques. Si l’entrepreneur ne peut fournir le service, aucun solde n’est dû. C’est basé sur ces deux facteurs. Je ne me sentais pas à l’aise d’avoir recours à l’article 33 [3].

    Cependant, le ministère de la Justice n’a fourni au Bureau du vérificateur général aucun document faisant état de l’analyse ou du processus ayant abouti à cette décision.

    Si les fonctionnaires du ministère de la Justice ont défendu leurs actions, ceux du Secrétariat du Conseil du Trésor étaient d’accord pour dire qu’une erreur avait été commise. Dans sa réponse au rapport de la vérificatrice générale, le Secrétariat écrivait : « Par souci de clarté, le Secrétariat confirme qu’il est pleinement d’accord avec la constatation de la vérificatrice générale portant sur la première erreur comptable de 2002-2003 [4]. »

    Le Comité est très préoccupé par le fait que la politique et les règles de comptabilité du Conseil du Trésor n’aient pas été respectées. Si le ministère avait vraiment des raisons de croire que la comptabilisation n’était pas faite correctement, il aurait alors dû consulter le Secrétariat du Conseil du Trésor; cela n’a pas été fait. En outre, il n’existe aucun document pour étayer la décision. Le Comité prend extrêmement au sérieux le fait que le Parlement ait été mal informé, voire induit en erreur, au sujet des dépenses du programme en 2002-2003, alors que l’approbation de fonds additionnels pour le programme de contrôle d’armes à feu suscitait énormément de discussion et de controverse. Si le Parlement doit approuver les dépenses du gouvernement, puis les examiner, il est essentiel qu’il reçoive toute l’information nécessaire et que cette information soit exacte.

    Le Comité estime que les fonctionnaires du ministère de la Justice sont en partie responsables non seulement de cette erreur comptable, mais aussi, en partie, de la seconde erreur décrite ci-dessous. Les difficultés considérables qu’à connues le nouveau Centre des armes à feu étaient en grande partie attribuables au report de ces coûts en 2003-2004. Nous estimons cependant que les ministres ont une grande part de responsabilité dans toute cette affaire. Rappelons que la vérificatrice générale, au paragraphe 32 de son rapport, soutient que les ministres responsables ont été informés de cette manœuvre comptable et qu’ « on a demandé aux agents comptables du Secrétariat de trouver un traitement comptable qui permettrait d’éviter de comptabiliser tous les coûts du SCIRAF II engagés en 2003-2004 et, si possible, d’éviter de demander des fonds additionnels. »

    La vérificatrice générale l’a indiqué dans son rapport, et Mme Bloodworth, Mr. Wiersema et M. Baker, les principaux fonctionnaires dans cette affaire, ont tous indiqué que la ministre était au courant de ce problème. Quoi qu’il en soit, les faits laissent croire que la ministre était au courant en n’a rien fait pour que le Parlement soit bien informé. Pour cela, elle doit donc admettre sa responsabilité.

  2. Deuxième erreur comptable

    En avril 2003, le Centre des armes à feu du Canada le « Centre » était constitué comme une entité distincte relevant du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada (SPPCC). En janvier 2004, les coûts de 39 millions de dollars liés au développement du SCIRAF II n’ayant pas été comptabilisés par le ministère de la Justice en 2002-2003 et les coûts de ce système ayant connu une hausse inattendue, le Centre a demandé l’avis du Secrétariat du Conseil du Trésor sur la façon de comptabiliser les coûts du SCIRAF II au cours de l’exercice 2003-2004. Le commissaire responsable du Centre a écrit par la suite à la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour lui indiquer que les 39 millions de dollars consacrés au projet SCIRAF II en 2002-2003 devaient être comptabilisés en 2003-2004 de façon à respecter la Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice, (CAFE); or, ce montant serait tel que le Centre dépasserait sa limite de crédits parlementaires pour l’exercice. William Baker, qui occupait à l’époque les fonctions de commissaire du Centre des armes à feu du Canada, a déclaré au Comité : « Il y avait deux solutions possibles, à ma connaissance : obtenir un budget supplémentaire ou excéder le crédit, ce qu’aucun de nous ne souhaite [5]. »

    En février 2004, des fonctionnaires du Centre ont procédé à d’autres consultations et deux avis juridiques ont été sollicités. Le premier, sollicité par le Secrétariat du Conseil du Trésor, par des cadres supérieurs. Selon cet avis, communiqué le 3 février, la Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice ne contredit pas la Loi sur la gestion des finances publiques et n’exige pas de débiter les crédits pour une estimation des travaux en cours même si aucun paiement n’a été effectué.

