Je suis heureuse d'être ici au nom de la Chambre de commerce du Canada. Je m'appelle Sarah Anson-Cartwright et je suis la directrice des politiques de compétences.
Il y a deux ans et demi, le Chambre de commerce a demandé au Canada d'étudier la question du vieillissement de l'effectif. Notre rapport était intitulé La crise démographique au Canada: Est-ce que les travailleurs sous-représentés peuvent nous sauver? On s'attend à un grand exode des travailleurs âgés au cours des dix prochaines années. Certains secteurs seront durement touchés. Plusieurs grandes entreprises nous ont dit que près du tiers de leurs employés seront admissibles à la retraite au cours des trois à cinq prochaines années.
En 2011, nous avons publié un document d'orientation intitulé Encourager les aînés à continuer de travailler, qui présentait un éventail de recommandations, dont la réforme des pensions. L'année dernière, notre rapport sur la crise des compétences a fait état des pénuries de compétences auxquelles sont confrontés les employeurs en raison des départs à la retraite imminents. En bref, le Chambre de commerce attire l'attention sur les travailleurs âgés et sur le besoin de les encourager à rester au travail le plus longtemps possible. J'aimerais aujourd'hui vous faire part des moyens utilisés par les employeurs pour conserver leurs travailleurs âgés, de même que du rôle de la formation et de l'apprentissage continu. Je parlerai également de la réforme des pensions et de la politique fiscale pour encourager les gens à rester au travail.
La situation des travailleurs âgés au sein du marché du travail est bonne. L'année dernière, les personnes âgées de 55 ans et plus ont connu la plus importante augmentation des taux d'emploi. Parmi tous les groupes démographiques, l'augmentation a été, de façon marquée, la plus grande chez les femmes âgées, dont le taux d'emploi a augmenté de 5,8 p. 100 en 2012. Le taux d'emploi des hommes âgés a également augmenté de 4,3 p. 100.
Les Canadiens vivent plus longtemps, et vivent mieux. Les modalités de travail plus souples permettent à de nombreux travailleurs âgés de continuer de travailler, non seulement parce qu'ils en sont capables mentalement et physiquement, mais parce qu'ils le souhaitent. Un milieu de travail multigénérationnel peut être très bénéfique pour une entreprise. Les travailleurs âgés ont les connaissances et l'expérience, et la nouvelle génération a l'expertise technique.
Les entreprises peuvent encourager les travailleurs âgés à demeurer sur le marché du travail. Elles s'intéressent à eux pour deux raisons: d'abord, elles peuvent tirer profit d'un grand bassin de travailleurs disponibles; ensuite, elles peuvent bénéficier des compétences des employés âgés plus longtemps, ce qui permet notamment le transfert des connaissances aux jeunes travailleurs.
Selon un sondage canadien, les travailleurs âgés veulent une certaine souplesse au travail. Les entreprises peuvent établir des modalités de travail novatrices qui correspondent mieux à leurs besoins. Les horaires de travail souples, comme le travail à temps partiel ou pendant une partie de l'année seulement, un horaire variable, des semaines de travail comprimées, le partage d'emploi, le télétravail — c'est-à-dire le travail à la maison — et le travail à forfait sont des mesures pouvant favoriser la participation à la population active.
La Chambre de commerce a réalisé une enquête auprès de ses membres l'année dernière, dont 84 p. 100 étaient des petites entreprises. Parmi les répondants, 49 p. 100 ont dit qu'ils permettraient le travail à temps partiel, ou une réduction du nombre d'heures de travail, pour conserver les travailleurs âgés.
L'offre de nouvelles possibilités d'emploi aux travailleurs âgés fait partie des objectifs de ThirdQuarter. Ce programme a été créé par la Chambre de commerce du Manitoba, et est maintenant offert à d'autres collectivités du pays, grâce à un financement fédéral accru. C'est un service en ligne qui se sert d'une approche pratique pour mieux associer les compétences de ce groupe démographique aux emplois offerts.
