Je dirai d'abord que la Criminal Lawyers's Association est heureuse de comparaître devant le comité pour aborder des questions soulevées dans le projet de loi C-36 qui lui semblent d'une importance fondamentale.
L'association, comme certains d'entre vous le savent peut-être, est une organisation sans but lucratif fondée le 1er novembre 1971. Elle représente environ un millier d'avocats de la défense criminalistes en Ontario. Ses objectifs sont de renseigner, de promouvoir des points de vue et de représenter ses membres dans des dossiers de droit pénal et constitutionnel.
La Criminal Lawyers' Association appuie le principe selon lequel les délinquants qui ont commis un meurtre ne doivent être remis en liberté que s'ils ne présentent plus de risque excessif de récidive, mais elle croit que les modifications à la disposition de la dernière chance proposées dans le projet de loi C-36 ne servent pas cet objectif. Il importe de remarquer les passages suivants de son mémoire:
Premier point: toutes les nouvelles mesures législatives du gouvernement en matière pénale visent à responsabiliser le système de justice pénale et à rétablir la confiance du public. La disposition de la dernière chance est une affaire de confiance du public. C'est le public, c'est-à-dire le jury, qui entend la preuve et qui est le mieux placé pour rendre une décision.
Deuxième point: on a beaucoup parlé de la revictimisation provoquée par la disposition actuelle de la dernière chance. Il ne faut pas oublier que, par définition, les condamnations remontent à au moins 15 ans, qu'elles ne sont pas contestées, que le constat de culpabilité demeure. C'est une excellente occasion, pour les victimes de violence, de voir quels progrès le délinquant a réalisés.
Troisième point: la disposition constitue un encouragement fort nécessaire pour inciter les personnes condamnées à profiter au maximum des divers moyens de réadaptation et programmes qui leur sont offerts pendant leur détention. La plupart des délinquants finissent un jour par recouvrer leur liberté. Il est dans notre intérêt qu'ils restent motivés à se réadapter.
Quatrième point: jusqu'au 13 avril dernier, 991 condamnés à perpétuité ont eu le droit de demander une révision judiciaire, mais il n'y a eu que 174 décisions des tribunaux, et une réduction a été accordée dans 144 cas. Il semble donc que seuls les délinquants qui ont la meilleure chance de réussite demandent une réduction de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. En un sens, ils font eux-mêmes une présélection.
Cinquième point: la Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé une libération, pour les détenus qui ont eu une révision judiciaire, dans 131 cas, mais on ne sait pas combien il a fallu d'audiences, après la réduction de la période d'inadmissibilité, pour que le délinquant obtienne une forme ou l'autre de mise en liberté provisoire. Et il faut ajouter que la peine du détenu remis en liberté n'est pas terminée. Ces détenus sont en libération conditionnelle pour le reste de leur vie. C'est le sens de « perpétuité ». Cela ne veut pas dire non plus que la première mise en liberté accordée sera une libération conditionnelle complète; cela ne veut même pas dire que ce sera une semi-liberté. Les condamnés à perpétuité qui sont dans les services correctionnels doivent, pour obtenir leur libération, acquérir une certaine crédibilité grâce à des mises en liberté de plus en plus importantes et gagner la confiance des décideurs. Il arrive donc souvent que la première mise en liberté soit une permission de sortir avec escorte; si tout se passe bien, le détenu finit par obtenir une permission de sortir sans escorte. Ensuite, à supposer que tout se passe bien et qu'il ne présente aucun risque excessif, le détenu obtient une semi-liberté. C'est seulement ensuite que, toutes choses égales par ailleurs et le risque demeurant gérable, il peut obtenir la pleine libération. C'est une démarche très lente et, à dire vrai, très difficile que le détenu doit suivre pour être libéré, même si la révision judiciaire lui a été favorable.
Sixième point: d'après les statistiques, il semble que, sur les sept délinquants dont la pleine libération a été révoquée — ce sont des délinquants qui ont été libérés par la commission nationale, qui ont obtenu la pleine libération, et, dans les sept cas, la libération a été révoquée, si bien qu'ils sont retournés en prison leur libération ayant été annulée —, deux avaient manqué à leurs conditions de libération, trois avaient commis une nouvelle infraction, mais sans violence, et deux avaient commis une nouvelle infraction avec violence. L'écrasante majorité des condamnés à perpétuité qui ont été libérés n'ont pas récidivé, et surtout pas par un crime de violence.
