SRID Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 31 octobre 2001
La présidente (Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.)): La séance est ouverte.
C'est la treizième réunion du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entreprenons une étude des droits de la personne, du développement et des questions connexes en Colombie.
Aujourd'hui, nous avons trois invités. Jan Egeland est conseiller spécial auprès du secrétaire général des Nations unies pour l'aide internationale à la Colombie.
Je pourrais peut-être vous demander de présenter les deux personnes qui vous accompagnent et de préciser le rôle qu'elles jouent.
M. Jan Egeland (conseiller spécial du secrétaire général sur la Colombie, Nations unies): Merci beaucoup, madame la présidente et honorables députés.
Je suis très heureux d'être ici avec James LeMoyne, mon conseiller spécial adjoint. En réalité, il est bon pour vous et pour les personnes qui prennent les comptes rendus de savoir que mon titre est maintenant abrégé. Je suis conseiller spécial du secrétaire général sur la Colombie—et non plus pour l'aide internationale à la Colombie—il est conseiller spécial adjoint sur la Colombie et madame Angela Kane est directrice de la Division des Amériques et de l'Europe au Département des affaires politiques du Secrétariat des Nations unies à New York.
La présidente: Voulez-vous répéter cela, s'il vous plaît?
M. Jan Egeland: Madame Angela Kane est directrice de la Division des Amériques et de l'Europe au Département des affaires politiques de Kofi Annan à New York.
La présidente: Merci.
M. Jan Egeland: Nous sommes très heureux d'être ici pour plusieurs raisons. L'une d'elles est que le Canada joue, a joué et, nous l'espérons, continuera de jouer un rôle important dans la recherche de la paix et de la réconciliation et aussi dans le respect des droits de la personne en Colombie.
• 0745
Le Canada est l'un des partisans les plus loyaux des travaux
effectués par les Nations unies là-bas. Les Nations unies ont
quelque 14 programmes et agences actifs en Colombie, sur tous les
sujets de préoccupation, je dirais, pour la communauté
internationale—les enfants, les civils en général dans le conflit
armé, les drogues, les droits de la personne en général, les
personnes déplacées, le développement, etc.
J'ai moi-même été nommé par le secrétaire général en décembre 1999. C'est un grand pas que la Colombie a franchi pour demander et approuver un tel poste. Auparavant, la Colombie ne voulait pas d'implication politique du secrétaire général dans le conflit de la Colombie mais, étant donné le nouveau processus de paix amorcé par le président Pastrana en 1998 et en 1999, elle a pris cette mesure et le secrétaire général m'a demandé d'être son conseiller spécial pour ce pays.
Mon travail, avec mes aides qui sont ici, consiste à faire le lien entre le secrétaire général et les parties au conflit. Nous figurons parmi les rares—pendant un bon moment nous étions probablement les seuls—dans la communauté internationale à faire la navette entre le président, les chefs des forces armées et le gouvernement civil, d'une part, les chefs des FARC et de l'ELN, d'autre part.
Nous avons établi un certain climat de confiance de tous les côtés mais nous n'effectuons pas de médiation et nous n'avons pas de rôle officiel de tierce partie cherchant à mettre fin au conflit. Nous sommes des facilitateurs, ce qui signifie que nous avons pris l'initiative d'un certain nombre de rencontres et de séminaires et que nous sommes arrivés avec des tas de propositions pour les parties, mais notre travail est une mission discrète pour laquelle nous ne recherchons pas de publicité.
À l'heure actuelle, le processus de paix est cependant de nouveau en crise. C'est la plus récente crise parmi plusieurs. Actuellement, les contacts entre l'ELN, deuxième force de guérilla, et le gouvernement sont suspendus. Nous travaillons entre autres au rétablissement des relations.
Il y a également des problèmes entre les FARC et le gouvernement, puisqu'il n'y a pas de négociations pour l'instant et que l'horloge continue d'égrener le temps vers une date butoir fixée par le gouvernement pour la zone située au sud de la Colombie, sorte de zone libre pour les négociations—zone assez vaste où les FARC pouvaient jouir d'une relative tranquillité pendant qu'elles étaient supposées négocier des ententes avec le gouvernement pour mettre fin à la guerre.
Un certain nombre de différends ont ralenti considérablement les progrès, mais nous estimons qu'un processus de paix imparfait est mieux qu'une guerre parfaite, et il est important de faire tout notre possible pour appuyer la poursuite du processus de paix que Pastrana a courageusement amorcé en 1998 et en 1999, parce que nous croyons qu'il n'y a pas de solution militaire pour l'une ou l'autre des parties à ce conflit, qui a des racines sociales et politiques profondément ancrées dans la société colombienne.
J'implore le Canada d'augmenter, si possible, son implication et son attention ainsi que les ressources qu'il consacre à la Colombie. Il y a beaucoup de concurrence avec les nombreuses autres régions agitées, mais la Colombie est le plus important conflit dans l'hémisphère occidental. Elle constitue le plus gros problème de l'hémisphère occidental au niveau des droits de la personne; elle présente le plus grave problème de déplacement de l'hémisphère occidental; et elle a le plus gros problème de drogues de l'hémisphère occidental.
• 0750
La communauté internationale devrait faire tout son possible
pour aider les forces de paix et de réconciliation et de respect
des droits de la personne en Colombie, qui sont nombreuses, à
chercher à mettre fin à leur conflit.
Je n'entrerai pas dans les détails ici mais j'espère que, parmi les éléments favorables à une politique conjointe de la communauté internationale sur la Colombie, nous pourrions tous nous efforcer de convaincre les divers groupes et partis politiques présents en Colombie d'élaborer une politique d'État en faveur de la paix et non pas des politiques de paix des divers gouvernements successifs qui changent d'un gouvernement à l'autre.
Les FARC luttent continuellement depuis 1964. Le chef des FARC se bat continuellement plus ou moins depuis 1948. C'est un conflit très long et il faudra du temps pour y mettre fin. L'amertume est grande et la méfiance est grande des deux côtés.
Il faudra une politique d'État en faveur de la paix à long terme. Nous estimons qu'il est très important de pénétrer, peut-être, au coeur du sujet—de faire de son mieux pour empêcher les violations des droits de la personne en faisant tout son possible pour exercer une pression morale sur toutes les parties et tous les acteurs au conflit.
Tous les acteurs sont responsables de graves violations des droits de la personne. D'après les rapports rédigés par des ONG et par nous-mêmes, les forces paramilitaires sont responsables de la majorité des violations des droits de la personne envers les populations civiles. Mais les guérilleros sont également responsables de graves violations généralisées et systématiques des droits de la personne, y compris les enlèvements, qui touchent de vastes segments de la population.
