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Merci, monsieur le président,
Mesdames et messieurs, je suis reconnaissant de l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant vous aujourd'hui.
Comme je suis le premier témoin, je crois, à ne pas recommander que le Canada rapatrie M. Khadr, et que je suis le seul à avoir la parole pendant cette heure-ci, j'espère que vous me permettrez de prendre un certain temps pour exposer sommairement ma position.
Premièrement, je tiens à signifier clairement que je n'oserais pas dicter sa conduite au Canada. De même, je ne suis nullement lié au gouvernement des États-Unis, dont les politiques remportent souvent ma défaveur. Le droit international n'impose au Canada aucune obligation légale contraignante dans cette affaire. Je suis là uniquement pour mettre au clair certains des facteurs que le gouvernement canadien devrait, à mon avis, prendre en considération en formulant sa politique.
Je vais insister sur trois points principaux aujourd'hui. Premièrement, contrairement aux assertions de certains des témoins que vous avez déjà entendus, le fait de traduire en justice M. Khadr ne représente pas un cas sans précédent, ni un cas contraire au droit international. Deuxièmement, je vais examiner le texte de la loi applicable dans l'affaire, pour corriger le tableau parfaitement lamentable que les témoins précédents ont brossé de la situation juridique jusqu'à maintenant. En troisième lieu, je ferai valoir que la politique américaine, loin d'être hors la loi ou de violer le droit international, répond sans peine aux exigences minimales des conventions de Genève en matière d'équité.
À propos du premier point, à titre d'avocat chargé de représenter M. Khadr, le lieutenant-commandant Kuebler a déclaré que le protocole facultatif, le droit international coutumier, le droit fédéral américain et le droit canadien n'interdisent nullement de poursuivre un adolescent pour crimes de guerre. M. Lorne Waldman, de l'Association du Barreau canadien, a confirmé la position du lieutenant-commandant Kuebler telle qu'il l'a énoncée au moment de témoigner devant votre comité:
En réponse à la question concernant les enfants-soldats, nous n'avons pas l'intention de dire qu'il s'agirait d'une violation de la convention... aucune disposition n'interdit expressément les poursuites.
C'est un point qui vaut d'être répété. Ni le droit international, ni le droit canadien ni encore le droit intérieur des États-Unis n'interdisent aux États-Unis de poursuivre M. Khadr.
M. Crane, dont vous avez déjà entendu le témoignage, est d'accord avec cette analyse. Le plus loin qu'il est allé, c'est de déclarer que, à son avis, aucun enfant de moins de 15 ans ne peut commettre un crime de guerre. Le critère d'âge de M. Crane n'est pas utile à M. Khadr.
M. Crane a parlé avec une candeur admirable lorsqu'il a reconnu qu'il n'est nullement interdit en droit international de traduire en justice un soldat qui n'aurait que 15 ans. Il a bien déclaré qu'il n'allait pas traduire en justice des soldats ayant moins de 15 ans, s'il en avait le choix, mais c'est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Tout de même, il a signifié clairement que le mandat des Nations Unies qui régit son travail lui permet bel et bien de poursuivre les soldats de moins de 18 ans pour crimes de guerre. Si les Nations Unies prévoient expressément la possibilité de poursuivre les soldats de moins de 18 ans, il est absurde de prétendre que ce serait contraire au droit international.
À propos de mon deuxième point, je voudrais insister sur les éléments applicables du droit international lui-même; non pas le droit tel que bon nombre de témoins souhaiteraient qu'il soit écrit, mais le droit tel qu'il existe réellement.
Contrairement aux témoignages que vous avez entendus, il existe un précédent pour justifier l'idée de poursuivre des soldats de moins de 18 ans pour crimes de guerre. Je peux donner au comité des exemples précis s'il le souhaite. Le droit international n'affirme pas non plus que les jeunes ayant entre 15 et 18 ans ne peuvent pas être soldats. Le général Dallaire a déclaré dans son témoignage que le protocole facultatif concernant la participation des enfants aux conflits armés représente le seul instrument international contraignant relatif aux enfants soldats. Regardons donc ce que dit vraiment le protocole facultatif.
L'article premier, dans son intégralité, se lit comme suit:
Les États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les membres de leurs forces armées qui n'ont pas atteint l'âge de 18 ans ne participent pas directement aux hostilités.