    Le second, auprès du ministère de la Justice, a été sollicité le 9 février par Margaret Bloodworth, alors sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. Cette dernière n’était pas la supérieure de M. Baker au moment des événements, mais elle a expliqué avoir demandé un avis juridique parce qu’elle se trouvait être la principale conseillère de la ministre en matière d’administration publique et qu’elle sentait qu’il y avait lieu de se poser d’autres questions. Elle craignait que les coûts du SCIRAF II ne soient inscrits différemment en 2002-2003 qu’en 2003-2004, et elle s’inquiétait de l’utilisation des termes « dette » et « passif » indistinctement. On a compris dans cet avis qu’il n’était pas nécessaire de débiter les montants en question des crédits du Centre en 2002-2004 parce qu’ils ne constituaient pas une « dette ».

    Les cadres supérieurs se sont ensuite rencontrés à la mi-février pour discuter de l’utilité de demander un budget supplémentaire pour le Centre. M. Baker a décrit ainsi les discussions :

    Mon devoir était de présenter les diverses options à la ministre. Cette affaire a déclenché un examen plus précis par les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor et du Bureau du contrôleur général ainsi que par d’autres fonctionnaires, ce qui a soulevé des questions au sujet du montant du passif ou de la dette et déclenché des demandes d’avis juridique au ministère de la Justice. Ensuite, en se basant sur l’analyse de cet avis juridique et sur d’autres considérations, on a décidé que ce passif ne devait pas être imputé au crédit [6].

    Toutefois, comme on n’a gardé aucun compte rendu de ces discussions, ceci fait qu’il est extrêmement difficile de vérifier la version de M. Baker.

    Des témoins ont confirmé au Comité que le ministre savait qu’il allait peut-être falloir recourir à un budget supplémentaire, mais ils ont affirmé qu’il n’y avait pas eu de directive ou d’ingérence politique dans la décision de ne pas recourir à un budget supplémentaire.

    À la lumière de ces consultations et de l’avis juridique demandé par Mme Bloodworth, M. Baker avait décidé de consigner une somme de 21,8 millions de dollars en coûts afférents au SCIRAF II comme un « passif non comptabilisé », au lieu de l’imputer au crédit du Centre. Cette décision, dont M. Baker assume l’entière responsabilité, avait été signalée au Parlement dans le Rapport ministériel sur le rendement (RMR) de 2003-2004. « En tant que dirigeant du Centre, a indiqué M. Baker, j’ai fait une attestation, avec le directeur général des finances, pour m’assurer que nous faisions une déclaration correcte au Parlement [7]. »

    Quoi qu’il en soit, comme dans le cas de la première erreur, la vérificatrice générale a conclu qu’on avait agi à l’encontre de la Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice du Conseil du Trésor et peut-être contrevenu également à l’article 37.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. La vérificatrice a aussi conclu que le défaut de demander des fonds supplémentaires dans ce cas précis pouvait être interprété comme un manquement au Règlement et une atteinte aux privilèges de la Chambre des communes.

    Dans sa réponse au rapport de la vérificatrice générale, le gouvernement dit accepter l’interprétation de cette dernière, mais il nie l’existence d’une deuxième erreur comptable. Il affirme plutôt que l’accord de principe conclu en juillet 2003 avec le fournisseur pour l’exécution de travaux supplémentaires sur le SCIRAF III et l’engagement de coûts attribuables aux retards n’était pas un contrat ayant force obligatoire puisqu’il n’avait pas encore obtenu l’approbation du Conseil du Trésor et que d’autres conditions n’avaient pas été satisfaites. Charles-Antoine St-Jean, contrôleur général du Canada, a indiqué dans sa déclaration préliminaire :

    L’aspect clé de la question était que les coûts avaient été engagés dans le cadre d’un accord de principe plutôt que d’un contrat en bonne et due forme. Par ailleurs, une question demeurait quant à la nature de la dette, c’est-à-dire, s’agissait-il d’un montant à payer ou d’une dette conformément à l’article 37.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’avis rendu par le ministère de la Justice concluait que les coûts ne pouvaient pas être imputés aux crédits puisqu’ils ne satisfaisaient pas aux critères d’admissibilité énoncés dans la Loi sur la gestion des finances publiques. Les frais ne pouvant être imputés aux crédits, on a conclu qu’il n’était pas nécessaire dans l’immédiat que les ministres demandent un budget supplémentaire [8].

