:
Monsieur le Président, mon intervention sera peut-être une réfutation du discours prononcé par le deux jours de séance avant la pause, ou une réponse à ce discours. Il lui a fallu environ une heure et demie pour présenter son point de vue, mais ma réfutation sera évidemment beaucoup plus courte et j'espère que mes collègues m'en seront reconnaissants. Les questions sont cependant importantes et peut-être complexes.
D'entrée de jeu, certaines affirmations du exigent une réfutation, pas parce qu'il est nécessaire de plaisanter au sujet de faits non pertinents, mais parce que ce sont les paroles du ministre de la Justice. Si certaines de ces affirmations, qui représentent le point de vue de l'exécutif, sont fausses, elles doivent être contestées à la Chambre.
Tout d'abord, il a exhorté la présidence à tenir compte des principes de nécessité et de retenue dans toute question touchant le privilège parlementaire, mais en disant cela, il a clairement omis de faire la distinction entre l'exercice de tous les pouvoirs et privilèges de la Chambre et le fait de soulever la question de privilège à la Chambre. Je suis convaincu que le Président reconnaîtra que même si ces principes reflètent des aspects de nos fonctions constitutionnelles à la Chambre, un député n'a pas à démontrer qu'ils sont respectés lorsqu'il soulève une question de privilège précise ici. À mon avis, il s'agissait là d'une tactique de diversion et de commentaires superflus dans l'affaire qui nous occupe.
Deuxièmement, le ministre a déclaré à maintes reprises que la question en était tout simplement une de liberté de parole et de débat. Il a demandé en quoi l'expression d'opinions divergentes sur les pouvoirs du Parlement pourrait aboutir à un outrage au Parlement. Ne nous laissons pas tromper par cette affirmation à peine digne d'un étudiant en première année de droit. Le seul fait qu'une personne ait la liberté de parole ne lui donne pas le droit d'en diffamer une autre ou de crier « au feu! » dans un cinéma bondé.
La question que je soulève ne porte pas sur la liberté de parole ou de conscience. Il s'agit d'un cas où des ministres et le sous-ministre adjoint du ministère de la Justice ont déclaré publiquement que les témoins convoqués par le Parlement, qu'il s'agisse de simple citoyens ou de fonctionnaires, n'ont pas toute l'immunité et la protection que confère le privilège lorsqu'ils témoignent devant nos comités ou leur procurent des documents, mais en affirmant cela, ils ne tiennent pas compte de ce que les lois et conventions prévoient et, par conséquent, ils intimident les témoins au point de leur faire appliquer des lois à tort ou de les pousser à faire obstruction à nos fonctions parlementaires d'enquête. C'est ici la véritable question et j'y reviendrai.
Troisièmement, pendant son discours, le a maintes fois affirmé qu'il ne s'agissait que d'un débat sur un sujet imprécis. Il a déclaré qu'en administrant et en faisant respecter nos privilèges, nous ne formons pas ici un tribunal et que le Président ne peut pas trancher une question de droit. Sur ces points, il ne pourrait être plus embrouillé qu'il l'est.
Il n'y a qu'aux yeux de personnes non informées ou ignorantes par négligence que le pouvoir de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et de dossiers peut sembler nébuleux. En ce qui concerne une question de droit et l'exercice de nos privilèges et pouvoirs, dont celui de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et de dossiers, nous sommes la seule instance au pays à être habilitée à juger et à agir. Ces pouvoirs sont tous inscrits dans la Constitution du Canada. Il est terriblement gênant que le puisse tenir de tels propos en cet endroit. Je tiens à citer précisément ce qu'il a dit:
Aux termes de la Loi sur le ministère de la Justice, le procureur général du Canada est le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada. Les fonctionnaires de mon ministère agissent, en principe, selon mes directives.
Voilà ce qu'il a dit. Non seulement la sous-ministre adjointe du ministère de la Justice a-t-elle agi sur les ordres du ministre, mais sa lettre n'était ni un accident ni un envoi non autorisé. Le ministre en prend la responsabilité. Il nous dit maintenant qu'il est le conseiller juridique officiel du gouverneur général. J'espère que la gouverneure générale suivra les conseils de la Chambre et demandera toujours l'avis d'une deuxième personne.
Le ministre soutient que, dans cette affaire, j'ai simplement exprimé une opinion sur l'étendue des pouvoirs de la Chambre de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents. C'est inexact. Je n'ai rien fait de tel. Je n'avais nul besoin de décrire l'étendue de ses pouvoirs. Ceux-ci étaient déjà inscrits. Il remet peut-être en question les pouvoirs et leur étendue; moi pas. Je ne fais que vous signaler, à vous, monsieur le Président, et à la Chambre, ces pouvoirs et privilèges et vous dire qu'on les attaque et les bafoue d'une façon qui entrave les témoignages de nos témoins et les activités d'enquête de nos comités.
Si nous ne réagissons pas dès maintenant pour contrer cette attaque, cela aura pour effet d'entraver toute activité future de la Chambre dans l'exercice d'une de ses attributions constitutionnelles, soit celle de faire enquête et d'exiger des comptes du gouvernement.
Quatrièmement, je remarque une autre lacune d'envergue dans les arguments du ministre lorsqu'il cite des exemples de procédure, que ce soit ici ou dans d'autres Chambres, ou divers observateurs et auteurs qui se sont penchés sur le sujet de la divulgation d'information: il ne fait pas la distinction entre plusieurs types de procédures de divulgation, comme la simple demande de renseignements formulée par un député; la motion portant production de documents; l'ordre de dépôt de documents avec le consentement d'un ministre, dont nous venons d'ailleurs d'avoir un exemple il y a cinq minutes à peine; la demande d'accès à l'information présentée par un député en vertu de la loi; la question inscrite au Feuilleton; la question posée pendant la période des questions orales; la demande provenant des comités; l'ordre ou la convocation d'un comité; et l'ordre de la Chambre.
Voilà autant de mécanismes dont la Chambre et les comités peuvent se prévaloir pour obtenir de l'information. Du nombre, seulement deux, voire trois si on compte aussi l'ordre adopté avec le consentement de la Chambre, sont des ordres des comités de la Chambre. Il s'agit de l'outil suprême qui s'offre à eux, le plus efficace, mais les autres sont monnaie courante et font partie de notre quotidien.
Or, de deux choses l'une: ou bien on tente ici de brouiller les cartes, ou bien le ministère de la Justice ne connaît pas la différence entre ces nombreuses procédures. Quoi qu'il en soit, on peut seulement regretter le manque de précision du ministre. Je sais par contre que nous pouvons vous faire confiance, monsieur le Président, à vous et aux gens du Bureau, que vous ne vous laisserez pas berner et que vous saurez évaluer adéquatement la question.
Cinquièmement, même si les délibérations, les écrits et les rapports provenant d'autres administrations et gouvernements peuvent nous aider à y voir plus clair, l'histoire et les archives parlementaires m'ont appris, et j'aborde d'ailleurs la question dans un livre bien documenté que j'ai publié en 1999, que le pouvoir du Parlement de convoquer des témoins et de réclamer des documents et des dossiers n'a jamais été restreint ni limité. Je défie le ministre de nous prouver le contraire. J'aimerais qu'il nous dise où, quand et comment cette fonction, ce pouvoir constitutionnel qui est conféré à la Chambre a pu être limité ou dilué de quelque façon que ce soit ou a pu lui être retiré. Je crois me rappeler que ça ne faisait pas partie de son discours.
Le ministre laisse entendre que, parce que la Chambre, les comités et les députés acceptent souvent, ou habituellement, le droit à la confidentialité dans le cadre de notre travail, notre pouvoir de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et dossiers s'en trouve diminué. En fait, les règles parlementaires empêchent justement cela de se produire. Les citations ne devraient pas être nécessaires ici, mais elles peuvent être fournies au Bureau sur demande. Disons, pour illustrer mon propos, que ce n'est pas parce que personne n'a été condamné pour haute trahison en vertu de l'article 47 du Code criminel au cours des 100 dernières années que cette disposition législative ne peut plus être invoquée.