Pour rester actifs, les travailleurs âgés devront peut-être poursuivre leur apprentissage au travail. La technologie a donné lieu à des changements importants dans de nombreux domaines. Selon Statistique Canada, la formation des travailleurs âgés soutenue par l'employeur a augmenté entre 1991 et 2008.
Les travailleurs de longue date qui perdent leur emploi devront peut-être en trouver un nouveau. Si leur niveau de scolarité est faible, ils auront peut-être besoin d'une formation axée sur les compétences essentielles comme l'alphabétisation ou le calcul avant d'être engagés à nouveau.
Les collèges communautaires peuvent jouer un rôle important en combinant dans leurs programmes la formation technique et celle axée sur les compétences essentielles. C'est un des défis que le gouvernement ne doit pas perdre de vue.
Beaucoup de gens veulent ou doivent travailler plus longtemps. Le système de pensions et le régime fiscal ne devraient pas les pénaliser. La Chambre de commerce appuie les mesures récentes prises par le gouvernement pour permettre aux bénéficiaires du Régime de pensions du Canada de recevoir leurs prestations sans interruption s'ils continuent de travailler.
Nous appuyons également les changements apportés au Programme de la sécurité de la vieillesse, qui entreront en vigueur en juillet et qui permettront le report volontaire de cette pension pendant au plus cinq ans. On pourra ainsi recevoir une pension annuelle plus élevée, fondée sur un rajustement actuariel, ce qui encouragera les personnes âgées à travailler plus longtemps.
De la même façon, l'augmentation de la prime associée à un report des prestations du Régime de pensions du Canada après 60 ans élimine l'important incitatif financier qui encourageait les gens à prendre leur retraite plus tôt.
Il faut également revoir le système fiscal du Canada, et surtout les taux effectifs marginaux d'imposition, qui ont une incidence sur la décision d'une personne de participer au marché du travail, et sur le choix entre le travail et les loisirs.
Les crédits d'impôt fondés sur le revenu offerts aux personnes âgées entraînent des avantages financiers, mais lorsque leur revenu familial dépasse le seuil prescrit, bon nombre de ces prestations sont récupérées. Par exemple, le supplément de revenu garanti prévoit une réduction de la prestation de 50 ¢ pour chaque dollar de revenu supplémentaire. Cette mesure décourage les personnes âgées de travailler, puisque chaque dollar supplémentaire gagné est assujetti à un taux d'imposition de 50 p. 100.
Le Canada est aujourd'hui confronté au double obstacle des départs à la retraite et d'une pénurie de main-d'oeuvre. Il faut inciter les travailleurs à rester actifs, et leur transmettre les compétences dont ils ont besoin pour garder leur emploi et être productifs. Si le gouvernement et les entreprises prennent des mesures précises et concrètes, nous pourrons encourager les travailleurs âgés à rester sur le marché du travail et à contribuer à notre prospérité.
Je serai heureuse d'entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.
Merci.
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Je vais ralentir un peu mon débit.
La recherche que mes collègues et moi avons menée depuis une vingtaine d'années indique qu'un des obstacles majeurs à la participation, à l'intégration et au maintien à l'emploi des travailleurs âgés est la question des stéréotypes négatifs basés sur l'âge — j'y reviendrai — et des croyances erronées à l'égard du vieillissement et, en particulier, du vieillissement en milieu de travail.
Ma présentation a deux objectifs. Le premier est de discuter de la problématique de l'âgisme et de partager avec vous des résultats de recherches à ce sujet. Celles-ci démontrent que l'âgisme coûte cher à la société canadienne, aux travailleurs âgés sur le plan psychologique et aux organisations qui ont des politiques tolérantes par rapport à la question de l'âgisme.
La deuxième partie de ma présentation va porter sur une réflexion aux solutions que l'on peut apporter aux problèmes créés par l'âgisme. Bien sûr, c'est une grande question. Comment peut-on mettre fin à l'âgisme et à la discrimination sur la base de l'âge en milieu de travail? On éprouve encore de la difficulté à lutter contre le sexisme et le racisme, mais en ce qui a trait à l'âgisme, on est très en retard sur le plan des mesures et des initiatives concrètes que les entreprises ont mises en place pour lutter contre ce phénomène.
