Premièrement, je voudrais vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude. Je veux également souligner à quel point je suis reconnaissante que non seulement ma patronne m'ait donné la permission de témoigner en personne, mais qu'elle m'ait aussi fortement encouragée à le faire. Voilà un exemple parfait de l'importance et de la nécessité du soutien en milieu de travail pour s'assurer que les personnes atteintes d'un trouble de l'alimentation ne rechutent pas. De plus, cela démontre qu'il est possible, en tant que femme, d'avoir une belle carrière tout en étant une activiste dans le domaine de la santé mentale.
La maladie est née dans les recoins de mon esprit. Elle m'a paralysée. Elle a touché tous les aspects de ma vie et non, je ne cherche pas de l'attention. Pendant des années, j'ai souffert d'une maladie mentale. Elle était invisible à l'oeil nu, mais croyez-moi, dans ma tête, elle était très, très réelle. Lorsque je dis que mon trouble alimentaire était invisible, je veux dire que puisque je souffrais de boulimie et non pas d'anorexie — le trouble alimentaire le plus commun auquel on pense —, j'ai facilement pu cacher ma maladie puisque je maintenais un poids normal. Oui, mon IMC a beaucoup varié et était parfois au-delà de 25, mais généralement, j'avais l'air normal.
J'ai souffert de boulimie lorsque j'étais adolescente jusqu'à environ l'âge de 25 ans, ce qui signifie que la maladie n'a pas été diagnostiquée ou traitée pendant près d'une décennie. Ma maladie est devenue hors de contrôle en 2006, et j'y reviendrai dans quelques minutes.
Aujourd'hui, je considère que je suis guérie de la boulimie, bien que je souffre parfois d'anxiété — surtout liée à la nourriture —, et en particulier pendant des périodes stressantes. Je crois fermement qu'il est possible de se rétablir d'un trouble alimentaire, mais j'ajouterai que la décision de ne pas rechuter est un choix quotidien.
Adolescente, la voix dans ma tête me disait que j'étais paresseuse et grosse, que je n'étais pas assez belle, pas assez bonne, pas assez intelligente. J'ai commencé à m'empiffrer et à me purger en cachette. Plus tard, lorsque j'étais jeune adulte, mes études en droit étaient si exigeantes que j'avais l'impression que je perdais le contrôle, si bien que j'ai essayé de reprendre les rennes de ma vie en contrôlant ce que je mangeais.
À l'automne 2006, après des années d'autodestruction, et après avoir passé une année très stressante alors que je vivais seule, j'ai touché le fond du baril. J'avais perdu près 40 livres en huit mois et j'ai souffert de multiples troubles de la vésicule biliaire. Je me suis retrouvée aux urgences et on m'a dit que je devais me faire opérer pour l'ablation de la vésicule biliaire. C'est alors que j'ai compris que cette autodestruction devait cesser, car j'avais l'impression que mes habitudes avaient quelque chose à voir avec les troubles dont je souffrais.
Mon gastro-entérologue ne m'a pas posé de questions sur mes habitudes alimentaires, pas de questions précises, mais a dit que le fait de passer plusieurs heures sans manger, par exemple, pour ensuite se gaver pourrait être l'une des causes de ma maladie. Je n'ai rien dit à ce sujet. Aussi, comme je l'ai déjà mentionné, j'avais l'air normal. Je pesais 140 livres, ce qui était considéré comme un poids normal pour ma taille. Par contre, les gens autour de moi, ma famille et mes amis, avaient commencé à dire que j'étais peut-être un peu trop maigre, que j'avais perdu beaucoup de poids assez rapidement et que je ne semblais pas très en santé. Cependant, d'autres me félicitaient d'avoir perdu ce poids. Je me souviens d'être surtout déçue de ne pas être à la hauteur des attentes de tout le monde, quelle que soit mon apparence.
Je me souviens aussi clairement du moment où on m'a amenée en salle d'opération pour l'ablation par laparoscopie de la vésiculaire biliaire. J'ai eu une discussion avec moi-même. Je savais que j'étais à la croisée des chemins. Ces quelques minutes ont changé ma vie. Je savais que j'étais boulimique — j'imagine que c'est probablement ainsi qu'un toxicomane sait qu'il a un problème —, même si je n'en avais jamais parlé à personne, par peur d'être étiquetée.
Je savais également que je ne pouvais pas continuer à vivre ainsi, ne serait-ce que du fait que j'allais peut-être mourir, car, comme vous le savez, les boulimiques peuvent développer des complications potentiellement mortelles. Silencieusement, quelques minutes avant la chirurgie, j'ai naïvement presque prié que le tyran dans ma tête disparaisse aussi pendant la procédure chirurgicale. Bien sûr, je savais que cela n'allait pas se produire, mais je le souhaitais vraiment car je ne savais pas comment j'allais me rétablir, même si j'étais convaincue que je devais le faire. Ce serait un euphémisme de dire que je me sentais impuissante face à ma boulimie.
Dans les mois qui ont suivi, j'ai cherché de l'aide, et en thérapie, j'ai été soulagée de parler à un professionnel qui me comprenait et qui semblait vraiment s'intéresser à mon bien-être.
Malheureusement, après quelques séances, j'ai compris que je n'étais pas admissible aux séances payées par le système public, et j'avais déjà épuisé les séances couvertes par mon assurance. À 125 $ de l'heure en pratique privée, l'absence d'une thérapie abordable était maintenant un obstacle. Il ne semblait pas y avoir d'aide gratuite disponible même si j'étais prête à demander de l'aide et à admettre que j'avais un problème.
Sans thérapie, un réseau social d'appui allait être d'une aide précieuse, mais la stigmatisation et la difficulté de parler de ma maladie m'ont empêché de débuter ce que je considérais comme étant mon rétablissement. Même si je n'avais été en thérapie que pour une courte période, elle avait été très productive parce que j'avais appris des méthodes de base pour gérer les déclencheurs, et j'ai pu créer des plans d'action lorsque ces déclencheurs surgissaient. Néanmoins, la période entre 2006 et 2008 a été très difficile, et j'ai vécu plusieurs épisodes d'autodestruction à cette époque-là.
Pendant les premières semaines et mois de rétablissement, j'ai décidé de me concentrer sur les raisons que j'avais pour m'efforcer de recouvrer la santé. J'avais confiance que ces raisons me guideraient dans la bonne voie, et je les voyais comme un plan vers mon rétablissement.
