Le programme quotidien / Activités quotidiennes

Questions orales : interventions du Président sur la recevabilité des questions portant sur le Sénat

Débats, p. 2202–2205

Contexte

Le 9 décembre 2013, Nathan Cullen (Skeena—Bulkley Valley) invoque le Règlement afin d’obtenir des précisions concernant le déroulement des Questions orales. Il soulève en particulier les interventions du Président quant aux questions portant sur l’engagement du bureau du premier ministre en lien avec les actions de certains sénateurs[1]. Le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 28 janvier 2014. Il rappelle que le but principal de la période des questions est de demander des comptes au gouvernement en posant des questions sur des sujets relevant de sa responsabilité. Les questions qui ne remplissent pas cette exigence sont irrecevables. Les questions dites hybrides, dont le préambule porte sur un sujet autre que la responsabilité administrative du gouvernement, mais qui se termine en faisant un lien avec celle-ci, risquent également d’être jugées irrecevables. En conséquence, il invite les députés à établir rapidement le lien entre leur question et la responsabilité administrative du gouvernement étant donné le court laps de temps dont dispose le Président pour en établir la recevabilité.

En ce qui concerne les réponses aux questions orales, le Président indique qu’il suivra la pratique longuement établie de ne pas intervenir et qu’il ne peut que suivre les usages et les lignes directrices que la Chambre souhaite voir appliquer. Il souligne enfin qu’il appartient à tous les députés d’élever la qualité des questions et des réponses de sorte que la population canadienne puisse conclure qu’il s’agit d’un emploi judicieux du temps de la Chambre.

Décision de la présidence

Le Président : Le 9 décembre 2013, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a évoqué divers problèmes concernant la période des questions. D’autres députés de tous les partis à la Chambre m’abordent également de temps à autre pour me faire part de préoccupations semblables. Devant cette volonté d’obtenir des éclaircissements au sujet des règles et des usages qui encadrent le déroulement de la période des questions, je me suis engagé à revenir sur le sujet à la Chambre. J’aimerais donc maintenant prendre quelques minutes pour parler des principes régissant cette activité.

Il est bon de commencer par le chapitre 11 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, où l’on retrace l’évolution de la période des questions d’un point de vue historique. Ce que l’on constate immédiatement, c’est que la pratique des questions orales posées au gouvernement par les députés faisait déjà partie des activités quotidiennes de la Chambre avant la Confédération. La longévité et le maintien de cette pratique découlent des principes mêmes qui sont à la base de notre démocratie parlementaire.

Ainsi qu’on le précise à la page 491 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition :

Le droit d’obtenir des renseignements du gouvernement et le droit de le tenir responsable de ses actes sont deux des principes fondamentaux du gouvernement parlementaire. Les députés exercent ces droits principalement en posant des questions à la Chambre. On ne saurait trop insister sur l’importance des questions dans le système parlementaire. En effet, obtenir des renseignements ou des explications au moyen de questions constitue un aspect vital des fonctions des députés.

Cependant, on ne saurait conclure que le déroulement de la période des questions n’est que récemment devenu un objet de débat public. Au contraire, presque tous les Présidents, à un moment ou un autre, ont formulé des observations sur la période des questions.

Dans les années 1870, par exemple, aux balbutiements de la période des questions, le Président Anglin avait déclaré que les députés devaient se limiter à demander de l’information au gouvernement et qu’il ne convenait pas « [de] commencer à faire des commentaires sur la conduite du gouvernement ». Dans les années 1940, le Président Glen soulignait la nécessité que les questions soient brèves, en plus d’être « libres de considérants ». Il a toujours été entendu, évidemment, que les questions devaient se rapporter à des affaires « urgentes et importantes ». D’autres lignes directrices sont apparues ou disparues au gré des époques.

Au début des années 1960, le Président Macnaughton a tenté sans succès de mettre en application une série de règles anciennes et non écrites pour régir le contenu des questions.

En 1964, un rapport d’un comité spécial établissait des lignes directrices relatives aux questions, et allait jusqu’à affirmer : « les réponses aux questions devraient être aussi concises que possible, traiter du sujet en cause et ne pas entraîner de débat ».