Comme chercheure, je me suis rendu compte que même dans le milieu scientifique, la question de l'âgisme a été très peu explorée. Si on fait un exercice de googling et qu'on tape le mot « âgisme », très peu de recherches ressortent. C'est tout le contraire pour les questions de racisme et de sexisme pour lesquelles il y a eu beaucoup de progrès en milieu de travail. Il y a des politiques de tolérance zéro par rapport au sexisme, au racisme en milieu de travail et à d'autres formes d'exclusion, mais c'est loin d'être le cas pour la question de l'âgisme.
Faisons un peu de mise en contexte. On sait que les travailleurs de la tranche d'âge qui se situe entre 45 et 64 ans forment, à l'heure actuelle, un peu plus de 40 % de la main-d'oeuvre canadienne. En raison du vieillissement des baby-boomers, ce pourcentage est appelé à augmenter de plus en plus.
Cependant, malgré le vieillissement démographique de la main-d'oeuvre canadienne, on se rend très bien compte que ces travailleurs âgés entre 45 et 64 ans font face à des obstacles tangibles en ce qui a trait à leur participation, leur intégration et leur maintien en emploi. Par exemple, dans l'ensemble des pays de l'OCDE, on sait très bien que ces travailleurs âgés de 45 à 64 ans sont surreprésentés dans les statistiques de chômage. Ils sont aussi surreprésentés dans les statistiques de chômage de longue durée.
On sait aussi que les travailleurs de 45 à 64 ans bénéficient beaucoup moins de formation continue que les travailleurs un peu plus jeunes. On sait aussi que les initiatives de développement de carrière par rapport à ce groupe d'âge de travailleurs sont plutôt rares. À un travailleur âgé de 50 à 55 ans, la plupart du temps, le gestionnaire va tenir un discours parlant de retraite. Il est très rare que les gestionnaires s'assoient avec leurs employés qui sont âgés de 50 à 55 ans pour discuter de développement et de progression de carrière. C'est plutôt un discours très orienté vers la retraite, ce qui — j'y arrive dans quelques minutes — contribue à une forme d'autoexclusion. Le travailleur commence lentement, mais sûrement, à croire qu'il n'est plus utile à son organisation de travail et prépare donc lentement, mais sûrement, sa sortie. C'est une sortie précoce.
J'aimerais insister sur un élément aujourd'hui. S'il y a des efforts à faire en milieu de travail canadien, il faut absolument sortir de cette logique d'une sortie précoce et des avantages d'une sortie précoce en milieu de travail. Il faut tenir un discours qui revalorise le travail pour l'ensemble des Canadiens, et particulièrement valoriser le travail et la valeur ajoutée des travailleurs qui sont âgés de 45 à 64 ans.
Les difficultés d'intégration ont été identifiées. Elles sont tangibles, mais les perceptions du travailleur âgé accompagnent ces difficultés.
Depuis une vingtaine d'années, dans tous les sondages menés auprès des travailleurs canadiens âgés de 45 à 64 ans — y compris des travailleurs du monde de la santé et beaucoup de membres de la fonction publique canadienne —, la plupart d'entre eux nous ont dit qu'ils étaient l'objet de croyances dépassées quant à leur âge et la cible de propos négatifs sur la base de leur âge. L'avancement de l'âge en milieu de travail semblait donc être porteur de connotations plus négatives que positives. Finalement, vieillir en milieu de travail semblait poser problème.
Si on regarde l'ensemble de la littérature en ce qui a trait à la recherche sur le vieillissement en milieu de travail, on a très bien identifié les stéréotypes négatifs sur la base de l'âge en milieu de travail. Je vous en donne quelques exemples. Cette liste n'est pas exhaustive.