Juste pour que ce soit clair, voici dix catégories courantes de motifs de confidentialité invoqués, utilisés ou reconnus par les députés de tous les gouvernements du Canada à tout moment, dans l'intérêt public: protection des renseignements personnels, secret professionnel de l'avocat, confidentialité des déclarations de revenus, secret du Cabinet, restrictions en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, restrictions en vertu de la Loi sur la protection de l'information, secret du confessionnal, secret des affaires, privilège de la Couronne et sécurité nationale. Ce ne sont que dix motifs. Il en existe probablement d'autres. Si l'un ou l'autre de ces motifs devait restreindre nos pouvoirs constitutionnels d'enquête, l'invocation de tous ces motifs les restreindrait certainement. Si c'était le cas, à mon avis, nous deviendrions rapidement incapables de nous acquitter de notre fonction législative constitutionnelle de grand enquêteur de la nation.
Selon moi, le ministre a formulé deux ou trois affirmations qui sont des erreurs et qui méritent d'être corrigées ou clarifiées.
D'abord, il a dit dans ses observations que cette déclaration et cette lettre n'ont aucunement gêné le travail du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Je fais valoir que c'est inexact, selon les dires d'un témoin entendu par le comité en question il y a quelques jours.
Le mercredi 31 mars, nous avons entendu ce témoin, M. Cory Anderson. On peut lire son témoignage dans le fascicule no 4 de la transcription des délibérations du comité. Je vous en fais la lecture. Voici sa première affirmation, en réponse à cette question de l'un de nos membres, le député de Toronto-Centre: « Je comprends les pressions que vous subissez, et personne n'essaie de vous mettre dans l'embarras. Je suppose que vous avez discuté de votre présence ici et de votre témoignage avec vos collègues au ministère des Affaires étrangères [...] Et avec vos supérieurs? Ainsi qu'avec les fonctionnaires du ministère de la Justice? » Chaque fois, il a répondu « Oui. »
La question suivante a été: « Et que vous ont-ils dit? » Il a répondu: « Ils m'ont dit que mes responsabilités de fonctionnaire ne doivent pas être mises en doute [...] ». Il a utilisé le mot « admonished » en anglais. C'est peut-être une faute de transcription. Il a peut-être dit « diminished ». Ce n'est pas clair. Il a poursuivi ainsi: « [...] durant les audiences du comité. Il devient donc plus difficile de parler librement dans un contexte comme celui-ci à cause des interprétations du ministère de la Justice en ce qui concerne la sécurité nationale et les impératifs opérationnels. »
À la question: « Donc, on vous a dit qu'il y a certaines choses que vous ne pouvez pas dévoiler », il a répondu: « On ne m'a pas dit qu'il y avait certaines choses que je ne pouvais pas dévoiler. On m'a dit qu'en tant que fonctionnaire, je dois respecter les règles auxquelles tous les fonctionnaires sont assujettis, et ces règles sont définies très clairement, selon moi, par le ministère de la Justice. »
Je ne lirai pas ce qui suit, mais ces mots montrent clairement l'effet paralysant et l'impact de cette lettre et de la position du ministère de la Justice sur ce témoin. Personne ne doute de la véracité de ses propos.
Ça ressemble à de l'obstruction. Ça sent l'obstruction. Le témoin décrit l'aspect paralysant des conseils qu'il a reçus du ministère de la Justice. Le ministère de la Justice nous a même communiqué, par écrit, sa position dans une lettre au légiste de la Chambre datée du 9 décembre. C'est ce que l'on appelle être pris la main dans le sac.
Deuxièmement, le ministre a interprété à ses propres fins le travail de deux comités de la Chambre. Le sort a voulu que je siège à ces deux comités il y a 19 ans. Je crois être le seul député à avoir siégé à ces comités à cette époque et à être encore ici aujourd'hui. Je ne peux pas laisser le ministre interprété de façon erronée le travail de ces comités. Il a lu des citations hors contexte.
Le comité spécial d'examen de la Loi sur le SCRS n'a jamais conclu que le Parlement n'avait pas de rôle à jouer dans l'analyse des questions touchant la sécurité nationale. En fait, il a recommandé la création d'un comité parlementaire qui aurait ce mandat. Ce comité a reçu des renseignements classifiés dans le cadre de ses travaux, et aucun de ces renseignements n'a été dévoilé par les membres du comité.
En 1991, le Comité de la justice a saisi la Chambre de cette question que soulève le ministre. Cela concernait le refus du solliciteur général de remettre des documents non censurés au comité. La question a été soulevée à la Chambre et lorsque le Comité des affaires de la Chambre, qui avait été saisi du dossier par consentement unanime, a remis son rapport dans lequel il appuyait totalement les pouvoirs de nos comités, un ordre a été adopté par la Chambre, lui aussi à l'unanimité, exigeant que les documents soient produits à huis clos et que l'on tienne compte du rapport du comité dans son ensemble.
L'ordre de la Chambre n'aurait pas pu être fondé sur l'alinéa 8(2)c) de La Loi sur la protection des renseignements personnels, comme le dit le ministre, parce que, pour que cette disposition s'applique, il aurait fallu que le Parlement, donc nous, à la Chambre, ayons le plein pouvoir d'assignation prévu dans cet alinéa.
Le ministre dit que l'ordre de la Chambre était fondé sur les pouvoirs conférés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette loi ne confère pas de tels pouvoirs à la Chambre, comme le laisse entendre le ministre. La Chambre et nos comités ont déjà ces pouvoirs, et je suis aimable quand je dis que cette remarque pourrait induire la Chambre en erreur.
Il dit que la lettre du 9 décembre reconnaît expressément que « toutes les personnes qui témoignent devant les comités parlementaires ne peuvent faire l’objet de procédures judiciaires ou disciplinaires relativement à leur témoignage ». Il affirme que c'est ce que la lettre dit. C'est carrément faux. En fait, un ou deux lignes plus loin, la lettre dit exactement le contraire:
Toutefois, cela ne signifie pas automatiquement que les représentants du gouvernement [...] soient exemptés de respecter les obligations imposées par une loi fédérale ou par la common law, comme le privilège du secret professionnel de l'avocat ou le privilège de la Couronne.
Cela vient réfuter totalement ce que le ministre a laissé entendre à la Chambre. Ce qu'il a affirmé, plus d'une fois dans ses remarques, au sujet de la lettre, est absolument faux et ressemble à une tentative pour détourner l'attention du véritable contenu de cette lettre.
La Chambre et nos tribunaux, en tant qu'organes de notre démocratie constitutionnelle, ont tous les deux le pouvoir d'assigner des personnes à comparaître devant eux et d'exiger que de l'information leur soit fournie pour leur permettre de s'acquitter de leurs fonctions constitutionnelles. Le ministre ne croit-il pas que, si lui ou son ministère avaient directement remis en question le pouvoir de ces tribunaux d'assigner des personnes à comparaître, notre pays serait aux prises avec une crise constitutionnelle qui minerait notre gouvernance et ces tribunaux? Croit-il que ces tribunaux ne considéreraient pas cela comme un outrage de sa part et de la part de ses fonctionnaires s'il agissait ainsi? Pourquoi croit-il que ses fonctionnaires et lui peuvent faire la même chose ici impunément? À titre d'avocat en chef de la Couronne, il devrait savoir les réponses, sinon il devrait aller les chercher rapidement.
Le fait que nous ne puissions pas compter sur le procureur général du Canada pour fournir un énoncé clair et objectif concernant notre droit parlementaire est troublant, mais nous reviendrons là-dessus un autre jour. Cela nous amène presque à nous demander ceci: quel maître notre procureur général sert-il lorsqu'il s'adresse à la Chambre?
