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HUMA Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 : LES PROJETS PILOTES DE L’ASSURANCE-EMPLOI

La Commission de l’AE peut mettre en place des projets pilotes dans le but d’évaluer l’impact de changements au programme. Ces projets sont souvent limités dans la durée (ne dure souvent pas plus de trois ans), la zone d’implantation (généralement limitée à quelques régions économiques précises) et concernent habituellement les prestations régulières[104].

A. Modification du projet pilote « Travail pendant une période de prestations »

Un projet pilote aujourd’hui en vigueur est le projet « Travail pendant une période de prestations ». Ce projet a pour but d’encourager les prestataires d’AE à accepter un emploi et à maintenir des liens avec le marché du travail. Ce projet, qui augmentait les montants de gains permis aux prestataires d’AE avant qu’ils ne soient déduits de leurs prestations hebdomadaires, a d’abord été mis en œuvre dans certaines régions entre 2005 et 2008. Le projet a ensuite été prolongé jusqu’en 2012, et étendu à l’ensemble du Canada. En août 2012, le projet a été prolongé jusqu’en août 2015 et la méthode de calcul pour déterminer les gains permis pendant la période de prestations a été modifiée. Comme certains ont fait valoir que la méthode de calcul précédente était plus avantageuse pour certains, le gouvernement permet aux prestataires admissibles de choisir entre l’ancienne et la nouvelle méthode. En août 2015, la dernière version du projet pilote a été reconduite jusqu’au 6 août 2016[105], et le Budget 2016 propose de le prolonger à nouveau jusqu’en août 2018, afin de donner au gouvernement le temps dont il a besoin pour évaluer si le programme rencontre ses objectifs. Le budget propose également que les prestataires puissent choisir d’appliquer les règles du projet pilote antérieur s’ils le désirent[106].

Selon les explications de Paul Thompson, sous-ministre adjoint principal à EDSC, les anciennes règles permettaient aux prestataires de conserver 100% de leurs gains pour une seule journée de travail et 0 % par la suite, alors que les plus récentes règles permettent aux prestataires de conserver 50 % de tous leurs gains. Selon les analyses d’EDSC, une plus faible proportion de prestataires travaillent en vertu des nouvelles règles (51% par rapport à 55% selon les anciennes règles). Par contre, ceux qui travaillent, travaillent un plus grand nombre de journées par semaine. Il a aussi ajouté que « les personnes ayant un plus faible revenu étaient surreprésentées au sein du groupe de personnes qui ont cessé de travailler pendant une période de prestations[107]. »

Selon Ian MacPherson, directeur exécutif de la Prince Edward Island Fishermen's Association, les sommes récupérées sur les prestations d’AE en raison des gains de travail sont supérieures selon les nouvelles règles du projet pilote. Il a affirmé que bien que son organisation veuille encourager les gens à saisir l'occasion de gagner un revenu additionnel, elle estime que la nouvelle version du projet pilote est plus nuisible qu'autre chose pour les pêcheurs de l’Île-du-Prince-Édouard[108].

À ce sujet, la PEI Coalition for Fair EI affirme pour sa part que « le lancement en 2012 de ce projet pilote a eu un effet dévastateur sur les nombreux travailleurs saisonniers qui trouvent à peine quelques heures de travail par semaine pendant la saison morte. Ces changements profitent à un petit groupe de travailleurs qui touchent un revenu s’approchant du plein temps. Ils sont préjudiciables aux prestataires d’assurance-emploi les plus vulnérables[109]. »

La Coalition souligne d’ailleurs aussi que « même si, selon les changements introduits dans le dernier budget, les prestataires auront la possibilité de retourner aux règles de l’ancien projet pilote, il y a des conditions particulières d’admissibilité qui doivent être respectées et qui limitent grandement le nombre de prestataires pouvant profiter de l’ancien projet pilote[110]. » Selon cette organisation, « rien n’indique que ces critères d’admissibilité ont été supprimés[111]. »

Malgré ces enjeux, certains témoins, dont le syndicat UNIFOR, ont indiqué que la prolongation du projet pilote jusqu’en 2018 avec la possibilité de choisir les règles du projet pilote antérieur constitue un pas dans la bonne direction. Dans son mémoire, UNIFOR ajoute cependant que « le système doit veiller à ce que les demandeurs optent pour le projet-pilote qui répond le mieux à leurs besoins[112]. »

Pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada, il faudrait tout simplement annuler les changements apportés au projet pilote en 2012 puisque, selon elle, l’ancienne version favorise les travailleurs à faible revenu. Elle recommande également de bonifier l’ancienne version du projet pilote afin que les travailleurs puissent gagner 100 $ par semaine ou conserver 50 % de leurs prestations hebdomadaires d’AE sans que leurs prestations ne soient réduites, plutôt que les 75 $ et 40 % prévus dans l’ancienne version[113].

Dans les témoignages au Comité concernant le projet pilote « Travail pendant une période de prestations », la majorité des témoins ont suggéré que les anciennes règles du projet pilote étaient plus favorables. Reconnaissant les préoccupations soulevées, le Comité recommande ce qui suit :

RECOMMANDATION 10

Le Comité recommande à Emploi et Développement social Canada de prendre des mesures immédiates afin de s’assurer que :

  • Durant la période d’extension annoncée dans le budget fédéral de 2016, le choix entre la version actuelle et antérieure du projet pilote « Travail pendant une période de prestations » soit entièrement libre et non dicté par certains critères précis d’admissibilité;
  • Le site Web du gouvernement du Canada et les agents de Service Canada fournissent l’information nécessaire pour que les prestataires puissent faire le meilleur choix entre les deux versions du projet pilote compte tenu de leur situation;
  • Qu’à la fin de la période d’extension du présent projet pilote en août 2018, une évaluation complète du projet soit effectuée, que les résultats soient partagés avec le Comité en février 2019 au plus tard, et rendus publics.

