ETHI Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Les témoignages que nous avons entendus durant notre étude concernent des sociétés canadiennes et européennes, des activités de lobbying, de fortes commissions et de généreux honoraires et un certain nombre de personnalités politiques canadiennes. Ils brossent le tableau d’une série d’événements complexes étalés sur une période de plus de dix ans commençant à la fin des années 1980. Ils contiennent de nombreuses incohérences et divergences et, pour aider le lecteur à s’y retrouver, nous avons décidé de donner un aperçu des grandes questions abordées, de faire ressortir les contradictions et de résumer le tout dans l’ordre chronologique.
Dans toute la série des événements qu’a examinés le Comité, l’un de ceux qui remontent le plus loin est l’achat de 34 appareils Airbus par Air Canada en 1988. Airbus Industrie, un constructeur d’avions européen, a versé une commission substantielle, de l’ordre de 20 millions de dollars croit-on, à International Aircraft Leasing (IAL), une société du Liechtenstein contrôlée par Karlheinz Schreiber. Certains membres du Comité ont dit estimer que ces questions se situent à la périphérie seulement du mandat du Comité, mais plusieurs témoins les ont abordées.
Avant même cette transaction, une controverse avait surgi après le remplacement de la majorité des membres du conseil d’administration d’Air Canada par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. En effet, l’un des nouveaux membres du conseil était Frank Moores, nommé en mars 1985, mais qui a plus tard démissionné après que des allégations de conflits d’intérêts se sont mises à circuler. D’après M. Schreiber, la nomination de M. Moores, qui était à l’époque à la tête d’une entreprise de relations gouvernementales appelée Government Consultants International Incorporated (GCI), montrait clairement que celui-ci avait l’appui du gouvernement canadien. Pour sa part, M. Mulroney a décrit la nomination de M. Moores en ces termes :
Mais je sais que M. Moores est un ancien premier ministre de Terre-Neuve, un ancien député de cette Chambre, et je crois qu’il a été président du Comité des transports. Je pense que M. Moores a été nommé au conseil en tant que représentant de Terre-Neuve. Des recommandations en ce sens ont été faites au Cabinet par le ministre des Transports, et nous y avions donné suite. M. Moores a été nommé, et je pense qu’il a siégé pendant quelques mois avant de se retirer et de prendre sa retraite, non pas parce qu’il représentait Airbus mais à cause d’un conflit de par son association économique avec Wardair. Il a été contraint de démissionner. De son propre chef, il a annoncé qu’il y avait conflit et a démissionné en l’espace de quelques mois. (13 décembre 2007)
Dès janvier 1995, la GRC a commencé à se renseigner sur des allégations voulant que des paiements illicites aient été versés à des personnes haut placées au Canada relativement à l’achat des appareils Airbus. Ces investigations ont plus tard débouché sur une enquête judiciaire en bonne et due forme sur le marché avec Airbus. Des accusations de fraude ont été portées contre Eurocopter Canada Limited (« Eurocopter »), une filiale de Messerschmitt-Bolkow-Blohm GmbH (MBB), mais elles ont fini par être rejetées et l’enquête s’est terminée en avril 2003 sans qu’aucune autre accusation n’ait été portée.
Dans son rapport, M. Johnston a conclu que les questions quant à l’intégrité des parties en cause suscitées par les paiements en espèces remis par M. Schreiber à M. Mulroney, paiements dont l’existence a été dévoilée relativement récemment, ne justifiaient pas une longue enquête sur des faits que la GRC examine depuis 1995.
Tout en sachant que des paiements en espèces avaient été versés et que M. Schreiber avait déclaré avoir conclu une entente avec M. Mulroney juste avant que ce dernier ne quitte son poste de Premier ministre, la GRC a déterminé que les preuves étaient insuffisantes pour porter des accusations. L’information contenue dans l’affidavit de M. Schreiber daté du 7 novembre 2007 a obligé la GRC à revoir le dossier afin d’établir s’il contenait de nouvelles preuves. Après l’avoir soigneusement examiné, la GRC a conclu qu’il n’y avait aucun fait nouveau. Le dossier demeure donc clos pour le moment. On ne m’a soumis aucune nouvelle preuve et je n’ai découvert aucun fait nouveau à part ceux qui avaient déjà été établis par la GRC 1.
M. Schreiber a dit au Comité qu’il n’avait jamais été interrogé par la GRC sur l’affaire Airbus, mais cette affirmation a été réfutée par des représentants de la GRC par la voie des médias et par des informations contenues dans le rapport Johnston 2.
En novembre 1985, la société Bear Head Industries (BHI), une filiale à cent pour cent de Thyssen Industrie AG (Thyssen), était constituée pour faciliter l’établissement d’une usine de construction de blindés légers au Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. Ce projet (le « projet Bear Head ») était défendu par M. Schreiber, le président de BHI, qui faisait déjà du lobbying à Ottawa à ce sujet.
Le 27 septembre 1988, le gouvernement fédéral a signé une entente de principe avec BHI à l’appui du projet Bear Head, mais celle-ci a plus tard été résiliée par le gouvernement Mulroney. Bien que le projet ait été annulé avant que M. Mulroney ne quitte son poste de premier ministre, M. Schreiber le croyait toujours viable. Dans une lettre du mois de mai 1992, M. Schreiber presse M. Mulroney de déplacer le projet au Québec, mais cela ne s’est jamais concrétisé. Comme l’a dit Norman Spector, le chroniqueur qui a été chef de cabinet du premier ministre Mulroney au début des années 1990, le projet ne voulait pas mourir « même après que M. Mulroney l’eût enterré » (5 février 2008).