Souvent, quand il est question de gens de 45, 50 ou 55 ans, on dira que c'est un jeune âge, mais en milieu de travail, à partir de 45 ans, un gestionnaire pensera d'un tel employé qu'il est sur une pente descendante.
Les stéréotypes veulent qu'un travailleur de 45 à 50 ans soit moins productif qu'un plus jeune travailleur et que sa capacité d'apprendre est altérée. Conséquemment, on pense qu'il ne peut s'adapter aux changements, et plus particulièrement aux changements technologiques. Un stéréotype très tenace veut qu'à partir de 50 ou 55 ans, ces travailleurs ne sont pas habiles avec les nouvelles technologies et que leur motivation et leur engagement au travail sont aussi altérés. Ils sont en déclin, finalement. On pense que ces travailleurs sont plus absents que les jeunes travailleurs. Cette croyance est très répandue chez les gestionnaires et les têtes dirigeantes des organisations sont d'avis qu'embaucher et former un travailleur âgé coûte cher à une organisation.
Pour tout ce qu'on vient d'énoncer, on sait depuis 20 ans qu'aucune étude scientifique empirique n'a montré de lien entre la productivité, la motivation, l'absentéisme, etc., et l'avancement en âge. La relation qui existe, par exemple, entre la productivité et l'avancement en âge est beaucoup plus complexe qu'un lien direct. La relation entre la capacité d'apprendre et l'avancement en âge est aussi complexe. Si un employeur met les conditions ou adapte le milieu de travail, l'apprentissage est possible pendant toute une vie, peu importe l'âge du travailleur.
Par contre, ces stéréotypes sont sournois. C'est d'ailleurs la force des stéréotypes. Ils sont sournois et sont souvent peu dénoncés en milieu de travail. On a souvent une politique de laisser-faire en ce qui concerne la question des stéréotypes en milieu de travail. On sait aussi, en psychologie, que ce qu'on croit et ce qu'on pense ouvre la voie à des comportements. Pour être en consonance cognitive, ce qu'on croit sera en harmonie avec la façon dont on agira. C'est à ce moment que cela devient dangereux parce que les croyances négatives ouvrent la voie à des pratiques discriminatoires sur la base de l'âge.
J'ai mentionné en début de présentation qu'on sait que les travailleurs de 45 ans et plus sont surreprésentés dans les statistiques de chômage, que perdre son emploi à 50 ans et en trouver un par la suite est très difficile. On sait qu'ils sont moins invités à suivre une formation et qu'ils ont moins d'occasions d'avancement de carrière. On sait très bien aussi qu'à compétences égales, un travailleur de 55 ans est, à cause de son âge, systématiquement évalué plus négativement qu'un travailleur de 35 ans.
Mon propos est un peu négatif, mais je pense que si on veut réfléchir à la question de l'intégration, de la participation et du maintien en emploi des travailleurs vieillissants, il faut qu'il y ait une prise de conscience sur la problématique de l'âgisme en milieu de travail. Elle existe parce qu'elle est le prolongement d'une vision encore assez négative du vieillissement dans la société canadienne. Le milieu de travail est un microcosme qui s'imprègne de ces croyances.
Pour ce qui est des conséquences négatives de l'âgisme en milieu de travail, on a sondé beaucoup d'infirmiers, d'infirmières et de fonctionnaires fédéraux. On a montré que le travailleur qui pense être la cible de propos négatifs en raison de son âge commence tranquillement à se désengager sur le plan psychologique.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie nos deux invités d'être présents parmi nous aujourd'hui dans le cadre de cette étude que je crois vraiment pertinente et importante. Mes questions s'adressent à vous deux.
En 2008, alors que je n'étais pas encore élu à la Chambre, j'ai visité une usine de textile de ma circonscription fabriquant des vestons pour la compagnie Moores. Cette usine allait fermer sous peu parce qu'à l'époque, le gouvernement fédéral n'appliquait pas les mesures prévues par l'Organisation mondiale du commerce en matière de protection des secteurs manufacturiers, celui du textile entre autres. J'ai vu là des gens âgés de 50 à 60 ans qui avaient travaillé toute leur vie à produire des pantalons et des vestons.