Nous estimons que le gouvernement colombien peut faire davantage pour empêcher les violations des droits de la personne, peut-être commises plus spécialement par les forces paramilitaires mais également par les guérilleros, et nous estimons que les guérilleros peuvent et devraient faire bien davantage pour contrôler leurs fronts afin de ne pas attaquer la population civile.
L'un des éléments pour lequel nous constatons maintenant un consensus national naissant consiste à inciter les parties au conflit à signer un accord humanitaire global, qui sera vraiment une entente sur les droits de la personne, pour protéger la population civile, parce que les victimes les plus nombreuses de ce conflit sont de loin des femmes, des enfants et des réfugiés. Ce ne sont pas les soldats des deux camps.
J'aimerais terminer en disant qu'il existe, à mon avis, trois scénarios. Il y en a un bon, un mauvais et un affreux.
Le bon est encore possible et c'est celui sur lequel nous devrions travailler, à savoir réussir à faire une percée dans les pourparlers avec les FARC avant le 20 janvier, date d'expiration du mandat actuel dans la zone. Cette entente devrait porter précisément sur la protection des droits de la personne de la population civile. Elle permettrait de bâtir une confiance qui pourrait se répercuter également dans d'autres domaines.
Nous nous efforcerons de faire réussir le bon scénario et nous osons espérer que le Groupe des amis, dont fait partie le Canada, continuera également à exercer des pressions systématiques à cette fin.
Il existe également un mauvais scénario, à savoir continuer à faire des faux-pas comme c'est le cas actuellement. Faire des faux-pas avec un processus de paix qui donne de l'espoir mais peu de progrès concrets signifierait que nous continuerons d'assister à des enlèvements masochistes et à des déplacements et à des souffrances permanentes à très grande échelle. La poursuite du conflit signifierait également une grande production probablement croissante de drogues et la production de drogues est vraiment à l'heure actuelle le carburant qui alimente le conflit en Colombie.
• 0755
Il existe également un troisième scénario, à savoir un échec
complet avec une guerre totale très laide, si vous voulez. Je pense
que vous, qui appartenez à l'hémisphère occidental, devriez savoir
que la situation pourrait empirer—peut-être même beaucoup—et
pourrait également affecter la stabilité régionale s'il n'y a pas
de processus de paix avec des contacts entre les parties.
Nous ne croyons pas en ce scénario affreux, mais je pense que nous devons tous en être conscients afin de redoubler d'efforts pour réaliser le bon scénario.
Merci de votre attention. Mes collègues et moi sommes impatients de pouvoir répondre à vos questions.
La présidente: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): On a entendu plusieurs témoins ici et, malgré cela, il est difficile de distinguer les responsabilités. Mais c'est un fait que les civils sont souvent menacés et même tués. C'est un problème.
La semaine dernière, ce qui m'a frappé dans les derniers témoignages, c'est que le simple fait de parler à des organismes internationaux, qu'ils soient du Canada ou d'autres pays, suffit pour que des civils soient menacés et parfois même tués.
Entre autres, ils ont mentionné qu'au début mars, les ONG voulaient faire un congrès pour tenter... J'ai manifesté une inquiétude à ce moment-là. Le fait d'organiser des choses comme celle-là lorsque les leaders de ces différents ONG n'ont pas de sécurité personnelle fait en sorte que certains, si leur vie est menacée, ne peuvent pas s'exprimer librement ou complètement. Lorsqu'on les interroge pour en savoir un peu plus, on sent qu'il y a une forme de mutisme et qu'ils sont plus loquaces en dehors de leur témoignage, ce qui est normal. Si on était dans la même situation... On sent qu'il y a tout le temps une peur, une crainte.
Qu'est-ce qu'on peut faire? J'ai l'impression que si les leaders syndicaux ou les leaders de différents ONG qui font partie de la population civile vivent dans la crainte comme cela, on ne peut pas mettre le doigt sur le fond de leur pensée. Est-ce que je me trompe? Comment peut-on arriver à protéger ces civils pour une chose bien simple: la liberté d'expression?
[Traduction]
M. Jan Egeland: Je vous remercie pour votre question. Je pense qu'elle est cruciale. La peur engendrée par la terreur que bon nombre des groupes armés provoquent chez les défenseurs des droits de la personne est phénoménale. Je dirais que les défenseurs des droits de la personne, les chefs syndicalistes et les leaders autochtones figurent parmi les personnes les plus vulnérables et les plus visées.
Pourtant, je dirais qu'il n'est pas difficile d'obtenir la vérité en parlant aux ONG—et même encore dans les zones de conflit. La peur est grande, mais il y a de nombreuses personnes courageuses et il y a toute une multitude d'ONG dans le pays. Il existe environ 500 à 700 organisations non gouvernementales en Colombie et 40 000 associations enregistrées en comptant les groupes de paysans et autres—et elles représentent toutes leurs groupes, ce qui donne également beaucoup d'espoir, pour l'avenir. Vous avez une société dont le tissu est riche et que l'on peut utiliser pour la réconciliation en agissant de la bonne manière.
Je pense que le Canada devrait continuer à faire campagne pour les droits de la personne auprès du gouvernement, auprès des acteurs armés, auprès des guérilleros; à faire campagne pour que les forces armées agissent davantage afin d'empêcher la violence paramilitaire; à faire campagne également pour que l'on consacre davantage de ressources à la présence des organisations internationales des droits de la personne et autres—et également à la présence d'observateurs internationaux en général.
• 0800
Nous croyons que la présence et les témoins sont importants.
Il y a une présence internationale de plus en plus grande, même
dans les zones très agitées comme la région de Magdalena Medio au
coeur du pays, ou à Putumayo dans le Sud.
Je n'ai pas de solution miracle à vous proposer. Naturellement, c'est un pays dans lequel il y a eu bon an mal an, assez régulièrement, environ 25 000 morts—pour la plupart des meurtres criminels, mais bon nombre sont des meurtres politiques—depuis de nombreuses années.
[Français]
M. Antoine Dubé: Madame?
[Traduction]
La présidente: Continuez, monsieur Dubé. Vous avez encore un peu de temps.
[Français]
M. Antoine Dubé: La question qui se pose actuellement, c'est que les membres du comité envisagent d'aller sur place, en Colombie. On prévoyait y aller fin novembre ou début décembre. Cela ne pose pas de problème pour notre sécurité en tant que parlementaires. Ce n'est pas ce qui est en cause. Mais lorsqu'on entend dire que des témoins subissent des représailles après avoir rencontré des gens, cela me trouble un peu.
[Traduction]
M. Jan Egeland: Très bien.
[Français]
M. Antoine Dubé: Ça, c'est le premier aspect qu'on envisage vraiment. Une demande a été faite pour qu'on puisse y aller.
Ils ont cette fameuse organisation dont vous avez peut-être entendu parler, c'est-à-dire un congrès regroupant les différents ONG. Est-ce qu'il vaudrait mieux que nous attendions ce moment-là pour y aller ou s'il serait préférable que nous y allions le plus rapidement possible? Vous parlez de présence internationale. Au fond, on serait une présence de plus. Qu'est-ce que vous nous conseillez?
