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Monsieur le Président, ce projet de loi ne contient aucune mesure de protection concrète. Même les exemptions qu'il prévoit sont pleines de failles. La disposition relative au consentement écrit exclut les personnes qui ne peuvent pas signer. Il serait possible de renoncer régulièrement à la période d'attente. La maladie mentale ne serait pas exclue. L'exigence voulant que la mort soit raisonnablement prévisible n'exclurait personne, et le critère exigeant la signature de deux médecins inviterait simplement à choisir soigneusement son médecin. Même si elle ne se conformait pas aux critères déjà ambigus, une personne qui tuerait un patient contre son gré pourrait s'en tirer en prétendant qu'elle croyait raisonnablement, mais à tort, que les critères s'appliquaient.
De toute évidence, les critères sont totalement ambigus et, compte tenu de la disposition relative à la croyance raisonnable mais erronée, il serait pratiquement impossible de poursuivre une personne qui tue un patient, et ce, même sans le consentement de ce dernier.
Aujourd'hui, j'aimerais faire valoir trois points supplémentaires, soit l'altération du langage moral, la nécessité de procéder à un examen préalable et le fait que l'absence de mesures de protection pour les cas de conscience nuit encore plus à un système déjà inadéquat de soins palliatifs.
Le débat sur cette question est marqué par une altération du langage. Des termes comme « suicide », « euthanasie » et « meurtre » sont rejetés et remplacés par des expressions fondamentalement inexactes comme « aide médicale à mourir ». Tous les jours, des médecins aident des patients à mourir sans les tuer.
Par surcroît, l'utilisation des termes « dignité » et « compassion » comme euphémismes montre que le projet de loi vide la langue de son sens. Qui plus est, l'expression « mourir dans la dignité » laisse entendre que les personnes qui souffrent ou qui sont handicapées n'ont pas de dignité. Voilà qui reflète une perception fort inquiétante du monde. Il est établi depuis longtemps que la notion de dignité est immuable et qu'il s'agit d'une caractéristique intrinsèque de l'être humain. C'est la dignité humaine immuable qui incite à abattre un chien qui souffre mais non un être humain qui souffre.
C'est la dignité universelle et immuable unique à l'homme qui sous-tend notre conception des droits de la personne. Or, cette caractéristique unique à l'homme, qui est un droit universel et immuable, constitue ostensiblement le fondement moral du projet de loi dont nous sommes saisis. Ceux qui souhaitent redéfinir si radicalement la notion de dignité devraient au moins nous donner leur définition.
J'ai suggéré au gouvernement d'amender le projet de loi pour y inclure un système d'examen préalable par les autorités juridiques compétentes. Cet examen pourrait prendre diverses formes. La loi pourrait prévoir un examen par un comité provincial de vérification et d'évaluation de la capacité des patients ou exiger un examen obligatoire par un juge. Elle pourrait simplement exiger que les provinces mettent sur pied leur propre système d'examen juridique préalable ou qu'on retienne les services d'un avocat indépendant à titre de témoin.
Les options sont multiples; certaines sont meilleures que d'autres. Les critères n'ont pas grande valeur si une autorité juridique compétente ne s'assure pas à l'avance que les critères d'ordre juridique sont respectés.
Or, le gouvernement veut forcer les médecins à assumer ce rôle, mais les médecins ne sont pas une autorité juridique compétente. Ils ne prennent pas ce type de décisions dans d'autres sphères de leur travail, d'autant plus que donner la mort va à l'opposé de l'objectif des procédures médicales normales, qui visent à protéger la vie. Par ailleurs, le projet de loi permet aux gens de choisir leur médecin, mais cela ne signifie pas que le médecin traitant précédent réaliserait un examen préalable, étant donné que le patient ou, pire encore, une autre personne pourrait tout simplement faire une recherche en ligne pour trouver un médecin qui a une interprétation plus libérale des critères.
Un simple système d'examen juridique préalable par une autorité compétente éliminerait la recherche d'un médecin et permettrait d'atteindre l'objectif central. Cela permettrait de nous assurer que les gens qui n'y ont pas consenti ou qui ne répondent pas aux critères ne sont pas tués, sans avoir des moyens efficaces d'enquêter sur ces cas après les faits. Des données des pays du Benelux montrent des taux élevés et alarmants d'euthanasie de patients qui n'y avaient pas consenti. Toutefois, les poursuites contre ceux qui tuent des patients sans leur consentement dans un cadre médical sont pratiquement inexistantes.
Enfin, l'absence de disposition protégeant la liberté de conscience fait en sorte que les gens seront écartés des soins palliatifs, auxquels ils sont déjà trop peu nombreux à avoir accès. La Dre Nancy Naylor, médecin de famille et en soins palliatifs depuis 40 ans, abandonne la profession, expliquant que ce n'est pas parce qu'elle ne désire plus l'exercer, mais parce qu'elle ne veut pas qu'on l'oblige à agir contre sa conscience. Elle prend la parole parce que ses patients, qui n'auront plus accès aux soins palliatifs, ne le peuvent pas. À quoi bon une mesure législative qui ne protège pas la liberté de conscience si elle a pour effet de faire quitter la profession à des médecins en soins palliatifs fidèles à leurs principes au moment où on a le plus besoin d'eux?
De nombreux médecins affirment que l'aide médicale à mourir n'a rien à voir avec les soins médicaux et qu'on devrait les laisser se concentrer sur ce qu'ils font le mieux.
La décision de la Cour suprême a ouvert une brèche dans la loi existante, et la présente législature ne peut rien y changer, mais le gouvernement semble profiter de ces circonstances pour élargir encore le trou. L'absence de loi constituerait une situation qui ne serait pas souhaitable, mais la présente mesure législative empirerait la situation. Sans limites strictes, elle mettrait en danger les malades, les handicapés et les aînés vulnérables.
Mettons un terme à la folie et corrigeons le projet de loi.
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Monsieur le Président, j’ai eu l’honneur de servir la population de Kitchener—Conestoga et de participer à de nombreux débats importants à la Chambre au cours des 10 dernières années. Comme députés, nous avons l’obligation solennelle de tracer la voie future de notre grand pays. Les motions que nous déposons, les amendements que nous examinons, les projets de loi que nous adoptons auront toujours des incidences positives ou négatives sur les gens qui nous ont élus pour les représenter à Ottawa. Ils auront aussi des incidences sur les générations futures de Canadiens.
Les conséquences de nos délibérations et des décisions que nous prenons sur cette question critique de vie ou de mort toucheront la trame même de notre pays. Si je peux m’exprimer ainsi, elles exerceront une influence durable – bonne ou mauvaise – sur ce que signifie notre appartenance à la famille humaine.
À cause de la nature très sérieuse du sujet que nous examinons aujourd’hui, nous — et je pense ici à chaque député qui siège à la Chambre — devons prendre un certain recul pour nous interroger sur quelques questions très fondamentales. Chacun d’entre nous doit se poser ces questions difficiles. La façon dont les députés perçoivent ces questions fondamentales joue un rôle absolument essentiel dans la recherche de la solution à retenir dans ce domaine extrêmement délicat.
Réfléchissons pendant quelques instants à ces questions. Qu'est-ce que cela signifie que d'être humain? Qu'est-ce qui donne un sens et une valeur à la vie humaine? Est-ce que toute vie humaine possède une valeur et une dignité intrinsèques, peu importe les malformations et les déficiences perçues, et même si la personne se considère comme un fardeau ou qu'elle croit que ses meilleurs jours sont derrière elle?
Pour moi, la réponse à toutes ces questions est un « oui » retentissant. Toute vie humaine mérite d'être respectée et protégée. Chaque vie humaine compte. Par conséquent, il va sans dire que je n'appuie pas le suicide assisté, l'euthanasie volontaire ou toute mesure législative qui dévaloriserait encore davantage la vie humaine.
Ma vision du monde est influencée par mes expériences personnelles, et elle a surtout été façonnée par ma foi. Je crois que toute vie humaine possède une valeur et une dignité intrinsèques et qu'elle doit être tenue en très haute estime, à savoir être considérée comme digne d'être vécue.
Dans le Talmud, on dit que: « Celui qui détruit une âme, c'est comme s'il avait détruit un monde entier. Et celui qui sauve une vie, c'est comme s'il avait sauvé tout un monde. »
Les mots suivants sont gravés dans la pierre, au-dessus du vitrail ouest de la tour de la Paix du Parlement: « Un peuple sans idéal est voué à mourir ». Ils sont extraits d'anciens écrits hébreux, dans le livre des Proverbes.
Quelle est notre vision pour le Canada? Je pose aujourd'hui la question à chacun de mes collègues. Je veux savoir quelle est leur vision pour le Canada.
La mienne est la suivante: je veux qu'au Canada, chaque vie humaine soit valorisée et chérie, dès la conception et jusqu'à ce que la mort naturelle survienne. Je crois fermement que la vie est un cadeau de Dieu et qu'il s'agit d'un cadeau beaucoup trop important pour qu'on le détruise ou qu'on l'anéantisse. Chaque vie humaine a une valeur extraordinaire, et oui, toutes les personnes, qu'elles aient un handicap ou une malformation, qu'elles souffrent d'une dépression ou soient diminuées parce qu'on juge qu'elles ne sont pas utiles, ont quelque chose à nous enseigner sur le sens de la vie humaine.