Les délibérations parlementaires de la Jamaïque en 1808, il y a environ 200 ans, sont fort instructives, parce que cette Chambre-là était alors saisie d'une question identique et parce qu'il y a de nombreuses similitudes étonnantes dans les faits, notamment une contestation du pouvoir du roi. Monsieur le Président, j'ose espérer que l'extrait que je cite vous intéressera et qu'il sera utile pour tout le monde. Voici ce qui y est dit:
Le 1er novembre 1808, la Chambre d'assemblée forme un comité pour faire enquête sur la mutinerie survenue plus tôt au cours de l'année. Le 2 novembre, la Chambre envoie au gouverneur un message demandant des copies de toutes les procédures intentées devant les cours martiales et les tribunaux d'enquête concernant la mutinerie. Pour sa part, le gouverneur transmet la requête au commandant des forces de l'île, le major-général Carmichael. Le gouverneur envoie à la Chambre une copie de la réponse du commandant, qui dit ne pas s'estimer autorisé ou justifié à donner de tels documents à la Chambre. Cette lettre est présentée à la Chambre le 17 novembre. Le 22 novembre, la Chambre envoie un nouveau message au gouverneur lui demandant d'exiger la comparution de deux officiers des forces de l'île devant un comité de la Chambre. Le 29 novembre, le comité informe la Chambre que son enquête a été entravée à cause de l'ordonnance générale du major-général Carmichael émise le 25 novembre, qui dit ceci:
Le major-général estime avoir l'obligation primordiale d'informer tout officier ou tout autre personne occupant une fonction militaire, susceptible d'être appelée à témoigner, qu'il ne leur permet pas de répondre aux questions de l'assemblée législative de l'île [...] au sujet de la récente mutinerie, du gouvernement ou de la discipline des forces de Sa Majesté.
La Chambre a adopté six résolutions à l'unanimité:
Première résolution. Que cette Chambre, qui représente le peuple, a le droit d'exercer, à l'intérieur de l'île, tous les pouvoirs, privilèges et immunités que possède et exerce la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande.
Deuxième résolution. Que la Chambre a le privilège indubitable d'exiger la production de tous les documents pertinents et de convoquer toutes les personnes, civiles et militaires, qui résident sur l'île et qui sont en mesure de témoigner sur un sujet ayant trait à l'enquête en cours à la Chambre; que le fait d'empêcher la présence de témoins dûment convoqués ou de les empêcher de répondre exhaustivement et franchement à toutes les questions posées pour découvrir la vérité est considéré comme une atteinte aux privilèges de la Chambre.
Troisième résolution. Que la convocation à la Chambre des officiers, des sous-officiers et des soldats des forces de Sa Majesté par le gouverneur ou le lieutenant-gouverneur qui, par conséquent, agit à titre de commandant de ces forces, plutôt que par sommation, est une question de courtoisie au cas où, au même moment, ils reçoivent l'ordre d'assumer d'autres fonctions, et non une question de droit; et que la courtoisie de la Chambre a été uniformément retournée par ordre immédiat exigeant la présence de ces personnes, sans que l'on tente de cacher la vérité ou d'embrouiller leur témoignage.
Quatrième résolution. Que, en tant que grand enquêteur du pays, la Chambre a le droit et le devoir d'enquêter sur tous les griefs ou sur toutes les questions qui nuisent à la sécurité publique sur l'île [...] pour que ces représentations puissent être faites auprès de notre Très Gracieux Souverain ou pour que les mesures législatives adoptées puissent procurer réparation, etc.
J'ai passé la cinquième résolution.
Sixième résolution. Que l'hypothèse du major-général Carmichael selon laquelle il peut juger nécessaire de faire obstruction à cette Chambre dans l'exercice de ses fonctions légitimes visant à déterminer les causes d'une mutinerie ayant suscité les plus vives inquiétudes [...] en prétendant permettre ou empêcher la comparution de témoins ou en leur interdisant de répondre aux questions que cette Chambre ou ses comités pourraient juger nécessaires [...] constitue une tentative inconstitutionnelle de priver cette Chambre de ses droits incontestables en posant un geste arbitraire d'autorité militaire et en violant manifestement les privilèges les plus importants de la Chambre.
À la suite de l'adoption de ces résolutions, la Chambre ordonne le 29 novembre au major-général Carmichael de se présenter à la barre le 1er décembre.
Le lendemain, soit le 30 novembre, le major-général Carmichael écrit au gouverneur pour lui indiquer qu'il ne se présentera pas, qu'il travaille pour Sa Majesté et qu'il n'a pas l'intention de venir.
Le gouverneur transmet la lettre à la Chambre, où elle est déposée. La Chambre s'ajourne. Lorsque, le 1er décembre, la Chambre reprend ses travaux sans la présence du major-général Carmichael, elle ordonne à l'unanimité ce qui suit:
Que le major-général Carmichael soit amené sous la garde du sergent d'armes pour avoir offensé cette Chambre en ne s'étant pas présenté à la barre aujourd'hui; qu'il soit considéré qu'il a porté atteinte aux privilèges de la Chambre; et que monsieur le Président émette un mandat en conséquence.
La Chambre adopte ensuite un certain nombre de résolutions selon lesquelles certains gestes posés par le gouverneur constituaient des atteintes aux privilèges de la Chambre.
Cela veut dire que le gouverneur porte atteinte aux privilèges de la Chambre.
Le même jour, le gouverneur envoie à la Chambre un message lui ordonnant, au nom du Roi, de se présenter à la salle du conseil, où le gouverneur présente le discours suivant:
La Chambre d'assemblée ayant ordonné la présence à la barre du commandant des forces de Sa Majesté dans l'intention, selon ce qu'il me semble, d'appliquer cet ordre, une mesure certainement nouvelle donnant lieu à une question de la plus grande importance, car il tend, en fait, à transférer à cette Chambre le commandement de toute armée britannique sur cette île. Je considère qu'il me revient, même si je déplore toute perturbation dans l'harmonie entre les différents organes du pouvoir législatif, de prendre les mesures nécessaires afin de porter un point si important aux plus hautes autorités avant la prise de toute autre mesure.
Autrement dit, la question fut portée à l'attention du roi d'Angleterre.
Ce qui suit est intéressant.
Le gouverneur proroge l'assemblée jusqu'au 27 décembre.
Nous connaissons bien cette procédure ici même.
Toutefois, la nouvelle session n'a pas commencé avant le 25 avril 1809 [environ quatre mois plus tard]. Dans son adresse à la Chambre, le gouverneur dit:
Sa Majesté le roi m'a ordonné de vous informer qu'il est extrêmement heureux de donner suite à votre message du 2 novembre dernier et de vous communiquer une copie du procès-verbal des délibérations de la Cour martiale [...] Je vous informe également que les officiers que vous m'avez demandé de citer à comparaître, dans votre message du 22 novembre dernier, seront enjoints de comparaître devant vous, sans être assujettis aux restrictions contenues dans l'ordre émis par le major-général Carmichael le 25 novembre [...]
La Chambre, toutefois, n'est pas satisfaite. Après la lecture de certains extraits du Journal relativement au major-général Carmichael, la Chambre ordonne ce qui suit:
Que Son Honneur le Président intérimaire délivre un mandat de détention à l'endroit du major-général Carmichael, dont la Chambre a ordonné la détention en votant une résolution lors de la précédente session, parce qu'il a porté atteinte à ses privilèges et fait outrage à la Chambre pour non-respect de la sommation de la présidence, résolution à examiner par rapport aux dites atteintes aux privilèges.
Le 26 avril, [le lendemain, après, je suppose, un discours du Trône semblable à ceux que nous avons ici,] le major-général Carmichael est amené à la barre de la Chambre sous la garde du sergent d'armes. La présidence l'invite à faire une déclaration relativement à ses atteintes aux privilèges parlementaires. Après sa déclaration le major-général est libéré par la Chambre.