    Autrement dit, le gouvernement allègue que le libellé de la Loi sur la gestion des finances publiques l’a empêché d’imputer les coûts au crédit du Centre. Selon M. St Jean :

    Le montant, l’élément de passif éventuel de 21,8 millions de dollars, a été inscrit dans l’état financier du gouvernement du Canada. Il n’a pas été imputé au crédit en raison de l’avis juridique obtenu. Est-ce que j’aime cet avis? Non. Cependant, il mentionnait le fait que la loi, c’est-à-dire la Loi sur la gestion des finances publiques, fait référence au terme « debt » et pas à « liability ». Est-ce que j’aime cela? Pas du tout, mais c’est la loi [9].

    Toutefois, le fait de donner préséance à un avis juridique au détriment des principes comptables appropriés n’est pas conforme à ce que préconise le Conseil des normes comptables de l’Institut canadien des comptables agréés, selon qui le traitement comptable approprié devrait refléter la substance économique d’une opération plutôt que sa forme juridique [10]. Le Comité est extrêmement troublé de constater que des cadres supérieurs chargés de la comptabilité au Secrétariat du Conseil du Trésor et au Centre des armes à feu du Canada n’aient pas respecté des principes comptables énoncés clairement. Il devait aller de soi pour toutes les personnes en cause que la comptabilisation devait se faire correctement.

    Qui plus est, la Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice (CAFE) du Conseil du Trésor est assez claire :

    Le gouvernement du Canada a pour politique de comptabiliser, pour chaque exercice, les dettes non réglées au 31 mars envers des tiers et de les débiter des crédits existants ou d’en tenir compte au moyen d’une provision centrale pour évaluation [11].

    La Politique énonce aussi :

    Les éléments de passif reconnus comme tels aux fins de la politique doivent être imputés à un crédit ministériel (s’il existe), conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Les éléments de passif doivent être imputés au crédit pertinent même lorsque le crédit a été ou sera ainsi entièrement utilisé ou dépassé [12].

    Cependant, l’avis juridique, qui a été fourni au Comité, ne tient pas compte de la Politique CAFE, bien que le paragraphe 37.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques commence ainsi : « Sous réserve des instructions que le Conseil du Trésor peut donner… » Il serait raisonnable de conclure que la Politique CAFE constitue l’une de ces instructions, qu’elle est conforme à la Loi et, en fait, qu’elle en découle, comme le montre la citation précédente. La Politique prévoit même la possibilité qu’un crédit soit entièrement utilisé ou dépassé, comme c’est ici le cas.

    Le Comité est d’avis que l’argument du gouvernement sur la signification des termes « debt » (dette) et « liability » (passif) n’est pas pertinent à la question et qu’il ne constitue pas, par conséquent, une explication valable quant à la décision finale. Comme l’a déclaré la vérificatrice générale au Comité :

    Notre argument est qu’il y avait un passif. Le gouvernement le reconnaît. Il a inscrit un passif. Il l’a même appelé « passif non comptabilisé » et il existait un crédit couvrant ce type de dépenses. Par conséquent, on peut discuter indéfiniment de la définition du terme « debt », mais la politique du gouvernement… et c’est ainsi que le gouvernement l’applique depuis qu’il l’a adoptée [13].

    La question de savoir si l’accord de principe était juridiquement contraignant ou non et s’il constituait donc une « dette » aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques n’est pas pertinente, parce que le gouvernement a comptabilisé les coûts de délai du SCIRAF II en 2003-2004 comme un « passif non comptabilisé », malgré la contradiction de l’expression.

    En fait, si le gouvernement avait vraiment accepté son avis juridique, il n’aurait pas reconnu le passif et n’aurait comptabilisé aucun coût en 2003-2004. L’avis juridique énonce clairement que les montants en question n’ont pas à être comptabilisés dans l’exercice financier 2003-2004. Or, les montants ont bel et bien été comptabilisés en 2003-2004; seulement, ils n’ont pas été imputés au crédit du Centre. Par conséquent, la question n’est pas de savoir si le gouvernement aurait dû comptabiliser ou non les coûts en 2003-2004, comme il l’a fait, mais il aurait dû le faire. L’avis juridique ne donne aucune directive quant à la façon de comptabiliser le passif. Aucun des arguments présentés au Comité n’explique pourquoi le gouvernement ne s’est pas servi du crédit applicable au Centre pour comptabiliser les coûts de délai du SCIRAF II. En outre, si le gouvernement a inscrit les coûts en question dans son état financier au moyen d’une provision centrale, alors où pouvait-on voir que le Parlement avait autorisé cette dépense?