Nous avons le privilège de pouvoir offrir un soutien et accorder une grande importance aux personnes qui souffrent. Nous soulageons adéquatement leurs souffrances et nous leur offrons des soins palliatifs, un contact humain et de l'amour; bref, nous faisons preuve de compassion à leur égard.
L'un des aspects de la définition du mot « compassion » est « partager les maux d'autrui ». Lorsque nous faisons preuve de compassion, nous plaignons ceux qui souffrent et nous partageons leurs maux, avec sincérité et sollicitude. Nous leur offrons un soutien. Si nous autorisons le suicide assisté, nous ne tiendrons pas compte du fait que la compassion et les relations humaines vont de pair. En effet, nous ne pouvons pas faire preuve de compassion si nous mettons intentionnellement fin aux relations qui unissent deux personnes.
Cela dit, la Cour suprême du Canada a prévu des motifs d'exemption pour les médecins qui aideraient une personne à mettre fin à ses jours en lui administrant un médicament ou qui pratiqueraient l'euthanasie. C'est ce que la Cour suprême a décidé; elle n'a pas du tout tenu compte du fait que depuis 1991, les députés élus à la Chambre des communes ont rejeté à au moins 15 reprises les initiatives visant à légaliser le suicide assisté. Plus récemment, c'est-à-dire en 2010, un projet de loi visant à autoriser le suicide assisté a été rejeté par un vote de 226 voix contre 59. À mon avis, la Cour suprême ne doit pas créer des lois; elle doit plutôt interpréter les lois existantes.
J'étais l'un des membres du comité mixte qui a été créé pour étudier l'aide médicale à mourir. Le comité a entendu de nombreux témoins, qui ont présenté des visions différentes de la situation. Nous avons entendu les témoignages de professionnels de la santé, de spécialistes des soins palliatifs, de professionnels de la santé mentale, de personnes handicapées, d'Autochtones, de représentants de divers groupes confessionnels, de spécialistes des questions juridiques et constitutionnelles, de même que d'éthiciens. Comme les députés peuvent l'imaginer, ces gens ont exprimé des points de vue très différents.
La triste réalité est que le délai accordé au comité pour rédiger le rapport et formuler ses recommandations a fait en sorte qu'un grand nombre de groupes qui souhaitaient comparaître devant le comité n'ont pas pu le faire. Des groupes tels que la coalition pour la prévention de l'euthanasie, L'Arche Canada, Vivre dans la dignité, de même que le Dr Balfour Mount, considéré comme étant le père des soins palliatifs au Canada et, d'ailleurs, en Amérique du Nord, n'ont pas pu comparaître.
Le rapport du comité mixte n'a pas de mordant lorsqu'il est question d'insister sur le fait que, avant même que ne soit offert ou considéré le suicide assisté au Canada, il doit à tout le moins y avoir une offre crédible de soins palliatifs abordables et accessibles pour ceux qui songent à une solution aussi définitive que la mort précipitée. Tout comme le rapport du comité, le projet de loi échoue lamentablement pour ce qui est d'apporter un véritable changement dans ce dossier fondamental.
Selon le Dr Harvey Chochinov, président du panel externe, professeur de psychiatrie à l'Université du Manitoba, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada pour les soins palliatifs, tous les patients demandant l'aide médicale à mourir devraient faire l'objet d'une consultation en soins palliatifs pour être pleinement informés de toutes les options de soins palliatifs qui pourraient être entrepris pour atténuer leurs souffrances. Ne pas tenir compte de la véritable absence de choix sans offrir en contrepartie de véritables soins palliatifs revient à n'offrir aucun choix, seulement la mort précipitée.
Je me réjouis que le projet de loi tienne compte des nombreux points de vue présentés dans le rapport dissident. J’estime en revanche qu’il utilise une terminologie vague et subjective, et qu’il laisse sans réponses de nombreuses questions de fond soulevées par des témoins qui ont comparu devant notre comité.
L’une des choses qui m’a déplu pendant toutes nos discussions a été la volonté manifeste d’édulcorer les mots. Plutôt que de parler de suicide assisté par un médecin ou d’euthanasie volontaire, on a décidé d’utiliser l’expression « aide médicale à mourir ». Même des médecins se sont opposés avec véhémence à l’expression « aide médicale à mourir », surtout ceux qui travaillent dans les soins palliatifs et qui, depuis des décennies, aident les malades à finir leurs jours de façon naturelle.
On dit que toute restructuration sociale est précédée d’une restructuration sémantique. Nous en avons un parfait exemple avec le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. La question est bien trop grave pour qu’on laisse passer une terminologie aussi vague et aussi euphémisée. Comme l’a fait remarquer le Dr Chochinov, le projet de loi ne fait pas la distinction entre le suicide assisté par un médecin et l’euthanasie, et il les inclut tous les deux dans ce qu’il appelle « l’aide médicale à mourir ». Il est pourtant extrêmement important de faire cette distinction, car l’expérience d’autres pays nous enseigne que le taux d’utilisation et le taux de létalité de ces deux gestes médicaux sont très différents. Dans les juridictions qui n’autorisent que le suicide assisté par un médecin, comme l’Oregon, les décès provoqués par ce geste médical représentent environ 0,3 % de tous les décès. Dans celles qui autorisent l’euthanasie, le nombre de décès accélérés en représente environ 3 %, soit 10 fois plus.
Si l’on extrapole ces chiffres à la situation du Canada, où nous dénombrons environ 260 000 décès par an, un régime de suicide assisté par un médecin donnerait lieu à environ 780 décès par an. En revanche, pour ce qui est de l’euthanasie, le nombre de décès passe alors à 7 800 par an, soit 10 fois plus. S’il y a moins de décès avec un régime de suicide assisté par un médecin qu’avec l’euthanasie, c’est à cause de l’ambivalence. Il est donc crucial que le gouvernement, s’il veut faire adopter ce projet de loi, demande que, pour ceux qui veulent mourir avec l’aide d’un médecin, on suive vraiment une procédure de suicide assisté par un médecin, et non une procédure d’euthanasie volontaire, car les chiffres sont très différents.
Un autre élément important dont il n’est pas tenu compte dans le projet de loi est la question de la protection de la liberté de conscience des médecins et des travailleurs de la santé. S’il est possible de garantir « une approche cohérente dans tout le pays en matière d’aide médicale à mourir », comme l’affirme le préambule, il n’y a aucune raison pour qu’on ne garantisse pas en même temps, dans le projet de loi, le respect de la liberté de conscience.
Enfin, le projet de loi devrait prévoir un mécanisme de surveillance judiciaire, afin de protéger les personnes vulnérables. Même s’il peut paraître bien, sur le papier, d’avoir deux témoins indépendants et deux médecins indépendants, les risques de contrainte manifeste ou sournoise sont trop grands et les possibilités d’abus, trop réelles. Ces affirmations doivent être vérifiées dans le cadre d’un mécanisme de surveillance judiciaire.
En résumé, c’est de l’espoir que nous devrions offrir à tous les Canadiens. En tant que législateurs, nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que personne ne meurt inutilement. C’est dans cet esprit que je me permets de rappeler les trois grands amendements qu’il faut à mon avis apporter au projet de loi : premièrement, les Canadiens vulnérables ont besoin d’être protégés par un mécanisme de surveillance judiciaire; deuxièmement, il faut protéger la liberté de conscience des médecins, des travailleurs de la santé et des établissements de soins; troisièmement, il faut offrir aux Canadiens qui souffrent une possibilité réelle d'avoir des soins palliatifs, plutôt qu’une mort accélérée.
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Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec la députée d'.
Je tiens d'abord à prendre le temps de rendre hommage à deux femmes canadiennes que je n'ai pas connues, mais que j'ai appris à connaître après leur mort, et je pense qu'elles sont parmi les femmes les plus courageuses. Je parle de Gloria Taylor et Kay Carter. Ces deux femmes ont vécu des épreuves qu'elles n'avaient pas choisies, et elles en sont venues au point où elles souhaitaient avoir de l'aide pendant leurs derniers jours, à la dernière étape de leur vie.
En tant que pasteur de l'Église Unie, j'ai accompagné de nombreuses personnes — même des centaines — à cette étape de leur vie, et il m'est arrivé encore bien plus souvent que cela de célébrer les funérailles de gens que je n'ai appris à connaître qu'à travers les récits de leur famille et ce qu'elles ont laissé en héritage. Kay Carter et Gloria Taylor en sont des exemples. Ces femmes courageuses, tenaces, pleines d'espoir et aimant la vie ont ouvert la voie que nous empruntons aujourd'hui avec l'étude d'un projet de loi sur l'aide médicale à mourir.
En leur rendant hommage, je veux aussi les remercier de nous avoir donné l'occasion de suivre une des meilleures leçons sur les droits civiques dont nous puissions bénéficier comme parlementaires. Chaque organe du gouvernement a l'occasion de se prononcer sur la question: l'organe législatif, l'organe judiciaire et l'organe exécutif.
