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CIMM Rapport du Comité

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PRÉSENTER UNE DEMANDE SANS CRAINTES : MESURE D’IMMIGRATION SPÉCIALE POUR LES RESSORTISSANTS HAÏTIENS ET ZIMBABWÉENS

A. Contexte

En temps normal, lorsqu’une personne se retrouve sans statut d’immigrant légal au Canada, une mesure de renvoi lui est imposée. La personne peut alors quitter le Canada volontairement ou avec l’aide de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Parmi les situations menant à une mesure de renvoi, on compte les personnes qui sont venues au Canada pour demander le statut de réfugié dont la demande a été rejetée et qui ont épuisé toutes les procédures d’appel, les personnes qui ont dépassé la limite de séjour permise par le visa ou le permis de résidence temporaire et les personnes qui sont entrées au Canada sans jamais avoir eu d’autorisation préalable.

Toutefois, le Canada n’applique pas toutes les mesures de renvoi. Dans certains cas, le renvoi peut être suspendu ou reporté. Par exemple, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut annoncer une suspension temporaire des renvois vers un pays en particulier lorsqu’un examen des conditions qui prévalent dans ce pays, mené de concert avec le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, montre qu’il existe des risques généralisés pour la population en raison de catastrophes naturelles, de troubles civils ou d’un conflit armé. À l’heure actuelle, une suspension temporaire des renvois est en vigueur pour l’Afghanistan, la République démocratique du Congo et l’Iraq[2].

Les ministres compétents ont annoncé le 1er décembre 2014 la levée de la suspension temporaire des renvois vers le Zimbabwe et Haïti compte tenu de l’amélioration des conditions dans ces pays[3]. Ces suspensions temporaires des renvois étaient en place depuis 2002 pour le Zimbabwe et depuis 2004 pour Haïti. Au cours des années où le renvoi vers ces deux pays était impossible, les personnes touchées se sont établies au Canada, et ce, malgré les nombreux problèmes découlant de leur statut d’immigrant temporaire.

1. Répercussions de la suspension temporaire des renvois sur la communauté haïtienne

Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont décrit certaines des difficultés que rencontrent les ressortissants haïtiens touchés par la suspension temporaire des renvois, mais ils ont également souligné la résilience de la communauté dans l’adversité.

Les représentants de la communauté haïtienne qui ont comparu devant le Comité, comme Mme Jocelyne Simon et M. Pierreson Vaval, ont affirmé que la suspension temporaire des renvois cause énormément d’instabilité pour les familles touchées. Posséder un permis de travail de courte durée (entre six mois et un an) qui doit être renouvelé au coût de $255 a été identifié comme un processus fastidieux qui, au mieux, constitue une perte de temps et d’argent ou qui, au pire, peut entraîner une perte d’emploi[4]. Les témoins ont fait valoir au Comité que, comme il faut trois ou quatre mois à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour traiter les demandes de renouvellement de permis de travail, les personnes se retrouvent souvent coincées dans un cycle de demande et de renouvellement de permis de travail.

Les problèmes liés à l’obtention et au renouvellement des permis de travail concernent non seulement les adultes, mais également les jeunes qui désirent travailler ou étudier. Selon Mme Simon et M. Vaval, les personnes détenant un permis peuvent s’inscrire à un établissement d’enseignement postsecondaire, y compris les cégeps, les collèges et l’université, et payer des frais de scolarité réguliers[5]. Les personnes qui n’ont pas de permis de travail, par contre, doivent payer les mêmes frais de scolarité qu’un étudiant étranger pour faire des études supérieures, c’est-à-dire 6 000 $ pour le cégep et 10 000 $ pour l’université[6].

Mme Simon et M. Vaval ont indiqué que l’accès aux soins de santé constitue un problème, et ce, malgré le fait que les personnes visées par une suspension temporaire des renvois sont admissibles aux services prévus dans le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). Ils ont décrit le fardeau administratif placé sur les familles, qui doivent renouveler l’assurance-maladie de chacun de ses membres à des dates différentes, ainsi que la réticence de nombreux fournisseurs de soins médicaux à accepter les certificats du PFSI. En outre, M. Vaval a indiqué au Comité que, à Montréal, seule l’hôpital Santa Cabrini accepte les certificats du PFSI, ce qui signifie que les personnes doivent traverser la ville pour obtenir les services de l’unique hôpital qui accepte de les soigner[7].