Enfin, parmi les points que je voulais aborder dans mon exposé liminaire, je signale que l'actuelle procédure préalable prévue à l’article 745.61 du Code criminel — une procédure de contrôle par un juge, avant que l'affaire ne soit renvoyée à un jury — suffit, selon nous, à éviter que les demandes considérées comme frivoles ne soient présentées à un jury. La démarche est bloquée dès le départ, si on peut dire.
Ce sera avec un grand plaisir que je répondrai aux questions que vous auriez à poser.
Merci beaucoup.
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Au cours de la 34
e législature, deux projets de loi d'initiative parlementaire ont été présentés, prévoyant un accès plus tardif à la révision de la période d'inadmissibilité des personnes condamnées pour meurtre au premier degré ou l'élimination de cette révision. Le projet de loi C-311 aurait exigé que ces délinquants purgent 20 ans de prison avant de pouvoir demander une révision, tandis que le C-330 aurait éliminé la révision judiciaire pour ces détenus. Les deux projets auraient laissé intacte la révision judiciaire pour les meurtres au deuxième degré.
Un autre projet de loi d'initiative parlementaire a été présenté en mars 1994. Le C-226 proposait l'élimination complète de la révision de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Il a occupé l'actualité un certain temps et il a provoqué un grand débat et une controverse au sujet de la disposition de la dernière chance, jusqu'à ce que le projet de loi C-45 soit présenté et continue de nourrir un débat et une controverse considérables. Il a fini par aboutir à la modification de l'article 745 du Code criminel.
Depuis 1990, notre organisation rencontre des députés et demande l'abrogation complète de cette disposition. En fait, nous avons entrepris nos démarches plus tôt, mais alors, personne ne nous prenait au sérieux. Nous préparions les victimes en les informant de cette disposition après le prononcé de la sentence dans la cause qui les intéressait. Certaines retournaient voir le procureur du ministère public, qui leur disait que ce n'était pas vrai, que le juge avait précisé clairement que l'admissibilité à la libération conditionnelle serait rétablie après 25 ans et non après 15 ans. Inutile de dire que cela semait la confusion chez les victimes et les perturbait davantage. Certaines se mettaient en colère après nous parce que, leur semblait-il, nous ne les avions pas bien informées. À l'époque, très peu de députés et à peu près aucun membre du public ou journaliste ne soupçonnaient l'existence de cette disposition.
Ce fut une surprise et un choc considérables pour bien des victimes, députés et membres du grand public lorsqu'un nombre croissant de délinquants parmi les pires au Canada approchaient des 15 ans et obtenaient le droit de demander une révision judiciaire. Le Parlement allait de nouveau faire l'objet de pressions constantes pour que la loi soit modifiée de nouveau afin de concilier deux valeurs fondamentales qui sont souvent en conflit: la condamnation du crime et la réadaptation du délinquant. En 1991, les opposants ont fini par reconnaître la vérité des faits. Il y a eu cinq ans de débat public enflammé dans lequel le Parlement a dû se dépêtrer jusqu'en 1997, année où le gouvernement libéral et le ministre fédéral de la Justice, Allan Rock, ont apporté des modifications au moyen du projet de loi C-45.
Il y a 12 ans, en 1997, il y a eu beaucoup de réunions et de consultations, une fois que nous avons été informés des modifications que le ministre de la Justice, l'honorable Allan Rock, proposait à la disposition de la dernière chance. Nous avons réclamé des consultations plus poussées sur le projet de loi C-45. D'autres nous ont conseillé d'accepter ce qui était proposé. Au moins, ce serait mieux que rien. C'était un progrès, c'était un certain resserrement de la disposition, et cela ne nous empêcherait pas de continuer à réclamer l'abrogation complète de l'article 745. Il s'agissait, comme on dit souvent, d'avancer pas à pas.
Rappelez-vous que, à l'époque, en Colombie-Britannique, Clifford Olson, se préparait à exercer son droit automatique à une audience de révision au bout de 15 ans de prison. Au même moment, Paul Bernardo et Allan Legere entraient dans le tableau. Les Canadiens étaient indignés. On pressait le gouvernement d'agir. On a alors atteint un haut niveau d'intensité.