Dans les faits, nous avons entamé cette discussion en 1982 lorsque nous avons invoqué la Chartre qui fait maintenant partie intégrante de la culture canadienne des droits et libertés. Depuis son adoption, la Charte a guidé tous les Canadiens ainsi que les tribunaux et les juristes d'ici. En réalité, lorsque Kay Carter et Gloria Taylor ont interjeté appel auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et que leur appel s'est rendu à la Cour d'appel de cette province avant de se retrouver devant la Cour suprême du Canada, nous avons eu l'occasion de demander à notre organe judiciaire de se renseigner sur leurs droits et la possibilité qu'elles puissent bénéficier d'une aide médicale à mourir. Les tribunaux ont tranché et donné à l'organe parlementaire et à l'organe exécutif un an pour produire une loi.
L'organe parlementaire s'est ensuite prononcé par le truchement d'un comité mixte de la Chambre et du Sénat. Je tiens à dire à mes collègues que ce fut probablement mon expérience parlementaire la plus enrichissante. J'ai été profondément transformé par la discussion à laquelle ont participé les sénateurs et députés des deux sexes, de même que par les récits que j'ai entendus sur la vie, la mort, la guérison et l'espoir. L'expérience m'a permis de constater que notre système parlementaire donne aux Canadiens la possibilité extraordinaire de se faire entendre en comité et, maintenant, à la Chambre.
L'organe exécutif a ensuite repris le flambeau après la publication du rapport et a présenté le projet de loi . Je tiens à remercier la ministre pour le travail qu'elle a accompli dans ce dossier, ainsi que pour le travail de son cabinet et du ministère de la Justice, qui ont pris notre rapport au sérieux, l'ont poussé plus loin et ont produit une mesure législative que je suis persuadé d'appuyer à la deuxième lecture.
Cela ne signifie pas que je pense que nous en avons terminé avec cette mesure législative, car elle est maintenant de retour dans le système parlementaire, où nous allons engager un dialogue avec l'exécutif en vue d'améliorer une mesure législative qui est actuellement acceptable. Lorsque nous traitons de questions de vie ou de mort, je ne pense pas qu'il suffise que la mesure soit acceptable. Nous pouvons honorer la quête dans laquelle Gloria Taylor et Kay Carter se sont engagées, sur laquelle la Cour suprême du Canada s'est prononcée et au sujet de laquelle l'exécutif a présenté une mesure législative. Comme parlementaires, nous pouvons prendre au sérieux la Charte des droits et libertés, la prendre à coeur et nous rappeler ce à quoi les députés s'engagent lorsqu'ils prêtent serment. Au-delà de l'allégeance à Sa Majesté, il s'agit de faire respecter la Constitution du pays et d'y adhérer avec amour, détermination, passion et espoir et de voir comment la décision de la Cour suprême peut être mise en pratique au Canada.
Nous sommes aujourd'hui saisis d'une mesure législative. Il a été déterminé que l'article 7 de la Charte ne pouvait servir à nier les droits de deux femmes demandant de l'aide à mourir. Le gouvernement de l'époque avait tenté de contrer la déclaration des droits à l'article 7 en invoquant l'article 1 de la Charte, affirmant qu'il existait des motifs raisonnables de refuser ces droits. Toutefois, la Cour suprême du Canada ne l'a pas permis, disant qu'il serait déraisonnable de nier ces droits à ces femmes. La Cour s'est prononcée de façon très précise sur une affaire très précise à un moment précis.
Au paragraphe 127 de la décision, la Cour suprême a aussi signalé qu'elle ne se prononçait pas sur des choses qui ne lui sont pas présentées. C'était une exigence pour le Parlement, mais aussi pour ce projet de loi, qui plonge tous les Canadiens dans une discussion au sujet de ce que nous pouvons nous donner comme soins continus, soins qui se poursuivront jusqu'à l'étape où l'on aide les gens à passer leurs derniers jours.
Notre approche est différente. Je respecte tout à fait le député de . Il s'est investi sérieusement dans cette cause et j'ai tenu compte du fait qu'il est un passionné. Nos approches diffèrent, mais je suis convaincu que les députés des deux côtés de la Chambre se préoccupent du bien-être des Canadiens. Je crois cependant que le projet de loi doit aller encore plus loin si nous voulons qu'il soit fidèle à la Constitution.
Je me préoccupe du fait que le projet de loi pourrait entraîner d'autres contestations devant les tribunaux, et je suis d'avis que les Canadiens ne devraient pas avoir à endurer cela. J'ai deux préoccupations très précises dont j'aimerais faire part à la Chambre, et la première concerne l'utilisation du mot « incurable ».
Il est très clair que la Cour suprême a préféré « irrémédiable » à « incurable ». Le qualificatif « incurable » se rattache habituellement à la maladie, et non à la personne. Je veux dire par là qu'une maladie peut être incurable ou curable, mais la personne a le droit, selon la Cour suprême, de ne pas se soumettre aux traitements qui lui sont inacceptables. Un traitement peut être cruel ou très pénible, et les juges sont d'avis qu'une personne n'a pas l'obligation de s'y soumettre. Il peut exister un traitement contre une maladie, mais la personne a le droit de choisir une autre issue, et c'est l'article 7 qui lui garantit ce droit. Voilà le problème que pose à mes yeux l'emploi du mot « incurable ».
Le concept de mort raisonnablement prévisible ou de mort dans un avenir prévisible me pose problème, lui aussi. Nous sommes tous soumis aux caprices du destin. La vie est fragile et précieuse. La vie nous est chère, mais pour certains, la vie peut devenir intolérable. Certaines maladies ne sont pas nécessairement mortelles dans le sens où la personne qui en est atteinte meurt automatiquement, mais elles peuvent causer une douleur intolérable. Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême dit que le malade a alors le droit d'obtenir une aide médicale à mourir.
Le concept de mort dans un avenir prévisible a embrouillé les choses. Les médecins se demandent ce qu'il signifie. Est-il question de « phase terminale »? Car la définition de « phase terminale » varie selon les hôpitaux et les médecins. Il faut donc être très prudent.
Par ailleurs, je veux parler d'une des mesures de sauvegarde. Il s'agit somme toute d'une mesure législative solide, et la plupart des mesures de sauvegarde qu'il renferme ne sont pas très préoccupantes, selon moi, sauf l'une d'elles, c'est-à-dire la dernière du troisième paragraphe portant là-dessus, l'alinéa 241.2(3)h), qui dit que, immédiatement avant que les substances causant la mort lui soient administrées, la personne doit exprimer de nouveau son consentement exprès.
J'ai été trop souvent dans des chambres d'hôpital. J'ai accompagné beaucoup trop de personnes mourantes. La plupart des gens qui reçoivent cet ensemble de soins sont mourants, et on leur donne probablement de la morphine. Il serait cruel de cesser de leur en donner pour s'assurer qu'ils sont aptes à donner leur consentement. En fait, pendant une période de 15 jours, la personne devrait pouvoir partir dans la dignité, et il faudrait faire preuve de compassion à son égard en ne l'obligeant pas à recouvrer ses facultés parce que la morphine l'aide justement à tolérer d'atroces souffrances. Nous savons déjà qu'elle est en proie à des souffrances intolérables.
Hormis ces exceptions, j'appuie le projet de loi. Le comité de la justice doit faire son travail. Je suis convaincu que les députés qui en font partie feront preuve de la plus grande rigueur. Je leur fais pleinement confiance. J'attends avec intérêt le retour du projet de loi à la Chambre et son renvoi au Sénat. La loi qui sera adoptée aidera les Canadiens et fera du Canada un endroit meilleur, j'en suis convaincu.
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Monsieur le Président, je suis heureuse de prendre part au débat sur le projet de loi sur l'aide médicale à mourir.
Le mot « mort » suscite des émotions intenses. Nous jouissons de la vie et nous la célébrons. Nous parlons de vivre, mais évitons le sujet de la mort. Nous nous dérobons à ces conversations parce qu'elles nous mettent mal à l'aise.
J'espère sincèrement que le projet de loi engendrera des conversations sur la fin de vie, les soins palliatifs, la mort et le fait de mourir dans la dignité.
Je veux tout d'abord remercier tous les Canadiens qui ont participé aux consultations sur la question avec le gouvernement de leur province et le fédéral. Je tiens à reconnaître le travail des membres du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a remis son rapport au Parlement à la fin février. Je salue en particulier le député de , la ainsi que la . Personnellement, j'ai été touchée par leurs propos sensibles et réfléchis.
J'ai entendu les interventions de la et de la durant le débat à la Chambre sur le projet de loi. J'ai pleinement confiance en leur capacité de guider nos travaux durant le processus législatif touchant le projet de loi ainsi que le débat sur la mort et son approche.
C'est une question qui nous préoccupe depuis longtemps. Je me souviens de la compassion dont l'ancien député avait fait preuve au début des années 1990 lorsqu'il tenait la main de Sue Rodriguez, alors atteinte de SLA, au moment où la Cour suprême lui a refusé le droit de mettre un terme à sa vie.
