:
Madame la Présidente, vous avez tout à fait raison.
Je remercie mon vaillant collègue de Kingston et les Îles et je tiens à saluer sa participation tout à fait exemplaire au cours des derniers mois.
Je profite de l'occasion pour rendre hommage à tous les interprètes, qui travaillent dans des conditions très difficiles. Tout à l'heure, mon collègue de a rappelé que les interprètes ont une fonction extrêmement délicate, et ce, dans des circonstances difficiles. Nous le reconnaissons, et je salue leur contribution et leur concours à nos travaux parlementaires.
[Traduction]
Je reviens à mon texte. J'ai quelques phrases à citer aujourd'hui. Je vais reprendre la lecture de l'ordre qui a été adopté par la Chambre il y a quelques jours.
[Français]
Je reprends la lecture.
b) le légiste et conseiller parlementaire en informe ensuite immédiatement le Président, qui devra informer immédiatement la Chambre s’il est convaincu que les documents ont été produits comme il a été ordonné;
Madame la Présidente, vous avez bien entendu informé la Chambre, comme le prévoit le paragraphe b) de cet ordre, que les documents n'avaient pas été fournis tel qu'il avait été ordonné.
Pour que l'ensemble de la Chambre ait le contexte complet des documents requis, qu'on me permette de préciser le cadre de cet ordre.
Quand le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes a été formé le 10 décembre 2019, à la suite de la motion présentée par le chef de l'opposition officielle, il a été établi comme l'indique la page 28 des Jounaux, « que le Comité dispose de tous les pouvoirs que le Règlement confère aux comités permanents ».
Plus précisément, l'article 108(1)a) du Règlement confère aux comités permanents entre autres choses le pouvoir de « convoquer des personnes et [d']exiger la production de documents et dossiers ».
Ce pouvoir a été renouvelé quand le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes a été rétabli par le paragraphe q) de l'ordre spécial adopté le 23 septembre 2020, comme l'indique la page 4 des Journaux.
Le 22 mars de cette année, Iain Stewart, le président de l'Agence de la santé publique du Canada, a témoigné devant le comité spécial. Sous les questions soutenues des honorables députés de , , , et , M. Stewart a refusé de fournir des réponses concrètes ou significatives sur la teneur de l'ultime ordre de la Chambre, et ses réponses étaient des variantes d'une déclaration selon laquelle il ne pouvait pas fournir de détails.
En réponse, le comité spécial a adopté l'ordre suivant lors de cette réunion:
Que le président de l'Agence de la santé publique du Canada fournisse une réponse écrite pour toutes les questions soulevées dans le cadre de la réunion de ce soir concernant le congédiement de deux scientifiques du Laboratoire national de microbiologie du Canada et que la réponse soit envoyée à la greffière du Comité, au plus tard à 14 h 00 (HAE) le vendredi 26 mars 2021.
M. Stewart a répondu par une lettre insatisfaisante. Plus précisément, il a dit que la Loi sur la protection des renseignements personnels l'empêchait de divulguer à un comité parlementaire l'information qu'il demandait.
Par la suite, le comité spécial a consulté le légiste et conseiller parlementaire sur ses pouvoirs et les implications de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Sur son conseil, le 31 mars, le comité spécial a adopté la motion suivante, dont il est question dans l'ordre de la Chambre de la semaine dernière:
Que le Comité exige la production de renseignements et documents que possède l'Agence de la santé publique du Canada ou toute organisation subsidiaire concernant le transfert des virus Ebola et Henipah à l'Institut de virologie de Wuhan en mars 2019 ainsi que la révocation subséquente des cotes de sécurité et le congédiement de la Dre Xiangguo Qiu et de Keding Cheng, à condition que:
(a) ces documents soient déposés auprès du légiste et conseiller parlementaire, sous une forme non expurgée, dans les 10 jours suivant l'adoption du présent ordre;
b) Le légiste et conseiller parlementaire discute avec le Comité, lors d'une réunion à huis clos, de tous les renseignements obtenus qui pourraient, selon lui, compromettre la sécurité nationale ou divulguer des détails d'une enquête criminelle en cours, mise à part l'existence d'une enquête, afin que le Comité puisse déterminer quels renseignements peuvent être dévoilés lors d'une réunion publique;
c) dans l'éventualité où l'Agence de la santé publique du Canada ne fournit pas les documents non expurgés dans le délai prévu de 20 jours, le président de l'Agence de la santé publique du Canada et le directeur général scientifique par intérim du Laboratoire national de microbiologie comparaissent pendant trois heures devant le comité, dans les 27 jours suivant l'adoption de la présente motion, afin d'expliquer pourquoi les documents n'ont pas été fournis.
Le 20 avril, le légiste a reçu environ 267 pages de l'Agence de la santé publique du Canada avec divers caviardages qui n'étaient pas autorisés par le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. De plus, 279 pages supplémentaires avaient été complètement caviardées. À sa réunion du 26 avril, le Comité spécial a adopté la motion suivante en réponse aux documents fournis par l'Agence, soutenant qu'il n'était pas satisfait de la réponse de cette dernière:
— Que, conformément à la motion adoptée par ce Comité le mercredi 31 mars 2021: « [...] c) dans l'éventualité où l'Agence de la santé publique du Canada ne fournit pas les documents non expurgés dans le délai prévu de 20 jours, le président de l'Agence de la santé publique du Canada et le directeur général scientifique par intérim du Laboratoire national de microbiologie comparaissent pendant trois heures devant le comité, dans les 27 jours suivant l'adoption de la présente motion, afin d'expliquer pourquoi les documents n'ont pas été fournis », le Comité invite donc le président de l'Agence de la santé publique du Canada et le directeur général scientifique à comparaître le plus tôt possible.
Le 10 mai, M. Stewart a de nouveau comparu devant le Comité spécial. Il a continué à refuser de fournir l'information demandée et, en raison du refus continu de coopérer de l'Agence, le Comité spécial a adopté cette motion, proposée à l'origine par la députée libérale de , dont il a aussi été question dans l'ordre de la Chambre du 2 juin, et je cite:
Que les documents non expurgés de l’Agence de santé publique du Canada soient remis au légiste et conseiller parlementaire dans les 10 jours qui suivent pour qu’il en évalue la teneur et, si les documents ne sont pas fournis, que le comité fasse rapport à la Chambre de ce qui suit: Votre Comité recommande qu'un ordre de la Chambre soit émis pour tous les renseignements et tous les documents, sous le soin, la garde ou le contrôle de l'Agence de la santé publique du Canada et organisations subsidiaires, concernant le transfert des virus Ebola et Henipah à l'Institut de virologie de Wuhan en mars 2019, la révocation subséquente des cotes de sécurité et le congédiement de la Dre Xiangguo Qiu et Keding Cheng, prévoyant que: (a) ces les documents soient déposés, dans les deux langues officielles, auprès du légiste et conseiller parlementaire au plus tard deux semaines après l'approbation de cette recommandation par la Chambre; (b) le légiste et conseiller parlementaire discute avec le Comité, lors d’une réunion à huis clos, de tous les renseignements obtenus qui pourraient, selon lui, compromettre la sécurité nationale ou divulguer des détails d’une enquête criminelle en cours, mise à part l’existence d’une enquête, afin que le Comité puisse déterminer quels renseignements peuvent être dévoilés lors d’une réunion publique.
