Passer au contenu
;

JUST Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

Mettre un frein à l'alcool au volant : Une approche en commun

INTRODUCTION

Dans l’exercice de sa compétence en droit criminel, le Parlement a intégré au Code criminel des dispositions visant à interdire et à punir la conduite avec facultés affaiblies. Le Code criminel énonce aussi la procédure à suivre pour obtenir les éléments de preuve nécessaires à la poursuite de ces infractions. En dehors de la sphère de compétence fédérale, les provinces et les territoires se prévalent de leur pouvoir de réglementer les permis de conduire et la circulation routière pour suspendre les permis. Certaines provinces font mettre en fourrière les véhicules des récidivistes ainsi que des personnes qui sont soumises à une interdiction de conduire aux termes du Code criminel ou dont le permis a été suspendu par les autorités provinciales. Il incombe également aux provinces d’appliquer un bon nombre des dispositions du Code criminel compte tenu de leur compétence en matière d’administration de la justice et de poursuivre les contrevenants.

Le Code criminel interdit la conduite d’un véhicule avec des capacités affaiblies par l’alcool ou la drogue. Il interdit également de conduire avec une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Il existe des peines minimales obligatoires pour les personnes reconnues coupables de ces infractions et des peines progressives pour les récidivistes. En outre, la conduite avec facultés affaiblies qui cause des lésions corporelles ou la mort entraîne une peine encore plus sévère. Le Code criminel autorise la police à exiger un échantillon d’haleine ou de sang si elle a des motifs raisonnables de croire qu’un conducteur a des facultés affaiblies. L’omission ou le refus de fournir un échantillon est une infraction punissable de la même peine qu’une alcoolémie supérieure à la limite permise.

Les provinces et les territoires prévoient des mesures de contrôle ou des sanctions administratives qui entraînent une action immédiate contre un conducteur soupçonné de conduite avec facultés affaiblies; par exemple, la suspension automatique du permis, qui prend effet par suite de l’omission ou du refus de fournir un échantillon d’haleine. La suspension peut être appliquée sans qu’il y ait eu condamnation pour infraction au Code criminel. Tous les gouvernements, sauf celui du Québec, ont aussi prévu des suspensions préventives temporaires pour les conducteurs dont l’alcoolémie est élevée, mais tout de même inférieure à la limite permise dans le Code criminel. Tous ont établi une limite zéro pour l’alcoolémie chez les jeunes et les apprentis conducteurs dans le cadre du système de permis progressifs.

Le Canada dispose donc d’un système de sanctions à trois niveaux, selon l’alcoolémie :

  • 0,00 pour les jeunes et les apprentis conducteurs;
  • 0,05 : des sanctions administratives s’appliquent, p. ex. la suspension du permis (0,04 en Saskatchewan);
  • plus de 0,08 : les peines du Code criminel s’appliquent.

Un autre outil d’application de la loi est la saisie et la mise en fourrière des véhicules conduits par une personne sans permis ou soumise à une interdiction de conduire. En général, les lois provinciales et territoriales semblent viser une action administrative rapide et efficace comme moyen de renforcer les sanctions prévues par le Code criminel, dont l’application est longue et qui ne sont pas toujours imposées, même quand des accusations sont portées aux termes du Code.

De nouvelles dispositions du Code criminel concernant la conduite avec facultés affaiblies sont entrées en vigueur le 2 juillet 2008. Le Code criminel prévoit donc maintenant neuf infractions distinctes :

Façon de procéder

Acte criminel

Condamnation par procédure sommaire

Infraction

Minimum

Maximum

Minimum

Maximum

Conduite avec facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue[1]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

5 ans

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

18 mois

Conduite avec alcoolémie supérieure
à 0,08[2]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

5 ans

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

18 mois

Refus de fournir un échantillon[3]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

5 ans

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

18 mois

Conduite avec facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue ayant entraîné des lésions corporelles[4]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

10 ans

   

Conduite avec alcoolémie supérieure à 0,08 ayant entraîné des lésions corporelles[5]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

10 ans

   

Refus de fournir un échantillon à la suite d’un accident ayant entraîné des lésions corporelles[6]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

10 ans

   

Conduite avec facultés affaiblies causant la mort[7]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

Perpétuité

   

Conduite avec alcoolémie supérieure à 0,08 causant la mort[8]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

Perpétuité

   

Refus de fournir un échantillon à la suite d’un accident ayant entraîné la mort[9]

1 000 $ (1re infraction)

30 jours

(2e infraction)

120 jours

(infraction subséquente)

Perpétuité

   

AMPLEUR DU PROBLÈME DE LA CONDUITE AVEC FACULTÉS AFFAIBLIES

Les témoins que le Comité a entendus ont clairement affirmé que la conduite avec facultés affaiblies demeure la principale cause criminelle de décès au Canada. L’Association canadienne des policiers a indiqué qu’en dépit de tous nos efforts collectifs et de nos meilleures intentions, il est évident que le problème s’aggrave au Canada et que nous perdons du terrain dans la lutte contre ce fléau. L’organisation Les mères contre l’alcool au volant (MADD) a dit que, depuis 1999, les progrès dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies sont au point mort.

L’ampleur du problème est mise en évidence par les résultats d’un sondage mené auprès de la population, qui a révélé que près du quart des Canadiens (22,3 p. 100) — environ 7,5 millions — connaissent un membre de la famille ou un ami proche qui a été victime d’un accident lié à la conduite en état d’ébriété qu’il n’a pas lui-même causé[10]. Quelque 5,4 millions de Canadiens (16,5 p. 100) ont déclaré connaître un membre de la famille ou un ami qui a conduit en état d’ébriété et causé un accident. Ces accidents occasionnent notamment des blessures physiques et psychologiques graves, avec ce qu’elles supposent en frais de santé, et des décès.

