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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 042 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Traduction]

    Bienvenue à la 42e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne en cet après-midi du jeudi 10 juillet. Il s'agit de notre avant-dernière réunion conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014 concernant le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Nous accueillons un certain nombre de témoins. Je tiens à mentionner que la personne qui témoignera depuis Calgary par vidéoconférence, Mme Giacomin, est actuellement des nôtres. Nous avons de la difficulté avec la connexion à la source, sans doute, d'après nous, parce que le réseau Internet est très sollicité à Calgary en raison du Stampede. Mme Giacomin pourra nous entendre et vous pourrez l'entendre. Il se peut que nous perdions l'image par moment. Ne paniquez pas si cela se produit, nous allons la récupérer. Mais Mme Giacomin pourra continuer de nous entendre et nous de même.
    Les témoins, tels qu'ils figurent dans l'ordre du jour, sont les suivants. Nous entendrons d'abord les représentantes de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, Mmes Steacy et Sarroino.
    Comment prononcez-vous votre nom?
    Mais en réalité, comment est-ce que ça se prononce?
    « Sarroino ».
    Oh, c'est beaucoup mieux. Merci beaucoup.
    Nous accueillons également Mmes Phillips et Potvin, de la PEERS Victoria Resource Society. Témoigneront ensuite Mme Quinn, du Centre to End All Sexual Exploitation, de Glasgow, au Royaume-Uni, et Mme Gerrard, de l'organisme Defend Dignity, The Christian and Missionary Alliance, de Boston, au Massachussetts. Enfin, nous entendrons Mme Giacomin, de la Servants Anonymous Society of Calgary.
    Merci beaucoup.
    Chaque groupe aura 10 minutes et nous commencerons par l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel.
    Vous avez la parole.
    J'aimerais commencer par reconnaître que nous sommes réunis aujourd'hui sur le territoire traditionnel des Algonquins.
    Je suis Lisa Steacy et je remercie le comité de nous avoir invitées, Mélanie et moi, à parler au nom de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, que je vais désormais désigner par son acronyme, ACCCACS, pour simplifier les choses.
    L'ACCCACS est l'une des coalitions de centres contre les agressions sexuelles les plus vieilles au monde. Depuis sa création en 1975, les centres qui en font partie offrent des services de soutien et d'intervention de première ligne en cas de crise aux femmes d'Halifax à Vancouver, en anglais et en français, dans les centres urbains et les milieux ruraux. L'ACCCACS est la voix des milliers de femmes qui lui confient leur histoire par l'intermédiaire de lignes téléphoniques confidentielles.
    En offrant aux femmes de toutes les régions du Canada des services de soutien d'urgence, l'ACCCACS a accumulé des connaissances à la fois uniques et approfondies sur les causes et les conséquences de la violence des hommes envers les femmes, y compris dans le domaine de la prostitution. Toutes nos déclarations publiques sur la prostitution et la violence des hommes envers les femmes s'appuient sur des témoignages de femmes qui utilisent nos lignes d'aide et qui font suffisamment confiance à nos intervenants pour leur confier avoir été victimes de viol, de violence physique, d'inceste et de prostitution.
    D'anciennes prostituées se sont jointes à notre groupe à Vancouver, à Montréal, à Ottawa et à bien d'autres endroits pour travailler bénévolement ou au sein du personnel afin de venir en aide à des femmes survivantes qui tentent de se sortir de la vie d'exploitation et de violation des droits qu'est la prostitution. Mes convictions et mon désir de faire entendre ma voix s'appuient entièrement sur ces femmes, comme c'est le cas pour tous les membres de l'ACCCACS au pays.
    J'ai rencontré et je connais personnellement des femmes qui se prostituent dans la rue ou derrière les portes closes des agences d'escortes, des salons de massage et des clubs de strip-tease ou qui annoncent leurs services en ligne parce qu'elles considéraient que la prostitution était un moyen viable et sécuritaire de gagner de l'argent de façon autonome pour payer leurs études. Ces femmes ont été menacées, violées et battues par des hommes qui achetaient leurs services. Elles ont été menacées, violées et battues par les proxénètes et les souteneurs. Chacune d'entre elles a dû composer avec les dangers et les violations de leurs droits associés à la prostitution et trouver le moyen de survivre.
    En 2001, nos membres ont insisté pour que nous adoptions une résolution déclarant que la prostitution est une forme de violence des hommes envers les femmes. En 2005, nous avons fait valoir cette position en l'appuyant sur une analyse de la prostitution comme pratique dangereuse de discrimination sexiste et sexuelle qui exploite et exacerbe les inégalités sociales que vivent les femmes, les inégalités économiques que subissent les femmes vivant dans la pauvreté et les inégalités raciales que connaissent les femmes de couleur et les femmes autochtones.
    Les changements proposés par le gouvernement à la loi pénale sont l'occasion pour la société, par l'intermédiaire du droit, de défendre les femmes qui veulent un meilleur sort — pour elles-mêmes et pour toutes les femmes — que d'être vendues comme chair à prostitution. L'existence même de la prostitution non seulement crée une sous-catégorie de femmes traitées comme des marchandises que s'échangent des hommes, mais elle alimente également l'inégalité sexuelle et sexualisée de toutes les femmes.
    La définition du consentement établie à l'article 273.1 du Code criminel, placée à la suite des crimes d'agression sexuelle, constitue un cadre utile pour l'ACCCACS pour s'opposer à l'idée que la prostitution est une transaction égale ou une activité sexuelle à laquelle les femmes donnent leur consentement. Le « consentement » est défini comme suit : « accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle ». La force brutale de la pauvreté, de la violence et de l'inégalité qui contraint les personnes, en grande majorité des femmes, à se prostituer élimine toute possibilité de consentement.
    Le projet de loi C-36 place à juste titre les crimes liés à la prostitution dans la partie du Code criminel qui vise les actes criminels contre la personne. Les femmes qui utilisent nos lignes d'appel d'urgence et celles qui offrent ce service partout au Canada savent depuis des décennies que la prostitution n'est pas néfaste parce qu'il s'agit d'une nuisance ou d'un vice. Elle est néfaste parce qu'elle constitue une violation des droits de la personne, et, dans la plupart des cas, cette personne est une femme.