Le lendemain, le 27 avril, [la Chambre n'est toujours pas satisfaite] la Chambre vote une adresse au gouverneur relativement à l'ordre du roi ordonnant au major-général Carmichael de se présenter à la Chambre. La Chambre rejette la nécessité implicite de l'ordre du roi et confirme son pouvoir d'obliger de son propre chef des témoins à comparaître. L'adresse dit ceci [en partie]:
Les droits et les privilèges exercés par la Chambre des communes du Parlement au sein du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande étant inhérents au rôle des représentants des habitants de cette île, réunis en assemblée générale, nous ne saurions accepter, à titre de faveur, sous réserve de l'orientation du gouvernement de Sa Majesté, la présence des témoins que la Chambre veut entendre; nous ne saurions reconnaître non plus son autorité à supprimer les restrictions inconstitutionnelles que l'ordre du major-général Carmichael du 25 novembre dernier a tenté d'imposer, ce qui suppose le pouvoir de conserver ou de renouveler de telles restrictions lorsqu'on le juge opportun.
Ils ont rejeté l'autorité du roi de contraindre les témoins de la Chambre.
Monsieur le Président, le rôle du Parlement et son pouvoir d'enquêter et d'obtenir de l'information sont cruciaux si nous voulons pouvoir jouer notre rôle et exercer nos fonctions dans notre démocratie. Si ce n'était pas le cas, un volet de notre système de gouvernance, la fonction de grand enquêteur, serait laissé de côté et miné et l'examen par la Chambre s'en trouverait faussé. Cela ne s'est jamais produit au cours de toute notre histoire. Le droit qu'a la Chambre d'enquêter n'a jamais été laissé de côté ni modifié, et pourtant le ministre laisse entendre que ce n'est pas le cas. La prétendue définition constitutionnelle mise en avant par le ministre, définition fausse, déformée et évasive, ne correspond pas au Parlement tel qu'il a été pensé par nos ancêtres, dont certains d'ailleurs ont donné leur vie pour le mettre en place et le maintenir.
En se faisant le chantre d'un Parlement au Canada qui serait moins que ce qu'il était censé être quand il a été créé, le ministre nous invite à ouvrir la porte à une tyrannie potentielle, silencieuse et secrète, qui, aujourd'hui sinon demain, pourra être manipulée et exploitée de façon néfaste par certaines personnes motivées par des considérations politiques séditieuses et des intérêts personnels.
Certes, notre constitution ne peut pas être modifiée à la hâte, nous en tirons d'ailleurs une certaine satisfaction; cependant, nous ne pouvons pas rester là sans rien faire quand un gouvernement présente ce genre d'arguments à la Chambre. Notre peuple est libre et dispose des outils — dont le pouvoir d'enquêter du Parlement — lui permettant de s'assurer que les gouvernements rendent des comptes à la population et pas seulement aux légions d'individus concernés par leurs intérêts propres et de personnages puissants. Cet endroit est au service de tous les citoyens et n'est pas une sorte de saint des saints du pouvoir centralisé. Nous avons ici des dispositions constitutionnelles qui nous permettent de faire notre travail, et nous le ferons.
En conclusion, les règles qui permettent à la Chambre de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents et de dossiers sont très anciennes. La signification et la portée de ces règles n'ont pas changé depuis trois siècles. Le ne les a pas invoquées ici. Il n'a pas mentionné quelles étaient les règles dans ses observations, pas une seule fois, et il n'a pu démontrer d'aucune façon comment le Parlement lui-même les a modifiées. Pour qu'elles aient changé, il fallait d'abord qu'elles existent, et le procureur général n'a pas été en mesure de les décrire non plus, même si le droit constitutionnel stipule clairement que les règles parlementaires régissant la convocation de personnes et la production de documents et de dossiers ne changent pas à moins que ce ne soit précisé explicitement. À ma connaissance, aucune chambre ni aucun tribunal ne sont jamais arrivés à la conclusion contraire. Qui plus est, le n'a trouvé aucune décision de la Chambre ni aucun changement aux règles qui modifient explicitement les règles parlementaires.
Nous avons un exemple qui remonte en 2002, attestant que la Chambre a pris des mesures pour empêcher la limitation de son pouvoir d'enquêter, limitation qui aurait pu résulter d'une modification de la Loi sur la preuve au Canada, à la suite des événements du 11 septembre, dans le but de mieux protéger la sécurité nationale, et dont le a dit à tort, le 10 décembre dernier, qu'elle restreignait la Chambre. Si cette loi s'appliquait à la Chambre, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas invoqué les dispositions relatives à la non-divulgation des articles 37 et 38? Parce qu'il sait qu'il ne peut le faire.
Le ministre affirme à tort que la loi a été renforcée de manière à s'appliquer au Parlement et que ceux qui comparaissent devant le Parlement sont assujettis à ces prétendues nouvelles restrictions. Ces faussetés, prononcées en public, ont comme effet direct de dénigrer les pouvoirs et le rôle de la Chambre en dissuadant les témoins de s'exprimer, particulièrement les membres des forces armées, dont il est le ministre.
Ces remarques doivent être retirées ou clarifiées afin de protéger la dignité de la Chambre, nos privilèges et notre fonction de grand enquêteur. Ensuite, les répercussions de la lettre datée du 10 décembre de la sous-ministre adjointe de la Justice ont été mentionnées à maintes reprises à la Chambre au cours du débat, notamment en ce qui a trait à un fonctionnaire qui a indiqué que son témoignage avait été limité par les conseils du ministère de la Justice.
En ce qui concerne le fait que le gouvernement persiste à ne se conformer que partiellement à l'ordre exigeant la production de documents adopté par la Chambre le 10 décembre, bien qu'il s'agisse certainement d'une circonstance constituant une atteinte aux privilèges, j'espère qu'on reconnaîtra les pouvoirs et les dispositions de la Chambre en matière de filtrage et de protection des documents de nature délicate, tout en ordonnant leur divulgation complète aux membres du comité spécial en fonction des besoins et en empêchant leur divulgation à la population en général.
Je suis disposé à proposer une motion, et j'aimerais vraiment le faire en collaboration avec les autres partis à la Chambre; c'est ce que je m'efforcerai de faire, monsieur le Président, si vous estimez que la question de privilège est fondée à première vue.
:
Monsieur le Président, je voudrais faire quelques observations sur la question de privilège que j'ai soulevée à la Chambre, plus particulièrement pour réfuter les propos tenus par le et par le . Comme avocat devant le tribunal, j'ai commis l'erreur une fois d'appeler le juge qui présidait « Monsieur le Président ». J'espère que je ne vous appellerai pas « Votre Honneur » mais, si je le fais, j'espère que vous me pardonnerez.
Je veux faire quelques remarques concises, mais pas particulièrement brèves puisque nous sommes aux prises avec des questions très importantes qui touchent les fondements mêmes de notre démocratie. Mes remarques portent sur la relation entre le Parlement et le pouvoir exécutif. On dit parfois que, au Canada, nous avons une dictature élue parce que le premier ministre détient de vastes pouvoirs, même en comparaison avec le président des États-Unis, pays au système républicain. Une des planches de salut de notre système est l'importance des responsabilités du pouvoir exécutif envers le Parlement et son obligation de lui rendre des comptes. Dans ce contexte, le rôle du privilège parlementaire est d'une importance primordiale.
Bien que votre décision dans cette affaire soit importante en raison de la nature de la question, je ne crois pas qu'elle soit difficile à ce stade. On vous demande de déterminer si la question de privilège est fondée à première vue. À la Chambre, depuis l'époque du Président Michener, il y a deux principes directeurs, qui sont énoncés à la page 73 de l'ouvrage de O'Brien et Bosc et répétés au début de l'annexe 15. Ces principes sont les suivants:
1) si la question de privilège paraissait fondée de prime abord et 2) si elle avait été soulevée dès qu’elle pouvait l’être. Ces deux points devaient être tranchés par le Président avant que la question soit débattue.