Au début, il s'agissait de choses simples, je voulais me rétablir parce que je savais que je devais être assez forte pour terminer mes études de droit et déménager après avoir obtenu mon diplôme. Je savais que je devais me rétablir pour être fille d'honneur au mariage d'une amie et ne pas avoir à m'échapper pendant la réception pour aller me purger. Je savais que je devais me rétablir parce que je voulais être libre.
En fin de compte, il m'a fallu une volonté ferme de guérir, combinée à beaucoup de soutien et à de nombreuses séances de thérapie dispendieuses, que j'ai finalement pu me payer grâce à la progression de ma carrière. Je n'ai pas toujours eu d'assurance privée.
Après tout ce cheminement, je peux dire aujourd'hui, en 2014, que je n'ai ni succombé à mon trouble alimentaire ni eu de comportements autodestructeurs depuis maintenant six ans.
Le diagnostic de ma maladie mentale ne m'a pas défini. Les troubles alimentaires affichent les plus hauts taux de mortalité de tous les diagnostics psychiatriques. Je suis en vie devant vous aujourd'hui. J'ai 32 ans, et je suis guérie.
Lorsque j'ai obtenu mon diplôme de droit en 2008, j'ai décidé de ne pas passer l'examen du Barreau du Québec, de ne pas devenir avocate, mais plutôt de me rétablir. Je ne me voyais pas poursuivre une carrière juridique en même temps. J'avais l'impression que ce rétablissement durerait peut-être toute ma vie, et ces deux réalités me semblaient incompatibles.
Comme de nombreux dirigeants l'ont dit publiquement au cours des dernières années, je crois qu'il n'y a pas de santé sans santé mentale, et qu'il est essentiel de briser le silence et d'ouvrir le dialogue lorsqu'on vit avec une maladie mentale — plus précisément un trouble alimentaire, dans mon cas.
Dans le cadre de mon processus continu de guérison et de rétablissement, j'ai participé de plus en plus à des initiatives de promotion de la santé mentale et de sensibilisation aux troubles alimentaires sur le plan local, national et international. Mon objectif en tant qu'activiste dans le domaine et survivante d'un trouble alimentaire est d'encourager le dialogue afin de mettre fin à la stigmatisation entourant la maladie mentale.
Comme l'un des mes auteurs favoris, Kurt Vonnegut, l'a déjà écrit, « Tu étais malade, mais maintenant tu vas mieux, et il y a du travail à faire. »
Merci.
J'aimerais commencer par féliciter le comité d'avoir entrepris cette étude. Je crois qu'elle est très importante. J'aimerais aussi féliciter Mme Lemoine du témoignage vraiment important qu'elle a fait devant le comité, et je la remercie d'être venue nous faire part de son histoire.
Plutôt que d'examiner les effets et les conséquences au niveau individuel, je me suis penchée sur le problème dans une perspective différente. J'aimerais prendre le temps de présenter certains problèmes structurels dans la société qui font que les filles sont particulièrement vulnérables aux troubles alimentaires et aux problèmes liés à l'image corporelle. Je me base sur les résultats d'un projet de recherche appelé eGirls Project que j'ai codirigé avec ma collègue Jane Bailey, professeure à l'Université d'Ottawa. Nous avons commencé le projet eGirls parce que nous voulions savoir comment les filles présentent leur genre en ligne.
Au début du projet, nous nous attendions à voir différents types de filles, puisque les médias en ligne — comme ils sont distincts du monde physique — offrent une plus grande égalité et liberté aux filles d'exprimer la véritable perception qu'elles ont d'elles-mêmes. Notre première incursion dans ce domaine a été renversante. Nous avons examiné plus de 1 500 profils de filles sur les médias sociaux qui disaient avoir entre 15 et 22 ans à Ottawa. Et nous avons constaté une image monolithique de la fille. C'était une fille qui était ultra maigre, très hétéronormative, très blanche, très sexualisée, et ainsi de suite. Cette constatation nous a fascinées car nous pensions que c'était peut-être parce que nous examinions des profils publics.
Alors nous avons reçu du financement pour rencontrer des jeunes femmes de l'Ontario, de régions urbaines et rurales, pour parler de leurs expériences en ligne et de ce qu'elles pensaient de cette représentation de la fille. Elles nous ont dit que c'est la fille normale en ligne, qu'elles subissent énormément de pressions pour se conformer à cet idéal de très grande maigreur et de beauté féminine qui est si inatteignable. En réfléchissant aux raisons qui expliquent ce phénomène, nous sommes arrivées à la conclusion qu'il y a une conséquence involontaire qui fait partie de la combinaison de l'architecture en ligne et des visées commerciales des sites Internet que fréquentent les filles. Ces sites sont bâtis autour d'une collecte intégrale de renseignements personnels provenant des enfants qui fréquentent ces sites. Mais il ne s'agit pas seulement de leur nom, de leur adresse et de ce genre de renseignements. Tout ce qu'elles font, tout ce qu'elles disent et tout ce qui concerne leurs relations avec les autres sont colligés. Et tous ces renseignements nourrissent un algorithme qui les classe à des fins commerciales afin que l'on puisse leur proposer non seulement des publicités ciblées, mais aussi un nouvel environnement qui encourage certains genres de comportements. Des recherches, y compris la nôtre, semblent indiquer que cet algorithme n'est pas neutre. Lorsque nous classons les gens, nous les classons en fonction des mêmes « -ismes », des mêmes habitudes discriminatoires que l'on voit dans le monde réel.
Je vais vous donner deux exemples rapides de ce qui se passe pour ces filles à qui nous avons parlé — il s'agit en fait de deux de mes expériences en ligne. Il y a plusieurs années, alors que j'étais sur l'un des premiers sites de réseautage social populaire, j'avais lu toutes les conditions d'utilisation. Cela faisait deux semaines que je fréquentais ce site. Le site connaissait mon adresse IP et je connaissais toutes les conditions d'utilisation. J'ai ensuite décidé de m'inscrire pour voir ce que c'était d'être une fille de 16 ans de Vancouver. J'avais visité le site, et chaque fois que j'allais sur la page d'accueil, j'étais entourée de nouvelles sur le monde. Il s'agissait de nouvelles sur le monde d'un genre particulier, oui, mais quand même des nouvelles du monde, comme la politique et des sujets d'actualité. Je me suis inscrite à titre de fille de 16 ans, et instantanément, les nouvelles ont disparu et j'ai été entourée de nouvelles sur les vedettes et sur leurs relations, des conseils des vedettes pour maigrir et des publicités pour des chirurgies afin d'être plus belles. Alors, l'algorithme ne sert pas seulement à cibler les jeunes femmes avec un genre de publicité, il construit l'environnement social dans lequel elles vivent afin de faire la promotion d'une certaine perception de la fille.