Il est clair pourquoi un tel projet de loi s'impose. Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême a décidé à l'unanimité que les Canadiens qui endurent des souffrances intolérables ont le droit de demander de l'aide afin d'y mettre un terme.
La mesure proposée par le gouvernement tente de trouver un équilibre, mais ce faisant, elle déplaira sans doute à certains. Peut-on dire que certaines de ses dispositions ne vont pas assez loin? À mon avis, la réponse est oui. Les personnes atteintes de démence se voient refuser un choix important en fin de vie.
Le projet de loi ne s'attaque pas à toutes les questions auxquelles sont confrontées les personnes atteintes d'une maladie incurable. Je n'ai aucun doute qu'il fera l'objet d'une discussion approfondie au comité. Des gens m'ont écrit pour me faire connaître leur inquiétude au sujet de l'application du projet de loi par les provinces et les territoires. Je suis heureuse que l'on approfondisse l'étude. Ce n'est que le début de la conversation en la matière, et c'est normal.
Je sais que pour certaines personnes, cette mesure législative va trop loin. De façon générale, je crois que ces personnes s'opposent fondamentalement à l'arrêt Carter. Toutefois, sans égard à l'opinion des gens au sujet du projet de loi, je crois que nous pouvons tous convenir qu'il faut améliorer notre façon de gérer la mort.
Qu'un patient gravement malade choisisse de mourir à la maison, dans un établissement de soins palliatifs, ou choisisse l'aide médicale à mourir, il faut avoir ces conversations plus tôt et aider les personnes en fin de vie avec sensibilité. Ce ne sont pas des décisions à prendre pendant une crise de santé, ce qui est souvent le cas. Nous devrions plutôt tous planifier nos soins au préalable.
Je me rappelle être assise dans la chambre d'hôpital de mon père, peu de temps avant sa mort, alors qu'il luttait contre une pneumonie. Ma soeur et moi avons dû lui demander ce qu'il souhaitait si son coeur arrêtait de battre. Comme les députés peuvent le comprendre, cela a été l'une des conversations les plus difficiles que nous ayons eues. C'était une conversation pénible et bouleversante, certes, mais elle était aussi nécessaire.
Bien que je reconnaisse la différence entre cette mesure législative et une ordonnance de non-réanimation, je veux dire qu'il est difficile de parler de la mort. C'est très difficile de parler de la mort d'un proche. Toutefois, ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il ne faut pas en parler. En fait, je crois que c'est justement parce que c'est un sujet difficile qu'il faut l'aborder.
Nous renseignons mal les gens au sujet de leurs choix en fin de fin. Ces choix existent. Nous avons aussi du mal à offrir ces choix en fin de vie. Il n'y a pas assez de ressources pour aider les gens qui souhaitent mourir à la maison. Les options pour les gens qui souhaitent obtenir des soins palliatifs sont limitées.
Je crois que le gouvernement fédéral doit collaborer avec les provinces et les territoires pour élaborer un meilleur cadre pour les soins en fin de vie. Notre programme prévoit des investissements grandement nécessaires de 3 milliards de dollars sur 4 ans dans les soins à domicile et les soins palliatifs.
Nous soulignons aujourd'hui le début de la Semaine nationale des soins palliatifs. Peu de temps après mon élection, j'ai eu l'occasion de visiter le centre de soins palliatifs Carpenter de Burlington, soit l'une des seules options en matière de soins palliatifs offertes à Oakville et à Burlington pour les personnes à qui il ne reste que quelques jours ou quelques mois à vivre. Lors de ma visite, nous vous avons parlé non seulement de cet établissement impressionnant, mais aussi de la manière dont nous, en tant que société, devons avoir des conversations plus ouvertes au sujet de la mort.
J'ai été grandement touchée par l'histoire de Bonnie Tompkin. Elle est coordonnatrice en santé communautaire au centre de soins palliatifs Carpenter, mais son expérience est très personnelle. Lorsque son fiancé Ian a reçu un diagnostic de cancer terminal, il tenait mordicus à avoir droit à l'aide médicale à mourir. Comme bien d'autres, il s'inquiétait grandement du fardeau qu'il deviendrait pour ses proches au fil de l'évolution de sa maladie. Après avoir visité le centre de soins palliatifs Carpenter et avoir été informé des options qui s'offraient à lui, il a pris la décision de passer ses derniers jours au centre de soins palliatifs.
Le centre de soins palliatifs Carpenter collabore activement avec la Ville de Burlington en vue d'adopter une charte pour une ville de compassion. De telles chartes sont répandues au Royaume-Uni. Les citoyens de collectivités animées par la compassion sont informés, sensibilisés et éduqués au sujet de la mort, de la mortalité, du décès et du deuil.
La santé et le bien-être sont des principes qui vont au-delà de notre système de santé et qui s'appliquent aussi à nos amis et à nos proches, ainsi qu'aux liens que nous entretenons avec les espaces publics et les membres de la collectivité. La charte pour des villes de compassion repose sur la notion que la collectivité joue un rôle semblable dans le cas des personnes en fin de vie. Voici un extrait de cette charte:
Les villes de compassion sont des collectivités qui reconnaissent que tous les cycles naturels de la maladie et de la santé, de la naissance et de la mort, ainsi que de l'amour et de la perte se produisent tous les jours, dans le cadre de leurs institutions et de leurs activités régulières. Une ville de compassion est une collectivité qui reconnaît que les soins prodigués aux autres en périodes de crise et de perte ne constituent pas une tâche qui incombe exclusivement aux services de santé et aux services sociaux, mais bien à tout un chacun.
Les villes de compassion appuient les diverses croyances religieuses et culturelles. Dans ma circonscription, j'ai rencontré un couple qui craignait que ce projet de loi normalise le suicide. Toutefois, si nous réussissons à bâtir des collectivités animées par la compassion et parlons de la vie et de la mort, nous pouvons donner aux gens les outils dont ils ont besoin et des options pour la vie.
À une certaine époque, personne ne parlait du cancer. Tout cela a changé lorsque, le 12 avril 1980, un jeune homme muni d'une jambe artificielle a amorcé son Marathon de l'espoir qui devait le mener d'un bout à l'autre du pays. Il nous a obligés à admettre non seulement l'existence de son cancer, mais aussi le fait qu'il faut éviter de cacher les personnes handicapées.
Nous commençons seulement à engager une conversation sur la santé mentale, autre sujet dont on parlait tout bas jusqu'à tout récemment. D'ailleurs, aujourd'hui, sur la Colline du Parlement, il y a eu une marche pour la sensibilisation à la santé mentale.
La mort est un autre sujet tabou, dont nous ne voulons pas parler. Mais ce faisant, nous rendons un bien mauvais service à nos amis et à nos proches lorsque ceux-ci se retrouvent face à leur propre mortalité.
J'ai récemment eu une conversation avec une de mes meilleures amies sur le sujet de la mort, sur ce projet de loi, sur la forme que devraient prendre les soins en fin de vie et sur ce qui fait défaut. Son mari, un bon ami à moi, vit avec une maladie terminale, la SLA. Un autre de mes bons amis est en train d'accompagner son père en fin de vie. Ces conversations sont très difficiles, mais en les ayant, nous pourrons peut-être faciliter la tâche pour tout le monde quant aux choix sur la façon de mourir dans la dignité.
Il ne sera jamais facile de parler de la mort, ce qui est normal, mais ce sujet devrait faire partie de nos conversations autant que les questions touchant la vie. Nous devons parler des options de vie et de la mort dans la dignité. Il est plus que temps de le faire.
Nous devrions peut-être nous inspirer de la charte pour des villes de compassion et reconnaître que la façon dont nous traitons la mort, la perte et le deuil mérite d'être communiquée à toute la collectivité, dans chaque vile, d'un bout à l'autre du pays.
:
Monsieur le Président, c'est avec beaucoup de sérieux et d'émotion que je prends la parole aujourd'hui. Ce n'est pas la première fois; il y a deux ans, alors que j'étais député à 'Assemblée nationale du Québec, j'ai eu également à me lever pour discuter de cette question extrêmement délicate qu'est l'aide médicale à mourir. Au provincial, il était question des soins de fin de vie.
C'est donc la deuxième fois que je suis confronté à ce vote et à ce débat concernant cette question extrêmement délicate et j'entends me gouverner avec diligence, sérieux, mais surtout avec beaucoup de compassion.
[Traduction]
D'habitude, quand je prends la parole, c'est pour convaincre. Convaincre, c'est ce que doivent faire tous les élus. Dans ce cas-ci, je ne veux pas convaincre, je veux simplement exposer mon point de vue. Dans les débats politiques, il y a des bons et des méchants. Dans ce cas-ci, il n'y a ni bons, ni méchants; il n'y a que d'honnêtes citoyens qui veulent ce qu'il y a de mieux pour l'avenir du pays et de la population, même si ce débat est très difficile et porte sur une question fort délicate.
Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui?
