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Monsieur le Président, je prends aujourd'hui la parole pour aborder le rapport du Comité permanent du commerce international sur l'entente signée entre le gouvernement conservateur du Canada et l'administration Obama au sujet de la Buy American Act. Cette entente visait à réduire le risque que présentent les politiques protectionnistes américaines pour les entreprises canadiennes.
En ce qui concerne le contexte historique, j'ai entendu notre collègue néo-démocrate raconter plus tôt que le protectionnisme américain dans les années 1930 avaient aidé les États-Unis à se sortir de la récession. Je n'avais jamais entendu cette théorie. Je suis toujours curieux d'entendre de nouveaux arguments et j'ai toujours trouvé les arguments économiques du NPD pour le moins curieux et pas nécessairement inspirants, mais ils montrent au moins ce qui arrive quand on ne connaît rien du fonctionnement de l'économie mondiale.
Quand j'ai entendu notre collègue néo-démocrate raconter plus tôt aujourd'hui que la politique appliquée par les Américains dans les années 1930 qui a le plus contribué à les faire sortir de la Grande Crise était une politique protectionniste, je suis presque tombé en bas de ma chaise.
En fait, le consensus mondial, qui transcende les allégeances politiques, est que le commerce est bon et important, qu'il crée des emplois et de la richesse, qu'il crée des biens et des services abordables pour tous les consommateurs. Les partis sociaux-démocrates du monde, comme le Parti travailliste britannique et le Parti démocrate américain, adoptent ce point de vue. Le seul parti social-démocrate du monde qui vit encore dans le passé en ce qui concerne sa vision du commerce et qui est encore composé de luddites socialistes allergiques à la mondialisation est le Nouveau Parti démocratique du Canada.
En fait, dans les années 1930, c'est le protectionnisme américain qui a transformé une récession régionale en crise mondiale. Le protectionnisme américain dans les années 1930, qui a entraîné des mesures protectionnistes réciproques un peu partout dans le monde, a accentué le repli économique.
Une des leçons que nous avons tirées est qu'il ne faut pas répéter les erreurs du passé. Le consensus mondial depuis le début de la récession actuelle est qu'il ne faut pas répéter les mêmes erreurs.
Dans une perspective canadienne, il est particulièrement important que nous ne réagissions pas au protectionnisme américain par des mesures protectionnistes réciproques, car notre dépendance à l'égard des marchés américains est disproportionnée par rapport à la dépendance des sociétés américaines à l'égard de nos marchés. Toute mesure avouée visant à protéger nos sociétés au moyen de politiques protectionnistes intérieures aura pour conséquence fortuite de bloquer l'accès de nos sociétés à leur grand débouché, soit le marché américain et les autres marchés internationaux.
Les provinces ont fait preuve d'un grand leadership à ce sujet. Le premier ministre Charest a grandement participé aux discussions. Il a contribué à diriger les discussions avec les premiers ministres des provinces d'un bout à l'autre du Canada pour réduire le protectionnisme et les barrières au commerce interprovincial. Ce fut un énorme progrès d'obtenir le consensus des provinces sur les marchés publics infranationaux. Cela a permis au gouvernement fédéral de faire davantage que ce qu'il avait pu faire auparavant.
Le ralentissement économique mondial dont les États-Unis sont responsables nous a enseigné une leçon importante: nous devons non seulement mieux défendre les intérêts canadiens aux États-Unis, mais nous devons aussi diversifier considérablement nos intérêts commerciaux. À mon avis, c'est une chose à laquelle le gouvernement conservateur ne s'est pas assez employé.
Le gouvernement a passé ses trois premières années au pouvoir à attaquer et à provoquer la Chine, puis il a passé un an à lui lécher les bottes pour essayer de réparer les torts qu'il avait causés à la relation entre le Canada et la Chine, relation profondément positive qui remonte non seulement à Pierre Trudeau, qui a aidé la Chine à s'ouvrir, mais à Richard Nixon, qui a été le premier leader d'un pays développé à établir des liens diplomatiques avec la Chine d'après la révolution. En toute objectivité, je reconnais que le premier ministre progressiste-conservateur John Diefenbaker a également joué un rôle clé dans la consolidation des liens avec la Chine.
Le refus du gouvernement conservateur de reconnaître l'importance de la Chine pendant ses trois premières années au pouvoir ne reflète pas l'engagement bipartite à resserrer les liens entre le Canada et la Chine, un engagement qui a créé des liens politiques et sociaux étroits au fil des ans et qui crée aujourd'hui d'énormes possibilités économiques pour le Canada, maintenant que la Chine est à la tête de la reprise mondiale en termes de croissance et de possibilités économiques.