En 2006, année la plus récente pour laquelle on dispose de données, 907 Canadiens ont été tués dans des accidents de la route mettant en cause un conducteur en état d’ébriété[11]. Il s’agit d’une baisse par rapport aux 1 296 personnes tuées en 1995, mais le nombre de décès augmente depuis 2005. La diminution du nombre de décès s’est surtout produite dans les années 1990, mais les données de 2005 et de 2006 donnent à penser qu’on a atteint un plateau.

Image

Fondation de recherches sur les blessures de la route, Sondage sur
la s écurité routière 2008 : La conduite en état d’ivresse au Canada, http://www.tirf.ca/publications/PDF_publications/rsm_2008_dd_reg_fr.pdf.

Une autre indication que les progrès ont cessé dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies nous est donnée par les résultats du sondage réalisé auprès des Canadiens en 2008 : 18,1 p. 100 des répondants ont admis avoir conduit dans les 30 derniers jours après avoir consommé de l’alcool, ce qui représente une augmentation par rapport au pourcentage de 2003 (15,8 p. 100)[12].

Pour calculer le coût financier de la conduite avec facultés affaiblies, on peut poser trois types de questions :

  • Combien cela va-t-il me coûter (estimation des dépenses réelles)?
  • Combien cela va-t-il me coûter en pertes de biens, de possibilités et de productivité? (gains reportés)
  • Combien serais-je prêt à payer pour que cela ne ce soit jamais arrivé? (volonté de payer)

Sur la base des dépenses réelles, le coût annuel moyen des accidents mettant en cause la conduite avec facultés affaiblies au Canada de 1999 à 2006 s’est établi à 1,9 milliard de dollars. Ce montant repose sur les sommes dépensées, sans tenir compte des coûts sociaux. Suivant le modèle fondé sur la volonté de payer, le coût moyen s’élève à environ 11,2 milliards de dollars par an en tenant compte de l’argent dépensé et d’un large éventail de coûts sociaux[13].

TRAVAUX DU COMITÉ

Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a adopté la motion suivante le 9 février 2009 :

Que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne procède à un examen complet de la question de la conduite avec facultés affaiblies, en s’attardant entre autres :

  • à l’avantage de baisser la limite de l’alcoolémie permise;
  • aux mesures novatrices appliquées dans d’autres pays, comme des épreuves de dépistage aléatoires;
  • aux conséquences des avancées technologiques sur l’application des lois;
  • aux sanctions prévues dans le Code criminel pour la conduite avec facultés affaiblies et à la façon dont elles sont interreliées avec les mesures d’immatriculation des provinces.

Cette motion a réitéré une motion qui a été adoptée pour la première fois le 27 novembre 2007 pendant la 39législature. La dissolution du Parlement a empêché la présentation d’un rapport jusqu’à maintenant.

Pendant son étude, le Comité a entendu des témoignages aux dates suivantes : 7 février 2008, 12 février 2008, 28 février 2008, 23 février 2009, 25 février 2009 et 2 mars 2009. Voici qui étaient les témoins :

  • Association canadienne des policiers
  • Louise Nadeau, professeure titulaire, Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP)
  • Fondation de recherches sur les blessures de la route
  • Les mères contre l’alcool au volant (MADD)
  • Conseil canadien de la sécurité
  • Centre de toxicomanie et de santé mentale
  • Association canadienne des automobilistes (CAA)
  • Thomas Brown, chercheur, Programme de recherche en toxicomanie, Institut Douglas, Université McGill
  • Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies
  • Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé
  • Société canadienne des sciences judiciaires
  • Frank Hoskins, avocat de la Couronne
  • Ministère de la Justice, Section de la politique en matière de droit pénal
  • Conseil canadien des avocats de la défense
  • Association des distillateurs canadiens
  • Bureau d’assurance du Canada
  • Criminal Lawyers’ Association
  • Alcohol Countermeasure Systems Corp.
  • Centre des sciences judiciaires, Section de la toxicologie

ALCOOLÉMIE

Une modification apportée au Code criminel en 1969 criminalise le fait de conduire avec une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang (0,08). Cette modification autorise par ailleurs la police à exiger un échantillon d’haleine des conducteurs soupçonnés de conduire avec facultés affaiblies et fait du refus d’obtempérer un acte criminel. En outre, toutes les provinces canadiennes (sauf le Québec) appliquent des sanctions administratives qui prévoient une suspension immédiate du permis de conduire pour une alcoolémie supérieure à un certain niveau (généralement 0,05) mais inférieure au niveau de 0,08 prévu dans le Code criminel.

Il a été proposé de ramener de 0,08 à 0,05 l’alcoolémie au volant présentant un caractère criminel[14]. On a fait valoir au Comité que lorsque l’alcoolémie dépasse 0,05, la faculté d’avoir une conduite sûre est compromise et le risque de collision augmente[15]. L’abaissement de l’alcoolémie autorisée pourrait non seulement réduire le nombre d’accidents et de décès causés par l’alcool sur les routes, mais aussi modifier l’attitude du public à l’égard de la conduite avec facultés affaiblies et rendre les conducteurs plus conscients de leur consommation d’alcool. Cependant, avant d’envisager une telle modification du Code criminel, nous devons nous assurer d’exploiter de façon optimale les cadres administratifs des provinces et des territoires (où le taux d’alcoolémie maximal autorisé est en général de 0,05).

Le Comité est très désireux de voir diminuer les décès et les blessures dus à la conduite avec facultés affaiblies, mais il s’interroge sur l’absence de consensus chez les experts quant à savoir si l’abaissement de la limite d’alcoolémie prévue dans le Code criminel rendrait les routes plus sécuritaires. Il n’ignore pas non plus que les ressources disponibles pour faire appliquer la loi dans ce domaine sont restreintes. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, il y a lieu de prendre en considération les effets négatifs possibles d’une diminution de la limite prévue dans le Code criminel.