[Traduction]
M. Jan Egeland: Mon humble recommandation serait que vous envisagiez d'y aller maintenant, car c'est une période cruciale pour la Colombie. C'est au comité de voir de combien de temps il dispose et de quelle façon vous souhaitez organiser votre travail mais, en général, lorsque je reçois de telles recommandations, que ce soit de parlementaires européens et autres ou de groupes d'ONG ou de fonctionnaires, je leur demande toujours d'aller en Colombie et de parler au plus grand nombre de parties possible, de parler à des représentants du gouvernement, de l'armée, des ONG, des organismes internationaux, de se rendre dans deux ou trois régions à l'extérieur de Bogota et de rencontrer les témoins de la violence et des violations des droits de la personne, qui peuvent également donner des témoignages et sont témoins de la violence dans les deux camps.
Je ne dirais pas que toutes ces personnes courent nécessairement un grand risque en vous rencontrant, mais je vous mettrais en garde de faire preuve de prudence lorsque vous parlez en public. Vous devriez peut-être entendre des témoignages discrètement et avoir des discussions en privé avec le plus de gens possible, et ensuite vous pourriez formuler des recommandations générales et lancer un appel général aux parties au moment de quitter le pays. Évitez de dire que vous avez entendu tel prêtre vous parler en détail de tels ou tels massacres ou actes perpétrés par tel ou tel groupe. Cela pourrait s'avérer dangereux pour cette personne qui se retrouverait seule après votre départ. Je suis certain que vous saurez comment gérer la situation.
Si je puis vous faire une recommandation, je vous dirais que le problème le plus sous-estimé et le plus oublié que connaît aujourd'hui la Colombie est celui des déplacés. Le parlementaire, le chef syndicaliste ou le journaliste bien connu, qui est tué par l'un ou l'autre des groupes, obtient généralement beaucoup d'attention en Colombie, et même dans la communauté internationale. Mais les dizaines de milliers de personnes nouvellement déplacées, des milliers chaque mois, vivent dans l'indifférence.
Il y a actuellement près d'un million de personnes déplacées. Certains parlent de deux millions; d'autres disent qu'il y en a 500 000. Cela dépend de la durée que vous utilisez pour définir une personne déplacée. Si leur village est brûlé et qu'elles sont obligées de quitter leur village pour un autre endroit et commencent lentement à trouver du travail là-bas, pendant combien de temps sont-elles déplacées? Mais si nous disons qu'il y en a un million, c'est l'un des problèmes de déplacement les plus graves au monde.
• 0805
Il y a les victimes oubliées du conflit. Ce sont des personnes
très humbles. Ce sont des paysans et on se préoccupe très peu
d'eux. Si j'étais à votre place, j'essaierais d'en interviewer
quelques-uns. Certains sont chassés par les forces paramilitaires
et d'autres par les guérilleros, certains sont chassés par des
criminels et d'autres par les cultures de plantes destinées au
trafic de drogues. Ils ont tous des histoires à raconter et le
Canada a joué un rôle de premier plan pour ce qui est de fournir un
asile politique aux défenseurs des droits de la personne et aux
personnes menacées. C'est une action à laquelle nous aimerions
vraiment rendre hommage et une chose que nous espérons pouvoir
faire à l'avenir. Je pense que vous pourriez obtenir
personnellement des tas de renseignements d'un voyage en Colombie,
sur les problèmes qui sévissent là-bas.
La présidente: Merci.
Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Je tiens également à souhaiter la bienvenue à monsieur Egeland devant notre comité et à le remercier pour son travail, non seulement sur ce sujet mais sur tant d'autres partout dans le monde—il a des antécédents prestigieux—et de bien vouloir partager avec nous son évaluation de la situation en Colombie.
Comme l'a dit mon collègue monsieur Dubé, notre sous-comité espère être en mesure d'aller dans cette région à la fin du mois prochain. Nous faisons assurément tous face à ce dilemme entre l'impact des témoignages de Colombiens et la menace éventuelle.
En décembre 1999, Kimy Pernia a témoigné devant notre Comité des affaires étrangères. Il nous a alors parlé des répercussions du projet de barrage à Urra et, à l'époque où il nous a parlé, il nous a mentionné que sa vie pourrait être mise en danger par le simple fait de parler franchement. Comme nous le savons tous, il a disparu tragiquement le 2 juin de cette année et on ne l'a pas revu depuis.
Mais, à mon avis personnel—et je ne parle en aucune façon au nom des membres du comité—lorsque nous avons des nouvelles d'ONG, elles nous supplient de venir et d'être témoins des problèmes et de les rencontrer. Même s'il y a des risques, j'espère que nous serons en mesure de le faire.
Un certain nombre de personnes présentes autour de cette table, dont la présidente, se sont rendues en Colombie. J'y suis allé moi-même plus tôt cette année. J'ai voyagé avec notre ambassadeur jusque dans la région de Barranca. Neuf personnes avaient été assassinées de sang-froid par les paramilitaires 24 heures avant notre arrivée. Nous avons également rencontré des personnes déplacées et la situation, comme vous le dites, est catastrophique.
Lorsque nous étions là-bas, nous avons également rencontré Anders Kompass et je dois dire qu'il a exprimé une profonde inquiétude et une grande frustration devant le manque de progrès réalisés pour persuader le gouvernement colombien de mettre en oeuvre les recommandations des années précédentes. Son plus récent rapport est une critique très éloquente et franchement accablante de l'échec, du manque de coopération, mentionnant que son bureau a donné l'emplacement de camps paramilitaires proches des militaires, ce que le gouvernement ignore complètement, et ainsi de suite.
J'ai deux ou trois questions à vous poser. À titre de parlementaires canadiens de tous les partis, nous sommes fiers du leadership que notre gouvernement, en particulier notre ambassadeur Guillermo Rishchynski, a joué en Colombie, mais que devrions-nous faire de plus en termes très concrets? Devrions-nous mettre en place des ressources supplémentaires? Comment se compare le niveau de soutien de notre gouvernement—et nous ne sommes pas ici au nom du gouvernement, nous sommes un comité de parlementaires—pour des projets humanitaires, pour le travail des Nations unies, à la fois le bureau de Kompass et les agences des Nations unies, avec le niveau de soutien des pays scandinaves, de la Hollande et d'autres pays? Que devrions-nous ou pourrions-nous faire de plus à ce stade très critique?
M. Jan Egeland: Je pense vraiment que le Canada fait un excellent travail là-bas. Vous appuyez les bons idéaux et les bons projets et programmes. Je tiens également à louanger le travail de votre ambassadeur, Guillermo Rishchynski, qui est l'un de nos principaux interlocuteurs en Colombie.
