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Merci. Je vous remercie de nous avoir invités.
Je vais tenter d'être claire et concise. J'ai lu les témoignages des témoins précédents. Je m'efforcerai de ne pas répéter leurs propos, même si je suis en grande partie d'accord avec eux. Comme vous entendrez des témoins qui vous donneront des statistiques et vous brosseront un tableau de la situation, j'ai préféré vous parler de mon expérience, mais bien entendu, je commencerai par vous donner quelques chiffres pour établir le contexte.
Hier, j'ai fait une recherche sur la page Web des IRSC pour voir quelles sommes avaient été consacrées aux subventions de fonctionnement dans le domaine des troubles de l'alimentation ces cinq dernières années. On a versé un total de 7,5 millions de dollars, ce qui me semblait beaucoup jusqu'à ce que je fasse la même recherche pour la schizophrénie et que je constate qu'on y avait consacré 86 millions de dollars, soit plus de 10 fois plus. Les troubles de l'alimentation sont tout aussi graves et plus répandus que la schizophrénie; c'est pour cela que j'ai fait la comparaison avec la schizophrénie. Ce sont donc 7,5 millions de dollars contre 86 millions de dollars.
J'aimerais vous donner d'autres chiffres.
Selon les données de Statistiques Canada, le taux d'obésité chez les adolescentes au Canada est de 9 %. Le taux de troubles de l'alimentation, lui, est approximativement de 18 %. Le taux de nouveaux cas de troubles de restriction de l'alimentation chez les enfants de 5 à 12 ans est quatre fois celui des nouveaux cas de diabète de type II au sein du même groupe.
Au Canada, il n'y a pas de programme intensif en santé mentale spécialisé dans le traitement des enfants souffrant de troubles de l'alimentation. C'est aussi le cas pour les adolescents dans au moins trois provinces et dans les trois territoires.
Les résidents en psychiatrie sont plus susceptibles d'être exposés aux stéréotypes négatifs des troubles de l'alimentation et d'être dissuadés de traiter les patients qui en souffrent que de recevoir la formation pertinente.
Je suis ici aujourd'hui parce que je suis l'une des principales expertes en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, ce qui est un peu inquiétant, car, comme je n'ai pas encore une longue carrière, je ne devrais pas occuper un poste de niveau supérieur. Si j'occupe ce poste, c'est qu'il n'y a personne de plus chevronné. J'ai lancé le programme de premiers soins pour les adolescentes souffrant de troubles mentaux alors que j'étais encore étudiante boursière. J'ai participé à la création de deux [Note de la rédaction: difficultés techniques]... programmes, un deuxième programme de traitement de jour, un programme en établissement et un programme externe. Je suis membre fondatrice et première présidente de l'Association des troubles alimentaires du Canada. Si j'ai fait tout cela, c'est qu'il n'y avait personne d'autre pour le faire.
Il y a deux ou trois ans, j'ai cessé de demander des subventions de recherche aux IRSC. J'ai aussi abandonné l'idée de devenir professeure titulaire. Je resterai probablement professeure adjointe. J'ai récemment quitté un poste à temps plein à l'hôpital universitaire pour enfants qui dispense nos services spécialisés en troubles de l'alimentation, non pas parce que mon travail n'est pas à la hauteur — pendant ma carrière, j'ai reçu de nombreux prix pour mon travail —, mais parce qu'il y a trop d'obstacles et que j'en ai assez de tenter de les surmonter.
S'il ne s'agissait que de moi, vous perdriez votre temps à m'écouter. Or, presque tous les pédopsychiatres du Canada qui ont tenté de travailler dans le domaine des troubles de l'alimentation vivent la même chose.
S'il n'y a pas de psychiatre plus chevronné que moi, c'est qu'après 10 ans de frustration — le cycle semble durer 10 ans —, la génération précédente s'est épuisée et est partie.
Je vois maintenant des collègues de ma génération qui quittent le domaine. Un peu partout au pays, des pédopsychiatres experts partent, laissant [Note de la rédaction: difficultés techniques]... des postes qui sont pourvus par des médecins récemment diplômés ayant peu de formation et moins d'expérience ou par des pédiatres, quand ils ne restent pas vacants. C'est ce qui se produit, à une exception près, dans l'ensemble des sept provinces qui pourraient avoir un programme de soins tertiaires ou de soins spécialisés intensifs pour le traitement des troubles de l'alimentation chez les adolescentes.
Je reprends la dernière partie.
Un peu partout au pays, des psychiatres chevronnés experts partent, laissant des postes à la tête de programmes de soins tertiaires, postes qui sont pourvus par des médecins récemment diplômés ayant peu de formation et moins d'expérience ou par des pédiatres, quand ils ne restent pas vacants. C'est ce qui se produit, à une exception près, dans l'ensemble des sept provinces qui ont actuellement un programme de soins tertiaires ou de soins spécialisés intensifs pour le traitement des troubles de l'alimentation chez les adolescentes.
Accepterait-on une telle situation pour toute autre maladie grave? Que ferait-on si tous les cardiologues chevronnés cessaient de pratiquer la pédocardiologie? Ne serait-ce pas une crise? Accepterait-on que les programmes de cardiologie ne recrutent que de nouveaux diplômés n'ayant pas ou pratiquement pas de formation? Accepterait-on qu'ils recrutent des cardiologues n'ayant aucune formation en soins spécialisés aux enfants? Peut-être qu'un spécialiste de la chirurgie pédiatrique thoracique pourrait diriger les services de cardiologie. Après tout, le coeur se trouve à l'intérieur du thorax, n'est-ce pas? Cela devrait aller.
Quand les familles cherchent un programme spécialisé, elles tiennent pour acquis que le traitement sera offert par des experts ayant la formation et l'expérience pertinentes. Pourquoi les enfants et les adolescents souffrant de troubles de l'alimentation n'auraient-ils pas aussi ce droit?
Pourquoi? À cause de la discrimination qui a cours au sein du système de soins de santé et de santé mentale, et non pas dans la collectivité. Mes collègues chercheurs, universitaires et cliniciens n'aiment tout simplement pas les patients souffrant de troubles de l'alimentation et ils trouvent les gens comme moi dérangeants.
Si vous soulevez la question du manque de formation, on vous répondra qu'on fait mention des troubles de l'alimentation pendant la formation et que c'est déjà beaucoup. Si vous dites qu'il faut plus de services, on vous répondra qu'il y en a déjà bien assez car, après tout, c'est une maladie rare. Si vous demandez une subvention de recherche pour mener une étude inédite sur les conséquences médicales à long terme des troubles de l'alimentation, on vous classera dans la catégorie de la nutrition et votre demande sera rejetée parce qu'aucune diététicienne ne participe à l'étude.
