La révision statutaire de la loi constitue ainsi une occasion privilégiée d’améliorer l’encadrement du lobbying et des activités qui lui sont associées dans l'optique de rétablir la confiance.
Mon intervention s’articulera autour de ce qui me paraît être trois brèches importantes à la loi actuelle, soit le phénomène des portes tournantes, le fait que certaines démarches de lobbying échappent toujours à l'enregistrement et le manque de transparence quant au financement de certaines organisations qui mettent de l’avant des activités de lobbying.
En premier lieu, abordons la question des portes tournantes. Mieux connu sous l’appellation de revolving doors, le phénomène des portes tournantes réfère au mouvement professionnel des titulaires de charge publique, ou TCP, vers des secteurs d’activités dont ils étaient responsables lors de leur mandat public ou, inversement, au passage des professionnels de ces secteurs vers des mandats de titulaires de charge publique.
Ce phénomène est généralement associé à la mise en place d’un réseau d’influence qui peut procurer certains bénéfices à ses membres, notamment sur le plan de l’accès à des informations privilégiées pour les TCP sortants, ou mener à une certaine complaisance des TCP entrants à l’endroit du secteur qu’ils sont appelés à réguler et dont ils faisaient jusque-là partie.
Plusieurs juridictions ont tenté de mieux encadrer les sorties de mandat en adoptant des règles d’après-mandat qui imposent un délai de carence avant que les TCP puissent, à l’issue de leur mandat, agir comme lobbyistes pour un secteur dont ils étaient jusque-là les régulateurs. La Loi sur le lobbying semble la plus sévère au monde à cet égard en imposant un délai de carence de cinq ans aux titulaires de charge publique avant qu'ils puissent agir en tant que lobbyistes.
Or, il semble que sous l’apparence de cette grande sévérité se cachent en fait d'importantes lacunes, de sorte que l’esprit de la loi est régulièrement transgressé, et ce, en raison de la définition extrêmement limitée de ce que constitue une activité de lobbying. Au sens de la loi, le lobbying vise ainsi les communications orales et organisées avec un TCP. Conséquemment, un ancien TCP, qui userait de ses connaissances privilégiées dans un dossier afin d’établir une stratégie politique pour un client donné et qui l’outillerait en vue d’une éventuelle rencontre avec un TCP, ne ferait pas du lobbying au sens strict de la loi tant et aussi longtemps qu’il ne communiquerait pas lui-même avec le TCP visé. Or, il semble assez clair que dans une telle situation, le client aurait une longueur d’avance sur ses concurrents en ayant accès soit à des informations privilégiées, soit à des informations informelles facilitant la relation avec le TCP visé par les démarches de lobbying. Cette situation nous semble aller à l’encontre de l’esprit de la loi, et particulièrement de la logique derrière l’adoption de règles d’après-mandat. Ces considérations appellent de fait une redéfinition de ce que constitue une activité de lobbying. Nous y reviendrons.
J'aimerais aborder en deuxième lieu la question des démarches qui échappe toujours au Registre des lobbyistes. Conformément à la loi, les lobbyistes salariés doivent inscrire au registre leurs activités de lobbying dans la mesure où celles-ci constituent une part importante de l’ensemble de leurs activités. Le seuil à partir duquel on considère qu'il s'agit d'une part importante ayant été établi à 20 p. 100.
Dans son rapport quinquennal, la commissaire au lobbying soulève ses préoccupations quant aux effets de la règle de 20 p. 100, laquelle constituerait un frein important à la transparence, puisque plusieurs lobbyistes choisissent de ne pas enregistrer leurs démarches sous prétexte qu’ils n’atteignent pas ce seuil de 20 p. 100. Pour pallier cette situation, la commissaire recommande que soit retirée la notion de « partie importante » afin que toute démarche ait à être enregistrée.
Par ailleurs, afin d’éviter que l’élimination de ce seuil se fasse au détriment de l’accès aux TCP, la commissaire suggère l’introduction de certaines exceptions en vertu desquelles les organismes communautaires de charité n’auraient pas à s’enregistrer.
Nous souhaitons ici exprimer d’importantes réserves quant à l’introduction d'un tel régime d'exceptions. Le législateur québécois a choisi cette voie, en excluant de l’application de la loi québécoise sur l'encadrement du lobbying toute personne dont l'emploi ou la fonction consiste à exercer des activités de lobbying pour le compte d'une association ou d'un groupement à but non lucratif. Il en résulte une transparence sélective et une suspicion systématique à l’endroit des organisations à but lucratif, alors que les organismes à but non lucratif sont d’emblée drapés d’une chape de vertu qui les dissocie du vil jeu de l’influence. Ainsi, dans l’esprit de la loi québécoise, ces organismes ne s’adonnent pas à du lobbying, mais défendent plutôt le bien commun. Position discutable, s'il en est une.