Que pourrait-on faire de plus? Nous pouvons tous faire mieux dans de nombreux domaines différents. On pourrait faire davantage pour les personnes déplacées, par exemple. Vous pourriez probablement donner plus de nourriture au Programme alimentaire mondial. Nous n'avons même pas assez de nourriture pour certains des groupes vulnérables et déplacés.
• 0810
Je pense que ce serait bien si vous pouviez continuer à mettre
des fonds discrétionnaires à la disposition de votre ambassade pour
les ONG et d'autres intervenants qui déploient des efforts
considérables de réconciliation, à l'échelle locale, dans le pays.
Votre budget consacré à l'aide est important mais il n'est pas
énorme. Je connais les problèmes que vous rencontreriez. Ce que
j'ai appris de mon propre pays et du temps que j'ai passé au
gouvernement c'est qu'il peut se révéler plus efficace d'avoir
10 000 $ aujourd'hui que 100 000 $ l'année prochaine. C'est donc
une bonne idée de mettre des fonds à impact rapide à la disposition
de l'ambassade. Mais j'insiste sur le fait que ce sont juste des
idées que vous pourriez prendre en considération comme comité.
Ensuite, je vous prie instamment d'essayer de vous engager activement et constructivement avec les forces armées de la Colombie. Les forces armées seront un facteur décisif pour arriver à une paix durable en Colombie. Plusieurs pays, dont le mien, la Norvège, ont des programmes d'échanges militaires qui sont influents à cet égard. Je veux dire que les guérilleros ont actuellement un engagement régulier avec plusieurs pays du Groupe des amis, les Nations unies, et avec d'autres éléments de la communauté internationale. Il est également important que les forces armées aient de tels échanges ciblant le droit humanitaire, les droits de la personne, les rôles des militaires modernes après le conflit, etc. C'est une autre idée.
J'estime qu'il est important d'envisager non seulement ce que l'on peut faire maintenant en termes de négociations politiques entre les guérilleros et le gouvernement, mais également ce qui peut être fait au niveau de la réconciliation à la base. En Colombie, la grande majorité des meurtres n'ont pas de rapport direct avec le conflit politique qui existe entre les deux forces de guérilleros et l'armée, pas même avec les paramilitaires. Ils sont reliés à toutes sortes de conflits locaux et de cycles de violence locaux. De nombreux prêtres, ONG, associations de paysans et groupes d'Indiens essaient de faire un travail courageux au niveau local pour créer un certain degré de réconciliation là-bas, et ils ont également besoin de soutien. Et nous parlons très souvent de sommes modestes.
M. Svend Robinson: J'ai deux ou trois autres questions rapides.
M. Jan Egeland: Je pense que ma collègue aimerait ajouter quelque chose.
Mme Angela Kane (directrice politique pour l'Amérique latine et l'Europe, Secrétariat des Nations unies): Vous avez également parlé du rapport que le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme soumet à la Commission des droits de l'homme, et je pense qu'il est extrêmement important que le Canada et les pays qui partagent les mêmes idées appuient les conclusions du rapport et demandent au gouvernement de faire quelque chose à ce sujet. Comme vous l'avez dit, les faits se trouvent dans le rapport et on éprouve une grande frustration à propos des mesures à prendre à leur sujet.
L'autre idée que j'avais, qui suit essentiellement les propos de M. Egeland, est que les personnes déplacées à l'intérieur du pays constituent un énorme problème négligé. Aux Nations unies, le Haut Commissaire pour les réfugiés travaille très activement à ce programme. En fait, les bureaux du HCR ont connu une expansion. Nous avons envoyé davantage de personnes en Colombie et nous avons commencé à placer certains employés dans des pays voisins—par exemple en Équateur où un bureau a été ouvert. Mais, une fois de plus, il y a une limite à cause du manque de fonds, parce qu'il s'agit d'un problème négligé. Ce n'est pas un problème qui ressort très haut sur l'écran radar.
Si vous deviez vous rendre là-bas, vous pourriez cibler ce problème, en parler et le faire mieux connaître. Je pense que cela serait extrêmement utile.
Je vous remercie.
La présidente: Vous avez une minute.
M. Svend Robinson: Très bien.
Ce que l'on recherche en Colombie c'est la fin de ce carnage, de cette violence, de ces meurtres et de ces disparitions incroyables, mais c'est également la justice. Je me demande si vous pourriez faire des commentaires sur certaines des préoccupations économiques—par exemple la question de la réforme agraire. Vous avez dit que les personnes déplacées ne figurent pas assez haut dans la liste des points à l'ordre du jour, mais assurément lorsque j'étais là-bas à parler avec des ONG, leurs représentants m'ont fait remarquer que, oui, la paix est importante mais qu'il y a un fossé énorme et grandissant entre les riches et les pauvres. La réforme agraire, le respect des droits des travailleurs et le travail sont aussi extrêmement importants dans la quête de justice.
Je me demande si vous pourriez faire des commentaires là-dessus.
M. Jan Egeland: À maints égards, c'est peut-être l'une des lueurs d'espoir avec laquelle chacun semble être d'accord en Colombie; le président Pastrana, le parti Libéral, le parti Conservateur, les FARC, l'ELN et les paramilitaires ont tous maintenant des programmes politiques disant que la Colombie devrait subir une profonde réforme politique et économique, une réforme agraire, une réforme constitutionnelle, etc.
Alors, on peut se demander pourquoi ils se battent? Eh bien, parce que personne ne sait par où commencer ce genre de travail. Il y a tant de méfiance et il y a également des définitions très différentes de la signification du mot «réforme». Mais, au moins, ils s'entendent pour dire qu'il y a beaucoup d'injustice et beaucoup d'exclusions, avec très peu de gens qui prennent les décisions qui affectent le reste de la population.
La réforme agraire devrait être simple dans un pays qui dispose de vastes terres fertiles inutilisées. Le fait que le Canada, si proche du pôle Nord, exporte des aliments vers la Colombie—qui pourrait faire deux ou trois récoltes par an—est un énorme paradoxe qui démontre la nécessité absolue d'avoir une réforme économique et autre. Mais comment pouvez-vous faire une réforme lorsqu'il a un conflit aussi cruel et aussi violent? Il y a si peu de sécurité. Les gens dépensent tout leur argent pour se protéger. Ils ont peur de se déplacer, peur de voyager, peur d'investir. C'est un cercle vicieux. Un élément du cercle est l'injustice sociale et un élément est la violence, les enlèvements et les massacres.
M. Svend Robinson: Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Jennings.
[Français]
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente. Merci de votre présentation.
Vous avez souligné le rôle des groupes paramilitaires. J'aimerais savoir quelle est la réponse officielle du gouvernement, premièrement, face à l'existence même de ces groupes paramilitaires et, deuxièmement, face à leurs activités. Quelle est la réponse réelle du gouvernement? C'est une de mes questions.