Il y a là deux termes clés sur lesquels je voudrais insister. D'abord, il est dit que les États « prennent toutes les mesures possibles ». Il faut insister là-dessus: il n'y a pas d'interdiction absolue visant le recours à des soldats ayant moins de 18 ans. C'est une expression dont la signification établie en droit international précède le moment de l'adoption du protocole facultatif. Par cela on entend:
les précautions qui sont praticables ou qu'il est pratiquement possible de prendre eu égard à toutes les conditions du moment, notamment aux considérations d'ordre humanitaire et d'ordre militaire.
C'est la définition que le Canada a retenue en adoptant le protocole 1 des conventions de Genève.
Le Comité international de la Croix-Rouge a reconnu cette signification, comme en font foi les notes du groupe de travail chargé de la négociation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. La Croix-Rouge écrit:
[Traduction] Autrement dit, selon le texte qui est adopté en définitive, la participation volontaire des enfants n'est pas totalement interdite.
La notion s'est retrouvée dans les énoncés de position des divers pays au moment où ceux-ci ont ratifié le protocole facultatif. Par exemple, le Royaume-Uni a déclaré expressément qu'il se réservait le droit de recourir à des soldats de moins de 18 ans en cas de besoin militaire véritable.
Le deuxième terme clé de l'article premier du protocole facultatif sur les enfants soldats est le terme « directement », qui fait partie de la tournure « ... ne participent pas directement aux hostilités ». Contrairement à ce qu'a pu affirmer le général Dallaire, l'emploi du terme « directement » veut dire que rien n'interdit le déploiement avancé de soldats de moins de 18 ans dans la mesure où ils sont appelés à jouer un rôle qui n'est pas lié au combat.
Encore une fois, la Croix-Rouge explique dans les notes de son groupe de travail:
[Traduction] ... le Groupe de travail aurait pu renforcer la protection en question en éliminant le terme « directement ». Le CICR l'a même proposé pendant la conférence diplomatique, mais son idée n'a pas été retenue. Cela étant, on peut raisonnablement en déduire que... la disposition ne s'applique pas à la participation indirecte des jeunes aux affaires militaires, par exemple là où il s'agit de réunir et de transmettre des renseignements militaires, de transporter des armes, des munitions ou d'autres fournitures.
Enfin, l'article 3 du protocole facultatif expose les conditions régissant l'engagement volontaire des soldats ayant entre 15 et 18 ans. La première condition, c'est le fait que l'engagement soit bel et bien volontaire. L'idée qu'un soldat de moins de 18 ans ne puisse jamais vraiment être soldat ou qu'un jeune de 15 ans ne puisse vraiment consentir à servir son pays est donc réfutée directement dans le texte du seul instrument international applicable, pour reprendre l'expression du général Dallaire.
Lorsque le lieutenant-commandant Kuebler affirme que les enfants ne sont jamais des soldats, ce sont des enfants, ou que le général Dallaire affirme que personne ne peut recourir à des jeunes de moins de 18 ans de quelque façon que ce soit, il faut savoir que la position officielle du Royaume-Uni et du Conseil de sécurité de l'ONU ainsi que le texte de la Convention relative aux droits de l'enfant elle-même et du protocole facultatif concernant la participation des enfants aux conflits armés viennent contredire carrément l'avis qu'ils expriment ainsi.
Pour aborder maintenant mon dernier point, je dirai que presque tous les témoins entendus jusqu'à maintenant n'ont eu de cesse de qualifier la politique américaine d'illégale ou de contraire au droit international. Par contre, je n'ai pas encore entendu d'éléments de preuve convaincants sur ce point. Les déclarations et prétentions ne sont pas des arguments.
Dans la mesure où ils n'ont pas fréquenté longtemps le système américain, de nombreux Canadiens seront étonnés de savoir — voici un point qui est très important — que les États-Unis ne s'adonnent pas à des simulacres de procès. Les tribunaux militaires spéciaux établis depuis les événements du 11 septembre et les commissions militaires américaines prennent pour modèle des procédures qui répondraient aux critères de la Constitution américaine en ce qui concerne le traitement des citoyens de ce pays. A fortiori, ces critères sont jugés adéquats pour les membres d'Al-Qaïda.
L'erreur que commettent la plupart des détracteurs des tribunaux militaires spéciaux et des commissions militaires, c'est de vouloir accepter rien de moins que la protection intégrale que procure un tribunal pénal civil, même là où il s'agit de combattants illégaux qui ont été faits prisonniers sur un champ de bataille, et ils dénoncent toute mesure qui n'atteint pas ce seuil de protection. Tout de même, ils proposent une comparaison spécieuse, non seulement parce que de telles protections ne seraient pas commodes pour traiter avec les terroristes inculpés et non seulement parce que des droits si larges n'ont jamais été accordés à des détenus faits prisonniers sur un champ de bataille, mais aussi parce que ce n'est pas une exigence du droit international. Dans le cas de belligérants illégaux comme M. Khadr, les conventions de Genève exigent seulement la protection minimale ou indispensable que représente un procès équitable. On peut s'y attendre, cette exigence est nettement plus limitée que celle qui a cours dans un tribunal civil.