    L'ACCCACS est encouragée de voir que le Parlement a rédigé un projet de loi qui établit clairement que le droit criminel joue un rôle essentiel pour condamner et limiter la prostitution des femmes et des filles au Canada.Tant dans sa résolution de 2001 que dans celle de 2005, l'Association a convenu que le droit criminel peut et devrait sanctionner les auteurs d'actes violents envers les femmes. Le projet de loi C-36 est une réponse nécessaire aux femmes et aux groupes de femmes qui demandent au gouvernement de reconnaître que les effets négatifs de la prostitution touchent de manière disproportionnée les femmes et les enfants et que celle-ci mine leur droit à la dignité et à l'égalité établi dans la Charte des droits et libertés.
    Les dispositions qui criminalisent les actes des clients ciblent précisément les hommes qui réclament un accès sans restriction au corps des femmes. Les dispositions qui criminalisent les actes des proxénètes et des personnes qui profitent de la prostitution visent avec raison les hommes qui forcent les femmes et les filles à se prostituer, qui tirent profit de la vulnérabilité économique et sociale des femmes pour les amener à se prostituer et qui tirent des avantages économiques en piégeant les femmes et les filles dans la prostitution.
(1305)
    Les dispositions qui s'appliquent aux clients, aux proxénètes et aux exploiteurs concordent avec l'idée que la prostitution est un acte criminel de violence des hommes envers les femmes. Toutefois, des décennies de travail auprès de femmes victimes de viol, de voies de fait, d'inceste et de harcèlement sexuel nous ont appris qu'il y a une incapacité du système, à tous les niveaux, d'arrêter, d'accuser et de condamner des hommes pour violence envers les femmes en vertu des lois actuelles. Nous ne devons pas aggraver la situation en accordant l'absolution aux hommes et en abandonnant encore plus les femmes en décriminalisant la prostitution.
    Il sera crucial de mettre en oeuvre rapidement les dispositions proposées si l'on veut qu'elles atteignent les objectifs énoncés. Il incombe au gouvernement fédéral de jouer un rôle de premier plan dans l'établissement de normes pour la police et les procureurs au pays afin d'appliquer toutes les lois qui criminalisent la violence contre les femmes. Toute criminalisation des femmes dans le contexte de la prostitution est incompatible avec une analyse disant que la prostitution est une forme de violence contre les femmes.
    Nous nous opposons catégoriquement à la proposition du gouvernement de criminaliser les communications à certains endroits sous prétexte de protéger les collectivités. Les lois qui criminalisent les clients et les proxénètes s'appliquent partout; il est parfaitement inutile d'avoir une autre disposition qui s'appliquerait aux femmes qui se prostituent à certains endroits.
     Le projet de loi C-36 affirme avec justesse que la prostitution a un caractère violent, néfaste et exploiteur. La vaste majorité des femmes ne choisissent pas de leur propre chef de se prostituer. Il est par conséquent improbable qu'elles choisissent l'endroit où on les prostitue. Cette disposition alimentera probablement le préjugé actuel de l'administration de la justice qui fait en sorte que les femmes les plus marginalisées — les démunies, les membres de minorités visibles et les toxicomanes — sont disproportionnellement ciblées et pénalisées.
    Le montant de 20 millions de dollars alloué par le gouvernement pour aider les femmes à sortir de la prostitution est tout simplement insuffisant. La prostitution, comme toute forme de violence contre les femmes, empêche celles-ci d'atteindre l'égalité. Toute forme d'inégalité rend les femmes plus vulnérables à la violence. Venir en aide à des femmes après qu'elles aient subi une agression sexiste et violente n'est pas suffisant. Il faut mettre fin à l'inégalité des femmes et à l'usage qu'en font les hommes.
    Tous les partis et tous les ministères du gouvernement devront prendre un engagement ferme pour éradiquer l'inégalité désespérante qu'exploite et entretient la prostitution.
    Merci.
(1310)

[Français]

    Bonjour.
    Je m'appelle Mélanie Sarroino et je représente le Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. Nous sommes membres de l'ACCCACS et nous sommes aussi membres de la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution.
    Depuis 35 ans, nous nous consacrons au développement d'une meilleure réponse à apporter aux femmes victimes d'agressions sexuelles ainsi qu'aux communautés du Québec qui veulent prévenir et agir contre la violence sexuelle. Nous comptons 26 centres membres dans toutes les régions du Québec. Nous avons trois volets d'intervention, soit les services directs, la sensibilisation et la prévention ainsi que la défense des droits.
    Différentes études démontrent qu'entre 80 % et 90 % des femmes ayant vécu un lien avec la prostitution ont été victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance. Il est établi que le fait d'être victime de violence contribue à être de nouveau victime de violence. Ce continuum se jouxte souvent à des conditions sociales et économiques défavorables qui contribuent à ce que les femmes se retrouvent un jour au sein du système prostitutionnel.
    Dans ce contexte, les conséquences de la prostitution sur la vie des femmes s'apparentent aux conséquences des agressions sexuelles. Les femmes qui ont subi des agressions sexuelles ou celles qui font de la prostitution, ou encore celles qui s'en sont sorties, font de l'insomnie, de l'anxiété, des phobies, des dépressions, de la dissociation et elles peuvent souffrir de toute une série de problèmes psychologiques et physiologiques, y compris des problèmes gynécologiques, sans parler des conséquences sociales.
    Je ne vais pas répéter ce que ma collègue a mentionné. Bien entendu, on est bien d'accord avec elle sur la question de l'égalité entre hommes et femmes ainsi que sur les conséquences de la non-abrogation de l'article 213. Je ne vais pas revenir sur cette question afin de sauver du temps.
    On entend souvent l'argument selon lequel criminaliser les clients rendra les personnes prostituées plus vulnérables puisqu'elles n'auront pas assez de temps pour évaluer les hommes. Pour nous qui travaillons dans le domaine de la violence faite aux femmes, cet argument ne tient pas la route. Nous avons de la difficulté à croire que 5 à 15 minutes de plus permettront à une prostituée de savoir si un homme est violent ou non, que ce soit avant qu'elle entre dans la voiture de cet homme ou que celui-ci entre dans l'appartement qu'elle occupe.