Le Comité ne nie pas que les facultés puissent être affaiblies à une alcoolémie inférieure à 0,08. Cependant, selon les résultats d’une étude de la consommation d’alcool des conducteurs mortellement blessés, le gros du problème tient aux conducteurs qui présentent une alcoolémie supérieure à la limite actuelle de 0,08 prévue dans le Code criminel. En effet, parmi les conducteurs visés par l’étude au Canada, 62,9 p. 100 n’avaient pas consommé d’alcool — mais 37,1 p. 100 avaient bu, 4,3 p. 100 présentaient une alcoolémie inférieure à 0,05, 2,6 p. 100 une alcoolémie variant entre 0,05 et 0,08, 9,4 p. 100 une alcoolémie variant entre 0,081 et 0,160 et 20,8 p. 100 une alcoolémie supérieure à 0,160. Autrement dit, 81,5 p. 100 des conducteurs en état d’ébriété mortellement blessés avaient une alcoolémie supérieure à la limite actuelle de 0,08[16]. Les conducteurs qui présentent une alcoolémie élevée (supérieure à 160 mg d’alcool/100 ml de sang) sont surreprésentés parmi les conducteurs ayant bu qui sont mortellement blessés.

Les conducteurs qui présentent une alcoolémie élevée représentent environ un pour cent des voitures sur la route la nuit et la fin de semaine, mais ils comptent pour près de la moitié de tous les conducteurs tués durant ces périodes[17]. Il semblerait donc avisé de concentrer les ressources limitées dont on dispose sur les conducteurs qui sont déjà au-dessus de la limite de 0,08. Les pires contrevenants ont une alcoolémie deux ou trois fois supérieure à la limite actuelle, et il serait naïf de s’imaginer qu’ils respecteraient une limite encore plus basse. Les conducteurs à très forte alcoolémie constituent le plus grand danger sur les routes et demeurent prioritaires[18].

Abstraction faite des données scientifiques, l’abaissement de la limite de l’alcoolémie permise aux termes du Code criminel serait difficile à appliquer concrètement pour plusieurs raisons. La diminution de la limite prévue dans le Code criminel aurait notamment pour effet d’accroître considérablement le nombre de poursuites criminelles, ce qui viendrait congestionner les services policiers et un système judiciaire déjà surchargés. En effet, le système de justice a déjà du mal à traiter en temps voulu le volume actuel des cas de conduite en état d’ébriété relevant du système de justice pénale.

La charge des avocats de la Couronne est déjà passablement élevée et les cas de conduite avec facultés affaiblies sont longs à préparer et à plaider en raison de la complexité des questions en jeu. Dans plus de 40 p. 100 des cas, les inculpés plaident non coupable et l’affaire va en procès. Les transactions pénales sont moins courantes dans ces cas que dans les autres domaines du droit pénal, pour plusieurs raisons. D’abord, le taux de condamnation en procès est assez faible (52 p. 100 environ à l’échelle nationale contre un taux global de condamnation de plus de 90 p. 100 il y a deux décennies)[19]. Ensuite, les conséquences d’une condamnation sont graves : casier judiciaire, longues et obligatoires interdictions de conduire, etc. Enfin, l’assurance automobile, généralement obligatoire, peut devenir très coûteuse avec une condamnation au pénal. Le nombre élevé de poursuites qui aboutissent à un procès montre que les lois en matière de conduite avec facultés affaiblies ont perdu de leur effet dissuasif du fait que les inculpés peuvent continuer de conduire pendant longtemps après qu’ils ont été accusés et avant qu’ils soient condamnés. Autrement dit, une accusation au pénal ne signifie pas nécessairement une sanction certaine et rapide.

Selon des estimations, l’abaissement de la limite d’alcoolémie ajouterait entre 75 000 et 100 000 causes au volume actuel de plus de 50 000 causes pénales par an[20]. Ainsi, le nombre de causes pénales de conduite avec facultés affaiblies pourrait doubler, ce qui exigerait des ressources considérables. Celles-ci submergeraient le système de justice et nuiraient sérieusement à la capacité de la Couronne et des tribunaux de bien gérer les dossiers. Cela amoindrirait les effets dissuasifs ponctuels et généraux de la législation sur la conduite avec facultés affaiblies en allongeant encore plus le temps de règlement des causes de conduite avec une alcoolémie élevée et en réduisant la certitude de l’imposition de sanctions. Il importe aussi de se demander ce qui arriverait aux programmes provinciaux.

Il y a lieu de craindre aussi que la multiplication des cas allonge les temps de résolution des affaires en raison du manque de ressources à affecter à chacun. Outre que cela nuirait à la rapidité du système de justice pénale, rien ne garantit que le résultat final soit satisfaisant. En effet, sous la pression d’un afflux de cas, les procureurs de la Couronne pourraient être forcés d’accepter des transactions pénales inappropriées et de négocier des cas qui devraient aller en procès ou risqueraient de perdre des procès faute d’avoir eu le temps et les ressources voulues pour bien les préparer. Cela aide à comprendre pourquoi moins de la moitié (40 p. 100) des procureurs de la Couronne sont en faveur de l’abaissement de l’alcoolémie admise[21].

Sur la base des informations qui lui ont été présentées, le Comité pense qu’il y a plus d’inconvénients que d’avantages, pour la sécurité routière, à abaisser le taux d’alcoolémie autorisé au pénal. En effet, en abaissant la limite au point où elle devient impossible à faire respecter, on risque de nuire à l’effet dissuasif spécifique et général des lois sur la conduite avec facultés affaiblies et de porter atteinte au respect de la population envers ces lois. Il importe aussi de se rappeler que toutes les provinces sauf le Québec imposent déjà des sanctions aux conducteurs dont l’alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,08 qui permettent de suspendre leur permis sur le champ, alors qu’il faut de deux à trois heures pour traiter une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies en vertu du Code criminel et plusieurs mois avant que des sanctions au pénal ne soient imposées.