De fait, ils savaient faire cela très bien, mais ils n'avaient pas les qualifications requises pour faire autre chose. J'y ai rencontré des hommes et des femmes non pas inquiets, mais un peu désabusés et désespérés vis-à-vis de ce qui les attendait. Leur régime de retraite n'était pas suffisant et ils n'étaient pas assez âgés pour toucher leur pension de vieillesse. Ils n'avaient pas les qualifications requises pour retourner sur le marché du travail. Selon vous, que devrait faire le gouvernement fédéral à cet égard?
L'histoire des gens de cette usine, on l'a vue partout au Canada lors de l'effondrement du secteur manufacturier. On a mis au chômage des centaines de milliers de personnes qui avaient consacré toute leur vie au succès d'une usine ou d'une entreprise. Ces derniers se sont retrouvés face à rien, mises à part l'exclusion et la pauvreté. Que devrait faire le gouvernement fédéral pour accompagner ces gens?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à vous deux d'être ici. Vos commentaires nous ont beaucoup éclairés.
J'aimerais connaître votre avis sur une question.
J'ai reçu dans mon bureau plusieurs personnes au début ou au milieu de la cinquantaine. Elles ont travaillé pour une entreprise et ont perdu leur emploi, pour une raison quelconque. Elles veulent maintenant réintégrer le marché du travail. Elles veulent continuer de travailler, par choix ou par nécessité. Mais, lorsqu'elles présentent une demande d'emploi et passent une entrevue, on leur dit toujours qu'elles sont surqualifiées; c'est la raison pour laquelle on ne les engage pas. Ce n'est pas parce qu'on ne les aime pas ou parce qu'elles ne peuvent pas faire le travail, mais parce qu'elles sont surqualifiées.
Sarah, du point de vue de l'employeur et Martine, d'après votre expérience, comment peut-on faire changer d'idée les entreprises et les employeurs? Comment pouvons-nous renverser la vapeur pour voir la valeur et l'expérience d'une personne plutôt que sa surqualification?
Je trouve difficile de voir qu'on refuse du travail à mes électeurs pour cette raison. Avez-vous des conseils ou des idées pour changer cette perception négative?
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Je serai brève puisque je vais un peu compléter ce que ma collègue Sarah vient de mentionner.
Encore une fois, c'est une question de rhétorique. Qu'est-ce que veut dire le fait d'être surqualifié? Dans un monde où il y a beaucoup de pénurie de main-d'oeuvre et où, il est vrai, les jeunes arrivent souvent bardés de diplômes mais avec très peu d'expérience sur le tas et sur le terrain, on peut très bien transformer cette rhétorique d'une surqualification comme une valeur ajoutée dans un contexte de transfert de connaissances. Si un travailleur âgé est surqualifié, c'est tant mieux. Cela veut dire qu'il pourra transférer ses qualifications aux jeunes travailleurs.
Cela me fait mentionner que pour changer des mentalités par rapport aux stéréotypes de la surqualification ou de la sous-qualification des travailleurs âgés, il faut absolument que les jeunes travailleurs soient dans le coup. Si les jeunes travailleurs ne sont pas convaincus que le travailleur âgé a quelque chose à leur apporter, c'est certain que les obstacles vont toujours être maintenus. Donc, pourquoi ne pas créer des équipes multi-âges? Pourquoi, quand on a un projet sur la création d'un nouvel équipement technologique, fait-on seulement travailler des jeunes ensemble? Pourquoi, au sein de cette équipe, ne retrouve-t-on pas un travailleur âgé de 60 ans?
Justement, le fait d'être en contact avec des groupes d'âges différents et des individus d'âges différents vient vraiment briser des stéréotypes. On est davantage ici dans un contexte micro. Toutefois, le changement peut commencer à cet égard et par des initiatives où il y a de l'échange intergénérationnel et où la surqualification vient compléter la sous-qualification.