Qu'est-ce qui donnerait à conclure que le procédé en place ne respecte pas les règles minimales d'équité prévues dans les conventions de Genève? Ça ne serait être le recours au ouï-dire comme témoignage. C'est une pratique courante dans les procès en temps de guerre, même pour les soldats du pays. De fait, c'est pratiquement indispensable compte tenu des circonstances où les arrestations se font sur un champ de bataille. Bon nombre de témoins ont péri, il n'y a pas d'équipes d'experts médico-légaux pour étudier la scène, et la plupart des témoins survivants sont en mission outre-mer au moment du procès. Historiquement, pour toutes ces raisons, les normes de preuve appliquées par les commissions militaires n'ont pas été l'équivalent de celles que nous exigeons de la part d'un tribunal pénal civil. S'ils devaient le faire, il serait pratiquement impossible de faire subir un procès à quelque détenu que ce soit.
Ça ne saurait être non plus le fait de retenir des informations délicates qui feraient que ces tribunaux sont illégaux d'une manière ou d'une autre. Encore une fois, il est impossible de concevoir un procès qui permet une divulgation entière de renseignements confidentiels au profit de l'ennemi. La décision récente de la Cour suprême du Canada — qui autorisait la divulgation de certains renseignements en rapport avec l'interrogatoire de M. Khadr — tient cette limite pour admise.
La folie que représente la façon inverse de procéder a été démontrée à l'occasion du procès du cheikh Omar Abdel Rahman, cerveau du premier attentat au World Trade Center. Dans cette affaire, qui a été jugée à l'intérieur du système ordinaire de justice pénale aux États-Unis, la poursuite a été contrainte de remettre à la défense une liste des personnes que le gouvernement américain croyait liées à l'attentat à l'explosif sans disposer toutefois de preuves suffisantes pour porter contre elles des accusations. Quelques semaines après que la liste a été divulguée, Osama ben Laden en avait connaissance.
Ça ne saurait être non plus le droit d'examen limité par un tribunal civil. Premièrement, tous les pays qui reconnaissent le droit d'habeas corpus — et il y a de nombreux pays civilisés d'Occident qui ne le reconnaissent pas — reconnaissent aussi le fait qu'il est possible de le suspendre. Même la Charte canadienne permet de suspendre l'habeas corpus, à l'exemple de la Constitution américaine. Et la plupart des pays autorisant la suspension de l'habeas corpus l'ont déjà suspendu.
Le premier ministre William Pitt, « le Jeune » a suspendu l'habeas corpus pendant sept ans. Abraham Lincoln a suspendu l'habeas corpus durant la guerre de Sécession aux États-Unis. Et le premier ministre Trudeau a suspendu l'habeas corpus pendant la Crise d'octobre, en 1970. De fait, Trudeau a envoyé des chars d'assaut dans les rues de Montréal et a fait arrêter et détenir pendant des semaines, sans devoir les accuser, des centaines de citoyens canadiens en rapport avec l'enlèvement de deux personnes et la mort de l'une d'entre elles. Nous devons nous réjouir du fait que ce n'est pas Trudeau qui était en place au moment des attaques du 11 septembre avec tous les effets dévastateurs qu'ils ont eus. Si l'habeas corpus peut être suspendu pour de présumés sympathisants du FLQ, on ne saurait s'opposer à l'idée de le suspendre pour des membres d'Al-Qaïda et de groupes terroristes semblables.
De toute manière, les États-Unis n'ont pas complètement éliminé le droit à un contrôle judiciaire. Les détenus ont le droit d'en appeler d'abord à la Cour d'appel du district de Columbia, qui est un tribunal civil, puis à la Cour suprême elle-même. De plus, la Cour suprême n'a pas encore déterminé si les détenus de Guantanamo Bay disposent pleinement et entièrement du droit constitutionnel d'habeas corpus. Elle le fera le mois prochain.
Selon la plupart des observateurs, la Cour exigera un examen quelconque de la situation entourant l'application de l'habeas corpus. Si elle accorde un tel droit, si elle affirme que les détenus de Guantanamo Bay disposent bel et bien de l'habeas corpus sous une forme quelconque, les États-Unis conféreront à des combattants ennemis des droits qui sont sans précédent dans l'histoire de la guerre.