Il nous paraît ainsi très clair que le fait d'introduire un régime d’exclusion constituerait un net recul sur le plan de la transparence. Nous croyons plutôt qu’une révision de la définition de ce qui constitue une activité de lobbying est une solution beaucoup plus féconde afin de colmater les deux brèches tout juste évoquées.
Il semble ainsi opportun d’élargir la définition du lobbying pour y inclure les activités de conseil, de recherche et de stratégie préalables à une démarche de lobbying proprement dite. La définition du lobbying telle qu’enchâssée dans la loi américaine pourrait servir de modèle à cet égard, faisant référence à la fois aux contacts et aux efforts soutenant ceux-ci, et en spécifiant que ces efforts peuvent servir aux activités de lobbying des autres.
En adoptant une définition similaire, le législateur canadien répondrait également en grande partie aux préoccupations de la commissaire en ce qui a trait à la règle du 20 p. 100.
Ainsi, cette définition élargie permettrait d’englober les activités préparatoires à une communication avec un TCP. On peut donc penser que les lobbyistes salariés qui contournent actuellement l’obligation de s’enregistrer en prétextant qu'ils n'atteignent pas ce seuil de 20 p. 100 auraient désormais à le faire. En contrepartie, on peut croire que ce changement n’alourdirait pas pour autant le fardeau des petites organisations, comme les organismes communautaires ou de charité, dont la tâche première n’est pas de faire du lobbying. Il s’agirait donc d’une nette avancée sur le plan du respect de l’esprit de la loi.
Toutefois, une définition élargie aurait aussi sans doute pour effet pervers de viser le travail d’anciens TCP de niveau moins élevé, comme les conseillers politiques, qui sont susceptibles d’être appelés à effectuer un travail préparatoire en vue d’éventuelles démarches de lobbying menées par leur supérieur, sans que ces recherches ne soient nécessairement fondées sur de l’information privilégiée.
Si on élargit la définition du lobbying comme on le propose ici, un tel travail de préparation serait dorénavant interdit, et ce, pour les cinq années suivant le mandat d'un TCP. Cela nous semble excessif. Il serait dommage que des règles d’après-mandat trop contraignantes, qui pourraient être vues comme un handicap pour une carrière future hors du secteur public, deviennent un frein quant à l’opportunité d’occuper un poste de conseiller politique.
Ainsi, il y aurait lieu de revoir la portée du délai de carence soit en révisant la définition de ceux qui doivent s'y soumettre ou en introduisant différentes périodes de carence établies en fonction de l'importance stratégique du poste de TCP occupé.
En troisième lieu, j'aimerais aborder la question de la nature de certaines organisations inscrites au Registre des lobbyistes. Si la nature de la plupart des organisations inscrites au registre ne fait pas de doute, les objectifs d’influence de certains regroupements moins connus peuvent paraître obscurs aux yeux du citoyen profane. Souvent, les sources de financement de ces alliances s’avèrent particulièrement difficiles à cerner, et ce, même sur leurs plateformes officielles.
Ce manque de transparence est inquiétant au regard d’un phénomène connu sous l’appellation d’astroturfing, et qui vise à mettre de l’avant une stratégie de communication dont la source réelle est occultée et qui prétend à tort être d’origine citoyenne. Qu'on pense, dans le contexte canadien, au groupe MONCHOIX. Il s'agit, prétendument, d'un groupe citoyen revendiquant le droit de fumer dans l'espace public mais qui est, en réalité, financé par les grandes compagnies de cigarettes.
Par un simple ajout au registre en vertu duquel les organisations auraient à dévoiler leurs sources externes de financement dans la mesure où celles-ci dépassent un certain seuil, le législateur pourrait concrètement prendre acte de ce phénomène et ainsi favoriser une plus grande transparence d’un élément, soit le financement, au coeur même du processus d’influence.
Une telle mesure ne toucherait, croyons-nous, que certaines organisations, comme les coalitions, dont les sources de financement demeurent parfois opaques et, surtout, les groupes d'astroturfing. En permettant le dévoilement des origines de ces groupes, la mesure proposée pourrait contribuer à limiter le phénomène de façon importante.
L’ensemble de nos observations nous amène donc à formuler trois recommandations en vue d’améliorer la Loi sur le lobbying.
Premièrement, nous recommandons que soit élargie la définition de ce que constituent les activités de lobbying, afin d’inclure les activités préparatoires aux communications avec les TCP.