Le deuxième ordre du Comité n'a pas été respecté de façon satisfaisante, comme on peut le conclure par le fait que la recommandation comprise dans cette motion a été ultérieurement présentée à la Chambre dans le troisième rapport du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes, le 26 mai.
Nous avons maintenant un troisième ordre et, cette fois, il s'agit d'un ordre de la Chambre des communes du Canada, lequel n'a pas été respecté par l'Agence de la santé publique du Canada.
[Traduction]
Au baseball, on dit qu'après trois prises, le frappeur est retiré au bâton. Or, il ne s'agit pas d'un jeu, mais des pouvoirs fondamentaux dont la Chambre des communes est investie depuis longtemps et qui lui permettent de jouer le rôle de grand enquêteur de la nation. Le gouvernement libéral défie ce pouvoir, le balaie du revers de la main et s'en moque ouvertement. En un mot, il traite la Chambre avec mépris.
À la page 137 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition se trouve l'explication suivante:
Selon le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement jouit du droit de procéder à des enquêtes, d'exiger la comparution de témoins et d'ordonner la production de documents, des droits essentiels à son bon fonctionnement. Ces droits sont d'ailleurs aussi anciens que le Parlement lui-même.
Pour montrer à la Chambre que ce pouvoir remonte loin, je lui rappelle qu'Erskine May avait considéré le sujet clos dès la première édition de son traité éponyme sur la procédure parlementaire, publié en 1847. À la page 309 se trouve le passage suivant: « Le Parlement, dans l'exercice de ses diverses fonctions, est investi du pouvoir d'ordonner le dépôt de tous les documents nécessaires à son information. »
[Français]
Quant à la portée de ce pouvoir, Bosc et Gagnon citent favorablement la page 190 de l'ouvrage de Joseph Maingot intitulé Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition:
La seule limitation que la Chambre pourrait elle-même s'imposer serait que l'enquête doive se rapporter à un sujet relevant de la compétence législative du Parlement, en particulier lorsque des témoins doivent être entendus et qu'on envisage de recourir à la compétence pénale du Parlement. Cette restriction est conforme au droit des Chambres du Parlement de convoquer une personne et de l'obliger à témoigner sur un sujet relevant de leur compétence respective.
Bosc et Gagnon vont d'ailleurs plus loin, aux pages 984 et 985, sur la portée du pouvoir de la Chambre de demander des documents.
Le libellé du Règlement ne circonscrit pas les contours du pouvoir d'exiger la production de documents et de dossiers. Il en résulte un pouvoir général et absolu qui ne comporte a priori aucune limitation. La nature des documents qui sont susceptibles d'être exigés est indéfinie, les seuls préalables étant qu'ils soient existants, peu importe qu'ils soient en format papier ou électronique, et qu'ils soient au Canada [ou ailleurs]. Il peut s'agir de documents et de dossiers qui émanent ou qu'ont en leur possession des gouvernements, mais aussi des documents dont les auteurs ou les propriétaires sont issus du secteur privé ou de la société civile (particuliers, associations, organismes, etc.)
Il peut arriver que les auteurs ou les responsables de documents refusent de les fournir aux comités permanents ou qu'ils acceptent de le faire uniquement après en avoir expurgé certaines parties. Il arrive aussi que des fonctionnaires ou des ministres invoquent les obligations que leur impose la loi pour justifier leur refus. Les entreprises peuvent hésiter à divulguer des documents mettant en jeu leur sécurité commerciale ou dont la communication pourrait contrevenir à leurs obligations légales, notamment en matière de protection de renseignements personnels. D'autres ont invoqué le secret professionnel liant les avocats à leurs clients pour refuser l'accès à des documents légaux ou à des avis juridiques.
:
Madame la Présidente, je rappelle à mes collègues que j'étais en train de citer le document de Bosc et Gagnon.
Je continue la citation:
Ce genre de situations ne touche aucunement le pouvoir des comités d'exiger la production de documents et de dossiers. Aucune loi ou pratique ne vient diminuer la plénitude de ce pouvoir dérivé des privilèges de la Chambre, à moins que des dispositions légales le limitent explicitement ou que la Chambre ait restreint ce pouvoir par résolution expresse. Or, la Chambre n'a jamais fixé aucune limite à son pouvoir d'exiger le dépôt de documents et de dossiers.
Cela a aussi été soulevé dans le premier rapport de l'ancien comité permanent des privilèges et des élections, déposé le 29 mai 1991 et dont la Chambre a pris acte le 18 juin 1991.
Aux termes du Règlement de la Chambre, la Chambre des communes délègue à ses comités les pouvoirs de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et dossiers. C'est un fait bien établi que le Parlement a le droit d'ordonner que lui soient soumis tous les documents dont il estime avoir besoin pour son information. [...] Les pouvoirs de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et dossiers sont absolus, mais il est rare que l'on exerce ces pouvoirs sans prendre en considération l'intérêt public.
Je reviendrai sur ce dernier point dans un moment.
[Traduction]
Dans un rapport de mai 2019 sur le pouvoir d'exiger la production de documents, le comité de la procédure de la Chambre des communes du Royaume-Uni a conclu ce qui suit au paragraphe 16: « Le pouvoir de la Chambre des communes d'exiger la production de documents est en théorie absolu. Il lie les ministres, et le gouvernement l'a constamment respecté. »
[Français]
Depuis quelques dizaines d'années, notre Chambre a connu plusieurs cas de refus de produire des documents demandés par la Chambre ou ses comités.
Après l'adoption de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le premier conflit majeur entre le privilège parlementaire et le point de vue du gouvernement sur ces lois a eu lieu en 1990, alors qu'un comité a demandé des rapports relatifs à l'évasion de prison de deux meurtriers.
L'affaire est résumée à la note 182 de la page 987 de Bosc et Gagnon, que nous avons cité plus tôt, et je vais lire ce cas précis:
Durant la 34e législature, le solliciteur général ayant refusé de fournir deux rapports [non expurgés] au Comité permanent de la justice et du solliciteur général, soi-disant pour protéger des renseignements personnels, le Comité a signalé l’affaire à la Chambre. Par la suite, Derek Lee (Scarborough—Rouge River) a soulevé une question de privilège relativement au refus du ministre de fournir les rapports demandés par le Comité. Aucune décision n’a été rendue sur la question à savoir si l’affaire constituait de prime abord une atteinte au privilège, mais la question a été renvoyée au Comité permanent des privilèges et des élections [...] Le Comité a présenté un rapport dans lequel il concluait que le Comité permanent de la justice et du solliciteur général avait été en droit d’insister pour que les deux rapports soient déposés et recommandait que la Chambre ordonne au solliciteur général de se conformer à l’ordre de dépôt. La Chambre a adopté par la suite une motion dans ce sens, à condition que les rapports soient présentés lors d’une réunion à huis clos du Comité permanent de la justice et du solliciteur général [...]