Le Comité a déjà envisagé l’abaissement de la limite d’alcoolémie prévue dans le Code criminel dans un rapport qu’il a publié en 1999 intitulé Vers l’élimination de la conduite avec facultés affaiblies[22]. À l’époque, il avait rejeté l’idée de ramener la limite d’alcoolémie à 0,05 dans le Code criminel. Le Comité avait conclu qu’une limite d’alcoolémie de 0,05 risquerait d’entraîner la désaffection du public, car les données scientifiques montrent que tout le monde n’a pas les facultés affaiblies à ce niveau là. En outre, le Comité avait déterminé qu’une telle limite serait difficile à faire appliquer parce que les conducteurs dont l’alcoolémie est inférieure à 80 mg/100 ml de sang ne présentent pas de signes extérieurs d’intoxication. Il avait aussi fait valoir que ce sont les provinces et les territoires qui auraient à assumer un fardeau additionnel en matière d'application de la loi et les conséquences pratiques d’un tel changement de politique. Le Comité partage les préoccupations de son prédécesseur à l’égard de l’abaissement de la limite d’alcoolémie dans le Code criminel. Il estime qu’il faut plutôt accroître chez les conducteurs la perception qu’ils risquent de se faire appréhender et améliorer l’efficacité et l’efficience du système dans le traitement des cas de conduite avec facultés affaiblies.

Les suspensions de courte durée ne constituent pas nécessairement une sanction sévère, mais elles sont infligées rapidement et à coup sûr au moment de l’infraction, facteurs jugés essentiels à une dissuasion efficace. Elles permettent aussi de supprimer le danger potentiel que représente la présence d’un conducteur en état d’ébriété sur la route. Les sanctions criminelles sont généralement plus sévères, mais leur effet est souvent atténué par le temps qui s’est écoulé depuis l’infraction.

Il semblerait que la solution la plus rentable pour dissuader les gens de conduire s’ils ont les facultés le moindrement affaiblies consiste à demander aux provinces de s’entendre pour appliquer vigoureusement les programmes de suspension instantanée du permis de conduire, ce qui permettrait aux tribunaux de se concentrer sur les cas d’ébriété les plus graves.

L’article 255.1 du Code criminel porte que, dans le cas d’une infraction commise avec un véhicule à moteur, si le contrevenant avait une alcoolémie de plus de 0,16 au moment où l’infraction a été commise, cela constitue une circonstance aggravante dont il est tenu compte dans la détermination de la peine. En effet, un tel niveau d’ébriété au volant (plus du double de la limite légale) suppose généralement de graves problèmes. Même si un conducteur présentant une telle alcoolémie n’en est qu’à sa première arrestation, il y a de fortes chances qu’il soit souvent en état d’ébriété au volant. Il n’a simplement encore jamais été épinglé[23].

Le Comité estime possible de cibler davantage les conducteurs à forte alcoolémie en établissant des peines spécifiques à leur intention. L’établissement de sanctions progressives viserait à prévenir les récidives. En effet, les contrevenants qui présentent des risques élevés causent plus d’accidents mortels et sont plus susceptibles de récidiver[24].

On a aussi suggéré au Comité d’intégrer une troisième infraction au Code criminel, à savoir une concentration d’alcool dans l’haleine (et non le sang) qui dépasse 80 mg d’alcool par 210 litres d’haleine. Cette concentration équivaut exactement à 80 mg d’alcool dans 100 ml de sang. C’est ce que calculent les alcootests, dont le résultat est converti en taux d’alcool dans le sang. La mesure proposée éliminerait un bon nombre des arguments de la défense centrés sur la variabilité du coefficient haleine-sang, c’est-à-dire que même si l’appareil affiche un taux d’alcool dans le sang supérieur à 0,08, la personne pourrait avoir une alcoolémie inférieure en raison de propriétés physiologiques. Toutefois, le Comité n’est pas en faveur d’une nouvelle infraction, et ce, pour deux raisons. La première est que les dispositions du Code criminel sur la conduite avec facultés affaiblies sont déjà complexes et n’ont pas besoin du poids supplémentaire d’une nouvelle infraction. La deuxième est que, grâce à la nouvelle génération d’alcootests comme l’Intoxilyzer, on pourra probablement mettre fin aux débats techniques sur l’exactitude de la quantité d’alcool dans le sang que permet de mesurer l’échantillon d’haleine.

Recommandation 1

Le Comité recommande que soit maintenue la limite d’alcoolémie de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang prévue dans le Code criminel .

Recommandation 2

Le Comité recommande qu’on encourage les provinces et les territoires à accroître leurs efforts pour intervenir lorsque l’alcoolémie est inférieure à la limite prévue dans le Code criminel.

Recommandation 3

Le Comité recommande que l’on prévoie des sanctions plus sévères pour les récidivistes.

Recommandation 4

Le Comité recommande que l’on prévoie des sanctions plus sévères pour les conducteurs dont l’alcoolémie dépasse 160 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.

CONTRÔLE ALÉATOIRE DE L’ALCOOLÉMIE PAR ALCOOTEST

Au Canada, les lois provinciales et territoriales permettent aux policiers d’intercepter un véhicule pour contrôler l’état du véhicule, le permis de conduire du conducteur et la compétence du conducteur, notamment son degré de sobriété. Par contre, un policier ne peut pas administrer un alcootest au conducteur à moins d’avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu’il a consommé de l’alcool. Cette restriction n’est pas toujours mise en pratique, car il n’existe pas de moyen fiable de détecter la consommation d’alcool par la seule observation. Il n’est pas toujours facile de détecter l’alcool, surtout lors d’un bref échange en bord de route. Chaque fois qu’un conducteur en état d’ébriété est intercepté à un barrage routier mais s’en tire sans que son état ait été détecté, on risque de renforcer le comportement même qu’on cherche à interdire et d’accroître la probabilité de récidive.