    Nous savons très bien que les hommes violents sont souvent de grands manipulateurs et qu'on ne peut les reconnaître rapidement. Très souvent, ils sont déjà connus par les femmes et ces dernières leur font déjà confiance.
    L'aspect de la loi qui criminalise l'achat nous facilitera la tâche dans les ateliers de prévention de l'exploitation sexuelle que nous offrons à des milliers de jeunes par année. Au Québec, les CALACS offrent de la prévention à plus de 25 000 élèves par année. Le contraire de la criminalisation de l'achat aurait été catastrophique. Comment prévenir l'entrée dans le système prostitutionnel, que ce soit comme recruteur ou comme marchandise, quand la loi l'autorise?
    Avec la nouvelle loi, nous pouvons traiter du sujet comme nous traitons de celui de l'agression sexuelle. Nous utilisons ce sujet pour parler de la violence dans les relations amoureuses, c'est-à-dire de l'abus de pouvoir qui découle des inégalités sociales. Avec la nouvelle loi, notre message devient donc beaucoup plus cohérent pour les jeunes.
    Outre la voie législative, le Canada doit également aborder les facteurs qui poussent certaines femmes dans la prostitution, incluant la pauvreté, le racisme, les effets des pensionnats autochtones, les lacunes du système de protection de la jeunesse et de l'enfance ainsi que l'idéalisation de la prostitution.
    Il est primordial de créer des soutiens sociaux pour offrir aux femmes des sources de revenus autres que la prostitution. Cela inclut un éventail complet de services de sortie qui offriraient aux femmes qui se retrouvent dans la prostitution des soins de santé, incluant des soins de désintoxication seulement pour les femmes, des logements sécuritaires pour elles-mêmes et leurs enfants, une aide juridique, un accès à l'éducation et à la formation en emploi, des services de counseling de qualité et un revenu de subsistance garanti.
    Les femmes prostituées doivent être admissibles à tous les régimes d'indemnisation conçus pour soutenir les victimes d'actes criminels et devraient bénéficier d'une suspension de leur casier judiciaire en lien avec la prostitution afin de les aider à trouver un autre emploi.
    Nous croyons aussi que toutes les ressources déjà existantes, dont les centres de femmes, les centres en agression sexuelle et les maisons d'hébergement, devraient être en mesure d'offrir, autant par des outils que par un budget adéquat,...
(1315)

[Traduction]

    Vous disposez de 10 minutes par groupe, et non de 10 minutes chacune. Vous avez grandement dépassé le temps qui vous était alloué. Par conséquent, si vous pouviez conclure sous peu, ce serait parfait. Merci beaucoup.

[Français]

    Bref, financez-nous et nous allons aider les femmes à s'en sortir.
    Nous réclamons une campagne nationale d'envergure pour sensibiliser la population du Canada aux torts et aux conséquences de la prostitution envers les femmes, mais aussi de la prostitution en tant qu'oppression spécifique envers les femmes.
    Pour conclure, nous réitérons notre solidarité et notre engagement dans la défense des droits fondamentaux de liberté, d'égalité et de sécurité de toutes les femmes. Tant que le corps et que la sexualité des femmes seront perçues comme accessibles pour les hommes, tant que les femmes et que les jeunes filles seront présentées comme des objets sexuels, tant que la violence sera ainsi banalisée et niée, nous n'arriverons pas à la reconnaître et encore moins à la combattre.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci beaucoup. Je vous remercie de votre présentation.
    La prochaine présentation nous vient de la PEERS Victoria Resource Society. Vous disposez de 10 minutes s'il vous plaît.
    Ma collègue Natasha et moi sommes très heureuses d'être ici pour représenter la PEERS Victoria Resource Society, qui est située à Victoria, en Colombie-Britannique. Nous aimerions remercier les personnes qui ont contribué à notre exposé conjoint, lequel s'appuie sur leurs expériences dans l'industrie du sexe.
    Je suis la directrice principale de PEERS, qui existe depuis environ 20 ans. Nos principaux programmes inclus des services jour et nuit, un centre d'accueil, une clinique ainsi qu'un soutien à l'emploi et à l'éducation. Nous préparons et diffusons également une liste de « mauvais diables » ou agresseurs dans la région.
    Collectivement, nos programmes servent de 350 à 500 personnes par année, selon le financement. Certaines participantes aux programmes considèrent travailler actuellement dans l'industrie du sexe, alors qu'environ un tiers dirait ne plus travailler dans ce secteur, mais continuer de faire appel à nos services parce qu'elles ont besoin d'aide pour le logement, l'accès aux soins de santé et d'autres formes de soutien social.
    Je suis également sociologue affiliée à l'Université de Victoria. À ce titre, j'effectue des recherches sur les déterminants sociaux de la santé dans l'industrie du sexe depuis plus d'une décennie. À l'heure actuelle, je mène une étude nationale sur les personnes qui gèrent des agences d'hôtesses et des salons de massage dans le cadre d'une vaste étude financée par les Instituts de recherche en santé et dirigée par Mme Cecilia Benoit.
    Je tiens tout d'abord à brosser un portrait statistique de notre région en particulier. Au cours des 15 dernières années, Mme Benoit et ses collègues ont mené trois grandes études sur la santé des personnes travaillant dans l'industrie du sexe. La méthodologie a été conçue avec le plus grand soin, afin, notamment, d'obtenir un échantillon large et varié. L'examen de ces études a permis de déterminer que l'âge médian de la première transaction était la jeune vingtaine; une importante minorité de participants ont indiqué avoir vendu des services sexuels avant l'âge de 18 ans. Près de 80 % ont indiqué être des femmes, et un peu moins de 20 % se sont dits autochtones. L'âge moyen des répondants au moment de l'entrevue se situait dans la jeune trentaine. Nous n'avons pas constaté de surreprésentation des minorités ethniques, mais plutôt une sous-représentation.