En 2004, le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire n'a pas pu obtenir des rapports d'entreprises privées malgré de nombreuses garanties pour protéger de l'information sensible. D'ailleurs, l'affaire est expliquée à la note 180 de la page 986 de Bosc et Gagnon:
Dans sa tentative d’obtenir les états financiers des cinq abattoirs les plus importants au Canada dans le cadre de son examen de la formation du prix du bœuf, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire avait adopté une motion prévoyant que ces états ne seraient pas reproduits pour les membres du Comité, mais qu’ils ne seraient transmis qu’au bureau du légiste parlementaire et à l’analyste affecté au Comité par la Bibliothèque du Parlement. Ce dernier colligerait l’information et présenterait un rapport aux membres du comité, analyse rédigée de façon à protéger les informations commerciales délicates susceptibles de révéler l’identité d’une personne ou d’une entreprise. La motion prévoyait également un mécanisme pour la conservation des documents et leur destruction éventuelle [...] Après qu’il eut présenté deux rapports à la Chambre sur la question [...], le Comité a réitéré ses demandes auprès des abattoirs concernés lors d’une nouvelle session parlementaire, à la suite de la dissolution de la législature survenue entre-temps. Il a alors obtenu les documents demandés [...]
Je devrais ajouter ici une brève explication de ces deux rapports.
Le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire a présenté son troisième rapport, le 6 mai 2004, qui indiquait que trois entreprises étaient en infraction et donnait un ordre de fournir certains documents au greffier du comité en l'espace de quatre jours. La Chambre a donné son soutien unanime au rapport immédiat après son dépôt, reconnaissant que les entreprises étaient en infraction.
Le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire a ensuite présenté son quatrième rapport, le 13 mai 2004, notant que l'une des trois entreprises avait répondu. Quant aux deux autres entreprises, le Comité indiquait qu'elles étaient toujours en infraction, leur donnant une autre semaine pour répondre et établissant des pénalités si elles restaient en infraction. La Chambre n'a siégé qu'une journée avant que le Parlement soit dissous, et le rapport n'a donc jamais été agréé.
Vient ensuite la décision très connue de votre prédécesseur ayant servi le plus longtemps, M. Milliken, sur des documents relatifs au conflit en Afghanistan. D'ailleurs, Bosc et Gagnon décrivent l'affaire à la page 139:
En novembre 2009, le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan a signalé à la Chambre qu’il y avait eu atteinte à ses privilèges puisque le gouvernement n’avait pas donné suite à sa demande de produire des documents sur la détention de soldats afghans par les Forces canadiennes en Afghanistan.
Je me permets de faire une pause pour souligner qu'une question de privilège a été soulevée, mais qu'elle a été rejetée par le Président Milliken, le 30 novembre 2009, à la page 7386 des Débats.
Aussi, lors d'une journée de l'opposition libérale, la Chambre a adopté une motion, notre ayant voté en sa faveur, selon les conditions établies à la page 1195 des Journaux, le 10 décembre 2009:
Que, vu les privilèges incontestés que la constitution du Canada confère au Parlement, y compris le pouvoir absolu d’obliger le gouvernement à produire sur demande des documents non censurés, et vu que le gouvernement a violé les droits du Parlement en invoquant la Loi sur la preuve au Canada pour censurer des documents avant de les produire, la Chambre demande instamment accès aux documents suivants dans leur forme originale et non censurée: [...]
Sept catégories de documents sur la question des détenus afghans ont été établies.
[...] par conséquent la Chambre ordonne par la présente que tous ces documents soient produits immédiatement dans leur forme originale et non censurée.
Retournons maintenant à la page 139 de l'ouvrage de Bosc et Gagnon pour l'explication:
[...] le gouvernement a refusé [de fournir les documents demandés], invoquant la sécurité nationale. Des députés ont soulevé des questions de privilège fondées sur le droit absolu de la Chambre d'exiger la production de documents. Le ministre de la Justice a insisté sur le fait que ce droit a ses limites puisque le gouvernement a le devoir de protéger les renseignements susceptibles de compromettre la sécurité nationale. Le 27 avril 2010, le Président Milliken a déterminé qu'il relevait des pouvoirs de la Chambre de demander les documents précisés dans l'ordre, et que ce dernier ne contrevenait pas au principe de la séparation des pouvoirs entre l'organe exécutif et l'organe législatif. Ainsi, le Président a conclu que le refus du gouvernement de se conformer à l'ordre de la Chambre constituait une atteinte aux privilèges de prime abord. Toutefois, il a accordé aux partis deux semaines pour créer un mécanisme qui tiendrait compte des craintes du gouvernement relatives à la sécurité nationale et du droit de la Chambre de recevoir les documents.
La note en bas de page 348 de la page 139 explique comment on a donné suite à la décision majeure du Président Milliken:
[...] À la suite d'une entente de principe entre tous les partis et du protocole d'entente subséquent, signé uniquement par le gouvernement, l'Opposition officielle et le Bloc Québécois, un comité spécial formé d'un député et d'un substitut de chacun des trois partis signataires de l'entente a examiné, après avoir prêté un serment de confidentialité, les 40 000 pages de texte non expurgé sur les détenus afghans [...]. Pour aider le comité spécial à extraire les documents pertinents, on a constitué un groupe d’experts-arbitres formé de Frank Iacobucci et de Claire L'Heureux-Dubé, anciens juges à la Cour suprême, et de Donald Brenner, ancien juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique [...]. Le 26 mars 2011, la 40e législature a été dissoute. Le 22 juin 2011, John Baird, ministre des Affaires étrangères, a déposé environ 4 000 pages de documentation sur la détention de combattants par les Forces canadiennes en Afghanistan [...].
[Traduction]
Entretemps, en 2011, une autre question de privilège a été considérée comme fondée à première vue. Elle portait sur les efforts du Comité permanent des finances pour obtenir des documents. Je vais faire à la Chambre un résumé des événements et de leur conclusion.
D'abord, le 6 octobre 2010, le comité des finances a demandé de l'information financière au gouvernement, mais n'a reçu aucune réponse. En conséquence, le 17 novembre 2010, le comité des finances a adopté une motion ordonnant la production de divers documents du gouvernement à propos des projections économiques et des estimations de coûts. Le 24 novembre et le 1er décembre 2010, le gouvernement a indiqué au comité des finances qu'une partie des documents demandés relevaient du secret du Cabinet.