Deuxièmement, dans la foulée de cette première recommandation, nous suggérons que soit revue la portée du délai de carence, et ce, afin de tenir compte de la situation de certains TCP, qui pourraient voir leur passage en politique comme un handicap sérieux pour leur carrière future.
Troisièmement, dans l’optique d’accroître la transparence quant à l’origine de certains groupes d’influence, nous recommandons que le financement provenant d’une source externe à l’organisation pour laquelle travaille un lobbyiste fasse partie des éléments à déclarer au registre, dans la mesure où ce financement atteint un certain seuil.
En espérant que ces quelques remarques pourront s'avérer éclairantes, je vous remercie de votre attention.
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Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité à l'occasion de cet examen.
J'écris depuis plus de 20 ans au sujet du lobbying et des lois qui le régissent au Canada et ailleurs. Fort de cette expérience, j'en suis venu à la conclusion qu'examiner la Loi sur le lobbying, c'est un peu comme entreprendre un long voyage en voiture avec deux jeunes enfants. Tôt ou tard — nous espérons toujours que ce sera plutôt tard que tôt —, on entend une voix plaintive demander: « Est-ce qu'on est presque arrivé? »
Cet examen de la Loi sur le lobbying constitue la sixième ou la septième occasion — je ne suis pas tout à fait sûr — qu'on demande « Est-ce qu'on est presque arrivé? » depuis que la loi a été adoptée en 1998.
Et chaque examen a abouti à la même conclusion: « Non, nous n'y sommes pas encore. »
La raison, c'est en partie parce qu'il n'a jamais été clairement établi où cette loi devait nous mener. Nous ne savions pas où nous étions censés aller et ne connaissions pas l'objet réel de cette mesure législative.
L'ultime destination était peut-être évidente pour certains, mais, même alors, l'itinéraire restait un mystère, sans doute parce que la route à suivre n'avait jamais été construite. Peut-être n'existe-t-elle pas encore. Comme on le dit en Nouvelle-Angleterre, « vous ne pouvez pas arriver là en partant d'ici ».
Quels changements de cap avons-nous faits jusqu'ici? À chaque examen, nous demandons aux lobbyistes des renseignements plus précis, plus exacts et plus actuels. Nous avons précisé la définition du lobbying et avons prolongé les délais de poursuite des contrevenants, les faisant passer de six mois à deux ans, puis à dix ans.
L'objet de ces révisions était d'assurer la conformité en changeant la définition, en prolongeant les délais de poursuite et en augmentant la transparence. De ce fait, nous en savons beaucoup plus qu'en 1998 sur ceux qui essaient d'influencer le gouvernement.
Pourtant, malgré tout le temps et les efforts, le registre ne nous dit pas encore clairement qui fait du lobbying, qui est le vrai client et quel est l'objet des démarches entreprises. Nous n'aurons peut-être jamais des réponses parfaitement claires à cet égard. Il arrive souvent que les mesures prises pour renforcer un aspect de la loi incitent les lobbyistes à recourir à de nouvelles tactiques d'évitement encore inconnues.
Aux États-Unis, par exemple, la dernière réforme de la loi américaine sur le lobbying, adoptée par le Congrès précédent après le scandale Abramoff, a entraîné la radiation de 3 000 personnes du registre des lobbyistes, mais non de la communauté des lobbyistes de Washington. Ces radiations étaient également attribuables en partie aux efforts déployés par le gouvernement Obama pour interdire aux lobbyistes de siéger aux comités et conseils consultatifs.
Au Canada, il semble que le renforcement des lignes directrices sur l'après-mandat a pu entraîner un plus grand recours à la règle de 20 p. 100 pour éviter l'inscription au registre des lobbyistes et éviter du même coup l'interdiction touchant l'après-mandat.
Permettez-moi de dire que j'appuie les suggestions ou recommandations que Mme Shepherd, commissaire au lobbying, a présentées au comité le 13 décembre.
Je crois que la règle de 20 p. 100 devrait être suspendue. Toutefois, je pense qu'il serait nécessaire, comme l'a dit Mme Shepherd, de trouver un moyen réglementaire pour prévenir une multiplication excessive des nouvelles inscriptions. Vous ne voudrez sans doute pas que la suppression de la règle de 20 p. 100 oblige les nombreux électeurs et autres intervenants qui se présentent à vos bureaux tous les jours à s'inscrire comme lobbyistes. Par ailleurs, il est important de veiller à ce que le registre, sans être inondé par de simples citoyens, puisse rendre compte de l'activité de tous ceux qui organisent des manifestations de la base et d'autres événements.
Pour ce qui est de la mise en vigueur de la règle 8 du Code de déontologie — qui constitue peut-être la mesure la plus controversée —, je crois qu'il est extrêmement important que l'examen de la loi permette de donner à la commissaire un mandat clair et ferme, qui lui donne la possibilité de s'acquitter de cette tâche difficile.