    Les personnes que nous avons interviewées dans le cadre de ces études et celles avec qui nous travaillons à PEERS ont des points de vue variés sur l'industrie du sexe. C'est fort important. Elles ont des points de vue variés de l'industrie du sexe forgés par une panoplie d'expériences. Toutefois, la plupart s'insurgent à l'idée d'être fondamentalement caractérisées comme des victimes. Comme l'une de nos membres nous l'a dit: « Même si j'ai l'impression que j'ai dû devenir une travailleuse du sexe pour assurer la subsistance de ma petite fille, c'était mon choix, et s'il fallait recommencer, je le ferais. » Une autre a indiqué: « Lorsque des femmes comme moi affirment faire ce métier par choix, il y a des gens qui tiennent à y voir de la victimisation, ce qui laisse entendre que nous sommes incapables de prendre nos propres décisions. » Une autre a mentionné que la seule raison qui l'avait poussée à se joindre à un service d'hôtesse, c'était sa propre curiosité.
    Là où nous avons fait de grands progrès dans notre région, c'est avec la police de Victoria. Il y a deux unités — l'unité des crimes de nature sexuelle et l'unité de liaison communautaire — qui travaillent avec PEERS pour rejoindre les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, et les inciter à rapporter des crimes ou d'autres situations préoccupantes.
    Pendant la préparation de cet exposé, l'un des agents de liaison des services policiers m'a appris qu'il n'y avait eu aucune accusation liée au trafic dans nos régions depuis de nombreuses années, et peu, voire aucune, accusation de prostitution. Les policiers ont plutôt ciblé les personnes qui exploitent ou qui malmènent les travailleurs et travailleuses du sexe. Par exemple, six cas de ce qu'on appelle communément de « mauvais diables » ont été signalés cette année. Les services de police se concentrent sur les personnes qui ont commis ces crimes — et qui ne sont pas toujours des clients, soit dit en passant —, au lieu de courir après l'ensemble des clients.
    J'aimerais parler brièvement de quelques articles du projet de loi C-36, bien que je sache qu'il en a abondamment été question cette semaine. Nous partageons l'opinion des personnes qui ont indiqué en détail pourquoi les articles 286.1 et 213 continueront de nuire à la communication entre les travailleuses du sexe et les clients. Nous insistons sur la nécessité de permettre aux travailleuses du sexe d'échanger librement avec les clients pour les évaluer, fixer les conditions et obtenir des renseignements importants. L'évaluation n'est qu'un aspect. Il faut demander de l'information aux gens, et ceux-ci doivent être prêts à vous la fournir. Cela aussi contribue à la sécurité.
    Les éléments de preuve à ce sujet ont été examinés soigneusement, et à mon avis, minutieusement, dans l'affaire Canada contre Bedford. Qui plus est, l'article 213 favorise un climat de stigmatisation et de discrimination, car il présente les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe comme une menace plutôt que comme des membres de la société. Il est probable qu'il s'appliquera de manière abusive aux personnes travaillant à l'extérieur. Ces personnes n'ont pas les moyens de payer des amendes ou d'obtenir les services d'un avocat. Elles craignent déjà beaucoup la police. Cette crainte est profondément ancrée et ne découle pas seulement des lois sur la prostitution, surtout dans le cas de toxicomanes, de personnes qui n'ont pas de logement sûr ou de personnes qui ont fait l'objet de discrimination raciale.
    L'article 286.4 du projet de loi, qui criminalise la publicité pourrait aussi nuire à la capacité des travailleuses d'échanger afin d'assurer leur sûreté et leur sécurité. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet, car il en a été question et notre temps est compté.
    L'article 286.1, qui criminalise le fait de bénéficier d'un avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels impose une contrainte aux travailleuses du sexe qui souhaitent interagir avec d'autres pour leur venir en aide. Nous reconnaissons qu'il y a des exceptions notoires, dont il a été question cette semaine, il n'en demeure pas moins que cette loi est fort épineuse, à notre avis, car il revient à ces personnes de prouver qu'elles font partie de ces exceptions.
(1320)
    Il y a eu des discussions l'autre jour au sujet de la signification de l'« exception non applicable » du paragraphe 286.2(5), qui semble indiquer qu'il n'existe aucune forme d'avantages matériels permissibles dans le cadre d'une entreprise commerciale. J'aimerais obtenir un peu plus de précisions aujourd'hui, car cet article...
    Madame Phillips, je sais que vous chercher à respecter le temps alloué. Je vais vous en accorder un peu plus, mais auriez-vous l'obligeance de ralentir un peu pour que nos interprètes puissent vous suivre. Merci beaucoup.
    D'accord, bien sûr.
    J'aimerais avoir des précisions, si possible, car cet article inquiète beaucoup de gens dans notre région. Nous avons entendu le terme proxénète utilisé dans le cadre du projet de loi C-36 sans préciser ce que l'on entend par celui-ci. Mes collègues et moi avons récemment interviewé 61 personnes qui gèrent des entreprises commerciales. Nous avons appris que 60 % d'entre elles étaient des femmes et que plus de 70 % de celles-ci disaient fournir ou avoir déjà fourni des services sexuels. Par conséquent, si cette disposition vise les proxénètes, elle visera sans doute aussi des femmes qui pour la plupart sont des travailleuses du sexe ou l'ont déjà été.
    Je vais manquer de temps, mais comme l'a dit une personne-soutien dans une agence d'hôtesses de notre région:
En plus de fournir des articles pour réduire les risques lors des rapports sexuels et des salles sécuritaires équipées d'alarmes, les agences procèdent à un filtrage assez long... Nous nous efforçons de trouver des moyens de fixer des limites et de composer avec le petit pourcentage de clients qui sont irrespectueux, ivres ou agressifs. J'accorde la plus haute importance à la sécurité et à la sûreté des personnes qui travaillent à l'agence.
    Une autre personne qui travaille dans une agence a indiqué: « C'est un endroit où travailler en sécurité, en compagnie de femmes dont je me sens proche. »
    Pour conclure, je tiens à répéter que pour réellement obtenir la participation des femmes, des hommes et des transgenres de l'industrie du sexe, il faut respecter leurs différents points de vue et la complexité de leurs expériences et des facteurs qui ont donné lieu à ces expériences.
    Je terminerai avec une autre citation:
Je n'aurais pas consulté la société PEERS si j'avais pensé qu'on m'y dirait comment vivre ma vie ou qu'on aurait tenté de prendre des décisions pour moi. Je l'ai consultée parce que je savais que l'on m'y fournirait un soutien émotionnel et un examen médical gratuit dans un environnement exempt de préjugés.

[Français]

    Je m'appelle Natasha Potvin. Je suis métisse.