Le 3 février 2011, le comité des finances a adopté une motion visant à faire rapport des événements à la Chambre. Ce rapport, le 10e rapport du comité des finances, a été présenté le 7 février 2011. Scott Brison a ensuite soulevé une question de privilège.
[Français]
Entretemps, le gouvernement a déposé à la Chambre certains documents relatifs à la demande du Comité permanent des finances. En tous les cas, le 17 février 2011, la Chambre a considéré, puis adopté le 28 février 2011, une motion de l'opposition proposée par l'honorable Ralph Goodale et appuyée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones.
Voici le texte de la motion:
Qu'étant donné les privilèges incontestables que la Constitution canadienne confère au Parlement, y compris le pouvoir absolu d'exiger du gouvernement qu'il produise sur demande des documents non expurgés, le refus persistant par le gouvernement de satisfaire aux demandes raisonnables portant production de documents, surtout en ce qui concerne le coût de l'allégement fiscal qu'il a consenti aux plus grandes sociétés du pays et celui des mesures qu'il compte prendre en matière de justice et de sécurité publique, constitue une atteinte aux droits du Parlement, et la Chambre ordonne au gouvernement de produire au plus tard le 7 mars 2011 chacun des documents que le Comité permanent des finances a demandés le 17 novembre 2010.
Par la suite, le 9 mars 2011, le Président Milliken a statué sur la question de privilège de M. Brison, constatant une question de privilège de prime abord, et M. Brison a présenté une motion pour renvoyer la question au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre a ensuite présenté son 27e rapport, le 21 mars 2011. Le 25 mars 2011, la Chambre a étudié et adopté une motion de l'opposition proposée par Michael Ignatieff. La motion indiquait, entre autres choses:
Que la Chambre est d’accord avec le constat du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre que le gouvernement s'est rendu coupable d’outrage au Parlement [...]
La majeure partie du rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre traitait de l'invocation de la confidentialité du cabinet par le gouvernement, ce qui n'est pas l'enjeu principal ici. Il importe cependant de citer deux éléments du rapport:
Le premier, à la page 5 du rapport, est le suivant:
[...] ce dernier [M. Robert R. Walsh, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes] a affirmé qu'en rendant sa décision, le Président a conclu que le Parlement a le droit de recevoir toute l'information qu'il requiert, mais que le gouvernement pourra décider de refuser de communiquer cette information. Dans cette éventualité, il lui reviendra de convaincre le Parlement du bien-fondé de sa décision.
Plus loin, aux pages 10 et 11, il écrit:
M. Ned Franks, professeur émérite au Département d'études politiques de l'Université Queen's [...] a dit se ranger du côté du Président Milliken et a déclaré que, à son avis, le gouvernement n'est pas habilité à limiter le pouvoir du Parlement de recevoir des renseignements.
Comme la Chambre a accepté les conclusions du rapport le 25 mars 2011, il est clair qu'elle a aussi accepté l'analyse qui les a précédées.
[Traduction]
Plus récemment encore, il y a des choses qui se sont passées au sein du Parlement britannique qui ne sont pas nécessairement connues de tous mes collègues. Lors des élections générales de 2017, le gouvernement conservateur en place n'a pas obtenu la majorité à la Chambre des communes. Bien qu'il ait été en mesure de constituer une majorité suffisante grâce à une entente concernant les votes de confiance et les votes sur les crédits avec l'un des partis d'Irlande du Nord, il n'en reste pas moins que c'était un gouvernement minoritaire, le premier véritable gouvernement minoritaire au Royaume-Uni en quatre décennies.
Le Parti travailliste a consacré 10 de ses journées réservées à l'opposition, lors de la première session du Parlement suivant ces élections, à exiger la production de documents. La moitié de ces motions ont été rejetées par la Chambre, et sur les cinq autres, quatre ont reçu une réponse satisfaisante du gouvernement. C'est la cinquième motion qui mérite notre attention. Elle a conduit le comité de la procédure de la Chambre des communes du Royaume-Uni à étudier la question et à publier son neuvième rapport, intitulé « The House's power to call for papers: procedure and practice », ou « Le pouvoir de la Chambre de demander des documents: la procédure et la pratique », en mai 2019, que j'ai cité plus tôt.
Le 13 novembre 2018, la Chambre des communes du Royaume-Uni a adopté la motion suivante, proposée par lord Keir Starmer, maintenant chef de l'opposition, et inscrite aux pages 1 et 2 des Procès-verbaux:
Qu'une humble Adresse soit présentée à Sa Majesté la priant de bien vouloir donner des instructions pour que les documents suivants soient déposés devant le Parlement: tous les avis juridiques complets, entre autres celui fourni par le procureur général, sur l'accord de retrait proposé relativement aux conditions encadrant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, notamment l'accord sur le filet de sécurité entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande et le cadre pour les futures relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
On peut résumer les événements qui ont suivi par les extraits suivants qui correspondent aux paragraphes 41 à 43 du rapport du comité de la procédure du Royaume-Uni publié en 2019:
41. Les ministres ont présenté des arguments à l'encontre de la motion tirée de la boîte d'expédition, mais n'ont pas cherché à diviser la Chambre. Par conséquent, la motion a été adoptée sans opposition. Dans des rappels au Règlement soulevés immédiatement après que la Chambre eut rendu sa décision, des députés ont demandé à ce qu'on clarifie les obligations du gouvernement découlant de la décision. Aucune déclaration ministérielle n'a été faite en réponse.
42. Une entente conclue entre le Royaume-Uni et l'Union européenne concernant le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a reçu l'appui des chefs d'État et de gouvernement membres du Conseil européen, lors de la réunion du 25 novembre 2018 [...]. Le 3 décembre, le procureur général a présenté au Parlement un document présentant les répercussions juridiques globales de l'accord signé le 25 novembre 2018. Le même jour, il a fait une déclaration à la Chambre [...] ni le document ni la déclaration ne faisaient référence à la résolution du 13 novembre, et le document n'avait pas pour but de constituer une réponse à la résolution de la Chambre.
43. Après la présentation du document du gouvernement à la Chambre, Keir Starmer, en collaboration avec des représentants de quatre autres partis, a écrit au Président pour souligner que le gouvernement n'avait pas respecté les modalités de la résolution du 13 novembre [...] Le procureur général a également écrit au Président pour lui faire part de ses observations sur la question. Il a allégué que le gouvernement se retrouvait dans une position délicate, car il ne savait pas comment appliquer la résolution.
Comme on peut le lire à la page 625 du rapport officiel, dans une décision rendue le 3 décembre 2018, le Président Bercow a déclaré:
La lettre que j'ai reçue des députés mentionnés au début de ma déclaration me demande de donner préséance à une motion concernant la question de privilège au sujet de la non-observation, par les ministres, des modalités de la résolution adoptée par la Chambre le 13 novembre [...] J'ai étudié attentivement la question et j'estime qu'il existe des arguments défendables permettant de soutenir qu'un outrage a été commis. Par conséquent, je donne préséance à une motion, laquelle devra être déposée ce soir avant la levée de la séance et sera étudiée avant toute autre affaire demain, mardi. Il appartiendra alors entièrement à la Chambre de se prononcer sur cette motion.