Deuxièmement, vous avez parlé des personnes qui sont déplacées à l'intérieur du pays même, qui sont en quelque sorte des réfugiés internes. Quel est le rôle des pays avoisinants dans cette problématique des personnes déplacées? Quel est le rôle des pays avoisinants dans ce processus de paix qui semble être stoppé actuellement et qui risque d'échouer complètement?
[Traduction]
M. Jan Egeland: Merci pour vos questions. Elles sont toutes les deux très importantes.
Le président Pastrana et son gouvernement ont condamné très clairement la violence des paramilitaires. Ils ont également admis que cela figure parmi les violations les plus graves et les plus systématiques des droits de la personne, ce que commettent les soi-disant groupes paramilitaires, ou les AUC, les groupes d'autodéfense comme ils se nomment eux-mêmes. De même, le chef des forces armées, le général Tapias, m'a dit qu'à son avis la plus grave menace future pour la sécurité interne en Colombie ce ne sont pas les guérilleros mais les paramilitaires.
Le gouvernement a fait un certain nombre de déclarations et pris un certain nombre de mesures mais je pense qu'il est pertinent que vous demandiez quel est l'impact véritable des actes du gouvernement, la véritable réponse. La vérité est qu'on fait trop peu de choses sur le terrain pour empêcher la violence paramilitaire et pour rechercher une justice pour les victimes de la violence des paramilitaires.
• 0820
Il y a diverses raisons à cela, notamment que certaines des
brigades ne poursuivent pas les paramilitaires comme elles le
devraient et ne protègent pas la population civile comme elles
devraient le faire vis-à-vis des paramilitaires.
Dans d'autres régions du pays, plus de mesures ont en réalité été prises contre les paramilitaires au cours des six derniers mois qu'au cours des six années précédentes. Je vous répète donc que le tableau est très variable mais qu'en général, comme le rapporte le Haut Commissaire aux droits de l'homme, nous ne sommes pas satisfaits de la véritable réponse du gouvernement sur le terrain, même si le président Pastrana est très clair dans ses déclarations publiques.
En ce qui concerne les personnes déplacées, jusqu'à présent très peu sont devenues des réfugiés et ont traversé les frontières. Quelques milliers ont traversé la frontière vers l'Équateur. La plupart sont en réalité retournées en Colombie par un chemin différent et sont revenues en Colombie. Les Colombiens souhaitent rester en Colombie. Ils aiment leur pays. Quelques milliers sont aussi allés au Venezuela et certains sont également revenus. La grande majorité de ces centaines de milliers de personnes ont été déplacées d'une région à l'autre, de la campagne vers les villes.
À certains égards, comme vous le constaterez, les personnes déplacées reçoivent moins de protection et moins d'aide que les réfugiés. Bon nombre d'entre elles sont vraiment dans une situation pitoyable.
Les pays voisins sont généralement nerveux à cause de la situation en Colombie. Certains d'entre eux se trouvent également dans une situation intérieure très précaire. L'Équateur vit une grave crise économique et a demandé d'urgence une aide internationale et une plus grande capacité d'intervention dans ses zones frontalières.
Les pays voisins appuient tous le processus de paix en Colombie et expriment tous leur soutien pour une solution négociée. Le Venezuela figure dans le Groupe des amis pour le processus de paix, avec les FARC, tout comme Cuba, en réalité pour les deux processus de paix.
À l'avenir, il se pourrait que l'on ait davantage besoin d'une certaine implication conjointe avec les pays latins pour appuyer le processus de paix. C'est peut-être un élément qui peut faire l'objet de discussions dans les forums de notre hémisphère.
[Français]
Mme Marlene Jennings: J'ai d'autres questions, madame la présidente.
Vous avez parlé du problème de la réponse inégale, par exemple, des militaires de la Colombie. Dans certaines régions, depuis quelques mois, la réponse semble être beaucoup plus positive face aux activités des groupes paramilitaires, tandis que dans d'autres régions, il y a une absence de réponse, ce qui veut dire qu'il y a une réponse plutôt positive pour les activités des paramilitaires.
Au début de votre présentation, vous avez mentionné la nécessité, au niveau de la réponse internationale en général et plus particulièrement au niveau de la réponse que le Canada pourrait offrir, de soutenir des activités bilatérales avec les forces militaires en Colombie, surtout sur la question du respect des droits de la personne, etc.
Je sais que le Canada est encore très actif, mais il a été très actif dernièrement au Brésil, autant avec ses forces militaires qu'avec ses services de police, surtout avec la GRC et avec certains corps de police municipaux qui ont une certaine expérience de travail en matière de développement international dans des pays où il existe des problèmes d'abus des droits de la personne, soit par l'armée, soit par la police.
Par exemple, à São Paulo, il y a des programmes qui sont subventionnés ou financés par le gouvernement fédéral, avec des officiers militaires et des policiers qui doivent travailler avec les forces armées et la police de São Paulo afin de tenter de résoudre le problème de violence qui existe là-bas.
• 0825
Vous avez parlé d'une réponse qui ciblera
les forces militaires. Est-ce de ce genre
d'activités que vous parliez, c'est-à-dire
de conférences mixtes,
de programmes réels de formation, etc.?
[Traduction]
M. Jan Egeland: Oui, elles figurent assurément parmi les genres de choses que vous devriez prendre en considération. J'ai maintenant de l'expérience avec dix processus de paix différents—au Moyen-Orient, en Afrique, dans les Balkans, au Caucase, en Amérique centrale et en Colombie—et il est très important de s'engager avec toutes les parties. Je suis fondamentalement convaincu de cela. Parfois, nous commettons l'erreur de parler sans arrêt avec les gens qui sont d'accord avec nous. Nous convenons tous que la situation est très mauvaise. Nous devons parler avec tout le monde et nous devons essayer d'influencer tout le monde.
Il est certain que j'ai maintenant de nombreux amis dans les forces armées, parce que nous avons eu pendant plusieurs années un programme d'échanges entre mon pays et la Colombie. J'ai appris à les connaître, à connaître leur situation et j'ai également une certaine influence sur eux.
Les projets locaux, la formation, les échanges...et le centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix a tenu une conférence là-bas. Je pense que c'est très bon. Il n'y aura pas de soldats pour le maintien de la paix en Colombie mais il y aura une formation et un tas d'échanges d'idées. Dans la mesure du possible, on pourrait également élargir le processus à l'avenir pour inclure les forces de guérilla dans les mêmes genres d'activités.
[Français]
Mme Marlene Jennings: Merci.
M. Jan Egeland: Merci.
[Traduction]
La présidente: Madame Augustine.
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci.
Bienvenue. Je suis arrivée pendant votre exposé et je m'en excuse.