Au mieux, donc, il est prématuré de s'opposer à une politique américaine en s'appuyant sur l'absence d'un droit d'habeas corpus. Au minimum, le Canada devrait attendre que la Cour suprême des États-Unis rende sa décision dans l'affaire Boumediene c. Bush le mois prochain, avant de formuler quelque politique que ce soit.
Un des témoins entendus, Mme Hilary Holmes d'Amnistie Internationale, s'est opposée au caractère indéfini de la détention à Guantanamo Bay et a proposé une raison impérieuse de faire pression en faveur de la libération de M. Khadr. Cependant, même si M. Khadr était un combattant légitime, la Convention de Genève permettrait encore de le détenir, aussi longtemps qu'il y a des combats actifs en Afghanistan, tout au moins.
Or, personne ne prétend que M. Khadr et les gens de sa catégorie sont des combattants légitimes ayant droit au statut de prisonnier de guerre. Il est donc illogique de s'attendre à ce qu'ils se voient accorder des protections supérieures à celles qui sont accordées aux prisonniers de guerre.
De toute manière, les tribunaux militaires spéciaux et les commissions militaires à Guantanamo Bay ont plus que satisfait aux exigences qu'impose la Convention de Genève aux tribunaux constitués en application de l'article 5. Je serai heureux d'approfondir ce point en donnant quelques exemples précis si le comité le souhaite.
Si M. Khadr était détenu par la Chine ou l'Arabie saoudite ou encore l'Indonésie, le gouvernement canadien aurait raison de se demander si les exigences minimales en matière d'équité de procédure sont respectées, mais ce n'est pas le cas. Les conditions associées à sa détention et à son procès font l'objet d'un contrôle de la part des trois organes du gouvernement américain, qui mettent au point constamment les procédures qu'elles emploient pour atteindre l'équilibre optimal entre les droits de l'accusé et les exigences en matière de sécurité nationale et internationale. Il n'y a probablement eu dans l'histoire aucun pays qui soit davantage attaché à la notion de préservation de la liberté individuelle que les États-Unis d'Amérique.
J'entends des rires moqueurs en réaction à cela, mais je peux contrer les objections; je peux les contrer.
Il n'y a pas moins de quatre appels de la part de détenus qui se sont rendus à la Cour suprême et ont déjà entraîné des modifications considérables du régime de détention en place. Voilà comment procède le pays civilisé, attaché à la primauté du droit. Tout le monde s'entend pour dire que la détention d'un ennemi fanatique et zélé qui souhaite accéder au statut de martyr représente un défi nouveau du point de vue de procédures juridiques et militaires traditionnelles et souvent anachroniques. Les États-Unis ont su relever ce défi, peut-être avec plus de lenteur et d'hésitation que la plupart d'entre nous l'auraient souhaité, mais, indéniablement, ils l'ont fait.
Dans le contexte de la primauté du droit, il faut concilier un grand nombre d'intérêts tant impérieux que contradictoires. Or, ce n'est pas toujours un travail propre et net. Les compromis qui marquent notre système juridique intérieur sont le fruit d'un travail accompli sur des siècles. Il ne faudrait pas s'étonner du fait que les États-Unis ont mis plusieurs années à en arriver à un processus raisonnable et viable, mais le système qui est en place en ce moment fonctionne, il satisfait aux exigences minimales des conventions de Genève, et les dépasse même à bien des égards, et il n'y a aucune obligation juridique qui pousse le Canada à s'immiscer dans le processus.
Je serai heureux de répondre à toute question à ce sujet et de réagir à quelque autre question ou rire moqueur que les membres du comité voudront bien m'adresser.
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Merci beaucoup, madame Barbot.
Bien entendu, je réagis à la traduction et non pas directement aux observations que vous avez faites; pardonnez-moi donc si j'ai mal compris quoi que ce soit.
Premièrement, vous avez dit au début que nous aurions remis en question d'une manière ou d'une autre le fait qu'il soit citoyen canadien. Je ne le remets certainement pas en question. C'est au Canada qu'il appartient de décider.
Deuxièmement, à un moment donné, vous avez dit que je parlais au nom des États-Unis. Je ne sais pas si c'est simplement la traduction qui pose problème. Je ne parle pas au nom des États-Unis. Je m'adresse à vous en tant que témoin ayant étudié la politique américaine et le droit international; de fait, je parle en tant que sujet loyal et citoyen du Canada.