    Je suis fière d'avoir travaillé dans l'industrie du sexe. J'y ai travaillé de l'âge de 21 ans jusqu'à 37 ans. Il est vrai que j'en ai fait un choix.

[Traduction]

    Il y a un problème technique.
    Poursuivez, je suis désolé.

[Français]

    Comme je le mentionnais, j'ai travaillé dans l'industrie du sexe de l'âge de 21 ans jusqu'à l'âge de 37 ans. Il est vrai que c'est un choix que j'ai fait. J'en ai fait le choix pour ma fille, et j'en suis fière, tout comme c'est mon choix de venir témoigner devant vous aujourd'hui.
    J'ai deux enfants et un conjoint depuis 11 ans. J'habite Victoria. Je suis membre du conseil d'administration de l'organisme PEERS et membre de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois du travail du sexe. J'ai aussi fait partie de l'équipe de recherche de la Dre Cecilia Benoit. J'occupe maintenant un poste chez AIDS Vancouver Island pour un programme touchant la réduction des méfaits.
    Je suis choquée par le projet de loi C-36. Je trouve qu'il est irrespectueux de nos droits humains en insistant sur le fait que je suis une victime parce que j'ai choisi de travailler dans le commerce du sexe. Or, j'ai choisi librement ce travail. M'appeler ainsi ou me traiter de la sorte, c'est ignorer et dénigrer ma réalité. Cela ne tient pas compte de mon choix.
    J'ai eu une bonne relation avec beaucoup de mes clients. J'ai bien aimé certains d'entre eux, d'autres un peu moins, mais je ne me suis jamais sentie abusée. J'ai cependant été victime de discrimination. J'ai eu la visite du service de la protection de la jeunesse, qui m'avait menacée de m'enlever mon garçon parce que j'étais une travailleuse du sexe.
    Par la suite, j'ai été très réticente à divulguer ma participation dans l'industrie. Je me suis sentie très seule et sans défense. Conséquemment, s'il m'était arrivé un incident, je ne l'aurais pas signalé. Je ne crois pas que le projet de loi C-36 aidera à améliorer cette situation. Il n'enraiera pas la stigmatisation et le jugement à l'endroit des personnes qui exercent cette activité.
    Comme M. MacKay l'a mentionné dans son discours plus tôt cette semaine, le projet de loi C-36 devrait permettre une réduction de l'offre et de la demande. Malheureusement, ce projet de loi n'aura pas l'effet escompté. Plutôt que de mettre fin à la situation, il va déplacer le problème et contraindre les travailleuses du sexe à effectuer leurs transactions dans un contexte de pression accrue. Il y aura beaucoup plus de possibilités de conflit, et le dépistage sera insuffisant auprès des clients. Au bout du compte, le projet de loi augmentera la vulnérabilité des personnes qui exercent ce métier.
    Il deviendra davantage difficile pour les intervenants du milieu, comme chez PEERS, d'offrir des services, de bâtir des liens de confiance, d'établir une connexion ouverte avec les travailleuses du sexe, les travailleurs du sexe ou les personnes transgenres, car il a été démontré que ceux qui travaillent dans la rue perçoivent la criminalisation comme une menace.
    J'irai encore plus loin en vous disant que le projet de loi C-36 pourrait même mettre en danger les équipes d'intervenants mobiles, qui se déplacent chaque nuit pour offrir un soutien de première ligne, en les poussant eux aussi à rejoindre la clientèle dans des endroits isolés. En outre, ils se déplaceront dans des espaces mal éclairés en dehors de la vue de témoins.
    À cet égard, j'aimerais citer à cet égard les propos d'une membre chez PEERS:
    Je suis profondément préoccupée par le projet de loi C-36. S'il est adopté, cette loi va nuire à ma capacité de filtrer et de sélectionner mes clients et de négocier mes conditions, mes propres conditions de travail, lors de ces rencontres. La criminalisation de mes clients rendra mon travail plus difficile. Je commence déjà à planifier la façon dont je pourrai travailler autour de ces nouvelles lois. Je me sens très nerveuse au sujet de mon avenir et face à ma sécurité.
    En conclusion, je ne pense pas que le projet de loi C-36 contienne des dispositions qui favoriseront la santé et la sécurité. Je pense qu'il est très important ici de séparer nos positions morales quant à une sexualité dite appropriée par rapport à nos lois et l'examen de nos droits humains.
    J'aurais préféré voir un modèle s'appuyant principalement sur des principes progressifs, tels que ceux mis en place en Nouvelle-Zélande, un modèle qui décourage l'exploitation des jeunes tout en encourageant les travailleuses du sexe à exercer leur métier dans un contexte qui valorise leur droit à la sécurité. Ces principes n'obligent personne à travailler dans l'industrie.
(1325)
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Je remercie la PEERS Victoria Resource Society de sa présentation.
    Nous nous transportons maintenant à Glasgow, au Royaume-Uni, pour entendre le point du Centre to End All Sexual Exploitation.
    Madame Quinn, la parole est à vous.
     Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que tous les députés et toutes mes consoeurs et collègues spécialistes.
    Je tiens aussi à remercier les techniciens qui ont permis à plusieurs d'entre nous de participer à cet important exercice démocratique grâce à la vidéoconférence.
    Notre organisation a envoyé une lettre à Mme Boivin, à M. Casey et à Mme Smith, ainsi qu'un mémoire qui a peut-être été traduit à temps. Dans les lettres que nous avons envoyées aux députés, nous avons inclus la lettre d'une femme qui a été masseuse et hôtesse pendant sept ans, celle d'une femme qui a été forcée de se prostituer dans la rue pendant 22 ans, celle d'une mère dont la fille fait partie des victimes de meurtre à Edmonton, celle d'un ancien client et celle d'une thérapeute qui aide des femmes à se rétablir à la suite de traumatismes complexes. Ils sont avec moi, même si je suis seule ici.
    Je connais aussi l'histoire des mesures prises par la communauté pour s'attaquer aux importantes répercussions liées à la présence d'hommes draguant dans nos quartiers. Je me souviens de la peur des enfants qui se faisait harceler en se rendant à l'école et des filles à qui l'on demandait si elles étaient des prostituées. Des hommes harcelaient des femmes qui attendaient l'autobus, faisaient des courses ou vaquaient à leurs occupations.
