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ACVA Rapport du Comité

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ÉTUDE COMPARATIVE DES SERVICES OFFERTS AUX ANCIENS COMBATTANTS À L’ÉTRANGER

1. INTRODUCTION

Depuis le début des années 1990, la fin de la Guerre Froide a transformé la nature des opérations militaires menées par le Canada et ses alliés. Au lieu de deux blocs, dont les membres sont agglomérés à deux superpuissances, et qui, étant donné les risques d’un affrontement direct, sont amenés à tester leurs prétentions de supériorité militaire et idéologique par le biais d’affrontements indirects, de nombreuses interventions militaires du dernier quart de siècle ont davantage été menées dans un objectif de protection des populations civiles (guerres civiles ou conflits ethniques) ou de lutte contre le terrorisme. Durant la Guerre Froide, le Canada a participé à de nombreuses missions internationales de maintien de la paix dont l’objectif consistait à empêcher que les belligérants, habituellement alliés à l’un des deux blocs, ne reprennent les hostilités et risquent ainsi d’engager les superpuissances dans une spirale destructrice. Ces missions étaient souvent menées dans un climat de tension extrême, mais leur nature même faisait en sorte que les militaires canadiens furent rarement impliqués dans des opérations de combat. Avec la fin de la Guerre Froide et la désagrégation du Bloc soviétique, les forces internationales, dont la légitimité tenait à ce qu’elles étaient au-dessus des blocs, sont devenues associées à des coalitions spécifiquement occidentales, et ont été de plus en plus perçues par les belligérants comme parties prenantes aux conflits, soit comme alliées, soit comme ennemies. Les coalitions internationales sont donc elles-mêmes devenues des cibles, et malgré la légitimité morale que leur confèrent les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, elles peuvent désormais beaucoup plus difficilement faire valoir leur neutralité.

Depuis les années 1990, les opérations militaires comportent donc un risque accru pour les militaires, même si elles sont menées sous l’autorité des Nations Unies. La participation du Canada à la Guerre du Golfe, au conflit en ex-Yougoslavie, et bien sûr en Afghanistan, a entraîné des pertes de vie humaine et des blessures physiques et psychologiques à un degré que les Forces Canadiennes n’avaient pas connu depuis la Guerre de Corée.

Cette transformation profonde de la nature des conflits armés, et les dangers accrus qu’ils comportent pour les militaires, a entraîné la nécessité d’une transformation correspondante de tout le système des services à offrir aux personnes qui ont été confrontées aux séquelles de ces conflits, c’est-à-dire les vétérans et les membres de leur famille. Au Canada, l’adoption unanime en 2005 du projet de loi créant la Nouvelle Charte des Anciens combattants est venue incarner la profondeur de cette transformation. Dans la plupart des pays alliés du Canada, des transformations importantes ont également eu lieu pour les mêmes raisons, mais les solutions à des problèmes parfois similaires ont été d’une grande diversité, selon le contexte particulier de chacun des pays. Par exemple, la Guerre du Vietnam a eu un impact considérable sur la nature des prestations et des programmes offerts aux vétérans américains, et la Guerre d’Algérie a eu un impact similaire en France.

Avec le temps, le Canada et ses alliés sont maintenant dans une position qui leur permet d’évaluer avec un certain recul les résultats de la multiplicité des programmes qui furent mis en place afin de réagir à la transformation des conflits armés après la fin de la Guerre Froide. C’est dans cette perspective très générale que les membres du Comité ont entrepris cette étude des programmes destinés aux vétérans dans d’autres juridictions. L’objectif n’était pas d’examiner un programme particulier dans toutes ses ramifications, mais d’élargir les horizons et de mettre en perspective les choix faits au fil des ans par le Canada et ses alliés afin de voir si certaines solutions ayant connu de bons résultats ailleurs pourraient servir d’inspiration ici, ou à l’inverse nous éviteraient d’être trop facilement séduits par ce qui semblait une bonne idée il y a quelques années et qui n’a pas donné les résultats escomptés.

L’ombudsman des vétérans, M. Guy Parent, fut le premier témoin à s’exprimer dans le cadre cette étude, et d’entrée de jeu il a rappelé qu’il ne faut pas attendre trop des comparaisons internationales :

Je crois qu'il est important de surveiller les mesures que déploient d'autres pays pour soutenir leurs vétérans, afin de se tenir au fait des pratiques exemplaires. Toutefois, je crois également qu'il est impératif de mettre au point des solutions canadiennes pour répondre aux enjeux et pour résoudre les problèmes canadiens[1].

Lorsqu’on ne tient pas compte du contexte dans lequel s’inscrit un programme ou une prestation en particulier, il est facile d’affirmer que le Canada fait mieux ou pire qu’un autre pays, mais il est également facile de tomber dans les malentendus.

Par exemple, on sait que chez nous, Anciens Combattants Canada travaille depuis plusieurs années à réduire le nombre de vétérans dont doit s’occuper chaque gestionnaire de cas. Le ratio est actuellement d’environ 30 vétérans pour chaque gestionnaire de cas, et l’objectif est de le ramener à 25. Les membres du Comité furent donc étonnés d’apprendre qu’en Nouvelle-Zélande, chaque gestionnaire de cas devait s’occuper d’environ 200 vétérans[2]. La raison en est que la définition d’un gestionnaire de cas n’est pas la même au Canada et en Nouvelle-Zélande. Ici, ce sont des « agents de service aux vétérans » qui s’occupent de la majorité des vétérans, alors que ceux dont les besoins sont les plus complexes, soit environ 10 % des vétérans, sont suivis par des « gestionnaires de cas ». En Nouvelle-Zélande, ils sont tous appelés « gestionnaires de cas ». Chez eux, la distinction est faite entre les vétérans qui bénéficient d’une « gestion de cas active » et ceux qui, à une période donnée de leur cheminement, n’en ont pas besoin :

Tout dépend du niveau de soins requis. Il y a un bien plus grand nombre d'anciens combattants qui ne font pas l'objet d'une gestion de cas active. […] Ils se débrouillent bien à la maison, mais dès que leur situation changera, ils seront suivis avec assiduité en gestion de cas et consulteront le même gestionnaire de cas qu'auparavant, de sorte qu'il y ait toujours ce point de contact. […] C'est le niveau de risque et de besoins qui détermine à quelle fréquence nous sommes en contact avec eux. Donc, dans le cas des jeunes anciens combattants qui souffrent de problèmes de santé mentale et qui présentent des risques élevés, nous pouvons être en contact avec eux toutes les semaines ou plus fréquemment; tout dépend de la situation[3].

Il n’y a donc pas d’écarts spectaculaires entre les deux pays en ce qui touche aux soins offerts aux vétérans dont les besoins sont les plus complexes.

Il serait facile de multiplier les exemples de malentendus similaires qui peuvent surgir lorsqu’on n’est pas suffisamment attentif au contexte. Il faut donc prendre au sérieux les mises en garde de l’ombudsman des vétérans lorsqu’il affirme que :

Il est important de comprendre le contexte lorsqu’on examine les services qu’offrent d’autres pays à leurs anciens combattants. Si un pays est doté d’un système national de soins de santé ou que le coût de la vie y est élevé, ces deux aspects peuvent influer grandement sur la raison pour laquelle un service est offert ou pas ainsi que sur sa valeur particulière en dollars[4].

Les membres du Comité se sont efforcés, tout au long de ce rapport, de garder à l’esprit ces sages paroles et de ne pas succomber à la tentation de comparaisons trop hâtives.

Des réunions ont été tenues avec des représentants des États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne. Une autre rencontre s’est tenue avec le représentant d’un programme provincial d’indemnisation des accidentés du travail, afin de voir dans quelle mesure ces programmes pouvaient être comparables à ce qui est offert aux vétérans blessés en service. En mai 2017, sept membres du Comité se sont également rendus à Washington afin d’examiner les particularités des programmes offerts aux vétérans américains.

La multiplicité des thèmes abordés a permis de mieux comprendre les aspects des programmes et services les plus susceptibles de favoriser une transition réussie. Ces thèmes ont été regroupés en cinq grandes catégories :

  • La reconnaissance sociale de la valeur du service militaire et la commémoration;
  • Les services de transition et de réadaptation (médicaux, psychosociaux et professionnels), y compris les mesures de remplacement du revenu durant la transition et la réadaptation;
  • Les avantages financiers dont l’objectif est d’indemniser la douleur et la souffrance liées à une invalidité découlant du service militaire (perte non pécuniaire ou non économique, en tant que montants forfaitaires ou paiements périodiques), et le soutien financier supplémentaire offert aux vétérans gravement blessés et aux membres de la famille;
  • La prestation des services, c’est-à-dire la structure organisationnelle et tout ce qui peut influer sur la manière dont les programmes sont livrés, compris des vétérans, et leur parviennent dans des délais raisonnables;
  • L’organisation particulière des initiatives en santé mentale, y compris les programmes touchant l’itinérance et la prévention du suicide, étant donné leur lien fréquent avec les problématiques de santé mentale.

2. DES CONTEXTES VARIÉS

Tout au long de cette étude, les membres du Comité ont pu apprécier à quel point la nature particulière des programmes mis en place dans chacun des pays était tributaire d’une multiplicité de facteurs qui peuvent difficilement être transférés d’un pays vers l’autre. On peut penser par exemple à l’existence ou non de multiples paliers de gouvernement, de l’offre publique de soins de santé et de programmes sociaux, des conflits auxquels les forces militaires de chaque pays ont participé, de la culture militaire, de la responsabilité partagée des services aux vétérans entre deux ministères ou regroupés au sein du ministère de la Défense, de la plus ou moins grande présence des organismes communautaires, ou tout simplement du nombre de vétérans.

2.1 L’exception américaine

Les États-Unis peuvent difficilement être comparés à qui que ce soit de manière directe étant donné le nombre de leurs vétérans, 21 millions, l’envergure de leur force militaire, le nombre de conflits auxquels ils ont pris part, les particularités de leur système de services sociaux et bien d’autres facteurs. Le département des Anciens combattants est le deuxième en importance au sein de l’administration américaine, après le département de la Défense. Il compte 370 000 employés, et un budget de 225 milliards de dollars canadiens. Autrement dit, à lui seul, le département américain des anciens combattants se compare à l’ensemble de la fonction publique canadienne pour le nombre de ses employés, et est presque équivalent au total de l’ensemble des dépenses du gouvernement du Canada. De plus, comme l’a rappelé M. Robert Reynolds, du département des anciens combattants :

Nos services de santé gèrent ce qui est probablement le plus important réseau d'installations hospitalières du monde. Nous possédons plus de 1 700 installations, depuis les grandes installations traditionnelles jusqu'à ce que nous appelons les cliniques communautaires pour patients externes. Nous offrons aussi de plus en plus de services de télésanté. Dans le domaine des soins de santé, nous fournissons des services à près de 9 millions de vétérans. […] Notre plus petite administration est celle qui est responsable des cimetières et des monuments commémoratifs. Nous supervisons les cimetières pour environ 4,3 millions de vétérans ainsi que les membres de leur famille qui se trouvent sur nos terrains. Nous inhumons près de 130 000 personnes par année dans le cadre de nos affaires commémoratives[5].

L’énormité de ces chiffres fait que les défis liés aux programmes pour les vétérans aux États-Unis se retrouvent dans une catégorie à part.

M. Michael Missal, inspecteur général au département des anciens combattants – l’équivalent de ce que serait chez nous un vérificateur général – est venu illustrer la tâche colossale à laquelle doit se dévouer le gouvernement américain :

Au cours du dernier exercice financier, le département a assuré près de 58 millions de consultations médicales ainsi que plus de 25 millions de rendez-vous pour des soins en milieu communautaire. Le département dispose de 56 bureaux régionaux responsables des prestations aux vétérans admissibles. Environ 4,5 millions de vétérans reçoivent une pension d'invalidité, et environ 300 000 vétérans et plus de 200 000 de leurs survivants reçoivent des pensions. […] Le département administre le dixième régime d'assurance-vie en importance aux États-Unis; le total du capital assuré par les polices d'assurance dépasse les 12 000 milliards de dollars. Le département offre également une indemnité d'étude à plus de un million d'étudiants, et il s'occupe d'un programme de prêts hypothécaires dans le cadre duquel le département a fourni des garanties pour les prêts en cours à hauteur de 2,5 millions de dollars. Le département des Anciens Combattants fournit des services de réadaptation professionnelle et des avantages en matière d'emploi à plus de 140 000 vétérans. Vous comprendrez, vu ces chiffres ahurissants, à quel point le département est une organisation vaste et complexe[6].