À propos de vos deux questions primaires — une première portant sur le traitement d'un enfant et une deuxième sur la raison pour laquelle le Canada ne peut le faire revenir au pays... le Canada peut le faire revenir au pays. Je ne suis pas venu dire que le Canada ne devrait pas rapatrier M. Khadr; je suis venu dire qu'aucune obligation juridique ne contraint le Canada à le rapatrier. Le Canada doit exercer sa souveraineté par les canaux diplomatiques et déterminer s'il décide, oui ou non, de rapatrier M. Khadr. C'est une décision qui appartient au Canada. Je suis ici simplement pour apporter des précisions sur certaines questions de droit international et sur certaines déclarations inexactes que j'ai entendues pendant les témoignages précédents à propos de la politique américaine.
L'autre question visait à savoir s'il est traité conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant. La Convention relative aux droits de l'enfant, bien entendu, permet le recours à des soldats en situation de combat dès l'âge de 15 ans. S'il faut donc supposer qu'il est possible de recourir à des soldats ayant 15 ans en respectant la Convention relative aux droits de l'enfant, cela ne me paraît pas incompatible de traiter les soldats en question comme des soldats lorsqu'ils sont détenus.
Deuxièmement, des témoins vous ont dit que les États-Unis détenaient de nombreux jeunes ayant entre 15 et 18 ans à Guantanamo Bay et que, de fait, ils ont été mis à part des autres pour la plupart, sinon tous, sauf M. Khadr, et ont traités différemment, conformément au langage précatif et à une recommandation du protocole facultatif. Je ne dirais pas que ce sont des obligations juridiques contraignantes.
Le fait que les États-Unis ont traité Omar Khadr différemment des autres tient à une démarche appliquée par les États-Unis, soit de regarder chacun des enfants soldats qu'ils ont devant eux et de déterminer la meilleure façon de traiter chaque soldat. Tous les autres soldats se retrouvent dans une enceinte distincte. Ils se trouvent tous à Camp Iguana. M. Khadr ne s'y trouve pas, lui. Clairement, on avait une raison pour décider cela.
Le système canadien de justice civile, à l'exemple du système américain de justice civile, permet de traiter des adolescents comme des adultes dans certaines circonstances. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent dans le contexte militaire. Il semble que les États-Unis aient décidé d'agir ainsi en rapport avec M. Khadr. Si le gouvernement canadien juge bon de s'opposer à cela et de rapatrier M. Khadr, il lui est tout à fait possible de le faire. Et je ne m'opposerai pas à cela. Je n'ai pas la prétention de dicter sa politique au Canada.
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De fait, je suis très heureux de vous avoir entendu faire cette dernière remarque: vous ne vous opposeriez pas à l'idée de rapatrier le jeune homme au Canada pour qu'il subisse un procès ici. Personne ne propose qu'on le rapatrie pour lui donner la clé des champs.
Au début, vous avez parlé de la Loi sur les mesures de guerre au Canada, comme si, d'une façon ou d'une autre, c'était tout à fait acceptable aux yeux des Canadiens. Eh bien, notre parti, le NPD, avec Tommy Douglas à sa tête, s'est opposé à la Loi sur les mesures de guerre. Nous y avons vu une transgression horrible des droits des Canadiens. Je voulais simplement dire cela pour le compte rendu.
Vous avez dit autre chose, et je ne vais pas débattre avec vous des aspects juridiques de l'affaire, car je n'ai certainement pas les compétences pour le faire... Tout de même, j'ai écouté ce que vous avez dit et j'ai trouvé cela intéressant de vous entendre dire que M. Khadr n'est pas un gentilhomme. J'aimerais savoir à quel moment vous avez rencontré M. Khadr ou encore si vous avez quelque formation en psychologie qui vous permet d'évaluer une personne que vous n'avez pas rencontrée.
Vous avez parlé du traitement que lui ont réservé les Américains, du fait qu'ils l'ont gardé à part des autres jeunes à Camp Iguana, et qu'il doit y avoir à cela une bonne raison. Eh bien, je crois que vous donnez le bénéfice du doute aux gens là-bas, car cette histoire nous frappe, la plupart d'entre nous, comme en étant une où les États-Unis se servent de la personne en question presque comme s'il s'agissait d'un vétéran aguerri des campagnes d'Al-Qaïda, plutôt que d'un garçon de 15 ans.