    Je me base donc sur l'expérience de la population d'Edmonton qui a tenté de régler un problème complexe. Il m'apparaît fort important de signaler que pour nous, il ne s'agit pas d'un enjeu partisan. Nous considérons que c'est une question de droit de la personne, de justice sociale et d'égalité des femmes. De l'avis de notre organisation, une personne ne devrait jamais se trouver dans une situation vulnérable ou précaire, quel que soit son âge, parce qu'elle est aux prises avec la pauvreté, l'itinérance, le chômage, l'absence de revenu ou des problèmes de santé physique ou mentale. Nous ne voulons en aucune manière que des personnes vulnérables deviennent des proies.
    Il faut aussi se souvenir de notre histoire en tant que pays et colonie; le poids des lois et de la discrimination a surtout frappé les femmes. Nous observons un virage, un virage que nous souhaitons appuyer. Nous le voyons comme un changement générationnel qui se produira sur une période de 30 ans. Il faudra attendre quelques années avant de voir les fruits du changement apporté par cette loi, mais nous sommes convaincus qu'il est important de faire porter la responsabilité d'un acte nuisible à ceux qui en sont responsables.
    En Alberta et au Manitoba, de nombreuses initiatives ont été menées par des groupes communautaires, des groupes dirigés par des femmes ayant une expérience concrète, par des chefs politiques, par des procureurs de la couronne et par la police. Au fil des ans, nous avons créé des ressources pertinentes, respectueuses des personnes voulant recevoir des soins de santé ou tout autre service permettant de réduire les préjudices.
    Parallèlement, l'exploitation se poursuit. Il nous semble donc important de faire porter la responsabilité de leurs actes aux personnes qui réclament des services sexuels et qui créent un marché favorisant l'industrialisation des femmes et des enfants.
    Dans notre mémoire, nous disons que la criminalisation de l'achat de service sexuel aura un effet positif, mais que la criminalisation des personnes qui fournissent ces services aura un effet très préjudiciable. Nous n'appuyons pas la possibilité d'arrêter des enfants, des adolescents et des femmes se trouvant à des endroits où des enfants pourraient être présents. Nous aimerions que cette disposition du projet de loi soit entièrement supprimée. Nous avons trop souvent été aux prises avec la discrimination que d'autres ont évoquée. Je sais qu'à Edmonton, la capitale de l'Alberta, la commission du logement ne permet à personne ayant un casier judiciaire d'obtenir un logement subventionné et que les personnes qui ont déjà fait de la sollicitation n'y sont pas les bienvenues.
(1330)
    Les femmes qui veulent devenir travailleuses sociales dans nos universités ne peuvent pas présenter de demandes, car elles ont un casier judiciaire. Bien souvent, les emplois que postulent des femmes exigent une vérification du casier judiciaire. De nombreuses femmes renoncent, car elles n'ont pas envie de dire quelle était leur occupation, en raison de la stigmatisation.
    En 1995, notre organisation a écrit au ministre de la Justice d'alors. Nous lui avons dit qu'en tant que simples citoyens, nous étions conscients qu'il y avait un déséquilibre de pouvoir entre la personne en quête de prostitués et la personne debout au coin de la rue, et qu'à notre avis, il fallait créer différentes options. Nous nous sommes mis au travail dans notre ville et nous avons créé, de concert avec le bureau du procureur, le maire et le ministre de la Justice, un programme pour les délinquants de la prostitution.
    Le ministre de la Justice de l'époque a dit que puisque la communauté avait soulevé ce problème, les hommes se verraient infliger une amende d'environ 500 $, et que cet argent serait remis à la collectivité pour réparer le préjudice. Un groupe composé de multiples intervenants, y compris des femmes qui avaient survécues à l'exploitation, des parents dont les filles se livraient à la prostitution de rue, des travailleurs sur le terrain et tous les partis ont déterminé que les priorités étaient l'élimination de la pauvreté, le rétablissement après un traumatisme, des bourses pour que les gens puissent reconstruire leur vie ainsi que la sensibilisation et l'éducation du public.
    En Alberta, nous avons eu un certain nombre d'initiatives de sensibilisation publique, mais cette sensibilisation doit être continue; il faut en faire dans les écoles, c'est une question de consentement.
    Nous devons transmettre un message. J'aimerais voir dans tous les aéroports un message indiquant qu'au Canada nous ne tolérerons pas l'intimidation et la vente de personnes, afin que les nouveaux arrivants sachent que dans notre pays, on ne peut pas acheter des services sexuels.
    Nous aimerions que des programmes en fonction de l'âge soient offerts aux personnes qui pourraient devenir des cibles vulnérables ou des délinquants. Malheureusement, nous voyons de nombreux jeunes hommes commettre des actes de violence contre les femmes. Par conséquent, nous savons qu'il faut trouver des moyens d'apprendre aux jeunes hommes ce qu'est une relation saine et respectueuse.
    Nos recommandations indiquent que nous appuyons l'orientation du projet de loi C-36. Nous aimerions que l'article 213 du Code criminel soit supprimé et qu'il y ait des investissements dans des mesures de prévention et des médias sociaux offrant une perspective originale et constructive.
    Nous aimerions un investissement de plus de 20 millions de dollars. J'avais mal compris; je croyais que c'était 20 millions de dollars par année. Je peux vous dire que les groupes qui travaillent au Canada, de la PEERS Victoria Resource Society jusqu'à l'autre bout du pays, sauraient faire bon usage de cet argent pour aider les femmes, les hommes et les transgenres quelle que soit leur situation.
    Nous croyons aussi qu'il est important d'établir un processus de surveillance et d'évaluation. Toute loi peut être une arme à double tranchant. Il y aura des conséquences attendues et positives; il y aura aussi des conséquences inattendues.
    La dernière loi existe depuis 30 ans. Nous croyons que nous devons la réévaluer environ tous les cinq ans afin de savoir ce que nous accomplissons en tentant d'établir des valeurs normatives dans la loi.
    Nous aimerions également la mise en place d'un mécanisme afin d'effacer le casier judiciaire de toute personne accusée au titre de l'article 213 par le passé — femme, homme ou transgenre — afin de les soulager de ce fardeau et de les accueillir dans la plénitude de la société canadienne.