Permettez-moi de vous donner un autre exemple intéressant tiré de mon expérience. Pendant cette même période, je visitais beaucoup de sites Internet sur l'anorexie. J'avais discuté avec un certain nombre de personnes des initiatives de sensibilisation pour aider les filles à gérer ce genre de messages et soigner leur anorexie ou leur boulimie. L'un des meilleurs sites en matière d'éducation était commandité par des publicités provenant de Google.
Lorsqu'on allait sur ce site éducatif pour en savoir plus sur sa maladie et obtenir des renseignements pour la gérer, il était commandité — et je ne blague pas — par des publicités pour la chirurgie plastique et les régimes alimentaires. Voilà mon premier point.
Cet environnement est modifié pour privilégier et promouvoir un certain genre de féminité qui est très dangereux pour les jeunes femmes parce qu'il met de l'avant des attentes complètement irréalistes concernant le poids et l'image corporelle. Cela a des conséquences graves pour les jeunes femmes, et nous avons passé les deux ou trois dernières années à parler à un certain nombre d'entre elles. On nous a répété souvent que c'est un environnement très stressant. Elles subissent énormément de pressions pour se conformer. Elles doivent être vraiment maigres. Elles doivent porter du maquillage. Elles doivent être sexy — pas trop, mais quand même sexy. Toutes les filles ont dit utiliser la « face de canard », qui est une photo de profil où l'on se rentre les joues pour avoir l'air d'Angelina Jolie, ou elles se rappelaient en riant l'avoir fait plus jeunes. Elles étaient très conscientes du fait que ce n'était pas nécessairement très sain ou prosocial, mais elles disaient également que c'était une bonne façon d'avoir l'air maigre en ligne. Ces jeunes femmes subissaient d'énormes pressions pour se conformer à des images irréalistes de leur taille.
Je vais terminer avec trois histoires.
Voici la première. Les photos en lingerie fine étaient très populaires chez les filles de 15 ans. Les jeunes filles suivaient des régimes fous avant de porter la lingerie pour bien paraître et avoir l'air maigre, puis elles affichaient ces photos sur Internet. Je leur ai demandé pourquoi et elles m'ont répondu que ces filles avaient l'air d'avoir confiance en elles. Quand je leur ai demandé des explications, elles m'ont dit qu'il fallait avoir assez confiance en soi pour enlever ses vêtements et mettre une photo de soi sur Internet en lingerie fine. Une fois la photo affichée, on la surveillait, et si on ne recevait pas 30 « j'aime » dans les 10 premières minutes — vous savez que sur Facebook et d'autres médias sociaux, on peut cliquer sur le bouton « j'aime » —, alors il fallait l'enlever car c'était une catastrophe et on était humilié. Donc, avoir confiance en soi, c'était montrer un corps maigre et hautement sexualisé en ligne et être « aimé » des autres. Elles ne voyaient pas ça comme un manque de confiance, parce que si les autres ne nous « aimaient » pas, on était humilié, et il fallait enlever la photo tout de suite.
Ces jeunes femmes nous ont parlé du stress de l'environnement, et à quel point il est difficile d'être une jeune fille aujourd'hui avec tous ces messages qui les entourent pour leur dire qu'elles doivent être ultra maigres, se comporter d'une certaine façon et dégager un type très précis de féminité. Je veux souligner que ce n'est pas lié seulement à la misogynie, mais aussi au racisme, à l'homophobie et à d'autres préoccupations de groupes qui cherchent à obtenir l'égalité. Lorsqu'on demandait aux filles d'où ces messages venaient, bon nombre d'entre elles nous disaient qu'ils provenaient des médias et qu'elles en étaient entourées.
La deuxième histoire que je veux vous raconter est celle d'une fille de 15 ans d'une région urbaine de l'Ontario. Nous parlions de ces sujets, et je lui ai demandé ce qu'elle faisait sur Facebook. Elle m'a dit qu'on exerce beaucoup de pressions sur les filles dans les médias. Je lui ai demandé si elle affichait des photos sur Facebook et elle m'a répondu que non, elle ne le faisait jamais. Je me suis alors dit que j'avais trouvé une fille qui ne croyait pas à cela, qui rejetait ce système et qui avait décidé de ne pas le faire parce qu'elle trouvait cela stupide. Je lui ai donc demandé pourquoi elle n'affichait pas de photos d'elle sur Facebook, et elle m'a répondu que c'était parce qu'elle était grosse et laide, qu'elle le savait, et qu'elle n'allait pas laisser ces gens horribles, ces — grossièreté censurée — de jeunes avec qui elle allait à l'école lui dire qu'elle était grosse et laide. Elle se disait laide et n'affichait pas ses photos.
Premièrement, son poids était probablement sous la normale. Elle avait 15 ans. Dans toutes mes entrevues, à l'exception d'une... Un jour, j'ai dû me pencher vers une fille qui pleurait et lui dire qu'elle était belle. Elle était belle, et elle essayait de se conformer à cette image, mais cela a créé tant de tension, qu'elle s'est plutôt complètement rejetée.
La dernière histoire que je veux vous raconter — et je serai très brève parce que mes 10 minutes sont presque écoulées — est celle d'une femme de 22 ans, et encore une fois, je me dis que c'était fantastique parce qu'elle m'a raconté comment elle utilisait les médias pour faire la promotion d'une entreprise qu'elle avait lancée. Elle fait beaucoup d'artisanat, et elle en prend des photos et les affichent sur Pinterest. Je me suis dit que c'était super, que j'avais trouvé une jeune qui naviguait cet espace, mais elle m'a dit qu'il n'en avait pas toujours été ainsi et qu'elle avait eu beaucoup de mal à accepter son image corporelle. Elle avait commencé à se mutiler à l'école secondaire et je lui ai demandé pourquoi.
Elle m'a dit qu'en 9e année, elle voulait vraiment être populaire et qu'elle avait tout fait pour y arriver: suivre des régimes, se maquiller, porter de beaux vêtements. Elle avait tout fait pour joindre les rangs des jeunes populaires. Un jour à l'école, elle est allée sur Facebook. L'une des filles populaires de l'école avec qui elle était amie avait affiché une photo d'elle sur sa page Facebook.
