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CIMM Rapport du Comité

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CHAPITRE 2 : FACTEURS CONTRIBUANT À LA VULNÉRABILITÉ DE la conjointe PARRAINÉE À LA MALTRAITANCE ET À LA DIFFICULTÉ DE METTRE UN TERME À UNE RELATION DE VIOLENCE

Des témoins ont brossé au Comité un tableau évocateur – à partir de leur expérience personnelle et de leur travail de première ligne auprès des femmes violentées et des nouvelles arrivantes – de la dynamique de violence que supportent certaines conjointes parrainées. Ces témoins ont insisté sur le fait que la violence conjugale ne connaît pas de frontière, indiquant que ce phénomène « se répand, peu importe la race, l’ethnie, la classe économique ou sociale, les compétences et l’âge[34] ». De ce fait, des témoins ont déclaré au Comité que, à certains égards, les conjointes parrainées vivent leurs problèmes et leurs difficultés issus de la violence conjugale de la même façon que les autres femmes au Canada. En outre, les éléments qui caractérisent la dynamique d’une relation de violence sont en grande partie les mêmes pour les conjointes parrainées, par exemple le contrôle qu’exerce leur partenaire sur leur liberté de mouvement et l’accès à des ressources financières et l’isolement imposé. De plus, à l’instar des autres femmes qui ont de la difficulté à mettre un terme à une relation de violence, les conjointes parrainées doivent elles aussi composer avec le manque de confiance, les craintes pour leurs enfants ou l’absence d’indépendance financière.

Toutefois, de l’avis de témoins, les conjointes parrainées ont également leur propre problématique qui s’explique en grande partie par leur statut d’immigration et leurs antécédents culturels. La présente section expose plus en détail les facteurs spécifiques aux conjointes parrainées qui contribuent à leur vulnérabilité à la maltraitance et à la difficulté qu’elles éprouvent à mettre un terme à une relation de violence. Plus particulièrement, cette section décrit leur vulnérabilité à la maltraitance du fait de leur arrivée récente au pays et de leur méconnaissance du Canada, de leurs antécédents culturels, des formalités de leur type de mariage et de leur statut d’immigration. Les descriptions qui suivent mettent en contexte les recommandations des témoins présentées au chapitre suivant, et le plan d’action que recommande le Comité en conclusion du présent rapport.

A. Vulnérabilité découlant de l’arrivée récente au Canada et de la dépendance à l’égard du répondant

Des témoins ont déclaré au Comité que les conjointes parrainées sont susceptibles d’être vulnérables à la maltraitance parce qu’elles sont arrivées récemment au Canada et qu’elles sont souvent dépendantes de leur répondant. Étant nouvelles au pays, elles ignorent leurs droits et les protections que leur garantit la loi ou, encore, elles connaissent mal les services à leur disposition. Du fait qu’elles se trouvent depuis peu de temps au Canada, elles sont susceptibles d’être à l’écart et isolées de tout réseau social ou des services sociaux. « Nous savons d’expérience que les femmes prises au piège de telles relations n’ont habituellement personne à qui s’adresser à part leur répondant et [sa] famille[35] », a déclaré Deepa Mattoo, de la South Asian Legal Clinic of Ontario. Swarandeep Virk, de la DIVERSEcity Community Resources Society, a expliqué au Comité que les conjointes parrainées ignorent tout des services d’établissement et que ce n’est qu’après l’intervention de la police et des services aux victimes qu’elles y ont accès[36].