S’ajoutent à ces problèmes, les grandes répercussions sur la communauté haïtienne au Canada du séisme survenu près de Port-au-Prince le 12 janvier 2010 et qui a fait plus de 300 000 morts et dévasté l’infrastructure locale. À l’époque, le gouvernement fédéral a mis en place des mesures d’immigration spéciales, notamment l’octroi de visas de résidents temporaires à plus de 1 700 personnes et de permis de résidence temporaire à plus de 500 personnes[8]. Le séisme a galvanisé la communauté canado‑haïtienne; celle-ci a recueilli des fonds et a créé des organismes pour venir en aide aux Haïtiens qui sont demeurés au pays et ceux qui sont venus au Canada après avoir tout perdu.

B. Les mesures spéciales en matière d’immigration

Peu de temps avant la levée de la suspension temporaire des renvois vers Haïti et le Zimbabwe le 1er décembre 2014, le gouvernement a annoncé une « mesure spéciale » qui accordait aux personnes touchées un délai de six mois pour présenter une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire; durant cette période, l’ASFC n’exécuterait pas de mesures de renvoi.

En se fondant sur les demandes de statut de réfugié qui ont été refusées, les représentants d’IRCC estiment que 3 200 Haïtiens et 300 Zimbabwéens étaient visés par des mesures de renvoi au moment de la levée de la suspension temporaire et, par conséquent, ceux-ci pouvaient être intéressés par la mesure spéciale annoncée[9]. Toutefois, les représentants ont indiqué au Comité qu’il est impossible de savoir avec certitude combien de personnes étaient visées par des mesures de renvoi puisque le Canada n’est pas doté d’un contrôle des sorties : il se peut que certaines personnes visées par des mesures de renvoi aient quitté le Canada de manière volontaire, ou que d’autres n’aient jamais présenté de demande de statut de réfugié. Ces dernières ne seraient pas incluses dans les estimations d’IRCC.

Les représentants d’IRCC ont dit au Comité que, au cours de la période de six mois entre le 1er décembre 2014 et le 1er juin 2015, le ministère a reçu 1 700 demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire conformément à la mesure spéciale. Ces demandes visaient 2 200 personnes[10]. La vaste majorité des demandes (742 demandes visant au total 1 038 personnes) ont été approuvées en principe, et seulement 67 demandes ont été rejetées. Le taux d’approbation se situait donc à 93 %, un pourcentage considérablement plus haut que la moyenne des demandes de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire habituellement approuvées, qui se situe, elle, à 40 %.

Le 4 février 2016, le gouvernement fédéral a annoncé que les ressortissants d’Haïti et du Zimbabwe se trouvant encore au Canada et visés par des mesures de renvoi ou sans statut légal d’immigration peuvent présenter une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire dans le cadre d’une nouvelle mesure spéciale qui prendra fin en août 2016[11]. Pour les demandeurs d’asile déboutés qui, normalement, n’auraient pas le droit de présenter une demande pour des motifs d’ordre humanitaire,

le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a établi une politique publique temporaire afin de faciliter cette initiative[12].

En se fondant sur les mêmes données, IRCC estime que 900 des 3 200 Haïtiens (28 %) et 125 des 300 Zimbabwéens (42 %) n’ont pas encore présenté de demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire et pourront le faire dans le cadre de la nouvelle mesure spéciale récemment annoncée.

Selon le témoignage des représentants, le ministère a pour priorité d’informer les personnes concernées au sujet de la mesure spéciale et de corriger toute idée fausse sur le processus. Par conséquent, IRCC a mis en place une stratégie de sensibilisation à plusieurs volets, y compris la publication d’un communiqué de presse (visant en particulier les médias ethniques et les médias du Québec), des messages sur Twitter, sur Facebook et sur le site Web d’IRCC en plus de collaborer  avec des intervenants. Le ministère a également fait parvenir des lettres aux personnes touchées à leur dernière adresse connue[13].

1. Critères d’admissibilité et exigences relatives aux demandes

L’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[14] permet l’octroi du statut de résident permanent ou d’un visa de résident permanent à certains ressortissants étrangers qui ne seraient admissibles au titre d’aucune catégorie, dans les cas où il y a des motifs d’ordre humanitaire impérieux.