Notre organisation a rencontré beaucoup de victimes un peu partout au Canada, et elle a songé à appuyer les nouvelles modifications proposées. Au bout du compte, en juin 1997, j'ai dit au cours de la dernière séance du Comité de la justice, avant que les nouvelles modifications ne soient annoncées, que nous n'accepterions rien de moins que l'abrogation totale de l'article 745. Selon notre organisation, ce n'était pas légiférer judicieusement que d'apporter des modifications en fonction de quelques cas très remarqués, comme celui de Clifford Olson, qui avait demandé que son audience ait lieu en août de la même année. Pas étonnant, donc, que les modifications proposées dans le projet de loi C-45 fassent l'objet d'une vive controverse, vu les intérêts et les susceptibilités en cause.
Sur une note personnelle, je dirai que pour mon mari et moi, qui défendions toutes les victimes de crime, ce fut une épée à double tranchant. Ce qui s'est passé, comme vous le savez tous, c'est que les modifications n'ont visé que les auteurs de plusieurs meurtres. Cela a provoqué l'indignation de bien des victimes. Elles disaient ne pas comprendre ces modifications, car les nouvelles dispositions de 1997 laissaient sous-entendre qu'un seul meurtre était moins grave que plusieurs. Selon les victimes, c'était là une utilisation inacceptable et sans précédent du nombre comme mesure de la gravité d'un crime.
Les victimes estimaient également qu'il n'y avait pas de vrais changements dans la façon dont l'audience de révision se déroulerait, puisque l'audience permettant d'accorder l'admissibilité à la libération conditionnelle plus tôt continuait de n'utiliser qu'une information très limitée sur le crime.
De plus, les victimes avaient l'impression qu'on ne faisait que créer un autre échelon de bureaucratie et que le droit absolu à une audience avait été remplacé par un droit absolu à des appels pour obtenir une audience.
Les victimes pensaient également que le processus faisait toujours revivre le meurtre aux familles des victimes et occasionnait de nouvelles dépenses aux contribuables.
De toute façon, il est devenu clair que le projet de loi C-45 ne réglerait pas la question. Les partis de l'opposition ont même continué de réclamer l'abolition complète du processus de révision judiciaire, et au moins l'un de ces partis a fait de la promesse de cette abolition un élément de son programme des élections suivantes.
L'agitation et la controverse ont continué après les modifications de 1997. La confusion régnait toujours, car les juges continuaient de dire au moment de la détermination de la peine que le délinquant purgerait sa peine et que la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle était fixée à 25 ans. Comme les victimes et le public ne savaient toujours pas à quoi s'en tenir, le code a été de nouveau modifié en 1999 par l'ajout de l'article 745.01: le juge était tenu, en établissant la peine, de faire pour la famille et parents de la victime une déclaration sur l'existence et la nature de la disposition de la dernière chance.
Je dois avouer ma perplexité, lorsque je constate qu'on utilise cette question importante comme un outil politique. Ce qu'on dit des victimes qui sont utilisées à des fins politiques est préjudiciable et s'éloigne des faits. Cela ne s'est pas fait entre 1991 et 1997, lorsque le gouvernement libéral a dû se saisir de cette question controversée. Il y a effectivement controverse. Cela me dérange, car il y a des vies réelles en jeu dans cette disposition, celle des victimes, celle des familles, des parents, des amis, et aussi celle des délinquants. C'est très grave.
En 1971, tout juste cinq ans avant que la disposition sur la dernière chance ne soit adoptée, en 1976, le solliciteur général, Jean-Pierre Goyer a annoncé à la Chambre des communes l'intention du gouvernement d'insister sur la réadaptation des criminels, malgré les risques pour le public. Il a déclaré:
[...] trop de Canadiens semblent ignorer que le but du processus de correction est de faire du délinquant un citoyen utile à la collectivité dans le respect des lois, et non plus un individu étranger à la société et en guerre avec elle. [...] Nous avons donc décidé d'hésiter sur la réhabilitation de l'individu plutôt que sur la protection de la société.
Cette orientation n'a pas été sans semer la controverse. Dans ce contexte, notre organisation ne peut que présumer que cette orientation controversée a joué un rôle important dans l'adoption, en 1976, de la disposition de la dernière chance. En réalité, il s'agissait du même gouvernement. Selon nous, lorsque cette disposition a été adoptée, il y a 33 ans, la population canadienne n'était pas aussi instruite ou éclairée qu'aujourd'hui en matière de justice pénale. Il n'était pas possible que les victimes soient consultées comme elles le sont aujourd'hui. On n'entendait pas parler d'organisations de défense des victimes du crime. Les seules organisations consultées à l'époque étaient celles qui défendaient les droits des délinquants. Il est donc logique que l'on continue d'apporter des modifications à la disposition controversée de la dernière chance.