J'observe l'élaboration de la politique publique depuis les années 1970. Jusqu'en 1986, j'ai fait partie, à différentes occasions, de divers services gouvernementaux d'élaboration de politiques. Lorsque nous avons commencé à publier le Lobby Monitor en 1989, je savais que le fait pour un client de recourir à un lobbyiste réputé pour avoir des contacts réguliers avec le premier ministre ou le ministre pouvait considérablement influencer la façon dont son dossier serait traité par le gouvernement.
Je n'ai pas le moindre doute que les liens connus des lobbyistes avec les partis politiques ont de l'importance. Ils ont de l'importance pour le client et sont souvent utilisés comme un important moyen de commercialisation. Ils ont de l'importance pour les fonctionnaires qui s'occupent du dossier. S'ils ne sont pas assez futés pour le reconnaître, ils ne devraient pas occuper les postes qu'ils occupent. Ils ont certainement de l'importance pour le public, au chapitre de la perception que les gens ont du fonctionnement du gouvernement.
Nous ne parviendrons jamais à rompre le lien qui existe entre les politiciens et le monde des relations avec le gouvernement, mais il est essentiel de le modérer dans la mesure du possible.
À mon avis, la situation malsaine qui a régné entre 1986 et 2009 était intenable. Même s'il est vrai qu'il est possible de réaliser l'équilibre dans le processus décisionnel interne en laissant des pouvoirs égaux aux lobbyistes qui s'affrontent, une telle situation maintiendrait la perception publique que la bonne façon de procéder consiste à engager des amis du parti.
Autrement dit, il arriverait souvent que les gens se disent: « Ils ont leurs lobbyistes et nous avons les nôtres. Les forces en présence sont égales. » C'est peut-être vrai sur le plan interne, mais, de l'extérieur, on aurait toujours l'impression que chacun engage les amis du gouvernement ou les amis des politiciens pour arriver à ses fins. C'est là une perception malsaine.
Les mesures législatives régissant le lobbying ne représentent que l'un des quatre éléments qui déterminent la conduite du gouvernement. Les autres éléments sont le Code sur les conflits d'intérêts qui influence la conduite des fonctionnaires, le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique de la Chambre des communes et le Bureau du conseiller sénatorial en éthique. Tous ces éléments sont essentiels à la santé de nos institutions politiques. À mon avis, une mise en vigueur adéquate de la règle 8 est nécessaire pour permettre au Commissariat au lobbying de s'acquitter de sa partie du mandat global relatif à l'éthique.
Je vous remercie. Je serais heureux de répondre plus tard à toute question que vous auriez à poser.
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Je remercie le comité de m'avoir permis de comparaître à titre de président du conseil d'administration de la Coalition pour l'éthique gouvernementale. La coalition se compose de plus de 30 groupes de citoyens d'un peu partout dans le pays, qui représentent différents secteurs de la société et comptent quelque 3 millions de membres.
Nous avons présenté un mémoire de 12 pages qui contient dix grandes recommandations. En fait, tout revient à un choix très simple: Allez-vous recommander énergiquement de modifier la Loi sur le lobbying de façon à mettre fin aux activités secrètes et contraires à l'éthique et à assurer une mise en vigueur efficace, ou bien comptez-vous fermer les yeux sur les échappatoires sans formuler des recommandations destinées à les éliminer ou à assurer une mise en vigueur efficace?
La loi est tellement pleine d'échappatoires qu'elle devrait s'intituler non Loi sur le lobbying, mais Loi sur certaines activités de lobbying de certains lobbyistes, parce que c'est tout ce qu'elle impose: la divulgation de certaines activités de lobbying par certains lobbyistes. Comme le lobbying secret est légal, le lobbying contraire à l'éthique l'est également. Le lobbying secret et contraire à l'éthique est légal, même dans le cas des ministres, dès le lendemain de leur départ, à cause des failles de la loi. Ils doivent faire un peu attention dans le choix des personnes à approcher, surtout à cause des règles figurant dans la Loi sur les conflits d'intérêts plutôt que dans la Loi sur le lobbying. De plus, ils doivent faire un peu attention dans le choix de leurs clients et de l'objet de leurs démarches, mais ils peuvent chercher à influencer des ministres, des hauts fonctionnaires et n'importe qui dans le parti au gouvernement, les partis d'opposition et la fonction publique. Les personnes nommées par décret et les membres de toutes les institutions gouvernementales peuvent faire du lobbying en secret dès le lendemain du jour où ils quittent leurs fonctions. Voilà où en est la situation.