Lorsqu’ils rendent une décision sur les demandes, les agents d’immigration s’appuient sur des politiques et des procédures définies par le ministère en plus du cadre législatif. Parmi les facteurs que l’on prend en considération dans une évaluation des considérations d’ordre humanitaire, on retrouve les suivants :

  • l’établissement au Canada;
  • les liens avec le Canada;
  • l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision;
  • des facteurs dans le pays d’origine, y compris des conditions défavorables;
  • des facteurs relatifs à la santé, y compris l’incapacité d’un pays à fournir des traitements médicaux;
  • des facteurs relatifs à la violence familiale;
  • les conséquences de la séparation des membres de la famille;
  • l’incapacité à quitter le Canada ayant conduit à l’établissement;
  • toute autre circonstance unique ou exceptionnelle justifiant la prise de mesures spéciales[15].

Le degré d’établissement du demandeur peut être mesuré à l’aide de facteurs comme l’historique d’emplois stables, la participation au sein de la communauté, l’intégration au moyen d’études universitaires ou la présence de membres de la famille au Canada.

Les demandes présentées dans le cadre de la mesure spéciale pour les ressortissants haïtiens et zimbabwéens doivent satisfaire aux critères habituels de l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire. En outre, le demandeur doit respecter les critères suivants :

  • Il ne doit jamais avoir présenté une demande d’asile déclarée irrecevable devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada;
  • Il ne doit pas être interdit de territoire pour raison de sécurité, d’atteinte aux droits de la personne ou internationaux, de criminalité, de grande criminalité ou de criminalité organisée;
  • La CISR ne doit pas avoir rejeté sa demande d’asile pour motif d’exclusion au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés;
  • Il ne doit jamais avoir fait l’objet d’accusations criminelles portées puis retirées par la Couronne pour permettre l’exécution d’une mesure de renvoi;
  • Il ne doit être visé par aucun mandat en matière criminelle non exécuté[16].

En raison de ces critères d’admissibilité, il est possible que certaines personnes ne puissent pas présenter de demande dans le cadre de la mesure spéciale, mais toutes les personnes visées par une mesure de renvoi du Canada sont admissibles à un Examen des risques avant renvoi (ERAR), qui consiste généralement en un examen sur dossier ayant pour but d’évaluer les risques auxquels la personne ferait face si elle était renvoyée dans son pays d’origine.

Toute personne qui présente une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire doit remplir les formulaires nécessaires, y joindre des photos ainsi que des photocopies de pièces d’identité et de documents prouvant les liens de famille, comme un passeport et un certificat de mariage[17]. Le demandeur doit également payer des frais de 550 $ par adulte et 150 $ par personne à charge visée par la demande.

2. Témoignages concernant les mesures spéciales et les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire

Des témoins ont indiqué aux membres du Comité que la levée de la suspension temporaire des renvois a causé de grandes craintes au sein de la communauté haïtienne, malgré le fait que certaines personnes étaient optimistes puisque la mesure spéciale leur donne la chance d’obtenir le statut de résident permanent. Selon Mme Simon, présidente, Concertation-action des citoyens et des citoyennes d’origine haïtienne, les membres de la communauté avaient peur d’être renvoyés du Canada et retournés en Haïti où, a-t-elle fait observer, ils n’ont aucune idée de ce qui pourrait les attendre. Leurs amis et leurs proches sont peut-être décédés, et leur maison et leurs biens ont peut-être été détruits. En outre, Mme Simon a fait état de préoccupations sur l’instabilité politique, sociale et économique en Haïti et de problèmes comme les enlèvements, les maladies contagieuses, les représailles et la méfiance de la population locale envers les personnes qui rentrent au pays[18].

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a fait écho à ces préoccupations et a présenté au Comité une lettre sur les renvois en Haïti signée par l’UNHCR et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) en juin 2011, mais encore jugée pertinente à la situation actuelle[19]. Dans cette lettre, les deux organismes demandaient aux gouvernements de renouveler, pour des motifs d’ordre humanitaire, les permis de résidence qui permettent aux Haïtiens de demeurer à l’extérieur de leur pays d’origine. Advenant le non-renouvellement des permis, la lettre présente des principes directeurs pour les renvois. Plus particulièrement, l’UNHCR et l’OHCHR proposent les principes suivants aux gouvernements :

  • « Porter une considération particulière aux personnes ayant des besoins spéciaux de protection dans le contexte humanitaire actuel, et s’abstenir de procéder à des retours vers Haïti;
  • Éviter les situations où les retours provoqueraient la séparation des membres d’une famille;
  • Vérifier la nationalité des personnes d’origine haïtienne s’il existe un doute quant à leur nationalité;
  • S’assurer que les retours forcés sont effectués en toute humanité et dignité, dans le plein respect des droits de l’homme, en informant à l’avance les autorités haïtiennes compétentes afin qu’elles puissent préparer la réception de ces personnes[20]. »