Donc, tout d'abord, je ne crois pas que le gouvernement conservateur ait fait un travail suffisant pour défendre les intérêts du Canada dans notre plus important marché, les États-Unis. Je ne crois pas non plus qu'il ait adopté une politique sensée et avant-gardiste pour diversifier nos relations commerciales avec des pays comme la Chine, l'Inde et le Brésil, par exemple.
Le protectionnisme est populaire. En période de ralentissement économique, le protectionnisme peut être très bon sur le plan politique. C'est pour cette raison que nous voyons de plus en plus de mesures protectionnistes aux États-Unis, au Congrès et au niveau des États. Nous observons la même chose ici même, au Canada.
Lorsque les gens se retrouvent sans travail, leur premier instinct est évidemment de se protéger et de protéger leurs emplois. Leur premier instinct est d'essayer d'ériger des barrières et de faire ce qu'ils peuvent pour que la situation n'empire pas.
Nous sommes particulièrement vulnérables à la politique du protectionnisme pratiquée actuellement aux États-Unis. On observe dans ce pays une reprise statistique, mais une récession humaine. Un Américain sur cinq entre 25 et 55 ans est sans emploi et on ne sait pas encore clairement d'où viendront les emplois de demain.
Il est aussi important de comprendre qu'il n'y a pas que le chômage qui inspire la crainte aux Américains; ils ont également peur de perdre leurs maisons. Nous avons eu 15 ans de surendettement, tant au Canada qu'aux États-Unis, mais particulièrement aux États-Unis maintenant. Toutefois avec la hausse des taux d'intérêt et du coût des emprunts, nous allons voir une période durant laquelle il y aura un revirement de cette politique. Le surendettement qui a mené à une croissance économique insoutenable sera maintenant contré par une période de resserrement du crédit. Cela posera un défi de taille pour la croissance économique aux États-Unis, à la fois sur le plan de la dette souveraine et sur le plan de la dette intérieure ou de la dette à la consommation.
Je crois donc que le sentiment protectionniste qui règne aux États-Unis continuera d'être populaire, ce qui fait que nous devrons être vigilants et nous protéger contre cela. Les pressions politiques exercées sur les législateurs américains pour qu'ils mettent en oeuvre des mesures protectionnistes ne diminueront pas. Bien au contraire, elles continueront de s'intensifier.
Il y a une majorité de démocrates au Congrès, du moins jusqu'en novembre. Nous verrons ce qui se passera en novembre, mais le fait est qu'il y a un lourd penchant protectionniste au sein du Parti démocratique aux États-Unis. Nous ne sommes pas nécessairement visés par ce protectionnisme et les mesures qui en découlent, mais nous en faisons néanmoins les frais.
Quand les conservateurs ont signé l'entente sur l'achat aux États-Unis plus tôt cette année, c'était trop peu, et il était déjà trop tard. L'année dernière, beaucoup de Canadiens ont perdu leur emploi quand des entreprises canadiennes ont été obligées d'installer leurs centres de fabrication et de distribution aux États-Unis, à cause de la disposition d'achat aux États-Unis qui figurait dans la Recovery Act de 2009.
Cette disposition, qui est entrée en vigueur en février 2009, exige que seuls le fer, l'acier et les biens produits aux États-Unis soient utilisés dans les projets de relance dans ce pays. Les producteurs canadiens n'ont donc pas pu soumissionner pour des contrats américains de dizaines de milliards de dollars. Frappés par la récession, les Canadiens out trouvé cela dur à avaler, d'autant plus que le gouvernement conservateur n'avait pas tenu la promesse qu'il avait faite de défendre les intérêts économiques du Canada aux États-Unis.
Un an plus tard, les conservateurs ont conclu une entente avec les États-Unis permettant aux entreprises canadiennes de participer à un petit nombre de projets de relance aux États-Unis. Cette entente relative aux projets locaux, qui est qualifiée de « temporaire » dans le document lui-même, prend fin en septembre 2011, quand la Recovery Act de 2009 viendra à échéance. Cependant, la grande majorité des fonds de relance américains de 2009 avait été dépensée avant l'entrée en vigueur de l'entente.