En gardant à l’esprit qu’il faut éviter les comparaisons hâtives, on peut tout de même illustrer l’ampleur des efforts déployés par le département américain des anciens combattants par le fait qu’aux États-Unis, le département coûte 696$ / habitant, alors que le ministère canadien coûte aux contribuables 129$ / habitant. La proportion des Américains qui sont des vétérans explique en grande partie cette différence, ainsi que le fait que la plus grande partie du coût des soins de santé est défrayée au Canada par les provinces. En Australie, ce ratio atteint 497$ / habitant, et s’explique en partie par le nombre relativement élevé de clients du ministère, 300 000 sur une population de 24 millions, comparativement à 200 000 au Canada sur une population d’un peu plus de 36 millions.

2.2 Nouvelle-Zélande : Des réponses différentes à des problèmes semblables

À l’autre extrémité du spectre, l’organisme chargé des services aux anciens combattants de Nouvelle-Zélande compte 68 employés au sein du ministère de la Défense pour offrir ses services à 12 000 clients grâce à un budget d’environ 280 millions de dollars canadiens, ce qui donne un ratio de 60$ / habitant. En comparaison des systèmes américain, australien et canadien, peu de services directs sont offerts en Nouvelle-Zélande, comme l’a expliqué Mme Bernadine Mackenzie, de Veterans Affairs New Zealand :

[Nous sommes] un organisme de financement et de facilitation, et non un organisme de prestation de services. Cela signifie qu'il est essentiel pour nous d'établir des partenariats efficaces avec d'autres organismes. Nous collaborons avec plusieurs autres organismes gouvernementaux, notamment Accident Compensation Corporation, un régime d'assurance multirisque pour les dommages corporels sans égard à la responsabilité qui s'applique à tous les Néo-Zélandais; le ministère du développement social, qui gère, en notre nom, le paiement de la pension des anciens combattants; et le ministère de la santé, qui supervise un excellent système de santé publique par l'entremise duquel les anciens combattants peuvent avoir accès à des services médicaux de qualité.
Nous collaborons aussi très étroitement avec des groupes d'anciens combattants, notamment le Royal New Zealand Returned and Services' Association et No Duff, un groupe de revendication récemment formé qui représente les jeunes anciens combattants contemporains. Il est très important que nous entretenions des relations de travail efficaces avec ce groupe pour établir des liens avec la communauté des anciens combattants, car comme je l'ai déjà mentionné, nous n'avons aucun bureau régional[7].

Comme ce fut le cas au Canada, au Royaume-Uni et en Australie, la Nouvelle-Zélande a procédé à une révision complète de l’ensemble de ses programmes touchant les vétérans au cours des années 2 000, suite à l’intensification et au risque plus élevé lié aux conflits qui ont suivi la fin de la Guerre Froide :

Nous menons nos activités en vertu de la Veterans' Support Act of 2014. Cette loi a remplacé notre loi précédente, car cette dernière datait de 1954. Elle a été adoptée pour moderniser le soutien offert à nos anciens combattants et à leur famille, et elle est maintenant axée sur la réadaptation, plutôt que de se contenter de payer des pensions et de fournir un soutien financier aux anciens combattants. Ce changement reconnaît l'évolution de la communauté d'anciens combattants que nous servons, c'est-à-dire qu'elle est composée de moins en moins de soldats âgés qui ont participé à la Deuxième Guerre mondiale et à la guerre de Corée, et de plus en plus de jeunes anciens combattants qui espèrent se faire une vie après avoir quitté l'armée[8].

Cette affirmation est en tous points conforme aux motivations du gouvernement du Canada lors de l’adoption de la Nouvelle Charte des Anciens combattants en 2005. Le système néo-zélandais a toutefois la particularité de s’appuyer sur l’existence d’un programme national d’indemnisation des accidentés du travail :

Il est important de souligner que la loi en vertu de laquelle nous menons nos activités ne couvre pas tous les militaires qui ont déjà servi dans l'armée néo-zélandaise. En effet, la loi précise clairement les personnes visées par ses dispositions, à savoir toutes les personnes qui ont servi dans les forces armées de la Nouvelle-Zélande avant le 1er avril 1974. C'est la date de la création de l'Accident Compensation Corporation. Cet organisme couvre les dommages corporels subis à la suite d'accidents qui se sont produits depuis le 1er avril 1974, ce qui signifie que tous les anciens combattants, tout comme les Néo-Zélandais, profitent d'une couverture offerte par l'ACC pour une blessure, une maladie ou un décès attribuable à un accident survenu pendant le service au cours de cette période[9].

Les vétérans dont les blessures liées au service sont postérieures au 1er avril 1974 ont l’option de bonifier les prestations du régime universel par celles qui peuvent être offertes en supplément par le ministère des anciens combattants. D’autres services, similaires à ceux offerts aux vétérans canadiens, sont disponibles, dont un programme pour l’indépendance des anciens combattants similaire au programme canadien du même nom[10].

2.3 France : Un système de gouvernance original

La plupart des programmes qui, au Canada, sont sous la responsabilité du ministère des Anciens Combattants, ont été créés en France en vertu du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre dont la première version est entrée en vigueur en avril 1951. La responsabilité du Code a été confiée au ministère des Armées (autrefois ministère de la Défense). Il n’existe donc pas en France de ministère autonome chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes destinés aux vétérans. Toutefois, la gestion des programmes autres que les pensions d’invalidité, par exemple la formation des vétérans blessés et la commémoration, a été confiée depuis 1916 à l’Office national des anciens combattants et des victimes de la guerre (ONACVG).

Depuis plusieurs décennies, il y avait en France un ministre des Anciens combattants, ou ministre délégué, sous l’autorité du ministre des Armées, à qui était déléguée la gestion des programmes destinés aux vétérans. Cependant, le premier ministre Édouard Philippe n’en a pas nommé dans le gouvernement actuel. C’est donc la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, Mme Geneviève Darrieussecq, qui assume ce rôle depuis juin 2017.

2.4 Royaume-Uni : la prise en charge locale des programmes de réadaptation

Au Royaume-Uni, tout comme en France et dans la plupart des pays d’Europe, il n’existe pas de ministère séparé pour les vétérans. Les programmes destinés aux vétérans sont sous la responsabilité d’un-e ministre d’État pour le personnel militaire et les vétérans (Minister of State for Defence Personnel and Veterans). Le-la ministre d’État est en charge de la Service Personnel and Veterans Agency, sous laquelle Veterans UK regroupe les programmes et services destinés aux vétérans.

Tout comme au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, il existe deux régimes législatifs distincts pour les vétérans. Le War Pension Scheme (WPS), qui s’applique aux invalidités et au décès causés par le service militaire avant avril 2005, est défini en vertu du Naval, Military and Air Forces Etc. (Disablement and Death) Service Pensions Order 2006. La plupart de ses articles en vigueur actuellement furent adoptés en 1947. À la fin des années 1990, une révision du régime constata que plusieurs avantages introduits par des législations à caractère social après l’entrée en vigueur du WPS visaient les mêmes objectifs.

La révision jugea également qu’il était devenu nécessaire d’adopter un nouveau régime afin que soient mises en œuvre des mesures de soutien plus modernes et axées sur « l’accroissement des capacités et l’habilitation[11]. » Cela mena à l’adoption du Armed Forces and Reserve Forces (Compensation Scheme) Order 2005, connu sous l’appellation Armed Forces Compensation Scheme (AFCS), et qui s’applique aux invalidités et aux décès causés par le service militaire après avril 2005.

Tout comme au Canada, l’élément le plus controversé de ce nouveau régime fut la création d’une indemnité d’invalidité forfaitaire qui est venue remplacer la pension d’invalidité. Il existe de nombreuses interactions entre les avantages offerts en vertu des deux régimes, et les avantages offerts en vertu d’autres programmes sociaux. Une révision complète du AFCS fut entreprise en 2010 et a présenté des recommandations sur une quinzaine d’enjeux. Le gouvernement les a toutes acceptées et a commencé à les mettre en œuvre.

Durant la même période, le gouvernement du Royaume-Uni a publié le Armed Forces Covenant qui définit son engagement envers les militaires en service et les vétérans, et auquel se greffent deux autres pactes : l’un avec les entreprises et les organismes communautaires, et l’autre avec les localités.

2.5 Australie : transition plutôt que rupture

Il existe en Australie un ministère séparé qui s’occupe des programmes et services destinés aux vétérans. Tout comme au Royaume-Uni et au Canada, les autorités australiennes ont jugé que les programmes traditionnels convenaient mal à la réalité des vétérans des conflits d’après la Guerre froide. Toutefois, contrairement au Canada et au Royaume-Uni, l’Australie a été activement impliquée dans la Guerre du Vietnam. Environ 60 000 militaires australiens y ont été déployés. On peut donc affirmer que la transition entre l’ancien régime de programmes et celui adopté en 2004 fut moins radicale que les réformes adoptées au Canada et au Royaume-Uni.

La plupart des programmes de réadaptation sont similaires à ceux adoptés dans les autres pays du Commonwealth, tout comme ceux qui viennent en aide aux vétérans gravement blessés qui ne peuvent plus retourner au travail. La différence la plus marquante, et qui illustre bien cette plus grande continuité, réside dans le système d’indemnisation des invalidités liées au service militaire. Le système australien a maintenu le système de pension à vie, mais offre aux vétérans la possibilité de transformer cette pension à vie en un montant forfaitaire, selon un calcul original qui tient compte à la fois du degré d’invalidité et de l’âge du vétéran au moment de la blessure (voir plus loin la section 5).

2.6 Allemagne : « anciens militaires » et « vétérans »

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne vaincue est occupée par les États‑Unis, le Royaume‑Uni, la France et l’URSS. Cette dernière ne s’entend pas avec les Alliés occidentaux, et leur bloque l’accès à Berlin qui se trouve dans la zone orientale occupée par les Soviétiques. Le blocus est levé le 12 mai 1949 et mène à la fondation, le 23 mai 1949, de la République fédérale d’Allemagne (RFA) qui regroupera les territoires occupés par les Alliés. L’URSS réagit en proclamant la fondation de la République démocratique d’Allemagne (RDA) en octobre 1949. Les Accords de Paris en 1955 mettront fin à l’occupation de la RFA par les Alliés, entraîneront l’adhésion de la RFA à l’OTAN, et poseront les conditions de sa remilitarisation par la création de la Bundeswehr la même année. Le service militaire a été maintenu jusqu’en 2011.

Les forces armées allemandes comptent aujourd’hui environ 180 000 membres, comparativement à environ 89 000 membres dans les Forces armées canadiennes. Certains sont des militaires de carrière, c’est-à-dire qu’ils souhaitent consacrer toute leur vie professionnelle à leur carrière militaire, alors que d’autres sont des militaires à contrat qui s’enrôlent pour une durée déterminée. Les avantages et les programmes disponibles sont différents, selon que les anciens militaires étaient des militaires de carrière ou des militaires à contrat[12].

Il n’existe pas de définition légale d’un vétéran en Allemagne. Les anciens membres de la Wehrmacht (forces armées allemandes durant la Seconde guerre mondiale) durant la période du national‑socialisme, ne bénéficient pas d’une reconnaissance populaire comparable à celle qu’on accorde par exemple à l’héroïsme des vétérans canadiens de la Seconde Guerre mondiale.

L’une des conditions de l’adhésion de la RFA à l’OTAN, en 1955, était que les forces ouest‑allemandes n’aient qu’un rôle de défense de leur territoire, et que les opérations auxquelles elles pourraient participer à l’étranger ne pourraient être menées que sous l’autorité de l’OTAN. Le nombre d’événements liés au service militaire ayant entraîné une invalidité ou le décès fut donc limité. La participation de l’Allemagne à des opérations internationales s’est toutefois intensifiée avec le démembrement de l’Union Soviétique, la chute du Mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne en 1990. Depuis 1992, environ 300 000 soldats allemands ont participé à des opérations internationales[13].

À la fin des années 2000, au plus fort du conflit en Afghanistan, environ 6 000 membres des forces allemandes étaient déployées à tout moment sur le théâtre d’opérations, ce qui en faisait le deuxième plus important contingent de la coalition[14]. Depuis la fin de la mission en Afghanistan, qui a coûté la vie à 55 militaires allemands, des organisations se sont formées afin de revendiquer le statut de vétéran et obtenir de meilleurs services de soutien, en particulier des services adaptés en santé mentale.

En 2013, afin de répondre aux demandes d’une nouvelle génération de vétérans, l’ancien ministre allemand de la Défense, Thomas de Maizière, avait proposé une ébauche de définition qui associait le statut de vétéran au fait d’avoir quitté honorablement le service actif, et d’avoir participé à au moins une opération à l’étranger[15]. Selon cette définition, il y aurait aujourd’hui environ 120 000 vétérans en Allemagne.