En ce qui concerne la demande de statut de résident permanent dans le cadre de la mesure spéciale, des témoins ont fait valoir qu’il est difficile pour de nombreux Haïtiens d’obtenir les documents nécessaires pour étayer les demandes. M. Vaval a expliqué qu’il est difficile, par exemple, d’obtenir les certificats de baptême, les cartes d’identité et les passeports, ajoutant que :

Dans le processus de demande de résidence permanente, il est difficile d'obtenir toutes les informations nécessaires. Souvent, les gens n'ont pas la capacité de faire une demande parce que la situation en Haïti a changé. Les documents et les gens pouvant faire des témoignages ne sont plus là. Plus le temps passe, plus la situation devient compliquée, de sorte qu'il est de plus en plus difficile pour ces gens de répondre aux exigences[21].

Le récit personnel de M. Jean-Fritz Cima, qui a comparu devant le Comité, montre que les demandeurs ne reçoivent pas toujours de bons services des consultants en immigration embauchés pour les aider dans le processus de présentation de demande, et ils doivent souvent en payer personnellement les dures conséquences. M. Cima a indiqué que son consultant a rempli la demande du statut de réfugié sans l’inclure dans le processus. Les écarts entre ce que M. Cima a affirmé à la CISR et ce qui était écrit dans sa demande ont mené le membre de la CISR à douter de sa crédibilité, si bien que sa demande du statut de réfugié a été rejetée. La demande de résidence permanente qu’il a ensuite présentée pour des motifs d’ordre humanitaire a été elle aussi rejetée parce qu’il n’a pas signé l’affidavit à certains endroits[22].

Au nom de la communauté haïtienne de Montréal, Mme Simon a proposé au gouvernement d’établir un partenariat en ce qui concerne l’important travail de sensibilisation auprès des personnes touchées par la levée de la suspension temporaire des renvois ainsi qu’auprès des personnes dont la demande a été rejetée au cours de la première mesure spéciale. Elle a fait valoir que les personnes se sentiraient peut-être plus à l’aise de remplir les formulaires avec des organismes communautaires plutôt que de solliciter les conseils d’avocats ou de consultants.

C. Recommandations

Le Comité désire féliciter le ministère et les autres intervenants pour le succès de la première mesure spéciale à l’intention des Haïtiens et les Zimbabwéens visés par une mesure de renvoi. Pour tirer profit de ce succès, nous formulons les recommandations ci-dessous. Nous espérons que le plus grand nombre possible de personnes visées par une mesure de renvoi vers Haïti ou le Zimbabwe auront l’occasion de présenter une demande afin de demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, et que les personnes qui répondent aux critères recevront une réponse positive.

Les recommandations suivantes portent sur quatre éléments des mesures d’immigration spéciales : la publicité, le processus de présentation d’une demande, la collaboration avec les organismes communautaires, et le coût. La dernière recommandation porte sur le fardeau administratif que doivent gérer les personnes touchées par une suspension temporaire des renvois.

(I) Publicité

Le Comité applaudit les efforts d’IRCC pour faire connaître la mesure spéciale aux ressortissants haïtiens et zimbabwéens. Toutefois, il s’inquiète du fait qu’il sera plus difficile de communiquer avec les personnes qui n’ont pas présenté de demande lors de l’annonce de la première mesure. La situation des 125 ressortissants zimbabwéens est particulièrement préoccupante puisqu’ils sont davantage dispersés à travers le Canada comparativement aux membres de la communauté haïtienne, dont 90 % vivent au Québec. Le Comité est d’avis que le principal message à transmettre dans le cadre des publicités est qu’il n’y a aucun risque à présenter une demande. Par conséquent, nous recommandons :

RECOMMANDATION 1

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada redouble ses efforts pour faire connaître la mesure d’immigration spéciale visant les ressortissants haïtiens et zimbabwéens, en accordant une attention spéciale :

  • au média le plus susceptible de joindre le public visé;
  • au contenu positif des messages pour atténuer les craintes associées à la présentation d’une demande, en soulignant notamment le taux élevé d’approbation des demandes;
  • à la rectification des idées fausses, comme celle selon laquelle une personne dont une demande pour des motifs d’ordre humanitaire a été refusée ne peut pas présenter une nouvelle demande dans le cadre de la mesure spéciale.