[Français]
Nous sommes ici parce que, il y a un an, en février 2015, la Cour suprême rendait une décision qui avait des conséquences très graves et très importantes. C'était l'arrêt dans l'affaire Carter qui faisait état de l'aide médicale à mourir.
Essentiellement, la Cour suprême ne demandait pas à la Chambre des communes et au Parlement canadien d'être pour ou contre l'aide médicale à mourir, mais bien de savoir comment l'appliquer. C'est sur ce principe que repose tout notre débat. Nous ne sommes pas ici pour débattre du fait que l'aide médicale à mourir est bonne ou mauvaise, mais plutôt pour savoir comment l'appliquer pour nos citoyens.
Par contre — j'ai eu l'occasion de le dire souvent, mais je tiens à le répéter ici, à la Chambre, depuis mon siège de député —, je trouve très malheureux que la Cour suprême ait ordonné au Parlement canadien d'agir en l'espace d'à peine un an. C'est tout à fait non responsable. Je sais de quoi je parle. J'ai siégé à l'Assemblée nationale du Québec pendant près de sept ans. J'ai été témoin des six ans de travaux studieux et rigoureux qui ont conduit à l'adoption du projet de loi no 52. Cela a duré six ans, sous trois gouvernements différents, avec trois premiers ministres différents, les honorables Jean Charest, Pauline Maurois et Philippe Couillard. Nous avons travaillé pendant six ans. Il y a eu deux années complètes de consultations directes, et plus de 275 citoyens québécois ont pu s'exprimer sur ce sujet. Cependant la Cour suprême a ordonné au Parlement canadien d'agir en dedans d'un an.
Pourquoi est-ce que je trouve que ce n'était pas responsable? C'est parce qu'on savait que nous étions dans une année électorale et que ce sujet-là ne tolère pas les discussions politiques partisanes. Malgré cela, la Cour suprême nous a ordonné de faire cela en à peine un an. Or on savait qu'à partir du mois de février, le décompte était commenté jusqu'au mois de juin et qu'après cela, nous arrêtions tout parce que l'élection avait lieu à l'automne et donc qu'un nouveau gouvernement arriverait. Donc rien ne pouvait se faire, théoriquement parlant, pour les parlementaires, avant les mois de décembre ou janvier. Cela a d'ailleurs été le cas. Bref, nous avons perdu six mois pour ce débat extrêmement important.
Toutefois, tout n'a pas été perdu. En effet, le gouvernement précédent, sous l'égide du très honorable député de , a mis sur pied un comité de trois experts, dont un ancien ministre québécois, que je salue. Ce comité a évalué toutes les possibilités légales et parlementaires possible pour cette délicate question et a produit un document de plus de 400 pages. Je suis bien fier de savoir que ce travail a été fait, malgré le fait que nous étions en année électorale. J'aurais l'occasion d'y revenir un peu plus tard, au cours de mon allocution.
Donc, le rapport est conçu. Il y a eu une élection et le nouveau gouvernement a créé un comité parlementaire que nous pourrions qualifier de bicéphale puisqu'il y avait à la fois des députés et des sénateurs. Le comité était coprésidé par un député libéral et un sénateur conservateur. Bref, la base de la non-partisanerie était établie, et c'est tant mieux.
Malgré le fait que nos travaux étaient très circonscrits dans le temps — à peine cinq à six semaines —, nous avons tenu 13 rencontres, nous avons entendu 61 témoins et 132 mémoires ont été déposés. C'est bien, eu égard au temps imparti. Je tiens à saluer chacun et chacune de mes collègues qui sont ici présents. Je vois le coprésident de la Chambre, je vois également ma collègue de Toronto. On m'excusera, je ne connais pas par coeur tous les noms de comté. D'ailleurs les noms sont très longs et il faudra peut-être changer cela un jour; mais cela est une autre affaire.
Donc je tiens à saluer tous mes collègues d'avoir travaillé dans un esprit positif, constructif, non partisan. C'était un sujet affreusement délicat et très difficile, mais nous l'avons fait de façon sérieuse et rigoureuse.
Après tous ces travaux, deux rapports ont été publiés: un rapport principal et un rapport dissident signé par les députés de , de , de , et moi-même.
Avant d'entrer dans le coeur du rapport dissident, dont j'étais cosignataire, je tiens à préciser qu'il est vrai que les députés conservateurs membres du comité l'ont signé. Toutefois, ce n'était pas un rapport dissident conservateur. Les sénateurs conservateurs, eux, ont signé le rapport principal.
[Traduction]
Ne nous y trompons pas: le rapport dissident n'est pas un rapport du Parti conservateur, c'est un rapport de députés, car les sénateurs conservateurs ont signé le rapport principal.
C'est très clair, et il faut bien se garder d'y chercher des visées politiques.
[Français]
Dans le rapport dissident, mes trois collègues et moi avons été animés par le besoin de protéger les plus vulnérables, mais également par l'affaire Carter et, surtout, par ce que nous avons appelé dans notre rapport « l'expérience québécoise ».
Je suis fier de dire que j'ai été témoin de l'expérience québécoise. Ensemble, nous l'avons appliquée dans le rapport dissident et nous nous sommes basés sur elle pour déterminer ce qui devait être fait. Nous l'avons fait ainsi parce qu'au Québec, on avait pris le temps de le faire correctement.
Au Québec, après six ans de débats, de travaux, de rigueur intellectuelle et de précautions mises à gauche et à droite, on a abouti à certaines conclusions. Le projet de loi 52 est devenu une loi afin que tout se fasse correctement, avec un certain consensus social.
[Traduction]
Il est très difficile d'arriver à un consensus sur cette question délicate.
[Français]
Notre rapport dissident contenait cinq éléments. Je vais en faire la lecture, puis je les reprendrai un par un.
D'abord, nous estimions que les soins de fin de vie ne devaient pas être destinés aux mineurs. Ensuite, nous avons établi que les gens souffrant de maladie mentale ne devaient pas recevoir l'aide médicale à mourir. Puis, nous avons soulevé la nécessité de protéger la conscience des médecins et des professionnels de la santé. L'aide médicale à mourir ne devrait s'adresser qu'aux gens en fin de vie. Finalement, nous avions une préoccupation majeure concernant les soins palliatifs. Voilà les cinq éléments de notre rapport dissident. Reprenons-les un par un.
Tout d'abord, il ne fallait pas que cela s'adresse aux mineurs. C'est un sujet très délicat. La Cour suprême parlait d'adultes et non de mineurs. Au-delà de cela, l'expérience québécoise s'adressait uniquement aux adultes. Autrement, cela pose des problèmes quasiment insolubles.
Imaginons que les parents d'un jeune homme ou d'une jeune femme de 16 ans refusent que leur enfant reçoive des soins de fin de vie. Que peut-on faire? Qui a raison, l'enfant ou les parents?
[Traduction]
Dans le pire des scénarios, si un jeune de 17 ans réclame des soins de fin de vie et que son père y consent, mais que sa mère ne le veut pas, qui a raison? Faut-il essayer de convaincre la mère? C'est extrêmement difficile et délicat.
C'est pourquoi, à la lumière de l'expérience du Québec, le rapport dissident recommande l'exclusion des mineurs.
[Français]
Par ailleurs, nous ne souhaitons pas que ce projet de loi sur l'aide médicale à mourir s'adresse aux gens souffrant de maladie mentale, car il est presque impossible de déterminer à quel moment ces gens sont aptes à donner leur plein et entier consentement. C'est le propre des gens qui souffrent de maladie mentale de ne pas être conscients de ce qui se passe. Je sais que c'est terrible de dire de telles choses, mais c'est la vérité.
[Traduction]
C'est la vérité. Pour les personnes souffrant d'une maladie mentale, il est extrêmement difficile d'exprimer clairement ce qu'elles veulent. Si on les place dans une situation de ce genre, on verra le pire. C'est pourquoi, encore une fois à la lumière de l'expérience du Québec, nous les excluons.
[Français]
Parlons maintenant de la protection de la conscience des médecins et des gens qui pratiquent dans le domaine médical. C'est un sujet délicat, mais très important. Au Québec, on a trouvé une solution un peu particulière, mais qui devrait servir d'inspiration au gouvernement.
On doit respecter le patient qui veut, en son âme et conscience, recevoir les soins de fin de vie, mais on doit aussi respecter le médecin qui doit donner ces soins. Si le médecin ne veut pas procéder, il faut le respecter. Au Québec, voici ce qu'on a fait: le médecin qui ne veut pas prodiguer ces soins doit référer son patient à un tiers, c'est-à-dire au directeur de l'hôpital ou du CLSC, et ce tiers va référer le patient à un autre médecin. Un médecin ne réfère donc pas son patient à autre médecin, car il y a un tiers. Par conséquent, un médecin, mal à l'aise de traiter un tel cas, ne se trouve pas dans une situation où il réfère son patient à un autre médecin. On doit respecter sa décision. C'est de la dentelle, mais tout est dentelle dans ce projet de loi et dans cette situation de l'aide médicale à mourir. Il faut protéger la conscience.