Dans l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, à la page 495, on indique qu’au cours des années 1970, la période des questions devient de plus en plus « une tribune ouverte où toutes sortes de questions peuvent être posées », et ce, en dépit du fait que le Président Jerome avait énoncé quelques principes fondamentaux de la période des questions et établi des lignes directrices pour régir le déroulement de cette activité. Nombreux sont ceux qui ont attribué ces changements à l’arrivée de l’ère de la télévision mais, quelle qu’en soit la cause, la tendance à une période des questions plus libre s’est poursuivie malgré la déclaration faite au milieu des années 1980 par le Président Bosley pour mettre un frein à l’indiscipline.

Il suffit de lire la section intitulée « Les principes et lignes directrices » régissant les questions orales, aux pages 501 à 504 de l’O’Brien et Bosc, pour voir la quantité de ces « lignes directrices » qui sont tombées dans l’oubli, certaines d’entre elles tout récemment. À travers tous ces changements, une chose demeure certaine : le Président, en tant que serviteur de la Chambre, peut seulement faire appliquer les pratiques et les lignes directrices que la Chambre souhaite voir appliquer. Bien souvent, les circonstances particulières du moment déterminent jusqu’où peut aller le Président sans limiter indûment la liberté de parole des députés.

Cependant, lorsque le contenu crée le désordre, le Président doit intervenir tout en respectant les limites de nos règles et usages. Cela est d’autant plus nécessaire que cette Chambre est l’une des rares assemblées délibérantes de type britannique où ni la question ni son sujet n’ont à être présentés à l’avance. Il en résulte assurément un exercice parlementaire très animé qui obtient d’excellentes cotes d’écoute, mais la tâche du Président ne s’en trouve guère facilitée.

Le but principal de la période des questions vise sans aucun doute à permettre au palier législatif d’obtenir des renseignements de l’exécutif et à exiger que le gouvernement rende des comptes. Cette occasion est particulièrement importante pour les partis de l’opposition. Nous reconnaissons tous que l’opposition a le droit, et même le devoir, de questionner le gouvernement sur sa conduite, et qu’aucun effort ne doit être ménagé pour appliquer nos règles de manière à protéger ce droit. Mais on peut uniquement exiger du gouvernement qu’il rende des comptes sur des questions relevant de sa responsabilité administrative.

C’est pour cette raison, par exemple, que mes prédécesseurs et moi-même avons souvent jugé irrecevables des questions sur les dépenses électorales. Élections Canada est un organisme indépendant et non partisan qui relève du Parlement. Bien que, techniquement, il y ait un ministre responsable d’Élections Canada — qui communique les prévisions budgétaires de l’organisme, par exemple —, il n’en reste pas moins que le directeur général des élections doit rendre des comptes à la Chambre par l’entremise du Président. Ainsi que le Président Milliken l’a souligné dans une décision rendue le 22 octobre 2007, à la page 209 des Débats, on peut difficilement poser au gouvernement des questions concernant Élections Canada, à moins qu’elles portent sur la responsabilité administrative du gouvernement — sur des changements visant à modifier la loi régissant Élections Canada, par exemple.

C’est pour des motifs comparables que les questions sur les affaires internes des partis, les dépenses des partis, les délibérations du Sénat ou les actes des sénateurs, et même les actes des autres députés, risquent d’être jugées irrecevables. En ce qui concerne ce dernier point, comme l’a déclaré le Président Milliken dans sa décision rendue le 14 juin 2010, à la page 3778 des Débats, « l’utilisation par les députés […] de préambules à des questions pour attaquer d’autres députés ne donne pas à ces derniers l’occasion de répondre directement à ces attaques ». Donc, à moins qu’un lien avec la responsabilité administrative du gouvernement soit établi au début d’une question pour la justifier, les questions de ce genre peuvent être jugées irrecevables et l’ont effectivement été par les différents Présidents au fil du temps. Je l’ai appris moi-même à mes dépens une fois lorsqu’à mes débuts dans l’opposition une de mes questions a été jugée irrecevable par le Président Milliken.