Le lendemain, la Chambre a étudié cette motion. Après avoir rejeté l'amendement proposé par le gouvernement à raison de 307 voix contre 311, la Chambre a adopté, à raison de 311 voix contre 293, la motion suivante, que l'on peut lire à la page 3 des Procès-verbaux:
Que la Chambre: conclue que, en ne se conformant pas à l'exigence de l'ordre de dépôt de documents adopté le 13 novembre 2018 de publier intégralement l'avis juridique final que le procureur général a fourni au Cabinet concernant l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ainsi que le cadre de travail pour l'avenir de la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les ministres ont commis un outrage; ordonne la publication immédiate dudit document.
Le lendemain, le gouvernement a produit un exemplaire complet et non censuré des conseils juridiques du procureur général. Le rapport du comité de la procédure indique, au paragraphe 68, que le procureur général « a affirmé s'être conformé à l'ordre de la Chambre du 4 décembre, par respect pour la position constitutionnelle de la Chambre. »
[Français]
Un gouvernement qui respecte la position constitutionnelle de la Chambre des communes, cela existe. Comme je l'ai dit plus tôt, à mon humble avis, le gouvernement a fait outrage au Parlement.
D'ailleurs, à la page 60 de La procédure et les usages de la Chambre des communes de Bosc et Gagnon, il est indiqué que:
Par ailleurs, même si elle ne porte atteinte à aucun privilège particulier, toute conduite qui cause préjudice à l'autorité ou à la dignité de la Chambre est considérée comme un outrage au Parlement. L'outrage peut être un acte ou une omission. Il n'a pas à faire réellement obstacle au travail de la Chambre ou d'un député; il n’a qu’à tendre à produire un tel résultat.
Bosc et Gagnon ajoute d'ailleurs ce qui suit à la page 81:
Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l'outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l'exercice de ses fonctions, ou transgresse l'autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes [...]
Parmi les catégories d'outrage bien établies et précisées à la page 82 de Bosc et Gagnon, on compte les éléments suivants:
[...] modifier, supprimer, cacher ou détruire délibérément des documents dont la Chambre ou un comité exige la production;
[...] sans excuse valable, refuser de répondre à une question, ou encore de fournir une information ou de produire des documents dont la Chambre ou un comité exige la production;
sans excuse valable, désobéir à un ordre légal de la Chambre ou d’un comité;
Dans le cas présent, le gouvernement a désobéi à un ordre légal de la Chambre. Il n'a pas fourni tous les documents officiellement demandés et, en en expurgeant d'autres, il a délibérément modifié, supprimé, et caché des documents dont la production avait été exigée.
[Traduction]
Pour ce qui est des excuses que le gouvernement a formulées dans sa réponse de mai 2020 au deuxième ordre du comité spécial, M. Stewart a écrit ceci:
Nous souhaitons, comme le comité, promouvoir une gouvernance ouverte et publique, qui protège adéquatement les renseignements sensibles, notamment ceux qui touchent la sécurité nationale. Dans cette optique, nous notons que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a été établi pour pouvoir examiner les questions de ce genre tout en bénéficiant de mécanismes de protection appropriés. Les membres de ce comité proviennent des deux Chambres du Parlement, détiennent les cotes de sécurité nécessaires et ont le droit explicite d'avoir accès à des renseignements à diffusion restreinte. Nous serions heureux d'explorer cette voie avec vous.
La semaine dernière, pendant le débat qui a eu lieu mardi à propos de l'ordre dont nous discutons, nous avons entendu un message semblable de la part du , qui parle souvent à la Chambre au nom du gouvernement, comme je le sais pertinemment.
[Français]
Mercredi, quand le a répondu à une question à ce sujet à la période des questions orales, il a dit:
[...] C'est pourquoi [les Canadiens] élisent des députés qui demandent des comptes au gouvernement. Toutefois, pour ce qui est des questions de sécurité nationale, il est important que les députés aient obtenu un niveau d'habilitation sécuritaire plus élevé avant de pouvoir étudier en profondeur ce genre de dossiers et poser toutes les questions pertinentes [...]
Il est primordial de se rappeler que le gouvernement parle ici d'un comité de parlementaires, et non d'un comité du Parlement. Toute la différence est là. En fait, le paragraphe 4(3) de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement stipule: « Le Comité n’est ni un comité du Sénat ou de la Chambre des communes ni un comité mixte de ces deux chambres. »
Cela ne s'arrête pas là. L'article 5 de la Loi prévoit que les membres de ce comité sont nommés par le Cabinet, sur recommandation personnelle du . L'article 6 stipule la même chose au sujet du président du Comité.
On nous dit que le premier ministre peut poser toutes les questions appropriées. Eh bien, non. L'article 8 de la Loi permet au ministre d'opposer un veto au choix d'étude en comité. L'article 16 permet au ministre de refuser de fournir de l'information. Pour ce qui est de la transparence, on repassera.
Cependant, même s'ils consultent les documents, peuvent-ils vraiment nous donner l'heure juste? Une fois encore, la réponse est non. L'article 21 exige que le Comité remette tous ses rapports au premier ministre et permet au premier ministre de censurer tous ces rapports avant même qu'ils voient la lumière du jour. C'est là toute la différence qu'il y a entre ce type de comité et les autres comités des parlementaires. C'est le premier ministre qui a le mot final sur tout ce qui peut être rendu public. Ce n'est pas du tout la même chose qu'un comité parlementaire.
Peut-être que l'ancienne liberté d'expression du Parlement, un principe constitutionnel qui date de 1689, permettrait à quiconque de sonner l'alarme si le premier ministre dissimule quelque chose. Une fois encore, non. Le paragraphe 12(2) détruit nos trois siècles de liberté d'expression pour permettre au gouvernement de traduire en justice un membre du Comité qui dit quelque chose que le premier ministre ne veut pas entendre.
Le premier ministre a finalement un droit de veto sur tout, avec cet organisme. Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est tout simplement — malheureusement, nous devons le dire — un pantin du pouvoir. Sur le fait d'utiliser ce pantin du pouvoir pour déterminer comment répondre aux ordres de production des documents de la Chambre, le Président Milliken a dit, le 27 avril 2010, à la page 2044 des Débats:
Pour sa part, le gouvernement a tenté de trouver une solution à l'impasse. Il a confié à Frank Iacobucci, ancien juge de la Cour suprême, le mandat d'examiner les documents et de recommander au ministre de la Justice et procureur général ce qui pourrait être divulgué à la Chambre sans danger.