(II) Processus de présentation d’une demande

Le Comité a appris que le processus de présentation d’une demande dans le cadre de la mesure spéciale est ardu et qu’il ne tient pas nécessairement compte du fait qu’il est difficile d’obtenir les documents originaux d’Haïti pour confirmer l’identité ou prouver les liens de famille. Le Comité note que le processus de présentation de toutes les demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire est essentiellement le même que celui appliqué dans le cadre de la mesure spéciale. Il suggère au gouvernement de revoir le processus du point de vue du service à la clientèle.

Compte tenu des conséquences sérieuses engendrées par le rejet d’une demande présentée dans le cadre de la mesure spéciale, le Comité propose d’améliorer la flexibilité du processus décisionnel. Plus particulièrement, il serait peut-être avantageux de permettre aux demandeurs de réagir aux éléments qui posent problème dans leur demande avant qu’une décision finale ne soit rendue. En outre, comme la date d’échéance d’août approche, le Comité propose au ministère d’adopter une approche flexible dans le traitement des demandes. Par exemple, s’il manque certains documents à une demande, il y aurait lieu de permettre au demandeur de compléter sa demande même après la date d’échéance.

Afin de simplifier le processus de présentation de demande dans le cadre de la mesure spéciale, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 2

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada examine le processus de présentation de demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire afin de simplifier la tâche aux demandeurs.

RECOMMANDATION 3

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada envisage d’autres méthodes pour confirmer l’identité et les liens de famille, comme le recours à des affidavits, et de permettre aux demandeurs d’utiliser ces méthodes dans le cadre de la mesure spéciale.

(III) Collaboration avec les organismes communautaires

En règle générale, les personnes qui présentent une demande pour demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire remplissent les formulaires par eux-mêmes ou font appel aux services d’un conseiller en immigration ou d’un avocat. Une aide juridique restreinte est offerte dans certaines provinces pour couvrir les dépenses des personnes qui ne peuvent se payer les services d’un avocat.

Dans le cadre de la mesure spéciale visant les ressortissants haïtiens et zimbabwéens, le gouvernement du Québec a offert du financement à cinq organismes pour qu’ils viennent en aide aux demandeurs : Maison d’Haïti, Service d’aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée, Accueil aux immigrants de l’Est de Montréal, Carrefour d’intercultures de Laval, et Carrefour le Moutier[23]. À l’exception de ce financement, aucun fonds supplémentaire n’a été octroyé pour aider les demandeurs.

De l’avis du Comité, il serait pertinent d’orienter les demandeurs vers des organismes communautaires pour qu’ils obtiennent de l’aide avec leur demande dans le cadre de la mesure spéciale. Si possible, un représentant pourrait être nommé dans les bureaux régionaux d’IRCC afin de remplir le rôle de personne-ressource. Les organismes communautaires ont tissé des liens de confiance avec la population locale, ont probablement des employés qui parlent la même langue que les membres de la communauté et sont bien placés pour renforcer le message selon lequel les ressortissants ne risquent rien à présenter une demande et que celle-ci ne mènera pas à leur renvoi immédiat du Canada. Mme Simons a exprimé la volonté de la communauté haïtienne de collaborer afin d’aider les demandeurs. En outre, le fait d’offrir les ressources nécessaires aux organismes communautaires pour faciliter le processus de présentation de demande permet de réduire le recours aux consultants privés et le risque que des professionnels sans scrupules profitent de personnes vulnérables. Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 4

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté cerne les organismes pouvant aider les personnes à remplir leur demande dans le cadre de la mesure spéciale et envisage de leur offrir des ressources supplémentaires pour les appuyer dans ce rôle. En outre, que ces dispositions soient bien communiquées de manière à ce que les personnes touchées sachent vers quels organismes se tourner pour obtenir de l’aide.

(IV) Coût

Les frais de demande dans le cadre de la mesure spéciale s’élèvent à 550 $ par adulte et 150 $ par personne à charge. Toutefois, un témoin a fait valoir au Comité qu’il a payé un total de 16 000 $ pour différentes demandes d’immigration[24]. Le Comité estime que ces frais sont élevés, d’autant plus que bon nombre des Haïtiens qui habitent au Canada et qui sont touchés par la levée de la suspension temporaire des renvois sont arrivés au pays en raison du séisme. Selon les témoignages sur les difficultés entourant les permis de travail, il est probable que ces personnes ne soient pas en  bonne situation financière. Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 5

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada examine les frais de demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, plus particulièrement pour les demandeurs à faible revenu, envisage de réduire les frais ou d’offrir de l’aide financière, s’il y a lieu, et veille à ce que cet examen s’applique aux personnes qui présentent une demande dans le cadre de la mesure spéciale .