Monsieur le Président, vous vous êtes déjà penché sur ce deuxième principe et vous avez statué le 18 mars que cette question avait été soulevée dès qu’elle pouvait l’être. Pour ce qui est du premier principe, qui vise à déterminer si la question de privilège paraît fondée de prime abord, je crois qu'il n'y a guère de doute à ce sujet.
Beaucoup de choses qu'ont dites le et le sont matière à débat dans le cadre de toute motion dont la Chambre pourrait être saisie, mais ne peuvent servir à déterminer s'il s'agit d'une question de privilège. Pourtant, les deux représentants du gouvernement présentent une longue argumentation de presque deux heures. Étant donné la gravité de la question, je tiens à répondre aux points soulevés.
Je traiterai surtout de la question de privilège que j'ai soulevée à la Chambre, une question très similaire au point soulevé par le député de . Toutefois, concernant la question de privilège du député de , notamment la question indépendante à savoir si les témoins comparaissant au comité peuvent faire l'objet d'intimidation et s'il s'agit d'une atteinte aux privilèges de la Chambre, je vous renvoie, Votre Honneur, aux pages 114 et 115 du O'Brien-Bosc, où on peut lire le passage suivant:
Tout comme on a jugé fondées de prime abord des questions de privilège se rapportant à des cas où des députés ou leur personnel avaient été intimidés, l'intimidation d'un témoin ayant comparu devant un comité a également été considérée de prime abord comme une atteinte aux privilèges.
Monsieur le Président, on trouve par la suite quelques passages qui pourraient être utiles lorsque vous aborderez la question de privilège soulevée par le député de .
Le est intervenu à deux reprises, soit le 18 mars et le 31 mars. Le a fait une longue intervention d'environ une heure et demie le 31 mars. Le 18 mars, le a soulevé une objection, soulignant que l'ordre de la Chambre du 10 décembre entraînerait la divulgation complète de tous les documents au public, sans égard à la confidentialité et à la sécurité.
Non seulement n'est-ce pas le cas, puisque l'ordre précise que c'est le Parlement qui aurait accès à tous les documents, mais il ressortait clairement du débat entourant le rappel au Règlement soulevé à l'époque par le qu'on envisageait d'avoir recours à un processus répondant aux préoccupations au sujet de la sécurité et de la confidentialité. Au cours du débat concernant le rappel au Règlement soulevé ce jour-là, le député de a dit, à la page 7873 du hansard:
J'en ai deux [...] de la part du légiste, qui indiquent que l'article 38 ne restreint pas le droit du Parlement et du comité de recevoir des documents.
Voici l'élément clé:
Le comité peut, de son propre chef, établir une procédure selon laquelle il peut choisir de ne pas divulguer à des tiers les documents qu'il juge néfastes pour les intérêts de la sécurité nationale ou les relations internationales. Il peut aussi tenir des séances à huis clos. Ce sont les avis que j'ai reçus du légiste. Ils ont été déposés au comité. Je serai heureux de les faire circuler.
À l’évidence, ces faits étaient de notoriété publique et, bien entendu, les députés ministériels membres du comité pouvaient en prendre connaissance. Il est assuré que le comité et la Chambre savaient pertinemment que des procédures pouvaient être mises en place pour garantir le respect du caractère confidentiel. Et tout cela était connu le jour où a eu lieu le rappel au Règlement et le jour où le débat sur la motion s’est déroulé à la Chambre.
Prétendre qu’on n’a pas tenu compte de la sécurité ni d’autres préoccupations de même nature, c’est aller à l’encontre de la réalité et des faits. Il était clair dès le début qu’il y aurait un dispositif permettant de protéger la sécurité nationale. Qui plus est, la motion ne demandait pas le dépôt de documents. Elle disait seulement que le Parlement devait avoir accès aux documents non censurés.
Le deuxième point soulevé par le concernait deux décisions rendues à la Chambre, l’une par vous-même, monsieur le Président, le 8 juin 2006, et l’autre remontant au 2 novembre 1983, selon lesquelles la sécurité nationale, lorsqu’elle est invoquée par un ministre, suffit à écarter l’exigence du dépôt des documents cités dans le débat. À cela, deux réponses.
D’abord, le dépôt de documents est une pratique de la Chambre qui, selon les usages, dit que, si un député lit un document, il peut être tenu de le déposer. Il est compréhensible qu’on puisse rendre pareille décision, ce que vous avez fait, monsieur le Président, et ce qui a été fait auparavant, car il faut éviter la divulgation par inadvertance d’éléments qui engagent la sécurité nationale, puisqu’un ministre risque, par inadvertance, de lire un passage d’un document qui contient ces éléments. Il y a là un perfectionnement de la pratique ou des usages de la Chambre, mais il ne s’agit pas d’une règle rigide au point qu’elle puisse l’emporter sur un ordre pris et examiné par la Chambre au moment où l’ordre est pris.
Ce dont il s’agit en l’espèce est un ordre précis de la Chambre qui a été adopté après débat, et après qu’il eut été jugé recevable. Ce n’est pas une simple exigence de déposer les documents dont il a été question dans le débat, mais d’un ordre visant à mettre les documents à la disposition du Parlement, et les précédents que le a présentés ne s’appliquent pas.
Deuxièmement, le a affirmé le 18 mars que la Chambre a toujours accepté le motif de la sécurité nationale comme raison de lui refuser des documents. Il n’en est rien. Certes, la Chambre fait preuve de modération, mais il arrive que le Parlement et les parlementaires puissent prendre connaissance de documents et de renseignements qui se rapportent à des questions de sécurité nationale.
En fait, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Chambre s’est réunie en secret à deux occasions au moins pour se faire renseigner sur la guerre, et la sécurité nationale n’a pas été compromise. En outre, les comités qui examinent les services de renseignement ont accès à une information confidentielle importante, sous réserve qu’ils prennent les mesures voulues pour garantir la sécurité de cette information.
Le 31 mars, le a fait une intervention un peu plus brève, soulevant une quatrième objection: l’ordre pris par la Chambre le 10 décembre était nul parce qu’il ne constituait pas, pour reprendre ses termes, une humble adresse à la gouverneur générale, la priant de bien vouloir faire déposer à la Chambre certains documents. À l’appui de sa thèse, il a cité l’ouvrage de O’Brien et Bosc, à la page 2221.
L'extrait en question, qui se trouve dans la section « Les avis de motions portant production de documents », explique que les députés peuvent décider de donner avis d'une motion demandant que certains documents soient compilés ou produits par le gouvernement et déposés à la Chambre. Il est possible de s'opposer à un tel avis, auquel cas celui-ci est reporté en vue d'un débat.
Avec tout le respect que je dois au secrétaire parlementaire, il confond totalement la forme avec le fond et s'accroche désespérément à ce qui lui semble être un semblant d'espoir.
Tout l'abord, l'extrait de l'O'Brien-Bosc porte sur une affaire courante appelée « avis de motion portant production de documents » et explique la procédure à suivre pour que des documents soient déposés à la Chambre. Le ministre concerné peut s'opposer, auquel cas l'avis de motion est reporté en vue d'un débat.
Par contre, voici ce qu'on lit à la page 470 de l'O'Brien-Bosc:
Il appartient au Président de s'assurer que la motion [...] respecte la forme prescrite, c'est-à-dire que la motion correspond aux fins visées.
La motion, une fois débattue et adoptée, devient un ordre de la Chambre. C'est la nature de l'avis de motion, abordé sous la rubrique « affaires courantes », qui n'est pas si différent de la question écrite que l'on fait inscrire au Feuilleton afin d'obtenir certains documents.
Même si nous avions, à l'époque, abordé la question à la rubrique « affaires courantes », ce qui n'a pas été le cas, je rappelle que personne ne s'est opposé à la motion quant à sa forme, et cette dernière a été jugée recevable par vous, monsieur le Président.