Il n'y a aucune raison valable de ne pas éliminer ces échappatoires et de ne pas renforcer la mise en vigueur de la loi. Vous avez un choix très simple à faire. Allez-vous tolérer, comme tous les comités, tous les partis et tous les gouvernements l'ont fait depuis la Confédération, le lobbying secret et contraire à l'éthique et une mise en vigueur inefficace, ou bien allez-vous recommander d'une façon énergique d'éliminer enfin les échappatoires et de renforcer la mise en vigueur de façon à rendre illégal le lobbying secret et contraire à l'éthique? Cela ne suffira évidemment pas pour y mettre fin. Les gens essaieront toujours de tourner les lois qui existent, mais ce n'est pas une raison pour y laisser des échappatoires. Certains vous diront qu'on ne peut pas imposer la morale par voie législative, mais ces gens déforment la réalité. Il est vrai, dans les faits, qu'il y aura toujours des gens immoraux, quoi qu'on fasse, mais cela ne permet pas de laisser persister des échappatoires. Vous avez donc le choix.
C'est la dixième séance de comité de la Chambre ou du Sénat consacrée à ce sujet à laquelle j'assiste depuis 1993. Aucun comité n'a formulé ces recommandations. Aucun gouvernement n'a apporté les changements nécessaires. Aucun parti d'opposition n'a jamais déposé un projet de loi d'initiative parlementaire, en dépit du fait que tous ces partis se sont plaints du lobbying secret et contraire à l'éthique.
Allez-vous continuer à jouer le jeu qui a commencé en 1988, ou bien allez-vous finalement choisir la bonne voie en recommandant de mettre de l'ordre dans la Loi sur le lobbying et les lois connexes et de nettoyer l'administration fédérale?
Pourquoi devez-vous le faire? La Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale, les Nations Unies, l'OCDE, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et toutes les autres institutions internationales disent qu'on ne peut pas avoir un gouvernement démocratique si on permet le lobbying secret et contraire à l'éthique. Si cette raison ne suffit pas, vous pouvez vous demander comment vous arriverez à vous regarder dans un miroir si vous ne présentez pas ces recommandations. Que direz-vous à vos enfants et à vos petits-enfants? Que vous avez eu la possibilité de formuler des recommandations visant à mettre fin à l'un des problèmes les plus fondamentaux qui minent un gouvernement démocratique, mais que vous n'avez pas saisi l'occasion? Qu'au lieu de le faire, vous avez, comme tous les comités qui s'en sont occupés l'ont fait depuis 1988, fermé les yeux sur le lobbying secret et contraire à l'éthique et prétendu que tout allait pour le mieux?
Quels sont les principaux changements à apporter? La coalition a formulé dix recommandations. Je vais insister sur quelques-unes d'entre elles, car il est vrai que le diable se cache dans les détails.
Comme l'ont dit les deux autres témoins et tous les autres qui ont comparu, la loi comporte des failles qui permettent de faire du lobbying en secret sans être inscrit. Il faut colmater ces brèches. Toutefois, certaines d'entre elles n'ont pas été mentionnées devant le comité. Ce n'est pas seulement la règle de 20 p. 100 qui est exploitée pour faire du lobbying en secret. Il y a aussi le fait qu'on peut faire du lobbying au sujet de l'application ou de la mise en vigueur d'une loi, d'un règlement, d'un code, de lignes directrices, d'une politique, d'une subvention ou d'un impôt sans avoir à s'inscrire. C'est une gigantesque échappatoire. Une énorme quantité de lobbying se fait au sujet de l'application et de la mise en vigueur des lois, mais cela n'impose aucun enregistrement.
La question du lobbying non rémunéré constitue aussi une gigantesque échappatoire. Il suffit de s'arranger pour recevoir des paiements à l'égard d'autres services et de faire du lobbying gratuit.
Au fil des ans, beaucoup de gens se sont inquiétés des lobbyistes rémunérés, croyant que ce sont les pires. En fait, les lobbyistes non rémunérés sont tout autant à craindre. D'une certaine façon, leurs activités sont encore plus inquiétantes. Il s'agit de ministres qui ont quitté leurs fonctions, qui touchent une pension faramineuse et qui font quelques appels téléphoniques gratuits pour le compte d'amis. Ils ont une influence énorme, mais ils n'ont pas à s'enregistrer parce qu'ils ne sont pas rémunérés.
Pour résoudre le problème, il faudrait soit éliminer les échappatoires, notamment en imposant aux lobbyistes non rémunérés de s'enregistrer, soit tenir la promesse que les conservateurs ont faite en 2006 en imposant à tous les membres de l'administration — au gouvernement, dans tous les organismes, dans les partis d'opposition, au Parlement, partout — de divulguer le nom de toute personne qui tente d'influencer leurs décisions.