À l'instar de bon nombre de mes collègues, j'ai baissé les bras. Je n'ai pas abandonné les personnes souffrant de troubles de l'alimentation. J'ai plutôt renoncé à pratiquer au sein des établissements médicaux qui ne savent pas soigner nos patients. Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons. Nous saisissons toutes les occasions de plaider notre cause. Les institutions ne s'intéressent à nous que si nous obtenons des subventions, mais peu importe les besoins ou le montant des subventions, les troubles de l'alimentation sont rarement prioritaires dans les établissements.
Je témoigne aujourd'hui parce que je vois des patients qui deviennent des malades chroniques, faute d'un accès rapide aux services dont ils ont besoin et qui sont dispensés dans le respect. J'en ai assez de voir des parents supporter l'humiliation et la discrimination dans l'espoir que leur enfant reçoive des soins. Aucun parent ne devrait être forcé de voir son enfant mourir lentement de faim parce qu'elle est trop malade pour la clinique externe ou les soins à domicile, mais qu'on refuse de l'admettre à l'hôpital parce qu'on n'aime pas s'occuper des cas de troubles de l'alimentation et qu'on n'en a pas envie.
C'est la norme ici, au Canada, et c'est inacceptable.
Que peut faire le gouvernement fédéral?
Premièrement, il nous faut un registre national des troubles de l'alimentation afin que nous puissions suivre ceux qui en souffrent. À l'heure actuelle, il n'y a pas de base de données nous fournissant les données fiables dont nous avons besoin. Or, si nous ne mesurons pas l'ampleur du problème, c'est comme si le problème n'existait pas.
Il nous faut une stratégie de recherche financée par le gouvernement fédéral. Les stratégies actuelles de financement font en sorte que nos collègues refusent de partager... [Note de la rédaction: difficultés techniques]... avec nous. Nous ne pouvons plus nous contenter de miettes. Il faut aussi financer l'infrastructure qui facilitera la formation et l'application des connaissances dans toutes les régions du pays et à tous les niveaux de formation.
Des interventions, fondées sur des données probantes, ont mené à des taux de rétablissement de 60 à 70 % chez les adolescentes souffrant de graves troubles de l'alimentation, mais on ne dispense ces soins de façon cohérente et rapide nulle part au pays. En fait, ces services n'existent qu'à de rares endroits au pays, et les adolescentes qui ont la malchance d'en être privées sont condamnées à la maladie chronique et à une espérance de vie réduite.
Notre pays doit agir maintenant.
Ce cycle de négligence ne doit pas se répéter. Qu'il soit maintenant chose du passé.
Merci.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
Je vous parle aujourd'hui au nom de mes deux rôles. D'abord, à titre de chercheuse scientifique principale associée à l'hôpital pour enfants, où je me suis occupée pendant 17 ans d'un programme de recherche sur la prévention des troubles de l'alimentation. Ensuite, à titre de psychologue et de directrice d'un programme de formation provincial axé sur le traitement des troubles de l'alimentation et qui est financé par le ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée.
Ma recherche axée sur la prévention prône une approche qui tient compte du cheminement entier d'une vie et qui est centrée sur la promotion de la santé mentale afin de créer des mécanismes d'adaptation sains pour composer avec les facteurs de stress qui mènent à des troubles de l'alimentation.
La première moitié de ma carrière de recherchiste a été financée par la Fondation ontarienne de la santé mentale, le Conseil ontarien des services de santé pour les femmes, ainsi que les IRSC grâce à la bourse pour l'application des connaissances. Au milieu de ma carrière, j'ai reçu un prix de l'Institut de la santé des femmes et des hommes, qui relève des IRSC.
J'ai cerné des facteurs de stress normatifs chez les jeunes adolescents qui peuvent déclencher des troubles de l'alimentation chez les jeunes femmes. Cela a mené à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation de la prévention des symptômes qui aboutissent à des troubles de l'alimentation chez les jeunes femmes.
J'ai ensuite formé des praticiens en santé publique à l’échelle locale pour qu'ils puissent promouvoir la prévention. J'ai ensuite fait de la recherche sur le sujet. J'ai été la première à élaborer et à faire de la recherche sur un programme de prévention écologique fondé sur les écoles, qui est conçu pour prévenir les troubles de l'alimentation en faisant appel à la participation des élèves, garçons et filles, des parents, des enseignants, du personnel de l'école et de celui de la santé publique.
En raison du risque de souffrir d'un trouble de l'alimentation dans les dernières années de l'adolescence, j'ai créé un partenariat avec des praticiens dans les services de santé pour étudiants à l'université, afin d'élaborer, de mettre en oeuvre et évaluer un programme de prévention destiné aux étudiants universitaires et dans le cadre duquel les éducateurs en santé servent d'agents du changement. J'ai transposé les stratégies fondées sur les preuves en programmes en ligne pouvant être consultés par les enseignants et des employés de la santé publique. J'ai jumelé le tout aux objectifs d'apprentissage du ministère de l'Éducation pour en accroître l'utilisation par les enseignants de l'Ontario, de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique.
La coordination de mes activités de recherche sur la prévention et d’application des connaissances a été rendue possible grâce à ma participation active et bénévole à de nombreuses coalitions, notamment la Coalition ontarienne pour des écoles en santé, la Body Image Coalition of Peel et l'Association canadienne pour la santé en milieu scolaire et grâce aux ateliers face à face axés sur une prévention fondée sur les collectivités que j'ai tenus partout dans la province de l'Ontario.
Ce que ma recherche de prévention comporte d'unique et de novateur, c'est qu'elle a pu accroître les facteurs de protection et décroître les facteurs de risque liés aux troubles de l'alimentation et à l'obésité. Ces stratégies de prévention font également la promotion d'un sentiment d'appartenance et d'attachement chez les jeunes. Cela leur permet notamment de se protéger contre une kyrielle de problèmes de santé mentale et de comportements à risque.
J'ai élargi mon programme de recherche de deux manières depuis 2007. D'abord, j'ai réduit l'écart entre la prévention sur les troubles de l'alimentation et l'obésité, afin que l'on arrive à un terrain commun qui permet de promouvoir la santé. Ensuite, j'ai élargi la portée de mes partenariats afin qu'elle soit pancanadienne. À l'heure actuelle, je chapeaute un modèle de formation pour le développement professionnel qui vise à aider les promoteurs de santé de première ligne à intégrer la promotion de la santé mentale dans leur message au sujet d'un poids santé. De plus, je dirige une stratégie pancanadienne de mobilisation des connaissances, soit le groupe pour une stratégie nationale de prévention de l'obésité et des troubles de l'alimentation. Tout cela a été effectué grâce à un financement pilote de la part des IRSC, au montant de 68 000 $.
Le caractère intermittent du financement de cette recherche a fait en sorte que ce programme de recherche a été interrompu. Des demandes concurrentes auxquelles font face les praticiens et les éducateurs en matière de santé publique, que j'ai également formés, ont noyé le besoin de mettre l'accent sur la prévention des troubles de l'alimentation et l'intervention précoce.