Le gouvernement a eu amplement le temps de s'opposer à la motion présentée par le député de le 10 décembre, ce qu'il a d'ailleurs fait. Mais il n'en demeure pas moins qu'il ne s'est pas opposé à la forme de l'ordre, et il est maintenant trop tard pour le faire.
De toute façon, la distinction entre une adresse et un ordre n'apporte rien à la discussion actuelle et n'a rien à voir avec la motion présentée à la Chambre le 10 décembre 2009, parce que nous n'en étions pas à la rubrique « affaires courantes » et que la motion a été jugée recevable.
Le recours au Règlement qui a été fait le 10 décembre a par contre tout à voir avec la décision que vous, monsieur le Président, devrez prendre, lorsque vous devrez déterminer si le fait de ne pas se plier à l'ordre donné constitue une question de privilège fondée de prime abord.
Dans le cadre d'un recours au Règlement, plusieurs députés ministériels, le , le et le se sont opposés à la motion, laissant entendre qu'elle était irrecevable et qu'elle outrepassait les pouvoirs de la Chambre. En fait, une grande partie des arguments avancés par le secrétaire parlementaire et le ministre de la Justice sur la question de privilège que vous, monsieur le Président, avez entendue au cours des dernières sessions l'ont été durant le recours au Règlement. Tout le débat sur le recours au Règlement vaut la peine que vous l'étudiiez, monsieur le Président, au moment de décider si la question de privilège paraît fondée de prime abord.
À la fin du recours au Règlement, monsieur le Président, vous avez pris une décision, qui se trouve à la page 7876 du hansard, dans laquelle vous citez l'extrait suivant de l'O'Brien-Bosc, pages 978 et 979:
Le libellé du Règlement ne circonscrit pas les contours du pouvoir d'exiger la production de documents et dossiers. Il en résulte un pouvoir général et absolu qui ne comporte a priori aucune limitation. La nature des documents qui sont susceptibles d'être exigés est indéfinie, les seuls préalables étant qu'ils soient existants, peu importe qu'ils soient en format papier ou électronique, et qu'ils soient au Canada.
Voici le point important:
Aucune loi ou pratique ne vient diminuer la plénitude de ce pouvoir dérivé des privilèges de la Chambre, à moins que des dispositions légales le limitent explicitement ou que la Chambre ait restreint ce pouvoir par résolution expresse. Or, la Chambre n'a jamais fixé aucune limite à son pouvoir d'exiger le dépôt de documents et de dossiers.
Je reviens à la page 136 de l'O'Brien-Bosc pour citer ce passage:
Selon le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement jouit du droit de procéder à des enquêtes, d'exiger la comparution de témoins et d'ordonner la production de documents, des droits essentiels à son bon fonctionnement. Ces droits sont d'ailleurs aussi anciens que le Parlement lui-même. Maingot énonce:
La seule limitation que la Chambre pourrait elle-même s'imposer serait que l'enquête doive se rapporter à un sujet relevant de la compétence législative du Parlement, en particulier lorsque des témoins doivent être entendus et qu'on envisage de recourir à la compétence pénale du Parlement. Cette restriction est conforme au droit des Chambres du Parlement de convoquer une personne et de l'obliger à témoigner sur un sujet relevant de leur compétence respective.
Vous rendez alors une décision sur le recours au Règlement. C'est à la page 7877 du hansard:
Nous voici maintenant saisis d'une motion, et il me semble que la Chambre a autant de pouvoir qu'un comité, encore plus même. Un comité aurait pu demander la production de documents. La Chambre a tous les pouvoirs dont disposent les comités et plus encore. Je suis donc d'avis que la motion est recevable.
Monsieur le Président, votre décision est sans appel. À la page 636-7 du O'Brien-Bosc, on lit ceci au sujet des décisions sur les recours au Règlement:
Lorsqu'il rend sa décision, le Président indique l’article du Règlement ou d'autres autorités applicables en l’espèce, ou cite tout simplement le numéro de l'article pertinent. Cette décision est sans appel et clôt la discussion.
Ce que nous avons vu dans les exposés du secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement et du , c'est la tentative de soulever à nouveau le même recours au Règlement, ce qui est irrecevable.
Il est peut-être possible d'entendre à nouveau les arguments sur les mérites de l'adoption d'une motion particulière par la Chambre si vous jugiez de prime à bord que c'est recevable, mais cela ne peut pas être vu comme un débat visant à déterminer si oui ou non, ma question paraît à première vue fondée.
Cependant, le a présenté plusieurs points de fond sur les questions de privilège et je les aborderai brièvement parce que, lorsqu'on les comprend et les condense, on se rend compte qu'ils ne sont pas nombreux.
Le ministre a donné à entendre que les questions de privilège doivent être examinées à la lumière de deux grands principes qui sont, premièrement, qu'il est bien établi en droit et dans la pratique parlementaire, que le principe de nécessité doit sous-tendre les questions de privilège et, deuxièmement, que les parlementaires devraient toujours être guidés par une grande retenue en revendiquant les privilèges de la Chambre.
Je suis d'accord avec le ministre sur ces deux points. Ils sont effectivement exacts.
Pour ce qui est du premier, le fait que le principe de nécessité doive sous-tendre les questions de privilège, cela a été reconnu au paragraphe 40 de l'affaire Vaid, entendue par la Cour suprême du Canada, et qui est citée à la page 78 du O'Brien-Bosc.
La principale question que se pose un tribunal consiste à savoir si le privilège revendiqué est nécessaire pour permettre à la Chambre des communes et à ses députés d’exercer leurs fonctions parlementaires — légiférer, délibérer et demander des comptes au gouvernement — sans ingérence du pouvoir exécutif ou du pouvoir judiciaire.
Rien ne pourrait être plus clair, monsieur le Président, quant au principe de la nécessité et aux fonctions parlementaires de la Chambre des communes qui consistent à demander des comptes au gouvernement sans ingérence du pouvoir exécutif ou du pouvoir judiciaire.
La motion, qui demande l'accès à des documents non censurés, repose sur la nécessité, pour le Parlement, de pouvoir demander des comptes au gouvernement. Elle affirme clairement l'une de ces importantes fonctions et obligations. C'est une notion de droit constitutionnel fondamental, mais c'est aussi fondamental pour notre démocratie parlementaire.
On voit bien qu'il est nécessaire de demander des comptes au gouvernement quand on voit l'attitude du gouvernement à la Chambre concernant toute la question des prisonniers afghans, et sa manière de ne pas se conformer à l'ordre de la Chambre réclamant la production de documents non censurés.
Je ne donnerai qu'un exemple pour faire bien comprendre le principe de nécessité. Cet exemple a trait à une révélation du chef d'état-major de la Défense, en décembre dernier, qui voulait corriger son témoignage de la veille — c'était le 9 décembre, je crois — devant le Comité de la défense.
En corrigeant son témoignage, il a cité un rapport sur un incident survenu en juillet 2006, un cas où des soldats des Forces canadiennes avaient remis quelques prisonniers aux Afghans. Il a cité ce passage du rapport d'un commandant de section des Forces canadiennes:
Nous avons photographié l'individu avant de le transférer pour nous assurer que, si la police nationale afghane l'agressait, comme c'est arrivé dans le passé, nous aurions des preuves visuelles de sa condition.
Dans le document original remis par le gouvernement concernant ce rapport, tout ce qu'on pouvait lire, c'était:
Nous avons photographié l'individu.
Le reste du document était noirci. Quiconque lirait ce document, député ou autre, se dirait: « Bon, ils ont photographié la personne avant de la remettre aux autorités, mais pourquoi? Pour l'identifier? Pour ajouter à la collection d'un amateur de photos de ce genre? Pourquoi? »
Il y avait deux raisons à cette façon de faire. Premièrement, on a pris la photo parce qu'on craignait que la police l'agresse, « comme c'est arrivé dans le passé ». Cela révèle, premièrement, qu'on savait que des prisonniers afghans avaient déjà été maltraités.