Le gouvernement a soutenu qu'en confiant ce mandat d'examen à M. Iacobucci, il prenait des mesures pour se conformer à l'ordre de la Chambre tout en répondant à la nécessité de protéger la sécurité des Forces armées canadiennes et de respecter les obligations internationales du Canada.
Cependant, plusieurs députés ont souligné que la nomination de M. Iacobucci donne lieu à l'établissement d'un processus parallèle, distinct du processus de surveillance parlementaire et dans lequel les parlementaires ne jouent aucun rôle. En outre — ce qui, à mon avis, est l'élément le plus important —, M. Iacobucci rend compte au ministre de la Justice; son client est donc le gouvernement.
La proposition du premier ministre d'utiliser le comité qu'il a lui-même sélectionné n'est pas une excuse raisonnable ou même une raison légitime de défier l'ordre de la Chambre du 2 juin. Comment vais-je le demander? Qui peut juger?
Bosc et Gagnon donnent un avis à la note 176 de la page 985:
[...] le président Milliken a réitéré le pouvoir de la Chambre d'ordonner la production de documents et de décider si les raisons invoquées pour refuser de les fournir sont suffisantes.
[Traduction]
Dans son rapport de mai 2019, au paragraphe 16, le comité de la procédure du Royaume-Uni arrive à la conclusion suivante: « La façon d'exercer le pouvoir [d'exiger la production de documents] relève de la Chambre et elle n'est pas assujettie au pouvoir discrétionnaire de la présidence. » Au paragraphe 35, le comité parle de la façon de déterminer si on a répondu à la demande:
Il n'existe pas de procédure pour évaluer les documents remis à la Chambre en réponse à une résolution ou à un ordre ni de procédure pour interjeter appel en cas de non-respect, à part de soulever une question de privilège.
Lorsque des documents sont remis à une entité de la Chambre, il est plus facile de déterminer s'ils sont conformes à la demande. Le comité qui reçoit la documentation peut évaluer l'information qu'elle contient et déterminer si les directives de la Chambre ont été suivies ou non.
En conclusion, au paragraphe 86, le comité de la procédure du Royaume-Uni écrit ceci:
C'est à la Chambre et à elle seule de déterminer la portée de son pouvoir d'exiger la production de documents. Dans l'étude d'une motion, elle peut déterminer s'il s'agit d'une demande de recours à ce pouvoir qui est inappropriée ou irresponsable, ou si la question qui est en jeu ne justifie pas qu'on exige des ministres qu'ils produisent l'information demandée. Dans de telles situations, nous nous attendons de la Chambre qu'elle exerce son jugement et qu'elle continue de préconiser le recours responsable à ce pouvoir.
Dans le cas qui nous occupe, la Chambre a mis en place des mécanismes pour commencer par évaluer la conformité de la réponse à son ordre. Le paragraphe a) de l’ordre de la semaine dernière indique que les documents doivent être déposés auprès du légiste afin que celui-ci procède à une première évaluation et veille à la sécurité, et le paragraphe b) porte sur la reddition de comptes.
Sur la foi de la première évaluation du légiste, il revient maintenant à la Chambre de décider si elle a pu exercer légitimement son pouvoir. La Chambre prend sa décision à l’aide de méthodes éprouvées, soit les motions, les débats et les votes.
En soulevant cette question de privilège, c'est ce processus que je vous demande de faire respecter.
Mardi dernier, la Chambre a eu la chance d’entendre le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre; puis, mercredi, elle a entendu le lui-même parler de l’approche proposée par le gouvernement. Comme ces opinions ont été présentées à la Chambre avant que le vote ait lieu, j’estime que la Chambre a eu la possibilité de les prendre en compte avant de décider qu’elle préférait l’approche de mon ami le député de . Dans tous les cas, si vous concluez de prime abord à un outrage, le gouvernement pourra toujours évaluer la volonté de la Chambre concernant sa propre approche en proposant un amendement à ma motion.
[Français]
Comme je l'ai dit plus tôt, la Chambre agit de façon optimale sur ces questions quand elle tient compte des diverses considérations politiques publiques, ce qui comprend bien entendu l'intérêt public. D'ailleurs, comme l'a souligné le Président Milliken à la page 2045 des débats du 27 avril 2010 quand il a rendu sa décision sur les documents relatifs à l'Afghanistan, il faut considérer les intérêts de l'exécutif et du législatif:
La Chambre comprend depuis longtemps le rôle de « grand défenseur du royaume » du gouvernement et ses lourdes responsabilités en matière de sécurité, de défense nationale et de relations internationales. De même, le gouvernement comprend le rôle incontestable de « grand enquêteur de la nation » de la Chambre des communes et reconnaît qu'elle doit disposer de renseignements complets et exacts pour s'acquitter de sa fonction de demander des comptes au gouvernement.
Cet équilibre est représenté par la propre modération de la Chambre et non pas par un droit de veto exercé par le pouvoir extérieur. Le Président Milliken a d'ailleurs bien expliqué ce concept dans le cadre de la même décision, cette fois à la page 2043:
La présidence est d'avis que le fait d'admettre que l'organe exécutif jouit d'un pouvoir inconditionnel de censurer les renseignements fournis au Parlement compromettrait en fait la séparation des pouvoirs censée reposer au cœur même de notre régime parlementaire, ainsi que l'indépendance des entités qui le composent. En outre, cela risquerait d'affaiblir les privilèges inhérents de la Chambre et de ses députés, privilèges qui ont été acquis et qui doivent être protégés.
Comme on l'a vu plus tôt, les ouvrages de procédure affirment catégoriquement, à bon nombre de reprises, le pouvoir qu'a la Chambre d'ordonner la production de documents. Ils ne prévoient aucune exception pour aucune catégorie de documents gouvernementaux, même ceux qui ont trait à la sécurité nationale.
Par conséquent, la présidence doit conclure que l'ordre de produire les documents en question s'inscrit parfaitement dans le cadre des privilèges de la Chambre [...]
Ayant donc établi que c'est à la Chambre de décider comment exercer son pouvoir d'exiger la production de documents, comment établir des mécanismes pour assurer le bon équilibre? Les pages 986 et 987 de Bosc et Gagnon traitent des choix offerts aux comités dans les circonstances suivantes, que je vais citer:
Dans les cas où l'auteur ou l'autorité responsable du document refuse d'obtempérer à l'ordre de production de documents d'un comité, ce dernier dispose essentiellement de trois options. La première est l'acceptation des conditions et des motifs invoqués pour justifier le refus; les membres du comité acceptent alors qu'ils n'auront pas accès au document ou qu'ils en prendront connaissance avec des passages expurgés. La deuxième est la recherche d'un compromis acceptable avec la personne ou l'autorité responsable du document afin d'avoir accès à celui-ci. Normalement, cela implique la mise en place de mesures pour assurer la confidentialité entourant la consultation du document, notamment: étude à huis clos, copies limitées et numérotées, arrangements pour se départir desdites copies ou les détruire après la réunion du comité, etc. La troisième option est celle du refus des motifs invoqués pour refuser l’accès au document et du maintien de l’ordre de production de document dans son intégralité.