La seule exception à cela — c'est en fait ainsi que la loi aurait dû être conçue au départ pour éviter toutes ces échappatoires — se limiterait aux électeurs qui prennent à l'occasion contact avec leur député pour lui parler d'une affaire personnelle. S'ils sont organisés, par exemple dans le cadre d'un petit groupe communautaire qui exerce des pressions, il faudrait que ce soit divulgué. Ainsi, on serait au courant de tout. On mettrait fin au lobbying secret et contraire à l'éthique, qui deviendrait alors illégal.
Quant à la période de restriction de cinq ans, elle a été prolongée d'une façon générale qui est un peu injuste pour l'ensemble des députés. Il conviendrait de la remplacer par une échelle mobile.
Un député d'arrière-ban qui n'est pas membre d'un comité aurait une période de restriction allant de un à cinq ans, qui s'étendrait aussi à tous les membres de son personnel. À l'heure actuelle, les membres du personnel ne sont régis par aucune règle d'éthique.
Si le député a été membre d'un comité, en a été le président ou a été secrétaire parlementaire, la période, toujours comprise entre un et cinq ans, serait plus longue.
Ce serait un changement raisonnable. Le fait pour un député d'arrière-ban qui n'a même pas été membre d'un comité d'avoir à s'abstenir de toute activité pendant cinq ans après son départ — soit aussi longtemps qu'un ministre — est tout à fait insensé.
Ce changement doit être fait, sans pour autant réduire la limite de cinq ans. Une période de cinq ans convient bien dans le cas d'un ministre ou d'un haut fonctionnaire. C'est le temps nécessaire pour qu'il y ait un changement de gouvernement, de sorte que les intéressés n'ont plus autant de pouvoir qu'ils en avaient à leur départ.
Au chapitre de la mise en vigueur, vous devriez également modifier la loi pour imposer à la commissaire de procéder d'une façon régulière à des inspections et des vérifications au hasard. La commissaire n'agit pas suffisamment. Elle attend de recevoir des plaintes au lieu d'aller, d'une manière proactive, vérifier qui prend contact avec quels organismes. La mise en vigueur de la loi nécessite de procéder régulièrement à des inspections au hasard. Les agents de police le font. Quiconque applique la loi le fait.
Vous devez imposer à la commissaire de le faire. Donnez-lui clairement le pouvoir et le mandat d'agir de cette façon. De plus, dans le domaine de la mise en vigueur, vous devez exiger de la commissaire et du directeur des poursuites publiques de rendre des décisions publiques dans un délai raisonnable sur toute situation impliquant des violations.
Depuis 2004, des dizaines de plaintes n'ont pas encore fait l'objet d'une décision. Nous ne savons même pas qui fait l'objet des plaintes. D'après ce que nous avons appris, il arrive souvent que le Commissariat rejette des plaintes sans donner au public les raisons du rejet. Le public a le droit de savoir ce qui se passe et de connaître les décisions prises par le Commissariat.
Également dans le domaine de la mise en vigueur, il est important de donner à la commissaire le pouvoir et le mandat d'imposer des sanctions. Mardi, les quatre commissaires provinciaux vous ont dit que cela était nécessaire. Certains sont d'avis que cela provoquera une sorte de conflit. L'Institut de relations gouvernementales du Canada se plaignait du fait que cela pourrait occasionner un conflit: la GRC et les procureurs de la Couronne pourraient prendre des mesures différentes de celles de la commissaire.
Je crois qu'il y a un malentendu. Les sanctions administratives s'appliquent aux violations administratives de la loi et non aux actes qui constituent des crimes. Le pouvoir d'imposer des amendes ne devrait occasionner aucun conflit relativement aux enquêtes.
Si cela était permis, la commissaire pourrait aller de l'avant et rendre une décision plutôt que d'attendre que la GRC et les procureurs de la Couronne enquêtent pendant trois, quatre ou cinq ans pour être en mesure d'agir en vertu du Code de déontologie des lobbyistes.
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… surtout dans les deux premières années dans le cas d'un ministre, à cause des règles sur les conflits d'intérêts et non des dispositions de la Loi sur le lobbying, et dans la première année dans le cas d'un haut fonctionnaire couvert par la Loi sur les conflits d'intérêts.
Pour tous les autres, il suffit de travailler pour une société et de limiter les activités de lobbying à moins de 20 p. 100 de son temps. Si on touche une bonne pension ou si on a d'autres sources de revenu, on peut faire du lobbying gratuit sans avoir à s'inscrire. Par conséquent, il n'y a pas vraiment une interdiction de cinq ans. Cette interdiction ne s'applique qu'aux lobbyistes enregistrés.