Deuxièmement, cela contredit des déclarations faites à la Chambre par le à de nombreuses reprises, trop nombreuses pour qu’on y revienne, mais il serait possible de le faire, car tout cela se trouve dans le hansard. Ce sont des déclarations selon lesquelles rien ne prouve que les détenus des Canadiens aient été maltraités par les autorités afghanes.
De quoi s’agit-il ici? Nous avons une situation dans laquelle le principe de nécessité exige que le Parlement fasse son travail en demandant des comptes du gouvernement.
Nous ne pouvons nous fier aux décisions prises par le gouvernement de caviarder des documents selon des règles quelconques, des règles arbitraires, ou peu importe de quelles règles il s’agit, ni à ceux qui appliquent ces règles, au nom du principe de nécessité. Nous ne pouvons nous départir de notre devoir, de notre obligation d’exiger des comptes du gouvernement sans ingérence. Je dirais que le caviardage de ces documents constitue en fait une ingérence de l’exécutif, qui empêche le Parlement de s’acquitter de ses responsabilités.
Dans son exposé, le a également évoqué le deuxième principe qui, selon lui, devrait guider les parlementaires, soit le principe d’une grande retenue lorsqu’il s’agit d’affirmer les privilèges de la Chambre. De façon générale, je suis d’accord avec lui.
Je me dois d’être d’accord, car la dignité de la Chambre et le respect pour la place du Parlement exigent que nous prenions nos privilèges au sérieux. Et ce ne sont pas nos privilèges propres, ce ne sont pas des privilèges personnels que nous aurions. Ce sont des privilèges que nous détenons collectivement et préservons pour les Canadiens, et que vous, monsieur le Président, à titre de Président de la Chambre, êtes appelé à défendre contre la Couronne, contre le monarque, comme des Présidents l’ont fait par le passé, parfois au prix de leur vie.
C’est pourquoi, lorsqu’il est élu, le Président est entraîné contre son gré vers le fauteuil pour assumer la lourde responsabilité de résister à la Couronne et au gouvernement. Pour cela, monsieur le Président, nous vous félicitons du courage dont vous faites preuve dans ce travail. Nous vous félicitons aussi de votre courage dans la décision à rendre sur cette importante question dans l’intérêt de tous les Canadiens.
La retenue est de mise, cela ne fait aucun doute. J’estime que les députés, au moins en ce qui concerne la production de documents, ont fait preuve d’une certaine retenue. Il y a environ 143 jours, je crois, ou 123, que la Chambre a pris cet ordre. Les journalistes nous harcèlent et se demandent jusqu’à quand nous allons attendre.
Nous agissons de façon correcte et posée. Le député de a fait un exposé très érudit, mûrement réfléchi et très substantiel, se reportant aux textes qui font autorité. Il n’est pas remonté jusqu’à des temps immémoriaux, mais au moins sur plusieurs siècles. Il s’agit d’une institution et d’une tradition dont nous avons raison d’être fiers, car il s’agit de notre démocratie parlementaire.
Cependant, tandis qu'il parlait de retenue, le a mentionné un rapport publié en 1967 au Royaume-Uni.
D'abord, je dois dire que ce rapport n'a pas été adopté par la Chambre des communes britannique. Je pense aussi qu'il est important de souligner qu'à la page 67 de notre propre ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, aussi appelé l'O'Brien-Bosc, il est indiqué que la Chambre des communes de Grande-Bretagne applique maintenant une définition plus étroite du privilège, qui met l'accent sur les délibérations du Parlement. Puis l'ouvrage précise que cette orientation est devenue manifeste en 1967 et il fait référence au rapport en question.
Cela n'a pas eu lieu ici, monsieur le Président, comme l'a clairement établi votre décision du 10 décembre, à laquelle j'ai fait référence il y a quelques instants et dans laquelle vous avez énoncé que la Chambre n'a aucunement restreint ses privilèges.
Le ministre a poursuivi et a rapporté la citation suivante de l'ouvrage de Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, faite dans l'O'Brien-Bosc:
C’est pourquoi la véritable question de privilège est une procédure sérieuse qui ne doit pas être traitée à la légère et dont on ne doit saisir la Chambre des communes qu’en de rares occasions.
Je pense que je peux abonder dans ce sens de façon générale. Cela dépend de ce qu'on entend par « en de rares occasions ». Si on examine l'annexe 15 de l'O'Brien-Bosc, on y trouve 51 décisions distinctes rendues par des Présidents entre 1960 et 2008, où la question de privilège a été jugée fondée de prime abord et où la situation a été résolue de diverses manières. Cela ne tient pas compte des cas qui ont été soulevés, mais où l'on a jugé qu'il n'y avait pas matière à question de privilège Ainsi, cela n'est pas fréquent, mais je n'irais pas jusqu'à dire que les cas sont rares si, en moyenne, un cas par année est reconnu comme une véritable question de privilège.
Il a aussi signalé ce qui suit:
En Australie, le gouvernement invoque fréquemment le privilège de la Couronne pour refuser de divulguer des renseignements confidentiels [...] Un comité sénatorial d'Australie a reconnu le mois dernier [...]
Je ne sais pas exactement ce qui se passe en Australie et s'il est possible d'établir une comparaison, mais la citation elle-même dément l'argument du , car elle soutient que:
« il y a certains documents que le Sénat peut être habilité à recevoir, mais qu'il devrait s'abstenir de demander. »
Il s'agit d'une suggestion. Cela ne consiste aucunement en une réduction des pouvoirs. Puis il a dit ce qui suit:
Selon l'ouvrage Odgers' Australian Senate Practice:
« Bien que le Sénat possède de toute évidence un pouvoir d'exiger la production de documents et de dossiers, il est reconnu que certains renseignements détenus par le gouvernement ne devraient pas être divulgués. »
Puis, on peut lire ensuite que ce principe est fondé sur une immunité de divulgation, fondée elle-même sur un postulat.
Le ministre a poursuivi sa citation.
« Bien que le Sénat n'ait pas admis que les demandes fondées sur l'immunité d'intérêt public par le pouvoir exécutif ne sont rien d'autre que des demandes et qu'elles ne reposent pas sur des prérogatives établies, il ne demande habituellement pas l'exécution de telles demandes d'éléments de preuve ou de documents devant le refus d'un ministre de les fournir, mais il a recours à d'autres mesures. »
Habituellement. Je crois qu'il s'agit d'un cas inhabituel. Je crois que le débat qui a lieu à la Chambre depuis six mois montre clairement qu'il s'agit bien d'un cas inhabituel, et ces deux autorités reconnaissent que les assemblées législatives, en l'occurrence le Sénat de l'Australie, ont le pouvoir de le faire.
Le a également soulevé certaines autres questions que lui et son secrétaire parlementaire avaient déjà soulevées auparavant. Comme je me suis déjà penché sur celles-ci, je n'entrerai pas dans les détails. Toutefois, ils ont dit qu'il n'y a pas eu, de prime abord, atteinte au privilège puisque le gouvernement avait agi pour donner suite de façon responsable à l'ordre pris en décembre.
Toutefois, le ministre a également dit qu'il croyait qu'il était trop tôt parce que l'ordre pris le 10 décembre ne prévoyait pas de délai. Un délai n'avait peut-être pas été fixé, mais l'ordre lui-même dénotait très clairement qu'il était urgent d'agir.
Dans le préambule, la motion dit que « la Chambre demande instamment accès aux documents suivants », puis, dans le dernier paragraphe, elle ajoute: « par conséquent, la Chambre ordonne par la présente que tous ces documents soient produits sans délai dans leur forme originale et non censurée ». Comme je l’ai déjà dit, le terme « instamment » n’est peut-être un terme très précis, mais il indique assurément qu’il y a une certaine urgence et qu’il faut agir sans délai.
Il y a eu des délais considérables, et ce n’est pas là un élément à considérer comme une objection sérieuse à la motion portant qu’il y a présomption d’atteinte au privilège. Selon moi, l’interprétation du ministre est fautive. Il y a présomption d’atteinte au privilège. La Chambre décidera ce qu’il y a lieu de faire à ce sujet.