Nous estimons aussi — c'est encore une fois basé sur l'expérience québécoise — que c'est la même chose sur la question de la fin de vie. À quel moment le patient peut-il donner son consentement pour l'aide médicale à mourir?
Au Québec, après y avoir travaillé pendant six ans, on est arrivé à la conclusion que c'était à la fin de la vie et pas avant. Il est bien facile pour un gars comme moi, de 51 ans en bonne santé et qui va bien, de dire qu'à un moment donné, si je suis malade, il n'y aura pas de trouble, les médecins passeront et on n'en parlera plus. C'est facile pour moi de dire cela à 51 ans, quand je suis en bonne santé. Toutefois, aurais-je cette même perception quand je serai dans l'extrême hiver de ma vie? Pas nécessairement, et c'est pourquoi il faut protéger cet aspect. Encore une fois, il y a cinq éléments basés sur l'expérience du Québec, et voici le quatrième: c'est précisément dit que ce sont les patients en soins de fin de vie qui doivent recevoir ce genre d'aide médicale.
Finalement, il est question des soins palliatifs. Mon collègue du deuxième groupe de l'opposition en a parlé tout à l'heure. Pour nous, c'est extrêmement important d'avoir des soins palliatifs pleins et entiers pour l'ensemble des Canadiens, et non pas uniquement pour le tiers des Canadiens, comme c'est le cas actuellement. Il faut donc mettre beaucoup l'accent sur cela.
Il y a eu le rapport principal, le rapport dissident et les cinq éléments dont j'ai parlé qui sont basés sur la protection des plus vulnérables, sur l'arrêt dans la cause Carter et sur l'expérience québécoise. Voici donc qu'après avoir déposé notre rapport, il fallait maintenant que le gouvernement procède et dépose son projet de loi.
[Traduction]
Nous voilà donc saisis du projet de loi . Ce que nous aimons de cette mesure législative, c'est ce qu'elle ne contient pas. Cela peut sembler curieux, mais c'est vrai, car le projet de loi fait abstraction de certains des éléments les plus épineux abordés dans le rapport dissident.
[Français]
Dans notre rapport dissident, nous ne voulions pas que l'aide médicale à mourir soit accessible aux mineurs ni aux gens souffrant d'une maladie mentale. Le gouvernement a épousé notre position. C'est tant mieux. Nous l'en remercions. Félicitations.
Toutefois, nous avons quand même d'autres préoccupations concernant ce projet de loi, notamment sur le plan de la protection de la conscience. Dans ce projet de loi, il n'y a aucune disposition concernant la protection de la conscience des médecins et de ceux qui auront à pratiquer la médecine, que ce soit les infirmiers ou les pharmaciens, dans le cadre de l'aide médicale à mourir.
J'ai posé la question à la lors du débat, il y a deux semaines. Elle m'a dit que ce n'est pas mentionné parce que cela relève des provinces. Techniquement, c'est vrai, mais nous sommes ici dans un Parlement fédéral. Dans le préambule même du projet de loi, il est écrit qu'il faut que la loi s'adapte et s'applique d'un océan à l'autre. Il nous faut avoir une politique nationale pour éviter des fluctuations provinciales. Là encore, j'invite le gouvernement à s'inspirer de l'expérience québécoise qui permet la protection de la conscience des médecins.
Que va-t-il arriver si jamais il n'y a pas cette protection? Cela va se passer selon le bon vouloir des provinces qui diront si oui ou non, ils encadrent cela de telle ou telle façon. Je comprends la bonne volonté de la , mais il y a place à trop de flou. Dans cette situation, il n'est pas question de choisir entre une pomme et une orange, il s'agit de choisir entre la vie ou la mort. Le flou n'est pas tolérable dans cette situation. Il faut donner des lignes directrices claires, particulièrement en ce qui concerne la protection de la conscience, parce qu'il n'y a rien de plus fragile et de plus précieux que la conscience de quelqu'un qui est là pour sauver des vies ou mettre un terme à la vie, selon le désir du patient.
J'invite le gouvernement à observer l'expérience québécoise, de prendre acte de cette expérience, ainsi que de ce que nous avons dit.
Aussi, j'en ai parlé tout à l'heure, au Québec, c'est clair: c'est à la fin de la vie que les soins sont prodigués. Dans la loi, on retrouve — je le lis parce qu'on m'a interpellé à quelques reprises à cet égard et j'ai toujours du mal parce que c'est un peu flou — le concept de « raisonnablement prévisible ».
Je peux assurer une chose à la Chambre: je vais mourir. C'est prévisible. C'est clair. J'ai 51 ans et je pense que j'en ai fait plus qu'il ne m'en reste à faire. Raisonnablement, je pourrais mourir dans quelques dizaines d'années. Je ne suis pas pressé, soit dit en passant.
Ce que je veux dire par là, c'est que ce n'est pas clair. Raisonnablement prévisible. Dans une entrevue à RDI, Mme Julie Drolet, une ancienne collègue que je salue, m'a demandé dans sa première question si j'avais compris quelque chose de ce « raisonnablement prévisible ». Eh bien, la réponse est non, pas vraiment. Cela dit, ce n'est pas moi qui ai écrit la loi. Il aurait peut-être fallu poser la question au ministre.
Tout cela pour dire qu'il faut que ce soit précis, au même titre que ce qui concerne la « protection de la conscience » doit être précis. C'est la même chose pour la question de la fin de vie et de ce qui est raisonnablement prévisible. Or c'est beaucoup trop flou.
D'ailleurs, le ministre de la Santé du Québec, le Dr Gaétan Barrette, en entrevue à Radio-Canada en fin de semaine, aux Coulisses du pouvoir, s'est dit convaincu qu'on pouvait certainement débattre de ce projet de loi sur le plan juridique concernant la mort raisonnablement prévisible. Il a ajouté que celle-ci devait être raisonnablement prévisible sans égard au pronostic sur l'évolution de la maladie. Or, si la mort est raisonnablement prévisible, cela signifie qu'un pronostic a été établi raisonnablement.
Cela n'en finit plus, dans une telle situation. J'invite donc raisonnablement, sans jeu de mot, le gouvernement à préciser sa pensée dans cette affaire.
C'est la même chose quand il est question des infirmières et des médecins. On dit que les soins peuvent être prodigués par les infirmières. Je vais être bien clair. J'ai énormément de respect pour les infirmières qui, selon mon expérience au Québec, tiennent le réseau de la santé à bout de bras — je les en remercie d'ailleurs —, mais quand vient le temps déposer un diagnostic de cette importance, nous croyons que cela relève du médecin. On trouvera que je suis redondant et que je répète toujours la même chose, mais c'est ce qu'a conclu l'expérience québécoise après six ans de travaux sérieux et rigoureux.
Enfin, pour ce qui est des soins palliatifs, nous sommes tous d'accord pour qu'on y alloue des sommes plus importantes. Or je tiens à rappeler que le dernier budget n'accordait pas de sommes à la situation extrêmement importante et délicate qui est celle des soins palliatifs. Nous avons entendu le en conférence de presse qui envisageait d'allouer des sommes de 3 milliards de dollars. Ce sont de beaux mots mais nous souhaitons que ces paroles soient inscrites dans le budget. Le gouvernement peut être assuré que, à cet égard, nous allons l'applaudir à deux mains et l'appuyer.
[Traduction]
Il n’y a rien de parfait, surtout pas ce projet de loi, mais cela devrait nous préoccuper profondément. Nous devrions être très inquiets, parce que si nous n’adoptons pas une loi, bonne ou mauvaise, nous devrons traiter de l’arrêt Carter. Certaines personnes considéreront cela comme la pire des situations possibles parce qu’alors les associations professionnelles médicales de certaines provinces diront une chose, et celles d’autres provinces en diront une autre; la législature de certaines provinces adoptera certains projets de loi et d’autres législatures adopteront d’autres projets de loi. Il y aura alors beaucoup de remue-ménage au Canada, et la dernière chose que nous voulons est du remue-ménage. Il nous faut un projet de loi qui traite clairement de ces questions.
[Français]
Je tiens à dire que c'est évidemment avec beaucoup d'émotion que nous prenons part à ce débat. Tous ceux qui vont s'exprimer — non seulement ils ont le droit de le faire mais nous souhaitons qu'ils le feront — auront raison. Personne ici n'a tort, personne ici n'a raison. Nous sommes tous d'honnêtes Canadiens et nous souhaitons le meilleur pour l'avenir de ce pays et pour l'avenir de nos concitoyens.
:
Monsieur le Président, je prends la parole aujourd'hui pour parler du projet de loi relatif à l'aide médicale à mourir. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'honneur de participer à la discussion sur cette question en tant que députée. J'étais également membre du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir. En tant que membre de ce comité, je suis en mesure d'écouter les pensées de beaucoup de gens, à la fois dans la circonscription Toronto—Danforth et partout au pays, sur cette question très importante qui nous touche tous et qui concerne les soins de fin de vie.