    À terme, le Comité n’a d’autre choix que de conclure que cet argument ne tient pas la route. Des efforts concertés semblent plutôt avoir été déployés pour justifier la décision de court-circuiter les bonnes pratiques comptables et la politique même du gouvernement, au point de demander un second avis juridique parce que le premier ne correspondait pas à ce que l’on voulait entendre. Le Comité s’inquiète de voir que les représentants du ministère ont maintenu leur position au sujet de la comptabilité même après que la vérificatrice générale eut exprimé son vif désaccord, alors que son opinion en matière de comptabilité devrait avoir un poids considérable, voire être le mot final sur la question.

    Si, par contre, le Comité devait accepter leur argument, il faudrait alors changer radicalement la façon dont le gouvernement comptabilise ses éléments de passif. Comme l’a soutenu Mme Fraser :

    Nous avons un grave problème en ce qui concerne la façon dont le gouvernement inscrit les passifs, s’il le fait strictement en se fondant sur les dettes. Compte tenu de la façon dont cet avis juridique a été analysé, j’attends toujours que quelqu’un vérifie s’il y a des contrats signés et approuvés par le Conseil du Trésor pour toutes les charges à payer. Il s’agit en l’occurrence d’un changement fondamental et considérable de la façon dont le gouvernement comptabilise les passifs en fin d’exercice et je ne suis pas certaine que ce soit le résultat auquel le gouvernement s’attende [14].

    Jusqu’à présent, le Secrétariat du Conseil du Trésor n’a donné aucune autre directive sur la façon d’interpréter la Politique CAFE suivant la manière dont il comprend désormais comment on doit inscrire les passifs conformément à l’article 37.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, pas plus qu’il n’a dit au Comité qu’il avait l’intention de le faire. En outre, le faire signifierait retraiter les états financiers rétroactivement à 1994, date à laquelle la politique est entrée en vigueur. Le Comité est très inquiet de voir que les autorités comptables ont choisi de suivre un avis juridique au lieu de respecter les normes comptables acceptées et la politique du gouvernement en la matière. Il rejette l’argument relatif aux différences entre la dette et le passif, puisque la méthode de comptabilisation à employer dans les circonstances était évidente. Par conséquent, le Comité recommande :

    Recommandation 1
    Que les décisions concernant la comptabilisation des coûts s’appuient sur les normes et conventions comptables existantes, plutôt que sur des avis juridiques.
    Recommandation 2
    Que le Secrétariat du Conseil du Trésor publie une déclaration selon laquelle il est d’accord avec l’opinion de la vérificatrice générale au sujet de la comptabilisation des coûts de délai du SCIRAF II pour l’exercice 2004-2005 et délivre une note de clarification pour que ce type d’erreur comptable ne se reproduise plus.

    Le Comité a également entendu des témoignages contradictoires au sujet de la possibilité que les décisions soient prises selon leurs répercussions politiques plutôt qu’en fonction des normes de comptabilité reconnues. Compte tenu de l’absence de preuve documentaire pour étayer l’une ou l’autre des versions entendues, il est difficile pour le Comité de tirer des conclusions solides. Il croit fermement néanmoins qu’il ne revient pas aux fonctionnaires de prendre des décisions politiques au nom des ministres. La décision de ne pas demander de budget supplémentaire au Parlement et, partant, d’éviter de soulever une controverse politique en adoptant une méthode comptable s’écartant de la norme, aurait dû être prise par les ministres responsables.

[1]
Une erreur comptable n’est pas nécessairement accidentelle ou fortuite. De l’avis du vérificateur externe, en l’occurrence la vérificatrice générale du Canada, il s’agit d’un traitement comptable inapproprié.
[2]
Hansard de la Chambre des communes, 24 mars 2003.
[3]
Réunion no 5, 13 h 30.
[4]
Vérificatrice générale du Canada, Rapport de mai 2006 — Les décisions du gouvernement ont limité le contrôle parlementaire des dépenses publiques, p. 20.
[5]
Réunion no 5, 12 h 05.
[6]
Réunion no 5, 12 h 30.
[7]
Réunion no 5, 12 h 55.
[8]
Réunion no 5, 11 h 25.
[9]
Réunion no 5, 12 h 25.
[10]
Cette norme comptable est citée dans le rapport de la vérificatrice générale, au paragraphe 34.
[11]
Conseil du Trésor du Canada, Politique sur les créditeurs à la fin de l’exercice, 1994, p. 1.
[12]
Ibid., p. 4.
[13]
Réunion no 5, 12 h 10.
[14]
Réunion no 5, 12 h 15.