Vous allez certainement être en désaccord avec ma vision des choses, je crois qu'il s'agit d'un garçon de 14 ans, qui, en bon fils, a suivi fidèlement son père jusqu'à cet endroit, mais au coeur même de la question, il nous faut savoir si... Je vais m'interrompre moi-même.
Vous avez dit que le Canada s'immisçait dans les affaires américaines. Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que notre gouvernement, en défendant un citoyen, quel qu'il soit, en s'assurant qu'il ait droit à un procès équitable, à l'habeas corpus, et aux droits que lui confère le droit canadien, s'immisce dans les affaires d'un autre État. Si vous bénéficiez d'une relation positive avec l'autre État en question, comme c'est le cas pour l'Australie et la Grande-Bretagne, vous faites rapatrier votre ressortissant au Canada pour qu'il puisse subir son procès...
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Je serais très heureux de le faire.
Il faut situer cela dans un certain contexte. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait environ deux millions de combattants détenus par les États-Unis de par le monde, plus de 400 000 sur le territoire américain lui-même — pas à Guantanamo Bay, pas à Cuba, mais sur le territoire des États-Unis. Il n'est jamais venu à l'esprit de quiconque que ces détenus disposaient du droit d'habeas corpus; personne ne prétendait que c'était là une transgression du droit international.
Par contraste, le procédé en place face aux détenus à Guantanamo Bay — excusez-moi, je vais me reporter à mes notes, c'est assez compliqué — se présente comme suit. La décision d'assimiler la personne à un combattant ennemi repose toujours sur les faits uniques qui se rapportent à son cas.
Une fois l'évaluation initiale faite à cet égard, la décision est soumise à deux niveaux d'examen obligatoire, d'abord celui d'un conseiller juridique au tribunal militaire spécial, puis celui du directeur du tribunal. À lui seul, cet examen a conduit à l'élimination de la liste des combattants ennemis 38 détenus qui ont maintenant été libérés. Les tribunaux fantoches ne libèrent pas; ils accusent.
Outre le processus d'examen au tribunal militaire spécial, le département de la Défense procède à un examen administratif annuel des dossiers pour déterminer s'il convient de libérer ou de faire rapatrier chaque combattant ennemi. Depuis 2002, 390 détenus environ, soit plus de la moitié des détenus, ont été transférés ou libérés du fait de cette démarche.
Outre les tribunaux militaires spéciaux et les commissions militaires, les détenus disposent d'un droit d'appel, devant la Cour d'appel du District of Columbia, un tribunal civil, et devant la Cour suprême, ensuite.
Pour répondre à une question qui a été posée plus tôt, c'est l'étape à laquelle toute accusation de torture peut être abordée par un tribunal civil, et un tribunal civil très responsable, parce qu'il est probablement le tribunal supérieur des États-Unis et probablement le deuxième tribunal en importance aux États-Unis.
Dans l'ensemble de l'appareil militaire... Khadr aura recours à un représentant compétent et dévoué qui s'activera sérieusement à...
Quant à savoir si les Américains respectent ou dépassent même les normes internationales — c'est comme pour les conventions de Genève —, les tribunaux militaires spéciaux exigent de la part des juges des qualités particulières, pour que l'indépendance du tribunal soit assurée. C'est davantage que ce que nous avons accordé aux accusés à Nuremberg. Il n'y a pas de critères comparables. Un tribunal est constitué en vertu de l'article 5. Les Américains donnent aux détenus un représentant personnel pour les affaires intéressant le tribunal militaire spécial et un avocat militaire pour les affaires intéressant les commissions militaires. Le premier n'est pas une exigence liée à un tribunal constitué en vertu de l'article 5; le deuxième répond aux exigences de la Convention de Genève.
Le rapporteur est obligé de fournir au tribunal des éléments pour faire valoir que le détenu ne devrait pas être désigné combattant ennemi — c'est l'avocat du diable, si vous voulez. Les conventions de Genève ne comportent aucune exigence de cette nature.
Avant l'audience, le détenu reçoit un résumé non classifié des éléments de preuve justifiant sa détention. Il a alors l'occasion de témoigner. Un tribunal constitué en vertu de l'article 5 n'est soumis à aucune exigence de cette nature.
Le détenu a le droit de présenter en preuve des documents pertinents. Les tribunaux constitués en vertu de l'article 5 ne donnent pas de garantie du genre.
Chaque décision est examinée d'office par une autorité supérieure. Les conventions de Genève ne prévoient pas de droit d'appel.
En bref, sans exposer toutes les procédures que les Américains ont adoptées sous forme de textes législatifs, je dirais que ce sont quand même là les points clés où les procès aux États-Unis respectent ou dépassent les exigences du droit international.