Selon Melpa Kamateros, du Bouclier d’Athéna Services familiaux, l’isolement de certaines conjointes parrainées est tel qu’elles n’empruntent pas les transports en commun et n’ont pas accès à Internet[37]. Katie Rosenberger, de la DIVERSEcity Community Resources Society, a pour sa part expliqué au Comité que l’isolement peut mener à des situations de violence grave. Elle a décrit l’isolement en ces termes :

Ce genre d’isolement se produit souvent avec le consentement et la participation du conjoint et de sa famille, y compris sa mère et ses belles‑sœurs. Cet isolement peut aussi signifier d’être accompagnée à tous les rendez-vous, chez le docteur, à l’épicerie et même à un programme éducatif. Ces femmes n’ont pas le droit de travailler ni d’avoir accès à un téléphone. Si elles travaillent, c’est habituellement dans l’entreprise familiale ou dans un endroit où elles sont constamment surveillées par un autre membre de la famille[38].

Le fait de se trouver au Canada depuis peu de temps peut créer une dépendance envers le répondant. Comme l’a fait observer Kripa Sekhar, du South Asian Women’s Centre, la relation comporte souvent « une inégalité de statut fondé sur la durée de séjour au pays, et l’époux qui est au Canada depuis plus longtemps a une meilleure connaissance du contexte et plus d’appuis dans la communauté locale[39]. » Toutefois, cette dépendance est exacerbée par deux formes précises de dépendance qu’ont relevées de nombreux témoins, à savoir la dépendance financière et la dépendance linguistique.

Plusieurs témoins ont indiqué au Comité que les conjointes parrainées qui arrivent au Canada sont fréquemment dénuées de ressources financières. Même si elles disposent d’une certaine somme, reçue comme dot par exemple, la famille qui la parraine peut l’empêcher d’y avoir accès[40]. Certaines femmes ont indiqué être victimes d’exploitation financière de la part de leur répondant. Par exemple, le répondant peut avoir contracté des dettes ou une marge de crédit en leur nom ou, encore, avoir inscrit tous ses biens immobiliers au nom de ses parents ce qui, par le fait même, exclut la conjointe parrainée[41].

Par ailleurs, à l’instar d’autres immigrants, les conjointes parrainées ont souvent du mal à intégrer le marché du travail canadien, ce qui restreint leur capacité à gagner de l’argent pour elles-mêmes. À ce sujet, Marie-Josée Duplessis, du Collectif des femmes immigrantes du Québec, a évoqué le manque de places dans les garderies subventionnées, l’accès limité aux programmes d’intégration en emploi ou de formation, l’exigence d’une expérience de travail au Canada et les difficultés liées à la reconnaissance des acquis et des compétences[42]. Khadija Darid, d’Espace féminin arabe, a insisté sur la discrimination à laquelle se heurtent certaines femmes immigrantes qui tentent de se trouver un emploi au Canada[43]. Shirin Mandani, de Reh’ma Community Services, a indiqué que les barrières linguistiques constituent un obstacle pour les clientes de son organisme, pour qui les cours d’anglais langue seconde (ESL) et les Cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC) ne suffisent pas à se trouver un emploi[44]. Elle a ajouté que les compétences des nouvelles arrivantes ne répondent pas toujours à la demande du marché du travail canadien.

De nombreux témoins ont souligné que le manque d’information et l’isolement des conjointes parrainées sont aggravés par le fait qu’elles ont de la difficulté à s’exprimer en anglais ou en français[45]. Comme l’a expliqué Makai Aref, du Centre des femmes afghanes de Montréal, les femmes qui ne parlent ni l’anglais ni le français « ne peuvent pas communiquer leur situation aux travailleurs sociaux, aux avocats ou à la police […] et ne peuvent donc pas obtenir leur aide[46] ». Les barrières linguistiques les rendent d’autant plus dépendantes de leur répondant[47].

B. Vulnérabilité découlant des antécédents culturels

De nombreux témoins ont évoqué les barrières culturelles qui peuvent empêcher les femmes – et notamment les conjointes parrainées, mais pas exclusivement – de mettre un terme à une situation de maltraitance. Par exemple, certains témoins ont évoqué les perceptions culturelles différentes de la violence, qui n’incluent pas nécessairement la violence verbale, l’exploitation financière ou la violence psychologique[48]. Dans d’autres cultures, a-t-on déclaré, la violence physique contre les femmes peut être tolérée.