Selon des médias, en vertu de cette entente, les entreprises canadiennes auraient accès à moins de 5 milliards de dollars en projets américains locaux, soit 2 p. 100 des fonds prévus dans la Recovery Act des États-Unis. Nous n'étions pas présents à la table de négociation. Nous n'avons pas défendu nos intérêts. Généralement, lorsque nous ne sommes pas assis à la table dans ce genre d'ententes avec les Américains, c'est que nous sommes au menu. Les entreprises américaines ont la part du lion et nous devons nous contenter des miettes. Nos entreprises canadiennes ont hérité des miettes parce que la majeure partie de l'argent des mesures de relance avait déjà été dépensée.
Même ces estimations pourraient être trop optimistes. Selon un document interne des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, « tous les fonds liés à la Recovery Act doivent être “liés par contrat d'ici février 2010“ ».
Cela laisse supposer que la fenêtre était déjà fermée pour la majorité des entreprises canadiennes avant même la signature de l'entente sur la politique d'achat aux États-Unis.
En retour, le Canada a accordé aux États-Unis un accès sans précédent à un vaste éventail de projets de construction locaux et municipaux jusqu'en septembre 2011. Pendant les séances du comité, nous avons appris qu'il n'y a pas eu d'analyse quantitative de ce que nous accordions par rapport à ce que nous obtenions.
Plus tôt cet après-midi, j'ai félicité les provinces canadiennes pour le leadership dont elles avaient fait preuve dans ce dossier et pour leur leadership proactif visant à éliminer le protectionnisme infranational, ce que j'estime important. J'estime aussi, toutefois, qu'il est important d'être conscients à la fois de ce qu'on accorde et de ce qu'on obtient en retour. Je crois que c'est sur ce point que le gouvernement conservateur a laissé tomber les Canadiens pendant les négociations.
De février 2010, date de la signature de l'entente, jusqu'à son échéance, en septembre 2011, les municipalités canadiennes visées par cette entente devraient dépenser 25 milliards de dollars en services de construction. Dans sa hâte de déclarer victoire relativement à la politique d'achat aux États-Unis, le gouvernement conservateur a signé une entente en grande partie à sens unique. Il n'y a pas d'accès réciproque aux programmes d'infrastructure locaux américains pendant cette période. Les conservateurs ont signé une entente à sens unique qui avantage beaucoup trop les fabricants américains par rapport aux fabricants canadiens.
Le Congrès américain est actuellement saisi de plusieurs projets de loi comportant des affectations de crédits qui contiennent des dispositions d'achat aux États-Unis qui ne sont même pas visées par cet accord. Il y aura d'autres dispositions de ce genre. Le gouvernement aurait dû négocier une entente afin d'éviter que ce genre de mesure ne s'applique au Canada à l'avenir. Or, comme il ne l'a pas fait, nous sommes condamnés à répéter ce processus. Chaque fois qu'une loi ou qu'une mesure de relance, par exemple, qui comporte des mesures protectionnistes — lesquelles mettent en péril les intérêts du Canada — est adoptée aux États-Unis, nous devons répéter tout le processus. Si c'est comme la dernière fois, il faudra près d'une année aux conservateurs pour se mettre en branle. Entre-temps, les États-Unis auront tout le loisir de présenter des programmes de relance, des propositions de relance ou des dispositions législatives gouvernementales qui expireront avant que nous ayons fait quoi que ce soit.
Il est clair que le Canada a besoin d'un meilleur accord, mais puisque les États-Unis ont déjà accès aux marchés locaux d'approvisionnement jusqu'en septembre 2011, le Canada n'a plus rien à négocier.
Il nous faut un accord équitable, permanent et complet, qui exempterait véritablement le Canada du protectionnisme à l'américaine. Nous avons besoin d'un accord avec des seuils moins élevés qui permettraient aux petites et moyennes entreprises, qui sont le pilier de l'économie canadienne, de vendre leurs produits aux États-Unis, tout en gardant les emplois au Canada.
Au lieu de faire de la politique nationale partisane qui manque de vision, le gouvernement conservateur aurait dû bâtir les partenariats nécessaires avec les États-Unis, afin de mettre au point une solution à long terme pour le Canada. Or, puisqu'il y a eu quatre ministres conservateurs en autant d'années, les conservateurs n'ont tout simplement pas été en mesure de bâtir le genre de partenariat avec d'autres pays, surtout au chapitre des relations commerciales, qui aurait permis de défendre adéquatement les intérêts du Canada.
Les relations commerciales sont fondées sur les relations humaines. Puisque les conservateurs ont changé quatre fois de ministre du Commerce en quatre ans, les ministres n'ont tout simplement pas pu bâtir les relations solides qui leur auraient permis de défendre nos intérêts.