Les opposants soutiennent que les demandes faites en vertu de la disposition de la dernière chance traumatisent les familles, qui doivent se remémorer les détails de l'affaire et envisager la possibilité que le criminel réintègre la société. Les partisans sont d'avis que la disposition est nécessaire pour donner aux meurtriers condamnés un peu d'espoir et éviter ainsi que les prisons ne deviennent plus dangereuses. Un sénateur a affirmé: « Si cette disposition n'existe plus, bien des délinquants auront l'impression de ne pas avoir de raisons, ou très peu, de se réadapter et même de vivre paisiblement aux côtés des autres détenus. » Ce sont là de vraies préoccupations.
On s'inquiète aussi des coûts pour les Canadiens. L'organisation Victims of Violence comprend qu'on s'inquiète de l'argent des contribuables qui sert à loger les délinquants pendant une longue période, mais il est peut-être plus important de tenir compte des coûts à subir lorsque les délinquants sont libérés trop tôt. Il est peut-être plus important de considérer le coût en vies humaines, dans le calcul des coûts entraînés par l'article 745.6. Ou peut-être faudrait-il tenir compte de l'opinion des Canadiens au sujet de l'argent des impôts dépensé pour la tenue des audiences prévues par la disposition, car il faut des avocats de la défense et du ministère public, des juges, des jurés, du temps d'audience, des sténographes judiciaires, des témoins experts, des services de transport aérien, des gardiens de sécurité, des gardiens de prison, sans oublier les frais de participation des familles des victimes aux audiences. Chaque audience coûte très cher.
Nous, chez Victims of Violence, croyons que le processus favorise lourdement le délinquant. On met l'accent sur la réadaptation plutôt que sur le crime, la victime ou les conséquences du crime pour la famille et la collectivité.
Selon nous, lorsque M. Warren Allmand, député responsable de cette disposition, a parlé du gaspillage de la vie du délinquant qui reste 25 ans en prison, il a semblé oublié la vie innocente que le délinquant a sacrifiée lorsqu'il a décidé de commettre le meurtre. Il n'y a ni libération conditionnelle, ni révision judiciaire pour les victimes de meurtre et leur famille. Elles n'ont ni dernière chance ni échappatoire juridique pour abréger leur peine.
Victims of Violence croit également que le délinquant n'est pas incarcéré pour être puni. C'est la sentence elle-même qui est le châtiment, selon le Code criminel du Canada. Nous continuons donc de poser une question fort simple: la peine est-elle de 25 ans ou de 15 ans? Il faut choisir.
Victims of Violence a toujours de graves préoccupations au sujet des modifications de 1997. Au mieux, nous espérons que des familles éviteront d'être soumises à des audiences de révision judiciaire; au pire, cela ne fait que compliquer la compréhension du processus et ne rétablit pas la vérité des peines. L'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans n'est toujours pas ce qu'on pourrait croire. Il n'est pas acceptable que des familles de victimes doivent subir des audiences de la dernière chance et que d'autres n'aient pas à le faire, maintenant ou plus tard, en raison des modifications de 1997.
Pour conclure, je voudrais réagir à une proposition faite par un député au aux Communes. Il a proposé, parce qu'il s'inquiétait du fait les familles des victimes devaient subir les audiences de la dernière chance, qu'il y ait une étape intermédiaire: un juge et un jury examineraient la situation, comme le régime le permet, sans que la famille de la victime ait à être présente. Je remercie le député de sa sollicitude sincère, et je vais essayer de lui répondre en me plaçant du point de vue d'une victime. Mais je ne m'attends pas à ce que tous comprennent pleinement ou soient d'accord.
La plupart des victimes sentent le besoin d'assister à toutes les instances qui concernent le délinquant qui les a privés d'un être cher. C'est avec un honneur empreint d'humilité et une ferme conviction que nous représentons cet être cher, car vous savez, peu importe le nombre des années, on n'arrive jamais à tourner la page lorsqu'un autre être humain a pris la vie d'un être cher. On ne se résigne jamais à la façon dont il est mort. Ce n'est pas naturel. Le résultat du meurtre est hideux. La blessure du crime de violence est toujours béante. Cela ne s'oublie jamais, même si la vie continue et si nous constatons avec les ans qu'il peut y avoir une vie après le meurtre d'un être cher.