Oui, nous proposons une échelle mobile de un à cinq ans selon les fonctions qu'on a exercées. Il faudrait établir des catégories. Dans le cas d'un député d'arrière-ban qui n'a pas fait partie d'un comité, la restriction serait d'un an. S'il a siégé dans un comité pendant la moitié de son mandat, la restriction passerait à un an et demi ou deux ans. Tout dépendrait du pouvoir détenu. Du côté de l'opposition, les porte-parole des partis auraient une période de restriction plus importante que celle des membres de comités. Du côté gouvernemental, les secrétaires parlementaires auraient une plus longue période. Ils seraient suivis des ministres sans portefeuille, puis des ministres de plein droit. Il en serait de même des membres de leur personnel.
Le personnel doit être couvert, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, sauf s'il s'agit du personnel du chef de l'opposition. Cela réglerait vraiment beaucoup de problèmes.
Beaucoup ne se rendent pas compte qu'au chapitre des échappatoires et des gens qui doivent s'enregistrer, la règle de 20 p. 100 s'applique d'une façon complètement différente dans le cas d'une ONG, d'un organisme bénévole ou d'une organisation quelconque. Dans une organisation, il faut compter le temps de chaque membre de l'équipe qui fait du lobbying et tout additionner. Ainsi, si on a cinq employés et que chacun consacre 4,1 p. 100 de son temps au lobbying, le total dépasse le seuil de 20 p. 100, ce qui nécessite l'inscription au registre des cinq employés.
La règle de 20 p. 100 a toujours servi à masquer le lobbying d'entreprise. Les ONG ont toujours eu un seuil de divulgation plus élevé, ce qui est contradictoire parce que, dans la plupart des cas, elles ont évidemment moins de pouvoir que les lobbyistes des grandes entreprises.
La présidente: Monsieur Conacher.
M. Duff Conacher: Toutes les provinces qui ont adopté des mesures législatives ont suivi le modèle fédéral — cela se fait un peu partout dans le monde — dans le cadre duquel c'est le lobbyiste qui est tenu de divulguer ses activités. Cela pose le problème de la définition du lobbyiste et du lobbying. Cela crée également d'énormes échappatoires.
La bonne façon de procéder — qu'aucun pays n'a adoptée — consisterait à inverser le processus en exigeant des titulaires de charge publique, de tous les partis, de tous les employés des politiciens de divulguer le nom de ceux qui communiquent avec eux au sujet de leurs décisions. On évite ainsi tous les problèmes: il n'y a plus à se soucier de savoir si les interlocuteurs sont rémunérés ou non, si leurs activités occupent 20 ou 100 p. 100 de leur temps ou si la communication a été orale ou organisée d'avance. Tout cela n'a pas d'importance parce qu'il faudrait déclarer toutes les communications.
On peut donc soit inverser le processus — ce qui serait utile — soit éliminer les échappatoires. Je crois qu'il est possible d'éliminer les échappatoires, sans courir le risque d'inclure les électeurs qui prennent contact avec vous à l'occasion, en ajoutant une disposition ciblant « les personnes qui jouent un rôle important, rémunéré ou non, dans le cadre d'un effort organisé ». Si de telles personnes communiquent avec vous d'une façon quelconque, elles doivent s'enregistrer. On aurait ainsi un bien meilleur système qui mettrait pratiquement fin au lobbying secret et contraire à l'éthique.
On pourrait également adopter quelques autres règles ciblant particulièrement les anciens titulaires de charge publique parce qu'un appel fait pour le compte d'un ami ne constitue pas un effort organisé. C'est un simple appel informel, mais il est important de le déclarer parce que les ministres qui viennent de quitter le Cabinet sont extrêmement influents. Ils peuvent ordinairement décrocher de bons emplois et n'ont donc pas à être rémunérés pour faire du lobbying. Si on n'élimine pas cette échappatoire, leurs démarches ne seraient pas déclarées. Or nous voulons vraiment qu'elles le soient.
La présidente: Monsieur Chenier.
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Je crains fort de ne pas être d'accord avec Mme Yates au sujet de la règle de 20 p. 100. J'estime qu'il faut la changer. Je crois même qu'il serait bon de la supprimer de façon à ne pas inclure tous les gens — comme les électeurs — qui se présentent les journées de lobbying. Par ailleurs, elle met en évidence ce que je considère comme une importante échappatoire, c'est-à-dire les gens qui sont très actifs et très efficaces pendant deux ou trois jours au cours d'une campagne, mais qui ne sont pas du tout inscrits au registre.