Comme toujours, néanmoins, le Président fait face à de nombreuses difficultés lorsqu’il s’agit d’appliquer les règles fixées par la Chambre. Chaque fois que le Président déclare une question irrecevable, le député concerné invoquera une raison légitime pour la justifier. Il dira qu’il en va de l’intérêt public, que les Canadiens ont le droit de savoir, qu’il n’y a plus de distinction entre assumer le rôle de chef d’un parti et diriger un parti à la Chambre, et ainsi de suite.

Mais le Président doit souscrire au principe établi de longue date que la période des questions vise à exiger que le gouvernement rende des comptes. Il me faut donc évaluer si une question concerne un ministère ou encore l’exercice de fonctions ministérielles par un ministre, en sa qualité de ministre et non pas simplement en tant que figure politique ou membre d’un parti politique. Le Président doit se demander s’il s’agit vraiment de ce type de responsabilité administrative, ou si la question porte plutôt sur les élections, les finances d’un parti ou un autre sujet sans lien avec la responsabilité administrative du gouvernement en tant que telle.

Ces principes s’appliquent à quiconque a l’occasion de poser une question durant la période des questions — les simples députés du parti au pouvoir y compris. De fait, parce que la période des questions a comme but premier d’être la tribune par laquelle le pouvoir législatif peut exiger des comptes de l’exécutif, elle est censée constituer l’occasion — pour les simples députés appartenant au parti au pouvoir qui ont la chance d’obtenir la parole — de poser des questions rigoureuses au gouvernement sur des sujets relevant de sa responsabilité administrative. Ceci dit, il n’est pas étonnant d’entendre ces députés poser ce que l’on pourrait appeler des questions « aimables » étant donné que, après tout, ils appuient le gouvernement.

Toutefois, nous avons récemment été témoins d’une nouvelle tendance : les questions sont précédées d’un préambule dans lequel on déploie des efforts considérables pour critiquer l’opinion, les déclarations ou les actions d’autres partis, de députés d’autres partis et même, à quelques reprises, de simples citoyens, après quoi on conclut par une brève question sur les politiques du gouvernement.

Nous sommes donc en présence d’une question hybride, où le préambule porte sur un sujet qui n’a rien à voir avec la responsabilité administrative du gouvernement, mais dont les cinq ou dix dernières secondes contiennent une question qui sur le plan de la forme parvient à se rapporter à la responsabilité administrative du gouvernement.

La Chambre doit se demander si un auditeur raisonnable considérerait qu’une telle question, dans son ensemble, soit le long préambule ainsi que la question superficielle, respecte les principes qui régissent la période des questions. Je ferai observer que cette formulation, en fait, porte sur les autres partis et leurs opinions, et non pas sur le gouvernement — que je dois parfois déclarer ces questions irrecevables.

Pour compliquer les choses, comme je l’ai indiqué le 1er décembre 2011, à la page 3875 des Débats de la Chambre des communes, le Président est appelé à trancher, à la va-vite, sur l’admissibilité des questions. À cet égard, puisque les députés ont bien peu de temps pour poser leurs questions, et que la présidence a encore moins de temps pour rendre des décisions sur leur recevabilité, il sera utile qu’on précise le plus tôt possible le lien avec la responsabilité administrative du gouvernement.

Par conséquent, ce type de questions continuera de risquer d’être déclaré irrecevable et les députés devraient s’assurer d’établir le lien à la responsabilité administrative du gouvernement le plus tôt possible.

En gardant cette approche à l’esprit, je me pencherai maintenant sur les réponses aux questions.

Dernièrement, on a beaucoup parlé de la nature des réponses données lors de la période des questions, au point où on a réclamé l’intervention du Président en invoquant à l’appui les pratiques suivies dans d’autres pays.

Il est vrai qu’il peut y avoir de légères divergences dans la façon dont la période des questions est régie ailleurs en raison de l’ensemble des traditions propres à chaque pays, mais il est tout aussi indéniable que, dans un parlement de type britannique, la pratique et la tradition généralisées veulent que la présidence ne juge pas de la qualité ou de la pertinence des réponses.