En réalité, la victime sait qu'on peut tourner la page à certaines étapes du système de justice, que les instances ont ou sont censées avoir quelque chose de définitif, et ce caractère définitif est une façon de tourner la page. Pour nous, ce semble la dernière forme de droit de la personne qui reste pour l'être cher. Voilà pourquoi nous, de la famille, voulons toujours être là pour le représenter.
La plupart des victimes ont l'impression que les délinquants décident de s'ingérer dans la famille en prenant la vie d'un de ses membres. Par la suite, nous sommes, non par choix, mais par le jeu des circonstances, une partie de la vie du délinquant en représentant l'être cher. Nous voulons donc participer à toutes les instances, y compris toute forme d'audience sur la libération conditionnelle.
J'espère que cela explique un peu pourquoi il ne semble pas logique pour certains que, comme victimes, nous nous soumettions chaque fois, même après des années, à ces audiences difficiles sur la libération conditionnelle. Certains pensent que c'est par esprit de revanche. Dans certains cas, c'est peut-être vrai. D'autres trouvent que nous sommes un ennui à l'étape de l'audience sur la libération conditionnelle. C'est peut-être vrai. Mais la plupart du temps, c'est simple pour nous: le délinquant et le système de justice ont peut-être oublié ces êtres chers, mais pas nous, les familles des victimes. La plupart d'entre nous seront toujours là pour les représenter et parler en leur nom. C'est pourquoi les familles assistent à toutes les audiences, même si, malgré le passage des années, cela rouvre des plaies. C'est ainsi.
Dans nos efforts constants de réadaptation, il ne faut pas tenir compte que de la réadaptation du délinquant.
Peut-être l'abrogation de la disposition a-t-elle une dimension punitive, mais pourquoi avons-nous une loi qui semble trop punitive? Si un parti politique et des législateurs sont d'avis que 25 ans, c'est trop sévère et que les Canadiens partagent cet avis, qu'ils ramènent la période à 15 ans. Ainsi, on ne manquera pas de respect à la victime par un jeu de cache-cache qui dissimule la vraie peine prévue par le Code criminel du Canada. Voilà pourquoi les familles sont tellement troublées, se mettant à la place de ceux qu'ils aiment. Elles vivent à leur place un mensonge. Ce n'est pas juste.
Je crois que la seule réponse, pour les législateurs, aujourd'hui, est de faire respecter ce que le Code criminel prévoit, ce qui veut dire en fin de compte voter en faveur de l'abrogation de la disposition de la dernière chance. Quand il s'agit des peines prévues par le Code criminel, il faut se brancher. Notre respecté Code criminel est discrédité à cause de cette disposition et il l'est depuis les premiers cas, en 1987. Et il le restera jusqu'à ce que soit rétablie la vérité des peines.
Merci beaucoup, et désolée d'avoir dépassé mon temps de parole.
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Oui, bien que je ne prétende pas être parfaitement au fait de tous les problèmes qui concernent les hommes, puisque je n'ai pas travaillé avec eux depuis un certain temps.
Je me présente: Kim Pate, de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Merci au comité de son invitation. Merci également à ceux qui témoignent avec moi, Michael Mandelcorn et Sharon Rosenfeldt. Nous sommes nombreux à avoir déjà comparu ici bien des fois.
À ceux qui ne le sauraient pas, je dirai que notre organisation travaille avec les femmes et les jeunes filles marginalisées, victimisées, criminelles et incarcérées. D'un bout à l'autre du Canada, nous offrons à peu près tous les services, à partir de l'intervention précoce auprès des femmes et jeunes filles jusqu'aux services aux victimes dans certains secteurs en passant par le travail de réinstallation et le travail dans les prisons. Il y a toute une gamme de services. Voilà le contexte de la masse d'information que je vais présenter. Comme notre organisation a travaillé avec toutes les femmes dont la situation a fait l'objet d'une révision judiciaire jusqu'ici, je peux également parler expressément de certains de ces cas.
Avec le plus grand respect pour leur point de vue, nous savons que des familles de victimes font partie de groupes comme Families Against Mandatory Minimums, groupe américain qui jouit de solides appuis. Certains d'entre vous savent aussi que ma famille n'a pas été épargnée. Ma fille n'a pas de grand-père, parce qu'il a été assassiné. Je ne prétends pas connaître tous les impacts, mais je sais jusqu'à un certain point ce que la perte d'un de ses membres peut avoir sur toute la famille.
Un élément me semble essentiel: lorsqu'il y a eu des audiences, en 1996, avant les réformes de 1997, les médias ont diffusé beaucoup d'information erronée. Vous en avez entendu une partie. Ils ont dit par exemple que l'article 745, la disposition de la dernière chance, modifie les peines. Ce n'est pas le cas. Il s'agit toujours de peines à perpétuité. Le seul résultat, si le détenu a gain de cause, c'est la réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
De longues années d'observation du processus nous ont appris que la majorité de ceux qui peuvent s'adresser au juge en chef de la province où ils ont été condamnés ne présentent même pas de demande. Selon les derniers chiffres que j'ai pu obtenir — Michael Mandelcorn a donné les chiffres absolus — environ 39 p. 100 de ceux qui peuvent présenter une demande le font effectivement. Il y en a qui, comme Sharon Rosenfeldt l'a dit, n'ont aucun espoir et ne vont pas au-delà du stade du juge en chef. S'il n'y a aucune possibilité de franchir cette étape, ils ne présentent pas de demande. Ceux qui le font se présentent devant 12 jurés de l'endroit où ils ont été condamnés. J'ai suivi un certain nombre de ces audiences, et je peux vous dire qu'elles sont très rigoureuses. La loi permet aux victimes de s'exprimer. Certaines le font et d'autres pas.
Pour ce qui est des femmes dont je connais le cas, six sur dix qui ont pu faire une demande jusqu'ici ont été mêlées à la mort d'hommes qui les agressaient. Voilà qui montre ces délinquantes sous un jour bien différent. Elles ont été tenues responsables de ces morts. Elles sont en prison à cause de ces morts et purgent des peines pour meurtre au premier degré. Certaines ont été condamnées avant qu'on en sache beaucoup sur la misère des femmes battues. D'autres ont refusé que leurs enfants témoignent alors qu'ils étaient les seuls témoins possibles. Certaines ont été encouragées à ne pas témoigner du tout. Pour certaines, ce fut à cause d'autres circonstances dans leur propre vie, ou bien elles étaient liées à quelqu'un d'autre qui a également été mêlé à la perpétration de l'acte. Des dix femmes que je connais, deux ont été jugées par le jury inadmissibles à une réduction de la période d'inadmissibilité.
Une femme a décidé de ne jamais faire de demande, même si elle était victime d'un mari violent, parce que ses enfants auraient été appelés à témoigner. Elle craignait les conséquences pour ses enfants, qui avaient perdu leur père et dont la mère était en prison, et aussi les conséquences de la publicité entourant l'affaire. Tout comme bien des femmes victimes de violence, elle a assumé une part de responsabilité. Même si juridiquement, publiquement et du point de vue de la morale et de l'éthique, nous ne la tiendrions pas responsable de la violence qu'elle a subie, elle a pris une part de responsabilité. Le moment venu de se prévaloir de l'article 745 et de faire une demande, elle a décidé de s'abstenir par crainte des répercussions sur ses petits-enfants. Elle a refusé de faire une demande parce que la publicité risquait de faire du mal ses petits-enfants. La famille vient d'une petite localité.
Quant à celles qui ont réussi, dans la mesure où on peut parler de succès dans ce contexte, des victimes ont participé aux audiences mais d'autres ont préféré ne pas le faire. Certaines des victimes étaient des membres de la même famille que la délinquante. Dans ces cas, il faut... Après la révision judiciaire, après le début du processus de la dernière chance, ce qui ne peut avoir lieu avant 15 ans, même lorsque la démarche réussit... La demande est présentée au juge en chef. Puis, il y a la comparution devant le jury, l'examen de toute la preuve, y compris l'opinion de la victime et celle du Service correctionnel du Canada et de ceux qui ont travaillé avec le délinquant. Le jury essaie de voir ensuite si le délinquant mérite de pouvoir s'adresser à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour que soit réduite sa période d'inadmissibilité. Il faut s'entendre ensuite sur l'importance de cette réduction.
D'après mon expérience, pour ceux qui obtiennent la permission du jury pour faire une demande et dont la période d'inadmissibilité est modifiée, il faut compter environ trois ans avant de comparaître devant la Commission nationale des libérations conditionnelles. Et parfois, ils ne peuvent comparaître s'ils n'ont pas fait tout ce que le Service correctionnel du Canada exige pour appuyer une demande devant la commission. Ils doivent terminer les programmes qu'ils sont censés suivre. Or, comme vous le savez, compte tenu du nombre croissant de détenus, les derniers sur la liste, pour suivre les programmes, sont ceux qui purgent les peines les plus longues.
Pour aller de l'avant, les délinquants ont besoin de la recommandation du Service correctionnel du Canada. Puis, ils s'adressent à la Commission nationale des libérations conditionnelles qui voit s'ils sont admissibles à la libération conditionnelle.
Le premier souci de la Commission nationale des libérations conditionnelles est la protection du public. Elle évalue la preuve, ce qui peut prendre un certain temps. La libération la plus rapide que j'aie vue est venue dans les deux ans, mais la plupart des délinquants doivent attendre trois, quatre ou cinq ans, à compter du moment où ils peuvent demander une révision judiciaire.
Le processus est très lourd. Je ne veux minimiser en rien le point de vue d'autres témoins, mais il est vrai qu'il est lourd. Il s'agit notamment de voir si le délinquant en question a fait une démarche au terme de laquelle il mérite la possibilité de réintégrer la société pour continuer d'y purger sa peine à perpétuité. La peine ne se termine jamais. Elle continue.
Dans les cas que je connais, il y a eu des réincarcérations. Il y a eu des hommes et aussi une femme, une femme qui a un handicap intellectuel. C'est l'une des premières femmes dont j'ai parlé qui ont eu droit aux premières révisions. À l'époque de sa condamnation, on ne savait pas grand-chose des femmes battues. Elle a été prise dans une situation quelconque où elle s'est fait exploiter. Elle est retournée brièvement en prison, puis elle a été libérée de nouveau.
Que je sache, personne n'a été mêlé de nouveau à quelque activité criminelle que ce soit. Les femmes se réintègrent à la famille, élèvent les petits-enfants, etc. Le risque pour le public, et les coûts humains et sociaux, la mesure dans laquelle elles continuent de payer... Elles paient pour la perte de vie dont elles sont responsables. La peine continue. Dans certains cas, la responsabilité était totale. Dans d'autres, elle était partielle. Toutes ces femmes me parlent régulièrement de la responsabilité qu'elles ressentent et me disent que pas un jour ne passe sans qu'elles pensent à la personne dont elles ont causé la mort, que la responsabilité soit partielle ou totale.
Il faut être conscient que, dans cette approche, il y a d'énormes coûts humains et sociaux qui reposent entièrement sur ceux qui sont considérés comme les victimes et les auteurs des crimes. Ceux qui n'ont pas le moindre espoir d'obtenir une révision judiciaire font très rarement une demande, selon mon expérience. Sharon a donné l'exemple de Clifford Olson qui, très clairement, a agi différemment, mais la plupart des autres s'abstiennent.
Il faut éviter de donner de fausses informations au public ou aux victimes de crime. Il faut qu'il soit très clair que cette possibilité n'est offerte qu'à ceux qui travaillent pour montrer qu'ils ont réglé les problèmes qui sont à l'origine de leur incarcération. C'est seulement si le jury juge à l'unanimité qu'ils le méritent que les délinquants obtiennent la possibilité de faire une demande à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Et c'est seulement après avoir prouvé à la commission qu'ils ne présentent plus de risque qu'ils peuvent obtenir une forme de mise en liberté sous condition. Cela peut commencer par des laissez-passer pour la plupart des détenus et aller jusqu'à la semi-liberté dans une maison de transition.
Même lorsque l'admissibilité à la pleine libération conditionnelle est acquise, certains délinquants restent tout de même dans une maison de transition jusqu'à ce que la commission juge acceptable une pleine libération conditionnelle. C'est donc une erreur de croire que les délinquants sortent après 15 ans au lieu de 25, comme la plupart des gens le croient. En réalité, cela n'arrive pas.
Il est très important qu'il soit clair que, si notre organisation, la Société John Howard et bien d'autres groupes s'opposent au projet de loi, c'est parce qu'il apparaît comme le prétexte d'une solution à un problème qui se situe ailleurs. Le processus est très contraignant et il n'est pas vrai que tout le monde sort de prison. Il y a bien des freins et contrepoids en place pour éviter que cela ne se produise.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leurs interventions. Tout le monde a écouté avec la plus grande attention.
Au cours de la dernière session, nous avons accueilli M. Teague, qui a fait valoir ses intérêts après ce qui était arrivé à sa famille. Ce fut toute une révélation. Il a exprimé une opinion différente de celle qu'il avait exprimée antérieurement, car il ressentait une forme de... Je n'irai pas jusqu'à parler de pardon, mais il a exprimé de l'empathie pour le condamné qui arrive peut-être à changer à l'intérieur du système.
Il est très difficile d'établir une peine qui convient, et c'est le travail des juges. C'est pourquoi quelqu'un, avant nous, a rédigé l'article 718, si compliqué. Si on voulait dénoncer cet article, on dirait qu'il est schizophrénique. Il dit qu'il faut tenir compte de tel principe et de tel autre, mais ce sont des principes qui vont en sens contraire. C'est ce qu'il nous faut tous reconnaître.
À mon avis, on leur donne un poids égal, et le juge doit les concilier. C'est ce que nous essayons de faire ici: concilier divers objectifs sociaux. Il y a la dissuasion, qui est très importante. Il faut décourager de façon générale la criminalité dans notre société. Il faut aussi condamner le crime en raison des dispositions du code. La condamnation, c'est ce que les gens estiment juste. Il faut condamner ce qui se fait de mal.
Puis, il y a, en des termes généraux, les éléments qui se rapportent au délinquant. Ces principes se rattachent à la réadaptation. Marlene pourra se réadapter si nous éloignons son BlackBerry du micro. Il y a donc la réadaptation et aussi le remords, et la façon dont le délinquant peut s'améliorer.
Toutefois, il n'y a rien — et nous nous demandons tous pourquoi — qui concerne expressément les conséquences du crime pour les victimes, la dimension de victimisation. On dira peut-être que cela se rattache à la condamnation. On peut le dire, mais ce n'est pas le cas. Il y a peut-être quelque chose qui manque. Ce n'est pas dans notre code. Il faudrait peut-être revenir au fondement du code, étudier les peines maximums et minimums, faire en sorte qu'elles veuillent dire ce qu'elles disent et que l'article 718 reflète mieux la façon dont il faut, selon nous, appliquer les principes après avoir étudié la preuve.
Ce n'est pas ce qui est à l'étude ici. Il s'agit d'une personne incarcérée. Nous devons admettre, et même les représentants des sociétés Elizabeth Fry et John Howard doivent le faire, que, pendant les 15 premières années, la loi ne donne aucun espoir de libération dans ces cas. Ce sont les 15 premières années. La disposition de la dernière chance ne donne aucun espoir pendant cette période. Admettons-nous que, pendant ces 15 ans, nous appliquons les principes de la condamnation et de la dissuasion, et que c'est là la peine? Même le délinquant qui se convertit et devient une personne très valable, qui reconnaît ses erreurs, etc. pendant les trois, quatre, cinq, sept premières années... Quinze ans, c'est long. Pas d'espoir de sortir, d'obtenir une libération conditionnelle. Mais entre 15 et 25 ans, il peut y avoir périodiquement un espoir.
La question suivante se pose: pourquoi n'avoir pas dit que c'est 25 ans? Pourquoi pas 15 ans? Pourquoi ne pas avoir décrit les choses telles qu'elles sont? Quel intérêt attachons-nous au fait de changer les délinquants pendant leur incarcération? C'est un point de vue très valable. Ces questions générales s'adressent à tous.
J'ai une question précise à poser à M. Mandelcorn. Selon votre expérience, l'élimination de la disposition de la dernière chance modifiera-t-elle les peines? Les juges modifieront-ils les peines dans des circonstances particulières?
Enfin, je suis parfaitement d'accord avec M. Rosenfeldt pour dire que la victimisation est renouvelée chaque fois qu'il y a une audience ou que le juge en chef demande des témoignages à la première étape. Je crois fermement, comme vous, que toutes les familles de victimes, et j'en connais beaucoup, estiment qu'il est de leur devoir de comparaître. Il n'y a donc pas d'exemption, pas d'atténuation de la souffrance. Il nous faut donc être très prudents dans la recherche d'une solution équilibrée pour éviter de soumettre constamment les familles à ce traumatisme.
Peut-être M. Mandelcorn pourrait-il répondre le premier à cette question précise.