[Traduction]
J’aurais préféré un projet de loi d’application plus vaste, mais j’appuie le document qui nous est présenté parce qu’il constitue un premier pas dans la bonne direction et qu’il respecte l’engagement d’examiner les importantes questions que sont le vieillissement, la santé mentale et les directives anticipées, comme on le verra dans la suite de mon discours. Il nous faut prendre cette première mesure parce que le dossier traîne depuis trop longtemps déjà. J’aurais appuyé des dispositions plus décisives, mais je suis disposé à m’engager sur cette voie de changement progressif.
Monsieur le Président, je vais partager mon temps avec la députée d’.
[Français]
Jusqu'à maintenant, la question était de savoir si on allait permettre ou non le droit à l'aide médicale à mourir. Cependant, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une autre question, celle de savoir comment nous allons gérer cette aide. Ce changement dans notre débat est important car, par suite de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Carter, l'aide médicale à mourir sera légale dès le 6 juin. L'importance de ce projet de loi est que nous avons l'occasion de créer un système fédéral pour gérer l'aide médicale à mourir.
[Traduction]
En 1983, la Commission de la réforme du droit du Canada a présenté un rapport intitulé « Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement ». Elle concluait que la loi reflétait trois principes fondamentaux, et je crois que ces principes offrent une base adéquate pour notre débat. Le premier est la protection de la vie humaine comme valeur fondamentale. Le second est le droit des patients à l’autonomie et à l’auto-détermination, ils peuvent prendre leurs propres décisions relativement à leurs traitements médicaux. Le troisième est que la vie humaine doit être considérée d’un point de vue quantitatif et qualitatif.
Il me paraît particulièrement éclairant que le deuxième principe crée la base d’une approche d’aide médicale à mourir centrée sur le patient. C’est l’approche qu’a adoptée le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, dont je faisais partie.
Pour retracer l’historique de ce dossier, j’ai relevé une longue succession de projets de loi d’initiative parlementaire, de projets de loi du Sénat et de motions d’initiative parlementaire à la Chambre. La question nous a été présentée à quelque 11 reprises depuis 1991. La liste des efforts passés dans ce dossier est incroyable et montre bien que nous tentons depuis trop longtemps déjà de comprendre le dossier. C’est pourquoi il me semble si important que la Chambre franchisse cet obstacle et pose un premier geste pour établir un cadre législatif.
La question n’a pas été débattue seulement ici. D’autres instances l’ont considérée, des comités et des sous-comités par exemple, et divers projets de loi ont été déposés. Il y a un peu plus de 20 ans, le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide publiait un rapport intitulé « De la vie et de la mort ».
[Français]
L'objectif de ce comité était de mettre en scène le débat national qui suivrait dans les années subséquentes. La majorité des sénateurs du comité n'étaient pas prêts à appuyer l'aide médicale à mourir. La minorité du comité a fait des recommandations pour appuyer l'aide médicale à mourir pour une personne capable de prendre des décisions et souffrant d'une maladie irrémédiable, avec des conséquences intolérables certifiées par des médecins.
[Traduction]
Durant la fin de semaine, j'ai terminé la lecture du livre de l'honorable Steven Fletcher intitulé Master of My Fate, dans lequel il décrit de façon générale son expérience de parlementaire. Le livre porte plus particulièrement sur les projets de loi d'initiative parlementaire qu'il a soumis concernant l'aide médicale à mourir. On y découvre un compte rendu particulier de ce qu'il a vécu à cet égard. M. Fletcher y fait aussi état du très grave accident qui l'a rendu quadriplégique, de son élection au Parlement et de son expérience à titre de ministre.
Notre plus récente initiative à la Chambre en ce qui concerne l'aide médicale à mourir a un lien avec les deux projets de loi d'origine parlementaire que M. Fletcher a présentés. Le premier, le projet de loi , proposait de modifier le Code criminel pour permettre à un médecin d'aider une personne à s'enlever la vie. Le libellé des critères d'admissibilité consignés dans le projet de loi reprenait de près celui de la décision Carter. À titre d'information pour l'ensemble des députés, j'aimerais lire le critère d'admissibilité le plus important qui se trouvait dans ce projet de loi.
Seule la personne qui satisfait aux conditions ci-après peut faire une demande d’aide médicale à mourir: [...] elle a reçu d’un médecin un diagnostic de maladie ou d’incapacité graves (notamment une incapacité découlant d’une blessure traumatique) causant des souffrances physiques ou psychologiques qui lui sont insupportables et qui ne peuvent être soulagées par aucun traitement médical qui lui soit acceptable, ou elle se trouve dans un état d’affaiblissement avancé de ses capacités sans aucune chance d’amélioration [...]
Son autre projet de loi, le projet de loi , proposait d'établir une commission canadienne sur l'aide médicale à mourir, laquelle aurait eu pour fonction de recueillir des données auprès des médecins qui auraient procuré cette aide à mourir. Le projet de loi reconnaissait la possibilité de procéder par étapes.
Les deux projets de loi ont fait l'objet d'une première lecture, mais on les a laissés mourir au Feuilleton. Toutefois, le 2 décembre 2014, un projet de loi semblable a été proposé à l'autre endroit et débattu à sept reprises. Le dernier débat a eu lieu aussi tard que le 2 juin 2015.
Or, comme nous le savons tous, la décision Carter est tombée durant cette période s'étendant du 2 décembre 2014 au 2 juin 2015.
[Français]
Il est également intéressant de remarquer que les provinces et les territoires ont débattu activement l'aide médicale à mourir. L'exemple le plus remarquable est celui du Québec, qui a mis en place un comité en 2009, et ce, afin de créer un projet de loi sur l'aide médicale à mourir. La loi est entrée en vigueur en décembre 2015. Comme on a beaucoup parlé de cette loi, je ne vais pas le refaire. Toutefois, je remarque qu'elle comprend une disposition liée à la phase terminale d'une maladie.
Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est le témoignage, devant notre comité, de Me Jean-Pierre Ménard, du Barreau du Québec. Au cours de son témoignage, il a mentionné que, à la suite de l'arrêt Carter, la disposition touchant la phase terminale devrait peut-être être supprimée de la loi québécoise, ce qui démontre que ce type de législation va se développer progressivement.
Travailler à comité mixte a été une expérience formidable. C'était le premier comité mixte spécial depuis 20 ans. Je pense que c'est une bonne idée d'avoir ce genre de collaboration sur des questions importantes. Nous avons eu une base solide pour formuler nos recommandations grâce aux témoignages et aux observations écrites. Je crois encore aux recommandations du comité. Ces décisions n'ont pas été faciles à rendre. Nous avons perdu des heures de sommeil, nous avons beaucoup discuté et nous avons travaillé ensemble pour rendre nos recommandations.
[Traduction]
Comment mes antécédents à cet égard orientent-ils mes opinions sur le projet de loi à l’étude aujourd’hui? J’aurais préféré des perspectives plus larges. La plupart des opinions que j’ai recueillies auprès de mes électeurs vont d’ailleurs dans le même sens. Néanmoins, le projet de loi demeure une première étape dans notre approche d’une question complexe.
Nous devons permettre à la personne de choisir comment gérer la fin de sa vie et reconnaître la valeur de l’idée de la Commission de réforme du droit voulant que le patient soit au centre de la démarche. Nous devons aussi prendre en considération non seulement la durée de la vie, mais aussi sa qualité. Nous devons respecter l’autonomie de chacun et son droit d’échapper à la souffrance sans que, pour autant, des personnes vulnérables soient exposées à des risques. Le projet de loi nous rapproche beaucoup plus de cet objectif que ne le fait le statu quo.
J’aurais préféré que nous retirions la notion de mort naturelle et raisonnablement prévisible, qui se rapporte à la prévisibilité d’une mort naturelle. C’est en somme une disposition qui évoque la phase terminale. Elle est vague et elle pourrait imposer une restriction trop large au droit d’un malade d’échapper à la douleur et à la souffrance. Ce que cette terminologie a de préoccupant, c’est qu’elle tend à déprécier la vie des plus âgés d’entre nous. Aux termes du projet de loi, les personnes âgées auront plus de chance d’obtenir la permission de recevoir une aide médicale à mourir.
Les malades qui sont jeunes souffrent tout autant que les aînés. Je reprends les propos de Steven Fletcher: « Si la personne est un adulte capable, pourquoi donc lui imposer notre façon de voir sa qualité de vie? »
Le manque de lignes directrices poussées dans le projet de loi a également un caractère trop restrictif. Voici un élément fondamental de l’arrêt Carter: la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y a violation du « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » si des gens ont l’impression de devoir abréger leurs jours par crainte de ne pouvoir le faire plus tard, le moment venu. Voilà une épineuse question, et je suis heureuse de constater qu’on s’engage à l’étudier plus avant.
Selon moi, les éléments positifs du projet de loi l’emportent sur ceux qui sont plus négatifs. Je l’appuierai donc. J’estime cependant qu’il s’agit seulement d’une première étape dans une longue démarche.
:
Monsieur le Président, je suis honorée de prendre la parole à la Chambre aujourd'hui au sujet du projet de loi , qui fait suite à la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Carter c. Canada. La Cour suprême a donné un an au gouvernement du Canada pour créer un cadre pour la prestation de l'aide médicale à mourir. Ce délai, qui devait prendre fin le 6 février 2016, a été prolongé jusqu'au 6 juin 2016.