B. Fin du projet pilote « sur la bonification des semaines de prestations d’assurance-emploi »

En 2004, le gouvernement fédéral a mis en place un projet pilote qui prolongeait de cinq semaines la durée maximale des prestations dans 24 régions du Canada à fort taux de chômage (10 % ou plus) pour une période de deux ans. Le projet a ensuite été relancé, avec certaines modifications, tous les deux-trois ans jusqu’en 2012[114]. À l’origine, ce projet avait été mis en place afin de vérifier dans quelle mesure la prolongation du nombre de semaines de prestations réduisait le nombre de prestataires saisonniers qui vivaient une période creuse[115], c’est-à-dire une période durant laquelle ils ne reçoivent ni prestations d'AE ni revenus d'emploi. Ce projet a aussi été mis en œuvre à l’échelle nationale afin de stimuler le marché du travail canadien pour contrer les effets de la récession de 2008‑2009[116].

Le Budget 2016, a annoncé une prolongation de la durée des prestations d’AE de cinq semaines pour tous les prestataires admissibles des 12 régions économiques de l’AE qui ont connu les hausses de chômage les plus marquées[117] en raison du récent choc économique causé par la baisse du prix du pétrole. Le 13 mai 2016, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que trois régions économiques de l’AE additionnelles bénéficieraient de cette prolongation dans la durée des prestations soient Edmonton; Intérieur-Sud de la Colombie-Britannique; et sud de la Saskatchewan[118].

En ce qui a trait à l’impact du projet pilote relatif à la prolongation des prestations d’AE de cinq semaines sur les travailleurs saisonniers, le Comité a été informé que les analyses d’ESDC ont démontré que le projet était mal ciblé. Comme l’a fait remarquer Paul Thompson, bien qu’un grand nombre des semaines supplémentaires offertes aient été utilisées, « seule une faible portion des semaines supplémentaires, soit moins de 5 %, touchait la population ciblée, c'est-à-dire les travailleurs saisonniers vivant des périodes creuses. On peut en conclure que le projet, tel qu'il avait été conçu, était mal ciblé[119]. »

Certains témoins ont tout de même souligné l’impact négatif qu’a eu la non-reconduction de ce projet pilote sur certaines régions économiquement désavantagées et à forte incidence de travail saisonnier. Notamment Ian MacPerson, du PEI Fishermen’s Association, a mentionné au Comité que « du point de vue des pêcheurs, c'était un programme extrêmement utile qui dépannait les travailleurs jusqu'au début de la saison suivante, quand ils pouvaient reprendre leur emploi saisonnier[120]. » En plus, Marie-Hélène Arruda, a affirmé que dans plusieurs régions de l'est du Québec, telles que la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, ainsi que dans l'Atlantique, les gens font face à une absence totale de revenu entre la fin des prestations et le retour de la saison de travail, c’est ce qu’on appelle le trou noir, et que ces cinq semaines leur étaient pratiquement vitales[121].

Certains des mémoires soumis au Comité, tels que celui de l’Alberta Federation of Labour, recommandaient que la prolongation de cinq semaines de prestations annoncée dans le Budget 2016 ne se limite pas aux régions les plus affectées par la chute des prix du pétrole, ni à celles qui sont économiquement désavantagées de manière chronique, mais plutôt que ce type d’extension soit offerte dans l’ensemble du Canada. En effet, plusieurs représentants du milieu des travailleurs et travailleuses « jugent que l’approche fondée sur les régions économiques n’est pas justifiée, car un travailleur sans emploi est un travailleur sans emploi, peu importe l’endroit où il vit[122]. »


[104]         André Léonard, Le fonctionnement du programme d’assurance-emploi au Canada, publication no 2010-52-F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 18 octobre 2010, révisée le 14 août 2014, p. 14.

[105]            Gouvernement du Canada, « Règlement modifiant le Règlement sur l’assurance-emploi », DORS/2015-151, 17 juin 2015, dans Gazette du Canada, Partie II : Règlements officiels, vol. 149, no 13, 1 juillet 2015.

[106]         Gouvernement du Canada, Budget 2016, Assurer la croissance de la classe moyenne, 22 mars 2016, p. 81.

[107]         HUMA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 4 mai 2016, 1730 (Paul Thompson).

[108]         HUMA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2016, 1625 (Ian MacPherson).

[109]         Mémoire déposé par la PEI Coalition for Fair EI, 13 mai 2016, p. 4.

[110]         Ibid.,

[111]         Ibid.

[112]         Mémoire déposé par le syndicat UNIFOR, p. 3.

[113]         Mémoire déposé par l’AFPC, mai 2016, p. 7.

[114]         Gouvernement du Canada, CAEC, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2012-2013, Annexe 7.

[115]         HUMA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 4 mai 2016, 1730 (Paul Thompson).

[116]         Gouvernement du Canada, CAEC, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2012-2013, Annexe 7.

[117]         Gouvernement du Canada, Budget 2016, Assurer la croissance de la classe moyenne, 22 mars 2016, p. 82.

[118]         Communiqué du Premier Ministre du Canada Justin Trudeau, Le premier ministre annonce des changements de l’assurance-emploi pour trois autres régions économiques de l’AE, 13 mai 2016.

[119]         HUMA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 4 mai 2016, 1730 (Paul Thompson).

[120]         HUMA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 9 mai 2016, 1625 (Ian MacPherson).

[121]         Ibid., 1715 (Marie-Hélène Arruda).

[122]         Mémoire déposé par l’Alberta Federation of Labour, p. 2.