Par exemple, à la page 565 de l’ouvrage Parliamentary Practice in New Zealand, troisième édition, il est écrit ce qui suit :

Bien que les ministres soient tenus de « traiter » de la question posée dans leur réponse, déterminer si la réponse fournie « répond » véritablement à la question posée relève d’un jugement subjectif. Il n’incombe pas au président de porter un tel jugement.

L’Afrique du Sud suit une pratique similaire et, selon l’ouvrage National Assembly Guide to Procedure de 2004, à la page 211 : « la présidence est liée au bon déroulement des travaux de la Chambre, [mais] elle n’a pas le pouvoir de dicter aux ministres la façon dont ils doivent répondre aux questions. »

Au Royaume-Uni, Erskine May, dans son ouvrage Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 24e édition, à la page 356, affirme ce qui suit :

La responsabilité du président à l’égard des questions se limite à leur conformité aux règles de la Chambre. La responsabilité quant aux autres aspects de la question incombe au député qui la pose, et la responsabilité quant à la réponse incombe aux ministres.

Chaque parlement détient ses propres traditions. Au fil du temps, les Présidents de notre Chambre ont maintenu la tradition de ne pas intervenir dans les réponses aux questions et je n’ai pas l’intention d’agir autrement. Pour que je m’écarte de cette pratique établie de longue date, il faudrait que j’y sois invité par la Chambre, probablement à la suite d’un examen des règles par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Compte tenu de l’inquiétude généralisée et des nombreux commentaires sur la période des questions, j’inviterais les députés à réfléchir à la façon dont la Chambre pourrait améliorer la situation afin que les observateurs puissent au moins convenir que la période des questions présente un échange de points de vue et fournit de l’information. Il incombe à tous les députés d’élever la qualité tant des questions que des réponses.

Bien que le cadre, les mécanismes et les procédures liés à la période des questions aient évolué au fil des ans, sa raison d’être et ses fondements sont demeurés intacts. Tous les députés, à la fois ceux du gouvernement et ceux de l’opposition, doivent s’interroger : la population canadienne, lorsqu’elle regarde la période des questions, peut-elle conclure que celle-ci constitue un emploi judicieux du temps des députés?

Le principe entier de la responsabilité gouvernementale repose sur l’obligation qui incombe au gouvernement de rendre des comptes sur l’argent dépensé et d’exposer les motifs des décisions. Selon la présidence, l’opposition et le gouvernement doivent collaborer afin de démontrer leur volonté de relever le ton, de rehausser la substance de la période des questions et de s’assurer que nous nous en servons afin de remplir les fonctions pour lesquelles nous avons été élus, c’est-à-dire représenter nos électeurs, promouvoir des idées et obliger le gouvernement à rendre des comptes.

Enfin, je continuerai de déclarer irrecevables les questions qui sont sans lien direct avec la responsabilité administrative du gouvernement. Parallèlement, les questions dites « hybrides » continueront de risquer d’être déclarées irrecevables lorsque le lien ne sera pas rapidement établi. Les députés doivent faire attention à la formulation de leurs questions et établir ce lien dès que possible afin d’éviter que la présidence ne juge irrecevable une question qui aurait pu être légitime.

Il incombe à tous les députés d’élever la qualité des questions et des réponses durant la période des questions. La présidence note avec intérêt que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a reçu comme instruction d’entreprendre l’examen du Règlement. À titre de serviteur de la Chambre, la présidence s’efforcera de mettre en œuvre toute modification au Règlement ou à la période des questions que la Chambre décidera d’adopter.

Je remercie les honorables députés de l’attention qu’ils ont portée à ce sujet important.

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[1] Les questions portaient notamment sur un courriel envoyé par un sénateur à tous les parlementaires au sujet d’une députée (voir la décision à ce sujet), ainsi que sur les dépenses d’un sénateur, Débats, 9 décembre 2013, p. 1928–1929.

[2] Débats, 9 décembre 2013, p. 1935.