(V) Fardeau administratif des personnes touchées par la suspension temporaire des renvois

La suspension temporaire des renvois a été levée pour les ressortissants d’Haïti et du Zimbabwe, mais elle est encore en vigueur pour les ressortissants de l’Afghanistan (depuis 1994), de la République démocratique du Congo (depuis 1997), et de l’Iraq (depuis 2003).

Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont indiqué que le fardeau administratif associé à une demande de permis de travail et d’assurance-maladie et le renouvellement de ces documents mine la capacité des personnes à se trouver et à conserver un emploi. Ils ont proposé que la période de validité de ces documents, de 6 à 12 mois, soit prolongée de manière à s’étendre sur 18 à 24 mois. Puisque de nombreuses personnes sont visées par la suspension temporaire des renvois pour une longue période de temps, le Comité est d’avis que le ministère devrait octroyer des permis valides pour une plus longue période. En outre, puisque bon nombre de ces personnes ont intégré la société canadienne et qu’ils parviennent à obtenir le statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire, il est dans l’intérêt du Canada d’éliminer les obstacles à l’intégration à court terme. Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 6

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada envisage l’octroi de permis de travail et de certificats du Programme fédéral de santé intérimaire valides pour une période de 18 mois aux personnes visées par une suspension temporaire des renvois et qui sont au Canada depuis au moins un an.

RECOMMANDATION 7

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada veille à ce que les professionnels de la santé ne refusent pas d’offrir des soins aux personnes admissibles au Programme fédéral de santé intérimaire.

D. Conclusion

Les ressortissants haïtiens et zimbabwéens visés par une mesure de renvoi vers leur pays d’origine vivent dans l’incertitude et ne peuvent entièrement s’intégrer au Canada. La mesure spéciale est une méthode généreuse qui permettra à bon nombre d’entre eux d’avoir une plus grande stabilité au Canada et de préparer leur avenir. Le Comité est heureux du fait que la mesure spéciale a été, pour un grand nombre de personnes, un succès. Nous estimons que la deuxième mesure spéciale pourrait connaître des résultats positifs semblables et nous exhortons IRCC à mettre en œuvre nos recommandations pour l’améliorer. Surtout, nous exhortons IRCC à saisir l’occasion d’établir des partenariats avec des organismes communautaires afin de faire connaître la mesure spéciale et d’encourager les personnes à présenter une demande.


[2]              Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), ENF 10 Renvois, guide opérationnel, par. 13.5.

[4]              Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes (CIMM), Témoignages, 42e législature, 1re session, réunion no 4, 8 mars 2016, 1120 (Pierreson Vaval, directeur, Équipe Rivière-des-Prairies).

[5]              Jocelyne Simon et Pierreson Vaval, notes d’allocution, p. 4.

[6]              CIMM, Témoignages, 8 mars 2016, 1120 (Pierreson Vaval).

[7]              Ibid., 1125.

[8]              Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), Avis : Fin des mesures spéciales concernant Haïti (au 31 août 2010).

[9]              CIMM, Témoignages, 25 février 2016, 1105 (Michel Dupuis, sous-ministre adjoint par intérim, Opérations, ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration).

[10]           Ibid., 1110.

[13]           CIMM, Témoignages, 25 février 2016, 1120 (Maia Welbourne, sous-ministre adjointe déléguée par intérim, Politiques stratégiques et de programmes, ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration).

[14]           Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[16]           IRCC, Guides des politiques et des programmes 2015, Bulletin opérationnel 600 (modifié) – le 23 janvier 2015.

[17]           Pour consulter la liste complète des exigences, voir IRCC, Liste de contrôle des documents car comportant des considérations humanitaires .

[18]           CIMM, Témoignages, 8 mars 2016, 1135 (Marie-Jocelyne Simon, présidente, Concertation-action des citoyens et des citoyennes d’origine haïtienne).

[19]           Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mémoire, 14 mars 2016, p. 2.

[20]           Ibid.

[21]           CIMM, Témoignages, 8 mars 2016, 1140 (Pierreson Vaval).

[22]           CIMM, Témoignages, 8 mars 2016, 1140 (Jean-Fritz Cima, à titre personnel).

[24]           CIMM, Témoignages, 8 mars 2016, 1110 (Jean-Fritz Cima).