L’auteure canadienne Kamal Dhillon a déclaré que « [dans] bien des cultures, le mariage est considéré comme étant permanent, même si cela change peu à peu. On s’attend à ce que l’on demeure silencieuse et que l’on reste mariée peu importe les circonstances[49] ». D’autres témoins ont parlé des valeurs culturelles de la communauté, qui insistent sur la famille et l’« honneur », comme l’a expliqué Lorris Herenda, de la Yellow Brick House :

Dans certaines cultures, les femmes sont celles qui doivent préserver l’honneur de la famille, qui est contrôlé et protégé par les hommes. Si on juge qu’une femme a déshonoré la famille, elle peut être agressée ou, comme nous l’avons déjà entendu, tuée par quelqu’un qui commet un meurtre pour l’honneur. On jugera qu’une femme qui quitte son conjoint violent a déshonoré la famille et elle pourrait être assassinée pour cette raison.
Si une femme fuit un partenaire violent en compagnie de ses enfants, elle ne quitte pas seulement ce dernier. Elle quitte aussi la famille élargie, c’est-à-dire la famille de son mari, et parfois même la sienne[50].

Des témoins ont également suggéré que les membres du réseau culturel des conjointes parrainées, tels que les chefs religieux et les dirigeants communautaires, peuvent encourager ces dernières à demeurer dans la relation en dépit des mauvais traitements qu’elles subissent[51]. Selon certains témoins, les facteurs culturels peuvent contribuer à la violence dont sont victimes les femmes parrainées et, parallèlement, rendre très difficile pour elles de mettre un terme à la relation.

Enfin, des témoins ont suggéré que, même lorsque les conjointes parrainées reconnaissent se trouver dans une situation de maltraitance, elles sont parfois réticentes à communiquer avec la police, par crainte ou par méfiance, en raison de leur expérience avec les autorités dans leur pays d’origine[52]. Comme l’a expliqué Heather Neufeld, du Conseil canadien pour les réfugiés, les femmes peuvent avoir « peur de la police ou des autorités ici parce que dans de nombreux pays, les policiers sont des agents de la répression[53] ».

C. Vulnérabilité découlant de la forme du mariage

Le Comité voulait savoir si le type de mariage – par procuration, arrangé, « d’amour » – avait une quelconque incidence sur la vulnérabilité à la maltraitance. Aux dires de certains témoins, les mauvais traitements surviennent dans tous les types de mariages[54]. Selon Poran Poregbal, de la Greater Vancouver Counselling and Education Society for Families, « toutes les formes de mariages et de relations conjugales peuvent être accompagnées de violence et de mauvais traitements. Peu importe qu’il s’agisse d’un mariage en bonne et due forme ou d’un autre type de relation, peu importe l’âge, le sexe, le groupe ethnique et tout le reste, la violence peut être présente[55] ».

Le mariage forcé soulève de vives inquiétudes chez tous les témoins qui ont abordé la question. Dans un tel mariage, l’un des participants, ou les deux, est marié contre son gré. Mohammad Khan, du Muslim Canadian Congress, a qualifié le mariage forcé de « violation des droits fondamentaux et du droit à l’autodétermination[56] ». Des témoins ont dit considérer le mariage forcé comme une forme de violence familiale, où la femme est plus susceptible d’être victime d’autres formes de violence[57].

Des témoins ont reconnu que la distinction entre le mariage arrangé et le mariage forcé peut être subtile. De l’avis de Laila Fakhri, du Herizon House Women’s Shelter, il est fréquent que le mariage arrangé évolue en un mariage forcé; l’incidence de la maltraitance est plus élevée dans ces circonstances[58]. Enfin, la professeure Audrey Macklin a déclaré qu’il faut traiter avec précaution la question du mariage forcé de façon à ne pas nuire à la célébration des mariages arrangés légitimes[59].