Comme on s'en souviendra, dans l'affaire des documents de l'Afghanistan en 2009-2010, la Chambre a ordonné qu'une série de quelque 40 000 pages de documents soit produite immédiatement sous forme originale et non censurée, même si leur divulgation complète aurait porté préjudice au Canada et à ses alliés de l'OTAN dans une zone de conflit armé.
Finalement, le Président Milliken a suspendu les effets de sa décision pour permettre qu'une motion soit présentée pour un débat pendant deux semaines afin que les partis trouvent un équilibre approprié. Dans le cas présent, je dirais que l'équilibre approprié a déjà été établi par la Chambre avec l'adoption de la motion de l'opposition la semaine dernière. Comme je l'ai dit, les documents non expurgés ne devraient pas être déposés directement à la Chambre, mais remis au légiste pour qu'il puisse, conformément au paragraphe d) de l'ordre du 2 juin:
examine[r] confidentiellement les documents afin de caviarder les renseignements qui, à son avis, risquent de nuire à la sécurité nationale ou de révéler le contenu d’une enquête criminelle en cours autre que l’existence de cette enquête;
Je souligne d'ailleurs que le fait de traiter le légiste et son bureau comme des intermédiaires de confiance n'est pas sans précédent où c'est inédit. Par exemple, le 26 octobre 2020, la Chambre a adopté un ordre pour que divers documents soient produits afin de soutenir l'examen par le Comité permanent de la santé de la préparation et de la réponse du gouvernement à la pandémie de la COVID-19 et ces documents devaient être remis au bureau du légiste qui, conformément aux paragraphes aa) et ii) de l'ordre, devait faire en sorte que soient:
(ii) approuvés à des fins de protection de la vie privée et de la sécurité nationale et, en ce qui a trait [aux documents sur les vaccins], caviardés en outre de l’information dont on pourrait raisonnablement s’attendre que la divulgation entraverait des négociations contractuelles ou autres entre le gouvernement du Canada et une tierce partie [...]
Une fois l'approbation donnée, il doit les remettre pour dépôt, comme le prévoyait d'ailleurs l'ordre du 2 juin. J'ai cru comprendre que le 28 mai, le légiste a remis 14 tranches de dossiers représentant environ 6 271 documents pour dépôt. Bien que j'aie entendu qu'il reste près de 2 000 documents à approuver et à traduire, en plus des très nombreux documents que le gouvernement doit toujours produire, cette entente que nous avons dûment votée et adoptée semble fonctionner.
Le 19 novembre 2020, le Comité permanent des finances a accepté que le légiste étudie une version moins censurée des documents qui avait été remis au comité de la session précédente pendant l'étude initiale du scandale de l'organisme UNIS du Parti libéral.
Comme je l'ai précisé plus tôt, le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes a aussi cherché à utiliser l'aide du légiste. Dans les propres termes du légiste, comme il l'a expliqué à la réunion du comité spécial le 31 mars, on peut lire à la page 9 des Témoignages:
S'agissant de sécurité nationale et d'autres motifs, mon bureau agit essentiellement en qualité de « ministère de la Justice » de l'organe législatif, et nous dispensons des services et des conseils juridiques aux comités dans tous leurs domaines du droit, notamment à propos de tous les motifs possibles de confidentialité que ces comités ou la Chambre peuvent décider d'accepter ou de rejeter. Nous sommes prêts et en mesure de fournir des conseils juridiques sur l'interprétation de ces concepts, y compris en matière de sécurité nationale, de sensibilité commerciale et autres.
Cela dit, il se peut fort bien que le gouvernement ou d'autres entités disposent de renseignements factuels et de connaissances que nous n'avons pas, parce qu'il peut s'agir de renseignements et de préoccupations qui leur sont propres, et ces autres entités sont peut-être bien placées pour nous en parler en ce qui concerne les projets de caviardage ou les aspects préoccupants proposés. C'est bien sûr une chose que le Comité peut envisager, c'est-à-dire que mon bureau peut vous donner des conseils sur la portée et l'application de ces motifs, mais cela n'empêchera pas le gouvernement ou un témoin de proposer autre chose et de soulever une préoccupation, quoique le dernier mot sur l'acceptation ou le rejet de cette interprétation reviendra toujours à votre Comité et, ultimement, à la Chambre.
Une fois les documents produits, en vertu de l'ordre du 2 juin, le légiste informerait le comité spécial de l'information censurée pour que ses membres comprennent les enjeux sans divulguer d'information sensible.
Avec une vue d'ensemble, le comité spécial serait donc habilité à utiliser l'information pour faire un rapport complet à la Chambre, sans compromettre la sécurité nationale ou nuire à une enquête criminelle. C'est là le cœur de l'opération: avoir accès à une information pertinente, mais sans nuire à la sécurité nationale et à d'autres éléments sur des enquêtes criminelles.
Si cela ne suffit pas pour les ministres libéraux, je me permets de citer les propos très éloquents du Président Milliken à la page 2042 des Débats du 27 avril 2010:
Le député de Kootenay—Columbia soutient que, même si les documents étaient fournis au Comité, celui-ci ne pourrait pas en faire un usage public en raison de leur caractère sensible. Je ne puis toutefois pas souscrire à la conclusion du député voulant que le gouvernement soit dès lors dispensé de l'obligation de fournir les documents dont la Chambre a ordonné la production. Accepter cette ligne de pensée reviendrait à miner complètement l'importance du rôle qu'ont les parlementaires d'obliger le gouvernement à rendre des comptes.
Le même Président Milliken a ajouté ce qui suit à la page 2045:
Insinuer que des députés seraient incapables de respecter la confidentialité de l'information même dont ils pourraient avoir besoin pour agir au nom des Canadiens va à l'encontre de la confiance inhérente qu'ont les Canadiens envers leurs élus et dont les députés ont besoin pour s'acquitter de leurs fonctions parlementaires.
À mon humble avis, l'équilibre approprié a déjà été établi par la Chambre, et c'est maintenant à cette dernière de décider comment procéder.
Quoi faire?
MM. Bosc et Gagnon offrent des solutions possibles à la page 139 de leur ouvrage fort important:
Si l'ordre de la Chambre n'est pas respecté, elle peut exercer son pouvoir de prendre des mesures disciplinaires. Les personnes visées peuvent être appelées à la barre de la Chambre, inculpées pour outrage ou autrement punies. En 1891, par exemple, un témoin devant un comité a été appelé à la barre de la Chambre pour avoir refusé de fournir des documents que le comité lui avait demandés. En 2004, la Chambre a inculpé trois entreprises d'outrage à la Chambre pour avoir aussi refusé de fournir des documents à un comité.