Dans le domaine de recherche sur la prévention des troubles de l'alimentation, la prévention ciblée, qui se traduit par des interventions conçues pour les élèves du secondaire et qui ont pour objectif d'empêcher les premiers symptômes de se développer et de se transformer en troubles de l'alimentation, a produit les effets d'intervention les plus importants dans ce domaine de recherche. Cela veut donc dire que ces interventions sont les plus efficaces. En revanche, il n'existe pas de prévention ciblée pour les adolescents canadiens.
Cette lacune dans le service, que l'on pourrait également appeler la vallée de la mort, coïncide avec la période à laquelle les jeunes sont le plus à risque de développer des symptômes de troubles de l'alimentation et de devoir composer avec ces enjeux de santé mentale. Jusqu'à 25 % des enfants et des jeunes Canadiens font face à des problèmes de santé mentale considérables, et 50 % de ces problèmes apparaissent avant l'âge de 14 ans. Les troubles de l'alimentation n'en font pas exception. Ils se retrouvent dans la même catégorie de prévalence et d'apparition.
Le tiers des jeunes qui risquent d'être atteints de problèmes de toxicomanie, dont la plupart sont des filles, ont également un trouble de l'alimentation concomitant. Et pourtant, il n'y a aucun programme au Canada qui traite la toxicomanie et le trouble de l'alimentation comme des troubles concomitants. En fait, il n'y a que l'organisation Rideauwood Addiction and Family Services d'Ottawa qui s'intéresse à notre champ d'étude sur les troubles alimentaires et leur traitement. Ainsi, cette petite organisation pourra être la première à mettre sur pied un centre de traitement et de prévention concomitante pour les troubles de l'alimentation et la toxicomanie.
Il semblerait que nous soyons dotés, au Canada, de ressources et de politiques qui permettent de mettre l'accent sur la promotion de la santé de toute la population en amont. On accorde également de l'attention à la santé maternelle et au bien-être de la petite enfance, pour les enfants âgés de zéro à six ans. On s'intéresse aussi aux adultes. Toutefois, il existe un énorme fossé en ce qui a trait à la recherche en intervention et aux ressources disponibles pour les gens âgés de 6 à 19 ans ou de 6 à 24 ans.
En travaillant avec l'Ontario Community Outreach Program for Eating Disorders, grâce au soutien généreux du ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée, mes collègues et moi avons mis sur pied un programme de formation provincial. Cette approche, qui tient compte du cheminement entier d'une vie, offre de la formation et de la surveillance ainsi qu'un traitement pour les troubles de l'alimentation qui est fondé sur les données. Le programme vise à établir des partenariats entre les secteurs.
Grâce à un petit investissement de 100 000 $ en 1994, nous avons sillonné la province de l'Ontario. Cela nous a permis d'identifier des champions qui, avec notre soutien, ont voulu se spécialiser dans le traitement des troubles de l'alimentation et éduquer les praticiens en soins de santé et les éducateurs pour qu'ils nous aident à recenser les troubles et à procéder à une intervention précoce, dans la mesure du possible.
Grâce à un investissement supplémentaire de la part du ministère de la Santé de l'Ontario, nous avons pu créer un réseau provincial qui était le premier en son genre et qui rassemblait des fournisseurs de services spécialisés en troubles de l'alimentation.
Malgré tous les efforts que nous déployons, nous ne pouvons combler la lourde demande en ce qui a trait à un traitement spécialisé. Il faut également tenir compte de la complexité croissante du sujet et des conditions de comorbidité qui accompagnent les troubles de l'alimentation, comme l'anxiété, la dépression ou la toxicomanie. Nous avons besoin d'aide de la part des fournisseurs de soins dans les domaines de la santé mentale et de la toxicomanie.
Je vous recommande donc d'indiquer, dans votre rapport, que nous avons besoin de nous doter d'un système qui permettra de faire le suivi des troubles de l'alimentation à l'échelle nationale. Il nous faut un registre. Nous devons établir des lignes directrices pour traiter et prévenir les troubles de l'alimentation. Ces lignes directrices devraient comprendre des dispositions qui porteraient sur les troubles de l'alimentation des enfants et des adolescents, des adultes, ainsi que des jeunes adultes en transition. Nous avons besoin d'un mécanisme de transfert de connaissances pour que nous puissions utiliser ces lignes directrices dans plusieurs disciplines et départements.
Nous avons besoin d'une chaire de recherche sur la prévention des troubles de l'alimentation et sur le traitement des troubles de l'alimentation. Il en faudrait une pour les adultes et une autre pour les enfants et les jeunes.
Nous avons besoin d'une stratégie pour pouvoir communiquer avec les praticiens en soins primaires, notamment les médecins de famille, qui représentent souvent le premier point de contact pour le public. Malgré cela, ils sont les moins outillés pour reconnaître les troubles de l'alimentation et offrir une intervention en temps opportun.
Enfin, en tant que domaine d'étude, nous devons rassembler les paliers fédéraux, provinciaux et territoriaux qui sont responsables de la santé mentale, afin que les troubles de l'alimentation fassent partie de sujets abordés en table ronde et que l'on parle notamment de la réduction des préjugés, de l'application des connaissances, des conseils de jeunes, des lignes directrices pour les fournisseurs de soins de santé, de la formation des interlocuteurs et des trousses d'outils.
En bref, nous voulons mettre un terme à la discrimination à laquelle fait face le domaine des troubles de l'alimentation afin que nous puissions répondre aux besoins des personnes et de leurs familles, car elles ont désespérément besoin de notre aide.
Merci.
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J'aimerais préciser qu'il s'agit d'un article de recherche et non d'un livre.
Nous voulions faire valoir que les patients qui souffrent de troubles de l'alimentation sont comme tous les autres patients en santé mentale, et parfois leur maladie fait en sorte qu'ils ne sont pas capables de donner leur consentement à un traitement, surtout lorsqu'il s'agit de patients très jeunes. Dans le cas d'un enfant de 12 ans à qui on a permis de refuser un traitement, il faut se demander... [Note de la rédaction: difficultés techniques]... si l'enfant comprend vraiment les conséquences de son choix.
Un cadre féministe comprend non seulement l'idée du consentement éclairé et la liberté de prendre des décisions, mais aussi la responsabilité et l'obligation des familles de prendre soin d'elles-mêmes. La plupart des individus vivent en famille et prennent leurs décisions indépendamment de leurs familles.
Parfois les individus refusent de se faire traiter parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire garder leurs enfants. J'ai moi-même vu une personne remettre son traitement à plus tard parce qu'elle ne pouvait pas faire garder ses enfants pendant les vacances de Noël. Elle n'a pas pu suivre le traitement parce qu'elle devait être à la maison avec ses enfants.