Le contrôle aléatoire de l’alcoolémie permettrait à un agent de police de faire passer un alcootest à un conducteur n’importe quand, même en l’absence de motifs raisonnables, reconnaissant le principe que le fait de conduire sur les routes du Canada est un privilège et non un droit. Le contrôle aléatoire de l’alcoolémie aurait donc un important effet dissuasif sur les personnes qui pourraient autrement choisir de prendre le risque de conduire avec des facultés affaiblies.

Les personnes que le Comité a entendues ont avancé un certain nombre d’arguments à l’appui du contrôle aléatoire de l’alcoolémie. Elles ont fait valoir notamment que, d’après des recherches, si les conditions constituant un motif raisonnable de soupçonner la présence d’alcool ne sont pas très exigeantes, des recherches montrent que beaucoup de conducteurs aux facultés affaiblies réussissent néanmoins à éviter l’alcootest quand ils sont interceptés par l’agent de policier parce que l’agent ne détecte ni odeur révélatrice ni symptôme d’ébriété. Ces conducteurs qui ne présentent pas de signes extérieurs d’ébriété auraient ainsi plus de chances d’être épinglés avec un contrôle aléatoire de l’alcoolémie. Autrement dit, avec les méthodes actuelles d’exécution de la loi, les policiers n’appréhendent qu’une faible partie des personnes qui conduisent avec des facultés affaiblies, en dépit des barrages destinés à les détecter. Les lois du Canada sur la conduite avec facultés affaiblies n’ont pas un grand effet dissuasif dans ce contexte.

Deuxièmement, il importe de se rappeler qu’une très faible partie des conducteurs en état d’ébriété (estimés être entre 1 sur 500 et 1 sur 2000) sont appréhendés[25]. Le contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest augmente les chances qu’un conducteur en état d’ébriété soit stoppé par la police, et donc qu’il soit appréhendé. Avec le contrôle aléatoire de l’alcoolémie, comme tous les conducteurs stoppés doivent fournir un échantillon d’haleine, le risque de détection perçu est bien plus grand que dans la situation actuelle où le policier doit d’abord soupçonner la présence d’alcool. Si une plus grande proportion des conducteurs en état d’ébriété sont appréhendés, plus de gens seront dissuadés de conduire quand ils ont trop bu, car l’effet dissuasif dépend de la perception de la probabilité d’être appréhendé, et moins il y aura de conducteurs en état d’ébriété sur nos routes; moins de gens seront blessés ou tués.

L’expérience des autres pays aussi milite en faveur du contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest. Il est par exemple entré en vigueur en Irlande en juillet 2006 et la Road Safety Authority lui attribue une réduction de 23 p. 100 du nombre de décès sur les routes du pays[26]. Certains des États australiens l’ont aussi adopté, et diverses analyses des programmes en attestent la valeur. Une étude réalisée dans l’État de Nouvelle-Galle du Sud a montré que, en quatre ans, le contrôle aléatoire de l’alcoolémie avait fait baisser de 36 p. 100 le nombre de conducteurs tués présentant une alcoolémie supérieure à la limite légale (0,05). Elle a montré aussi une importante réduction du nombre de personnes qui disent avoir pris le volant alors qu’elles pensaient avoir une alcoolémie dangereuse[27]. On a constaté en outre que la diffusion d’informations sur le programme de contrôle aléatoire de l’alcoolémie dans les médias a contribué à renforcer l’effet dissuasif du programme[28].

Le contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest présente par ailleurs l’avantage d’accroître la présence policière, ce qui est normalement associé à une baisse correspondante des autres comportements criminels. En effet, comme ceux qui s’adonnent à des activités criminelles emploient souvent un véhicule, ils préfèrent éviter d’attirer l’attention de la police[29].

En plus des arguments qui ont été présentés au Comité à l’appui du contrôle aléatoire de l’alcoolémie, il semble que ce type d’intervention pour réprimer la conduite avec facultés affaiblies ait l’appui de la majorité de la population. Dans un sondage commandité par Transports Canada et MADD Canada, 66 p. 100 des Canadiens étaient d’avis que la police devrait être autorisée à faire passer un alcootest aux conducteurs de manière aléatoire pour lutter contre la conduite en état d’ébriété[30].

Le contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest appelle cependant une réserve : il risque d’être contesté aux termes des articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, le premier stipule que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et le second que chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. Or, comme son nom l’indique, le contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest ne repose pas sur des motifs raisonnables de croire que le conducteur a consommé de l’alcool, mais est fait purement au hasard. À première vue, cela pourrait paraître constituer une saisie « abusive » et une détention « arbitraire » contraires à la Charte.

Ainsi, il pourrait être nécessaire, pour justifier l’administration aléatoire de l’alcootest, d’invoquer l’article premier de la Charte, lequel garantit que les droits énoncés dans la Charte ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’affaire R. c. Oakes[31] fixe les critères à appliquer à une analyse fondée sur l’article 1. Premièrement, il faut que l’objectif de la loi en question se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. Deuxièmement, il faut montrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Ce second élément est un critère de proportionnalité où il importe de démontrer trois choses :

  • Les mesures doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires ni injustes, ni reposer sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif.
  • Le moyen choisi, même s’il est lié de manière rationnelle à l’objectif, doit être de nature à porter le moins possible atteinte aux droits ou aux libertés en question.
  • Il doit y avoir proportionnalité entre l’effet des mesures restrictives et l’objectif considéré comme d’une importance suffisante. Plus les effets préjudiciables d'une mesure sont graves, plus l'objectif doit être important pour que la mesure en question soit considérée comme raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique.