Il poursuit longuement, disant: « je suis d'avis que la question soulevée relève du débat et n'est pas une question de privilège ». Il traite ensuite de toutes les questions qui se posent, dont bon nombre ont déjà été abordées par le . J’en ai déjà parlé.
Toutefois, il y a amplement matière à débat ici. Je crois que le débat dont le ministre veut parler est celui qui aurait lieu une fois une motion mise à l’étude. Monsieur le Président, si vous concluez, comme je le souhaite et estime que vous devez le faire, qu’il y a présomption d’atteinte au privilège, une motion sera proposée. J’ai déjà évoqué la nature de la motion que je suis prêt à proposer. Elle peut être débattue, amendée et examinée. Toutes les questions que le a exposées à la Chambre pourront être prises en considération pour voir s’il y a lieu que la Chambre exerce ses pouvoirs et quelles mesures il y a lieu de prendre relativement à la question de privilège.
J’en reviens au début de mon intervention pour dire que la question que vous devez maintenant trancher, monsieur le Président, est celle de savoir s’il y a présomption d’atteinte au privilège et non s’il y a atteinte au privilège. Certains en ont parlé au cours de leurs interventions. Il est assez évident que les conservateurs n’ont pas produit des documents non censurés. Les documents déposés à la Chambre sont lourdement caviardés. Ce ne sont pas des documents non censurés. Encore là, il y a matière à débat.
Si j’en reviens à la page 73 de l’ouvrage d'O'Brien et Bosc, il y est question de la 14e édition d’Erskine May et de la façon moderne de soulever la question de privilège. On lit ceci:
Ce renvoi à la procédure britannique permit rapidement à la présidence, à partir de l’époque du Président Michener, d’écarter les interventions par lesquelles les députés invoquaient à tort et à travers le privilège. On proposait deux critères de base, à savoir si la question paraissait fondée de prime abord et si elle avait été soulevée à la première occasion possible.
Comme je l'ai dit d'entrée de jeu, monsieur le Président, vous avez déjà réglé le deuxième élément. Il reste maintenant à déterminer si la question dont vous avez été saisi vous paraît fondée de prime abord. Il est peut-être un peu tard pour parler de première impression, j'en conviens, car on a déjà présenté de longues argumentations quant au genre d'impression que peut donner la question de départ.
Je suppose que, dans vos délibérations, monsieur le Président, vous devrez en revenir à la première impression et déterminer s'il semble, de prime abord, y avoir matière à question de privilège. S'agit-il d'une question de privilège? À mon avis en tout cas, il ne fait aucun doute que les privilèges de la Chambre sont en cause. Quant aux mesures à prendre à leur égard, elles devront fait l'objet d'un débat, d'une motion et d'une décision de la Chambre une fois qu'il aura été établi qu'il s'agit bien d'une question de privilège.
Je pense que les tribunaux ont également reconnu ce fait. J'ai mentionné, la première fois que j'ai soulevé la question de privilège, l'affaire New Brunswick Broadcasting. La Cour suprême du Canada a reconnu que, une fois que la question de privilège a été soulevée, il appartient au Parlement de décider comment y donner suite.
Nous en sommes là. Nous attendrons votre décision, monsieur le Président, après que vous aurez eu la chance de passer en revue les interventions et les documents faisant autorité. J'ai terminé mon exposé et je vous remercie de votre attention.
:
Monsieur le Président, j'ai écouté ce débat ainsi que les interventions passées faites au Parlement. Je sais que vous êtes le Président ayant siégé le plus longtemps en cette Chambre. Cela en dit beaucoup sur votre capacité à analyser beaucoup de choses qui vous sont soumises. Cela en dit beaucoup également sur la confiance des députés envers vos décisions.
Il y a, selon moi, quelques questions pratiques dans ce dossier. Premièrement, je siège au Comité spécial sur l'Afghanistan, et il y a une chose que je n'arrive pas à comprendre. Même si les renseignements nous étaient remis, à moi et aux autres membres du comité, nous ne pourrions pas nous en servir. Ces renseignements sont très secrets, et de nombreux pays ne verraient pas d'un bon oeil la publication de ces renseignements, si l'on se fie aux propos de mon collègue.
Nous pourrions étudier cette information, mais comment pourrions-nous la rendre publique, de toute façon? Il s’agit de renseignements qui sont protégés en raison de l’intérêt public, qui sont protégés par souci pour nos forces armées et le personnel qui risquent leur vie à tout instant non seulement en Afghanistan, mais aussi dans d’autres régions du monde. Si ces renseignements étaient remis au comité, comment pourrait-il s’en servir? Il ne le pourrait pas.
Le comité ne peut s’en servir, car, s’il le faisait et s’il publiait des conclusions sans révéler l’information qui les sous-tend, les Canadiens n’accepteraient toujours pas cette explication. Ils voudraient savoir sur quoi le comité s’appuie pour arriver à ses conclusions. Il est évident que le raisonnement que tiennent les membres du comité pour obtenir des documents non censurés, non caviardés, ne tient pas debout.
En outre, je m’inscris en faux contre les affirmations de mon collègue du NPD, qui prétend qu’on a masqué ces passages et ces pages au gré de caprices, comme s’il n’y avait pas une approche cohérente. Monsieur le Président, vous devez parfaitement savoir, comme la plupart des Canadiens sans doute, même si mon collègue néo-démocrate ne semble pas le savoir, que le caviardage est très courant dans les procédures juridiques et que cette pratique est assujettie à la Loi sur la preuve au Canada.
Ces passages n’ont pas été masqués par caprice. Ce travail est confié à des personnes qui sont complètement en marge du processus politique, et notamment de la politique de parti, et qui se soucient de l’intérêt supérieur de notre pays et de ceux qui sont allés en Afghanistan et risquent leur vie.
Voici où nous en sommes. Depuis une dizaine d’années, je m’intéresse vraiment beaucoup aux décisions de la Cour suprême du Canada, notamment dans l’application de la Charte. Lorsque la Cour suprême a tiré certaines conclusions, certains d’entre nous ont été quelque peu et parfois exagérément critiques. Néanmoins, nous avons suivi ce qui se passait.
La Cour suprême est arrivée à la conclusion, dans bien des cas, que, malgré ce que dit la loi, pour le bien commun, pour le bien du pays, des Canadiens et de la société, malgré ce que disent la Charte ou la Constitution, que la décision devait aller en sens contraire, que c’était ce qui servait les intérêts bien compris des Canadiens. Monsieur le Président, j’estime que la même possibilité vous est offerte.
Je reconnais, tout comme mon collègue de la Saskatchewan, les compétences du député de , et notamment sa capacité de présenter un grand nombre de précédents historiques. Ce sont de bons enseignements qui pourraient servir dans les universités pendant de nombreuses années. C’est de la bonne histoire, et il est utile de la connaître, mais il nous faut en venir aux faits de base.
Premièrement, les documents réclamés, le comité ne pourrait s’en servir concrètement s’il les obtenait. Vous, monsieur le Président, avez la possibilité de juger que, malgré tous les arguments invoqués, le fait est que ces documents, pour le bien de notre pays, pour la protection des forces armées, ne peuvent aucunement être produits. Par conséquent, j’estime que votre décision pourrait être de considérer que, malgré tous les arguments présentés, vous pouvez protéger les députés de l’opposition contre leur propre folie, leur donner le moyen de sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont enfermés, car il n’y a aucun gouvernement responsable, quelle que soit son allégeance, qui puisse produire ces documents non censurés, sous une forme outrancièrement irresponsable. Cela ne pourrait se produire.
Monsieur le Président, j’estime que vous pourriez rendre comme décision que, peu importe tous les bons arguments qui tendent tous dans la même direction, la réalité concrète exige que la question de privilège soit rejetée.