J'ai déjà parlé de ce procédé de 2004 et de l'affaire du XIXe siècle résumée à la page 131 de Bosc et Gagnon:
En 1891, Michael Connolly, appelé à témoigner devant le Comité des privilèges et élections, refuse de lui remettre certains documents. Le Comité saisit la Chambre de la situation et lui demande de « prendre une décision [...] » de comparaître de la barre de la Chambre. Il s'y présente comme convenu, répond aux questions, obtient l'autorisation de se faire aider par un procureur et reçoit l'ordre de produire les livres de comptes qu'exigeait le Comité.
Ceux qui aimeraient avoir plus de détails peuvent consulter les Journaux du 5 juin 1891, aux pages 204 et 205, du 8 juin 1891, à la page 208, et du 16 juin 1891, aux pages 211 et 212. Au soulagement de tous, nous voyons à la page 214 que, le 17 juin 1891, monsieur Connelly a remis les documents requis après avoir été convoqué à la barre et questionné.
Comme on s'en souvient, en 1991 et en 2010, une entente efficace a finalement été conclue. D'un autre côté, en 2011, la Chambre a reconnu la conclusion d'un comité que le gouvernement faisait outrage à la Chambre et a réitéré sa confiance.
[Traduction]
Bien sûr, l'outrage et la confiance ne sont pas forcément les deux côtés d'une même médaille. Comme nous en avons été témoins à Westminster, en 2018, lorsque des ministres ont été reconnus coupables d'outrage, le gouvernement a pu facilement rester au pouvoir.
Néanmoins, il nous incombe d'agir. Comme l'écrit Maingot à la page 250:
La désobéissance aux règles ou aux ordres constitue un affront à la dignité de la Chambre, qui peut donc y donner suite, non seulement pour sa propre satisfaction, mais pour veiller à ce qu'on lui témoigne le respect nécessaire à la sauvegarde de son autorité et à défaut duquel la Chambre ne pourrait remplir sa mission.
J'en viens donc à la solution que je suis prêt à proposer dans une motion, si vous concluez de prime abord à un outrage.
Afin de donner aux députés un préavis suffisant concernant l'orientation possible du débat, la motion que j'entends présenter prévoit ceci: a) elle reconnaîtrait l'Agence de la santé publique du Canada coupable d'outrage; b) elle ordonnerait à la de se présenter à la Chambre à la place de l'Agence pour produire les documents qui ont été exigés; c) elle obligerait ensuite la ministre à se faire questionner par la Chambre; d) enfin, elle énoncerait les procédures à suivre pour la séance de questions parce que les anciennes pratiques qui régissent l'interrogation des témoins convoqués à la Chambre des communes, que les curieux trouveront en fouillant dans l'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada de Bourinot, ne cadrent pas bien avec nos règles et nos façons de faire contemporaines.
En résumé, premièrement, la Chambre a adopté un ordre valide le 2 juin dernier en vertu de son pouvoir ancien, constitutionnel, incontestable et illimité d'exiger la production de documents.
Deuxièmement, selon le légiste, l'Agence de la santé publique du Canada n'a pas respecté l'ordre qui s'adressait à elle.
Troisièmement, le fait de ne pas avoir respecté l'ordre légitime de production de documents adopté par la Chambre sans excuse valable constitue un outrage au Parlement.
Quatrièmement, en tant que grand enquêteur du pays, la Chambre exerce habituellement son pouvoir d'exiger la production de documents de façon responsable pour tenir compte du devoir de l'exécutif en tant que défenseur du royaume. À mon avis, nous avons atteint cet équilibre grâce à l'ordre initial adopté par la Chambre la semaine dernière.
[Français]
Cinquièmement, les raisons du gouvernement pour ne pas respecter l'ordre, quelles qu'elles soient, à mon humble avis, sont inadéquates et ne respectent pas le seuil d'une excuse raisonnable, surtout à la lumière des mécanismes établis par la Chambre pour le traitement responsable des documents exigés. Il ne fait aucun doute que l'idée d'avoir recours au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement n'est pas une option acceptable puisque, comme nous l'avons démontré, celui qui a le dernier mot, c'est le premier ministre.
Sixièmement, dans tous les cas, seule la Chambre, et pas le gouvernement ni le Président, peut juger du respect de ces ordres de produire des documents.
Septièmement, la Chambre prend ses décisions par l'intermédiaire de motions, de débats et de votes. De prime abord, le manquement à l'exécution d'un ordre de la Chambre est, à mon humble avis, une présomption d'outrage sur laquelle la Chambre doit rendre une décision.
Huitièmement, contrairement au cas soumis au Président Milliken, en 2010, relativement à une motion demandant le dépôt public d'exemplaires non censurés d'environ 40 000 pages de secrets militaires sur le conflit militaire armé actif dans lequel le Canada et ses alliés de l'OTAN étaient engagés, il n'est pas nécessaire de suspendre l'effet de toute conclusion, car la Chambre a déjà tenu compte des conditions requises pour la sécurité et l'information sensible.
[Traduction]
Neuvièmement, la Chambre peut envisager en conséquence des sanctions appropriées pour le non-respect de son ordre, notamment conclure à un outrage, ordonner à une personne responsable de se présenter à la Chambre pour répondre à des questions, et, pour donner encore une autre chance, ordonner encore une fois la production des documents.
En terminant, je voudrais citer directement l'ancien collègue du caucus du lorsqu'il a soulevé la première des trois questions de privilège, qui ont mené à la célèbre décision du Président Milliken en 2010. Ces paroles, que l'on retrouve à la page 610 du hansard du 18 mars 2010, s'appliquent tout aussi bien aujourd'hui. Voici ce qu'il a dit:
[Français]
Enfin, il n'y a pas d'endroit dans ce pays où cette question peut-être soulevée et traitée. Il n'y a aucun ministère et aucun tribunal qui a le droit d'intervenir à cet égard. Il n'y a personne d'autre qui puisse venir à la Chambre pour protéger les fondements constitutionnels de notre pays. Il n'y a que les 308 députés de la Chambre. Cela signifie donc que si nous ne défendons pas le rôle de notre Parlement au nom des Canadiens, il n'y aura personne d'autre pour le faire. C'est donc une plainte visant une tentative en vue de saper les travaux du Parlement et de ses comités que je présente à la Chambre aujourd'hui. Si nous ne faisons rien, ces efforts auront porté fruits. Nous ne pouvons pas laisser une telle chose se produire.
Madame la Présidente, vous avez une décision importante à prendre. Je sais que ce sera peut-être difficile, mais je sais aussi que vous allez faire ce qu'il faut pour que s'impose cette Chambre.
La Chambre des communes, les Canadiens, et des centaines d'années de gouvernement parlementaire constitutionnel attendent que vous nous permettiez, par l'intermédiaire d'un débat sur cet outrage donnant matière à question de privilège, de défendre ces anciens droits des représentants élus de la population.