Une autre fille du groupe d'amies avait écrit ceci: « Nous savons toutes pourquoi tu as affiché cette photo. » Elle ne comprenait pas trop ce qu'elle entendait par là, alors elle est allée voir la fille qui était avec elle sur la photo pour lui demander des explications. Cette fille lui a dit qu'elle comprenait sûrement. Elle lui a répondu que non, elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas de quoi elle parlait et ce que pensaient d'elle maintenant tous les gens sur Facebook. L'autre fille lui a dit: « Eh bien, tu es grosse et laide. Tu me fais bien paraître. C'est pourquoi je suis amie avec toi. C'est pourquoi j'affiche des photos de toi sur ma page Facebook. »
Alors, non seulement il est extrêmement difficile pour les jeunes femmes de naviguer sur cet espace social, mais nous permettons également l'exploitation commerciale du monde social dans lequel elles vivent. Il devient vraiment difficile pour elles d'avoir des relations saines entre elles, où elles peuvent s'entraider pour combattre cet état de fait.
Je m'arrêterai là. Merci beaucoup.
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Bonjour. Merci de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité.
Je tiens d'abord à préciser qu'il y a aussi des familles avec des garçons qui souffrent de troubles de l'alimentation. N'oublions pas nos fils. En ne parlant que des femmes et des filles, nous ne faisons que perpétuer les préjugés et les mythes associés à cette maladie.
Je vous parlerai volontiers de ma famille, afin de vous donner un exemple d'intervention réussie dans le combat contre l'anorexie, mais j'exhorte le comité à entendre d'autres familles, notamment celles dont les enfants ont dû faire la transition vers le système des adultes, qui ont des fils, dont les enfants avaient moins de 10 ans au moment du diagnostic, qui sont sur des listes d'attente et dont les enfants ont déjà été hospitalisés, ou dont les enfants sont aux prises avec des problèmes de frénésie alimentaire ou encore de boulimie.
Ma fille célébrera son anniversaire de 17 ans ce mois-ci. Elle est en rétablissement depuis près de quatre ans. Il s'agit d'une belle adolescente joyeuse, en santé, resplendissante et pleine d'énergie. Son père et moi surveillons de près les signes et les symptômes que nous avons appris à reconnaître. Nous n'oublions jamais que le rétablissement est fragile et que des rechutes peuvent se produire. C'est pourquoi nous sommes toujours prêts à intervenir afin de remettre notre fille sur la bonne voie. Nous savons que certains parents de jeunes adultes ont réussi à aider leurs enfants à ne pas rechuter et que nous pourrons prendre des mesures afin d'épauler notre fille lorsqu'elle aura atteint l'âge adulte.
Ma fille avait 13 ans lorsqu'elle a reçu le diagnostic d'anorexie mentale restrictive. Elle avait 12 ans lorsqu'elle a dévié de sa trajectoire de croissance. Lors de son examen médical de routine, on avait calculé, à partir de son poids et de sa taille, que son indice de masse corporelle était normal pour une fille de son âge. La recherche montre que les signes et les symptômes des troubles de l'alimentation apparaissent au moins deux ans avant le diagnostic, au report de la taille et du poids sur une courbe de croissance. On avait également discuté des stades de développement approprié selon l'âge, mais rien n'avait été dit au sujet des signes et des symptômes des troubles de l'alimentation.
Elle n'avait jamais eu de problème d'image corporelle. À la maison, nous n'avions jamais parlé de régime.
Notre quête de renseignements afin de pouvoir venir en aide à notre fille a été jalonnée de mésaventures médicales. On m'a demandé d'appeler la réception de la clinique des troubles de l'alimentation. On ne demanderait jamais à un parent de faire lui-même une demande d'examen médical auprès d'une clinique d'oncologie, si on soupçonnait un diagnostic de cancer. La personne responsable du triage m'a posé des questions pertinentes pour un adulte qui souffre de troubles de l'alimentation. Mais les enfants et les adolescents ne sont pas des adultes de petite taille.
On nous a renvoyés à notre équipe de santé familiale afin de rencontrer un conseiller en santé mentale. J'étais, pendant tout ce temps, témoin de la détérioration de l'état de santé de ma fille... elle était anxieuse, froide, faible, asociale, et elle courait dans les boisées, patinait pendant des heures sur l'étang, montait et descendait à répétition l'escalier, n'arrivait pas à tenir en place et mangeait très peu. Physiquement, son cerveau rétrécissait, sa puberté et sa croissance étaient en arrêt, ses os s'amincissaient et son rythme cardiaque ralentissait.
J'ai découvert l'organisation en ligne F.E.A.S.T., Families Empowered and Supporting Treatment of Eating Disorders, et le forum Around the Dinner Table qui y est associé. J'y ai appris qu'il existait des traitements pour adolescents qui avaient fait leur preuve. Mais ce que j'y ai appris d'encore plus important, c'est que notre famille pouvait aider ma fille à se remettre de ce trouble de l'alimentation. En effet, j'ai appris l'existence d'un traitement fondé sur des résultats cliniques, le traitement familial, ou TF, qui représentait le meilleur espoir de rétablissement chez les adolescents.
Comme nous ne savions pas vers qui nous tourner pour nous prévaloir de ce traitement, mon mari et moi-même avons commencé à réalimenter notre fille en utilisant la méthode Maudsley, et j'ai lu tout ce que je pouvais trouver à ce sujet. Je me sentais épaulée et encouragée par d'autres parents qui se sentaient eux aussi isolés, se blâmaient et déploraient le manque de traitement approprié et opportun et de soutien pour les familles.
Je vais maintenant vous parler plus en détail de la réalimentation, en quoi ça consiste et comment réussir. Nous avons mis cinq mois à rétablir le poids de ma fille, cible qui change constamment chez les jeunes personnes en raison de la puberté et de la croissance à l'adolescence. Toute la vie de notre famille s'articulait autour du rétablissement du poids de notre fille par l'alimentation. C'est un travail de tout moment. J'ai dû quitter mon emploi et nous avons transformé notre maison en clinique interne. J'étais déterminée à alimenter ma fille une bouchée à la fois.