Le Comité sait bien que rien n’est garanti dans les contestations judiciaires en vertu de la Charte. Ces questions reposent souvent sur un difficile et complexe équilibre entre des droits et des intérêts. Dans le cas de l’administration aléatoire de l’alcootest, le Comité est persuadé que la première partie de la condition énoncée à l’article 1 peut être satisfaite par l’abondance des données montrant que la conduite en état d’ébriété est un important problème sanitaire, social et économique et que, comme on l’a dit précédemment, la réduction des torts causés par la conduite avec facultés affaiblies a atteint un plateau. La Cour suprême du Canada a admis le rôle du droit pénal dans le respect de cette condition de l’article 1 en disant : « Il va de soi que réduire le carnage attribuable à l’alcool au volant demeure pour le gouvernement un objectif impérieux et valable[32]. »

En ce qui concerne le second volet des conditions requises, le bilan du contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest dans d’autres pays montre qu’il existe un lien rationnel entre une loi visant à instituer un tel programme et l’objectif consistant à réduire les collisions causées par l’alcool. L’empiétement sur les droits est minime puisque l’interception et l’alcootest prennent peu de temps et le test est non invasif (contrairement au prélèvement d’un échantillon de sang, par exemple). Enfin, pour ce qui est de la proportionnalité entre l’objectif visé et les restrictions, l’objectif visé, à savoir de réduire les nombreux torts que causent les conducteurs en état d’ébriété, est important et l’effort demandé aux conducteurs pour aider à le résoudre est minime.

On peut aussi faire valoir que les conducteurs canadiens sont déjà l’objet, aux termes des codes de la route provinciaux, d’interceptions et de fouilles aléatoires. Ce type d’interception aléatoire a déjà été examiné et avalisé par la Cour suprême du Canada[33]. Comme ces fouilles visent à vérifier si un véhicule est en bon état de marche, le Comité estime que ce n’est pas aller beaucoup plus loin que de permettre à la police de déterminer aussi si le conducteur est en état de conduire.

Recommandation 5

Le Comité recommande que soient institués des contrôles routiers aléatoires de l’alcoolémie par alcootest.

PROGRÈS TECHNOLOGIQUES

Antidémarreurs avec éthylomètre

Les progrès de la technologie peuvent contribuer à réduire l’incidence de la conduite en état d’ébriété notamment grâce à l’antidémarreur avec éthylomètre. Quand cet appareil est installé sur un véhicule, le conducteur doit souffler dans un éthylomètre avant de démarrer la voiture. Si l’éthylomètre affiche une concentration d’alcool supérieure à un plafond prédéterminé, le démarreur est automatiquement verrouillé. Les données disponibles montrent que l’installation de ce type d’appareil sur la voiture d’un délinquant réduit sensiblement la conduite avec facultés affaiblies et le récidivisme[34].

Un tribunal peut autoriser un délinquant à conduire un véhicule équipé d’un antidémarreur avec éthylomètre durant la période d’interdiction de conduite s’il s’inscrit à un programme à cette fin auprès des autorités provinciales ou territoriales. Toutes les provinces administrent un tel programme. L’article 259 du Code criminel impose une interdiction de conduite d’un an pour la première condamnation, de deux ans pour la seconde et de trois ans pour chaque condamnation subséquente. Le tribunal peut cependant autoriser le délinquant à conduire un véhicule équipé d’un antidémarreur avec éthylomètre durant la période d’interdiction de conduite, mais seulement après trois (première condamnation), six (seconde condamnation) ou 12 mois (troisième condamnation et toutes les autres) d’interdiction absolue de conduire (paragraphe 259(1.2)). Autrement dit, l’installation d’un antidémarreur avec éthylomètre réduit la durée de la période d’interdiction de conduite, mais ne l’élimine pas complètement.

Les informations présentées au Comité attestent les avantages de l’antidémarreur avec éthylomètre. Les recherches montrent que cet appareil, installé aux frais du délinquant, peut réduire le taux de récidive de 50 à 90 p. 100[35]. Cette sanction est plus facile à faire observer que les sanctions classiques comme la suspension du permis, et permet par ailleurs au délinquant de conserver son emploi et de continuer de s’acquitter de ses responsabilités familiales. L’antidémarreur est un rappel constant du problème à corriger par son coût et la gêne qu’il cause. Un recours accru à ce type d’appareil permettrait de mieux protéger la population et aurait un effet dissuasif sur les conducteurs.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de norme nationale relativement aux antidémarreurs avec éthylomètre. Le Comité des analyses d’alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires est chargé d’approuver les appareils de détection et les alcootests, mais pas les antidémarreurs, car ces programmes relèvent de la compétence des provinces et des territoires. Pour assurer une plus grande uniformité au niveau national et améliorer la fiabilité de ces appareils, il serait utile que le Comité des analyses d’alcool soit chargé d’agréer des appareils précis en fonction d’une norme établie, comme c’est le cas pour les appareils de détection et les alcootests approuvés.

Recommandation 6

Le Comité recommande que l’on encourage le recours aux antidémarreurs avec éthylomètre.

Recommandation 7

Le Comité recommande que l’on autorise le Comité des analyses d’alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires à approuver des antidémarreurs avec éthylomètre aux fins des programmes provinciaux et territoriaux.

MESURES PRISES PAR LES PROVINCES ET LES TERRITOIRES

Comme on l’a dit précédemment, la conduite avec facultés affaiblies relève à la fois des autorités fédérales et des autorités provinciales et territoriales, et appelle des sanctions au criminel dans le premier cas et des sanctions administratives dans le second. Aux termes de l’article 253 du Code criminel, commet une infraction quiconque prend le volant avec une alcoolémie de plus de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Outre toute autre peine, l’article 259 du Code impose une interdiction de conduite d’au moins un an sauf quand la province ou le territoire administre un programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre, auquel cas le délinquant peut s’y inscrire si le tribunal l’y autorise et conduire un véhicule équipé d’un tel appareil.

Pour leur part, les provinces et les territoires appliquent leurs propres normes en matière d’alcoolémie, lesquelles sont assorties de sanctions administratives sous la forme d’une suspension du permis de conduire. Le tableau suivant donne un aperçu des sanctions administratives et des plafonds d’alcoolémie en vigueur dans les provinces et les territoires[36].