Tous les programmes et services destinés aux anciens membres des forces armées allemandes depuis 1992 sont sous la responsabilité du ministère de la Défense. Il existe deux régimes distincts : le premier s’applique aux « militaires de carrière », qui servent de manière permanente, et le second s’applique aux « militaires à contrat » qui servent pour un nombre d’années fixé par contrat.

2.7 Canada : une générosité en quête d’encadrement

Selon M. Parent, ce qui caractérise l’architecture des services destinés aux vétérans canadiens est l’absence de vision d’ensemble qui permettrait de donner leur sens aux objectifs spécifiques de chacun des nombreux programmes qui sont offerts. Selon lui, « il est très difficile de faire des comparaisons lorsque vous ne définissez pas le résultat que vous souhaitez obtenir[16] .»

Cette absence de barème autonome qui permettrait de mesurer la performance du système canadien en fonction de ses propres valeurs est à la source de nombreuses incohérences et rend selon lui infructueuses les comparaisons avec d’autres pays. M. Parent donne l’exemple des prestations financières pour illustrer comment l’absence d’une vision claire des résultats attendus empêche de poser un jugement éclairé sur la pertinence même des programmes :

Je pense que la difficulté à ce stade est qu'aucun objectif n'a été fixé, si bien que nous ne savons pas vraiment quand nous l'atteindrons. En fait, nos derniers rapports ont révélé que, dans certains cas, les anciens combattants reçoivent plus d'argent qu'ils n'en gagneraient s'ils étaient restés dans les Forces sans avoir été blessés, mais ce n'est jamais au bon moment ou au bon endroit.
Aucun objectif n'a jamais été déterminé. Quel montant voulons-nous que nos anciens combattants et leurs familles reçoivent comme revenu? Voulons-nous qu'ils atteignent le seuil de la pauvreté? Devrait-il s'agir d'un revenu moyen? Ce montant n'a jamais été fixé. D'ici à ce que ce soit fait, comme dans le cas du montant forfaitaire maintenant accordé par la Cour fédérale, ce sera très difficile à déterminer.
Voilà pourquoi je dis que lorsque nous interrogeons des intervenants de pays alliés, il nous serait utile de déterminer lesquels ont des résultats et comment ils y sont arrivés[17].

L’ombudsman des vétérans a répété cette préoccupation à plusieurs reprises durant son témoignage :

Il faut se demander ce qu'on cherche à atteindre. Ensuite, l'approche fondamentale est de se poser la question suivante: si on s'attend à recevoir le même salaire qu'on aurait gagné si on était resté dans les Forces, sans avoir été blessé, quel revenu peut-on obtenir soi-même? En effet, la personne doit avoir la volonté de travailler. Les prestations pourraient combler l'écart pour permettre à la personne d'avoir le salaire qu'elle aurait gagné dans les Forces. Pourquoi a-t-on besoin de 19 différentes prestations pour y arriver? À l'heure actuelle, nous n'en savons rien, parce que nous ne connaissons pas le montant visé. Rien n'a été fixé pour que nous puissions dire, par exemple, que tout le monde gagnera au moins 50 000 $ par année ou quelque chose de ce genre. Ce montant n'a jamais été établi[18].

On peut contraster l’ambiguïté des objectifs visés par certains programmes avec la limpidité de l’objectif fondamental unique des programmes provinciaux destinés aux accidentés du travail, comme ceux qu’a décrits M. John Genise, de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (CSPAAT) : « Notre objectif principal au sein de la CSPAAT, et je crois que c'est le cas à l'échelle de la province, c'est le retour au travail[19]. »

M. Bernard Butler, sous-ministre adjoint à Anciens Combattants Canada a donné une description des objectifs visés par les programmes de son ministère, mais leur atteinte est plus difficilement mesurable que dans le cas des objectifs poursuivis par la CSPAAT. M. Butler a affirmé : « Le bien-être financier, physique et mental des anciens combattants admissibles et de leurs familles est notre objectif et le résultat stratégique recherché dans le cadre d'un grand nombre de programmes et de services offerts par Anciens Combattants Canada[20]. » Un peu plus tard durant son témoignage, il est revenu sur ce point : « Qu'est-ce que visent réellement nos programmes? Je dirais qu'ils servent à aider les anciens combattants et leur famille à retrouver un sentiment de bien-être et à réussir leur réinsertion et leur transition vers la vie civile[21]. » Nul ne remet en doute le bien-fondé d’un tel objectif, mais on peut se questionner sur la possibilité d’en vérifier l’atteinte réelle. À la différence d’un objectif univoque vérifiable comme celui du retour au travail, l’atteinte d’un sentiment de bien-être est variable d’une personne à l’autre et s’accorde de manière plus ambiguë avec la mise en place de programmes à grande échelle comme ceux que le gouvernement du Canada doit mettre en place.

3. RECONNAISSANCE DU SERVICE ET COMMÉMORATION

Au Canada, la participation à des activités liées à la commémoration s’est accrue au cours des quinze dernières années, en partie en raison de la sympathie éprouvée par les Canadiens et les Canadiennes envers les sacrifices consentis par les militaires impliqués dans les opérations en Afghanistan. La reconnaissance sociale de la valeur du service militaire est donc demeurée relativement élevée au Canada, ce qui n’a pas toujours été facile dans certains pays dont les forces armées ont été impliquées dans des conflits plus controversés, que ce soit l’Algérie pour la France[22], le Vietnam pour les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ou, durant les années 2000, l’Irak pour les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, et bien sûr la Seconde guerre mondiale pour l’Allemagne.

Mme Pat Povey, du ministère des anciens combattants de la Nouvelle-Zélande, a raconté que l’absence de valorisation du service militaire lors de la Guerre du Vietnam a beaucoup nui à la capacité des vétérans de ce conflit de vivre un retour harmonieux à la vie civile. La prise de conscience de cette difficulté par le gouvernement néo-zélandais a par la suite permis de rétablir partiellement un certain climat de confiance avec les vétérans en leur offrant un soutien plus personnalisé :

Les vétérans de ce conflit avaient l’impression que leur service n’était pas valorisé. Cela a été une période assez difficile pour eux. Pour corriger la situation, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande leur a présenté des excuses publiques, une fête a été organisée pour souligner leur retour à la maison et un protocole d’entente a été mis en place. Cela a beaucoup aidé ces vétérans à se sentir valorisés et à avoir l’impression que leur service aussi était valorisé.
[…]
Certains vétérans ont encore de la difficulté à accepter la perception du public à leur égard à leur retour en Nouvelle-Zélande. Il est clair que l’aide du ministère des anciens combattants rend cette expérience plus positive. Nous avons remarqué au fil des ans, dans le cadre de la gestion de cas individuels, qu’ils ont l’impression que leur service a une certaine valeur et que nous reconnaissons cette valeur pour la Nouvelle-Zélande[23].

Les difficultés éprouvées par les vétérans américains de la Guerre du Vietnam à leur retour furent également évoquées lorsque des membres du Comité ont visité un « Vet Centre » lors de leur voyage à Washington. Ces centres ont été créés spécifiquement en vue de venir en aide aux vétérans du Vietnam que le gouvernement américain ne parvenait pas à intégrer suffisamment à ses programmes.

Les programmes et les cérémonies de commémoration contribuent donc clairement à offrir aux vétérans la reconnaissance sociale de leur sacrifice, et cette reconnaissance donne un sens à l’engagement de ceux et celles qui continuent d’éprouver des séquelles physiques ou psychologiques de leur service militaire.

4. TRANSITION ET RÉADAPTATION

Lorsqu’on évalue les programmes et les services destinés aux vétérans, il est facile d’oublier que la grande majorité des vétérans de chacun de ces pays les utilisent peu puisque la grande majorité des vétérans vivent une transition harmonieuse. Au Canada, les statistiques font état de difficultés de transition dans 27 % des cas. Au Royaume-Uni, sans qu’il soit possible de vérifier l’équivalence des critères utilisés, cette proportion est encore plus faible. Selon le capitaine Mark Heffron du ministère de la Défense du Royaume-Uni :

Moins de 10 % des personnes qui font la transition des Forces armées à la vie civile éprouvent un certain problème. […] Nous avons environ 2,56 millions de vétérans au Royaume-Uni. C'est le nombre que nous avons. Plus de la moitié d'entre eux ont plus de 75 ans; c'est les conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de la conscription au Royaume-Uni jusqu'à la fin des années 1950. Nous nous attendons à ce que d'ici deux ou trois ans le nombre de vétérans chute à environ 1,5 million et se stabilise par la suite. Voilà les données dont nous devons tenir compte; nous aurons 1,5 million de vétérans à partir de ce moment; environ 16 000 personnes quittent les Forces armées, et vous avez une idée du nombre de vétérans, en pourcentage, dont la transition se déroule bien ou moins bien[24].

L’autre perception, souvent erronée, consiste à croire que le principal obstacle à une transition réussie pour les vétérans est un problème de santé physique ou mentale. Toujours selon le capitaine Heffron : « Le principal problème est […] vraiment le logement et la situation d'emploi des gens. Certains d'entre eux semblent prendre plus de temps pour se trouver un emploi permanent. Cela semble être le principal problème. Les problèmes relatifs aux maladies, par exemple, sont vraiment moindres[25]. »

Lors de son témoignage, M. John Boerstler, de NextOp, une organisation américaine qui coordonne les activités d’une quarantaine d’organismes qui soutiennent la transition des vétérans, a développé la même idée, et a affirmé que la possibilité pour les vétérans de trouver un emploi gratifiant après avoir quitté les forces armées contribuerait directement à prévenir les problèmes de santé mentale chez les vétérans : « Si nous arrivons à prévenir le chômage, nous pourrons également prévenir la toxicomanie, les problèmes familiaux, l'itinérance, la criminalité et le suicide. Tout commence par la transition professionnelle[26]. »

Pour les vétérans qui en ont besoin, les programmes de réadaptation médicale et psychosociale sont essentiels, mais ils ne mènent pas par eux-mêmes à une transition réussie. Pour que cette dernière soit possible, c’est la réintégration professionnelle qui semble être la clé.

4.1 Universalité du service

Au Canada, une discussion est en cours afin de déterminer la pertinence de maintenir le principe dit de l’universalité du service. Dans le cadre de sa politique de défense, le gouvernement du Canada a déjà annoncé qu’il « présentera de nouvelles mesures » visant à l’appliquer de manière plus souple[27]. En vertu de ce principe, tout militaire en service doit pouvoir être déployé à brève échéance avec son unité sur un théâtre d’opérations. Si un problème de santé chez un militaire empêche ce déploiement sans perspective raisonnable de guérison, ce militaire doit être libéré pour raisons médicales. Selon le paragraphe 02-04 de la Doctrine de la gestion du personnel militaire :

Le principe de l’universalité du service appliqué aux membres de la Force régulière est imposé par l’article 33(1) de la [Loi sur la Défense nationale]. Cette loi stipule que tous les membres de la Force régulière sont « en permanence soumis à l’obligation de service légitime ». Cette exigence de la Loi signifie qu’un membre des FC qui ne peut « en permanence [remplir] l’obligation de service légitime » ne peut pas servir au sein de la Force régulière sauf durant les périodes de rétablissement et de transition.

L’application de ce principe entraîne des contraintes importantes au moment de la transition puisque, en cas d’invalidité permanente, les militaires ne peuvent pas être réaffectés à d’autres fonctions à l’intérieur des Forces canadiennes. Ils auraient voulu continuer à servir honorablement leur pays, mais doivent quand même être libérés contre leur gré et trouver un emploi dans une autre organisation. Lors de son témoignage, l’ombudsman des vétérans a affirmé que ce principe n’a pas toujours existé :

Dans les Forces armées canadiennes, les militaires blessés en service étaient autorisés à rester en exerçant une autre fonction, peut-être un autre emploi militaire. Toutefois, quand on a instauré l'universalité du service, c'est devenu un problème parce qu'à moins de remplir les normes physiques... L'universalité du service a mis de l'avant le principe « soldats d'abord et gens de métier ensuite ».
Vous devrez sans doute demander aux gens du ministère de la Défense nationale pourquoi il en est ainsi, mais je crois qu'ils s'attendent à ce que l'argent versé soit consacré à des activités sur le terrain, à ceux qui peuvent participer au combat. C'est ce qui explique la restriction actuelle[28].

Les militaires libérés pour raisons médicales jouissent d’un accès prioritaire aux emplois de la fonction publique pour lesquels ils sont qualifiés[29], mais il existe tout de même une différence importante entre un emploi civil au sein du ministère de la Défense nationale, et un maintien en service comme militaire au sein des Forces armées canadiennes.

Les forces armées australiennes appliquent un principe similaire et les vétérans qui doivent interrompre leur carrière militaire de manière involontaire pour des raisons médicales vivent les mêmes frustrations. Selon Mme Lisa Foreman du ministère australien des anciens combattants :

Ceux qui quittent volontairement le service, ceux qui décident d'être libérés, semblent avoir une meilleure santé physique et psychologique que ceux qui ont été libérés pour raisons médicales. Souvent, ils contestent la décision jusqu'au bout parce qu'ils veulent rester dans les forces. Une fois qu'ils ont été libérés, ils viennent nous voir en colère; en fait, ils font le deuil de la carrière qu'ils ont perdue. Je crois que c'est un problème[30].

Le principe existe de manière similaire en France, mais semble appliqué avec une certaine souplesse :

Ils doivent donc être aptes à participer à une opération extérieure. Il y a aussi un certain nombre de civils qui sont généralement assignés à des tâches de soutien, comme la restauration ou l'entretien du matériel, par exemple. Dans toute formation militaire, il y a toujours un besoin de main-d'oeuvre civile, de personnes qui ne peuvent être déployées à l'extérieur. Les militaires qui ont été blessés et qui ne peuvent être déployés ailleurs pourraient donc occuper ce genre d'emplois[31].

En Allemagne, les militaires blessés qui ne peuvent pas être déployés ne seront pas libérés tant qu’ils participeront à un programme de réadaptation ou de formation. Selon le brigadier général Bernd Mattiesen, il y a aujourd’hui entre 500 et 700 militaires allemands qui ont un tel statut de « service spécial[32]. »

Aux États-Unis, la règle générale est la même que celle qui est appliquée au Canada et en Australie, mais dans certaines situations exceptionnelles, certains militaires peuvent maintenir un statut de « service limité permanent[33] ». Cette possibilité de maintien en service est habituellement limitée aux militaires qui ont entre 15 et 20 de service, et possèdent une expertise particulière dont la perte nuirait clairement à l’atteinte de certains objectifs[34]. Comme l’indique la brochure explicative de la Force aérienne : « Le nombre de membres retenus dans le statut de service limité (Limited Assignment Status) sera limité au strict minimum[35]. »

À cet égard, le témoignage de M. John Genise, de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de l’Ontario a permis de faire une comparaison qui illustre les défis supplémentaires auxquels sont confrontés les vétérans. M. Genise a indiqué qu’il était important de préparer le plus tôt possible le retour au travail suite à une blessure ou une maladie :

Nous misons sur une approche axée sur la collaboration pour planifier le retour au travail, en faisant intervenir le client, l'employeur et le médecin traitant afin de créer un plan. Lorsque les travailleurs sont prêts à retourner au travail, nous continuons à les soutenir pendant qu'ils travaillent et nous les aidons à relever les défis et à surmonter les obstacles[36].

La CSAAT a l’avantage de s’occuper d’une majorité de situations dans lesquelles l’employeur a une obligation de réintégrer l’employé blessé dans des fonctions comparables, ce qui n’est pas possible pour les militaires en raison du principe d’universalité du service. Si on reprend les termes de la citation précédente et qu’on les replace dans le contexte d’un militaire en transition, le « client » est un militaire encore en service, « l’employeur » est les Forces armées canadiennes et le « médecin traitant » est un médecin militaire. Pour qu’une approche similaire à celle de la CSAAT puisse être mise en place, il faudrait : que le militaire en voie d’être libéré ait déjà trouvé un emploi auprès d’un employeur civil; que cet employeur civil soit impliqué dans la planification de la transition du militaire blessé, ce qui implique que le dossier médical ait déjà été transféré aux autorités provinciales pour qu’un médecin civil puisse suivre le militaire une fois qu’il aura été libéré; et, en supposant qu’Anciens Combattants Canada remplisse une fonction de coordination similaire à celle de la CSAAT, qu’une personne responsable au sein d’ACC continue de suivre la condition du vétéran une fois qu’il occupera son poste civil. La coordination de ces efforts est particulièrement complexe. Elle implique la personne qui vit déjà le stress de devoir quitter sa vocation et les membres de sa famille, des officiers de la hiérarchie militaire et des services de santé des forces armées, des employés d’ACC, un ou des médecins des services provinciaux, ainsi que le nouvel employeur. Toutes ces personnes doivent coordonner leurs efforts avant même que le militaire ait commencé à travailler pour ce nouvel employeur. Et tout cela en supposant que le militaire en transition est déjà prêt à travailler. Dans les cas où la transition entraîne des besoins de formation, la planification se complique encore davantage. ACC devrait alors jouer le rôle d’accompagnement jusqu’à ce que le vétéran récemment libéré ait effectivement trouvé un nouvel emploi rémunérateur après avoir suivi la formation souhaitée.

Une part importante de la complexité liée au processus de transition réside d’une part dans le principe de l’universalité du service militaire, et d’autre part, dans l’existence de deux ministères séparés.

Au Canada, quand on compare les programmes canadiens destinés aux vétérans et les programmes provinciaux destinés aux accidentés du travail, on voit immédiatement comment l’absence de cette restriction d’universalité du service permet aux seconds de se concentrer sur un objectif beaucoup plus étroit de retour à l’emploi qui n’a pas à tenir compte de la perte de sens liée à l’abandon de la vocation militaire. Comme l’a expliqué M. John Genise, de la Commission ontarienne :

Nous mettons l'accent sur les capacités. Par conséquent, dès le début, si le travailleur est capable de travailler, une des obligations de l'employeur est de lui offrir des tâches modifiées. S'il doit accepter ces tâches modifiées et essuyer une diminution de salaire, nous allons indemniser le travailleur à hauteur de 85 % de la différence nette. Même si la personne peut seulement travailler deux heures par jour, comme je l'ai expliqué tantôt, nous l'indemniserons à hauteur de 85 % de la différence[37].

L’absence du principe d’universalité du service simplifie grandement la mesure d’atteinte des objectifs des programmes provinciaux, et rend possiblement nécessaire une approche plus souple des objectifs des programmes d’Anciens Combattants Canada qui tienne compte de la notion plus personnalisée de bien-être dans le cas des vétérans. Une application plus souple du principe d’universalité du service pourrait contribuer à favoriser ce bien-être à la fois chez les militaires blessés qui sont encore en service, et chez les vétérans chez qui cet assouplissement pourrait atténuer le sentiment d’injustice que certains peuvent vivre au moment de leur libération. Le Comité recommande donc :

Recommandation 1

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes appliquent avec une plus grande souplesse le principe de l’universalité du service militaire et envisagent la création d’un « statut de service limité », tel que défini par l’Instruction 36‑3212 de l’Aviation américaine.

4.2 Transition

Dans son rapport de décembre 2016 sur la prestation des services, le Comité avait recommandé :

Que la libération des militaires en voie d’être libérés pour raisons médicales ne devienne effective qu’une fois qu’Anciens Combattants Canada aura rendu une décision finale quant aux demandes de prestations, et que tous les services de santé, de réadaptation et de formation professionnelle auront été mis en place.

Le Comité souhaite réitérer cette recommandation, et en préciser la portée, à la lumière de ce que les membres ont entendu dans le cadre de la présente étude.

Recommandation 2

Que les Forces armées canadiennes ne libèrent des militaires pour raisons médicales que lorsque :

  • La personne a des possibilités de logement adéquates;
  • La personne a accès à un emploi rémunérateur, ou à un programme de formation professionnelle;
  • La personne bénéficie d’un suivi médical adéquat et continu pour sa condition;
  • Anciens Combattants Canada a rendu une décision finale quant à l’indemnité d’invalidité et, le cas échéant, aux avantages financiers prévus aux Parties 1, 2, 3 et 3.1 de la Nouvelle Charte des Anciens combattants;
  • Tous les services de santé, de réadaptation et de formation professionnelle sous la responsabilité d’Anciens Combattants Canada ont été mis en place.

Afin de faciliter la mise en œuvre de certains éléments de la recommandation ci‑haut, le Comité recommande également :

Recommandation 3

Que, dans le but d’assurer l’accès à des médecins de famille et aux autres services de santé et services sociaux nécessaires pour les vétérans dans la province ou le territoire ils résident :

  • Le ministre des Anciens Combattants collabore avec le ministre fédéral de la Santé et ses homologues provinciaux et territoriaux afin d'améliorer l'accès des vétérans aux médecins de famille;
  • Anciens Combattants Canada coordonne ses services de transition, d’emploi, de logement, de santé et de réadaptation avec les autorités provinciales et territoriales compétentes, ainsi qu’avec les organisations communautaires.

Ces recommandations reprennent une recommandation similaire faite par le Comité dans le passé, et faite à plusieurs reprises par l’ombudsman des vétérans, M. Guy Parent, et l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, M. Gary Walbourne, dans le cadre de plusieurs de leurs rapports et interventions publiques. Lors de son témoignage, M. Parent a affirmé qu’une telle pratique était déjà en place aux Pays-Bas[38]. La situation aux États-Unis semble se rapprocher de ce qui se fait actuellement au Canada, mais Robert Reynolds, du département américain des anciens combattants, a mentionné l’existence d’un portail mixte où les services de transition offerts par les départements de la Défense et celui des Anciens combattants peuvent être regroupés[39].

Les programmes aux militaires en transition au Royaume-Uni semblent très similaires à ceux offerts au Canada. M. Martin Goudie, de l’organisme Veterans UK, les a décrits de la manière suivante :

Tout militaire qui est libéré pour raisons médicales est automatiquement dirigé vers le programme de réinsertion complète, ce qui signifie qu'il reçoit d'office une formation de sept semaines. De plus, conformément à la politique, personne ne peut être libéré pour raisons médicales tant que ses résultats médicaux ne sont pas concluants; l'individu pourra alors quitter les forces armées à l'avenir, que ce soit pour l'éducation, la formation ou l'emploi. Les militaires reçoivent donc autant de services que possible jusqu'à la date de leur libération.
Par ailleurs, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons également des unités de rétablissement du personnel, où nous plaçons les gens ayant subi d'importantes blessures — des gens blessés ou malades — et ceux aux prises avec d'autres blessures pour leur permettre de recevoir un soutien encore plus spécialisé et plus direct. À l'intérieur de ces unités, ils seront suivis par un seul responsable du bien-être ou un officier de récupération du personnel, à qui sont attribuées 12 personnes. Ainsi, ces militaires et leurs proches reçoivent un soutien individuel en ce qui concerne l'emploi, le logement, l'éducation des enfants, le déménagement et l'adaptation des maisons par l'entremise de la Defence Infrastructure Organisation[40].

Une approche complémentaire consiste à établir dès l’enrôlement le lien entre les recrues militaires et les services éventuels dont elles pourraient avoir besoin au moment de devenir des vétérans, sans que l’organisation responsable de leur offrir ces services dusse faire des efforts supplémentaires pour les rejoindre. Cette approche a été mise en place récemment en Australie. Selon Mme Liz Cosson, du ministère australien des anciens combattants :

L'un des avantages clés de notre côté a été la communication de renseignements avec le ministère de la Défense. Il y a 12 mois, nous avons lancé un programme afin de recenser, désormais, toutes les personnes qui s'enrôlent dans l'ADF. Nous pouvons voir tous ceux qui se sont enrôlés et suivre toutes les blessures subies pendant le service. Le ministère de la Défense nous en avertit. Nous établissons la relation entre le vétéran et le ministère des Anciens Combattants avant qu'il ait besoin de nous[41].

À moins que le ministère de la Défense nationale n’envisage d’assouplir l’application du principe d’universalité du service, des mesures devront être mises en place, possiblement dès l’enrôlement, afin de préparer les militaires à cette éventualité qu’ils doivent abandonner leur vocation contre leur gré pour des raisons médicales.

4.3 Réadaptation professionnelle

Les difficultés que rencontrent certains vétérans lors de leur transition peuvent être liées à un manque de formation adaptée à leurs ambitions dans le monde civil. Aux États-Unis, les programmes de formation sont nombreux et parfois complexes, étant donné qu’ils ont été mis en place pour répondre aux besoins spécifiques des vétérans de certains conflits dans lesquels furent impliqués les États-Unis. Le parcours décrit lors de son témoignage par Robert Reynolds, du département américain des anciens combattants, illustre à la fois la diversité, l’envergure et la complexité des programmes américains :

Notre programme de réadaptation professionnelle et d'emploi est un programme de prestations à l'intention des vétérans à qui nous versons une rémunération d'invalidité, mais qui peuvent avoir besoin de parfaire leur éducation. En fait, c'est grâce à ce programme que j'ai obtenu mon diplôme de premier cycle. Je l'ai obtenu par l'intermédiaire de notre programme de réadaptation professionnelle, pas notre programme d'études. Pour ce qui est de la réadaptation professionnelle, environ 135 000 vétérans participent à ce programme. Le programme vise vraiment à aider les personnes qui ont des invalidités découlant de leur service à s'adapter à la vie de tous les jours.
Je suis sûr que vous avez entendu parler de notre programme d'éducation. On parle ici principalement de notre loi sur l'éducation et la formation pour les vétérans ayant servi depuis le 11 septembre. Nous avons fourni des prestations à 1,74 million de personnes, ce qui signifie que la barre des 2 millions n'est plus très loin. On ne parle pas ici uniquement de vétérans, puisque les prestations peuvent être transférées à l'épouse ou aux personnes à charge du vétéran[42].

Au Canada, les programmes de réadaptation professionnelle ont fréquemment servi à illustrer les chevauchements qui peuvent apparaître lorsque plusieurs organisations différentes cherchent à combler une même lacune. M. Bernard Butler, sous-ministre adjoint à Anciens Combattants Canada, a souligné les bonnes intentions qui sous-tendent l’élaboration de nouveaux programmes, mais la confusion qui peut également en découler :

De plus en plus de prestations sont offertes en ligne. Plusieurs d'entre elles figuraient dans le budget de 2017. Elles sont toutes importantes et elles visent toutes à combler les lacunes et les besoins qui se font jour. À mon avis, toutefois, plus on crée d'éléments de programmes individuels, plus on risque de rendre les choses plus complexes parce que chaque élément a ses propres critères d'admissibilité. Il est évident que les critères relatifs à la nouvelle allocation d'éducation différeront de ceux de l'allocation de réadaptation. Voilà qui complique la tâche du ministère alors qu'il cherche des moyens de simplifier l'éventail de prestations[43].

M. Guy Parent, l’ombudsman des vétérans, a soulevé ce problème de la réadaptation professionnelle qui lui sert fréquemment à critiquer la complexité d’ensemble du système canadien de programmes destinés aux vétérans. À partir d’un graphique illustrant l’enchevêtrement complexe des programmes, il a noté qu’un grand nombre de cases du graphique disparaîtraient s’il n’y avait pas ce chevauchement des ministères dans les programmes de réadaptation professionnelle :

C'est très compliqué, encore une fois, parce qu'il y a un chevauchement de programmes. Je le répète, si les deux programmes — à savoir les programmes de réadaptation professionnelle offerts par les Forces armées canadiennes et par Anciens Combattants Canada — étaient fusionnés, une dizaine de ces cases disparaîtraient. Je crois que le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada doivent prendre des mesures draconiennes pour se résoudre à simplifier les choses[44].

Dans ce cas-ci, il semble bien que les avantages d’avoir un ministère séparé dévoué aux vétérans sont en partie contrebalancés par le dédoublement de certaines lourdeurs bureaucratiques. Par exemple, les vétérans qui comptent plus de six années de service ont droit à une allocation pour formation et études de 40 000 $ et ceux qui comptent plus de 12 années de service ont droit à une subvention pouvant atteindre 80 000 $. À titre de comparaison, les vétérans libérés pour raisons médicales doivent participer au Programme de réadaptation professionnelle (PPR) du Régime d'assurance-revenu militaire (RARM), détenu par le ministère de la Défense nationale et administré par Manuvie. Il est offert aux membres des Forces armées canadiennes (FAC) libérés pour raisons médicales six mois avant leur libération et aux vétérans libérés pour raisons médicales au cours des 24 premiers mois suivant leur libération. Il rembourse un maximum de 28 000 $ en frais de scolarité pour la durée du programme, plus des allocations mensuelles spécifiques, le cas échéant, pour les fournitures, la garde d'enfants et les déplacements, pour un montant maximum possible d'environ 48 000 $. Les options de formation sont également plus limitées que dans le cadre du programme d'éducation et de formation.

Lors de sa comparution devant le Comité, l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, M. Gary Walbourne, a défendu la qualité du programme de réadaptation professionnelle du RARM[45]. Ses commentaires portaient cependant sur l’efficacité du RARM à traiter les demandes, ainsi que la satisfaction générale manifestée par les vétérans qui ont participé au programme. Ce dont il est question dans la présente étude ne concerne pas l’efficacité du programme lui-même, mais bien son contenu et ses conditions d’admissibilité qui entraînent des chevauchements avec d’autres programmes de réadaptation professionnelle. De plus, la multiplicité des critères crée de la confusion, et peut parfois provoquer des situations inéquitables pour certains vétérans.

Par exemple, comme évoqué plus haut, si un vétéran est libéré pour raisons médicales avant d'avoir atteint 6 années de service, il serait admissible au programme du RARM seulement, mais pas à l’allocation d'éducation et de formation. Un vétéran libéré pour raisons médicales après 6 à 12 années de service pourrait également recevoir moins qu'un vétéran qui n'a pas été libéré pour raisons médicales après 12 années de service.

Étant donné que les critères des deux programmes pourraient s’avérer inéquitables pour les vétérans libérés pour raisons médicales, le Comité recommande :

Recommandation 4

Que, suite à l’entrée en vigueur de l’allocation pour études et formation en avril 2018, Anciens Combattants Canada s’assure que les vétérans libérés pour des raisons médicales attribuables à leur service, et qui participent au programme de formation professionnelle offert par le Régime d’assurance-revenu militaire, ne reçoivent pas moins que les vétérans qui sont admissibles à l’allocation pour études et formation.

Il faut toutefois noter la relative générosité des programmes offerts au Canada, en comparaison par exemple de programmes poursuivant des objectifs similaires au Royaume-Uni tel que les a décrits Martin Goudie, de Veterans UK :

Lorsqu'une personne s'enrôle dans les forces armées, on lui demande de s'inscrire à ce qu'on appelle des crédits d'apprentissage amélioré. Durant leur service, dans le cas des militaires ayant servi pendant quatre ans, ils reçoivent 1 000 livres pendant trois années consécutives après leur libération; dans le cas d'un service de huit ans ou plus, ils touchent 2 000 livres par année sur une période de trois ans. Le but est de leur permettre d'obtenir ce qu'on désigne au Royaume-Uni comme un certificat de niveau 3 ou plus, qui est un niveau au-dessous d'un titre. Ils peuvent également utiliser ces crédits pour financer entièrement, s'ils n'ont encore rien utilisé, l'obtention d'un titre, à condition que ce soit leur premier diplôme. Ainsi, une personne ayant déjà un diplôme ne pourrait pas utiliser ce financement pour décrocher une maîtrise, mais elle peut s'en servir pour obtenir un premier diplôme.
Le partenariat de transition professionnelle est également lié à un programme appelé X‑Forces, qui s'adresse particulièrement aux entrepreneurs et aux petites entreprises et que les gens peuvent utiliser dans le cadre de leur transition afin de créer, comme vous le dites, leur propre projet entrepreneurial ou petite entreprise après leur libération, au lieu d'aller travailler pour quelqu'un d'autre[46].

Il faut toutefois noter que les programmes du Royaume-Uni s’adressent à tous les militaires en service, alors que ceux offerts par Anciens Combattants Canada s’adressaient jusqu’à tout récemment aux vétérans qui participaient à un programme de réadaptation. Avec l’entrée en vigueur en avril 2018 d’une nouvelle subvention aux études offerte à tous les militaires ayant au moins six ans de service, il sera possible de mieux savoir, en fonction de la demande réelle qui se révélera pour une telle prestation, jusqu’à quel point elle répond à un besoin pour l’ensemble des militaires en transition.

5. PROGRAMMES FINANCIERS

5.1 Programmes d’indemnisation d’une invalidité liée au service militaire

Le système d’indemnisation financière des invalidités liées au service militaire constitue l’un des principaux critères à partir duquel les vétérans évalueront la qualité des programmes offerts dans un pays donné. Dans le cadre de la présente étude, trois systèmes principaux ont été identifiés :

  • Pension à vie : une pension versée à vie dont le montant varie en fonction de la gravité de l’invalidité (États-Unis, France), assortie d’autres mesures ponctuelles visant à combler les besoins plus particuliers de certains vétérans dont l’intégration sociale s’est révélée problématique suite à leur départ des forces armées, de leur libération pour raisons médicales, ou de leur incapacité à être déployés lors d’opérations de combat;
  • Montant forfaitaire : un montant forfaitaire variant selon la gravité de l’invalidité (Canada, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et Allemagne), payé en un seul versement, ou dont le paiement peut être étalé au choix du vétéran, assorti de mesures de remplacement du revenu payables durant la période où le vétéran participe à des programmes de réadaptation, ou permanentes si le vétéran ne peut plus travailler;
  • Pension convertible : une pension payable à vie dont le montant varie en fonction de la gravité de l’invalidité, convertible en paiement forfaitaire dont le montant est établi à partir d’une projection de l’espérance de vie (Australie), assortie des autres programmes de remplacement du revenu payables durant les périodes de réadaptation ou en permanence si le vétéran ne peut plus travailler.

Chaque système comporte son lot d’avantages et de désavantages, mais leur évaluation se fait habituellement à partir de deux critères : le montant global qui sera versé au vétéran durant sa vie entière, et la capacité du système à favoriser une réintégration socio-professionnelle harmonieuse. De manière générale, les systèmes de pension à vie ont comme conséquence que les vétérans recevront plus du gouvernement durant leur vie entière. Les montants forfaitaires assortis de mesures de remplacement du revenu durant la réadaptation semblent de leur côté favoriser une meilleure transition. Les vétérans gagneront généralement plus durant leur vie entière, mais une moins grande part de ces revenus proviendra du gouvernement.

C’est cette seconde approche qu’a favorisée le gouvernement du Canada en remplaçant les pensions à vie par des montants forfaitaires. Comme l’a clairement exprimé l’ombudsman des vétérans, M. Guy Parent : « À une certaine époque, en vertu de l'ancienne Loi sur les pensions, on versait une pension mensuelle à vie. Si les gens allaient mieux, ils recevaient moins d'argent, et si leur état empirait, ils en obtenaient davantage. Cela ne les encourageait pas à aller mieux[47]. »

Le grand avantage du système de pension à vie convertible, adopté en Australie, est de tenir compte de l’âge du vétéran au moment de la blessure. Le montant versé est proportionnellement plus élevé à mesure que le pourcentage d’invalidité augmente. Par exemple, pour une invalidité de 50 %, le montant est d’environ 500$ / mois, alors qu’il passe à 1 500$/mois pour une invalidité de 100 %. Ce montant n’est pas suffisant comme seul revenu, mais, tout comme au Canada, des mesures de remplacement du revenu durant la période de réadaptation sont également offertes jusqu’à ce que le vétéran puisse trouver un nouvel emploi.

La valeur de conversion en paiement forfaitaire serait la suivante : pour un vétéran de 30 ans souffrant d’une invalidité de 50 %, le montant serait d’environ 130 000$. Pour un vétéran de 50 ans, le montant forfaitaire serait d’environ 103 800$, et serait un peu plus élevé si le vétéran est une femme, afin de tenir compte de l’espérance de vie plus élevée. Pour le même vétéran de 30 ans souffrant d’une invalidité de 100%, le montant forfaitaire serait d’environ 668 500$, et serait d’environ 363 000$ si le vétéran était âgé de 50 ans.

Ce système vaut également pour certains régimes provinciaux d’indemnisation des accidentés du travail. Comme l’a expliqué John Genise :

Nous offrons une indemnité ou des prestations pour perte non financière en cas d'anomalie ou de perte fonctionnelle résultant d'une blessure. Cette indemnité est exprimée en pourcentage de « déficience de la personne globale » selon les critères d'évaluation établis dans un barème; nous utilisons le guide de l'AMA. En 2017 le montant prévu, le montant de base de la « personne globale », était d'environ 59 000$. Le montant de base est ensuite rajusté au moment de la blessure et en fonction de l'âge des travailleurs. Le montant est rajusté à la hausse pour chaque année au cours de laquelle la personne a moins de 45 ans ou à la baisse pour chaque année au cours de laquelle elle a plus de 45 ans[48].

Sur le plan strictement financier des montants payés par l’État, le système de paiements forfaitaires du Royaume-Uni sont nettement plus avantageux pour les vétérans dont l’invalidité est grave. Le montant maximal approche l’équivalent d’un million de dollars canadiens, soit plus du double du maximum versé aux vétérans canadiens les plus gravement blessés.

M. Paul Kingham, de Veterans UK, a expliqué ce qui a motivé le gouvernement britannique à bonifier les montants versés aux vétérans les plus gravement blessés :

Cette décision a été prise, en grande partie, à la suite des blessures horribles que les militaires ont malheureusement subies dans les récents conflits. Au début du régime, qui était très vaguement inspiré du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels, cette catégorie de blessure n'était pas prise en considération; ainsi, il arrivait parfois qu'un ancien combattant ayant subi trois blessures graves ou plus finisse par recevoir une indemnisation pour seulement deux d'entre elles.
De toute évidence, quand on examine un régime d'indemnisation complète, oui, ceux ayant droit à un tarif plus élevé ont un revenu garanti à vie, mais on doit répondre à leurs besoins continus en matière de soins et de logement, surtout s'ils ne sont plus en mesure de travailler; voilà pourquoi il faut accroître le montant[49].

À l’opposé, la France maintient un système de pensions à vie. Le montant est comparativement modeste, et est lié à la nature de l’invalidité et au grade que possédait la personne au moment de la blessure ou de la maladie. Un « Guide‑barème des invalidités » identifie le diagnostic admissible et le pourcentage d’invalidité auquel il correspond.

Le calcul du montant de la pension est relativement complexe, et s’effectue à partir du montant annuel du « point de pension ». Ce montant a été fixé en 2017 à 14,40€. Si on suppose par exemple une douleur sciatique grave et persistante qui empêche la marche et le travail, le guide‑barème attribue un taux de 45 % à 60 %. Supposons que le taux a été fixé à 50 %. Cela donne une « pension principale » de 240 points, c’est‑à‑dire 240 X 14,40€ = 3 456€ par année. Ce montant est ensuite majoré en fonction du grade. Si, par exemple, la personne possédait le grade de major, la pension est majorée de 46,7 points de pension, pour une pension annuelle totale et non imposable de 4 128€.

À certaines conditions, le montant de la pension militaire d’invalidité peut être cumulé avec celui d’autres prestations sociales ou d’autres revenus d’emploi.

Des majorations sont également prévues pour des enfants à charge, ainsi que des allocations supplémentaires pour les invalidités graves, c’est‑à‑dire qui atteignent ou dépassent un taux de 85 %.

Environ 150 000 vétérans français reçoivent présentement une pension, ainsi qu’environ 55 000 conjoints ou enfants de militaires blessés ou décédés. Ces chiffres sont relativement modestes, étant donné une population de 67 millions d’habitants, et entraînent des dépenses d’environ 1,2 milliard d’euros[50].

En comparaison du montant de la pension versée en France, le montant versé aux États-Unis semble beaucoup plus généreux, et peut dépasser les 3 000$ / mois pour les invalidités graves, mais les programmes sociaux offerts gratuitement aux États-Unis sont plus rares qu’en France, si bien qu’il n’est pas possible de limiter la comparaison aux seuls montants offerts.

Il est en général plus difficile d’établir de manière définitive le degré de gravité d’une invalidité mentale. Au Royaume-Uni et en Australie, pour reconnaître cette difficulté, on a établi un montant provisoire d’invalidité qui pourra être rajusté si l’invalidité devait s’aggraver de manière durable[51].

En Allemagne, il existe deux plans distincts, selon que le membre blessé est un «soldat de carrière» ou un «soldat contractuel». Si le vétéran est un soldat de carrière avec une perte de capacité de gain de 50 % ou plus à la suite d'un déploiement hors de l'Allemagne, il / elle recevra une somme forfaitaire de 150 000 euros et une indemnité de perte de revenus de 80 % du salaire le membre aurait gagné au haut de l'échelle salariale se situant à un niveau au-dessus de la sienne[52].

Les militaires à contrat peuvent également recevoir une somme forfaitaire égale à deux mois de salaire s'ils comptent moins de quatre années de service, et jusqu'à 12 mois de salaire s'ils comptent 20 années de service ou plus. Les militaires qui quittent les forces armées à la fin de leur contrat, ou qui doivent être libérés pour raisons médicales avant la fin de leur contrat, reçoivent une indemnité de transition égale à 75 % de leur salaire pour une période dépendant de la durée de leur contrat. Par exemple, les militaires ayant un contrat à durée déterminée qui ont servi pendant 4 ans reçoivent automatiquement 75 % de leur salaire pendant 12 mois, tandis que ceux qui ont servi pendant 12 ans ou plus reçoivent 75 % de leur salaire pendant 60 mois.

Étant donné que, selon le jugement que les députés ont pu porter sur les différents systèmes d’indemnisation de la douleur et de la souffrance liées à une invalidité causée par le service militaire, le système de pension convertible semble offrir le plus de souplesse et semble combiner plus d’avantages que d’inconvénients des autres systèmes, le Comité recommande :

Recommandation 5

Que l’indemnisation pour la douleur et la souffrance liées à une invalidité soit offerte sous forme de pension à vie, et soit convertible, à la demande du vétéran, en montant forfaitaire qui tienne compte de l’âge du vétéran au moment de la blessure ou de la maladie pour laquelle il a reçu cette indemnisation.

5.2 Délais de traitement et appels

Dans le cadre de son étude précédente sur la prestation des services, le Comité s’est penché sur les efforts déployés depuis de nombreuses années par Anciens Combattants Canada afin d’accélérer le traitement des demandes de services qui lui sont adressées. Ce problème existe de manière similaire dans la plupart des pays étudiés, mais, comme pour tout le reste, prend des proportions gigantesques dans le cas des États-Unis. M. Reynolds a décrit les progrès accomplis par l’administration américaine :

Nous avons travaillé dur afin de faire de grands progrès au sein de l'administration des prestations des vétérans et, de façon générale, au sein du département des Anciens Combattants. Du côté des prestations, je sais que, la dernière fois que j'ai témoigné ici, c'était pour parler de notre arriéré. Nous en avions vraiment beaucoup à ce chapitre... À son plus haut, l'arriéré comptait 611 000 demandes. Le chiffre a baissé, et l'arriéré est tout juste en dessous des 100 000, à environ 95 000. Nous avons fait de très grands progrès de ce côté-là[53].

L’inspecteur général du département américain des anciens combattants, Michael Missal, a laissé entendre que ce n’était pas tant le fait qu’une demande soit acceptée ou rejetée qui posait problème, mais une spirale de procédures d’appel quant au degré d’invalidité accordé par le département. Comme l’illustre le contexte américain, le système de pension à vie peut complexifier les procédures d’appel puisque le montant versé mensuellement peut être révisé périodiquement si le vétéran juge que sa condition a empiré. Cela a contribué à engorger le système qui traite les appels aux États-Unis :

Un certain nombre de vétérans nous disent qu'ils ont l'impression de ne pas avoir été évalués adéquatement ou qu'on ne leur a pas attribué la bonne catégorie pour les prestations. En outre, si un vétéran décide d'interjeter appel d'une décision du département — si le vétéran n'est pas d'accord avec sa catégorie de prestations —, le processus d'appel peut prendre jusqu'à cinq ans. Les vétérans sont très frustrés par la lenteur du processus[54].

Pour raccourcir les délais, la plupart des pays ont adopté une liste de conditions médicales dont le lien au service militaire est présumé sans avoir besoin d’être prouvé par le vétéran. En Nouvelle-Zélande, une telle liste a été établie pour désengorger le traitement des nombreuses demandes de vétérans qui ont participé à la Guerre du Vietnam, mais ne peuvent pas nécessairement démontrer par des preuves documentaires le lien entre leur condition médicale et leur service militaire[55].

Au Canada, l’une des grandes frustrations vécues par les vétérans qui avaient déposé des demandes d’avantages financiers était la lenteur du processus d’appel et la difficulté de comprendre les motifs des décisions rendues par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Depuis l’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte des anciens combattants en 2006, il semble que la situation se soit nettement améliorée[56], ce qui pourrait suggérer que le passage d’un système de pension à vie à celui d’un paiement forfaitaire a mis fin à la dynamique de spirale des appels que l’on retrouve aux États-Unis. Le système en vigueur au Royaume-Uni[57] est très similaire à celui en vigueur au Canada, et il serait intéressant d’examiner si le passage à un paiement forfaitaire a entraîné une accélération du processus d’appel. À l’inverse, il serait intéressant d’examiner si le système de pension à vie en vigueur en France a entraîné la même spirale des appels qu’aux États‑Unis.

5.3 Mesures de remplacement du revenu et de soutien à la transition

Au Canada, le système de pensions à vie a été remplacé par un système de montant forfaitaire similaire aux programmes provinciaux d’indemnisation des accidentés du travail, mais plus généreux[58].

Cette générosité se vérifie également au niveau des mesures de remplacement du revenu. Depuis le 1er avril 2017, l’allocation pour perte de revenus verse 90 % du revenu que gagnait le militaire au moment de sa libération. Ce montant sera versé durant toute la durée de son programme de réadaptation, ou en permanence si une détermination est faite que cette personne ne pourra plus obtenir un emploi rémunérateur. Ce système est similaire à celui qu’ont mis en place la plupart des provinces canadiennes dans le cadre de leurs programmes d’indemnisation des accidentés du travail. M. John Genise, de la Commission ontarienne, a décrit le fonctionnement général des mesures de soutien du revenu offertes en Ontario :

Les prestations sont calculées en date de la blessure et fondées sur le plafond salarial annuel. Nous payons 85 % des gains moyens nets. Le versement des prestations pour perte de gains se poursuit jusqu'à ce que la perte de gain du travailleur prenne fin, que le travailleur ne soit plus atteint d'une déficience par suite de la lésion — et qu'il soit peut-être de retour au travail — ou jusqu'à son 65e anniversaire de naissance, selon la première de ces éventualités. Après 72 mois, les prestations pour perte de gains deviennent permanentes et sont versées au travailleur jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 65 ans. Les prestations sont versées toutes les deux semaines et indexées chaque année en fonction de l'inflation[59].

La différence entre les mesures provinciales de remplacement du revenu et l’allocation versée aux vétérans tient au fait que cette dernière n’est pas soumise à un plafond. Elle versera 90 % du revenu, peu importe que le salaire soit celui d’un simple soldat, ou celui du plus haut gradé. En comparaison, le revenu admissible maximum dans les provinces est habituellement d’environ 70 000$. De plus, l’allocation pour perte de revenus garantit un revenu plancher équivalent au salaire d’un caporal, soit environ 45 000$ par année, même si le revenu du militaire était inférieur à ce plancher.

Un système similaire est en place dans les pays qui sont passés d’un système de pensions à vie à un système de montants forfaitaires ou de pensions convertibles. Pour pallier l’inexistence d’un programme équivalent dans les systèmes de pension à vie, une panoplie de mesures particulières a été mise en place pour compenser l’incapacité de certains vétérans de gagner un revenu similaire à celui qu’ils gagnaient comme militaires, ou pour les vétérans dont l’invalidité n’est pas nécessairement grave, mais qui éprouvent des difficultés financières ou de réintégration pour d’autres raisons.

M. Robert Reynolds, du département américain des anciens combattants, a donné un aperçu de la variété de ces programmes qui existent chez nos voisins du Sud pour compenser la relative minceur de la couverture sociale universelle :

Pour ce qui est de la prestation pour prêt résidentiel, cette année, nous avons accordé plus de 705 000 prêts garantis. C'est un excellent programme qu'une personne peut utiliser plusieurs fois durant sa vie une fois qu'elle est admissible. L'une des principales caractéristiques de cette prestation... Comme vous le savez, nous avons travaillé dur pour mettre fin à l'itinérance, et une des façons d'y arriver dans le cadre de notre programme de prêt résidentiel, c'est que, si on apprend qu'une personne ne fait pas certains paiements sur son prêt résidentiel ou qu'elle a des difficultés financières — que cette personne ait un prêt résidentiel auprès d'AC ou non —, nous travaillerons pour elle, en son nom, auprès de l'institution prêteuse, pour nous assurer qu'elle ne perd pas sa maison.
Par exemple, l'année dernière nous avons aidé 97 000 vétérans à rester chez eux et à éviter la forclusion, afin qu'ils n'aient pas de problèmes d'itinérance. C'est un service majeur, parce que, une fois qu'une personne perd sa maison, où va-t-elle ensuite? C'est un excellent programme dans le cadre de notre initiative de prestation pour prêt résidentiel. […]
Nous offrons une assurance à plus de six millions de personnes. Notre assurance offre une couverture majeure, soit environ 1,2 billion de dollars de couverture pour ceux qui ont décidé de souscrire l'assurance[60].

En Australie, le système de pensions convertibles n’a pas entraîné la disparition des mesures d’accès à la propriété pour les vétérans. Mme Carolyn Spiers a mentionné la principale mesure offerte par le ministère de la Défense australien, et qui consiste en une subvention au logement pouvant être assortie d’une garantie de prêt[61].

6. PRESTATION DES SERVICES

Le Canada, l’Australie et les États-Unis possèdent un ministère distinct chargé de fournir des programmes et des services aux vétérans. La France, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas n’ont pas de ministère des Anciens combattants, mais possèdent une organisation sous l’autorité du ministère de la Défense chargée d’administrer et de fournir la totalité ou une partie de ces programmes. En Allemagne, tous les programmes sont sous la responsabilité du ministère de la Défense.

Au Royaume-Uni, les programmes sont en général similaires à ce qui est offert au Canada, mais la particularité réside dans l’existence de Veterans UK, un organisme parapublic sous l’autorité du ministère de la Défense, dont la responsabilité consiste à coordonner les efforts d’une multitude d’organismes communautaires qui fournissent directement les services localement aux vétérans :

Nous n'avons pas de ministère des Anciens Combattants. Les vétérans sont en premier lieu des membres de la collectivité. Il incombe donc aux divers ministères de s'occuper d'eux, y compris le ministère de la Santé, le Service national de santé, le ministère des Communautés et du Gouvernement local et les administrations investies de pouvoirs délégués. Il ne faut pas oublier que l'Écosse, l'Irlande et le pays de Galles fonctionnent légèrement différemment. Bref, il incombe à tout le monde de s'occuper des vétérans[62].

Cette approche permet une meilleure coordination locale des services et faciliter la participation d’organismes communautaires et d’organisations privées intéressées à contribuer cette offre de services. M. John Boerstler, de NextOp, a cité l’exemple du Danemark[63], et a recommandé une approche similaire dans le contexte très différent des États-Unis :

Il ne suffit pas simplement de créer un autre programme pour apporter une solution aux besoins et aux problèmes complexes du milieu des anciens combattants. Nous devions en fait créer un système de programmes établissant des passerelles entre les différents organismes gouvernementaux, les ONG et les organisations privées qui s'intéressent à la transition des militaires dans le civil et au cas des anciens combattants[64].

Au Royaume-Uni, cette décentralisation dans la prestation des services est organisée régionalement à partir d’une structure de gouvernance originale :

Notre ministre des Anciens Combattants nomme 13 présidents régionaux qui sont chargés, dans les diverses régions du Royaume-Uni et de la République d'Irlande, des questions relatives à la sensibilisation des anciens combattants et de soulever les enjeux à cet égard dans les régions. Étant donné qu'ils sont nommés de façon indépendante par un ministre, tous les présidents peuvent communiquer avec le ministre pour discuter des résultats de notre organisme[65].

En France, les vétérans blessés en raison de leur service militaire demeurent sous la responsabilité du ministère des Armées, et c’est lui qui administre les principales prestations financières liées aux invalidités, mais a délégué à un autre organisme l’administration des programmes de réintégration et de commémoration. L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) a été fondé en 1916 et est l’organisme public chargé de soutenir les vétérans en vertu des programmes dont la gestion lui a été déléguée par le ministère des Armées. Cela exclut de son mandat le traitement de la plupart des prestations financières, sauf les mesures de soutien d’urgence, de dernier recours ou de commémoration. Son mandat a été récemment élargi pour couvrir également les victimes d’actes de terrorisme. Il dispose d’un budget annuel d’environ 100 millions d’euros, et offre ses services à 2,7 millions de personnes.

Même si l’ONACVG est sous l’autorité du ministère des Armées, ce dernier n’est impliqué qu’indirectement dans l’élaboration et la gestion de la plupart de ses programmes. Elles ont plutôt été confiées en gestion paritaire au conseil d’administration de l’ONACVG, formé d’une quarantaine de représentants du « monde combattant ».

Les liens de l’ONACVG avec les organisations du monde combattant, tout comme Veterans UK, le Veteraninstituut néerlandais, ou NextOp au Texas, facilitent cette décentralisation et favorise leur intégration dans des lieux de contact, des « guichets uniques », où les organisations communautaires et tous les paliers de gouvernement peuvent se retrouver et mettre en place la meilleure offre de services possible pour les besoins particuliers des vétérans.

6.1 Complexité des programmes

Tous les gouvernements, celui du Canada y compris, doivent composer avec la complexité des programmes et des services offerts aux vétérans, en raison des besoins différents des générations de combattants qui se sont succédé. Les règles en place sont parfois si complexes qu’il devient difficile pour les fonctionnaires de les appliquer de manière cohérente. L’inspecteur général du département américain des anciens combattants, Michael Missal, a décrit le problème tel qu’il se pose aux États-Unis :

Le département essaie de simplifier en partie ces règles. L'un des problèmes que nous avons cernés est le fait que les gens qui travaillent à l'administration du programme des prestations des anciens combattants ne comprennent pas vraiment certaines des règles compliquées. Je sais que le secrétaire en a déjà parlé, et c'est certain que c'est un sujet évoqué, parce que c'est aussi lié aux temps d'attente des centres médicaux. Il y a un tas de règles différentes. Le secrétaire a dit qu'il veut essayer de les simplifier, autant en ce qui concerne l'accès que les avantages, afin que l'administration soit plus facile[66].

M. Robert Reynolds, du département américain des anciens combattants, a donné l’exemple d’un programme de soutien aux aidants familiaux – dont l’ombudsman canadien des vétérans a par ailleurs vanté les mérites[67] - mais qui a donné lieu à des conséquences inattendues. C’est là une situation que l’on pourrait retrouver dans tous les pays étudiés, et qui montre comment la volonté sincère d’un gouvernement de combler des besoins réels de certains vétérans et des membres de leur famille peut parfois causer des injustices inattendues :

Nous avons une prestation pour soignants. C'est une prestation qui vient en fait du volet des soins de santé, mais elle vise seulement les vétérans de la génération de la loi sur l'éducation et la formation pour les vétérans ayant servi depuis le 11 septembre 2001. L'un de mes bons amis actuellement est un quadruple amputé. Il n'a plus aucun membre. Il a subi ses blessures avant l'entrée en vigueur de la loi. Son épouse, qui le soigne depuis qu'il a perdu tous ses membres, n'a pas droit à la prestation. Il y a beaucoup de discussions au Capitole sur la façon de rendre la prestation plus inclusive pour tous, pas seulement pour les militaires depuis le 11 septembre[68].

Malgré un contexte totalement différent, la représentante de Veterans Affairs New Zealand, Mme Bernadine Mackenzie, a également évoqué ces défis de la complexité bureaucratique :

Nous savons que nous devons simplifier nos processus et que nous devons être en mesure de travailler efficacement avec notre population d'anciens combattants en évolution. Nous avons déjà apporté des changements, et nous en apporterons d'autres. Parmi ces changements, il y a notamment la mise en œuvre d'un nouveau système de gestion des renseignements; la réorganisation des fonctions du personnel pour permettre qu'un plus grand nombre de processus de bout en bout soient gérés par une seule équipe, afin que les anciens combattants et leur famille disposent d'un guichet unique; un programme de communication des changements qui nous permet de communiquer avec la population des anciens combattants en évolution, et des communications claires et compréhensibles pour tous les anciens combattants[69].

6.2 Rejoindre les vétérans qui ne sont pas clients du ministère

L’une des discussions qui revient fréquemment dans les débats du Comité est la difficulté d’établir un suivi des militaires qui quittent les Forces armées et qui n’ont pas besoin immédiatement des services d’Anciens Combattants Canada, mais qui pourraient en avoir besoin plus tard. Ce problème s’est également posé après la Guerre du Vietnam aux États-Unis et en Australie, où l’image publique des vétérans était plutôt négative et créait une barrière chez les vétérans qui auraient peut-être pu bénéficier des services gouvernementaux.

Nos centres pour anciens combattants ont été mis sur pied après le Vietnam. Lorsque nos vétérans du Vietnam sont revenus au pays, on ne les traitait pas vraiment bien, et ils ne faisaient pas confiance au gouvernement. Ils ont eux-mêmes créé des centres pour anciens combattants. Ils ont établi un critère d'admissibilité, soit la participation à des combats[70].

En Australie, le ministère éprouve encore des difficultés à rejoindre les vétérans du Vietnam. Mme Liz Cosson, du ministère australien des anciens combattants, a souligné les efforts déployés pour mieux rejoindre les vétérans qui pourraient avoir besoin de services, mais qui ne se manifestent pas :

Vous avez parlé de notre engagement envers les vétérans du Vietnam. Environ 60 000 soldats et infirmières ont participé à la guerre du Vietnam. Malheureusement, nous ne servons qu'un tiers de ces vétérans, et un cinquième des vétérans des conflits plus récents. Nous déployons donc beaucoup d'efforts afin de trouver des façons d'établir le contact avec ces vétérans et la communauté élargie afin d'aider ceux qui sont effectivement admissibles à nos services et notre soutien[71].

Selon l'ombudsman canadien des vétérans, M. Guy Parent, la solution de l'Australie à la difficulté de rejoindre ses vétérans a été de faire d'eux des clients du ministère des Anciens Combattants dès qu'ils deviennent membres des Forces australiennes[72]. Afin de faciliter les efforts de sensibilisation déployés par Anciens Combattants Canada envers les vétérans qui ne sont pas ses clients mais qui pourraient être admissibles à des programmes et services, le Comité recommande :

Recommandation 6

Que les Forces armées canadiennes et la Gendarmerie royale canadienne exigent de leurs recrues qu’elles s’inscrivent, lors de leur enrôlement, à Mon Dossier ACC.

6.3 Transfert des dossiers

Une autre difficulté liée à l’existence de deux ministères séparés est celui du transfert des dossiers médicaux entre les deux organisations. Ce problème a été maintes fois évoqué dans le cadre des délibérations du Comité dans le contexte canadien, mais, en comparaison, les défis auxquels se heurte l’administration américaine atteignent des proportions gigantesques en raison du nombre de dossiers à traiter.

Commentant une annonce récente du secrétaire américain aux anciens combattants touchant l’uniformisation des systèmes informatiques permettant la transmission des informations entre les deux départements, M. Robert Reynolds a décrit l’envergure des démarches nécessaires :

Nous avons travaillé en collaboration pour assurer l'interopérabilité de nos renseignements et de la communication de données. Les responsables de la Défense ont réalisé une longue évaluation qui a duré deux ou trois ans pour déterminer l'application et la plateforme architecturale qui leur convenaient. Ils ont pris leur décision alors que, de notre côté, nous nous demandions encore ce qu'il fallait faire. Aujourd'hui, le secrétaire et le président ont annoncé que nous allons adopter la même plateforme et le même logiciel que la Défense. C'est vraiment une situation gagnant-gagnant pour les militaires et les vétérans, parce que nous utiliserons le même logiciel et le même dossier de santé électronique depuis le moment où le militaire entre dans les rangs et durant toute sa vie, jusqu'à ce qu'il ait recours à la dernière prestation, celle qui concerne les frais funéraires[73].

Au Canada, le ministère a mis en œuvre une vaste initiative de numérisation des dossiers, mais l’intégration des systèmes entre le ministère de la Défense et Anciens Combattants Canada reste à faire. De plus, pour les vétérans qui ne sont pas clients d’ACC, les dossiers médicaux seront gérés par les autorités provinciales après la libération. Le Comité recommande donc :

Recommandation 7

Que, lors de l’enrôlement de leurs recrues, les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale soient autorisés à partager de manière continue leurs dossiers médicaux avec Anciens Combattants Canada, en conformité avec les lois existantes protégeant la vie privée.

7. SANTÉ MENTALE, ITINÉRANCE ET SUICIDE

L’offre de programmes et de services en santé mentale est sans doute l’un des éléments les plus variables d’un pays à l’autre, étant donné que ces services doivent être coordonnés avec le régime de soins de santé en vigueur dans chaque pays. La nature fédérative du système canadien pose des défis qui n’existent pas en Nouvelle-Zélande, et l’absence d’un système de santé universel aux États-Unis rend nécessaire un système parallèle d’institutions de santé dont le Canada n’a plus besoin. Ce sont là des éléments de contexte qui ont une influence considérable sur la manière dont chaque pays élaborera sa solution particulière aux problèmes de santé mentale qui peuvent découler du service militaire.

En Nouvelle-Zélande, par exemple, puisqu’il n’existe pas de ministère distinct traitant les vétérans, les programmes qui leur sont destinés sont les mêmes que ceux qui s’appliquent aux militaires en service ou en transition. Le nombre plus restreint de cas, étant donné le plus petit nombre de militaires, permet plus facilement à la Nouvelle-Zélande d’offrir un des services personnalisés[74].

Au Royaume-Uni, ce sont les services des Forces armées qui sont disponibles pour les militaires en service et en transition, et ce, jusqu’à six mois après la libération. Par la suite, le système national de santé prend en charge les besoins de santé des vétérans. Les besoins particuliers peuvent être comblés par les services offerts par des organismes communautaires avec lesquels fait affaire le ministère de la Défense, par l’entremise de Veterans UK, l’organisation parapluie centrale qui coordonne l’offre de services au niveau local. Par exemple, dans le cas des services communautaires en santé mentale offerts aux vétérans, l’organisme partenaire le plus important en Angleterre est « Combat Stress ». En Écosse, c’est Veterans First Point qui assure la coordination pour ces services, alors que c’est une autre organisation au Pays de Galles[75].

L’important est donc de noter que, contrairement à ce qui se passe au Canada, les gouvernements de ces deux pays ne font qu’assurer la coordination des services communautaires spécialisés. Ils n’offrent pas directement de programmes en santé mentale à leurs vétérans.

Dans le cadre de la présente étude, certaines discussions touchant la santé mentale ont entraîné une discussion sur les liens entre les problèmes de santé mentale et l’itinérance. Aux États-Unis, l’itinérance est évidemment un problème qui ne touche pas que les vétérans, mais l’existence d’un très grand nombre de vétérans dans le pays a comme conséquence qu’on les retrouve fréquemment parmi la population itinérante. Il est donc facile de supposer une relation de cause à effet entre le fait d’être un vétéran et l’itinérance. Ce lien ne semble toutefois pas clairement établi. Les statistiques du Royaume-Uni ne semblent pas indiquer de lien direct non plus entre les deux phénomènes. Comme l’a dit le capitaine Heffron :

Une étude en cours depuis quelques années à Londres seulement nous permet de constater qu'aussi peu que 3 % des itinérants dans la région de Londres sont d'anciens membres des Forces armées et que ces itinérants peuvent être d'anciens membres des Forces armées d'autres pays. Ce n'est qu'un très petit nombre de gens qui ont des problèmes; un très petit nombre ont de la difficulté à faire la transition à la vie civile[76].

En France et en Allemagne, il ne semble pas exister de problème particulier d’itinérance chez les vétérans. Selon M. Charlet, de l’Office national des vétérans et des victimes de guerre :

En France, rien n'est comparable à ce qu'ont connu les États-Unis et le Canada au chapitre des sans-abri. Le maillage territorial, dont j'ai parlé tout à l'heure, permet à une personne en difficulté de trouver un service d'accompagnement à proximité.
Je vais ajouter une chose. Il faut savoir que ces services départementaux, ces services de proximité, travaillent en étroite collaboration avec les autres services de l'État, et particulièrement avec les préfets. Je ne sais pas si le système canadien est semblable au système français, mais l'ONACVG travaille beaucoup avec les préfets, qui ont une responsabilité particulière dans le domaine du logement. En France, un préfet a un quota de logements qu'il peut attribuer. Comme nous travaillons bien avec les préfets, nous pouvons très bien nous tourner vers eux pour essayer de trouver un logement lorsqu'un vétéran est un sans-abri et qu'il est en difficulté[77].

Aux États-Unis, il est devenu familier d’établir le lien de causalité direct entre le taux de suicide et la condition de vétéran, étant donné les risques de problèmes de santé mentale qui accompagnent cette condition. Comme l’a rappelé Robert Reynolds, du département américain des anciens combattants, les analyses font état de 22 suicides de vétérans par jour aux États-Unis[78]. On sait qu’au Canada, le taux de suicide chez les vétérans est environ 50 % plus élevé que chez les militaires et que dans la population en général[79]. Il n’est cependant pas certain qu’une telle différence se retrouve de manière aussi claire dans les autres pays étudiés.

M. John Boerstler a vivement protesté contre la familiarité de ce lien de causalité qui contribue, selon lui, à stigmatiser les vétérans et à faire craindre aux employeurs que les vétérans souffrent tous de problèmes de santé mentale et qu’ils représenteront un danger plutôt qu’un atout dans leur organisation :

Tous les jours, quand je sensibilise des employeurs, j'essaie de démystifier ce qu'on appelle à tort le « stress post-traumatique ». J'attire aussi leur attention sur les chiffres. Ils me disent qu'aux États-Unis, il y a 22 suicides par jour parmi les anciens combattants. Examinons de près ces données. Nous n'avons pas besoin de décortiquer les chiffres quand nous parlons avec les employeurs, parce qu'ils comprennent généralement très vite. Or, parmi ces 22 anciens combattants, 20 sont des hommes de plus de 60 ans. Ces chiffres correspondent à ceux recensés dans la population civile aux États-Unis; cela démontre clairement qu'il n'y a aucun lien avec le service militaire. Ces chiffres indiquent tout simplement que les hommes de plus de 60 ans sont malheureusement plus susceptibles de se suicider que d'autres groupes de la population[80].
Afin d’éviter d’autres problèmes de santé mentale lors de la réintégration à la vie civile, nous devons nous concentrer davantage sur l’emploi et la transition de carrière, au lieu de dépenser plus d’argent, de faire plus d’efforts auprès des médias pour expliquer pourquoi les anciens combattants sont brisés. Il faudrait miser sur le fait que les anciens combattants sont des atouts sur le plan civique et qu’ils seront les meilleurs employés de votre entreprise[81].

Cette affirmation offre matière à réflexion. Ce n'est pas parce qu'un vétéran s'est suicidé qu'il s'est suicidé parce qu'il était un vétéran. Nous devons remettre en question les soupçons préconçus selon lesquels les vétérans sont moins fiables au travail en raison des problèmes de santé mentale qui leur sont trop souvent associés. Au contraire, tous les témoignages entendus au Comité démontrent clairement que les vétérans ont tendance à être plus fiables au travail que les autres employés.

8. CONCLUSION

L’étude comparative qu’a menée le Comité a permis d’identifier un grand nombre d’enjeux qui semblaient exister dans la plupart des pays à différents degrés. Il n’a cependant pas été possible d’identifier des solutions particulières à un pays qui pourraient être importées au Canada sans entraîner une remise en question de l’ensemble du système en vigueur, ou à tout le moins une remise en question de certains de ses éléments essentiels. Par exemple, il est possible d’affirmer que l’existence de deux ministères séparés pour s’occuper des vétérans, au Canada, aux États-Unis et en Australie, crée des difficultés bureaucratiques sur le plan de la transition à la vie civile. En contrepartie, on peut également affirmer que l’existence d’un ministère séparé assure que les vétérans ne sont pas traités comme une clientèle secondaire par le ministère de la Défense, ou comme une clientèle parmi d’autres par les systèmes de soins de santé ou que le gouvernement se décharge pas d’une part de ses responsabilités sur les organismes communautaires. Il serait injuste de comparer les avantages d’un système aux désavantages de l’autre. Cela vaut pour la plupart des éléments examinés durant cette étude. Le système de pensions à vie favorise une plus grande sécurité financière, mais le système de paiements forfaitaires assorti de mesures de remplacement du revenu favorise une meilleure réintégration professionnelle et un sentiment supérieur de bien-être lorsque cette transition est réussie.

La plupart des pays étudiés ont eu à réorganiser une part importante de leurs programmes et services destinés aux vétérans suite à la transformation des conflits entraînée par la fin de la Guerre froide. Chacun l’a fait en tenant compte du contexte particulier dans lequel furent impliquées ses forces armées, de ses traditions, de la comparaison inévitable avec les programmes et services offerts aux vétérans des conflits précédents, des capacités financières du pays et de la possibilité que d’autres organisations soient en mesure d’offrir ses programmes et services de manière plus efficace.

Pour remettre en question les éléments importants des régimes en vigueur dans ces pays ou au Canada, il faut s’assurer que leurs désavantages sont si clairement insupportables qu’ils ne risquent pas d’entraîner des désavantages comparables par leurs conséquences sur d’autres éléments du régime. Les comparaisons permettent donc de faire comprendre que les pays ne doivent pas limiter leur réflexion à ce qui existe chez eux et qu’il existe des possibilités qu’ils n’auraient pas pu envisager sans cette comparaison. Elles ont l’avantage d’inviter à réfléchir à l’extérieur de la boîte, mais elles peuvent également nous entraîner à embellir la pelouse du voisin sans avoir visité toute la propriété.


[1]              ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1530.

[2]              ACVA, Mme Pat Povey (gestionnaire, Services aux anciens combattants, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1700.

[3]              ACVA, Mme Pat Povey (gestionnaire, Services aux anciens combattants, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1700.

[4]              ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1530.

[7]              ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[8]              ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[9]              ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[10]            ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[11]            UK Ministry of Defence, « UK Service Injury and Death Compensation Schemes », 2008.

[12]            ACVA, BGen Bernd Mattiesen, (Corps medical, ministère federal de la Défense, Allemagne), Témoignages, 5 décembre 2017.

[13]            Michale Birnbaum, Germany struggles with homecoming of Afghanistan veterans, Washington Post, 30 avril 2012.

[14]            Thomas Wiegold, « 15 Jahre Bundeswehreinsatz in Afghanistan » [disponible en allemand seulement], Bundeszentrale für politische Bildung, 15 décembre 2016.

[15]            Michael Daxner, « Einsatzrückkehrer und Veteranen » [disponible en allemand seulement], Bundeszentrale für politische Bildung, 9 mai 2016.

[16]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1610.

[17]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1540.

[18]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1600.

[22]            ACVA, M. Frédéric Charlet (directeur de projet auprès de la Directrice Générale, Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ministère des Armées), 26 septembre 2017, 0905.

[23]            ACVA, Mme Pat Povey (gestionnaire, Services aux anciens combattants, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1710.

[26]            ACVA, M. John W. Boerstler (directeur exécutif, NextOp), Témoignages, 3 octobre 2017, 0905.

[27]            Ministère de la Défense nationale, Protection, sécurité, engagement. La politique de défense, 2017, p. 22.

[28]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1600.

[29]            Il y a eu environ 46 000 embauches en 2015-2016 au sein de la fonction publique, dont 32 000 emplois étudiants ou occasionnels, et 14 000 emplois permanents ou menant à la permanence. De ce nombre, 409 militaires libérés pour raisons médicales ont été nommés. Entre 1 000 et 2 000 militaires par année ont été libérés pour raisons médicales au cours des cinq dernières années. Voir le Rapport annuel 2015-2016 de la Commission de la fonction publique.

[31]            ACVA, M. Frédéric Charlet (directeur de projet auprès de la Directrice Générale, Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ministère des Armées), 26 septembre 2017, 1010.

[32]            ACVA, Brigadier général Bernd Mattiesen (Corps médical, ministère de la Défense, Allemagne), 5 décembre 2017.

[33]            Les termes décrivant ce statut varient :  Permanent Limited Duty (Navy), Limited Assignment Status (Air Force), ou Continuation on Active Duty (Army).

[34]            Pour un aperçu des différentes formes que peut prendre ce service limité au sein des différentes composantes des forces armées américaines, voir la présentation des services de santé du Département de la Défense à https://www.realwarriors.net/active/disability/disability.php#_end5.

[35]            Air Force Instruction 36-3212, en vigueur au 27 novembre 2009, p. 55.

[38]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1615.

[44]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1600.

[45]            ACVA, M. Gary Walbourne (ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes), Témoignages, 2 novembre 2017, 0850.

[47]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1630.

[52]            ACVA, BGen Bernd Mattiesen, (Corps medical, ministère federal de la Défense, Allemagne), Témoignages, 5 décembre 2017.

[55]            ACVA, Mme Pat Povey (gestionnaire, Services aux anciens combattants, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1710.

[56]            Voir ACVA, ALLER VERS LES VÉTÉRANS POUR AMÉLIORER LA PRESTATION DES SERVICES, section 3.4.

[58]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1600.

[63]            ACVA, M. John W. Boerstler (directeur exécutif, NextOp), Témoignages, 3 octobre 2017, 1015.

[64]            ACVA, M. John W. Boerstler (directeur exécutif, NextOp), Témoignages, 3 octobre 2017, 0850.

[65]            ACVA, M. Rob Rowntree (sous-chef, Bien-être et soutien, Veterans UK), Témoignages, 19 juin 2017, 1105.

[67]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 1 mai 2017, 1620.

[69]            ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[72]            ACVA, M. Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l’ombudsman des vétérans), Témoignages, 2 novembre 2017, 1005.

[74]            ACVA, Mme Bernadine Mackenzie (chef, Veterans' Affairs New Zealand), Témoignages, 14 juin 2017, 1635.

[77]            ACVA, M. Frédéric Charlet (directeur de projet auprès de la Directrice Générale, Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ministère des Armées), 26 septembre 2017, 0920.

[79]            ACVA, LA SANTÉ MENTALE DES VÉTÉRANS CANADIENS : UNE MISSION DE FAMILLE, juin 2017, p. 9.

[80]            ACVA, M. John W. Boerstler (directeur exécutif, NextOp), Témoignages, 3 octobre 2017, 0920.

[81]            ACVA, M. John W. Boerstler (directeur exécutif, NextOp), Témoignages, 3 octobre 2017, 0945.