L'article disait non pas que le traitement doit être imposé, mais plutôt que les gens ont des familles et qu'il faut éviter de causer du tort, et il faut s'assurer que les familles peuvent s'occuper des membres de la famille.
Comme c'est le cas avec d'autres troubles de santé mentale, lorsque vient le moment où les patients ne peuvent plus prendre des décisions rationnelles en ce qui les concerne, nous devons agir de la même façon que nous le faisons pour d'autres troubles. C'était en réaction directe à l'absence d'intervention, même quand c'était clair que les personnes étaient affamées au point où elles ne réfléchissaient pas clairement et qu'antérieurement, elles avaient choisi la thérapie ou auraient choisi un traitement si elles avaient été en pleine possession de leurs moyens.
Nous ne devrions pas permettre aux gens de prendre des décisions qui ont comme conséquence de mettre fin à leur vie. Nous ne le faisons pas dans des cas de schizophrénie. Nous ne le faisons pas dans des cas de dépression. Nous ne devrions pas le faire lorsqu'il s'agit de troubles de l'alimentation. J'ai des collègues qui ne peuvent pas agir parce qu'il n'y a aucun endroit pour traiter les patients. Personne ne veut les prendre dans une unité verrouillée. Ces gens n'ont pas les mêmes droits.
Je dirais que les enfants de 10 ou 12 ans n'ont pas la capacité de décider de mourir d'un trouble de l'alimentation. Je prends ces choses-là très au sérieux.
Je pense qu'on s'est laissé emporter par cette panique entourant l'obésité. Il y a, de toute évidence, une épidémie d'obésité. Cependant, autant que je sache, le taux d'obésité chez les enfants est essentiellement stable. En fait, des données récentes en provenance des États-Unis laissent entendre que chez les plus jeunes, le taux d'obésité diminue au lieu d'augmenter. Nous continuons à faire comme si nous devions absolument faire quelque chose pour s'assurer que les enfants ne soient pas obèses, mais dans notre empressement, nous créons une sorte de panique. Ce qui se produit, c'est que les enfants commencent à penser que le gras est mauvais et que c'est mal d'être gros.
Vous savez, il y a des études qui démontrent que les enfants préféraient qu'un de leurs parents meure du cancer, ils préféraient perdre un bras ou être frappés par un camion plutôt que d'être gros. L'embonpoint est l'une des principales raisons pour lesquelles les enfants font l'objet d'intimidation. D'autres se sentent justifiés lorsqu'ils entendent leurs enseignants, leurs médecins et leurs parents dire que l'obésité est quelque chose d'horrible. C'est quelque chose qu'ils comprennent mal. Il nous faut ralentir et réfléchir aux messages que nous transmettons.
Je tiens à féliciter Hasan Hutchinson, qui a témoigné un peu plus tôt, pour ses travaux en santé publique dans le cadre desquels elle s'est véritablement efforcée de nous amener à accorder moins d'importance au poids et davantage d'importance aux modes de vie sains. Vous pouvez faire de l'embonpoint et être en santé. Vous pouvez être mince et ne pas être en santé. On ne peut pas déterminer l'état de santé de quelqu'un uniquement par un chiffre, et pourtant cela semble être le message que nous transmettons. Depuis récemment, on tente de mettre l'accent sur l'éducation physique et le savoir-faire physique, mais j'ai aussi entendu des gens suggérer que l'on devrait tenir compte de l'IMC des élèves dans la note qu'ils obtiennent pour leur cours d'éducation physique, comme si les enfants pouvaient le contrôler.
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Je remercie le comité de m'avoir invitée aujourd'hui.
Je suis Jarrah Hodge, militante et blogueuse féministe, de Vancouver. Je dirige un blogue féministe d'un collectif d'auteurs qui s'appelle Gender Focus.
L'un de nos principaux objectifs est d'analyser les façons dont les femmes sont représentées dans les médias. C'est dans cette optique que je m'engage auprès de Women, Action and the Media, WAM, à Vancouver. WAM est un groupe de créateurs médias, de militants, d'universitaires et de sympathisants qui travaillent ensemble pour faire progresser la participation des femmes dans les médias et pour améliorer leur représentation. Plusieurs membres du groupe m'ont parlé de leur expérience et m'ont aidée à orienter mes recherches pour préparer mon exposé d'aujourd'hui, et je les en remercie.
Je suis certaine que les autres témoins vous ont parlé des problèmes graves dont nous discutons aujourd'hui et des statistiques qui révèlent que les troubles de l'alimentation font partie des 10 principales causes d'invalidité chez les jeunes femmes. Nous savons que tant des fillettes d'à peine cinq ans que des femmes âgées peuvent être atteintes de troubles de l'alimentation.
La situation des femmes et des filles ne devraient pas nous amener à marginaliser ou à oublier les patients de sexe masculin. Nous ne ferions qu'ériger davantage de barrières pour les hommes qui veulent accéder à des traitements. Cette différence entre les hommes et les femmes montre bien la nécessité d'effectuer des recherches et des analyses qui tiennent compte du sexe. Je suis ravie de voir que le comité fait sa part grâce à cette étude.
Nous savons que les troubles de l'alimentation découlent d'une interaction complexe des facteurs biologiques, génétiques, psychologiques, comportementaux et sociaux.
Mes observations d'aujourd'hui porteront sur l'un des facteurs sociaux clés, c'est-à-dire l'influence des médias et de la publicité.
Il serait difficile de ne pas constater que dans les médias populaires, la minceur est sous les projecteurs tandis que la grosseur est cachée, ou si elle est montrée, elle s'accompagne de honte. L'idéal de minceur d'aujourd'hui est plus mince que par les générations passées. Cet idéal ne reflète pas non plus ce qu'on observe dans la population en général aujourd'hui.
À un très jeune âge, les filles apprennent que leur corps sert à attirer plutôt qu'à agir, ce qui fait en sorte que l'atteinte d'un idéal de beauté est essentielle, et ce, pendant toute la vie.
Des recherches menées l'année dernière à l'Université Pepperdine ont examiné des filles de l'âge de 3 à 5 ans et ont conclu qu'elles avaient déjà internalisé les stéréotypes fondés sur le poids. Les filles avaient plus tendance à associer les corps minces à des personnes gentilles, intelligentes, belles, soignées et tranquilles, tandis qu'elles associaient les corps plus ronds à des personnes méchantes, stupides, sans amies, négligées et tapageuses. Il n'est pas difficile d'imaginer qu'elles peuvent se juger elles-mêmes de la même façon.
L'Association canadienne pour la santé mentale déclare que l'aspect glamour associé dans les médias aux soi-disant corps idéaux, combiné à la perception que les régimes constituent une activité normale, peut voiler les problèmes d'alimentation d'une personne.
Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont examiné les liens entre l'image véhiculée dans les médias, l'image corporelle des femmes et les troubles de l'alimentation. Dans une méta-analyse de ces études, Shelly Grabe et ses collègues ont remarqué que « les approches prospectives et longitudinales dans la recherche ont révélé que l'insatisfaction à l'égard du corps est l'un des facteurs de risque les plus constants et les plus menaçants pour les troubles de l'alimentation comme la boulimie ».
Grabe a analysé 77 études, y compris des études expérimentales menées en laboratoire et des études corrélationnelles qui comparent la consommation médiatique réelle des femmes avec leur image corporelle au fil du temps. Les analyses ont révélé une relation entre la quantité de consommation médiatique et l'intensité des symptômes de troubles de l'alimentation, en plus d'autres problèmes liés à l'image corporelle.
Les données sont convaincantes et indiquent qu'on peut prendre certaines mesures. Avant d'en parler, je dois souligner trois lacunes importantes dans la recherche et dans notre façon de parler des troubles de l'alimentation et d'y réfléchir en général.
D'abord, se concentrer uniquement sur l'idéal de minceur peut nous empêcher de réfléchir au rôle que jouent la honte et les infamies qu'on associe à la grosseur. Kalamity Hilderbrandt de Fat Panic! à Vancouver affirme que les comportements alimentaires problématiques ne sont pas seulement liés à un objectif d'idéal de minceur. Elle affirme qu'il y a aussi tout un contexte culturel derrière cet objectif qui est véhiculé dans les médias qui vilipendent la grosseur. Le message? « Regardez comment on traite les gros. »
Je reviens à l'étude Pepperdine. Que la grosseur soit synonyme de sans ami, laid, méchant, stupide et tapageur est tout aussi important que ce que la minceur signifie pour les filles. L'auteur de l'étude, Jennifer Harriger a affirmé: « De nombreuses fillettes de trois ans m'ont dit ‘Je la déteste, elle est grosse’ ou encore ‘Elle a un gros ventre, je ne veux pas lui ressembler’. » Pour moi, c'était préoccupant de constater que des enfants si jeunes avaient une opinion si tranchée à propos des personnes avec un surplus de poids.
Lorsqu'il est question de troubles de l'alimentation, les suppositions relatives au poids et à la grosseur peuvent être dévastatrices. De nombreux programmes dans les hôpitaux refuseront d'accueillir des patients parce qu'ils ne sont pas assez minces. Dans certains hôpitaux, on est forcé de dire aux gens qu'ils doivent être plus malades avant d'obtenir un traitement. Que le poids soit un critère de décision démontre à quel point la compréhension des incidences physiques des différents troubles de l'alimentation est simpliste et à quel point différents facteurs sont pris en considération pour différentes personnes.
Nous devons nous assurer de ne pas vivre dans une société où les comportements considérés comme problématiques chez les gens minces, comme les régimes extrêmes et la purge, sont acceptés et même encouragés chez les personnes obèses.
Je dois souligner une autre lacune: l'observation de Grabe selon laquelle les femmes de couleur sont extrêmement négligées dans ce secteur de recherche. C'est un aspect qu'il faudra changer à l'avenir. Nous devons effectuer davantage de recherches de qualité sur la façon dont les femmes de couleur et les femmes des Premières Nations vivent avec les troubles de l'alimentation, sur les liens que l'on peut faire avec les messages véhiculés dans les médias et sur l'accès ou le manque d'accès aux traitements adéquats offerts aux communautés culturelles au Canada.
Enfin, nous devons penser davantage aux gens de la communauté LGBT et à la façon dont les troubles de l'alimentation sont façonnés par leur identité. Pour eux, la violence, l'intimidation et la peur du rejet qu'ils vivent sont peut-être plus intenses et peuvent augmenter le risque de souffrir de troubles alimentaires. Il faut aussi se demander s'ils sont confrontés à des obstacles supplémentaires dans l'accès au traitement en comparaison aux personnes hétérosexuelles ou cisgenres.
Or, les recherches nous démontrent qu'il y a des sphères où nous pouvons agir dès maintenant. Le plus important, dans le contexte de mes observations d'aujourd'hui, c'est la nécessité de présenter de nouveaux programmes de littératie médiatique dans nos écoles et d'enrichir les programmes qui existent déjà. Groesz, Levine et Martin définissent la littératie médiatique comme l'éducation qui sensibilise à l'utilisation des médias, ce qui comprend l'analyse du contenu et les intentions, et qui encourage la participation à une forme de campagne de sensibilisation aux médias ou de militantisme.
J'aimerais parler brièvement d'une autre méta-analyse, qui concerne l'efficacité des programmes de littératie médiatique. Szabo a analysé des études portant sur des programmes de partout en Europe et en Amérique du Nord et a conclu que les programmes de littératie médiatique s'avèrent efficaces et pourraient potentiellement atténuer des facteurs de risque généraux et précis relatifs aux troubles de l'alimentation.
Toutefois, il n'est peut-être pas suffisant de prévoir une courte période de temps en classe un après-midi pour donner de l'information sous forme d'exposé.
La même méta-analyse révèle que les programmes de prévention de littératie médiatique les plus efficaces étaient des programmes complexes qui comprenaient des volets ne se concentrant pas seulement sur l'image corporelle et sur les problèmes liés aux habitudes alimentaires, mais qui mettaient aussi l'accent sur la lutte contre la pression sociale et l'amélioration d'une pensée critique à l'égard des normes de la société et des messages véhiculés dans les médias. Yager et O'Dea confirment ces conclusions. Ils ont conclu que les programmes comprenant un volet de littératie médiatique bien réfléchie comptaient parmi les plus efficaces pour aider les jeunes à composer avec l'image corporelle et les troubles de l'alimentation.
J'ai plus de renseignements à propos de programmes précis qui ont fait l'objet de recherches et qui se sont révélés efficaces, mais je n'ai pas le temps d'en parler davantage. Peut-être pourrons-nous en discuter pendant les questions.
Pour conclure, je n'ai abordé qu'un seul facteur qui influe sur les troubles de l'alimentation et leurs conséquences pour les filles et les femmes, c'est-à-dire l'influence des médias et de la culture sur l'image corporelle. Or, il s'agit d'un facteur important qui ne devrait pas être écarté de cette étude.
Bien que j'aie proposé des domaines qui devraient faire l'objet davantage d'études et que j'aie formulé des recommandations portant surtout sur la littératie médiatique axée en premier lieu sur la prévention, j'aimerais appuyer ce qui a été affirmé par de nombreux organismes et défenseurs de la lutte contre les troubles de l'alimentation au Canada, à savoir que des changements urgents doivent être apportés maintenant.