    En Écosse, même s'il existe des chefs d'accusations touchant la prostitution, les accusations disparaissent. Personne n'a à présenter une demande de pardon; les accusations disparaissent. Nous pouvons faire quelque chose, faire preuve d'originalité. Nous demandons d'effacer tous les dossiers des 30 dernières années.
    Voilà nos principaux points. Merci.
(1335)
    Merci beaucoup de votre exposé.
    Nous allons maintenant à Boston, au Massachusetts, par vidéoconférence. Il s'agit de l'équipe Defend Dignity de l'Alliance chrétienne et missionnaire.
    Mme Gerrard, vous avez la parole.
     Je vous remercie de me donner le privilège de venir témoigner devant le Comité de la justice aujourd'hui au sujet du projet de loi C-36.
    Je suis la directrice de l'équipe Defend dignity, une initiative de justice des églises de l'Alliance chrétienne et missionnaire au Canada. Nous agissons comme catalyseur auprès de personnes et d'églises pour qu'elles contribuent à mettre fin à l'exploitation sexuelle au Canada.
    La première étape pour mettre fin à l'exploitation sexuelle est d'informer les gens de ce qui se passe dans leur ville et dans leur région. À cette fin, nous avons travaillé en partenariat avec l'Alliance évangélique du Canada afin d'organiser des activités de sensibilisation dans 28 villes, de la Colombie-Britannique aux Maritimes au cours des deux dernières années.
    Nous avons été dans de grandes villes et dans de petites villes en utilisant la même formule à chaque endroit. Parmi les présentateurs, il y a des intervenants d'organismes locaux qui travaillent sur le terrain, des policiers de la ville, des survivants, un analyste des politiques ainsi qu'un policier qui fait partie de l'équipe Defend Dignity qui parle de la question de la demande. Les représentants d'organismes gouvernementaux et non gouvernementaux sont invités à faire du réseautage lors de chaque activité, ce qui permet au public d'en apprendre encore plus sur le problème dans leur région.
    Un certain nombre de survivants et de représentants d'organismes auxquels nous avons fait appel lors de ces événements témoignent devant le comité.
    Ces séances d'information ont permis à Defend Dignity d'acquérir une perspective nationale, de prendre conscience de l'ampleur du problème, de savoir quels services sont offerts ou non dans de nombreuses régions et de constater le manque d'uniformité avec laquelle les policiers appliquent les lois sur la prostitution et protègent les personnes en cause.
    Au sein des églises de l'Alliance chrétienne et missionnaire, nous voyons de plus en plus de congrégations faire leur part en offrant des services aux victimes. Dignity House à Winnipeg est une maison de guérison pour le deuxième stade du rétablissement des femmes qui sortent de la prostitution dirigée par la Kilcona Park Alliance Church de cette ville. L'une des églises de l'Alliance soutient aussi U-r home, un réseau de maisons d'hébergement qui s'apprête à voir le jour à Newmarket, en Ontario. D'autres églises examinent des façons d'offrir de l'aide aux victimes.
    Le mandat de Defend Dignity découle de notre conviction profonde que chaque personne a une valeur intrinsèque, et que par conséquent tout le monde mérite d'être traité avec dignité quelque soit son genre, sa race, sa couleur ou son statut socioéconomique. Nous croyons que la violence fait partie intégrante de la prostitution, qu'elle opprime les gens et les ramène au rang d'objet ou de commodité. Malheureusement, au Canada, elle est devenue un moyen de survie pour les plus démunis.
    J'étais à Ottawa la semaine dernière pour rencontrer Jason Pino, le fondateur et directeur d'un organisme qui s'appelle Restoring Hope, une maison d'hébergement pour les adolescents pendant la fin de semaine, qui est située au centre-ville d'Ottawa. L'organisme a ouvert ses portes en février 2013 pour les adolescents. Quelques semaines plus tard, des adolescents ont cogné à la porte pour demander si elles pourraient avoir une place, car elles étaient forcées de se prostituer juste pour avoir un toit.
    Le Canada peut et doit en faire plus pour les jeunes. Nous avons besoin de loi qui protègent les plus vulnérables.
    Defend Dignity croit que le projet de loi C-36 comporte des points forts qui interdiront l'exploitation, la violence et l'abus qui caractérise la prostitution. Nous appuyons sans réserve la nouvelle infraction interdisant l'achat de services sexuels prévue à l'article 286. Des recherches menées par l'organisme Chicago Alliance Against Sexual Exploitation et l'organisme Eaves en Grande-Bretagne ainsi que les résultats du modèle du Nord en Suède nous apprennent que les accusations criminelles, les amendes, les peines de prison et la divulgation du nom sont les meilleurs moyens de dissuader des clients d'acheter des services sexuels. Rendre les hommes responsables de leurs actes entraînera un changement social en indiquant clairement qu'il n'est jamais acceptable d'acheter un autre être humain et que les femmes ne sont pas des commodités.
    En plus de l'infraction qui criminalise l'acheteur, et parce que nous croyons à la valeur et à la dignité des délinquants comme à celle des victimes, nous demandons au gouvernement d'envisager d'obliger chaque délinquant à participer à un programme de détournement de la prostitution. Seules quelques villes au Canada ont des programmes pour les clients des prostituées, mais celles qui en ont rapportent que de nombreux hommes, après avoir terminé le programme, comprennent mieux le tort qu'ils ont causé aux femmes qu'ils ont achetées, aux familles à eux-mêmes. Les intervenants du programme offert par l'Armée du Salut de Saskatoon rapportent qu'il n'y a eu que 8 récidivistes parmi les 699 hommes ayant suivi leur programme, qui a commencé en 2002. Il faut rendre ces programmes obligatoires et les offrir dans les villes canadiennes afin que les délinquants puissent commencer à modifier leurs comportements. Les amendes recueillies pour ces infractions et les sommes recueillies par les programmes destinés aux clients de prostituées devraient être remises à des services qui aident les gens à sortir de la prostitution.