D. Vulnérabilité découlant du statut d’immigration

Presque à l’unanimité, les témoins étaient d’avis que le statut d’immigration des conjointes parrainées constitue une source de vulnérabilité à la maltraitance et un obstacle à la rupture d’une relation de violence. Comme l’a expliqué Queenie Choo, de S.U.C.C.E.S.S., « [l]es femmes immigrantes qui participent au programme de parrainage de conjoints sont vulnérables aux mauvais traitements ou à la violence conjugale en raison du déséquilibre de pouvoir qui est inhérent à leur relation avec leur parrain[60] ». Elizabeth Long, avocate, a expliqué plus en détail ce déséquilibre :

[E]lles sont confrontées à un problème qui touche le système de parrainage d’un conjoint en tant que tel. En effet, ce système est fondé sur le fait que les membres de la famille demeurent ensemble. Si une femme quitte son mari, elle ne peut plus obtenir sa résidence permanente. Cette situation fait en sorte que l’agresseur jouit parfois d’un pouvoir immense, qui est amplifié par ce système[61].

La peur de perdre ou de ne pas pouvoir obtenir la résidence permanente au Canada, conjuguée à la crainte d’être expulsées du pays, est un facteur très puissant dans la vie des conjointes parrainées. Des témoins ont parlé de la vulnérabilité des conjointes en situation de résidence permanente conditionnelle et de la vulnérabilité des conjointes dont le parrainage au Canada a été rompu.

1. Conjointes parrainées en situation de résidence permanente conditionnelle

La plupart des témoins étaient d’avis que l’instauration, en 2012, de la résidence permanente conditionnelle pour certains types de conjointes parrainées avait accru leur vulnérabilité à la violence[62]. Plus précisément, certains témoins ont indiqué que le régime de résidence permanente conditionnelle renforce le pouvoir des répondants en leur donnant « un autre moyen de rendre les conjointes vulnérables ou de les exploiter [en donnant à un répondant la possibilité de] menacer sa conjointe de la renvoyer du Canada en retirant sa demande de parrainage[63] ». Mme Neufeld a décrit les différents moyens par lesquels un répondant violent pourrait user de ce pouvoir :

Le parrain peut menacer la femme en lui disant que si elle n’obéit pas, si elle ne se soumet pas à la violence conjugale et quitte avant la fin des deux ans, elle pourrait se retrouver sans statut. Il peut aussi la laisser, ce qui lui enlèverait son statut, ou il peut aussi dire au ministère de l’Immigration que le mariage était frauduleux, même si ce n’est pas vrai[64].

Alia Hogben, du Conseil canadien des femmes musulmanes, a également déclaré ce qui suit :

Ceux d’entre nous qui avons travaillé dans le domaine de la violence faite aux femmes savons que pour bon nombre d’entre elles, qu’elles soient éduquées ou non, indépendantes ou non, confiantes ou non, il est extrêmement difficile de signaler des mauvais traitements et de la violence. Imaginez combien il peut être encore plus difficile pour une nouvelle arrivante vivant dans une situation précaire de résidence permanente conditionnelle de se manifester[65].

Si les répondants ont toujours été en mesure de maintenir leur épouse parrainée sous leur joug en les menaçant de rompre la relation de parrainage et de les faire expulser du Canada, la résidence permanente conditionnelle peut faire de cette menace une réalité[66], ce qui en renforce la puissance et la crédibilité. En retour, cette mesure fait en sorte « qu’il est de plus en plus difficile pour les femmes qui vivent dans une famille où la violence règne de quitter ce milieu[67] ».

Compte tenu de la crainte légitime d’une déportation, bon nombre de conjointes parrainées ayant un statut de résidence permanente conditionnelle ne veulent pas courir le risque de mettre fin à une relation de maltraitance. Comme l’a suggéré Mme Hogben, « [i]l est probable que certaines femmes endureront deux ans de mauvais traitements [en raison de l’exigence de cohabiter pendant deux ans qui est liée à la résidence permanente conditionnelle] plutôt que d’entreprendre des démarches officielles auprès d’un agent de l’immigration[68] ».