Comme nous l'avons vu en Nouvelle-Écosse la semaine dernière, il existe des façons de veiller à ce que les professionnels de la santé soient mieux formés pour aider les personnes souffrant de troubles de l'alimentation. Essentiellement, il n'y a tout simplement pas assez de place dans les hôpitaux, là où les gens en ont besoin. Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se payer une place dans les logements avec services de soutien. Les moyens financiers et la géographie ne devraient pas être des obstacles à l'accès au traitement, et c'est aussi vrai pour les évaluations universelles qui refusent l'accès à des personnes qui ne sont pas assez minces. Il faut aussi s'attaquer au manque criant de soins de longue durée.
Je remercie le comité du temps qui m'a été imparti et je serai ravie de répondre à vos questions.
En ma qualité de fondatrice de la National Initiative for Eating Disorders, la NIED, j'aimerais remercier le comité d'avoir entrepris cette étude sur les troubles de l'alimentation chez les filles et les femmes. Je suis ici aujourd'hui pour parler au nom de centaines de milliers de mères et de pères, de soignants et de familles comme la nôtre.
Nous sommes les parents d'une fille de 28 ans qui souffre d'anorexie et de boulimie depuis plus de 13 ans. Mon mari, Len et moi avons fait tout ce qui était possible sur le plan émotionnel, physique et financier pour offrir de l'aide à notre fille Amy, mais ce n'est jamais assez.
Nos sentiments d'impuissance, de frustration et finalement de colère m'ont donné la force de créer un organisme de sensibilisation et d'agir à propos du monde bizarre et sans pitié des troubles de l'alimentation. La douleur pour ceux qui en souffrent et pour les familles est insurmontable. Le stress et la pression que vivent les familles sont extrêmes, épouvantables et dévastateurs.
Il n'y a aucun système en place pour aider notre enfant. Oui, à 28 ans, elle est une enfant non seulement avec un trouble de l'alimentation, mais elle reçoit l'appui d'un programme provincial de soutien pour personnes invalides parce qu'elle ne peut pas travailler. Elle est paralysée par l'anxiété et la dépression, mais on s'attend quand même à ce qu'elle passe par le soi-disant système de soutien en raison de son âge.
En tant que parents, nous avons vécu les choses les plus horribles et inimaginables, y compris le recours à une discipline des plus sévères tout en étant conscients de l'amour inconditionnel que nous ressentons pour notre fille.
Les frères, les soeurs, les grands-parents, les cousins, les tantes, les oncles et les amis sont tous touchés par la souffrance de notre fille. Heureusement, Len et moi nous sommes serrés les coudes et nous sommes soutenus contre vents et marées. Cette souffrance peut anéantir des relations et des mariages et y parvient parfois. Elle déchire les familles, elle les isole et parfois entraîne même des faillites.
Les troubles de l'alimentation sont mortels. Ils présentent le plus haut taux de mortalité de toutes les maladies mentales. Toutefois, contrairement à la dépression, à la schizophrénie, à l'anxiété et aux troubles de l'humeur, ceux qui souffrent de troubles de l'alimentation n'ont pas de profil type.
Oui, on reconnaît que les troubles de l'alimentation sont une maladie mentale, mais on en parle rarement comme tel.
Beaucoup d'information circule sur la santé mentale comme telle, mais les troubles de l'alimentation sont toujours exclus de la portée du radar de la santé mentale, des programmes ou des campagnes.
En juillet dernier, Amy a été hospitalisée pendant une semaine à Toronto pour que cessent ces comportements de frénésies alimentaires et de purges. À titre d'exemple, elle pouvait avoir des pulsions hyperphagiques et se purger 15 à 20 fois par jour. Elle pouvait sortir par un temps glacial en hiver au beau milieu de la nuit pour combler ses pulsions alors qu'elle était si faible qu'elle aurait pu tomber raide morte à tout moment. Elle consommait des quantités de nourriture inimaginables.
Lorsque je suis venue sur la Colline parlementaire à Ottawa en novembre dernier, elle m'a avoué avoir dépensé 450 $ en nourriture qu'elle a mangée et purgée en trois jours. Lors de ces frénésies alimentaires, elle peut manger de 36 à 48 muffins, de six à huit grandes pizzas, des plaques de gâteaux, des litres de glace, des montagnes de chocolat, et je suis certaine qu'il y aurait autre chose à ajouter. Elle a répété ce comportement pendant trois jours.
Vous pouvez comprendre pourquoi, dans un tel état, elle a eu recours au vol à l'étage pour nourrir sa dépendance. Malheureusement, elle s'était déjà fait prendre à quelques occasions et on a appelé la police. On l'a traitée de façon non professionnelle, avec négligence, on l'a ridiculisée et on l'a presque envoyée dans une ambulance. Ces épisodes ont entraîné des crises de panique sévères.
Ce n'est pas une criminelle. Elle est malade et elle n'a nulle part où aller pour trouver de l'aide. Comment est-il possible qu'une personne si malade se voit refuser un traitement ou qu'elle n'ait pas accès à un traitement dans un délai raisonnable?
Je reviens à son hospitalisation qui a fonctionné pendant une semaine, alors que Len et moi nous relayions pendant la journée pour être avec elle. D'autres patients ont commencé à l'intimider et à inventer des rumeurs à son sujet, ce qui l'a rendue si mal à l'aise qu'elle est partie. Laisser tomber un programme à mi-chemin est très courant pour des milliers de personnes comme elle.
Avant son hospitalisation, Amy vivait dans un studio où elle mourait à petit feu à cause de ses troubles de l'alimentation. Après son départ de l'hôpital, elle était si vulnérable que nous l'avons ramenée à la maison. Elle vit maintenant en permanence avec nous depuis octobre.
Comme tant d'autres mères au pays, dont l'une était présente avec nous la semaine dernière sur la Colline, je lui prodigue des soins 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Elle n'a nulle part où aller et je n'ai d'autre choix que de m'occuper d'elle à temps plein.
Je sais et elle sait qu'elle ne devrait pas avoir à composer avec l'anxiété, les pulsions hyperphagiques, la dépression, les sautes d'humeur, tout en s'efforçant avec l'énergie du désespoir de ne pas céder aux voix fortes, bruyantes, violentes dans sa tête qui pourraient entraîner d'autres pulsions.
Pendant certaines périodes, ce n'était pas assez et Len a dû prendre congé ou partir plus tôt du travail pour me relayer.
Comme vous pouvez le voir, les répercussions se font sentir bien au-delà de la personne qui souffre, et elles touchent directement les proches et indirectement la communauté dans son ensemble.
