Privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction et l’ingérence : impact du recours à l’attribution de temps sur les partis non reconnus et les députés indépendants
Débats, p. 9830–9831
Contexte
Le 15 septembre 2014, Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands) soulève une question de privilège concernant l’impact qu’entraîne le recours abusif à l’attribution de temps par le gouvernement sur la capacité des députés de débattre suffisamment des questions et, par conséquent, de s’acquitter de leur responsabilité constitutionnelle d’obliger le gouvernement à rendre des comptes. Mme May soutient que le recours à l’attribution de temps affecte de manière disproportionnée les députés n’appartenant pas à un partis reconnu et les indépendants. Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) affirme qu’étant donné que les règles de la Chambre ont été parfaitement respectées dans l’application de l’attribution de temps, les privilèges des députés n’ont nullement été touchés et que la présidence n’a pas le pouvoir d’agir de façon unilatérale. Il réitère aussi que le recours à l’attribution de temps par le gouvernement n’est qu’un instrument servant à gérer de manière ordonnée et prévisible le programme législatif. Après avoir entendu les observations d’un autre député, le Président prend l’affaire en délibéré[1].
Résolution
Le 26 novembre 2014, le Président rend sa décision. Il déclare qu’étant donné qu’il n’entre pas dans le mandat de la présidence de juger du caractère adéquat du débat tenu sur une question, il ne peut s’ingérer dans le recours à l’attribution de temps, si toutes les exigences de procédure ont été respectées. Par conséquent, il conclut qu’il n’y a pas de prime abord matière à question de privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 15 septembre 2014 par la députée de Saanich—Gulf Islands au sujet du recours à l’attribution de temps.
Je remercie l’honorable députée d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes et le leader à la Chambre de l’Opposition officielle pour leurs interventions.
Lorsqu’elle a soulevé la question, la députée de Saanich—Gulf Islands a soutenu que la restriction du débat occasionnée par le recours fréquent à l’attribution de temps par le parti ministériel empêchait les députés de débattre adéquatement des questions et constituait pour cette raison une atteinte à leur droit fondamental et incontestable privilège, voire obligation, d’exiger du gouvernement qu’il rende des comptes. Elle a affirmé que cela entravait la capacité des députés d’exécuter leurs fonctions parlementaires, surtout dans le cas des députés des petits partis et des députés indépendants.
Le leader du gouvernement à la Chambre a répliqué qu’il n’y avait pas eu atteinte aux privilèges des députés étant donné que le recours à l’attribution de temps s’effectuait selon les règles de la Chambre, et a signalé que la présidence n’avait pas le pouvoir d’intervenir unilatéralement en ce qui concerne le recours à cette procédure. Par ailleurs, il a fait valoir que le recours à l’attribution de temps par le parti ministériel était simplement « une procédure permettant de gérer de façon ordonnée et prévisible le programme législatif ». Puis, faisant allusion à ma décision du 23 avril 2013, il a indiqué que chaque député avait en fin de compte le droit d’attirer l’attention du Président à tout moment de la séance.
Pour sa part, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a appuyé le point de vue de la députée de Saanich—Gulf Islands selon lequel le présent recours à l’attribution de temps brime les droits des députés de prendre la parole et de représenter les électeurs de leur circonscription.
Déjà en 1993, le Président Fraser s’est prononcé sur les limites du pouvoir du Président en ce qui concerne le recours à l’article 78 [du Règlement][2] par le parti ministériel. Le 31 mars 1993, il a déclaré, à la page 17861 des Débats de la Chambre des communes :
Je dois faire savoir à la Chambre que le Règlement est clair. Le gouvernement est tout à fait libre de l’invoquer. Je ne vois aucun moyen légal me permettant d’autoriser unilatéralement une infraction à une règle très claire.
Le 1er mars 2001, le Président Milliken a confirmé cette interprétation lorsqu’il a déclaré, à la page 1415 des Débats :
Les règles et usages établis par la Chambre en matière d’attribution de temps ne donnent aucune marge de manœuvre au Président sur cette question.
Les députés savent par ailleurs qu’il ne revient pas au Président de juger si une question a été suffisamment débattue ou non. Pas plus tard que le 12 juin dernier, j’ai déclaré, à la page 6717 des Débats :
Quant à la question de savoir pendant combien de temps il faut débattre d’une mesure avant qu’un avis de motion d’attribution de temps puisse être donné, on demande à la présidence de se prononcer sur une question qui n’est régie par aucune règle de procédure ni pratique explicites, et à l’égard de laquelle il n’a donc aucun pouvoir. C’est la Chambre qui détient ce pouvoir et, par conséquent, c’est elle qui doit continuer de décider à quel moment les projets de loi ont fait l’objet d’un examen suffisant.
Les précédents dont je dispose pointent tous dans la même direction. À la page 648 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, on trouve un résumé succinct de la jurisprudence en la matière :
Lorsqu’on lui demande de se prononcer sur la recevabilité d’une motion tendant à limiter le débat, le Président n’a pas à juger de l’importance de l’affaire à l’étude ou si une période de temps raisonnable est consentie pour le débat, mais uniquement de la recevabilité de la procédure. Des Présidents ont donc statué qu’une motion recevable tendant à limiter la participation des députés au débat sur une motion dont la Chambre est saisie ne constitue pas de prime abord une atteinte au privilège parlementaire.
Comme la présidence ne dispose d’aucune preuve démontrant que la capacité des députés, y compris des députés indépendants, à exécuter leurs fonctions parlementaires a été compromise, je ne puis conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.
Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Débats, 15 septembre 2014, p. 7316–7321.
[2] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 78.