Comme l’a expliqué Mme Virk, la carte et le statut de résident permanent sont si importants pour les conjointes parrainées qu’elles se méfieront peut-être de l’exception qui est prévue dans le Règlement[69]. La présentation d’une demande pour se prévaloir de l’exception prévue dans le Règlement pour motifs de mauvais traitements peut être perçue comme un geste risqué. Comme l’a expliqué Mme Macklin, le Règlement prévoit qu’une femme parrainée qui subit des mauvais traitements doit « amorcer la séparation — ce qui pourrait mener à son renvoi du Canada — sans, bien entendu, avoir l’assurance qu’on croira qu’elle est victime de maltraitance[70] ».

Certains témoins se sont beaucoup attardés sur les éléments de preuve que les conjointes doivent produire lorsqu’elles demandent à être exemptées de la condition assortie à la résidence permanente. Plusieurs témoins se sont dits inquiets de ce que le fardeau de la preuve visant à établir la maltraitance soit trop élevé, bien qu’ils aient une expérience limitée de la prestation de services d’aide en la matière. Néanmoins, ils ont relevé les difficultés auxquelles les conjointes parrainées pourraient se heurter pour fournir les éléments de preuve énumérés dans le Bulletin opérationnel 480. Insistant sur la réticence des conjointes à communiquer avec la police et leur isolement des services sociaux, ils ont fait valoir que les femmes maltraitées ne sont peut-être pas en mesure de présenter des rapports de police ou des lettres émanant de refuges pour femmes à titre de preuves corroborantes. Comme l’a expliqué Mme Sekhar, « [o]n s’attend à ce qu’elles fournissent des preuves de cohabitation et de mauvais traitements, ce qui est pratiquement impossible, vu le manque de signalement et la difficulté à obtenir des services. Dans bien des cas, c’est le répondant qui possède les documents attestant de la cohabitation[71] ». Faisant part de ses préoccupations, Claudia Andrea Molina, avocate, a parlé de son expérience pour ce qui est d’aider ses clientes à réunir les preuves de mauvais traitements dans le cadre de demandes présentées pour des motifs d’ordre humanitaire. À ce sujet, elle a déclaré que le processus est très compliqué et traumatisant pour ses clientes et, parfois – lorsqu’elles portent plainte à la police afin d’obtenir un rapport – qu’il peut avoir pour effet d’aggraver la violence[72].

En outre, des témoins ont expliqué que, grâce à l’éducation et à la formation linguistique, les femmes seraient en mesure de comprendre leurs droits dans le contexte du parrainage. À ce sujet, Kathryn Marshall a déclaré ce qui suit :

Je pense que le statut conditionnel n'est pas vraiment ce qui est en cause. La véritable question semble être l'accès des femmes maltraitées à l'aide et aux ressources nécessaires. Un des principaux obstacles que doivent surmonter les femmes dans ces situations est leur incapacité de parler une des langues officielles. En effet, il est très difficile d'accéder à des services de soutien de première ligne quand on n'est pas en mesure de communiquer, quand on ne connaît pas ses droits et quand on n'est pas certain de son statut juridique au pays[73].

Mmes Marshall et Siddiqui, de la Coalition of Progressive Canadian Muslim Organizations, ont toutes deux insisté sur la nécessité du statut de résident permanent conditionnel pour contrer les mariages de convenance.