Province

Plafond d’alcoolémie (généralités)

Sanction

Plafond d’alcoolémie (cas particuliers)

Loi habilitante

Alberta

0,08 avec inversion du fardeau de la preuve. Suspension du permis de conduire lorsqu’un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d’un conducteur sont affaiblies sous l’effet de l’alcool. Le permis est rendu si le conducteur peut démontrer que son alcoolémie ne dépassait pas le plafond autorisé.

Suspension de 24 heures

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Traffic Safety Act,

R.S.A., 2000, ch. T-6

Colombie-Britannique

0,05 avec inversion du fardeau de la preuve. Suspension du permis de conduire lorsqu’un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d’un conducteur sont affaiblies sous l’effet de l’alcool. Le permis est rendu si le conducteur peut démontrer que son alcoolémie ne dépassait pas le plafond autorisé.

Suspension de 24 heures

Le conducteur qui a un permis conditionnel doit avoir une alcoolémie nulle.

Motor Vehicle Act, RSBC, 1996, ch. 318

Île-du-Prince-Édouard

0,05

Suspension de 24 heures pour la première infraction, de 30 jours pour la seconde et de 90 jours pour toute infraction subséquente (la gradation des peines s’applique aux infractions commises à l’intérieur d’une période de 24 mois).

Le conducteur débutant et le conducteur de moins de 19 ans doivent avoir une alcoolémie nulle.

Highway Traffic Act,

R.S.P.E.I. 1988, ch. H‑5

Manitoba

0,05

Suspension de 24 heures

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Code de la route,

C.P.L.M., ch. H60

Nouveau-Brunswick

0,05

Suspension de 24 heures

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Loi sur les véhicules à moteur,

ch. M‑17

Nouvelle-Écosse

0,05

Suspension de 24 heures

Le conducteur débutant doit avoir une alcoolémie nulle.

Motor Vehicle Act, R.S. 1989, ch. 293

Nunavut

0,06 avec inversion du fardeau de la preuve. Suspension du permis de conduire lorsqu’un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d’un conducteur sont affaiblies sous l’effet de l’alcool. Le permis est rendu si le conducteur peut démontrer que son alcoolémie ne dépassait pas le plafond autorisé.

Suspension de 4 à 24 heures

 

Consolidation of Motor Vehicles Act,

R.S.N.W.T., ch. M-16

Ontario

0,05

Suspension de 3 jours pour une première infraction, de 7 jours pour une deuxième infraction, et de 30 jours pour toute infraction subséquente (la gradation des peines s’applique aux infractions commises à l’intérieur d’une période de 5 ans).

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Code de la route,

L.R.O. 1990, ch. H-8

Québec

0,08

Suspension de 90 jours

L’apprenti conducteur doit avoir une alcoolémie nulle.

Code de la sécurité routière,

L.R.Q., ch. C‑24.2

Saskatchewan

0,04 - avec inversion du fardeau de la preuve. Suspension du permis de conduire lorsqu’un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d’un conducteur sont affaiblies sous l’effet de l’alcool. Le permis est rendu si le conducteur peut démontrer que son alcoolémie ne dépassait pas le plafond autorisé.

Suspension de 24 heures pour une première infraction, de 15 jours (et cours obligatoire pour conduite avec facultés affaiblies) pour une deuxième infraction, et 90 jours (et évaluation obligatoire de la dépendance à l’alcool, suivie de certaines mesures thérapeutiques) pour toute infraction subséquente (la gradation des peines s’applique aux infractions commises à l’intérieur d’une période de 5 ans).

Le conducteur débutant doit avoir une alcoolémie nulle.

Traffic Safety Act,

S.S., 2004, ch. T-18.1

Terre-Neuve-et-Labrador

0,05

Suspension de 24 heures pour la première et deuxième infraction; suspension pouvant aller jusqu’à 6 mois pour les infractions subséquentes commises à l’intérieur d’une période de 24 mois.

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Highway Traffic Act,

RSNL 1990, ch. H-3

Territoires du Nord-Ouest

0,05 - avec inversion du fardeau de la preuve. Suspension du permis de conduire lorsqu’un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d’un conducteur sont affaiblies sous l’effet de l’alcool. Le permis est rendu si le conducteur peut démontrer que son alcoolémie ne dépassait pas le plafond autorisé.

Suspension de 24 heures

Le conducteur novice doit avoir une alcoolémie nulle.

Motor Vehicles Act,

R.S.N.W.T., ch. M-16

Yukon

0,08

Suspension de 90 jours ou jusqu’à la conclusion des procédures criminelles (suivant la première des deux échéances)

Le conducteur novice et l’apprenti conducteur doivent avoir une alcoolémie nulle.

Motor Vehicles Act,

R.S.Y. 2002, ch. 153

Source : Conseil canadien de la sécurité, Canada’s Blood Alcohol Laws — an International Perspective, mars 2006, http://www.safety-council.org/info/traffic/impaired/BAC-update.pdf (mis à jour par l’auteur).

Dans leurs discussions sur les lois provinciales et territoriales, les membres du Comité ont abordé la question de l’âge légal pour acheter et consommer de l’alcool. Les lois sur l’âge minimum pour acheter de l’alcool ne peuvent être efficaces que si elles sont appliquées de manière stricte et sont uniformes dans tout le pays. Ce n’est pas le cas, car l’âge minimum en l’occurrence est de 18 ans en Alberta, au Manitoba et au Québec quand il est de 19 ans partout ailleurs au Canada. Le Comité a conclu que l’uniformisation de l’âge minimum pour acheter de l’alcool dans l’ensemble des provinces et des territoires contribuerait à réduire certains comportements risqués en matière de consommation d’alcool. On pense notamment au grand nombre de jeunes qui franchissent une frontière provinciale ou territoriale pour profiter d’une réglementation moins restrictive. Le problème peut être particulièrement aigu à certains endroits où les magasins de vente d’alcool et les établissements licenciés sont concentrés pour répondre à la demande des clients d’outre-frontière.

Recommandation 8

Le Comité recommande que l’on encourage les provinces à s’entendre sur l’âge légal pour boire de manière à réduire l’incitation à se rendre en voiture dans la province voisine pour boire.

AUTRES RECOMMANDATIONS CONNEXES

Le Parlement peut fournir aux tribunaux des principes d’application des dispositions du Code criminel sur la conduite avec facultés affaiblies. Un tel énoncé de principes pourrait commencer par souligner que le fait de conduire est un privilège et non un droit et préciser ensuite qu’il est dans l’intérêt de la sécurité de tous que ceux qui mettent la vie d’autrui en danger en conduisant avec des facultés affaiblies fassent l’objet de sanctions pénales rapides, certaines et sévères. Le problème de la conduite avec facultés affaiblies est grave et les tribunaux doivent y voir de toute urgence. Les tribunaux doivent tenir compte du fait qu’il existe un rapport direct entre la conduite avec facultés affaiblies et les collisions et que le risque de collision et la gravité de celles-ci augmentent avec la concentration d’alcool dans le sang. Le droit pénal a un rôle important à jouer dans la mesure où il doit faire passer le message que la conduite avec facultés affaiblies est inadmissible en tout temps et quelles que soient les circonstances.

Recommandation 9

Le Comité recommande que le Parlement guide l’appareil judiciaire par l’adoption d’un préambule ou d’un énoncé de principes attestant les risques inhérents à la conduite avec facultés affaiblies et insistant sur l’importance d’imposer des sanctions significatives et proportionnelles à ceux qui mettent en danger la vie des autres et leur propre vie.

Le Code criminel a été modifié en 1999 pour porter de deux à trois heures la période durant laquelle la police peut exiger un échantillon d’haleine ou de sang d’une personne soupçonnée de conduite avec facultés affaiblies. Pourtant, les échantillons en question ne sont présumés refléter l’alcoolémie du suspect au moment de l’infraction alléguée que s’ils ont été prélevés dans les deux heures (on parle alors de « présomption d’identité »). Cette contrainte de temps peut poser des difficultés surtout si l’arrestation a lieu dans une région rurale ou si l’agent est occupé à aider les victimes d’un accident, par exemple, ou à protéger la scène d’un accident. En portant la période de présomption d’identité à trois heures, on éviterait à la poursuite l’obligation coûteuse, en temps et en argent, de faire appel à un toxicologue dans tous les cas de poursuites pour conduite avec facultés affaiblies où l’échantillon a été prélevé en dehors du délai de deux heures.

Recommandation 10

Le Comité recommande que la période de présomption d’identité prévue au sous-alinéa 258(1)c)(ii) du Code criminel soit portée de deux à trois heures.


[1]          Al. 253(1)a).

[2]          Al. 253(1)b).

[3]          Par. 254(5).

[4]          Par. 255(2).

[5]          Par. 255(2.1).

[6]          Par. 255(2.2).

[7]          Par. 255(3).

[8]          Par. 255(3.1).

[9]              Par. 255(3.2).

[10]           Fondation de recherches sur les blessures de la route, Sondage sur la sécurité routière 2008 : La conduite en état d’ivresse au Canada, http://www.tirf.ca/publications/PDF_publications/rsm_2008_dd_reg_fr.pdf.

[11]           Ibid.

[12]           Ibid.

[13]           MADD Canada, L'ampleur du problème des collisions attribuables à la consommation d'alcool et de stupéfiants au Canada —  Contexte, version révisée de janvier 2007.

[14]           Lettre de l’Association médicale canadienne, 4 mars 2009.

[15]           Centre de toxicomanie et de santé mentale, Reducing Alcohol-related Deaths on Canada’s Roads, présentation au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 12 février 2008.

[16]           Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, Alcohol-Crash Problem in Canada: 2006, janvier 2009.

[17]           Présentation du Conseil canadien de la sécurité au Comité permanent de la justice et des droits de la personne : Examen approfondi des questions concernant la conduite avec facultés affaiblies, 12 février 2008.

[18]           Louise Nadeau, Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 7 février 2008.

[19]           Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, Recommendations for Improving Federal Impaired Driving Laws, mémoire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, mars 2009.

[20]           Ibid.

[21]           Ibid.

[22]           Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, Vers l’élimination de la conduite avec facultés affaiblies, Ottawa, mai 1999.

[23]           Table québécoise de la sécurité routière, Pour améliorer le bilan routier : Premier rapport de recommandations, juin 2007.

[24]           Association canadienne des automobilistes, Énoncé de politique 2007-2008, recommandation 6.3.6.

[25]           Louise Nadeau, Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 7 février 2008.

[26]           Ministère de la Justice, Questions relatives à la conduite avec facultés affaiblies, mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, février 2008.

[27]           MADD Canada, Réforme de la loi fédérale sur la conduite avec facultés affaiblies : prochaines étapes, mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, 2 mars 2009.

[28]           Bureau d’assurance du Canada, Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, 27 février 2009.

[29]           Mémoire du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, février 2008.

[30]           Enquête sur la conduite avec facultés affaiblies menée pour Transports Canada/MADD Canada par Ekos Research Associates Inc., décembre 2007, http://www.tc.gc.ca/securiteroutiere/tp/tp14760/pdf/tp14760f.pdf.

[31]           [1986] 1 R.C.S. 103.

[32]           R. c. Orbanski ; R. c. Elias, [2005] 2 R.C.S. 3, par. 55.

[33]           R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257.

[34]           Centre de toxicomanie et de santé mentale, Reducing Alcohol-Related Deaths on Canada’s Roads, présentation au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 12 février 2008.

[35]           Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, Ignition Interlocks: From Research to Practice: A Primer for Judges, juillet 2006.

[36]           Il importe de noter que le tableau porte sur les sanctions administratives associées aux plafonds d’alcoolémie établis par les provinces et les territoires. Certaines provinces imposent par ailleurs des sanctions particulières lorsque l’alcoolémie est de 0,08. Certaines lois permettent aussi la saisie du véhicule dans certains cas.