J’ai mis sur pied la NIED il y a deux ans, pour laquelle en passant je ne reçois aucun financement, afin de sensibiliser les gens au sort des personnes atteintes de troubles de l'alimentation et de leurs familles, et de changer et améliorer le système partout au Canada. Je suis extrêmement reconnaissante à l'égard des bénévoles qui m'ont appuyée, surtout les médecins et spécialistes de la santé qui, en dépit des défis qu'ils doivent eux aussi relever dans le système qui traite les troubles de l'alimentation, ont déployé des efforts incommensurables pour appuyer NIED. Je pense notamment au Dr Blake Woodside, à la psychologue Gail McVey, à la Dre Leora Pinhas, au Dr Mark Norris, au psychologue Chuck Emmrys, en plus des nombreux députés fédéraux et provinciaux qui ont contribué à faire progresser NIED afin de voir certains changements commencer à s'opérer.
J'appuie sans réserve les recommandations...
Nous appuyons entièrement les recommandations des médecins. En tant que parents, nous voulons un accès rapide à des traitements fournis par des professionnels bien formés.
Nous souhaitons la création de foyers de groupes, d'endroits sûrs, tout comme ceux qui existent pour les personnes qui abusent de l'alcool ou d'autres drogues. Il n'existe absolument rien de semblable pour ceux qui souffrent d'un trouble de l'alimentation.
Pour ce qui est de la couverture du traitement, les compagnies d'assurance médicale doivent faire leur part et commencer à couvrir les dépenses nécessaires pour aider tous ces patients et leur famille. Où va-t-on avec un régime de l'employeur de 500 $? Deux séances avec un psychologue et il ne reste plus rien. Il est presque préférable de ne pas commencer plutôt que d'ouvrir une boîte de Pandore et de laisser les choses s'envenimer.
Nous demandons que soient couverts les traitements fournis par les psychothérapeutes, les infirmières praticiennes et les nutritionnistes qui travaillent avec les personnes qui souffrent d'un trouble de l'alimentation et dont les services ne sont pas couverts en Ontario par le RAMO ou les compagnies d'assurance privées.
Les omnipraticiens, les pédiatres, les travailleurs sociaux, les enseignants, la police, le personnel des tribunaux et tous les autres professionnels qui offrent des services de première ligne devraient suivre des cours obligatoires sur les troubles de l'alimentation dans le cadre de leur formation.
En terminant, j'aimerais vous faire part d'un message qu'Amy a envoyé à mon téléphone samedi soir:
« Tu ne cesses de répéter qu'à la même époque l'an dernier, j'étais en train de mourir et, même si je ne cours plus le même danger immédiat, ma tête est toujours autant, sinon plus, enfoncée dans le trou noir le plus profond. J'ai un sentiment de catastrophe imminente, le même sentiment que j'avais lorsque j'étais seule et que mon poids était à son plus bas et que je me gavais et purgeais sans arrêt. C'est la peur profonde que je ne guérirai jamais de ce trouble de l'alimentation. Je ne serai pas parmi le tiers qui guérit. Je pourrais même être parmi les 20 % qui meurent.
« Tu es en train de changer le monde des troubles alimentaires au Canada, et peut-être que ma seule raison d'exister était de te donner l'occasion de créer ce changement colossal, et moi alors? Il faudra des années avant qu'un tel centre de traitements de rêve existe au Canada. Nous savons tous que le système actuel est sans coeur et pratiquement inutile. On prend mon poids, puis on me renvoie dans le monde, et je me retrouve exactement dans la même situation que lorsque j'étais une petite fille: j'ai peur de vivre et j'ai autant peur de mourir, j'ai peur de l'inconnu et de vieillir, de perdre et d'être abandonnée. »
« Il n'existe aucun endroit où l'on traite les troubles de l'alimentation chroniques. Il n'y a aucun endroit où aller en cas d'urgence. Ils sont rares ceux qui comprennent. Je me réveille encore remplie de craintes face à la journée qui commence. Comment vais-je passer à travers? Qu'est-ce que je vais manger ou ne pas manger? Est-ce que je vais pouvoir m'empêcher de manger les aliments qui déclenchent des crises? Je ne peux me concentrer sur rien. Je peux à peine lire ou écrire ou trouver du plaisir dans quoi que ce soit car je suis constamment paralysée par la peur et l'anxiété, rongée par l'indécision et l'envie d'être insensible. »
En tant que mère, je représente ici le NIED pour demander des changements et pour sensibiliser les gens aux troubles à l'alimentation, tout comme Terry Fox et sa mère l'ont fait pour le cancer.
Merci.
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Au tout début, nous avons découvert qu'Amy jetait son lunch à l'école lorsqu'une amie est venue nous le dire. Elle avait 16 ans. Je pense qu'à ce moment-là, elle était rendue presque au point où elle aurait pu être hospitalisée.
Au début, je pense que nous étions totalement naïfs, ignorants et sous le choc. Nous avons deux autres enfants. Je me souviens que mon mari et moi pleurions dans les bras l'un de l'autre la nuit en nous demandant ce que nous avions fait de mal. Pourquoi est-ce que cela lui arrive?
Je me rappelle lorsque je l'ai amenée voir un pédiatre. Nous avons été plongés dans l'abîme, désemparés. Nous étions entièrement sous le choc. Je me souviens également que mon mari s'est précipité au centre-ville, justement où travaille Merryl Bear, au NEDIC. Il a fait une recherche sur Google — il y a 13 ans, je suppose que Google, c'était quelque chose d'assez nouveau — et il a trouvé le NEDIC. Il est revenu à la maison avec des pages et des pages et des pages de documents. Nous nous sommes assis sur le lit et nous ne savions pas par où commencer. Je me souviens que je l'ai amenée voir le pédiatre et que je lui avais d'abord envoyé des notes pour que, au moment de l'examiner, il comprenne nos inquiétudes comme parents. Je pense qu'il lui a fallu pas mal de temps avant de dire à Amy qu'elle souffrait d'un trouble de l'alimentation. Pour sa part, Amy a mis quatre ans avant de pouvoir dire le mot « anorexie », car au début elle souffrait d'anorexie.
Ensuite, il a fallu obtenir une recommandation pour qu'elle voit quelqu'un d'autre. Je me souviens qu'on nous a renvoyé à l'hôpital général de North York. Je ne me souviens plus du tout combien de temps il a fallu attendre avant d'avoir un rendez-vous. Je ne m'en souviens plus, mais je sais qu'elle était vraiment à la limite. Elle se tenait juste en dessous de la limite à laquelle elle aurait dû être hospitalisée. Elle n'a jamais été hospitalisée lorsqu'elle avait 16 ou 18 ans. C'est arrivé beaucoup plus tard.
Pour ce qui est des embûches, il est difficile de savoir où obtenir de l'aide, où trouver le nom des spécialistes et des psychologues, et ensuite il faut attendre et il faut payer. Vous savez, après deux séances, nous avions atteint le maximum de ce que rembourse le régime de l'employeur de mon mari. Maintenant, il y a aussi le problème qu'Amy a 28 ans et qu'elle n'est admissible à aucune prestation en vertu du régime de l'employeur de mon mari, parce qu'elle a plus de 25 ans et qu'elle n'est pas étudiante. L'argent qu'elle reçoit dans le cadre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées n'est pas suffisant pour couvrir ses dépenses mensuelles. Nous l'aidons beaucoup.
En ce qui concerne les embûches, je pense que nous n'avions tout simplement pas assez d'aide, nous n'avions pas accès à l'aide, et tout le processus de renvoi a un spécialiste est long et ensuite il faut attendre les résultats de l'évaluation. On reçoit les résultats des mois après le rendez-vous. Il faut attendre des mois avant d'être admis au programme à l'hôpital. Lorsqu'on a reçu l'appel de l'hôpital... Amy a eu une grave crise de panique et d'anxiété. Elle n'a pas pu accepter sur le coup. Il faut décider immédiatement, pendant que l'on parle à la secrétaire. Il faut accepter pendant l'appel téléphonique sinon la place est offerte à la prochaine personne sur la liste d'attente.
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Amy bénéficie du régime d'invalidité de l'Ontario, et il s'agit d'un montant limité naturellement. Même si elle obtient en réalité un petit peu plus, car elle souffre d'un problème de l'alimentation, avec l'argent qu'elle reçoit, à moins qu'elle ne vive dans un taudis, pour être honnête avec vous, elle n'aurait plus d'argent pour faire autre chose. Même lorsqu'elle ne vivait pas avec nous, ce qui est le cas depuis à peine six mois, nous l'aidions pour son loyer et sa nourriture tous les jours. Nous faisions exactement ce que notre thérapeute nous avait aidés à faire, à savoir nous l'aidions à ne pas voler. Nous l'aidions en lui donnant de la nourriture et en lui achetant des aliments, un cellulaire, ce qui représente environ 70 $ par mois. Étant donné qu'elle est si anxieuse, prendre le métro et les transports en commun, c'est très difficile, quasiment impossible. Je dois donc la conduire partout, chez le docteur, à l'épicerie, au magasin pour acheter des vêtements, que je lui paie.
Lorsqu'elle ne vivait pas avec nous, il y avait les vêtements, la nourriture, le câble pour la télé, l'hébergement, toutes les choses essentielles pour vivre. Heureusement, sa psychologue — et je peux vraiment l'en remercier publiquement — la traite gratuitement depuis deux ans, car elle s'est rendu compote qu'Amy ne pouvait tout simplement pas la payer et que tout cela est au-delà de nos moyens. C'est environ de 200 $ à 250 $ chaque semaine, et cela donne un joli montant très rapidement.
Étant donné qu'Amy se sent coupable de tout... À vrai dire, je lui donnerais les vêtements que je porte, je lui ferais couler un bain et nous nous priverions volontiers, car sa douleur à elle est incroyable. Elle se sent si coupable et elle s'en veut pour tout. Elle se voit comme un fardeau. J'essaie constamment de lui dire que ce n'est pas de sa faute.
En fait, je lui ai dit que le Canada la laissait pour compte, qu'elle devrait être dans un bel endroit, agréable et où il fait bon rester, pas un endroit où elle demeurerait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, mais un endroit auquel elle pourrait avoir accès. Ce ne serait pas nécessairement un centre résidentiel, uniquement un endroit où elle pourrait aller, où elle se sentirait à l'aise et qui ne serait pas un établissement. Je lui ai dit très souvent que ce qui lui arrivait ne devrait pas lui arriver, que ce n'est pas de sa faute et que je suis désolée que son pays l'ait laissée tomber. C'est ce que je lui ai dit.
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Merci encore à vous deux d'être venues aujourd'hui.
J'aimerais vraiment vous remercier, madame Preskow, pour vos derniers commentaires. Vous avez en quelque sorte synthétisé mes questions.
Évidemment, nous avons des décennies de retard. Plus tôt, nous avons entendu le témoignage de la Dre Katzman qui nous a dit que la prévalence des troubles de l'alimentation au Canada concernait environ 1,5 % de notre population, soit environ 525 000 personnes. Elle nous a dit que 10 000 personnes souffrent du cancer, 25 000, du diabète, et comme vous le savez, il y a une plus grande prise de conscience et bien évidemment des services et des programmes, et de toutes les choses dont nous avons discuté avec les témoins précédents.
Il y a 25 ou 26 ans, le Canada a été le premier pays à adopter une loi sur le tabagisme passif. Cela a fait bouger les choses, car à l'heure actuelle dans les programme télévisés notamment, les gens fument beaucoup moins.
J'aimerais adresser mes questions à Jarrah Hodge, car j'aimerais m'attarder sur une perspective sociétale au sens large et étant donné que je suis également sociologue de l'Université de la Colombie-Britannique.
Étant donné votre expérience avec les blogues et que les gens vous racontent certaines anecdotes, quel changement culturel ou législatif — et vous l'avez abordé à la toute fin de votre témoignage — pourrait, à votre avis, entraîner les mêmes changements que nous avons vus, comme la prise de conscience actuelle sur le cancer, la réduction du tabagisme à la télé, dans toutes sortes de domaines? Comment pouvons-nous nous rendre jusque-là? Nous sommes de toute évidence encore loin du compte avec les troubles de l'alimentation.
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Madame Hodge, je suis désolée, mais je vais devoir vous interrompre un instant. Je n'ai que très peu de temps et je voudrais vous demander à vous et à Mme Preskow de nous soumettre toute information additionnelle dont vous disposez. J'aimerais vous poser mes questions et je vous invite à nous répondre par écrit, car nous inclurons cela dans votre témoignage.
Étant donné que nous n'avons que très peu de temps, j'aimerais maintenant vous poser des questions supplémentaires, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je suis tout à fait d'accord avec vous: nous avons besoin de travailler davantage au niveau des médias, entre autres, mais il s'agit là d'une notion très vague. À mon avis, si nous avons si bien réussi avec le tabagisme, c'est que nous avons travaillé avec les fabricants de cigarettes et que nous les avons ciblés, entre autres. Les médias, pour leur part, sont un concept très vague.
Madame Preskow, vous avez dit que vous ne veniez pas d'une famille d'obèses et que vous n'avez donc jamais parlé de régime. Et donc vous devez vous demander, d'où Amy a-t-elle sorti ces concepts? Comment cela s'est-il transformé en trouble de l'alimentation? Quel est le lien entre les médias et notre société? Comment les choses se sont-elles transformées en un trouble de l'alimentation chez elle?
Je crois que, étant donné l'ampleur de ce problème qui affecte 500 000 personnes, et le fait qu'il soit si caché, nous devons nous poser ces questions. Évidemment, cela a un énorme impact, non seulement sur les familles comme la vôtre, madame Preskow, mais sur toute la société, car nous avons perdu tellement de ces personnes qui peuvent y contribuer.
Veuillez s'il vous plaît répondre à ces questions.
Merci beaucoup.