À ma connaissance, aucun autre pays membre de l'OCDE et aucun autre de nos concurrents ne change de ministre du Commerce chaque année. Or, le gouvernement conservateur a changé quatre fois de ministre du Commerce en autant d'années, ce qui a entravé la capacité de ces ministres de défendre les intérêts du Canada à l'étranger.
Le Canada ne peut pas laisser les États-Unis se tirer d'affaire en prétendant que les problèmes associés à la Buy American Act ont été réglés par cet accord.
J'espère que mes collègues d'en face se joindront à nous pour avoir un débat honnête, ouvert et constructif sur les problèmes que posent encore cette loi. Les entreprises et les travailleurs canadiens qui dépendent de l'accès au marché américain ne méritent rien de moins.
Il est également important de reconnaître que, en tant que principal fournisseur d'énergie aux États-Unis, nous avons la possibilité de redéfinir le cadre de nos discussions commerciales avec eux. Quand nous disons aux Américains que les politiques d’achat aux États-Unis sont une mauvaise idée, cela met automatiquement les législateurs américains sur la défensive. Il y a une façon plus constructive d'aborder cette question.
Premièrement, les emplois aux États-Unis seront moins menacés par les compagnies canadiennes que par celles des économies émergentes comme la Chine, l'Inde et d'autres pays à forte croissance qui offrent de multiples possibilités. Toutes les barrières artificielles entre les économies canadienne et américaine coûteront des emplois aux deux pays.
Nous pouvons user davantage de notre pouvoir comme principal fournisseur d'énergie aux États-Unis et comme pays qui reconnaît l'importance qu'a la sécurité énergétique pour eux. Nous pouvons renforcer nos liens avec les Américains et nos relations commerciales avec eux à un tel point que les législateurs américains se rendraient compte qu'il serait contre-productif, dangereux et nuisible pour l'économie américaine de mettre en place des mesures protectionnistes qui sépareraient artificiellement les économies canadienne et américaine.
La Buy American Act est une des mesures protectionnistes auquel les Canadiens sont confrontés, et le gouvernement conservateur n'a pas déployé suffisamment d'efforts pour nous défendre contre elle. L'étiquetage indiquant le pays d'origine est une autre de ces mesures. De plus, je soutiendrais que l'initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental, qui a été mise en place par les États-Unis, a entraîné un resserrement des contrôles à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Je ne crois pas que les conservateurs ont déployé suffisamment d'efforts pour nous défendre contre ces mesures.
Cependant, compte tenu du pouvoir que nous apporte notre relation dans le domaine de l'énergie, je crois que nous devrions approfondir les discussions avec les États-Unis sur trois aspects fondamentaux, le premier étant l'établissement du prix du carbone. À titre de principal fournisseur d'énergie des États-Unis, nous ne devrions pas nous contenter de jouer un simple rôle d'observateur pendant que les Américains déterminent le prix du carbone et qu'ils mettent au point un mécanisme d'établissement des prix qui s'appliquera à la frontière, bref, une taxe sur le carbone qui sera imposée sur nos exportations vers les États-Unis. Nous devrions collaborer avec les Américains pour élaborer une approche à cet égard.
Nous devrions également renforcer notre relation avec les Américains au chapitre de la modernisation du réseau d'approvisionnement en énergie. Des provinces et des États participent à ce projet, mais certaines décisions et certains investissements relèvent du fédéral. Le gouvernement Obama investit 7 milliards de dollars pour moderniser le réseau d'approvisionnement en énergie, et je crois que nous devrions collaborer avec lui à cet égard.
Nous devrions aussi collaborer davantage avec les Américains au chapitre de la recherche et du développement en matière de technologies liées à l'énergie propre. Le Canada est un chef de file mondial pour ce qui est du captage et du stockage du carbone, notamment. De fait, 40 p. 100 du carbone stocké à l'échelle planétaire est stocké à Weyburn, en Saskatchewan. Pourtant, lorsque les Américains ont signé une entente de collaboration avec la Chine, il y a de cela quelques mois, pour resserrer leurs relations en ce qui concerne le captage et le stockage du carbone ainsi que la recherche et le développement de technologies, le Canada n'était pas à la table des négociations.
Or, nous devons y être. Nous devons renforcer notre relation avec les Américains sur les plans commercial et énergétique. C'est la meilleure façon de nous défendre contre le protectionnisme américain.