La Cour suprême a donné au gouvernement un court délai pour étudier cette question épineuse qui fera date. J'ai écouté des électeurs qui défendent farouchement l'un ou l'autre des points de vue sur cette question. J'ai beaucoup réfléchi aux implications morales et éthiques de cette mesure législative. Je comprends que c'est un sujet difficile qui suscite beaucoup d'émotions.
Les sociétés civilisées ont toujours reconnu le caractère sacré de la vie. Partout dans le monde, des pays ont légiféré contre le fait d'enlever la vie à quelqu'un, ce qui a toujours été considéré comme le pire des crimes. La question de l'aide médicale à mourir pose un problème complexe à tous les Canadiens, car elle touche à plusieurs enjeux délicats, notamment les droits et les libertés personnelles prévus par la Charte, la protection des personnes vulnérables et les droits des personnes aux prises avec des douleurs insupportables. Il y a aussi des considérations théologiques, morales et éthiques.
De plus, il s'agit d'une question chargée d'émotion, tant pour ceux qui adoptent une position ferme d'un côté ou de l'autre du débat que pour ceux qui sont aux prises avec de telles souffrances qu'ils ne souhaitent plus vivre.
Un autre élément est purement d'ordre économique, qu'il s'agisse de pressions liées à un héritage, d'instabilité financière ou du coût exorbitant des soins médicaux de fin de vie. Nous n'aimons pas mentionner ces facteurs utilitaires, mais on ne saurait nier qu'ils existent.
En outre, le débat porte également sur notre vision d'une société juste, que l'on estime que la justice soit mieux servie par un libre choix complet ou en limitant parfois le nombre de recours possibles, afin de laisser la porte ouverte à un avenir meilleur, un avenir que l'on attendrait avec impatience plutôt que d'appréhender. J'estime que le projet de loi établit un équilibre entre ces deux points de vue, soit de donner le choix à ceux qui mourront bientôt et qui veulent mettre fin à leurs terribles souffrances, ainsi que de protéger les personnes qui pourraient être vulnérables.
L'arrêt Carter c. Canada se limite à une personne adulte capable qui consent clairement à mettre fin à sa vie. En outre, la Cour suprême du Canada a précisé que les mineurs et les personnes affectées de troubles psychiatriques n'ont pas droit à l'aide médicale à mourir. J'ai été très soulagée d'apprendre que ces dispositions ne seraient pas incluses dans le projet de loi.
Pour que la voie vers la fin soit la plus équitable et sécuritaire possible, il est essentiel que toute mesure législative en vue d'une aide médicale soit accompagnée d'un soutien accru en matière de soins palliatifs. Tous les parlementaires ont des histoires à raconter en ce qui concerne leur engagement à l'égard des gens. Nous avons des interactions qui ont sur nous de profondes répercussions et que l'on n'oublie jamais.
Pendant la campagne, je me suis rendue dans un certain nombre d'établissements de soins de longue durée. Une fois, les candidats présents ont pu se mêler aux gens après leurs discours. Je suis allée à la rencontre d'un homme, qui m'a remis un papier. Il s'agissait d'une pétition demandant plus de travailleurs de soutien personnel. Les larmes lui ont monté aux yeux lorsqu'il m'a demandé de la signer. Je me suis alors assise avec lui, et il m'a expliqué sa situation. Sa femme, qui avait subi un grave accident vasculaire cérébral, habitait au centre et il en prenait soin. Elle était juste là, à côté de nous, dans son fauteuil roulant. Or, ce n'est pas pour sa femme que cet homme faisait toutes ces démarches, parce qu'il était là pour prendre soin de sa femme et qu'il y consacrait toutes ses journées, mais pour les autres patients qu'il voyait manquer de soins au quotidien. Il voulait dénoncer une situation inéquitable, inacceptable et très certainement injuste.
Il y a beaucoup à faire dans le domaine des soins palliatifs, qui sont indissociables des soins à domicile. Le gouvernement a annoncé qu'il consacrerait 3 milliards de dollars aux soins à domicile, et j'ai été encouragée d'entendre la ministre de la Santé dire qu'elle verrait à ce que tous les Canadiens aient accès à des soins à domicile de qualité. Je suis impatiente d'échanger avec mes collègues pendant les débats qui porteront là-dessus, car j'ai l'intention de lutter bec et ongles pour qu'on améliore — et pas qu'un peu — les soins palliatifs offerts aux Canadiens.
De par mes fonctions d'aumônière dans diverses écoles secondaires d'Hamilton et d'Ancaster, en Ontario, j'ai passé les 20 dernières années à travailler avec les jeunes. Au fil des ans, j'ai aidé des milliers d'élèves à traverser cette période difficile qu'est l'adolescence et le début de la vie adulte. Leurs tiraillements sont bien réels, tout comme le fardeau que peuvent leur imposer les difficultés familiales, la quête d'identité personnelle, la douleur émotionnelle, la solitude, le rejet ou l'hostilité.
Les jeunes doivent affronter un monde complexe et souvent hostile dans le milieu physique où ils vivent, dans leurs relations avec les autres et dans les univers virtuels où ils sont jetés tête première, souvent sans préparation adéquate. Qu'il suffise de voir les terribles affaires d'intimidation en ligne qui privent des jeunes de joie de vivre, qui les confinent à la tristesse et à la dépression et qui les poussent même au suicide dans certains cas. J'ai foi en nos jeunes. J'ai passé ma vie à croire en eux même lorsqu'ils cessent d'avoir confiance en eux-mêmes. C'est l'oeuvre de ma vie. Dans les moments les plus sombres, alors qu'ils avaient perdu tout espoir, nous avons réussi l'incroyable ensemble. Nous avons trouvé une lueur d'espoir que nous avons nourrie d'amour et qui, avec l'intégration, l'acceptation et la sécurité, est devenue une flamme, puis un feu ardent qui génère l'espoir, le désir de changer le monde et le goût d'aider les autres qui souffrent et qui sont rejetés. Les adolescents de naguère ont accédé au rang de chefs de file mus par la conviction de pouvoir changer le monde. Si l'aide à mourir leur avait été offerte au moment où ils traversaient les affres de leur dépression, ils ne seraient peut-être pas parmi nous aujourd'hui.
Je suis heureuse de voir que le projet de loi exclut les jeunes de 16 à 18 ans et je voudrais que l'on concentre de nouveau les efforts sur la création d'un monde meilleur, plus joyeux, plus sûr et plus stable pour les jeunes, que ce soit en ligne ou dans l'univers concret.
J'ai réfléchi aux principes moraux entourant l'aide médicale à mourir. Nombreux sont ceux qui croient ne pas pouvoir appuyer, en leur âme et conscience, l'aide médicale à mourir. J'aimerais maintenant m'adresser à ces personnes et aborder la question de la conscience.
Souvent, les gens font un parallèle entre leur conscience, leurs valeurs et leurs croyances. Oui, les valeurs et les croyances sont un aspect clé de la conscience d'une personne, mais il y a bien plus. La conscience nous définit en tant qu'êtres humains. Elle nous permet de faire face à la réalité et de tenir compte des faits qui nous sont présentés. Les faits sont les suivants: la Cour suprême du Canada a déterminé que l'aide médicale à mourir est un droit garanti par la Charte. Nous ne devons donc pas déterminer si, oui ou non, nous autoriserons l'aide médicale à mourir; nous devons plutôt décider dans quelles circonstances nous l'autoriserons.
À mon avis, le projet de loi dont nous sommes saisis a une portée limitée et il est conforme à la Charte, telle qu'elle a été interprétée dans l'arrêt Carter c. Canada. Le projet de loi correspond au mandat législatif que la Cour suprême a confié au Parlement; il respecte la Charte, mais il tente aussi de protéger les personnes vulnérables et sans défense. Même si nous ne pourrons jamais protéger entièrement les personnes vulnérables, nous pouvons faire de notre mieux. C'est ce que fait le projet de loi .
Enfin, je tiens à souligner que je suis d'accord pour qu'on respecte les valeurs et les croyances personnelles des médecins et des infirmiers ainsi que les énoncés de mission à l'origine de la création de certains établissements.
Comme la l'a déclaré:
C'est pourquoi, comme je l'ai déjà mentionné, ma collègue, la ministre de la Santé, travaillera de concert avec ses homologues afin de mettre au point un système coordonné, qui servira à lier les patients aux professionnels consentants.
Comme l'indique le préambule du projet de loi d'initiative ministérielle, le gouvernement du Canada s’est engagé à élaborer des mesures non législatives visant « à respecter les convictions personnelles des fournisseurs de soins de santé. » Comme la l'a indiqué, « les professionnels de la santé auront le droit d'agir comme le leur dicte leur conscience. »
Je vais continuer à défendre les droits des médecins et des établissements à l'objection de conscience, tout en protégeant les droits des patients à l'accessibilité conférés par la Charte.
À la lumière de ces arguments, je déclare devant la Chambre mon appui envers le projet de loi à l'étude, lequel est juste et bien conçu.