Quant à la définition du lobbying, dans l'ensemble, les lobbyistes ont toujours choisi de s'inscrire ou non au registre dans la période allant — mettons — de 1889 à 2000. Ils ont eux-mêmes décidé s'ils souhaitaient ou non que leurs activités soient visibles. Pour la plupart des lobbyistes-consultants rémunérés, l'inscription au registre n'était pas obligatoire parce qu'ils ne font pas eux-mêmes beaucoup de lobbying. Ils consacrent beaucoup de temps à la collecte d'information, et ils savent qui aller voir. Tant qu'ils n'ont pas à organiser des réunions, ils ne sont pas tenus de s'inscrire. Comme je l'ai dit, ils peuvent entreprendre un travail, conseiller le client, concevoir la campagne de lobbying, dire à chacun quelles personnes aller voir, recueillir tous les renseignements nécessaires au sujet de la position du gouvernement sur la question en cause, déterminer qui prendrait la décision et à quel moment, puis envoyer les troupes — habituellement les représentants du client — rendre visite aux fonctionnaires responsables.
Tant que d'autres étaient chargés d'organiser les réunions, ils n'avaient pas à s'enregistrer. Ils pouvaient venir en ville, y passer trois ou cinq jours pour présenter leurs arguments et exercer des pressions, puis s'en aller sans que la campagne de lobbying laisse la moindre trace. Absolument rien. Légalement, il n'y a rien à déclarer.
Lorsque la règle relative à la tentative d'influencer a été remplacée par le contact avec un titulaire de charge publique, cette activité est devenue visible. Si on prenait contact avec un titulaire de charge publique pour obtenir des renseignements, on devait choisir entre s'enregistrer ou non. La plupart des gens ont décidé de s'enregistrer.
Nous avons encore des gens qui peuvent définir une stratégie, savoir à qui s'adresser, conseiller des gens sur les personnes à contacter, déterminer les questions à examiner, charger des collaborateurs de trouver les renseignements les plus récents, sans pour autant être inscrits au registre. Tout revient à votre définition du lobbying.
Si on accepte un travail, si on conseille un client sur ce qu'il convient de faire, je suis d'avis que c'est du lobbying. Pour moi, il importe peu qu'on établisse soi-même les contacts.
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En ce qui a trait à la règle du 20 p. 100, je pense que l'objectif est le même. On veut être en mesure de viser les vrais lobbyistes et faire en sorte que le simple citoyen ou l'organisme communautaire qui cogne à la porte de son député une fois à tous les six mois n'ait pas à s'enregistrer.
M. Chenier dit qu'il faudrait trouver des modalités pour permettre de faire la distinction entre les vrais lobbyistes et les lobbyistes d'occasion, si on peut s'exprimer ainsi. La règle du 20 p. 100 est justement une modalité qui n'est pas parfaite, mais qu'on a trouvée à ce sujet. On fait la distinction en se disant que si quelqu'un fait du lobbying pendant plus de 20 p. 100 de son temps, c'est un vrai lobbyiste. Le problème est que, comme la définition ne comprend que cette portion de la communication avec le titulaire de charge publique, cela fait en sorte que toutes les activités dont parlait M. Chenier ne sont pas prises en considération. Si on élargissait la définition pour inclure l'ensemble de ces activités, y compris les frais de voyages, je pense que, très rapidement, la plupart des lobbyistes atteindraient ce seuil de 20 p. 100. À ce moment-là, on serait en mesure de faire la distinction entre les vrais lobbyistes et le lobbyiste d'occasion, soit celui qui va voir son député une fois à tous les six mois. Il n'atteindrait vraisemblablement pas ce taux de 20 p. 100 et n'aurait pas à s'enregistrer. La règle de 20 p. 100 n'est pas parfaite et on peut toujours essayer de la contourner mais, en élargissant sa définition, on permettrait selon moi de respecter l'esprit de la loi derrière cette règle.
Revenons à ce qu'il ne faudrait surtout pas changer, soit la question de la députée. Au Québec, on a cette distinction entre le lobbying fait par les organismes à but lucratif et le lobbying fait par les organismes à but non lucratif. Comme je l'ai écrit dans mon mémoire, cela crée un système à deux vitesses. Cela donne une transparence sélective et il ne faudrait surtout pas, à mon avis, éliminer la règle du 20 p. 100, ce qui introduirait ce système à deux vitesses où les organismes à but non lucratif n'auraient pas à s'enregistrer. C'est le danger d'éliminer la règle du 20 p. 100.
Juste pour terminer là-dessus, aux États-Unis, le quatrième plus important lobby est l'American Association of Retired Persons, un organisme à but non lucratif. Parmi les choses qu'il ne faudrait pas changer, c'est surtout d'introduire cette distinction.