En fait, votre question est excellente. C'est la grande question dans le monde de la recherche, et ce n'est certainement pas aujourd'hui qu'on aura des solutions.
En début de présentation, je mentionnais qu'il avait fallu des années avant de mettre en place des mesures vraiment efficaces pour lutter contre le sexisme et le racisme en milieu de travail. Présentement, je pense qu'à cause du vieillissement de la main-d'oeuvre, on est arrivés à un point tournant. Des mesures concrètes ont été mises en place pour mettre fin à l'âgisme.
Si j'étais très radicale, je vous dirais qu'on devrait développer des politiques de tolérance zéro en milieu de travail par rapport à la question de l'âgisme. Je dirais notamment que tout gestionnaire doit être responsable de ses décisions d'embauche et qu'il doit, par exemple, rendre des comptes. À compétences égales entre un jeune travailleur de 35 ans et un travailleur de 55 ans, pourquoi le choix est-il allé du côté du jeune travailleur?
Le gestionnaire a un rôle clé en ce qui a trait au changement des mentalités. Parler d'âgisme, c'est parler de mentalité. Pour changer les mentalités, il faut notamment que l'employeur d'une entreprise tienne un discours valorisant quant au fait de vieillir en milieu de travail.
Si la tête dirigeante d'une grande entreprise ne rencontre jamais les travailleurs âgés autrement que pour leur parler de retraite, c'est sûr que le travailleur âgé intègre l'idée qu'il n'est plus utile. Pourquoi les gestionnaires, par exemple, ne font-ils pas des entrevues de fidélisation avec leurs travailleurs âgés? Pourquoi ne pas développer des politiques de développement de carrière ciblées particulièrement sur les gens âgés de 50 ans et plus?
Le rôle du gestionnaire est capital. En tant que chercheure, j'en suis rendue à adhérer aux politiques de tolérance zéro. Toutefois, je pense aussi qu'on a besoin de campagnes de sensibilisation nationales pour informer les gens sur la question de l'âgisme. Beaucoup de gens ne connaissent pas le sujet. Pourtant, le problème en est un qui est assez sournois et pernicieux en milieu de travail.
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Je vous remercie de cette excellente question qui traduit réellement le paradoxe auquel fait face notre société.
Il est vrai que les femmes peuvent maintenant espérer vivre jusqu'à 85 ans et que les hommes peuvent espérer vivre jusqu'à 79 ans. L'espérance de vie augmente de plus en plus. On peut se féliciter à la fois des progrès médicaux et du fait que l'on peut vivre de plus en plus longtemps, tout en ayant une bonne qualité de vie. Paradoxalement, l'horloge sociale, c'est-à-dire les attentes que l'on a en ce qui a trait à la participation sociale d'un citoyen, recule. Donc, il y a effectivement deux discours. D'un côté, il y a celui qui, officiellement, dit: « Soyons heureux de vivre plus longtemps. » D'un autre côté, il y a celui qui dit: « Quittez le monde du travail et retirez-vous. »
D'ailleurs, le mythe de Liberté 55 est vraiment un faux mythe. Beaucoup de gens qui ont pris leur retraite à 55 ans sont retournés sur le marché du travail, non pas à temps plein, mais à temps partiel. Cela démontre que le travail n'est pas nécessairement un fardeau. Votre question est une grande question parce que cela touche à des mentalités et c'est une responsabilité collective. Cela veut dire qu'on doit changer tout le discours autour du travail. Le travail peut être quelque chose de valorisant et peut être un outil d'épanouissement dans la vie des individus qui souhaitent continuer à travailler.
Donc, changer une rhétorique veut dire changer celle d'un gouvernement et des chercheurs. Nous-mêmes, les chercheurs en gérontologie et en psychologie, pouvons parfois être « âgistes » sans même nous rendre compte. Le discours des médias est aussi très « âgiste ».
Votre question touche au discours axé sur le vieillissement. Comment change-t-on cela? Je pense que les campagnes de sensibilisation valorisant le travail et le vieillissement peuvent commencer à changer les mentalités lentement, mais sûrement.