Greg Alford, ancien président de Government Consultants International Incorporated (GCI), a dit que Bear Head Industries était son client quand il était à GCI :
Mon champ de responsabilité au sein de Bear Head Industries était les projets nationaux, les projets canadiens. Le président de Bear Head Industries, nommé par la société mère en Allemagne, était M. Schreiber. Celui-ci s’occupait davantage de projets internationaux. (12 février 2008)
Pour sa part, M. Mulroney nous a dit que ses tractations avec M. Schreiber avaient vraiment commencé avec le projet Bear Head, dont il regrettait l’échec :
Je n’ai pas vraiment eu de rapports qui vaillent avec lui jusqu’à ce qu’il se fasse l’agent promoteur d’un projet en Nouvelle-Écosse, qui allait être surnommé plus tard le projet Bear Head. Il s’agissait d’une usine où Thyssen construirait des blindés légers. J’étais en faveur du projet; je le trouvais solide et bon pour le développement économique dans l’est de la province, d’autant que celle-ci, avec les fermetures qui avaient eu lieu à Glace Bay et à Cap-Breton, avait désespérément besoin d’emplois. Mais en définitive, après une étude approfondie du dossier par les fonctionnaires, il est apparu que le coût d’environ 100 millions de dollars à prendre en charge par le gouvernement était simplement au-dessus des moyens de celui-ci à l’époque, de sorte que le Cabinet a fini par rejeter ce projet qui aurait permis de créer de précieux emplois dans la région. (13 décembre 2007)
Les témoignages entendus par le Comité ont porté essentiellement sur deux fortes commissions contestées, une pour chacune des deux opérations mentionnées plus haut, à savoir le marché avec Airbus et l’entente de principe au sujet du projet Bear Head.
Ce qui entretient en partie l’intérêt des Canadiens dans l’affaire Airbus, ce sont les fortes commissions dont on sait qu’elles ont été versées à IAL en rapport avec la vente des appareils Airbus à Air Canada. M. Schreiber a dit — affirmation qui a été confirmée par Giorgio Pelossi, lequel a été son comptable et conseiller financier de 1969 à 1991 — que, en tant que fiduciaire, il avait personnellement bénéficié des commissions et qu’il avait participé à la distribution de la commission Airbus. Pour M. Schreiber, les commissions sont un élément normal des affaires, une sorte de récompense en cas de réussite :
Ce n’est pas de l’argent qu’on dépense ou qu’on gagne; c’est de l’argent qui est fonction du succès. C’était une commission. Comprenez-vous? Pas de contrat, pas de commission. Autrement dit, nous avons conclu une entente officielle avec Airbus, par l’intermédiaire d’une compagnie appelée IAL, qui est une société de fiducie du Liechtenstein. En passant, elle ne m’appartient pas. C’est une autre compagnie et elle n’est même pas nécessaire, parce que vous auriez pu être présent et être le fiduciaire d’Airbus, ou encore GCI. Maintenant, quand le contrat est obtenu et que vous touchez la commission sur le contrat, si GCI veut être payée en Suisse — cela a d’ailleurs été confirmé au début par la GRC — ce n’est pas illégal. (4 décembre 2007)
Comme l’a dit au Comité la journaliste, auteure et blogueuse Stevie Cameron, qui a écrit sur le règlement hors cour de la poursuite en diffamation de M. Mulroney dans l’affaire Airbus et sur d’autres questions :
J’ai suivi l’argent à la trace. Je pense que c’était un peu plus de 10 millions de dollars de chaque côté. Mais
c’était la somme au complet pour ces paiements, ces commissions secrètes. […]
L’argent a été divisé entre Européens et Canadiens. Les Canadiens qui en ont
reçu étaient Gerry Doucet, Fred Doucet, Gary Ouellet et Frank Moores. Si ma
mémoire est bonne, quelques autres personnes en ont reçu également. […] Je
pense que M. Pelossi vous a dit ce matin, sauf erreur, que
M. Schreiber lui a dit — c’est quelqu’un qui a dit cela à
quelqu’un d’autre, alors prenez cela avec un grain de
sel — qu’un quart était pour M. Strauss, un quart pour
M. Mulroney, un quart pour les lobbyistes canadiens et un quart pour les
Européens qui s’occupaient du dossier. (14 février 2008)
Des allégations ont été formulées durant les audiences du Comité sur la destination finale des commissions, après que celles-ci ont été versées à IAL. En outre, les deux séries de paiements associées aux commissions concernant Airbus et Bear Head sont enchevêtrées, tout au moins d’après certains témoins. Lors de sa dernière comparution devant le Comité, M. Schreiber a déclaré ce qui suit :
Ce sont tous des documents bancaires qui sont en la possession de la GRC et des autorités allemandes. Il n’y a donc aucun secret sur la destination de cet argent. Le point que vous ne comprenez pas est très simple. Tout l’argent appartenait à GCI. Voilà pour le numéro un. Ensuite, il a été divisé entre les Européens et les Canadiens, parce que les Européens voulaient leur part du gâteau et que des politiciens français et allemands étaient impliqués. (25 février 2008)
M. Schreiber a dit aussi qu’on lui avait demandé de faire parvenir une partie de « l’argent de CGI » à l’avocat de M. Mulroney en Suisse, à titre de paiement pour le marché avec Airbus.