Vous avez peut-être abordé ce sujet auparavant mais je suis très préoccupée par les personnes et les familles vulnérables et déplacées à l'heure actuelle. Vous en avez parlé dans votre réponse à la question de madame Jennings.
En termes de sécurité régionale, si l'on fait remarquer que le 11 septembre s'est passé et que les États-Unis ciblent peut-être d'autres régions à l'heure actuelle, comment évalueriez-vous la situation en Colombie? Cela mène à la discussion entourant les drogues, parce que j'estime que c'est un facteur crucial dans le conflit.
J'aimerais donc que vous y réfléchissiez pour nous. Si vous proposez, ou si vous aimeriez voir, une certaine politique internationale commune, comme vous le dites, sur la Colombie, comment tous ces éléments peuvent-ils être incorporés dans un ensemble international conjoint d'initiatives ou d'actions?
M. Jan Egeland: Vous avez mentionné une des raisons pour lesquelles le conflit est aussi intense en Colombie, à savoir les nombreux groupes armés. Certains les appelleraient des groupes terroristes et d'autres des groupes d'insurgés. Quel que soit le nom que vous leur donnez, ils sont armés, ils sont très violents et ils sont nombreux. La raison pour laquelle ils sont si nombreux est due, dans une large mesure, au fait qu'il y a beaucoup de carburant pour alimenter le conflit—à savoir les drogues.
Mais les drogues ne sont pas la raison du conflit en Colombie. Certains le croient à l'heure actuelle mais les chefs du conflit au sein des FARC et de l'ELN ont combattu pendant de nombreuses années avant que la production de drogues ne devienne une affaire importante en Colombie. Aujourd'hui, c'est un fait très naturel que tous les groupes tirent des revenus du commerce des drogues. En outre, les enlèvements rapportent beaucoup, tout comme les extorsions.
Mais ce sont les drogues qui occupent la première place. Les chefs des forces paramilitaires ont admis publiquement que les trois quarts de leurs revenus proviennent des drogues.
Que peut-on faire après les événements du 11 septembre? Je pense que les pays du Nord devraient mettre leurs cerveaux en commun et examiner de quelle façon on pourrait concevoir une politique antidrogue efficace, dotée à la fois de la carotte et du bâton. À l'heure actuelle, le bâton est plus gros que la carotte. C'est un problème pour de nombreux paysans, dont les champs peuvent être fumigés mais qui n'ont pas encore reçu d'indemnité pour se mettre à produire des bananes ou du maïs ou d'autres cultures.
• 0830
Il existe de très bonnes politiques de rechange en matière de
développement entreprises par le gouvernement. Les Nations unies
ont également des programmes à cet effet, mais ils sont très
nettement sous-financés et leur mise en place est également très
lente.
Nous savons tous que la fumigation ne peut résoudre le problème à elle seule. Peut-être que le Canada, qui est très touché par les drogues, pourrait collaborer avec l'Europe, les États-Unis, les autres pays d'Amérique et les Nations unies afin de concevoir une stratégie cohérente à long terme qui examine toutes les facettes de cette situation—le problème très complexe de l'offre et de la demande; le blanchiment d'argent; les signes chimiques avant-coureurs provenant du nord; les armes légères provenant du nord; comment arrêter la production dans le sud; comment utiliser le bâton contre les plantations industrielles que possèdent les grands cartels de la drogue et certains des activistes armés; et comment faire une nouvelle offre aux paysans pauvres afin qu'ils puissent passer volontairement des drogues à une culture présentant pour eux un certain avenir sur le marché.
La présidente: Merci beaucoup.
Puisque nous avons effectué un tour, je vais simplement poser trois questions très brèves avant de continuer.
Pouvez-vous nous parler de l'incidence de la campagne présidentielle sur le processus de paix? Et voyez-vous un rôle prépondérant que des exploitations comme les mines et le pétrole ont eu dans l'ensemble du pays...et l'impact du Plan Colombie?
M. Jan Egeland: Votre deuxième question concernait l'investissement étranger dans les mines et le pétrole, etc.?
La présidente: S'il y a quelque chose du genre qui se passe et influence le pays d'une façon négative ou positive.
M. Jan Egeland: Une partie n'est pas de mon ressort mais une autre l'est. Ce sont toutes des questions très importantes pour la Colombie et son avenir.
La campagne présidentielle sera l'élément politique dominant au cours des prochains mois jusqu'à l'entrée en fonction d'un nouveau président le 7 août 2002. Il n'est jamais facile d'en être à la dernière année de son mandat dans un pays démocratique mais c'est encore pire d'être dans ses sept derniers mois s'il y a un conflit et s'il y a une crise économique, comme c'est le cas actuellement en Colombie.
Vous devriez essayer de rencontrer les candidats aux élections présidentielles, si vous vous rendez en Colombie, ou tout au moins leurs équipes de campagne si vous ne pouvez pas rencontrer les candidats. Vous devriez leur demander de prendre position, à mon avis, en faveur d'une solution négociée, en faveur d'une prévention et d'une protection systématiques des droits de la personne, en faveur des recommandations des Nations unies et autres, et ainsi de suite.
Nous avons nous-mêmes rencontré les candidats et nous les avons priés instamment de prendre position. Nous avons obtenu des réponses assez encourageantes, tout au moins à la plupart de nos questions. Toutefois, il est certain que toute campagne—comme vous le savez puisque vous êtes des politiciens—pourrait aisément aboutir à des prises de position qui seraient davantage populistes que dans l'intérêt à long terme de la paix et des droits de la personne dans le pays.
À propos des investissements dans les mines et le pétrole et le reste, c'est un peu en dehors de mon domaine. Je dirais que les investissements étrangers sont primordiaux pour la Colombie et qu'il est très important que les investissements étrangers soient faits d'une manière responsable sur le plan social en favorisant la réconciliation au lieu d'accroître la tension à l'échelle locale et régionale.
• 0835
De cette façon, la Colombie est comme tout autre pays. Il
n'est pas bon pour elle que les investissements étrangers soient
actuellement touchés par ce qui est considéré comme un manque de
sécurité. Par la même occasion, il n'est pas bon pour certains des
investisseurs étrangers de sembler indifférents aux besoins locaux
pour la protection des droits des Indiens ou des droits sociaux et
autres. Mais je ne me permettrai pas de généraliser dans ce
domaine. Dans bien des cas, il est difficile de faire la
distinction entre les faits parmi les nombreuses versions
différentes.
Le Plan Colombie est devenu un enjeu très discuté et très controversé en Colombie. En général, nous ne faisons pas de commentaires sur les politiques bilatérales des pays individuels. Je préférerais donc ne pas parler du programme américain. C'est un gros programme comportant à la fois des éléments militaires et des éléments traditionnels de soutien socio-économique.
Je tiens à dire que le Plan Colombie comporte également beaucoup de bonnes intentions et beaucoup de bons programmes qui touchent aussi les activités parrainées par les Nations unies. Bon nombre de ces activités ne sont pas très bien financées et tardent également à être mises en vigueur, même s'il y a aussi des programmes qui s'enclenchent actuellement et redonnent espoir sur le plan local et dans d'autres régions.
Nous pensons qu'il est important de renforcer le secteur de la justice en vertu de ce plan-cadre. Le Plan Colombie a été identifié à tort comme un programme bilatéral des États-Unis, pour diverses raisons compréhensibles et autres. Cependant, le Plan Colombie est un vaste plan-cadre pour des tas de programmes de soutien nationaux et internationaux différents qui vont beaucoup plus loin que ce programme bilatéral. Comme je l'ai dit, le renforcement du secteur de la justice, le soutien aux personnes déplacées, l'appui à la construction de routes et d'infrastructures dans les zones de conflit, etc. entrent également très bien dans ce que le gouvernement a appelé le «Plan Colombie».
La présidente: Très bien, merci.
[Français]
Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé: Puisque votre dernière réponse a devancé un peu ma question, je vais essayer de transformer cette question.
Vous dites que vous ne pouvez pas trop commenter le Plan Colombie même si vous l'avez quand même fait un peu. Encore la semaine dernière, des témoins critiquaient ouvertement ce plan en disant que pour eux, ce n'était pas une solution pour la paix, qu'il fallait prendre une autre approche. C'était vraiment perçu par eux comme étant un plan américain, un plan insistant surtout sur l'aspect de la sécurité.
Je suis un peu embêté parce que vous voulez garder une distance par rapport à ça, mais je me pose des questions. À mon avis, il faudrait mieux connaître les éléments du Plan Colombie sur lequel vous travaillez afin qu'il ne soit plus perçu comme une intervention américaine, mais bien comme une intervention des Nations unies. Voilà qui m'amène à ma question.
Est-ce que l'aide des Nations unies est bien perçue par les Colombiens? Sinon, comme je le pense, est-ce que c'est un peu entremêlé avec l'action américaine? Est-ce que pourriez commenter l'aide bilatérale canadienne puisque ça nous concerne? Comment la percevez-vous?
Mes questions sont un peu confuses parce que je comprends que votre situation est délicate.
[Traduction]
La présidente: Nous verrons ce qu'il peut faire avec cela.
M. Jan Egeland: Ma réponse sera également confuse, je suppose.
Des voix: Oh, oh!
M. Jan Egeland: J'aimerais préciser que le Plan Colombie a été conçu et présenté par le président Pastrana et le gouvernement colombien. C'est leur initiative. Les Nations unies n'ont pas participé à l'élaboration du Plan Colombie en tant que tel.
J'affirme cependant qu'il influence notre travail. Certains de nos programmes ont été inclus par le gouvernement dans ce projet-cadre de 7,5 milliards de dollars américains, dont 1,6 milliard de dollars constituent le programme bilatéral américain. Le reste est—devrait être—dans une large mesure financé par des sources gouvernementales, des sources privées et d'autres sources internationales. Dans une large proportion, les fonds ne sont pas encore disponibles. Certains projets d'ONG sont inclus dans ce plan et sont entrepris par des ONG qui critiquent d'autres éléments du Plan Colombie.
C'est donc vraiment un gros projet-cadre. À bien des égards, on pourrait l'appeler le «plan de développement national». L'aide des Nations unies, qui est surtout extérieure à cette chose que le gouvernement a appelée Plan Colombie, est, je dirais, bien accueillie en Colombie, que ce soit par le gouvernement ou même par les intervenants armés, par les collectivités locales, par l'église, etc. Tout le monde dit que c'est bon, même si une critique ressort à propos de son insuffisance.
Je veux dire que c'est à la fois notre force et notre faiblesse—vous le constaterez si vous y allez—d'avoir un programme très diversifié. Nos 15 bureaux et tous nos programmes actifs sont relativement modestes.
C'est la même chose pour l'aide canadienne. Elle est très bien vue et très bien considérée, mais elle n'est pas très importante. S'il y a une critique, c'est donc qu'elle pourrait être plus conséquente.
La présidente: Monsieur Robinson, brièvement.
M. Svend Robinson: Certainement, J'ai seulement deux questions.
En fait, Mme Phinney a posé mes questions, surtout à propos du Plan Colombie. Franchement, la fiction du Plan Colombie, l'idée que, d'une certaine façon, il existe ce formidable programme de 7 milliards de dollars quelque part, et tout le reste...je veux dire que c'est véritablement stimulé par le programme bilatéral des États-Unis.
Mais vous n'avez pas à faire de commentaires là-dessus.
[Français]
M. Antoine Dubé: Ça, tu peux le dire.
[Traduction]
M. Svend Robinson: Je peux pourtant le dire, oui.
Deux questions. La première concerne la Commission des droits de l'homme des Nations unies.
Je dois dire que j'ai assisté à des séances de cette commission pendant de nombreuses années. Certains de mes collèges aussi. Je trouve que c'est probablement le forum le plus frustrant au sein des Nations unies. C'est un forum qui est souvent imprégné d'hypocrisie. Le jeu des puissances qu'on y rencontre est extraordinaire.
Nous avons un pays, comme vous l'avez dit vous-même, qui a le pire dossier de l'hémisphère en matière de droits de la personne et la meilleure chose à laquelle arrive la Commission des droits de l'homme des Nations unies c'est une déclaration de la présidence exprimant une inquiétude—en dépit du fait que votre représentant a déclaré que la situation s'est détériorée au fil des ans.
Vous savez, ils peuvent arriver avec un rapporteur spécial sur Cuba. La dernière fois que j'ai examiné la situation, il n'y avait pas de syndicalistes assassinés à Cuba. Il n'y avait pas de villages entiers rayés de la carte par des meurtriers à Cuba. Cependant, il y a des inquiétudes concernant les droits de la personne à Cuba, c'est indubitable.
Je suis conscient de la situation délicate dans laquelle vous vous trouvez, parce que vous travaillez dans ce cadre des Nations unies, mais que devrait faire de plus la communauté internationale? Que devrait faire la communauté internationale dans le cadre de cet organisme, la Commission des droits de l'homme des Nations unies, pour signifier sa profonde inquiétude au sujet de la détérioration de la situation des droits de la personne dans ce pays? Serait-il utile de demander la nomination d'un rapporteur spécial, par exemple, ou serait-ce une mesure improductive? Au moins, les Nations unies ont un point d'ancrage là-bas et une présence, qui sont difficiles à ne pas remarquer. Vous pourriez peut-être faire un commentaire là-dessus.
En outre, certains intervenants en Colombie disent que les AUC devraient participer aux négociations, que les paramilitaires devraient y participer, dans le cadre du processus de paix. Assurément, ils veulent être là. Je ne pense pas qu'ils devraient être là, mais je me demande si vous pourriez faire un commentaire à ce sujet.
Mme Angela Kane: Puisque j'ai abordé le sujet de la Commission des droits de l'homme, je pense que je suis condamnée à répondre à votre question.
• 0845
Dans l'ensemble, comme vous l'avez dit, tous les faits sont
étalés devant la commission. Elle est composée de représentants des
États membres. Ce sont eux qui élaborent la politique. Donc, s'il
y a une certaine hypocrisie, comme vous la qualifiez, si les
politiques élaborées au sein de la Commission des droits de l'homme
ne sont pas celles proposées par le Secrétariat, ce que nous
pouvons faire, et ce que le représentant du Haut Commissaire aux
droits de la personne fait, c'est de présenter un rapport.
Fondamentalement, d'après les faits figurant dans le rapport, la
question est débattue ou n'est pas débattue—selon l'entente
intervenue entre les États membres.
Je crois savoir qu'il y a eu, à un certain moment, une proposition en vue d'avoir un rapporteur spécial sur la Colombie. Je crois également savoir que la proposition n'a pas obtenu une majorité, et un bureau a donc été établi en Colombie. Je pense qu'il s'agit déjà d'une concession, si vous pouvez l'appeler ainsi, de la part du gouvernement, car ce n'est pas très agréable pour lui d'avoir quelqu'un dans un bureau établi dans le pays, qu'il paie en partie, si je comprends bien, et qui pointe essentiellement le doigt vers des cas très graves de violations des droits de la personne.
Je dois souligner à nouveau que quel que soit l'arrangement intervenu au sein de la Commission, il est effectué par les États membres. Les États membres sont les Nations unies.
Je dois donc renvoyer la balle dans votre camp et vous dire que vous devez parler à vos autres collègues du gouvernement pour voir ce que l'on peut faire à propos de la situation et comment manoeuvrer.
M. Jan Egeland: Permettez-moi d'ajouter que, à maints égards, c'est un important pas en avant, après tout, d'avoir là-bas un bureau des droits de l'homme. Il est actif, il a une présence et il va intensifier ses travaux avec les bureaux régionaux. Il y a un rapport annuel qui est très clair et très explicite. En outre, il y a après tout une déclaration de la présidence accompagnée de recommandations très concrètes qui devraient faire l'objet d'un suivi.
Est-ce que les AUC devraient être assises à la table? C'est une question importante, oui vraiment. Le gouvernement est contre leur présence à la table. Le gouvernement est contre le fait que nous, interlocuteurs internationaux, ayons des contacts avec elles. Officiellement, le gouvernement considère les AUC comme une cellule du crime organisé plutôt que comme une organisation politique. Nous n'avons donc pas de contact direct avec elles.
Je ne rejette rien pour l'avenir. Peut-être qu'à un certain moment il faudra établir des contacts avec elles, car elles constituent une force importante, une force de facto. Mais de tels contacts s'imposeraient une fois qu'il y aura une stratégie claire pour atteindre quelque chose—par exemple pour mettre fin aux violations et aux hostilités, et potentiellement pour effectuer une réintégration de ces jeunes hommes dans la société colombienne.
Il s'agit à nouveau de quelque chose qui devra faire l'objet de discussions sous une nouvelle présidence. Je ne vois pas de changements au stade actuel.
M. Svend Robinson: Merci.
La présidente: Jean.
Mme Jean Augustine: Monsieur Egeland, si nous voulons contribuer à une politique internationale conjointe en Colombie, si nous voulons contribuer à un accord humanitaire global, quelle est la possibilité de faire accepter un mécanisme international officiel pour le processus de paix? Comme vous le savez, cette formule a été essayée en Afrique. Serait-ce hors de propos dans la réflexion actuelle?
M. Jan Egeland: Ce ne serait pas du tout hors de propos. Ce serait très pertinent de mettre cela en vigueur là-bas, et c'est ce que nous faisons.
En réalité, je participerai dans dix jours à une conférence sur la justice transitoire à Bogota. Des intervenants de l'Afrique du Sud, de l'Amérique centrale, de l'Europe et de bien d'autres endroits parleront de la justice transitoire, question qui devra être de plus en plus discutée en Colombie.
Ce n'est donc pas hors de propos, mais c'est assurément un nouveau concept pour les parties en présence, et il faut du temps pour faire accepter les nouveaux concepts.
• 0850
La Colombie a été pendant trop longtemps un conflit oublié par
la communauté internationale et pendant trop longtemps un conflit
durant lequel les parties se sont entendues sur une chose—ne pas
amener la communauté internationale dans le conflit interne de la
Colombie.
Cette situation change. Le monde comprend la nécessité de contribuer au processus de paix et de règlement à l'amiable des droits de la personne en Colombie, et les Colombiens comprennent qu'il faut une aide et une présence internationales chez eux. Un jour, il y aura des missions de vérification, d'observation, de facilitation et peut-être même de médiation de la part de la communauté internationale dans le processus de paix et dans la protection des droits de la personne dans ce pays.
La présidente: Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur LeMoyne? Allez-y.
M. James LeMoyne (conseiller spécial adjoint du secrétaire général pour la Colombie, Nations unies): Simplement pour que cela soit très clair, monsieur Egeland travaille en réalité sous les bons offices du secrétaire général. En dehors de cela, nous n'avons aucun mandat en Colombie.
Si vous voulez une version officielle, nous avons été invités à conseiller et à aider les Colombiens dans ce qu'ils appellent encore, de façon diplomatique et politique, un conflit interne. Alors, lorsqu'on aborde les droits de la personne, la crise humanitaire des personnes déplacées ou les enjeux politiques du processus de paix lui-même, nous n'avons pas de véritables outils ou ne sommes pas dans une véritable position pour amener et introduire ces enjeux dans un forum international, sauf pour les discuter. Nous n'avons pas de mandat en dehors de cela. On pourrait considérer cela comme une limitation du processus. M. Egeland a peut-être raison; étant donné que les Colombiens n'ont jamais permis aux Nations unies d'être actives, sa nomination est une étape mais, d'une certaine façon, c'est un processus éducatif.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
M. Egeland quittera son poste à la fin de cette année et deviendra secrétaire général de la Croix-Rouge norvégienne.
Le comité tient à vous remercier pour le bon travail que vous avez effectué durant les deux années où vous avez occupé votre poste. Nous tenons à vous remercier d'être venu ce matin. Habituellement, nous ne siégeons pas aussi tôt.
Nous vous prions d'excuser les personnes qui ont dû partir. Nous avons des réunions du caucus le mercredi matin et certaines personnes doivent y assister.
Je vous réitère mes remerciements pour votre présence. Nous vous souhaitons bonne chance dans votre nouvel emploi.
M. Jan Egeland: Merci beaucoup. Et merci de nous avoir invités.
La présidente: La séance est levée et reprendra 15 h 30 cet après-midi.