Au pays, quelque 600 000 à 990 000
Canadiens répondraient aux critères de diagnostic d’un trouble de
l’alimentation, à un moment donné, essentiellement d’anorexie mentale, de
boulimie mentale ou de frénésie alimentaire[1]. Environ 80 % des personnes souffrant de troubles de
l’alimentation sont des filles ou des femmes. Les troubles de l’alimentation
sont une forme sévère de maladie mentale « caractérisée par une
perturbation persistante du comportement alimentaire ou lié à l’alimentation,
qui entraîne une modification de la consommation ou de l’absorption d’aliments
et qui détériore considérablement la santé physique ou le fonctionnement
psychosocial[2] ». Les symptômes dévastateurs d’un trouble de
l’alimentation sont lourds de conséquences : la personne qui en souffre
peut voir sa santé mentale et physique se dégrader, ses relations personnelles
en souffrir, ses possibilités et ses perspectives de formation et d’emploi
compromises, sa sécurité financière menacée et sa qualité de vie se détériorer.
Qui plus est, ces troubles sont potentiellement
mortels. Les personnes aux prises avec un trouble de l’alimentation peuvent
développer des complications médicales susceptibles d’engager le pronostic
vital et sont aussi souvent atteintes de troubles concomitants, comme la
dépression. Fait particulier à noter : on estime que le taux de mortalité
global associé à l’anorexie mentale serait de 10 à 15 %, soit le taux le
plus élevé de toutes les maladies mentales, tandis que pour la boulimie
mentale, il s’établirait à environ 5 %. Ensemble, ces deux troubles
tueraient de 1 000 à 1 500 Canadiens par année, mais le nombre
pourrait être encore plus élevé étant donné que les troubles de l’alimentation
n’apparaissent pas toujours comme cause de la mort sur les certificats
de décès[3].
Dans son rapport intitulé Les troubles de
l’alimentation chez les filles et les femmes au Canada, le Comité
permanent de la condition féminine de la Chambre des communes (le Comité)
se penche sur cette maladie mentale pouvant entraîner la mort, sur les facteurs
contribuant au développement de troubles de l’alimentation, ainsi que sur les
obstacles empêchant de surmonter ces troubles et d’obtenir des traitements. Le
Comité a été troublé d’apprendre que malgré les souffrances et les taux élevés
de mortalité chez les personnes ayant un trouble de l’alimentation, il demeure
difficile pour ces personnes d’admettre leur état, de rechercher l’aide de
membres de la famille, d’amis ou d’autres intervenants dans la collectivité,
afin de recevoir un diagnostic officiel, posé par un professionnel de la santé,
et d’avoir accès à des traitements et à des services de soutien continu.
Comme le souligne le rapport, nombreux sont les
obstacles auxquels se heurtent les Canadiens aux prises avec un trouble de
l’alimentation. Parmi ces écueils, il y a le faible niveau de sensibilisation
aux troubles de l’alimentation; le manque de soutien à l’échelle locale; les
stéréotypes tenaces et la stigmatisation entourant ces troubles; les préjugés
au sein du secteur de la santé envers les patients souffrant de tels troubles; les
obstacles financiers; le problème des troubles concomitants; les obstacles à la
recherche et au suivi de l’information; et les défis particuliers que doivent
relever les populations marginalisées.
Comme l’indique également le rapport, il est aussi
très compliqué d’avoir accès à des traitements pour les personnes atteintes de
troubles de l’alimentation. En effet, certains fournisseurs de soins de santé
n’ont pas reçu de formation adéquate dans le domaine des troubles de
l’alimentation; les programmes de traitement sont insuffisants ou inappropriés;
les délais d’attente sont longs; et il n’y a pas assez de recherche sur
d’éventuels traitements. Le rapport examine aussi des pratiques de traitement
prometteuses, comme la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie
familiale (approche Maudsley).
Les conclusions du rapport se fondent sur les
témoignages recueillis dans le cadre de l’étude sur les troubles de
l’alimentation chez les filles et les femmes au Canada, que le Comité a
entreprise en novembre 2013. L’étude a commencé par les exposés des représentants
de Condition féminine Canada, de Santé Canada, de l’Agence de la santé publique
du Canada et des Instituts de recherche en santé du Canada. Aussi, 27 témoins
ont comparu devant le Comité – 4 à titre personnel et les autres
représentant pas moins de 20 organismes – durant les 9 réunions qui se
sont succédé de novembre 2013 à mars 2014.
Le Comité reconnaît l’importante contribution de
tous ceux qui sont venus témoigner, dont beaucoup pour parler de leur propre
expérience et de la difficulté à composer avec leur trouble de l’alimentation
ou à aider un proche qui en souffre. Un témoin a transmis le message suivant de
sa fille, aux prises avec ce trouble :
Tu ne cesses de répéter qu'à la même époque l'an
dernier, j'étais en train de mourir et, même si je ne cours plus le même danger
immédiat, ma tête est toujours autant, sinon plus, enfoncée dans le trou noir
le plus profond. J'ai un sentiment de catastrophe imminente, le même sentiment
que j'avais lorsque j'étais seule et que mon poids était à son plus bas et que
je me gavais et purgeais sans arrêt. C'est la peur profonde que je ne guérirai
jamais de ce trouble de l'alimentation. Je ne serai pas parmi le tiers qui
guérit. Je pourrais même être parmi les 20 % qui meurent [sic] […]
Il n'y a aucun endroit où aller en cas d'urgence.
Ils sont rares ceux qui comprennent. Je me réveille encore remplie de craintes
face à la journée qui commence. Comment vais-je passer à travers? Qu'est-ce que
je vais manger ou ne pas manger? Est-ce que je vais pouvoir m'empêcher de
manger les aliments qui déclenchent des crises? Je ne peux me concentrer sur
rien. Je peux à peine lire ou écrire ou trouver du plaisir dans quoi que ce
soit, car je suis constamment paralysée par la peur et l'anxiété, rongée par
l'indécision et l'envie d'être insensible[4].
Par ailleurs, le Comité reconnaît que bien que ce
rapport se penche sur les troubles de l’alimentation chez les filles et les
femmes, étant donné qu’environ 80 % des personnes qui en sont atteintes
sont de sexe féminin, beaucoup de garçons et d’hommes souffrent également de
tels troubles et ont aussi du mal à recevoir à la fois un diagnostic et
un traitement.
Enfin, les membres du Comité et les témoins
tiennent à souligner l’importance de cette étude, qui attire l’attention sur un
trouble mental souvent méprisé et mal compris affectant des centaines de
milliers de Canadiens et leur famille. Comme l’a expliqué un témoin :
« Le fait que le Comité de la condition féminine entreprenne d'étudier les
troubles de l’alimentation m'a donné bon espoir que nous pouvons travailler en
partenariat pour sauver la vie de personnes atteintes de cette terrible maladie
mortelle[5]. » Un autre témoin a déclaré :
Comme de nombreux dirigeants l’ont dit
publiquement au cours des dernières années, je crois qu’il n’y a pas de santé
sans santé mentale, et qu’il est essentiel de briser le silence et d’ouvrir le
dialogue lorsqu’on vit avec une maladie mentale — plus précisément un trouble
de l’alimentation[6].
Le Comité espère que son rapport contribuera à
briser le silence, à lancer une discussion essentielle et à améliorer
grandement la sensibilisation à l’égard des troubles de l’alimentation au
Canada ainsi que leur traitement.