M. Doucet m’a demandé de m’assurer qu’une partie de l’argent de GCI aille à l’avocat de Genève, à l’intention de M. Mulroney. Je ne vous donne pas l’impression de pouvoir être choqué facilement, mais je l’étais. J’ai dit: « De quoi parlez-vous? Pourquoi diable enverrait-on de l’argent à un avocat de Genève pour M. Mulroney? À quelle fin? » C’est là qu’il m’a fait cette réponse incroyable: « Pour Airbus ». Je m’entends encore lui demander ce que M. Mulroney avait à voir avec Airbus. Il m’a répondu: « Êtes-vous naïf?” Alors, j’ai dit que je laisserais les choses ainsi. Je suis allé trouver Frank Moores et lui ai déclaré: « Frank, j’aimerais que vous me disiez... Vous savez, il s’agit une entente entre les partenaires européens d’Airbus et les gouvernements. De quoi diable M. Doucet parle-t-il? » Frank Moores m’a répondu de laisser ça entre leurs mains et m’a demandé de ne pas en parler, en ajoutant que cela ne me concernait pas.” (6 décembre 2007)
Tant M. Doucet que M. Mulroney démentent formellement cette allégation. M. Mulroney a affirmé :
Je n’ai jamais reçu un sou de qui que ce soit pour des services rendus à qui que ce soit en rapport avec l’achat de 34 appareils Airbus par Air Canada en 1988. […] Je n’ai jamais eu d’avocat à Genève, ni ailleurs en Suisse, sauf pour me défendre contre des fausses accusations portées contre moi en 1995. (13 décembre 2007)
Greg Alford aussi a affirmé que les allégations de M. Schreiber étaient fausses, car Airbus n’était client ni de GCI ni de Frank Moores. Ce démenti est cependant contredit par des informations rapportées dans la presse selon lesquelles M. Moores aurait effectivement fait du lobbying pour le compte d’Airbus Industrie, et qu’il aurait effectivement reçu de M. Schreiber certaines sommes en rapport avec le marché avec Airbus. M. Schreiber a fait lecture devant le Comité d’une lettre de GCI adressée en 1988 par Frank Moores à M. Franz Josef Strauss, qui était président d’Airbus Industrie à la fin des années 1980. Dans cette lettre, M. Moores sollicitait l’aide de M. Strauss au sujet d’un problème de garantie de découvert qui menaçait de faire échouer le projet de vente de 33 appareils à Air Canada (4 décembre 2007).
M. Alford a dit en revanche que Thyssen était client de GCI, et que Bear Head était une filiale canadienne à cent pour cent de Thyssen. D’après les témoignages recueillis par le Comité, Thyssen a versé une commission de 4 millions de dollars à la signature de l’entente de principe du 27 septembre 1988 par le gouvernement du Canada à l’appui du projet Bear Head. Cet argent a été distribué par M. Schreiber, lequel affirme qu’il est la source des sommes qu’il a remises à M. Mulroney.
L’argent, je l’ai dit plus tôt, provenait de comptes qui avaient été créés pour GCI. Comme le projet est tombé à l’eau, sur les 4 millions de dollars, de Thyssen, j’ai gardé ma part de 500 000 $ en réserve au cas où je pourrais faire quelque chose de ce projet dans le futur. Britan, c’est pour Brian Mulroney et le projet Bear Head du Cap-Breton. Je pense que ce devait être deux ou trois semaines après ma rencontre avec M. Mulroney à Harrington Lake, après que j’aie déterminé avec le banquier de Zurich le montant dont je disposais à Francfort, et j’ai dit « D’accord, ouvrez un compte appelé Britan et transférez-y l’argent ». (6 décembre 2007)
L’enquête menée par Mme Cameron a permis à celle-ci de confirmer l’existence du compte Britan, ainsi que des retraits correspondant grosso modo à la série d’événements décrits par M. Schreiber.
[A]près qu’Harvey [Cashore] et moi-même avons terminé ce livre et qu’il a été publié en 2001, tout ce que nous savions, c’était ce que votre comité sait maintenant. Nous savions que les notes de M. Schreiber et les comptes en banque que nous avions montraient que de l’argent avait été versé au compte Britan, au montant de 500 000 $. Et nos documents indiquaient les réunions qui avaient été organisées entre les hommes, et dont vous êtes tous au courant, et les retraits totalisant 300 000 $ en quatre parties : 100 000 $, 100 000 $, 50 000 $, 50 000 $, et ensuite il restait encore 200 000 $ dans le compte. Nous avons suivi cette histoire jusqu’en 2001. (14 février 2008)
Les paiements en espèces de M. Schreiber à M. Mulroney
L’entente conclue par MM. Schreiber et Mulroney en 1993-1994 est l’une des questions les plus litigieuses dont a été saisi le Comité. M. Schreiber, lors de son témoignage, a soutenu que l’entente avait été conclue le 23 juin 1993, à la résidence d’été officielle du premier ministre au lac Mousseau, alors que M. Mulroney était encore premier ministre. Selon M. Schreiber, l’entente voulait que Kim Campbell forme le prochain gouvernement majoritaire et que M. Mulroney, quand il serait de retour à son cabinet d’avocats à Montréal, soit bien placé pour aider à terminer le projet Bear Head au Canada, pour Thyssen Industrie. Or, même quand Mme Campbell n’a pas formé le gouvernement en 1993, M. Schreiber a déclaré qu’il pensait pouvoir quand même recourir à l’aide M. Mulroney. Quand il est devenu clair qu’il n’en était rien, M. Schreiber a entamé des poursuites contre M. Mulroney pour obtenir le remboursement des sommes versées.
Dans la déclaration qu’il a livrée sous serment en novembre 2007, M. Schreiber a affirmé que les conditions de l’entente conclue à la résidence du lac Mousseau étaient les suivantes : M. Mulroney allait soutenir ses efforts en vue de faire approuver l’établissement d’une usine de construction de véhicules blindés légers par BHI. Il a aussi été question du fait que si la situation se compliquait en Nouvelle-Écosse, M. Mulroney allait aider à transférer des parties du projet au Québec.
M. Schreiber a aussi informé le Comité que M. Fred Doucet, ex-conseiller principal du premier ministre Mulroney et ensuite lobbyiste auprès du gouvernement, lui avait dit que M. Mulroney éprouvait de grandes difficultés financières et avait un grand besoin d’argent et que M. Schreiber devrait lui venir en aide :
C’est parce que Fred Doucet m’avait dit qu’il était dans une situation désespérée et qu’il avait tellement besoin d’argent que je devrais l’aider. Il y avait toute une histoire parce que lui et son épouse avaient vendu des meubles du 24 de la rue Sussex, ce que tout le monde sait, et ces meubles appartenaient au gouvernement et il leur avait fallu annuler le marché, même s’il était très clair qu’il y avait quelqu’un qui semait le mépris. Et, oui, il y avait plus qu’une seule raison. Il y avait, d’une part, un mauvais projet, puis il y avait le fait qu’il avait aidé avec la réunification de l’Allemagne. C’étaient là les deux raisons, lorsque je suis allé à Harrington Lake. (29 novembre 2007)
Toutefois, lors de son témoignage devant le Comité, M. Doucet s’est défendu d’avoir fait une telle suggestion à M. Schreiber. Il a cependant remis au Comité un document daté du 4 février 2000 censé décrire le mandat que M. Mulroney avait accepté aux termes de son entente avec M. Schreiber.
J’ai de nouveau rencontré M. Schreiber à mon bureau d’Ottawa au début de février 2000. Je lui ai alors présenté une description écrite du mandat, conforme à sa propre description et approuvée par M. Mulroney. Dans cette ébauche de mandat, j’avais laissé libre, au moyen d’espaces blancs, l’identification des compagnies mandantes ainsi que les honoraires prévus pour les services et les frais. De sa propre main, M. Schreiber a écrit « Bayerische Bitumen-Chemie », « Kaufering » et « Bitucan Calgary ». J’ai encerclé les deux noms d’entreprises identifiées par M. Schreiber comme étant les mandantes. Les autres notes manuscrites sur le document sont de moi. J’y ai inscrit le reste des renseignements que M. Schreiber m’avait transmis. Je lui ai demandé à combien s’élevaient les honoraires. Il m’a répondu que le montant destiné à couvrir les services et les frais avait été fixé à 250 000 $. (12 février 2008)
M. Schreiber, pour sa part, s’inscrit en faux contre tout ce qui est écrit dans le document, exception faite de la date. Il a déclaré que le document a été rempli intégralement par M. Doucet et qu’il a simplement été prié de le signer, ce qu’il a refusé de faire.
Lors de son témoignage, M. Mulroney a déclaré que l’entente avec M. Schreiber a été conclue le 27 août 1993, alors qu’il n’était plus premier ministre et avait repris l’exercice du droit à Montréal. M. Schreiber lui aurait demandé de servir d’expert-conseil international pour la promotion de véhicules militaires de Thyssen. M. Mulroney avait convenu que ce genre d’activité générale lui était possible, pourvu qu’il ne représente pas le Canada. La rencontre à la résidence du lac Mousseau était une simple visite d’adieu de la part de M. Schreiber, et les deux hommes n’ont pas parlé d’autres projets d’affaires.
En ce qui concerne le montant d’argent que M. Schreiber a remis à M. Mulroney, le document de février 2000 fourni par M. Doucet indique une somme de 250 000 $, tandis que M. Schreiber déclare avoir versé à M. Mulroney 300 000 $ en trois versements en argent comptant de 100 000 $ chacun. M. Mulroney, pour sa part, maintient avoir touché des honoraires de 75 000 $ par année pour trois années de travail, soit un total de 225 000 $. Aucun des deux hommes n’a fourni de document justificatif (reçus, factures, relevés de dépenses ou autres) pour étayer sa déclaration. M. Mulroney a affirmé au Comité avoir placé l’argent dans un coffre à New York et dans un coffre-fort chez lui, à Montréal.
M. Mulroney a affirmé avoir déclaré volontairement comme revenu en 1999 au fisc du Québec et du gouvernement fédéral la totalité du montant reçu, renonçant à déduire les 40 000 $ qu’il dit avoir engagés à titre de dépenses :
En août 1999, M. Schreiber était arrêté à Toronto en vertu d’un mandat international et accusé en Allemagne de corruption, de fraude, de trafic d’influence et d’évasion fiscale. Bien que j’eusse appris quatre ans plus tôt, monsieur le président, à accueillir avec beaucoup de scepticisme certaines accusations portées par l’État contre les simples citoyens, cette nouvelle ahurissante a fait naître un doute sérieux dans mon esprit quant à mes relations avec M. Schreiber. J’ai jugé que la meilleure chose à faire était de déclarer le montant entier comme un revenu, en absorbant moi-même les dépenses, et de me verser des honoraires auxquels j’avais droit. (13 décembre 2007)
Pour ce qui est du montant en cause, M. Lavoie, le directeur des communications de Brian Mulroney jusqu’en novembre 2007, a déclaré que c’est après avoir appris des médias que M. Schreiber avait remis 300 000 $ à M. Mulroney qu’il a répondu aux questions des journalistes en se reportant à cette somme, puisqu’il n’avait absolument jamais discuté de montants exacts avec M. Mulroney :
J’ai été informé au printemps 2000 par un avocat de M. Mulroney que ce dernier avait reçu ce qu’on m’a décrit comme étant un retainer. On m’a dit que ce paiement lui avait été remis en argent comptant par M. Schreiber et qu’il avait été effectué en trois versements. Je n’ai pas demandé exactement de combien d’argent il s’agissait, mais j’ai demandé de quel ordre de grandeur on parlait. On m’a répondu trois fois qu’il s’agissait de dizaines de milliers de dollars. (7 février 2008)
Les médias, réagissant au témoignage de M. Mulroney devant le Comité, ont notamment posé des questions sur la vraisemblance du travail d’expert-conseil international qu’aurait exécuté M. Mulroney afin de promouvoir la technologie de véhicules blindés légers pour le compte du groupe Thyssen dans des pays comme la Chine et la Russie. Les médias ont d’ailleurs maintes fois signalé que dans des entrevues réalisées par le Globe and Mail et le réseau CBC, un ancien cadre et une porte-parole de Thyssen ont affirmé ne pas être au courant des activités de lobbying que M. Mulroney soutient avoir menées pour le compte de l’entreprise en Chine, en Russie et en France, entre 1993 et 1994. Lors de son témoignage devant le Comité, M. Mulroney a signalé qu’il ne se considérait pas comme un employé de Thyssen, mais bien comme un « expert-conseil international » (13 décembre 2007).
MM. Schreiber et Mulroney reconnaissent tous deux s’être rencontrés à la résidence du lac Mousseau le 23 juin 1993, et dans un hôtel de Mirabel, au Québec, le 27 août 1993, ainsi qu’à l’hôtel Reine-Élizabeth à Montréal en décembre 1993, et ensuite à l’hôtel Pierre à New York en décembre 1994. Ils reconnaissent également tous deux qu’aux trois dernières rencontres, M. Mulroney a reçu des paiements en espèces de M. Schreiber.
Selon M. Schreiber, toutes les rencontres ont été fixées par M. Fred Doucet, lequel a même assisté à celle de New York. Cependant, aux dires de M. Doucet, celui‑ci n’aurait organisé que les rencontres de Mirabel et de New York, à la demande de M. Schreiber dans les deux cas. Il pensait avoir été prié d’organiser les rencontres parce qu’il constituait un lien entre M. Schreiber, un ancien client, et M. Mulroney, un ancien employeur.
MM. Mulroney et Doucet ont tous les deux affirmé au Comité qu’à la rencontre de New York, M. Mulroney avait fait un rapport détaillé d’au moins une heure sur ses activités d’expert-conseil afin de promouvoir les véhicules militaires de Thyssen sur la scène internationale. Plus précisément, M. Mulroney a expliqué s’être rendu en Chine, en Russie, en Europe et aux États-Unis pour étudier la possibilité de vendre les véhicules de maintien de la paix de Thyssen, soit pour répondre à des besoins nationaux soit pour servir dans le cadre d’initiatives internationales de maintien de la paix.
Cependant, M. Schreiber a informé le Comité qu’il n’avait pas reçu de rapport verbal lors de cette rencontre. Il a ajouté qu’il n’aurait pas été possible de voyager aux quatre coins du monde pour vendre des véhicules blindés, puisqu’il n’existait pas de projet de construction des véhicules et qu’il n’y avait donc pas vraiment de véhicules à vendre.
Relativement à son témoignage au sujet de la rencontre à New York, M. Mulroney a informé le Comité que M. Schreiber s’y trouvait pour assister à un dîner avec l’honorable Allan MacEachen, et qu’il avait l’intention, comme M. Mulroney, de se rendre à un déjeuner ou à un banquet offert en l’honneur du mariage d’Elmer MacKay. Or, MM. MacEachen et MacKay ont tous les deux contesté ce souvenir. Dans une lettre à M. Mulroney datée du 30 janvier 2008, M. McEachen s’inscrit en faux contre les faits présentés à son sujet. Il n’a jamais été à New York en même temps que M. Schreiber, il n’a pas dîné avec M. Schreiber à New York et il n’a jamais logé ni n’est même allé à l’hôtel Pierre.
M. MacKay a expliqué au Comité qu’aucun déjeuner ou dîner n’était prévu en l’honneur de son mariage à New York :
Dans le courant de l’automne 1994, Karlheinz Schreiber et son épouse, Barbel, nous ont gentiment invités, Sharon et moi, à les rencontrer à New York. [Nous ne les avions pas vus depuis notre mariage.] Alors que nous étions en train de déjeuner ensemble à l’Hôtel Pierre, M. Mulroney et Fred Doucet sont entrés dans le restaurant. Nous ignorions totalement qu’ils étaient à New York. Ils sont restés quelques instants, puis ils sont repartis, pour aller à l’aéroport, je crois. C’est la dernière fois que nous les avons vus. Voilà donc encore une grosse exagération, une fameuse réception de mariage en vérité. (25 février 2008)
Le règlement hors cour de l’affaire Airbus
À l’automne 1995, le gouvernement du Canada a demandé l’aide des autorités suisses aux termes d’une lettre rogatoire en rapport avec une enquête criminelle (relative au dossier Airbus) menée par la GRC. La lettre précisait que la GRC avait entamé une enquête criminelle, en application du paragraphe 121(1) du Code criminel visant les « Fraudes envers le gouvernement » ou la corruption de fonctionnaires.
Lors de son témoignage devant le Comité, l’honorable Allan Rock, ex-ministre de la Justice, a expliqué qu’une lettre rogatoire est un outil d’enquête employé pour obtenir d’un tiers pays des renseignements potentiellement utiles dans le cadre d’une enquête policière. La lettre explique à l’État étranger l’objet de l’enquête, les allégations, les renseignements recueillis jusqu’alors et l’aide demandée. Habituellement, le Groupe d’entraide internationale, relevant du ministère de la Justice, a recours aux services policiers canadiens pour transmettre aux instances étrangères les demandes d’aide à l’égard d’enquêtes. Le service policier canadien en question prépare la lettre rogatoire pour obtenir la coopération du service policier étranger, et la transmet au Groupe d’entraide international dont les avocats vérifient qu’elle est formulée convenablement à l’intention du gouvernement étranger. En l’occurrence, la demande d’entraide a été formulée et rédigée à l’initiative de la GRC, puis signée et envoyée par le Groupe d’entraide internationale du ministère de la Justice, le 29 septembre 1995.
Selon le témoignage de l’ex-premier ministre Brian Mulroney, la lettre rogatoire de 1995 était truffée d’erreurs et reposait uniquement sur les conjectures des médias. De façon précise, M. Mulroney soutient que le commissaire Murray de la GRC a ordonné à deux de ses agents de s’adresser à la journaliste d’enquête, Stevie Cameron, pour obtenir de l’information, parce qu’ils n’avaient rien au sujet d’Airbus mais que Mme Cameron semblait avoir en mains des renseignements qui pouvaient être utiles. Selon M. Mulroney, c’est en grande partie sur la foi des dossiers de Mme Cameron que la GRC a lancé son enquête. Dans son témoignage devant le Comité, Mme Cameron affirme cependant que si elle a effectivement été interrogée à quelques reprises par deux agents de la GRC, à partir de janvier 1995, les seuls renseignements qu’elle a accepté de plein gré de leur fournir étaient des articles de journaux et des coupures de presse, qui étaient déjà du domaine public. Elle soutient avoir agi avec grande prudence dans cette affaire et avoir suivi les instructions de ses patrons à la rédaction et de son avocat.
Le 20 novembre 1995, M. Mulroney a intenté une action en libelle de 50 millions de dollars contre le procureur général du Canada et la GRC pour contester les fausses allégations formulées contre lui dans la lettre rogatoire adressée par le gouvernement aux autorités suisses en rapport avec l’enquête de la GRC sur l’affaire Airbus. La poursuite s’est finalement soldée par un règlement hors cour conclu en janvier 1997 entre le gouvernement du Canada et la GRC et M. Mulroney.
La question des transactions financières entre MM. Mulroney et Schreiber a été soulevée au moment de l’interrogatoire sous serment de M. Mulroney dans le cadre du procès pour libelle. Cette question intéresse le Comité en raison de l’échange d’argent qui a eu lieu entre les deux hommes entre août 1993 et décembre 1994 et du fait que M. Mulroney, lors de son interrogatoire préalable, a affirmé qu’il n’avait jamais eu de rapports avec M. Schreiber. Selon M. Mulroney, ce témoignage est exact puisqu’il fait clairement allusion à la vente d’appareils Airbus et à l’époque où il dirigeait le pays. M. Mulroney souligne que selon la loi en vigueur au Québec à ce moment-là, lorsqu’un défendeur n’a pas encore exposé sa défense, les questions posées au demandeur doivent se rapporter uniquement à la prétention contenue dans l’énoncé de la plainte, qui dans l’affaire en instance portait sur le fait que M. Mulroney avait reçu des pots-de-vin pendant qu’il était premier ministre en rapport avec l’affaire Airbus.
M. Rock, qui était ministre de la Justice et procureur général du Canada au moment de la conclusion du règlement, a toutefois fait savoir au Comité qu’à son avis, la poursuite en diffamation aurait pris une toute autre tournure si les paiements en espèces versés par M. Schreiber à M. Mulroney avaient été connus à l’époque. Des questions auraient alors été posées pour assurer un suivi, des documents auraient été exigés, notamment des relevés bancaires, des fiches d’utilisation de coffres bancaires et peut-être même des déclarations de revenus. M. Rock a aussi émis l’hypothèse que le règlement n’aurait peut-être pas été le même si ces renseignements avaient été divulgués à l’époque :
[S]i nous avions su au sujet de l’argent et des circonstances dans lesquelles il a été versé, cela aurait eu des effets considérables sur le litige. Permettez-moi de souligner que toute cette affaire reposait sur la réputation. Selon M. Mulroney, le langage utilisé avait des conséquences sur sa réputation. Mais la divulgation des versements en espèces a également eu cet effet; si ces faits avaient été divulgués en 1996 ou en 1997, avant le règlement de l’affaire, nous aurions eu à traiter avec des faits complètement différents. Nous aurions tenté de trouver des réponses à des questions, comme le fait le Comité, au sujet des documents, des dossiers et des témoins, afin de voir où mène cette piste; nous aurions également pu régler l’affaire parce que le langage utilisé était inapproprié. Mais comme je l’ai dit, ce règlement aurait pu comporter des modalités complètement différentes. (5 février 2008)
En réponse aux questions au sujet des notes de service du ministère de la Justice dans lesquelles on mentionne que le Ministère a songé à recouvrer l’argent versé à titre de règlement lorsqu’il a appris l’existence des transactions financières, M. Rock dit ne pas savoir ce qui s’est passé à cet égard; il sait toutefois qu’il existe une procédure permettant à une partie de demander à la cour d’invalider une entente, comme celle conclue en 1997, si elle est d’avis que l’entente a été conclue après communication d’une preuve incomplète.
Il semble aussi y avoir certaines divergences entre M. Mulroney et M. Rock quant aux raisons à l’origine du règlement hors cours et quant à la façon dont la décision de négocier un règlement aurait pu être différente si les relations d’affaires entre M. Schreiber et M. Mulroney avaient été connues. M. Mulroney affirme que le règlement a été négocié parce qu’il n’y avait aucune preuve. Ce n’était qu’un canular, une pure fabrication, et la décision de négocier un règlement n’avait rien à voir avec le fait que le gouvernement était ou non au courant des transactions financières entre M. Schreiber et lui-même. M. Rock a, pour sa part, précisé que le règlement ne visait pas à s’excuser pour l’enquête qui, en fait, s’est poursuivie après 1997. Le litige portait essentiellement sur la formulation utilisée dans la lettre et c’est pour cette raison que le gouvernement s’est excusé et a accepté de payer la note. Il était expressément stipulé dans le règlement que l’enquête criminelle alors en cours à la GRC au sujet de l’affaire Airbus allait se poursuivre et que personne, pas même M. Mulroney, n’allait bénéficier d’une immunité en rapport avec cette enquête.
M. Rock acquiesce à l’affirmation de M. Mulroney selon laquelle c’est le gouvernement qui a amorcé les discussions en vue d’un règlement final, mais n’est pas du même avis quant à la solidité des arguments de la défense :
Peu avant le procès, le ministère de la Justice a appris qu’un membre de la GRC avait, vers la fin de 1995, révélé à un tiers que la demande adressée aux autorités suisses contenait le nom de M. Mulroney. Les avocats m’ont informé que si cette divulgation non autorisée était produite en preuve au procès, elle détruirait notre premier moyen de défense — celui de l’immunité — et affaiblirait le second, lié à la publication. J’ai donc demandé aux avocats de rouvrir les négociations pour obtenir un règlement hors cour. Ces négociations ont donné lieu au règlement hors cour que le solliciteur général Herb Gray et moi-même avons annoncé le 7 janvier 1997. (5 février 2008)
Principales communications entre MM. Schreiber et Mulroney
M. Schreiber a remis au Comité plusieurs
volumes de documents, notamment sa correspondance avec M. Mulroney, et
certains d’entre eux ont été cités lors de ses comparutions devant le Comité.
Sa lettre à M. Mulroney en date du 20 juillet 2006 revêt un
intérêt particulier. Il y est fait mention d’un « fort regrettable
malentendu » [traduction] entre les deux hommes en ce qui concerne le
projet Bear Head. Dans cette lettre, M. Schreiber affirme que lui-même et
M. Mulroney sont les innocentes victimes d’une vendetta dont
M. Mulroney est la « principale cible » [traduction].
M. Schreiber se confond en excuses pour « la description trompeuse,
erronée et injuste » [traduction] qu’il a faite de leurs relations
d’affaires à l’émission The Fifth Estate sur la chaîne anglaise de
Radio-Canada. Dans cette même lettre, il dit de M. Mulroney qu’il est
« le meilleur défenseur auquel il aurait pu faire appel pour plaider sa
cause » [traduction].
M. Schreiber a expliqué au Comité que la lettre avait été rédigée à la suggestion de son ami, M. Elmer MacKay, qui lui en avait fait la demande pour aider M. Mulroney. Selon M. Schreiber, M. Mulroney devait présenter la lettre à M. Harper en guise de preuve de leur réconciliation. Comme l’a précisé M. Schreiber :
[M. MacKay] est l’une des meilleures personnes que je connaisse et un excellent ami. Il ne souhaitait rien de mieux que de m’aider et il a cru ce que Brian Mulroney lui a raconté lorsqu’il lui a demandé de faire cette lettre. Il en avait terriblement besoin pour prouver à M. Harper que nous étions en règle après la diffusion de cette horrible émission de The Fifth Estate, intitulée « Money, truth and spin », et il pensait ne jamais pouvoir m’aider si cela n’était pas réglé. J’étais donc très réticent à donner cette lettre, pour vous parler très franchement. Dans ma situation, et n’étant toujours pas sûr jusqu’où M. Mulroney irait avec tous ces mensonges, j’ai accepté. Et cela a été un choc pour moi lorsque le Premier ministre Harper a déclaré publiquement à la télévision que M. Mulroney ne lui avait jamais parlé de moi ou de ma lettre. (29 novembre 2007)
M. Mulroney nie avoir sollicité une lettre à cette fin ou à toute autre fin. M. MacKay reconnaît, par contre, qu’il a préparé une ébauche à l’intention de M. Schreiber, mais se dit en désaccord avec ce dernier quant à l’objet de cette lettre. Le libellé de la lettre ne respecte qu’en partie la formulation proposée par M. MacKay. De l’avis de M. MacKay, c’est avec beaucoup de réticence qu’il avait tenté, finalement sans succès, de jouer le rôle de médiateur auprès de ses deux amis afin de les aider à résoudre leur différend, et c’est dans ce contexte qu’il avait offert l’ébauche de lettre à M. Schreiber. Voici ce qu’il a dit au Comité à ce sujet :
[P]endant très très longtemps j’ai pratiquement reçu jour et nuit des appels de ces deux hommes, tous les deux mes amis, qui ne voulaient pas parler de sport ou d’affaires ou d’affaires publiques même, mais voulaient simplement se plaindre l’un de l’autre. Ils me demandaient : Que fait-il? À quoi pense-t-il? Que dit-il? Enfin, c’en était rendu au point où je voulais simplement qu’on règle toute cette affaire, peu importe les résultats — qu’on règle une fois pour toutes ces affaires juridiques et personnelles. J’ai pensé que le moins que je puisse faire, comme ami des deux, c’était de proposer la chose la plus évidente, soit de présenter des excuses. […]. [L]a lettre que M. Schreiber a envoyée à M. Mulroney l’a été sans contrepartie. Je ne sais pas exactement quand il l’a envoyée. Je ne l’ai pas rédigée. Je pense qu’il l’a écrite après avoir reçu le courriel qui contenait mes suggestions. J’ignore quelles étaient leurs intentions. (25 février 2008)
L’autre sujet de controverse concernant les communications entre MM. Schreiber et Mulroney concerne une affirmation de M. Schreiber selon laquelle on lui aurait demandé de présenter un affidavit indiquant qu’il n’avait jamais payé M. Mulroney. Voici ce qu’en a dit M. Schreiber :
Pour être franc avec vous, c’est ainsi qu’ont commencé les problèmes, quand j’ai refusé de signer un affidavit affirmant que M. Mulroney n’avait jamais reçu de paiement ou quoi que ce soit de moi. Dès ce moment-là, j’ai été l’objet d’un traitement lamentable — par exemple de la part de Luc Lavoie. (6 décembre 2007)
Selon l’affidavit souscrit le 7 novembre par M. Schreiber, son avocat, M. Hladun, a reçu plusieurs demandes de la part de M. Mulroney et de son avocat, Gerald Tremblay, qui souhaitaient obtenir une lettre ou un affidavit confirmant que M. Mulroney n’avait ni sollicité, ni reçu de rémunération de quelque nature que ce soit de la part de M. Schreiber.
M. Mulroney nie cette affirmation.
[N]i moi ni personne d’autre en mon nom n’a jamais demandé à M. Schreiber ou à son avocat de se parjurer ou de mentir au sujet des paiements reçus de sa part. (13 décembre 2007)
Lors de sa comparution devant le Comité, M. Mulroney a cité une déclaration de M. Hladun, l’avocat de M. Schreiber 3, dans laquelle il aurait affirmé que ses entretiens au sujet des paiements faits par M. Schreiber à M. Mulroney avaient eu lieu dans le contexte exclusif des transactions Airbus.
Je [Robert Hladun] n’ai jamais parlé d’indemnisation à Brian Mulroney. Les seuls entretiens que j’ai eus avec qui que ce soit ont eu lieu dans le contexte exclusif des allégations de paiements qui auraient été faits indûment comme le prétend la lettre rogatoire de septembre 1995 adressée par le gouvernement canadien aux autorités suisses dans ce qui allait être appelé l’affaire « Airbus ». Ma provision était associée aux allégations faites dans cette lettre rogatoire. (13 décembre 2007)
Dans sa lettre du 8 mai 2007 adressée à M. Mulroney, dans laquelle il précise : « c’est mon dernier avertissement », M. Schreiber indique qu’il est prêt à divulguer, entre autres choses, qu’on lui a demandé, par le biais de ses avocats, de se parjurer pour protéger M. Mulroney. Même si dans certains passages de son témoignage, M. Schreiber a affirmé au Comité qu’il ne s’était pas parjuré comme on le lui avait demandé, à d’autres moments, il a indiqué qu’il aurait signé n’importe quoi, même un faux document, pour répondre aux vœux de M. Mulroney : « Brian Mulroney avait besoin d’une lettre pour que le premier ministre puisse régler le dossier, mettre sur pied une commission d’enquête. Oui, j’étais prêt à signer n’importe quoi. » (6 décembre 2007)
Communications avec le Bureau du Conseil privé et le Cabinet du premier ministre
Comme l’y autorise la motion à l’origine de la présente étude, le Comité s’est aussi intéressé à la correspondance entre M. Schreiber et l’actuel premier ministre, M. Stephen Harper. Ce sujet est également abordé dans le rapport de M. Johnston, dans lequel on mentionne que les lettres de M. Schreiber au premier ministre faisaient partie des quelque 1,7 million de documents reçus et traités, entre 2006 et 2007, par les Services de la correspondance de la haute direction (SCHD), qui est l’unité du Bureau du Conseil privé (BCP) chargée du traitement de la correspondance.
Ces lettres ont été examinées et organisées suivant la procédure établie aux SCHD, puis retracées à l’aide du système d’information sur la gestion de la correspondance. Sur les seize lettres reçues, dix sont demeurées aux SCHD et ont été classées sans aucune forme de suivi. Une autre a été classée sans qu’on y réponde, suivant les directives du BCP. Une autre a bien été reçue et a été acheminée au ministère de la Justice à titre informatif.
M. Schreiber a affirmé dans son témoignage devant le Comité qu’il avait reçu une réponse du Cabinet du premier ministre, en l’occurrence un accusé de réception, à sa longue lettre du 16 janvier 2007, dont l’une des rubriques était intitulée : « Scandale politico-judiciaire ». À cet envoi, il avait annexé une lettre que lui avait adressée le ministre de la Justice de l’époque, Vic Toews. M. Schreiber reproche au premier ministre de ne pas avoir pris au sérieux les préoccupations et allégations formulées dans cette lettre.
Les quatre autres lettres de M. Schreiber (datées respectivement du 16 juin 2006, du 23 août 2006, du 3 mai 2007 et du 26 septembre 2007) ont été transmises à la Correspondance du premier ministre — c.-à-d. l’unité de traitement de la correspondance rattachée au Cabinet du premier ministre — aux fins d’examen et de commentaires. La Correspondance du PM n’a cependant émis aucune directive quant à la façon d’y donner suite.
Selon le rapport Johnston, après avoir étudié les lettres de M. Schreiber conformément à leurs procédures respectives, le BCP, les SCHD et la Correspondance du PM ont conclu que celles-ci n’avaient pas à être soumises à l’attention du premier ministre Harper 4.
[1] Ibid., p. 20.
[2] Ibid., p. 20 (note 10).
[3] Dans son témoignage, M. Mulroney indique que la déclaration en question a été faite lors d’une entrevue donnée par M. Hladun en 2005 au réseau anglais de Radio-Canada.
[4] Rapport Johnston, p. 18.