2. Conjointes parrainées au Canada

Plusieurs témoins ont évoqué la vulnérabilité des conjointes qui se trouvent au Canada et dont la demande de parrainage est en cours de traitement. Habituellement, ces femmes ont un statut d’immigration temporaire au pays pendant que leur demande de parrainage est à l’étude. Par ailleurs, des femmes se sont trouvées sans statut lorsque la demande de parrainage était incomplète ou qu’elle n’avait pas été présentée, et leur statut temporaire est ainsi venu à échéance[74]. Parmi les autres exemples de rupture de parrainage cités par les témoins, notons celui d’une conjointe parrainée qui a mis un terme à la relation pour des motifs de violence, celui d’un répondant dont le retrait du parrainage faisait partie des mauvais traitements ou, encore, celui d’un répondant s’étant retiré du parrainage en guise de représailles à la suite d’un signalement de mauvais traitements[75]. Lorne Waldman, avocat, a déclaré que les femmes victimes de violence qui se trouvent dans cette situation sont les plus vulnérables parce qu’« elles n’ont aucun statut. Si, à quelque moment que ce soit, la procédure de parrainage est annulée, leur dossier est clos et elles peuvent être expulsées[76] ». Toutefois, la cliente a la possibilité de présenter une demande pour circonstances d’ordre humanitaire. Cette mesure discrétionnaire confère le pouvoir d’octroyer le statut de résident permanent à certains étrangers qui ne seraient admissibles au titre d’aucune catégorie dans les cas présentant des motifs d’ordre humanitaire.

Les femmes victimes de violence qui se trouvent dans cette situation sont encore plus vulnérables, car ce qui constitue souvent la seule ou encore leur meilleure option pour obtenir la résidence permanente – à savoir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire – est loin d’être assurée. En outre, elles peuvent être détenues ou expulsées du Canada sans qu’on ait tenu compte de ces facteurs[77]. Même lorsqu’une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée, il est toujours possible que la demanderesse soit expulsée du Canada avant qu’une décision n’ait été rendue[78].

Quelques témoins ont parlé du cas particulier des femmes maltraitées dont le parrainage a été rompu et qui sont mères d’enfants ayant la citoyenneté canadienne. L’un des exemples cités – dans un dossier s’étant conclu par l’acceptation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire – a montré comment l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada a réussi à empêcher la déportation de la mère[79]. Mme Choo a fait valoir que ces femmes peuvent se trouver dans une situation difficile, prises entre le droit de l’immigration et le droit de la famille, où elles vivent au Canada sans statut particulier tout en étant incapables de quitter avec leurs enfants sans le consentement de leur ex-conjoint[80].

Des témoins ont également parlé des façons par lesquelles le statut d’immigration renforce la vulnérabilité des victimes d’un mariage forcé. Selon ces témoins, se manifester en tant que victime d’un mariage forcé révèle la nature non consensuelle du mariage, ce qui a pour effet de l’annuler[81]. Non seulement les conjointes parrainées en situation de résidence permanente conditionnelle et les conjointes parrainées au Canada perdraient ainsi leur voie d’accès à la résidence permanente, mais elles pourraient aussi être vulnérables à des accusations de fraude en matière d’immigration. Par ailleurs, le mariage forcé n’entre pas dans la définition de la violence énoncée dans le Règlement[82] relativement à l’exception de la condition imposée à la résidence permanente, ce qui place les femmes dans une situation où elles n’ont d’autres choix que de demeurer dans une relation de maltraitance ou un mariage forcé durant la période conditionnelle de deux ans afin de ne pas perdre leur statut d’immigration[83]. À l’instar des autres femmes qui n’ont pas de statut d’immigration en raison de la rupture du parrainage, les victimes d’un mariage forcé doivent s’en remettre à une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour demeurer au Canada.


[34]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1550 (Debbie Douglas, directrice générale, Ontario Council of Agencies Serving Immigrants [OCASI]).

[35]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo, avocate-conseil à l’interne et directrice exécutive par intérim, South Asian Legal Clinic of Ontario [SALCO]).

[36]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1655 (Swarandeep Virk, conseillère, DIVERSEcity Community Resources Society).

[37]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1720 (Melpa Kamateros, directrice exécutive, Bouclier d’Athéna Services familiaux).

[38]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1625 (Katie Rosenberger, gestionnaire, Services de counselling, DIVERSEcity Community Resources Society).