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Bonjour. Au nom de la Canadian Coalition for Democracies, je tiens à remercier le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de m'avoir invité à venir témoigner.
Fondée en 2003, la Canadian Coalition for Democracies — la CCD, en abrégé — est un organisme apolitique, multiethnique et pluriconfessionnel à vocation nationale. Il regroupe des Canadiens soucieux de promouvoir la démocratie au Canada même et à l'étranger ainsi que de défendre les libertés civiles et la sécurité nationale. La CCD privilégie la recherche, l'éducation et les communications médiatiques afin de mieux faire saisir l'importance que revêt une politique étrangère prodémocratie qui est axée sur la sécurité nationale.
La CCD s'inquiète de M. Omar Khadr et des difficultés que son cas pose pour le Canada en tant que pays respectueux des droits de la personne, du droit international et du principe de l'équité en matière de procédure. Avant de faire valoir nos préoccupations, à la CCD, nous souhaitons affirmer clairement que, d'abord, nous appuyons le droit pour M. Khadr d'avoir accès au consulat canadien et, ensuite, nous croyons que le gouvernement canadien a l'obligation d'intervenir directement auprès du gouvernement américain — qui est un proche allié et un important partenaire commercial — pour s'assurer que M. Khadr bénéficie pleinement du régime de droit et de procédure prévu dans la constitution américaine.
Pendant mon exposé, je toucherai à trois questions découlant de l'affaire Khadr: le conflit de compétences entourant le traitement de M. Khadr, la famille Khadr et le champ d'application de la citoyenneté canadienne.
La CCD se soucie du précédent qui pourrait découler du règlement des questions de compétence entourant les accusations pesant contre M. Khadr, soit « d'avoir comploté avec des membres d'Al Qaïda en vue de la perpétration d'actes meurtriers et d'actes terroristes contre les forces américaines et celles de la coalition ».
Les faits généraux entourant l'affaire et les témoignages entendus par votre comité font voir le conflit de compétences qui se dessine à propos de M. Khadr. Quel pays a le droit et la responsabilité de lui faire subir son procès? Trois administrations nationales viennent à l'esprit: l'Afghanistan, les États-Unis d'Amérique et le Canada.
Selon les allégations, M. Khadr, qui est citoyen canadien, aurait commis de graves actes criminels en Afghanistan. Tout le reste étant égal par ailleurs, l'Afghanistan aurait donc pu se déclarer compétente pour entendre toute affaire comportant un homicide et une blessure. Les États-Unis d'Amérique auraient pu se déclarer compétents aussi, étant donné que deux de ses citoyens — un qui a été blessé, et l'autre, tué — les deux faisant partie de l'armée américaine, ont été les victimes dans l'affaire: le sergent Layne Morris et l'infirmier et sergent de première classe Christopher James Speer.
Le troisième État ayant une compétence donnée à propos de M. Khadr est le Canada, dont il se trouve à être citoyen. M. Khadr n'a pas été accusé en Afghanistan des crimes qu'il y aurait commis. Ce sont plutôt les États-Unis qui ont revendiqué la compétence pour accuser M. Khadr et le traduire devant un tribunal américain. Dans sa décision récente, la Cour suprême du Canada reconnaît les lacunes constitutionnelles et autre mises en relief par la Cour suprême des États-Unis ainsi que la critique formulée par cette dernière des dispositions prises pour traiter le cas de M. Khadr devant un tribunal militaire. Cependant, certains signes donnent à croire que ce régime de tribunaux militaires a été révisé de manière à tenir compte des questions juridiques internationales. De toute manière, la Cour suprême du Canada a peut-être fait preuve d'un plus grand réalisme lorsqu'elle a tranché à l'unanimité, dans l'arrêt Canada c. Khadr: « l'issue de la procédure engagée contre M. Khadr peut échapper à la compétence et à la volonté du Canada... »
Compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada, la CCD croit que le Parlement doit permettre à la démarche de suivre son cours, à condition que M. Khadr ait droit à l'entière protection juridique prévue dans la constitution américaine.
Pour ce qui est de la famille Khadr, la CCD se soucie des éventuelles responsabilités juridiques et autres de certains membres de la famille immédiate de M. Khadr, car un ou plusieurs d'entre eux auraient mis en péril la sécurité de M. Khadr et d'autres personnes en le radicalisant et en l'incitant à idéaliser le statut de shahid — de martyr. Puis, ils ont mis un enfant entre les mains des plus virulents parmi les adeptes de la guerre sainte ou du djihad qui sont dans le monde. La CCD croit qu'il incombe au Parlement et au ministre de la Justice d'examiner le rôle joué par les membres de la famille Khadr lorsqu'il s'agit d'exposer un enfant, Omar Khadr, à l'époque où il était toujours en Afghanistan, à ce qu'on peut considérer comme une incitation djihadiste à la haine et en lui donnant accès à des armes, rien de moins que pour tuer. De fait, dans quelle mesure cette école de la haine se tient-elle dans les domiciles et les établissements de notre propre pays?
Les témoignages présentés devant votre sous-comité le font voir: l'avocat chargé de la défense de M. Khadr, le lieutenant-commandant Kuebler, déclare avoir « condamné les propos de Maha et Zaynab Khadr » en ajoutant que « le gouvernement américain serait en droit de ne pas vouloir rapatrier Omar, car celui-ci serait exposé aux influences de sa famille immédiate ». Compte tenu de telles déclarations, nous devons nous demander pourquoi le sous-comité des droits de la personne, le ministre de la Justice et même la ministre des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario ne font pas enquête sur le rôle qu'a peut-être joué la famille Khadr pour pousser Omar Khadr sur le chemin du martyre.
Les Canadiens doivent savoir s'il y a eu négligence ou pire encore de la part de Maha Khadr, et de montrer que la présomption en faveur de l'intérêt supérieur de l'enfant en droit de la famille n'englobe pas la haine et le meurtre. Qui plus est, les Canadiens méritent de comprendre pleinement le rôle joué par la famille Khadr pour promouvoir le djihad et le martyre auprès d'enfants qui étaient des citoyens canadiens. Les membres de la famille Khadr ont-ils été les complices des infractions alléguées d'Omar Khadr? Encore une fois, il faudrait faire enquête là-dessus.
Si M. Omar Khadr a justement été amadoué ou manipulé au point de devenir djihadiste, les personnes responsables devraient être traduites en justice au Canada dès que possible. Si nous omettons de faire respecter nos lois, cela crée un précédent dangereux qui encourage les parents extrémistes à faire du Canada un refuge de la haine où préparer des enfants canadiens au djihad islamiste à l'insu d'étrangers et de voisins canadiens.
Ensuite, permettez-moi d'aborder brièvement la question de la citoyenneté canadienne. La CCD se soucie aussi de ce que le Parlement prête peu d'attention à la nécessité d'avoir une idée claire de ce que sont les droits et les devoirs des citoyens et du gouvernement du point de vue de la citoyenneté canadienne et également d'étudier la question sérieusement. La CCD invite vivement les membres du sous-comité et du Parlement dans son ensemble à entreprendre un examen global des droits et responsabilités associés à la citoyenneté canadienne, et à la citoyenneté double, à cette époque nouvelle qui se caractérise par les voyages de par le monde, le tourisme, les conflits régionaux d'origine tribale et les guerres perpétrées pas des acteurs non étatiques comme le Hezbollah, le Hamas et al-Qaïda.
Dans le contexte, la CCD incite le Parlement à envisager sérieusement la question de la double citoyenneté, notamment celle des Canadiens qui, sans l'autorisation du Canada, font partie de milices et de forces armées étrangères comme les forces de défense israéliennes, l'union des tribunaux islamiques en Somalie, les Talibans ou les forces armées américaines. Le service dans les armées étrangères — ou les administrations étrangères, tant qu'à y être — est-il vraiment compatible avec le genre de loyauté que méritent le Canada et les Canadiens? Le Parlement doit déterminer s'il souhaite continuer de permettre à tous les Canadiens, quel que soit leur pays d'origine, de préserver la double nationalité.
Nous avons vu, dans le cas de la Syrie et de M. Maher Arar, que certains pays refusent de respecter la citoyenneté canadienne. En étudiant et en examinant la question de la citoyenneté et du rôle que doit jouer le gouvernement dans les affaires connexes, le Parlement peut entamer un dialogue important. Les parlementaires peuvent préciser ce que cela veut dire que d'être Canadien, quelles sont les limites et les attentes qui s'appliquent aux citoyens au pays aussi bien qu'à l'étranger, et quelles sont par nature les limites au-delà desquelles la capacité qu'a le Canada de venir en aide à ses ressortissants à l'étranger peuvent être circonscrites. C'est une question fondamentale de souveraineté et, comme le font voir certains des éléments de l'affaire Khadr, c'est une conversation qu'il y a lieu d'avoir depuis longtemps.
Merci.