Premièrement, j'aimerais que vous pensiez à ce qui vous fait le plus peur au monde. Vous pouvez probablement éviter cette situation anxiogène. Nous exposions notre fille à ce qui lui fait le plus peur, mais elle ne pouvait pas refuser la nourriture car elle en serait morte. Notre fille pleurait, hurlait, crachait, frappait, égratignait, criait que c'était trop de nourriture, qu'elle avait mal au ventre, qu'elle voulait mourir. Elle lançait des assiettes pleines de nourriture. Ensuite, elle devenait catatonique. On aurait dit une scène du film L'Exorciste.
Les repas pouvaient durer des heures, mais la nourriture est un remède. Nous avons appris à distinguer le trouble de l'alimentation de notre propre fille. Notre instinct nous dicte d'éviter de mettre en colère ou de faire souffrir notre enfant, mais pendant la réalimentation, nous n'avons pas le choix. On ne peut pas faire entendre raison à un trouble de l'alimentation.
Ce n'était pas du gavage, ce n'était pas punitif. C'était simplement un besoin, et nous faisions tout en notre pouvoir pour y répondre. La vie s'arrête tant que la personne ne mange pas. Il n'y a pas d'alternative: la solution passe par l'alimentation. Et si la personne refuse de manger, le plan B est mis en branle: une visite à l'urgence pour procéder à l'alimentation par sonde naso-gastrique, ou encore un appel à l'unité de crise mobile.
Par chance, je n'ai jamais eu à le faire. Nous avons survécu à la dérégulation émotionnelle, à l'anxiété et aux repas prolongés. Mes lectures m'ont permis de comprendre ce qui se passait dans son cerveau. Elles m'ont aidée à me montrer plus patiente. Ma fille, face à une situation anxiogène, avait une réaction typique de lutte ou de fuite. Tout cela a une certaine logique du point de vue neurobiologique.
Mon fils, qui a deux ans de plus que sa soeur, tentait de la distraire pendant les repas en lui racontant des histoires et en chantant des chansons. Le souper se prolongeait souvent jusqu'à 23 heures. Mon fils portait des bouchons d'oreilles pour étudier et dormir. Après les repas, nous restions avec elle pour l'empêcher de faire de l'exercice compulsif ou de rester debout, et pour lui changer les idées afin qu'elle oublie son inconfort physique. Il nous fallait absolument tout contrôler. J'ai couché dans la chambre de ma fille pendant cinq mois car elle était effrayée, et je voulais la surveiller pour l'empêcher de faire de l'exercice physique compulsif pendant la nuit. Je surveillais son ordinateur pour m'assurer qu'elle ne visite pas de sites pro-anorexie et qu'elle ne discute pas de suicide en ligne. Nous écoutions à la porte de la salle de bain pour nous assurer qu'elle ne se purge pas, qu'elle ne fasse pas d'exercice. Pour réduire le risque, nous avons barricadé le grenier et avons caché les couteaux et les médicaments. Nous nous sommes débarrassés de la télé afin d'éviter le contenu qui aurait pu la provoquer ou être dérangeant pour nous tous. Pour éviter un repas, elle sortait parfois dehors pieds nus dans la neige en courant; mon mari, mon fils et moi-même devions la pourchasser et la ramener à la maison, même si elle se débattait. Au début, j'ai dû la surveiller 24 heures sur 24 et elle détestait cela.
En raison des restrictions d'exercice physique, j'accompagnais ma fille en voiture à l'école matin et soir, et je retournais à l'école deux fois par jour pour l'accompagner pendant les deux pauses nutritionnelles. Elle n'avait pas le droit d'assister au cours d'éducation physique ou de participer à ses activités sportives parascolaires préférées. J'ai passé en revue son programme scolaire pour m'assurer qu'il comporte rien qui puisse la provoquer, aucune partie à laquelle elle ne pourrait pas participer. Ironie du sort, elle venait de terminer la section consacrée aux troubles de l'alimentation.
Quelques semaines après le début de notre programme de réalimentation, notre médecin de famille nous a référés à un pédiatre, ainsi qu'à un psychiatre pour adolescents. Ni l'un ni l'autre ne connaissaient la méthode de réalimentation Maudsley, ou encore le fonctionnement du traitement familial. Le pédiatre était d'avis que c'était trop difficile et que je devrais retourner au travail et accorder à ma fille l'indépendance appropriée à son âge relativement à la préparation des aliments et à l'alimentation. C'était un conseil complètement déplacé et dangereux.
Quant au pédiatre, il nous a référés à un pédopsychologue pour aider notre fille à se sentir mieux dans sa peau. Le psychologue a dit qu'elle souffrirait d'anorexie pour le restant de ses jours, mais qu'il n'avait jamais entendu parler du traitement familial, ni du fait que les troubles de l'alimentation puissent être soignés complètement. Quelle perte de temps et d'argent! Notre fille de 13 ans a été dévastée d'entendre ces propos.
Trois semaines après avoir commencé à réalimenter notre fille, nous avons finalement intégré le programme de traitement familial pour les adolescents souffrant de troubles de l'alimentation de notre localité. Nous avions déjà commencé à voir des résultats. Notre fille souriait et était moins repliée sur elle-même à l'école. Elle avait recommencé à chanter. Pendant les cinq mois suivants, grâce à l'appui du Programme de traitement familial et à notre participation subséquente à un programme de traitement multifamilial d'un an, nous avons réussi à rétablir le poids de ma fille et à la mettre sur la voie de la guérison.
Le temps et les aliments ont fait leur oeuvre, et notre fille a cessé de ressentir le besoin de faire de l'exercice excessivement. Certains de ses mouvements, qui ressemblaient à ceux des personnes atteintes de troubles obsessivo-compulsifs, ont diminué de fréquence. Elle s'est remise à avoir une vie sociale et a recommencé à apprécier les aliments. J'ai presque pleuré quand elle m'a dit que le repas était délicieux. Les repas en famille n'étaient plus ni violents ni désagréables.
Mais il ne s'agit pas là d'un sprint; il s'agit plutôt d'un marathon de vigilance. On y consacre des jours, des mois et des années, et on surveille la croissance pendant toute la puberté et l'adolescence. C'est l'art de comprendre quand et à quel rythme redonner progressivement à son enfant le contrôle de ses choix alimentaires. C'est empêcher à notre enfant de faire la grasse matinée, comme les autres adolescents, car elle doit s'alimenter à des heures régulières. C'est déterminer quel cours notre enfant ne pourra pas suivre à l'école, notamment les cours de nutrition et d'éducation physique, quand le rétablissement est encore trop fragile.
C'est sensibiliser les enseignants pour qu'ils permettent à votre enfant de manger en classe pour qu'il s'alimente à des heures régulières. C'est déterminer si votre enfant est à un stade assez avancé de son rétablissement pour lui permettre de participer aux sorties scolaires et aux camps de vacances. C'est sensibiliser ces institutions pour qu'elles prennent des mesures d'adaptation qui favorisent le rétablissement, tout en donnant à l'enfant un sentiment de normalité et de réussite.
Imaginez tous les efforts que doivent déployer parfois des parents seuls, travailleurs autonomes, des parents qui ont d'autres enfants en bas âge, ou encore des enfants en difficulté, sans compter ceux qui doivent s'occuper d'une personne âgée, ou qui souffrent eux-mêmes de problèmes de santé. Et que faites-vous quand votre enfant est physiquement plus grand que vous?
Il faudrait également s'intéresser à la question des troubles concomitants, notamment le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, le trouble obsessivo-compulsif, la dépression et la toxicomanie.
Imaginez que vous êtes en Saskatchewan, à l'Île-du-Prince-Édouard ou au Québec, que vous lisez au sujet du traitement familial et que vous vous rendez compte que vous n'avez aucun moyen de vous prévaloir de cette thérapie qui offre les meilleurs résultats. Imaginez que votre enfant a dû être hospitalisé, et qu'après son congé, on le met sur la liste d'attente d'un programme et que vous devez regarder, impuissant, votre enfant rechuter par manque de soutien. Ou encore imaginez ce qui se passe lorsque votre enfant a plus de 18 ans et que vous aimeriez participer à un Programme de traitement familial, mais que le centre de traitement de votre localité n'accepte de recevoir que votre enfant sur une base individuelle en tant qu'adulte? Et qu'en est-il des familles pour lesquelles le traitement familial ne fonctionne pas?
J'ai moi-même souffert de dépression et du trouble de stress post-traumatique après l'épisode de réalimentation de notre fille. Notre fils, qui a 19 ans, a souffert de dépression en raison du stress et du traumatisme de voir sa famille consacrée toute son énergie et son attention à la lutte contre ce trouble de l'alimentation. Ma fille se sentait honteuse et coupable d'avoir obligé sa famille à traverser cette épreuve, même si nous lui répétions que ce n'était la faute de personne. Elle a parfois des reviviscences découlant du traumatisme de la réalimentation. Elles sont inexactes, mais bien présentes.
Notre parcours a été parsemé d'embûches et est loin d'être terminé. Lorsque notre fille quittera le foyer familial, nous devrons nous assurer qu'elle est en possession de tous les outils nécessaires pour assurer son rétablissement et sa résilience. Quand un enfant est atteint d'un trouble de l'alimentation à un jeune âge, la famille sert de filet de sécurité pour éviter les rechutes. Il est alors facile de croire que le rétablissement de l'enfant est complet et qu'il n'y aura pas de rechute. Il faut à la fois faire preuve d'une extrême vigilance, tout en permettant à notre enfant de vivre sa vie dans un monde réel, sans filtre.
Merci.
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Madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité, merci de me donner l'occasion de vous entretenir des troubles de l'alimentation. J'ai le privilège d'avoir travaillé en partenariat avec nombre des témoins qui sont venus plaider en faveur des services offerts aux Canadiens atteints de troubles de l'alimentation.
J'aimerais vous faire part de mes observations relativement aux effets néfastes que les troubles de l'alimentation peuvent avoir sur un enfant, sur toute une famille et sur la société en général.
Je formulerai une série de recommandations concernant le besoin urgent de certains services liés aux troubles de l'alimentation. Cette liste a été compilée au cours des 24 ans où je me suis fait le porte-voix de ceux qui souffrent de troubles de l'alimentation. J'ai eu le privilège de rencontrer de nombreux enfants qui souffrent de troubles de l'alimentation ainsi que leur famille d'un peu partout au Canada. Je les ai rencontrés dans le cadre de conférences où j'avais été invitée à participer, aux échelons provincial, national et international, ainsi que dans le cadre de tribunes communautaires pour les cliniciens. De plus, j'ai souvent donné des cours magistraux aux infirmières en santé mentale en quatrième année d'études.
On ne peut dissocier les troubles de l'alimentation de la honte, du secret et du silence. De plus, les troubles de l'alimentation ont un effet débilitant sur la personne, détériorent son état de santé et peuvent potentiellement entraîner la mort des personnes qui en sont atteintes. Les troubles alimentaires touchent des gens de tous les milieux socioéconomiques et culturels. La Dre Leona Pinhas a mené des recherches intensives à ce sujet au Canada. Dans ses conclusions, elle indique que les enfants peuvent développer des troubles de l'alimentation dès l'âge de cinq ans. Je trouve cette déclaration fort inquiétante mais, malheureusement, je n'en suis pas étonnée.
Le taux de mortalité des personnes atteintes d'anorexie est le plus élevé de toutes les maladies mentales. On calcule à 10 % la proportion des personnes anorexiques qui mourront dans les 10 ans suivant le déclenchement du trouble alimentaire.
Le 27 août — je peux vous montrer une photo de notre fille Alyssa —, notre vie a changé à tout jamais. Notre fille Alyssa est décédée à l'âge de 24 ans, après s'être battue pendant 12 ans contre son trouble de l'alimentation. La maladie et le décès d'Alyssa ont encore d'importantes répercussions sur notre famille aujourd'hui. Nombreuses sont les familles canadiennes qui continuent de ressentir la perte d'un être cher qui a succombé à un trouble alimentaire.
Après 24 ans de démarches, je suis très triste de constater que de nombreuses familles tentent encore désespérément d'avoir accès à un programme spécialisé en troubles de l'alimentation offert en temps opportun qui pourrait aider leur enfant. Ces personnes souffrantes doivent souvent attendre de 6 à 18 mois. Comme l'a dit le Dr Woodside devant votre comité, et c'est également le cas de plusieurs autres maladies, l'intervention précoce et spécialisée est souvent l'élément clé d'un rétablissement complet.
Les intervenants en santé mentale doivent desservir plusieurs localités dispersées. Ils ont rarement de l'expérience dans le traitement des troubles de l'alimentation. Les services cruciaux au traitement des troubles de l'alimentation n'existent souvent que dans les grandes villes. Il peut être extrêmement difficile de quitter son foyer et sa famille afin de suivre un traitement intensif dans une ville où l'on ne connaît personne et où l'on risque de se sentir isolé et déprimé. Les parents, qui sont souvent tenus de rester à la maison pour travailler, ne sont pas là pour offrir le soutien affectif dont l'enfant a besoin pendant le traitement. Certains clients quittent le traitement trop tôt car ils se sentent seuls et loin de leurs familles.
Souvent, les familles savent d'instinct que leur enfant se trouve dans une situation extrêmement dangereuse sur les plans physique, mental et émotif. Elles savent que leur enfant ne peut plus attendre d'avoir accès à un traitement et se mettent à chercher frénétiquement des programmes ou des thérapeutes privés spécialisés dans les troubles de l'alimentation. Certaines familles décident d'envoyer leur enfant à l'extérieur de la province, et même à l'extérieur du pays, pour suivre des traitements. De nombreux parents doivent assumer les coûts de subsistance de leur enfant, puisque les personnes qui souffrent de troubles de l'alimentation sont inaptes au travail.
Nous, les parents d'Alyssa, avons été tenus d'envoyer notre fille consulter un thérapeute du secteur privé. À raison de trois séances de trois heures par semaine au coût de 120 $ de l'heure — c'était dans les années 1990, le prix s'élève à 150 ou 160 $ à l'heure actuelle —, cette thérapie a eu des répercussions financières sur toute la famille.
Je suis outrée de constater que la question de la longueur des listes d'attente avant d'avoir accès à des traitements des troubles de l'alimentation, dont le besoin est pressant, n'est toujours pas réglée. Il me semble qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond lorsqu'un système de santé public n'ouvre ses portes à quelqu'un que lorsqu'il est à l'article de la mort.
On n'aurait pas idée de faire attendre des patients atteints du cancer, du diabète ou de maladies cardiaques aussi longtemps pour recevoir un traitement urgent. Oui, les troubles alimentaires peuvent être tout aussi mortels, étant donné qu'un grand nombre de patients souffrent en permanence de déséquilibres électrolytiques qui peuvent causer un arrêt cardiaque, une insuffisance rénale et même la mort. On parle de sauver des vies, d'améliorer la qualité de vie des gens et de les aider à entamer un traitement qui leur permettra de se sentir mieux.
En vertu de la Loi canadienne sur la santé, deux des cinq principes, à savoir l'universalité et l'accessibilité des soins, indiquent que tous les résidants assurés ont droit à des soins de santé de même qualité et doivent jouir d'un accès raisonnable aux établissements de santé. Ces principes ne sont pas respectés pour un grand nombre de personnes atteintes de troubles alimentaires partout au Canada.
En outre, un grand nombre de patients atteints de troubles alimentaires souffrent également de troubles concomitants, notamment des troubles obsessivo-compulsifs, des troubles anxieux, de la dépression grave, de l'ostéoporose précoce, des problèmes dentaires graves et de la toxicomanie. Ces patients ont souvent des comportements autodestructeurs; il s'infligent des brûlures, des coupures, et peuvent même aller jusqu'à se suicider ou tenter de le faire.
Dans les cas de toxicomanie, parfois, en tant que parents, nous nous sentons coincés étant donné qu'un grand nombre de fournisseurs de services n'acceptent pas de traiter notre enfant tant que le problème de toxicomanie ou que le trouble alimentaire n'est pas traité en premier. Il s'agit là de deux troubles de santé dangereux, et je crois fermement qu'un nombre accru de programmes doivent être créés afin de traiter les troubles concomitants en même temps.
En tant que société, il nous faut aussi faire preuve d'un grand esprit critique à l'égard de messages négatifs véhiculés par les médias, qui sont souvent entretenus par l'industrie des régimes alimentaires, une industrie très puissante et extrêmement lucrative qui nous fait constamment miroiter que la minceur nous apportera la santé, le bonheur et un corps de rêve, et nous permettra d'être acceptés par la société. La quête de la perfection et les normes sociales de beauté inatteignables causent des dommages physiques, mentaux, affectifs et spirituels irréparables, et même la mort.
En tant que parent et porte-parole, je suis souvent troublée par le fait qu'un grand nombre de médecins ne connaissent pas bien ou n'ont pas beaucoup de formation dans le traitement des troubles alimentaires. Je me pose la question suivante: « Pourquoi un grand nombre de médecins examinent-ils souvent seulement l'indice de masse corporelle d'une personne pour déterminer son état de santé général ou s'il y a présence d'un trouble alimentaire? » Cela est d'autant plus troublant que l'Organisation mondiale de la Santé, en 1946, a défini la santé comme un état de bien-être physique, mental et social complet, et pas seulement comme l'absence de maladies ou d'infirmités.
Conformément à cette définition, toute intervention destinée à régler quelque problème de santé que ce soit doit s'inscrire dans le cadre d'une approche holistique, où l'on considère aussi bien les facteurs sociaux, mentaux, affectifs et physiques de la santé. Pour moi, ce qui fait le plus gravement défaut, c'est qu'aux échelons provincial et fédéral, les gouvernements de notre pays ne font pas le suivi des répercussions de cette maladie mortelle. Des experts qui ont déjà témoigné devant vous estiment que plus d'un demi-million de Canadiens sont atteints de troubles alimentaires.
Je crois aussi que les chiffres concernant la mortalité associée aux troubles alimentaires ne sont pas adéquatement établis. Bien souvent, on indique que la personne est décédée aux suites d'un arrêt cardiaque ou d'une insuffisance rénale, et l'on fait rarement mention des facteurs qui ont contribué au décès, à savoir la boulimie ou l'anorexie. Je sais sans l'ombre d'un doute que la lutte de 12 ans qu'a menée Alyssa contre son trouble alimentaire est la cause de sa mort et que le facteur qui a contribué à son décès était une embolie pulmonaire résultant directement de son trouble alimentaire.
Dans son témoignage, le Dr Blake Woodside a indiqué ce qui suit:
Environ 60 % des gens que je traite présentent un trouble chronique et complexe de stress post-traumatique — ils ont été victimes de violence sexuelle ou physique. Il leur faudra 8 ou 10 ans pour s'en remettre [...]
Notre fille a fait l'objet d'abus sexuels à plusieurs reprises, et ce n'est qu'après sa mort que nous avons été en mesure de connaître les circonstances précises de ce qui lui est arrivé, étant donné qu'elle avait confié avoir été victime d'abus sexuels à l'âge adulte à son médecin et à son thérapeute. Je crois fermement que si nous avions connu ces circonstances précises, nous aurions pu aider Alyssa à surmonter ce qui s'est passé, et nous aurions pu l'aider si elle avait décidé de porter des accusations au criminel et peut-être, je dis bien peut-être, nous aurions eu la chance de la sauver.
Je crois de tout mon être que nous aurions pu sauver Alyssa de ce qu'elle décrivait comme un monstre qui vivait à l'intérieur d'elle. Mais nous avions tort. Nous ne ramènerons pas Alyssa, pas plus que tous les autres qui sont décédés à la suite de troubles alimentaires au Canada et, bien sûr, partout ailleurs dans le monde.
Le fait que le Comité de la condition féminine entreprenne d'étudier les troubles alimentaires m'a donné bon espoir que nous pouvons travailler en partenariat pour sauver la vie de personnes atteintes de cette terrible maladie mortelle. Même si des progrès ont été enregistrés dans le traitement des troubles alimentaires au cours de mes 24 années à titre de porte-parole, ils ont été réalisés beaucoup trop lentement pour ceux qui en souffrent ainsi que leur famille.
Je sais que je n'aurai pas le temps de lire toutes mes recommandations, et j'espère qu'elles ont déjà été envoyées au comité, mais il y en a une que je dois vous lire, qui porte sur la formation pour les urgences et les soins intensifs. Nous devons nous assurer qu'une formation intensive est obligatoire pour les cliniciens qui traitent des patients atteints de troubles alimentaires graves. Ils doivent aussi recevoir une formation continue afin de se tenir au courant des pratiques exemplaires et de l'évolution des traitements. À la lumière de ce que ma fille a vécu, je crois qu'il est essentiel que tous les membres du personnel affectés à des unités de soins intensifs soient bien informés du syndrome de réalimentation et de la nécessité absolue de réalimenter les patients extrêmement lentement et de s'assurer qu'ils font l'objet d'un suivi très étroit pour éviter les déséquilibres électrolytiques, les crises, l'arythmie cardiaque et même la mort.
En outre, nous devons examiner différentes thérapies afin de traiter ceux qui souffrent de troubles de stress post-traumatique et qui ont été victimes de violence — verbale, physique, psychologique et sexuelle.
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J'ai deux choses à dire très rapidement, car je sais que nous avons peu de temps.
Oui, en effet, cela arrive. L'actrice en vedette dans Hunger Games, comment s'appelle-t-elle? Vous savez de qui je parle?
Des voix: Jennifer Lawrence.
Mme Valerie Steeves: Oui, Jennifer Lawrence, avait avant un poids normal. Kate Winslet aussi avait un poids normal. Pourtant, ces deux actrices ont perdu beaucoup de poids en 10 ans. Elles ont bien tenté de dire qu'elles ne suivaient pas de régime, qu'elles refusaient de perdre 40 livres, qu'elles se trouvaient très bien telles qu'elles étaient, mais elles ont subi des pressions. C'est malheureux, car ce sont des modèles qui exercent une influence énorme.
Il y a beaucoup de pratiques exemplaires pour les initiatives dirigées par les jeunes dans le cadre desquelles des adolescents se réunissent pour contrer ce phénomène. À Montréal, des adolescentes se sont unies pour lancer une campagne dans les médias dénonçant la femme-objet et où elles clamaient leur refus de se conformer à cette image et leur volonté de s'accepter telles qu'elles sont.
Je dois cependant vous mettre en garde, car ce genre de mouvement peut facilement être récupéré. Je vous donne un exemple: l'une de mes initiatives préférées parmi celles lancées par les entreprises est celle du magazine Seventeen, le projet Body Peace. C'est une campagne en ligne encourageant les adolescentes à faire la paix avec leur corps et à cesser les régimes draconiens. Mais toutes les images associées à ce site Web montraient des préadolescentes et des adolescentes hyperminces. Les célébrités qui ont accepté de prêter leur nom à ce projet étaient toutes hyperminces, sauf une, et certaines d'entre elles avaient subi des interventions de chirurgie esthétique, parfois avant l'âge de 16 ans.
Ce que cette initiative avait d'intéressant, c'est qu'on demandait aux filles de promettre de bien traiter leur corps, de ne pas écouter cette voix dans leur tête leur disant qu'elles ne sont pas assez minces ou assez belles. Je crois que le défi que nous devons relever comme citoyens et comme législateurs, c'est de réduire cette voix au silence, car elle n'est pas dans la tête des adolescentes, elle provient de leur milieu. Or, nous sommes responsables de leur milieu. Je crois en effet qu'il faut mieux sensibiliser les médecins et améliorer les traitements médicaux, mais il faut aussi être critiques de ce genre d'initiatives qui sont facilement récupérées.
Je m'adresserai de nouveau à vous, madame Steeves, car, je le répète, je trouve vos recherches passionnantes.
En ce qui concerne les réseaux sociaux, je sais que vous n'irez pas jusqu'à dire qu'ils sont dangereux et que, comme universitaire, vous devez être objective et laisser de côté vos émotions, mais vous avez dit être mère. Vous avez indiqué que ces sites exercent des pressions sur les filles pour qu'elles se conforment à une certaine image et vous avez employé le terme « nouvel environnement ». Cela me semble un univers parallèle, un monde où rien n'est vrai même si on voudrait nous faire croire que tout est vrai, avec toutes ces photos de femmes retouchées à l'aide de Photoshop. Google permet aux entreprises qui font de la publicité de cibler les adolescentes selon leur âge, leur groupe démographique, pour leur vendre des produits minceurs, de la chirurgie plastique et d'autres interventions risquées.
Vous n'en avez pas fait mention, mais je sais, pour avoir fait mes propres recherches, qu'elles sont très vulnérables à l'influence de la publicité à cet âge. Certaines ont plus de maturité et de scepticisme, certaines ont des parents, comme vous, qui ont une certaine formation ou assez de sagesse pour leur conseiller de ne pas être dupes, mais elles sont une minorité. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Vous avez aussi fait allusion à des pratiques commerciales trompeuses et injustes.
Diriez-vous que ces réseaux sociaux sont risqués ou peu indiqués pour des filles de différents âges, pour des filles de 6 ans — je connais une fillette de 6 ans qui fréquente les réseaux sociaux —, de 12 ans, de 13 ans et de 15 ans?
Quel conseil donneriez-vous aux parents de ces fillettes et adolescentes?