[39]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1710 (Kripa Sekhar, directrice exécutive, South Asian Women’s Centre).

[40]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo).

[41]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1625 (Katie Rosenberger).

[42]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1635 (Marie-Josée Duplessis, adjointe à la direction, Collectif des femmes immigrantes du Québec).

[43]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1635 (Khadija Darid, directrice générale, Espace féminin arabe).

[44]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1640 (Shirin Mandani, directrice exécutive, Reh’ma Community Services).

[45]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1650 (Melpa Kamateros).

[46]      CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1535 (Makai Aref, présidente, Centre des femmes afghanes de Montréal).

[47]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1640 (Shirin Mandani).

[48]      CIMM Témoignages, 25 mars 2014, 1535 (Amel Belhassen, représentante, Volet femmes, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes); CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1630 (Katie Rosenberger).

[49]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1535 (Kamal Dhillon, auteure, Black and Blue Sari, à titre personnel).

[50]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1635 (Lorris Herenda, directrice exécutive, Yellow Brick House).

[51]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1555 (Mohammad Khan, président, Muslim Canadian Congress); CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1645 (Talat Muinuddin, président, Reh’ma Community Services).

[52]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1710 (Kripa Sekhar).

[53]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1630 (Heather Neufeld, représentante, Conseil canadien pour les réfugiés).

[54]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1610 (Amel Belhassen).

[55]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1715 (Poran Poregbal, fondatrice, directrice exécutive et thérapeute, Greater Vancouver Counselling and Education Society for Families).

[56]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1535 (Mohammad Khan).

[57]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1625 (Katie Rosenberger); CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1620 (Audrey Macklin, professeure et titulaire de la Chaire en droits de la personne, Faculté de droit, University of Toronto, à titre personnel).

[58]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1715 (Laila Fakhri, conseillère en services d’intervention d’urgence, Herizon House Women’s Shelter).

[59]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1620 (Audrey Macklin).

[60]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1540 (Queenie Choo, présidente-directrice générale, S.U.C.C.E.S.S.).

[61]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1545 (Elizabeth Long, avocate, Long Mangalji LLP, à titre personnel).

[62]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1530 (Amel Belhassen).

[63]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1540 (Audrey Macklin).

[64]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1630 (Heather Neufeld).

[65]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1725 (Alia Hogben, directrice exécutive, Conseil canadien des femmes musulmanes).

[66]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1705 (Deepa Mattoo).

[67]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1640 (Lorris Herenda).

[68]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1730 (Alia Hogben).

[69]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1700 (Swarandeep Virk).

[70]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1540 (Audrey Macklin).

[71]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1720 (Kripa Sekhar).

[72]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1655 (Claudia Andrea Molina, avocate, Cabinet Molina Inc., à titre personnel).

[73]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1615 (Kathryn Marshall, avocate, à titre personnel).

[74]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1540 (Queenie Choo).

[75]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1705 (Heather Neufeld); CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1540 (Avvy Yao‑Yao Go, directrice de clinique, Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic).

[76]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1655 (Lorne Waldman, avocat, Lorne Waldman & Associates, à titre personnel).

[77]      Ibid., 1620.

[78]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1705 (Heather Neufeld).

[79]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1620 (Lorne Waldman).

[80]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1540 (Queenie Cho); YWCA Metro Vancouver, YWCA Mothers without Legal Status Project, mémoire.

[81]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo).

[82]      La première version (octobre 2012) du Bulletin opérationnel 480, sur lequel se fondent les agents d’immigration pour décider d’accorder ou non une exception quant à la condition de cohabiter avec le répondant, ne tenait pas compte du mariage forcé. La version modifiée du Bulletin opérationnel 480 (11 juin 2014) définit le mariage forcé et explique qu’il peut être un indicateur de violence, sans toutefois l’établir comme un motif d’admissibilité à l’exception, ce qui nécessiterait une modification du Règlement.

[83]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo).