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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 005 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 28 novembre 2013

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bonjour à tous. Il est 15 h 30, et je déclare donc la séance ouverte.
    Tout d'abord, quelques questions de régie interne.
    Pour faire le point sur les témoins, je mentionne que nous avions transmis une invitation à témoigner à des représentants de Santé Canada, mais qu'ils l'ont déclinée. Toutefois, ils seront disponibles à une date ultérieure pour nous parler des initiatives du ministère en matière d'alimentation saine. Quant aux représentants des Instituts de recherche en santé du Canada, ils nous entretiendront du financement de la recherche. Des représentants de l'Agence de la santé publique du Canada seraient intéressés à nous parler de la promotion du bien-être mental. Condition féminine Canada a décliné notre invitation. Nous avons également transmis une invitation à d'autres intervenants, mais ils nous ont indiqué qu'ils n'étaient pas en mesure de se présenter ici avant Noël en raison de contraintes de temps.
    Le comité est heureux d'accueillir aujourd'hui le docteur Blake Woodside. Monsieur Woodside, nous vous souhaitons la bienvenue, et nous vous remercions de prendre le temps de venir ici. Nous allons d'abord entendre votre exposé. Vous avez 10 minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente, et merci à vous, membres du comité.
    Je suis heureux que le comité ait décidé de se pencher sur ce sujet très important, et j'espère que vos travaux se dérouleront bien.
    Vous avez peut-être consulté ma biographie, mais je tiens simplement à vous rappeler que je m'appelle Blake Woodside, et que je suis directeur médical du programme des troubles de l'alimentation de l'Hôpital général de Toronto. Il s'agit du plus vaste programme du pays. Je suis psychiatre et professeur titulaire au département de psychiatrie de l'Hôpital général de Toronto, où je travaille depuis 27 ans. Voilà pour mes activités professionnelles. Je ne voudrais pas avoir l'air de me vanter, mais je crois pouvoir me décrire comme un spécialiste du traitement des troubles de l'alimentation — surtout les formes les plus graves de l'anorexie nerveuse —, auxquelles je me consacre entièrement depuis 20 ans. Je dirige les services aux hospitalisés de cet établissement.
    Si vous le permettez, je vous dirai d'abord quelques mots à propos de la situation globale. Je vous parlerai des deux troubles de l'alimentation les plus graves, à savoir l'anorexie nerveuse et la boulimie nerveuse. La première est une grave affection médicale qui se caractérise par une importante perte de poids, une attitude de déni de la part de la personne atteinte à l'égard de la gravité de son affection et de graves complications d'ordre médical pouvant mener au décès; quant à la seconde, elle constitue un syndrome de frénésie alimentaire qui s'assortit habituellement d'une restriction alimentaire, et parfois de comportements visant à compenser les effets des épisodes de frénésie alimentaire, par exemple le fait de se faire vomir ou de consommer des laxatifs ou des diurétiques.
    Il s'agit d'affections médicales graves. L'anorexie touche environ 0,5 % de la population, soit environ 150 000 personnes au pays. La boulimie nerveuse est un peu plus fréquente — elle touche près de 1 % de la population canadienne, soit quelque 300 000 personnes. Ainsi, près de un demi-million de personnes sont atteintes de ces maladies. À peu près 80 % de ces personnes sont des femmes, et presque toutes les personnes qui sont traitées au sein de notre système de soins de santé sont des femmes.
    Il s'agit de troubles mortels. Le taux de mortalité des personnes atteintes d'anorexie nerveuse est de 10 à 15 %. En d'autres termes, des 150 000 personnes qui en sont actuellement atteintes, de 15 000 à 23 000 en mourront. Les taux annuels sont difficiles à établir, car bien souvent, pour diverses raisons, les causes de décès liées à des troubles mentaux ne sont pas mentionnées dans les certificats de décès. On peut estimer que de 500 à 1 000 personnes décèdent des suites de l'anorexie chaque année au Canada.
    La boulimie nerveuse est un peu moins mortelle que l'anorexie — le taux de mortalité des personnes boulimiques s'élève à environ 5 %, ce qui signifie tout de même que quelque 15 000 personnes atteintes de la boulimie au Canada mourront des suites de cette affection. Là encore, on peut estimer que la boulimie tue chaque année de 500 à 700 personnes.
    Ainsi, à la lumière de ces deux taux de mortalité, on peut évaluer que de 1 000 à 1 500 personnes meurent chaque année des suites de ces affections. Pour mettre ce chiffre en contexte — je reviendrai là-dessus un peu plus tard —, je mentionnerai que le cancer de la prostate emporte annuellement de 3 500 à 4 000 Canadiens, soit un nombre quelque peu supérieur, mais néanmoins du même ordre, sans aucun doute.
    Il n'y a pas que le taux de mortalité. En effet, de 15 à 20 % environ des personnes atteintes d'anorexie nerveuse contracteront une forme chronique de la maladie. À l'heure actuelle, cela représente de 23 000 à 30 000 personnes. Ainsi, de 50 000 à 60 000 personnes mourront de la forme chronique des deux maladies qui nous intéressent, sur laquelle les traitements n'ont généralement aucun effet.
    Si l'on tient compte du taux de mortalité brut, on peut avancer que l'anorexie est probablement le trouble psychiatrique le plus mortel. La plupart des gens qui entendent cela pour la première fois ont de la difficulté à le croire, mais c'est la réalité. Les personnes qui présentent ces maladies — et qui ne sont parfois pas conscientes de leur gravité — sont extrêmement malheureuses. Elles ne sont pas contentes de leur situation. On a constaté que les femmes atteintes d'anorexie et de boulimie obtiennent des scores moins élevés que les femmes atteintes de schizophrénie chronique dans le cadre de tests de type crayon-papier visant à évaluer leur bonheur. Les femmes atteintes de schizophrénie chronique sont généralement malheureuses, mais les femmes anorexiques et boulimiques sont encore plus malheureuses qu'elles.
    Il s'agit de maladies complexes qui mettent en cause divers facteurs génétiques héréditaires, de subtiles anomalies au niveau des circuits cérébraux responsables de la régulation des émotions, et ainsi de suite. Nous vivons dans une société qui réifie les femmes et fixe des objectifs irréalistes quant à leur poids et à la forme de leur corps, de sorte qu'elles concentrent leurs efforts sur les régimes et la perte de poids. Le fait de suivre un régime n'occasionne pas un trouble en tant que tel, mais peut ouvrir la voie à des facteurs de vulnérabilité sous-jacents ou les activer, et ainsi déclencher l'apparition de la maladie. Certains facteurs de risque peuvent être activés de diverses façons; l'une d'entre elles tient au fait d'être constamment au régime.
    Voilà pourquoi l'incidence de ces maladies est plus élevée aujourd'hui. Cela dit, elles ne datent pas d'hier — le premier cas d'anorexie nerveuse signalé dans un document rédigé en anglais date de 1693. Quant à la boulimie nerveuse, elle est mentionnée dans le livre saint des Juifs — le Talmud —, qui remonte à quelque 5 000 ans.
(1535)
    Un peu plus tôt cet après-midi, une patiente âgée d'environ 40 ans m'a dit, en quittant mon cabinet, que sa grand-mère avait été atteinte de boulimie pendant toute sa vie, et qu'elle était décédée à 98 ans.
    Bien que ces affections — surtout l'anorexie nerveuse — soient graves, il existe une attitude très répandue qui consiste à pratiquer la discrimination à l'égard des personnes qui en sont atteintes et à les frapper d'ostracisme. Rien n'est plus faux que les phrases que l'on entend à leur égard, par exemple « Elle n'a qu'à manger pour régler son problème », « Elle cherche simplement à attirer l'attention », « C'est entièrement la faute de sa mère » ou « Ce ne sont que de petites filles de riches gâtées ».
    Le meilleur exemple de la discrimination flagrante dont ces personnes font l'objet tient à l'accès aux traitements. Le temps d'attente pour l'admission à un établissement spécialisé de traitement de l'anorexie nerveuse — l'un des troubles psychiatriques les plus mortels — est de quatre à six mois. En moyenne, mes patientes qui subissent un tel temps d'attente pèsent 80 livres, présentent un indice de masse corporelle de 14 et mesurent 5 pieds 4 pouces. Avant d'être admises à mon programme, ces femmes doivent attendre de quatre à six mois après leur aiguillage.
    Dans ma province — et je peux dire quelques mots à propos de la situation dans le reste du pays —, il n'y a que deux autres établissements où ces personnes peuvent être hospitalisées, et chacun d'entre eux dispose d'une liste d'attente semblable à la nôtre. La situation est bien pire dans d'autres provinces, où dans bien des cas, aucun traitement intensif n'est accessible.
    Des délais d'attente de quatre à six mois pour des personnes atteintes d'un cancer de la prostate déclencheraient un tollé à l'échelle nationale. Les gens descendraient dans la rue, et des hommes d'âge moyen comme moi participeraient à ces manifestations. Toutefois, bien entendu, le cancer de la prostate est une maladie qui touche des hommes d'âge moyen comme moi, ainsi que des hommes plus âgés, de sorte que chaque hôpital du pays comporte une clinique de traitement du cancer de la prostate. Par comparaison, en Ontario, l'une des provinces les plus riches du pays, il n'y a que trois centres de traitement de l'anorexie nerveuse qui peuvent accueillir des personnes malades, et la province compte 12 millions d'habitants. Je ne vois qu'un seul mot qui puisse décrire une telle situation, et c'est celui de « discrimination » — je n'en vois pas d'autres.
    De surcroît, nous dépensons des millions de dollars pour envoyer ces personnes malades aux États-Unis lorsqu'elles sont sur le point de mourir parce qu'elles ont attendu trop longtemps un traitement au Canada. Il en coûte deux à trois fois plus cher qu'il en coûterait ici pour leur fournir des traitements quotidiens aux États-Unis, et les résultats de ces traitements sont désastreux. Nous gaspillons des dizaines de millions de dollars, alors que nous pourrions investir cet argent ici afin de traiter ces personnes dans leur propre pays.
    La bonne nouvelle, c'est que les traitements que nous offrons aident la majeure partie des personnes qui les reçoivent — de 65 à 70 % des personnes atteintes d'anorexie nerveuse finiront par guérir. Dans le cas de la boulimie nerveuse, le taux de guérison va de 70 à 80 %.
    Plus le traitement est précoce, meilleurs sont les résultats. Par conséquent, il est important de prendre en charge les patients au stade initial de leur maladie et de faire en sorte qu'ils suivent immédiatement un traitement. Un traitement hâtif — de même qu'un traitement spécialisé — donne de meilleurs résultats.
    Les personnes qui sont affectées à mon programme sont hospitalisées ou sont examinées en clinique externe pendant six mois. Elles reçoivent des traitements dispensés par notre équipe multidisciplinaire de 35 personnes. Les interventions que nous menons sont complexes — elles sont beaucoup plus complexes, par exemple, qu'une greffe du rein, ou même qu'une greffe du coeur, qui coûtent très cher, mais qui sont relativement simples à exécuter. Pourtant, on entend sans cesse dire que les personnes anorexiques devraient être traitées dans les unités de psychiatrie générale par des personnes ne possédant pas d'expérience ni d'expertise, et cela est pénible.
    Le traitement spécialisé que nous administrons est coûteux, mais ce coût est dérisoire si on le compare à celui du traitement dispensé dans le système hospitalier.
    Le programme que je dirige — le plus important au Canada — offre un traitement intensif à quelque 200 personnes chaque année, et son coût s'élève à environ 2,5 millions de dollars, soit 10 000 $ par patient. Cela représente à peu près le coût de 10 greffes du coeur, intervention qui est exécutée 75 fois par année à l'hôpital où je travaille.
    En outre, nous sommes en butte à des obstacles qui nous empêchent de mener des recherches appropriées en sur de nouveaux traitements. Je suis un chercheur de carrière dont le portefeuille de recherche s'assortit d'un fonds de recherche de plusieurs millions de dollars. Nous participons à une recherche de pointe sur l'utilisation de la neurostimulation dans les cas d'anorexie nerveuse. Le centre que je dirige est un chef de file mondial en matière de nouveaux traitements — par exemple le recours à la stimulation cérébrale profonde et à la stimulation magnétique transcrânienne pour traiter les personnes atteintes de troubles alimentaires. Hormis les dons versés par des personnes généreuses, chaque dollar de mon fonds de recherche provient d'organismes subventionnaires ou de fondations privées des États-Unis.
    La plus récente étude importante à laquelle j'ai participé a coûté 8 millions de dollars. Le budget annuel de l'INSMT — l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies — est de 13 à 15 millions de dollars. Il est tout simplement impossible de mener au Canada une étude importante sur des maladies comme l'anorexie ou la boulimie en raison des fonds de recherche disponibles. Au moyen de ce budget de 13 ou 15 millions de dollars, l'INSMT doit mener des activités non seulement dans le secteur de la santé mentale, mais également dans ceux de la toxicomanie et des neurosciences.
    Il ne vaut pas la peine...
(1540)
    Je suis désolée de vous interrompre, mais il vous reste une minute.
    Merci. J'ai presque terminé.
    J'allais même dire qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer de le faire.
    De quoi avons-nous besoin? Tout d'abord, il faut que l'on accorde plus d'attention à la situation. Les travaux que mène le comité contribueront à cela.
    Il faut établir des normes en ce qui concerne les soins cliniques appropriés à fournir aux patients, le type de traitements qui fonctionne, les temps d'attente convenables et les niveaux d'accès adéquats. Il faut fixer des normes qui puissent être appliquées à l'échelle du pays. L'établissement de normes nationales relève du gouvernement fédéral et de Santé Canada. Le gouvernement fédéral ne peut pas contraindre les gouvernements provinciaux à adopter des normes puisque les soins de santé sont une compétence qui relève d'eux, mais il peut fixer des normes nationales.
    Il faut examiner les priorités et les politiques de l'ICIS et de l'INSMT de manière à ce que nous puissions élaborer un plan national de recherche sur les nouveaux traitements liés à ces affections mortelles.
    Enfin, je dois mentionner que les travaux du comité revêtent une grande importance à un tout autre égard. De fait, ses travaux permettent aux personnes atteintes de ces maladies et aux membres de leur famille d'espérer que des changements puissent survenir au sein de notre système de soins de santé, d'espérer que la discrimination et l'ostracisme puissent être atténués et d'espérer que la souffrance liée à ces affections puisse être éliminée.
    Je vous remercie de votre attention, et je serai très heureux de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup de ces renseignements très utiles et très importants. Nous vous sommes assurément reconnaissants de nous accorder un peu de votre temps.
    Nous allons maintenant entendre Mme Susan Truppe, qui lancera la période de questions.
    Merci, madame la présidente.
    Merci, docteur Woodside, d'être ici aujourd'hui et de nous faire profiter de votre expertise. Vous êtes le premier témoin que nous entendons. Les membres du comité sont très heureux d'entendre vos constatations.
    Comme nous formons le Comité de la condition féminine, nous avons décidé collectivement de nous pencher sur les mesures que nous pouvons prendre pour aider les femmes et les filles touchées par cette maladie très dangereuse.
    J'aimerais revenir sur deux choses que vous avez mentionnées, à savoir le fait que les maladies demeurent cachées pendant un certain temps pour ceux qui ne savent pas déceler les signaux d'alarme, et le fait qu'il était important de détecter de façon précoce les troubles de l'alimentation.
    Que pouvons-nous faire pour établir le dialogue avec les personnes, les parents, les enseignants, les entraîneurs et les autres intervenants qui fréquentent ces jeunes filles, de manière à ce que nous puissions leur apprendre à déceler les signes de la maladie ou les ressources auxquelles elles peuvent s'adresser pour obtenir de l'aide si quelque chose leur permet de soupçonner qu'une personne importante à leurs yeux est touchée par une telle affection?
    La sensibilisation du public est une chose très importante.
    Tout d'abord, il s'agit d'affections médicales graves sur lesquelles on ne peut pas fermer les yeux — elles ne disparaîtront pas toutes seules. Il ne s'agit pas de phénomènes épisodiques ou d'un problème de mauvais comportement.
    Si je ne m'abuse, dans le cadre de vos travaux, vous allez entendre la Dre Gail McVey, responsable de l'Ontario Community Outreach Program for Eating Disorders. Durant toute sa vie, elle s'est consacrée à sensibiliser la population de l'Ontario à l'égard des troubles de l'alimentation, et elle sera en mesure de vous donner un aperçu des activités qu'elle mène à cette fin et de leur efficacité.
    À mon avis, il s'agit d'un modèle pour le reste du pays. Il s'agit essentiellement d'informer tant les enfants, les adolescents et les jeunes adultes que leurs parents, leurs enseignants, les professionnels de la santé et ainsi de suite.
(1545)
    Vous avez également indiqué que des gens formulaient des commentaires selon lesquels les personnes atteintes de ces maladies étaient des filles de riches gâtées. À votre avis, est-ce que l'attitude des gens a changé au fil du temps?
    Pendant longtemps, j'ai été bénévole dans un hôpital psychiatrique, et je me souviens qu'une fille atteinte d'anorexie faisait l'objet de commentaires de la sorte, mais cela se passait il y a 30 ans environ.
    Est-ce que ce genre d'attitude est moins fréquent aujourd'hui qu'il ne l'était à l'époque? Le cas échéant, dans quelle mesure cela a-t-il changé?
    Je ne le pense pas.
    On continue à considérer l'anorexie et la boulimie comme des pseudo-maladies. On estime qu'il ne s'agit pas de véritables affections, en dépit des taux de mortalité afférents et de la souffrance qu'elles occasionnent chez les personnes qui en sont atteintes.
    Ces maladies touchent des gens de tous les horizons. Nous avons accueilli hier une patiente sans domicile fixe — elle vit dans un refuge et est atteinte d'une pernicieuse anorexie nerveuse. L'idée selon laquelle ces maladies ne touchent que des personnes appartenant aux classes socio-économiques supérieures est absolument fausse — cette théorie, qui date d'une cinquantaine d'années, est aujourd'hui dépassée. Sa fausseté a été maintes et maintes fois établie.
    En outre, l'idée selon laquelle l'anorexie est provoquée par les familles ou les mères a été réfutée à d'innombrables occasions. Mon mémoire de maîtrise portait sur les liens entre dynamique familiale et troubles de l'alimentation. La dynamique familiale s'améliore lorsqu'on traite un trouble de l'alimentation. À l'époque, on croyait que le fait de traiter les symptômes des troubles de l'alimentation et de mettre au jour la pathologie familiale ne ferait qu'empirer les choses. Hélas, on fait encore porter le blâme aux familles, bien qu'il n'existe absolument aucun élément probant à l'appui de cette théorie.
    Nous continuons de travailler là-dessus. Je suis disposé à discuter à tout moment avec quiconque à ce sujet, mais je crains que ces attitudes discriminatoires ne disparaîtront pas.
    Oui. Merci.
    À votre avis, pourquoi ces maladies touchent-elles davantage de filles que de garçons?
    C'est une excellente question.
    Selon les études menées dans les collectivités, le ratio hommes-femmes est de un pour cinq; à notre clinique, le ratio est de 1 pour 30. En fait, nous ne connaissons vraiment pas la réponse à votre question. Selon une théorie, cela s'expliquerait par des facteurs de nature génétique — quelque chose qui concerne le chromosome X; les femmes en ont deux, et les hommes, un. D'autres théories ont trait aux modes de développement du cerveau. Les personnes atteintes d'anorexie nerveuse présentent manifestement des anomalies au niveau des circuits neuronaux qui préexistent probablement à la maladie. Certaines de ces anomalies sont peut-être plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes.
    À ce moment-ci, il y a beaucoup plus de questions que de réponses. À coup sûr, l'un des principaux facteurs déclencheurs, à savoir le fait de suivre un régime, est beaucoup plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, bien qu'il existe également des modèles masculins de minceur — par exemple celui du crack de l'informatique —, et que bon nombre d'hommes qui commencent à faire des poids et haltères finissent par chercher à perdre du poids plutôt que d'augmenter leur masse musculaire.
    Nous ne savons pas ce qui explique cela — voilà la véritable réponse à votre question.
    Merci.
    Je suis curieuse de connaître l'âge de la plus jeune fille que vous ayez traitée pour l'une de ces maladies. Pouvez-vous me l'indiquer?
    Je ne traite que des adultes. Je crois que, dans le cadre de votre étude sur le sujet, vous allez également entendre des experts en pédopsychiatrie.
    Je pense que vous entendrez notamment la Dre Leora Pinhas, de Toronto, qui traite des personnes ayant à peine sept ou huit ans, et qui, selon elle, présentent très probablement un syndrome complet d'anorexie nerveuse. Elle m'a dit qu'elle croyait que la maladie apparaissait de plus en plus tôt. Il y a 10 ou 15 ans, lorsqu'elle a commencé à travailler dans le domaine, il était inhabituel pour elle d'avoir affaire à des enfants prépubères, mais aujourd'hui, c'est relativement fréquent.
    Il s'agit d'un très jeune âge. C'est très perturbant.
    Je présume que le traitement que suivent les femmes et les filles varie en fonction du trouble de l'alimentation qu'elles présentent. En quoi ces traitements varient-ils? Nous sommes profanes en la matière, et nous aimerions le savoir.
    En fait, les traitements sont assez semblables.
    Je vais vous parler d'abord de la boulimie nerveuse, qui est plus facile à traiter que l'anorexie nerveuse.
    La frénésie alimentaire qui caractérise la boulimie nerveuse n'est pas une dépendance alimentaire. Il s'agit plutôt d'une réaction à un jeûne, semblable à celle que vous auriez si votre reteniez votre souffle pendant une minute ou deux — vous chercheriez ensuite à respirer pour combler votre manque d'oxygène. Une certaine proportion de la population — environ 5 % — connaîtra de tels épisodes de frénésie alimentaire par suite de jeûne — c'est ce qui rend les gens de ce groupe différents des autres.
    Pour traiter une personne boulimique, on doit la nourrir. À notre hôpital de jour, nous lui faisons manger un dîner, une collation d'après-midi et un souper, et nous lui enseignons des stratégies lui permettant de résister aux impulsions de goinfrerie et de purgation, car les impulsions de ce genre, les facteurs de stress et d'autres éléments finissent par s'emmêler. Le traitement consiste essentiellement à nourrir le patient. De manière assez paradoxale, on traite une personne boulimique en la faisant manger. Les personnes qui reçoivent des soins à notre hôpital de jour cessent de vivre des épisodes d'alimentation impulsive au bout de une ou deux semaines, si elles parviennent à faire ce que nous leur demandons de faire.
    À certains égards, pour la plupart, nous traitons l'anorexie nerveuse de la même façon. Les personnes boulimiques n'aiment pas vivre des épisodes de frénésie alimentaire, et feront tout ce qu'elles peuvent pour se débarrasser de cette manie. Toutefois, dans le cas de l'anorexie nerveuse, l'équilibre décisionnel est bien souvent beaucoup plus subtil, car la maladie présente non seulement des désavantages pour la personne malade, mais également des avantages. Ce qui est essentiel, c'est d'aider les gens à s'alimenter et à prendre du poids. Il s'agit du premier changement comportemental que l'on doit susciter.
    Par la suite, on doit s'attaquer aux facteurs cognitifs sous-jacents — les points de vue sur le poids, la forme du corps, la nourriture et l'alimentation — qui touchent également les personnes boulimiques, puis on doit se pencher sur les autres problèmes d'ordre psychologique qui sont à l'origine de la maladie ou qui y sont liés. Selon leur nature, ce travail peut prendre de nombreuses années.
    Environ 60 % des gens que je traite présentent un trouble chronique et complexe de stress post-traumatique — ils ont été victimes de violence sexuelle ou physique. Il leur faudra 8 ou 10 ans pour s'en remettre, mais nous travaillons actuellement sur de nouveaux traitements très prometteurs du TSPT.
(1550)
    Merci. Mon temps est écoulé.
    Nous allons maintenant entendre Niki Ashton.
    Merci beaucoup, docteur Woodside, d'être parmi nous aujourd'hui.
    Je me demande si, dans le cadre de votre travail, vous avez eu connaissance d'un programme ou d'une initiative du gouvernement fédéral répondant aux besoins des personnes atteintes de troubles alimentaires.
    Non.
    Voilà une réponse qui ne s'est pas fait attendre.
    Hélas, c'est la vérité. J'oeuvre dans le domaine depuis 27 ans, et je peux vous dire que le gouvernement fédéral n'a jamais porté une quelconque attention à ce problème.
    Vous avez fait allusion à la recherche. Le gouvernement fédéral participe directement au financement de la recherche. Y a-t-il eu un certain intérêt dans ce secteur? Peut-être avez-vous constaté qu'une tendance ou un intérêt qui était présent auparavant s'est dissipé?
    En règle générale, je soumets une demande de subvention aux IRSC. J'en ai déposé deux ou trois récemment — l'une d'entre elles visait à mener une étude sur les coûts des soins de santé liés aux troubles de l'alimentation. Dans le cadre de cette étude modérément complexe, nous voulions obtenir des données de diverses sources et établir ce qu'il en coûte pour fournir des soins de santé pendant toute une vie ou pendant 10 ans à une personne atteinte d'un trouble de l'alimentation. Une étude de ce genre n'a jamais été effectuée auparavant. Notre demande a été transmise à un comité de diététistes des IRSC, qui a conclu qu'elle se situait hors de leur champ de compétences et qu'il ne pouvait donc pas l'examiner. Elle a été rejetée. C'est le destin qui est généralement réservé aux demandes de subvention que nous déposons auprès des IRSC.
    Nous avons beaucoup de succès auprès du NIMH — le National Institute of Mental Health — et d'autres organismes subventionnaires étrangers. Nous remportons également un vif succès auprès de fondations privées. Toutefois, l'INSMT — l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies — semble peu intéressé à examiner les demandes de subvention qu'il reçoit, et semble ne pas avoir la capacité de le faire.
    En outre, il faut souligner que, bien honnêtement, les sommes qu'il a à offrir sont minimes en regard de nos besoins. Nous déposerons en février deux demandes de subvention auprès d'une fondation privée. Elle finance actuellement nos recherches, et elle nous a demandé de présenter de nouvelles demandes de subvention. Ces deux subventions sont d'une valeur totale de 800 000 $ répartis sur deux ans. Il serait impensable d'obtenir une telle somme des IRSC, indépendamment de notre réputation ou de notre expérience dans le domaine de la santé mentale. La somme de 800 000 $ représente essentiellement le montant de toutes les nouvelles subventions qu'ils verseront pendant toute l'année.
    Docteur Woodside, vous avez également mentionné que des facteurs sociétaux jouaient un rôle. Plus particulièrement, vous avez évoqué la réification de la femme — qu'elle se manifeste par le truchement de la cyberintimidation ou des messages de toutes sortes qui sont diffusés par les médias —, de même que les diverses pressions que subissent les jeunes femmes. J'aimerais savoir si vous avez constaté que vos patientes ont tendance à être touchées par des facteurs sociétaux de ce genre.
    Tout d'abord, au moment d'envisager les facteurs sociétaux, il faut tenir compte du caractère génétique des maladies dont nous parlons, et du fait que l'anorexie nerveuse est l'un des troubles psychiatriques dont la transmissibilité par voie héréditaire est la plus élevée — elle se situe à environ 75 %, alors que celle de la schizophrénie, par exemple, est d'approximativement 50 %, et celle du diabète, d'à peu près 70 %. La génétique fournit les munitions, et l'environnement appuie sur la détente.
    Depuis le début des années 1960, l'idéal de la beauté féminine est d'une minceur irréaliste. À cet égard, il existe un paradigme — il s'agit d'un terme que l'on utilise en sociologie pour qualifier une nouvelle tendance sociétale mise à l'ordre du jour par une seule personne. En l'occurrence, il s'agit de Twiggy, au début des années 1960, qui, littéralement du jour au lendemain, a établi une nouvelle norme pour ce qui est de l'apparence qu'une femme devait présenter, tout comme Marilyn Monroe, cinq ou six ans auparavant, avait établi une tout autre norme — celle d'une femme mesurant cinq pieds six pouces et pesant 135 livres, norme qui faisait l'affaire de tout le monde.
    Par la suite, au début des années 1980, le nouveau modèle était celui de Jane Fonda — tout le monde connaît l'image qu'elle présentait durant ses séances d'exercice de 20 minutes, à savoir celle d'une femme mesurant cinq pieds et sept pouces et pesant 115 livres. Je souligne au passage que ces critères permettent d'établir un diagnostic d'anorexie nerveuse. Jane Fonda a d'ailleurs avoué qu'elle avait été atteinte d'anorexie pendant de nombreuses années.
    Il s'agissait d'un changement énorme, qui s'est produit subitement. Je l'ai observé, vu que, bien entendu, cela fait partie de mon travail depuis 25 ou 30 ans.
    Dans les années 1990, nous avons pensé que nous étions en train d'échapper à cela en raison de l'intérêt passager suscité par le modèle des femmes musclées et fortes — cette tendance a duré de 1990 à 1995. Par suite de l'épidémie de sida de la fin des années 1980, les femmes qui suivaient des régimes et perdaient du poids n'étaient assurément pas très attrayantes pour les hommes, car tout le monde pensait que les gens qui perdaient du poids étaient atteints de cette maladie. La tendance s'est dissipée d'elle-même au bout de 10 ans environ — on est très rapidement revenu au modèle de la maigreur, de la musculature bien définie et aux régimes hypocaloriques.
    J'aimerais pouvoir vous dire que cela est en train de changer. Tôt ou tard, cela va changer, car la longueur des jupes ou celle des cheveux, le poids et la forme sont des phénomènes de mode. On ne cesse de présenter cela comme un trouble de santé, mais ce n'en est pas un. Cela va changer. Il s'agit d'une tendance relativement récente — elle ne date que de 50 ans environ —, mais, à ce moment-ci, rien n'indique vraiment que cela est en train de changer.
    Il est très important d'éduquer les gens à propos des attitudes à l'égard du poids, mais les effets des initiatives que nous menons à cet égard sont annulés par une croyance selon laquelle il y aurait actuellement une épidémie d'obésité, surtout chez les enfants, ce qui, en toute honnêteté, est faux. Il s'agit d'une question très complexe.
(1555)
    Merci.
    J'aimerais savoir combien de temps il me reste.
    Il vous reste 1 minute et 28 secondes.
    J'ai une brève question à poser.
    Je suis tombée sur un article intitulé Addressing Issues of Autonomy and Beneficence in the Treatment of Eating Disorders, où l'auteure, Karen E. Faith, évoque un dilemme qui se pose, à savoir contre le fait d'intervenir contre la volonté d'un patient ou de lui donner la possibilité d'opter pour un traitement. De toute évidence, si l'on songe aux traitements psychiatriques ou aux stérilisations forcées qui ont eu lieu dans le passé, d'intervenir contre le gré d'une personne a des connotations très négatives pour les femmes en général. Je me demande comment vous composez avec cette alternative, et comment vous et vos collègues vous y prenez pour traiter les personnes malades.
    Vous avez 50 secondes.
    Le programme que je dirige est d'adhésion volontaire, et s'adresse aux personnes qui présentent un indice de masse corporelle de 10. Personne n'est obligé de participer à mon programme de traitement, et personne n'est obligé de le mener à bien — les gens peuvent cesser le programme à tout moment.
    Comme notre programme comporte des éléments qui, selon nous, s'appuient sur des éléments probants et la littérature scientifique, nous estimons que notre pratique est factuelle. En outre, nous innovons au chapitre des traitements — nous faisons partie des chefs de file mondiaux en matière d'élaboration de traitements améliorés pour les personnes atteintes d'anorexie nerveuse. Cela dit, il s'agit d'un programme volontaire — la plupart des programmes de traitement du Canada sont d'adhésion volontaire.
    Cela dit, il y a des gens qui, bien qu'ils soient sur le point de mourir, ne veulent pas se faire traiter, et on doit déterminer s'il faut les traiter de force ou non.
    Je vais vous donner deux exemples. L'une de nos patientes est une femme de 23 ans qui se trouve être une étudiante en médecine, et elle était sur le point de mourir. Pendant des mois, nous lui avions continuellement proposé de participer à un traitement, et chaque fois, elle déclinait l'offre, mais lorsqu'elle s'est retrouvée à l'article de la mort au service des urgences, nous avons pris la décision de lui faire reprendre du poids contre son gré de manière à lui sauver la vie à ce moment précis. L'autre exemple, c'est celui d'une patiente de 53 ans, qui était malade depuis 35 ans et était hospitalisée dans un autre établissement de Toronto. Si je ne m'abuse, dans ce cas-là, on a pris la décision de laisser la nature suivre son cours.
    Lorsque nous décidons de traiter un adulte contre son gré, c'est uniquement parce que la personne va mourir sur-le-champ si aucune intervention médicale n'est effectuée, qu'elle est trop jeune pour qu'on puisse simplement la laisser mourir et qu'elle n'est pas malade depuis suffisamment longtemps. Dans les autres cas, le traitement est d'adhésion volontaire. Cela ne veut pas dire que tous les patients l'apprécient sans réserves. Une foule de personnes anorexiques de Toronto vous diront que, en raison de la structure de mon programme de traitement, je suis le diable incarné, mais il s'agit d'un programme auquel elles ont volontairement décidé de participer.
    Les choix qui s'offrent aux patients sont limités — très limités.
    Je crois que votre temps est écoulé et que je dois m'interrompre. Je tiens toutefois à répéter que les choix sont très limités. Il s'agit là du principal problème.
    Nous allons maintenant entendre Terence Young.
    Merci beaucoup du temps que vous nous accordez aujourd'hui, docteur Woodside.
    J'aimerais vous poser des questions concernant les omnipraticiens. Il est arrivé que des omnipraticiens me disent que, bien souvent, ils ne savent pas quoi faire avec les personnes qui les consultent — ils ont de la difficulté à établir un diagnostic à leur égard en raison de la complexité de la maladie et des affections concomitantes. Et puis, une fois que le diagnostic est établi — ou que les médecins croient avoir établi un diagnostic —, ils ne savent pas quoi faire pour traiter leurs patients.
    Dans quelle mesure cela représente-t-il un problème?
    Les maladies dont nous parlons, plus particulièrement l'anorexie nerveuse, sont relativement simples à diagnostiquer. Les motifs expliquant qu'une jeune de femme de 18 ans présente un indice de masse corporelle de 14 ne sont pas si nombreux. Les signes de l'anorexie nerveuse sont assez évidents. Quant à la boulimie, comme il s'agit d'une affection invisible, il est plus difficile de la diagnostiquer.
    Une partie du problème tient au fait que les troubles de l'alimentation ne sont absolument pas abordés dans le cadre des cours de médecine et des programmes de résidence. Si je ne m'abuse, le plus important programme nord-américain de résidence est dispensé à Toronto — 128 résidents y participent. En outre, le principal programme lié aux troubles de l'alimentation au pays est dispensé à Toronto. En tout, durant leurs cinq années de formation, les résidents en psychiatrie — des gens qui ont terminé leurs études en médecine et s'apprêtent à devenir psychiatres — assistent à deux séances de une heure et demie sur les troubles de l'alimentation. La situation est encore pire dans le cas des résidents en médecine générale.
    Comme les étudiants en médecine ne reçoivent à peu près aucune information ou formation en ce qui concerne les troubles de l'alimentation, lorsqu'ils obtiennent leur diplôme, ils ne sont pas en mesure de prendre une quelconque mesure utile à l'égard des personnes ayant fait l'objet d'un diagnostic. Il conviendrait de formuler des recommandations en ce qui a trait aux programmes des facultés de médecine, aux programmes de résidence en médecine générale et, bien honnêtement, des programmes de résidence en psychiatrie, car ils préparent atrocement mal les résidents à prendre en charge les personnes atteintes de troubles de l'alimentation. La population où l'on trouve le plus haut taux de boulimie nerveuse est celle des femmes de 15 à 40 ans, et près de 3 % des femmes âgées de 15 à 40 ans sont atteintes de boulimie nerveuse. La proportion de cas de boulimie nerveuse chez les jeunes femmes malheureuses est extrêmement élevée.
    L'un des mes collègues est psychiatre en clinique externe. Il y a de très nombreuses années, lorsque nous avons obtenu notre diplôme, il a décidé d'exercer en cabinet privé. Pour me faire plaisir, il a ajouté trois questions à celles qu'il pose dans le cadre de ses examens psychiatriques: avez-vous déjà été trop maigre? Avez-vous déjà connu des épisodes de frénésie alimentaire? Vous êtes-vous déjà fait vomir? Après ses 100 premières consultations, il avait aiguillé trois personnes présentant manifestement un trouble de l'alimentation. Il a décelé par la suite 30 autres cas, surtout des cas de boulimie.
    Il s'agit de maladies auxquelles les omnipraticiens et les psychiatres sont extrêmement souvent confrontés, car les personnes qui en sont atteintes consultent un médecin ou un psychiatre parce qu'elles sont malheureuses. Cela dit, à peu près aucune formation à leur propos n'est dispensée dans les facultés de médecine ou durant les résidences.
(1600)
    Merci. Ces informations sont très utiles.
    Quand j'ai commencé à m'y connaître sur ces questions — ou plutôt, lorsque j'ai commencé à apprendre des choses à leur sujet, car je ne peux pas prétendre être expert en la matière —, j'ai découvert qu'on recommandait souvent aux personnes ayant besoin d'être traitées rapidement en raison de leur faible indice de masse corporelle, de se rendre dans une clinique aux États-Unis, et que le RAMO ne rembourserait pas les frais liés aux traitements reçus là-bas. J'ai découvert ensuite que le RAMO remboursait ces frais si un député provincial s'en mêlait.
    Les jeunes filles ne recevaient pas de bons services. En fait, en raison des délais d'admission... lorsqu'il n'y avait plus de place à l'Hôpital général de Toronto ou à Homewood, elles pouvaient attendre jusqu'à six mois, comme vous l'avez indiqué. Dans l'intervalle, leur situation pouvait passer de précaire à critique.
    Êtes-vous au courant de cas où le RAMO a refusé de rembourser des frais liés à des soins de santé urgents reçus à l'extérieur du pays?
    Bien sûr. Je participe à l'examen de presque tous les cas ontariens — je fais partie d'un comité qui examine ces cas.
    En général, les gens qui présentent une demande en vue de recevoir des soins à l'extérieur du pays n'ont jamais fait l'objet d'un diagnostic médical d'anorexie ou de boulimie et ne se sont jamais vu offrir un traitement en Ontario. C'est ce qui arrive dans la majeure partie des cas.
    Il m'arrive très rarement d'aiguiller des gens vers des cliniques américaines. Cela arrive une ou deux fois par année, et il s'agit de cas extrêmement complexes qui peuvent être traités à un ou deux endroits aux États-Unis où l'on possède l'expertise requise à cette fin. Toutefois, il n'est généralement pas nécessaire d'adresser des patients à des cliniques américaines, et d'ailleurs, lorsque nous le faisons, cela donne d'affreux résultats, notamment parce que les gens ne restent pas suffisamment longtemps là-bas — ils devraient y rester huit ou neuf mois, mais ils sont renvoyés ici au bout de deux ou trois mois. Lorsqu'ils reviennent, ils n'ont reçu qu'un traitement partiel, mais ils ne veulent pas participer à un autre traitement, et donc, ils retombent malades.
    L'accès à ces cliniques, lorsqu'il est approuvé, est très rapide. Par conséquent, on se retrouve avec un sous-ensemble de gens qui deviennent dépendants des traitements inefficaces à accès rapide dispensés aux États-Unis et deviennent prisonniers d'un cercle vicieux. Comme ils croient que le système de traitement de l'Ontario est mauvais, ils n'y ont pas recours, puis le RAMO finit par refuser de les rembourser. En général, cela leur cause du tort. Il est extrêmement rare qu'un traitement suivi aux États-Unis donne de bons résultats, car le RAMO refuse d'envoyer les gens là-bas pendant une période suffisante, et il ne comprend pas l'objectif du programme. La plupart des gens qui participent à un programme de traitement aux États-Unis restent là-bas pendant 12 à 18 mois, pendant lesquels ils y reçoivent divers niveaux de soins. Une période de deux ou trois mois ne représente qu'un début.
    D'accord, merci.
    J'aimerais que vous formuliez des observations sur la mesure dans laquelle une famille dont un membre est atteint de l'une de ces maladies — ou les familles qui croient que l'un de leurs membres peut être atteint d'une telle maladie ou tente de la dissimuler — peut préserver ce secret. Quelles mesures prend-on pour que cela demeure confidentiel? Il arrive parfois que, même lorsque les parents en sont informés, pour des raisons de confidentialité, la maladie n'est pas divulguée. Dans quelle mesure cela entrave-t-il le diagnostic et le traitement?
    Au sein du grand public, il est très fréquent que les gens craignent que, si un membre de leur famille reçoit un diagnostic de maladie mentale, ils feront l'objet de discrimination ou d'ostracisme. Je préfère le terme « discrimination », car je crois qu'il décrit mieux le phénomène, et que la discrimination est une chose à laquelle on peut tenter de mettre fin. Il est beaucoup plus difficile de lutter contre l'ostracisme. Pour mettre fin à la discrimination, on peut, par exemple, adopter des politiques.
    Les gens ont peur de se manifester, car ils ne veulent pas qu'on les désigne comme appartenant à une famille dont un membre est atteint d'une maladie mentale, qu'il s'agisse d'un trouble de l'alimentation, de dépression, de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de quoi que ce soit d'autre. J'ai été président de l'Association des psychiatres du Canada, puis, pendant de nombreuses années, président de son conseil d'administration. J'ai témoigné devant de nombreux comités. Je suis à deux doigts de mettre mon chapeau de chantre des soins de santé mentale, mais je résisterai à cette tentation.
    Pour la personne malade, ces maladies présentent généralement un caractère honteux. Là encore, ce problème concerne davantage la boulimie que l'anorexie. En raison de la perte de poids et de l'aménorrhée, les cas d'anorexie sont décelés dans la plupart des familles, mais la boulimie est une maladie discrète, et les personnes qui en sont atteintes ont honte. Elles n'aiment pas être atteintes de cette maladie, et n'en sont pas fières. Il n'est pas socialement admissible de se gaver et de se faire ensuite vomir, et les personnes qui agissent de la sorte le font en cachette, jusqu'à ce que, par exemple, elles trouvent des traces de sang dans leur vomi, prennent peur et parlent à quelqu'un, ou qu'elles soient dénoncées par leur dentiste.
    Je donne des conférences à ce sujet aux étudiants en dentisterie, car bien souvent, ce sont les praticiens de première ligne qui décèlent le problème. Toutefois, la boulimie est invisible. Quelqu'un peut être atteint de boulimie sans que personne n'en sache rien, jusqu'à ce qu'il meure subitement des suites d'une perturbation de l'équilibre électrolytique.
(1605)
    Nous allons passer à Mme Jones.
    Docteur Woodside, je suis originaire de Terre-Neuve-et-Labrador. Si je tiens à le souligner, c'est que, comme vous le savez, dans cette province, les troubles de l'alimentation ont fait couler beaucoup d'encre. Des familles ont pris publiquement la parole pour demander qu'on offre de l'aide à leurs enfants atteints de ces troubles. Hélas, dans certains cas, il était trop tard — ces enfants sont morts.
    Cela a donné lieu à une campagne sur les troubles de l'alimentation — entre autres, un immense travail de sensibilisation a été fait dans la collectivité, des comités ont été créés, et des activités ont été menées afin de tenter de mettre au point des traitements et de réduire les listes d'attente. Je suppose que les personnes qui ont pris part à ces initiatives ont contribué à sensibiliser le public à cette question.
    À l'heure actuelle, que fait-on au pays pour informer les gens de la gravité des troubles de l'alimentation? Que fait-on dans nos écoles, dans nos collèges et nos universités pour aider les jeunes à déceler chez eux un problème de cette nature et à demander de l'aide? J'aimerais que vous nous disiez ce que vous savez à propos des mesures préventives de ce genre.
    Quelque chose de très enthousiasmant s'est produit il y a un mois environ à Toronto. Des représentants d'organismes de sensibilisation de toutes les régions du pays se sont réunis dans le but de créer une organisation nationale de sensibilisation axée sur les troubles de l'alimentation. Il se peut fort bien que vous invitiez quelques-uns des responsables de cette organisation à se présenter devant vous.
    J'oeuvre dans le domaine depuis 30 ans, et je peux dire que c'est la première fois qu'une telle chose se produit au pays. Les organisations locales ont tendance à éclore puis à disparaître plus ou moins rapidement, selon l'énergie et les efforts déployés par les personnes concernées. La création d'une organisation nationale de sensibilisation est très importante, car les gens qui en font partie s'entraident beaucoup — ils ont d'innombrables occasions de le faire, et il faudrait qu'une telle initiative soit appuyée, peut-être même par le gouvernement fédéral.
    Dans la plupart des cas, les membres de cette organisation sont des parents de personnes très malades ou des gens dont un enfant est décédé des suites de l'une de ces maladies. Ce sont des gens passionnés qui méritent d'être soutenus par tout le monde. Il s'agit d'une chose très importante, car, en fin de compte, la portée de l'histoire que nous raconte un parent dont l'enfant est décédé ou est malade depuis 30 ans est infiniment plus grande que celle de tout discours que je peux tenir. Bien sûr, je continue tout de même à prendre la parole et à parler du sujet, mais il n'en demeure pas moins que le discours d'une personne directement touchée est beaucoup plus évocateur que le mien. Ces personnes ont besoin d'être soutenues. J'espère que leur initiative sera fructueuse, et je la soutiendrai du mieux que je peux.
    La situation varie d'une province à l'autre. À Terre-Neuve, les gens sont très actifs — j'ai rencontré quelques intervenants de cette province. En Colombie-Britannique, il y a une fondation très active — la Looking Glass Foundation — qui a recueilli plusieurs millions de dollars et a établi un centre de traitement sur l'une des îles Gulf. En Ontario, nous disposons d'un programme dans le cadre duquel on sensibilise le public et éduque les gens dans les écoles.
    Je ne suis pas au courant de ce qui se fait dans les autres provinces, mais je pense que, si vous creusez un peu, vous constaterez que, bien honnêtement, il n'y a pas grand-chose et qu'il n'y a donc aucune raison de ne pas encourager l'initiative qui vient d'être lancée et d'accroître son ampleur.
    Votre réponse me mène à ma question suivante. Quels sont les autres traitements offerts au pays qui, d'après vous, fonctionnent et doivent être reproduits ailleurs?
    En ce qui concerne les traitements de l'anorexie et de la boulimie, il y a de bonnes normes internationales, et les taux de réussite de ces traitements sont raisonnables — comme je l'ai dit plus tôt, ils varient entre 60 et 65 % pour ce qui est de l'anorexie, et de 75 à 85 % pour ce qui est de la boulimie. Pour autant que l'on sache, il s'agit de traitements fondés sur des données probantes. Ils sont bien décrits dans la littérature, et leur utilisation est appuyée par des directives américaines et britanniques. Ils sont tout simplement inaccessibles dans la plupart des régions du pays, ou à tout le moins, ils n'ont pas été relevés.
    En ce qui a trait au traitement en clinique externe de la boulimie nerveuse, la thérapie cognitivo-comportementale constitue l'étalon de référence. Il est pratiquement impossible de trouver un médecin en mesure de l'effectuer, car les médecins ne reçoivent aucune formation à cette fin. Ce sont les psychologues qui mènent cette thérapie, qui n'est pas remboursée par les régimes provinciaux de soins de santé. Cette thérapie coûte de 180 à 200 $ l'heure, et une série de traitements, 5 000 $. Les gens refusent de payer cela.
    Les personnes qui sont atteintes d'anorexie et d'une maladie moins grave doivent être hospitalisées. Elles doivent participer à un programme d'un hôpital de jour. Ce n'est pas que nous ne savons pas quoi faire avec elles — ces services ne sont tout simplement pas accessibles. Là encore, nous savons comment traiter le cancer de la prostate, mais il y avait seulement trois cliniques en Ontario pour traiter tous les hommes atteints de cette maladie. Nous connaissions le traitement, mais aucun service n'était offert.
    Nous devons mettre au point de nouveaux traitements. Nous sommes en train de concevoir à Toronto de nouveaux traitements de neurostimulation — à ce chapitre, nous sommes à l'avant-garde, et il est urgent de créer des nouveaux traitements de ce genre. Toutefois, pour ce qui est de l'anorexie ou de la boulimie ordinaire, le problème tient non pas à l'existence des traitements, mais simplement à leur accessibilité.
(1610)
    Vous avez conclu vos observations préliminaires par deux ou trois recommandations. Vous avez notamment demandé au gouvernement du Canada de participer à l'établissement de normes nationales relatives aux troubles de l'alimentation. J'aimerais savoir s'il vous serait possible d'énoncer aujourd'hui deux ou trois de ces normes auxquelles nous pourrions assujettir les provinces, au terme de négociations. Il peut s'agir de normes ou de critères relatifs au traitement des troubles de l'alimentation. Quels sont les principaux éléments que ces normes devraient comporter, à votre avis?
    Je vais simplement nommer les deux ou trois premiers exemples qui me viennent à l'esprit. Tout d'abord, il faudrait comprendre que, pour traiter un cas d'anorexie nerveuse — même un cas d'une gravité modérée —, on doit disposer d'un programme de traitement intensif commençant par une hospitalisation et exécuté par des experts ayant suivi une formation sur le terrain. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un psychiatre d'un hôpital général ou un psychiatre généraliste dispense ces traitements, de même que l'on ne s'attend pas à ce qu'un chirurgien généraliste effectue une greffe du coeur ou du rein. Ainsi, il faudrait d'abord prendre conscience du fait qu'il s'agit là du traitement approprié pour l'anorexie nerveuse.
    En outre, il faudrait que la thérapie cognitivo-comportementale soit accessible pour traiter la boulimie nerveuse, qu'elle soit remboursée par l'assurance-santé et que les gens de toutes les régions du pays puissent y recourir facilement. Ce traitement fondé sur des données probantes représente l'étalon de référence.
    Voilà les deux premières recommandations qui me viennent à l'esprit.
    Il vous reste 20 secondes.
    C'est bien.
    Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui.
    Nous allons maintenant entreprendre le second tour en commençant par Mme Ambler. Vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Docteur Woodside, je vous remercie de nous faire profiter de votre expertise et de nous consacrer du temps aujourd'hui. Nous vous en sommes vraiment très reconnaissants.
    Je me posais des questions à propos des compétences que vous enseignez dans le cadre de votre programme et dont les gens se serviront toute leur vie. Quelles sont les compétences qu'une personne en voie de rétablissement a besoin d'acquérir afin de réussir votre programme et de commencer à se prendre elle-même en main? Comment vous y prenez-vous pour lui enseigner ce qu'elle doit faire une fois qu'elle aura quitté la clinique? Quelles sont les compétences que vous tentez de lui transmettre?
    Certaines de ces compétences sont axées sur les troubles de l'alimentation, et d'autres, sur les caractères propres à un cas, et ces compétences varient donc d'une personne à l'autre.
    Pour que vous me compreniez bien, je vais vous donner un exemple concret. Une personne qui présente un indice de masse corporelle de 14 sera hospitalisée pendant cinq mois ou cinq mois et demi, et sera ensuite affectée à notre programme de jour pendant deux autres mois. Par la suite, nous ferons un traitement de suivi pendant quatre à six mois durant lesquels nous rencontrons individuellement la personne afin de prévenir les rechutes. Dans un tel cas, une personne demeure en contact avec notre clinique pendant près de un an, et durant cette période, elle mettra continuellement en pratique — et de façon de moins en moins supervisée et contrôlée — des compétences liées à une alimentation normale, saine, équilibrée et, s'il s'agit d'une personne anorexique, suffisante aux fins du maintien de son poids.
    Voilà les principales compétences liées aux troubles de l'alimentation que nous devons transmettre aux personnes malades. Elles doivent les mettre en pratique pendant environ un an pour les assimiler entièrement et consolider leur rétablissement comportemental.
    Elles doivent également se rétablir sur les plans cognitif et psychologique, et cela prend plus de temps. Nous devons leur apprendre à examiner leur propre façon de raisonner — nous devons leur transmettre des compétences cognitivo-thérapeutiques qui leur permettent de cerner la façon dont elles envisagent leur trouble de l'alimentation et leur montrer comment composer avec cela.
    Enfin, nous devons nous pencher sur ce qui ronge une personne de l'intérieur, et cela varie énormément d'une personne à l'autre. Comme je l'ai mentionné, certaines personnes sont atteintes du TSPT. Dans ces cas-là, on doit leur transmettre des compétences leur permettant de réduire leur stress par la pleine conscience, des compétences en matière de tolérance à l'égard des affects, et de les mettre en pratique. Certaines personnes présentent d'autres affections psychiatriques concomitantes exigeant d'être traitées. Dans de tels cas, l'éventail des compétences que ces gens doivent acquérir est très vaste.
(1615)
    Les compétences en réadaptation cognitive n'ont pas à être transmises par des personnes qui, comme vous, sont spécialistes des troubles de l'alimentation — elles peuvent l'être par un autre type de professionnels de la santé mentale possédant une expertise dans le domaine. Vous dites qu'une équipe composée de médecins et de professionnels de la santé doit être en place.
    Tout à fait. Nous fonctionnons au moyen d'équipes multidisciplinaires. Ma propre équipe est composée de spécialistes de nombreuses disciplines.
    J'aurais tendance à m'inscrire en faux contre vos propos. Le travail dont nous parlons peut-être comparé à ce qui se passe, par exemple, au sein d'une unité de greffe d'organes — on fait un suivi des personnes ayant subi une greffe pendant de nombreuses années pour prévenir un rejet d'organe. Ce suivi ne peut pas être effectué par un médecin de famille — on a besoin d'un expert en la matière qui puisse véritablement comprendre les résultats.
    Bien qu'il soit possible de former un vaste éventail de personnes, la thérapie cognitive qui doit être menée ne relève pas — Dieu merci — du domaine de compétence des médecins. Il faut dispenser la formation requise. À défaut d'une formation, les gens ne peuvent pas être efficaces. Il s'agit d'un travail spécialisé qui ne peut pas être effectué par n'importe qui. Seules les personnes ayant suivi une formation rigoureuse peuvent le faire.
    Dans le domaine de la santé mentale, est-ce que les gens sont d'accord avec ce que vous venez d'expliquer? Vous avez mentionné que les troubles de l'alimentation n'étaient pas abordés dans le cadre des études en médecine. Diriez-vous que, de façon générale, les gens du domaine médical comprennent ce genre de traitements et sont favorables à ce qu'ils soient intégrés aux soins de santé? Est-ce que les traitements de ce genre font l'objet d'une discrimination, même au sein du domaine médical? Je suppose que, au fond, je cherche à savoir si les médecins prennent ces traitements au sérieux.
    À mon avis, ce qui caractérise à cet égard le secteur des soins de santé, c'est essentiellement l'ignorance. Pour autant que je sache, durant toute sa carrière, le médecin de famille moyen n'aura affaire qu'à deux ou trois personnes gravement atteintes d'anorexie. Ces cas les intéressent beaucoup. Ils me téléphonent et veulent tout savoir à propos de cette maladie. Ils ont plus peur qu'autre chose.
    En général, il s'agit simplement d'ignorance et de méconnaissance. Il arrive, même dans le domaine médical, que des personnes aient une attitude discriminatoire à l'égard de ces traitements, mais dans la plupart des cas, il s'agit simplement d'un manque de connaissances. On ne leur a pas présenté ces maladies durant leurs études. Ils ne savent rien à leur propos, et lorsqu'une personne qui en est atteinte vient les consulter, ils n'ont aucune idée de ce qu'ils doivent faire.
    C'est parce que...
    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
    Oui, en quelque sorte.
    Il vous reste 20 secondes.
    Je me demande simplement ce que l'on doit faire pour que ces maladies soient intégrées au programme des facultés de médecine de manière à ce que les étudiants en apprennent davantage à leur sujet.
     Il faudrait mener des campagnes de sensibilisation et créer des groupes de pression, n'est-ce pas? C'est pourquoi, par exemple, la création et le soutien de l'organisme national de sensibilisation du public sont si importants. De plus, je pense que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer sur le plan de l'éducation du public.
    Madame Sellah, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Docteur Woodside, merci d'être ici et d'apporter des éclaircissements concernant cette condition médicale très sérieuse et de plus en plus fréquente dans notre société.
    J'étais heureuse d'entendre parler des facteurs qui prédisposent à cette maladie. Comme vous l'avez dit, c'est une maladie. Cela tombe donc sous la gouverne du domaine médical, sans parler des facteurs déclencheurs dans la société. Je suis contente que vous l'ayez dit.
     Pour ma part, je suis une professionnelle de la santé, car je suis omnipraticienne de formation. Je sais donc que le DSM-V, tout comme le précédent DSM-IV, fait partie des livres qu'ont les étudiants en médecine. Ils suivent des cours en psychiatrie. Ils ont une notion de ces troubles alimentaires, que ce soit l'anorexie nerveuse ou la boulimie. Comme vous l'avez dit plus tôt, c'est vrai que les gens passent outre cela. On sait qu'il y a des domaines de spécialité. Je suis d'accord avec vous pour dire que ces approches devraient être faites par des experts.
    Cela étant dit, je suis préoccupée, puisque cela relève du domaine de la santé. Je sais que vous êtes à la tête d'un des meilleurs programmes au pays pour ces troubles alimentaires. Toutefois, je me demande quelle est l'accessibilité à tels programmes pour des gens qui se trouveraient, par exemple, dans des zones rurales. C'est ma première question.
(1620)

[Traduction]

    Les personnes qui vivent en région rurale doivent quitter leur région pour recevoir un traitement intensif. Ma circonscription hospitalière, par exemple, couvre la majeure partie du Nord de l'Ontario. Il y a des gens qui font des centaines de kilomètres pour participer à mon programme. Ce n'est pas l'idéal. Il serait préférable qu'ils puissent être traités plus près de leur domicile. La fourniture de traitement aux personnes des régions éloignées et rurales pose des difficultés, car il n'y a pas beaucoup de patients dans ces régions. Ces personnes sont tout aussi malades que celles qui vivent ailleurs, mais leur nombre n'est pas suffisant pour justifier l'établissement d'une clinique en bonne et due forme là-bas.
    Cela dit, il est extrêmement simple de mettre en place des microcliniques de deux ou trois employés où l'on enseigne à des gens à dispenser une thérapie cognitivo-comportementale à des personnes atteintes de boulimie. Il est très facile de fournir une telle formation. La thérapie cognitivo-comportementale devrait être accessible dans chaque collectivité du pays.
    En outre, il est très simple de dispenser dans de petites cliniques une formation pour apprendre à des gens à établir un diagnostic. On devrait être en mesure de faire cela. J'estime qu'il est très important que les omnipraticiens et les pédiatres possèdent de meilleures connaissances à propos des troubles de l'alimentation, de manière à ce qu'ils puissent à tout les moins les détecter et aiguiller les personnes atteintes vers la clinique de traitement située le plus près de chez elle.
    Je suis d'accord avec vous pour dire que l'accès aux soins de santé liés à tout type d'affection — et non pas seulement à celui dont nous parlons — pose un grave problème dans les collectivités éloignées et rurales.

[Français]

    Justement, là est la question. Vous recommandez qu'il y ait des experts dans tous les domaines.
    Je viens de la province de Québec, et je sais que la prestation de services relève du gouvernement provincial, et non du gouvernement fédéral. Y a-t-il eu des contacts ou des communications avec d'autres provinces pour parler de cet enjeu?

[Traduction]

    Dans toutes les provinces où ils sont présents, les organismes de sensibilisation ont présenté des observations au gouvernement en place. La plupart de ces organismes reçoivent de l'aide de comités consultatifs composés de professionnels. En général, le travail de sensibilisation est effectué par des personnes faisant partie d'une famille touchée. À l'heure actuelle, c'est par ces personnes que le travail est fait. Un organisme national de sensibilisation travaillerait entre autres à l'élaboration de recommandations et de normes.
    Je sais que le rôle du gouvernement fédéral en matière de fourniture de soins de santé est limité. À mon avis, c'est au chapitre de l'établissement de normes et de la sensibilisation qu'il a un rôle important à jouer. C'est à lui qu'il revient d'attirer l'attention sur un domaine qui a été négligé et où les soins ne sont probablement pas dispensés de façon adéquate, et de formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour améliorer la santé des personnes malades.
    Nous allons maintenant passer à Mme Crockatt. Vous avez cinq minutes.
    Docteur Woodside, nous sommes très heureux de vous accueillir. Je pense que nous nous rendons compte que les gens ne sont pas suffisamment informés, et que notre étude pourrait contribuer à faire progresser les connaissances. C'est merveilleux que vous ayez été en mesure de vous présenter ici. L'un des membres du Parti conservateur l'a souligné.
    En outre, je suis heureuse de pouvoir participer à cette étude puisque j'entretiens des liens assez étroits avec la docteure April Elliott, que vous connaissez peut-être. Elle dirige le département de médecine des adolescents de l'hôpital pour enfants de l'Alberta, et elle s'occupe des cas de boulimie et d'anorexie.
    Je pense que vous êtes en train de tenter de déboulonner quelques-uns des mythes, qui semblent très nombreux. À mon avis, le grand public n'a aucune idée du nombre de décès causés par l'anorexie. Les gens croient généralement qu'il s'agit d'une impulsion qu'il est possible de maîtriser. Je crois que, aujourd'hui, vous avez déjà commencé à changer les mentalités grâce à l'information que vous nous avez transmise.
    Vous avez dit deux ou trois choses qui ont suscité mon intérêt. L'une d'entre elles tient à l'idée répandue au sein de la société selon laquelle l'obésité infantile aurait atteint en quelque sorte des proportions épidémiques. Vous avez dit que cela était faux. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi. Il s'agit peut-être d'un autre de nos problèmes.
(1625)
    J'espère que vous inviterez la docteure Leora Pinhas à témoigner devant vous. Elle vous expliquera cela de façon beaucoup plus détaillée. Elle est biostatisticienne. En un mot — là encore, elle vous fournira de plus amples renseignements —, selon son interprétation des données épidémiologiques, les taux de troubles alimentaires chez les enfants sont deux fois plus élevés que les taux d'obésité; toutefois, on juge qu'il y a une épidémie d'obésité, et on ne se préoccupe pas des troubles de l'alimentation. Voilà un résumé de ce qu'elle vous dirait.
    Oh, wow.
    Soyons clairs: je ne suis pas en faveur de l'obésité — je suis contre les régimes, car je ne pense pas qu'ils aient une quelconque utilité, même pas, du reste, pour traiter l'obésité.
    Certains programmes scolaires comportent des risques, par exemple ceux dans le cadre desquels on mesure l'indice de masse corporelle des enfants — ceux dont l'IMC est trop élevée se font pointer du doigt. Cela revient à leur offrir une pilule qui les rendra anorexiques. Il faut trouver un juste équilibre. Il ne faut pas que des enfants de huit ans soient ostracisés parce que leur IMC est quelque peu supérieur à celui que, d'après certaines personnes, ils devraient présenter.
    Tout à fait.
    Vous avez fait allusion à quelques nouveaux traitements qui seront mis en oeuvre, et vous avez évoqué des traitements neurologiques.
    Pouvez-vous nous indiquer les nouveaux traitements à propos desquels nous devons mener des recherches et des études plus approfondies?
    Bien sûr. Il y a deux choses que nous faisons, et nous sommes des chefs de file mondiaux dans ces domaines. Tout d'abord, nous utilisons la stimulation cérébrale profonde pour traiter les cas d'anorexie chronique, grave et intraitable, c'est-à-dire pour traiter des gens qui vont mourir. Nous avons traité 14 personnes, et 6 personnes figurent sur notre liste d'attente.
    Il s'agit d'un traitement semblable à celui utilisé à l'égard de personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Nous implantons dans le cerveau du patient des électrodes branchées à un stimulateur fonctionnant en permanence. Il s'agit d'un traitement prometteur. Je me permets une courte digression pour souligner qu'il n'est pas rare que des gens croient que ces malades chroniques ne veulent pas prendre du mieux. Bien souvent, ce qui les rend pessimistes, ce sont les traitements courants. Vingt femmes de divers âges attendent pour subir une chirurgie du cerveau dans l'espoir que cela améliorera leur situation et accroîtra leurs chances de rétablissement. Ces personnes sont très désireuses de subir un traitement, même un traitement extrême. Nous obtenons de très bons résultats avec ce traitement.
    En outre, nous menons des recherches concernant l'utilisation de ce que l'on appelle la stimulation magnétique transcrânienne afin de traiter des cas de boulimie nerveuse, de même que d'importants cas d'affections concomitantes et d'anorexie nerveuse, plus particulièrement des troubles obsessionnels-compulsifs et des troubles de stress post-traumatique, qui peuvent nuire à la capacité d'un patient de bien réagir à un traitement.
    Je suis fier de dire que, de concert avec les Forces canadiennes, nous menons un projet pilote sur le traitement du trouble de stress post-traumatique chez des anciens combattants. Nous obtenons de bons résultats à cet égard également.
    Nous travaillons actuellement à l'élaboration de deux traitements de neurostimulation.
    Est-ce que la rééducation du cerveau fait partie de ces traitements?
    La stimulation magnétique transcrânienne modifie le fonctionnement de certains circuits cérébraux, principalement des circuits liés à la régulation des émotions. Les personnes qui réagissent bien au traitement disent qu'elles se sentent plus normales à l'intérieur d'elles-mêmes, qu'elles ont une conscience plus aiguë et plus cohérente de leurs états émotionnels. Elles n'ont plus besoin de vivre des épisodes de gloutonnerie et de purgation, et les personnes qui présentent un TSPT n'éprouvent plus d'états de stimulation excessive qui les amène, par exemple, à s'automutiler.
    Il ne s'agit pas exactement d'une rééducation — il s'agit plutôt d'un rétablissement du fonctionnement normal de circuits cérébraux dont il avait été établi qu'ils ne fonctionnaient pas normalement. Cela vaut également pour la stimulation cérébrale profonde.
    Il vous reste 15 secondes.
    Si je ne m'abuse, vous avez dit que 60 % des personnes que vous traitez ont subi de la violence sexuelle ou physique. Est-ce exact?
    Oui. Je m'occupe des cas d'anorexie nerveuse les plus graves de notre service des patients hospitalisés. Une proportion de 60 % d'entre eux sont des victimes de violence sexuelle ou physique.
    Merci, docteur Woodside. Cela met fin à l'heure dont nous disposions.
    Nous vous remercions énormément de nous avoir fourni de précieux renseignements et d'excellentes indications sur ces maladies, et d'avoir pris le temps de venir ici malgré votre horaire chargé.
    Merci, madame la présidente.
    Je vous souhaite la meilleure des chances pour votre étude.
    Nous n'avons pas d'autres travaux à effectuer. Je vous rappelle que notre prochaine réunion aura lieu le mardi 3 décembre.
    La séance est levée.
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