(1340)
    L'article 213 nous préoccupe aussi grandement; c'est pourquoi nous demandons qu'il soit retiré du projet de loi. Il nous préoccupe parce qu'il cible les prostituées les plus vulnérables, qui travaillent dans la rue et se prostituent simplement pour assurer leur subsistance. Ces personnes considèrent n'avoir aucune autre option, parce qu'elles sont pauvres ou itinérantes, souffrent de troubles mentaux ou de toxicomanie ou subissent des pressions. Condamner une personne qui a déjà atteint le fond et lui imposer une amende ne créerait qu'un fardeau inutile. Nous ne croyons pas que ces gestes reflètent l'intention de la loi telle qu'elle est décrite dans le préambule, un préambule qui nous ravit.
    Dans le cadre de notre travail, nous avons rencontré des survivants qui, en raison d'accusations liées à la prostitution, n'avaient pas pu finir leurs études et obtenir un bon emploi. Je pense par exemple à une ex-prostituée de l'Ontario, jeune mère monoparentale, qui était aux études et dont le casier judiciaire a été vérifié parce qu'elle devait faire un stage pour obtenir son diplôme. Étant donné les accusations de prostitution, aucun employeur n'a voulu l'accepter, et elle n'a pas pu terminer son programme. Elle a été victimisée de nouveau à cause des accusations portées au criminel.
    Selon Defend Dignity, il n'est pas raisonnable, d'un côté, d'affirmer que la prostitution est fondamentalement une forme d'exploitation et que la plupart des prostituées risquent de subir de la violence et, de l'autre côté, de porter des accusations contre elles. Comme la plupart des prostituées sont victimes de violence, on ne devrait pas déposer d'accusations contre elles. Quand nous travaillons avec les prostituées et les survivants, la violence est un thème récurrent. Il n'y a, dans le Code criminel, aucune autre situation où les victimes de violence font l'objet d'accusations. Les accusations ne devraient viser que ceux qui posent des gestes violents.
    Le bureau du ministre de la Justice a répondu à Defend Dignity que les forces policières pourraient traiter ces infractions à leur discrétion. Cela nous préoccupe. Les 28 événements que nous avons organisés nous ont permis d'interagir avec des corps policiers de partout au pays. Nous avons constaté qu'il existe des divergences dans la façon dont ceux-ci considèrent la prostitution, traitent les prostituées et appliquent les infractions criminelles liées à la prostitution. À certains endroits, les services de police ont déjà adopté le nouveau paradigme décrit dans le préambule du projet de loi: ils voient les prostituées comme des victimes de violence et d'exploitation, s'efforcent de les aider et offrent des services de transition.
     À d'autres endroits, par contre, les corps policiers nient l'existence de la prostitution. Ils ignoraient même, jusqu'à ce qu'on le leur signale, que des publicités sur Internet annonçaient des femmes « à vendre » dans leur ville. À ce même endroit, la police niait l'existence de prostitution alors que des intervenants-jeunesse s'occupaient de jeunes mineures qui vendaient leur corps pour se procurer de la drogue. Par ailleurs, d'autres policiers ont indiqué que leur méthode habituelle consistait à porter des accusations contre les prostituées et à les mettre en prison.
    Dans le contexte de la nouvelle loi concernant la prostitution, il faudra sensibiliser les policiers de partout au pays aux réalités de la prostitution, y compris à l'exploitation et à la violence qui y sont liées. Il est essentiel que cette formation commence dès l'entrée en vigueur de la loi. Nous ne pourrons jamais trop le répéter.
    S'il m'apparaît essentiel de bien former les policiers, c'est notamment en raison d'un voyage au Nunavut, où j'ai entendu le témoignage de femmes exploitées sexuellement par des membres de leur famille. Les policiers du Nord canadien doivent être sensibilisés au problème de la prostitution familiale et savoir comment traiter ces situations.
    Pour que le projet de loi C-36 puisse porter fruit, sa mise en oeuvre exigera un travail de sensibilisation, notamment auprès des juges, des procureurs et des autres intervenants du système de justice.
    Defend Dignity voit d'un bon oeil le nouveau financement de 20 millions de dollars que le gouvernement promet de consacrer à des services de transition. Cette somme n'est toutefois pas suffisante, si on la compare aux 8 millions de dollars que le Manitoba consacre chaque année à cet enjeu. Nous encourageons le gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces, les organisations de première ligne et les groupes confessionnels, comme c'est déjà le cas dans le cadre du Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes.
    Grâce à la nouvelle loi, le Canada deviendra bientôt un meilleur pays pour d'innombrables hommes, femmes et enfants victimes d'exploitation sexuelle, et pour tous ceux qui risquent d'être exploités. Cette loi commencera à façonner la société et le pays d'une façon positive. Elle contribuera à bâtir une société canadienne dans laquelle les gens ne sont pas des objets, les hommes sont tenus responsables de leurs gestes, et tout le monde est à l'abri des prédateurs. Il est donc crucial que la nouvelle loi sur la prostitution reconnaisse les effets négatifs qu'a la prostitution sur les personnes et sur la société, qu'elle cherche à décourager cette activité, et qu'elle s'efforce de l'abolir.
    Defend Dignity appuie le projet de loi C-36 et propose qu'on y apporte les améliorations suivantes afin de renforcer la politique et la mesure législative.
    Premièrement, il faudrait éliminer l'article 213 du projet de loi C-36, de sorte qu'aucune personne qui se prostitue ne soit coupable d'une infraction parce qu'elle a communiqué avec une personne dans le but d'offrir ou de fournir des services sexuels.
    Deuxièmement, lors de la mise en oeuvre de la nouvelle loi, il faudrait fournir une formation standard aux policiers, aux procureurs de la Couronne et aux juges, afin d'expliquer la nouvelle façon de voir la prostitution.
(1345)
    Troisièmement, il faudrait obliger les clients à participer à un programme de sensibilisation destiné aux clients de la prostitution, et utiliser les fonds ainsi recueillis pour financer les services de transition offerts aux prostitués.
    Quatrièmement, il faudrait accroître le nouveau financement consacré aux services de transition pour qu'il corresponde, toutes proportions gardées, à la somme que le gouvernement du Manitoba investit chaque année dans la lutte contre l'exploitation sexuelle.
    Et cinquièmement, il faudrait collaborer avec les provinces, les groupes confessionnels et les organisations de première ligne afin d'offrir des portes de sortie aux personnes qui se prostituent.
    Je vous remercie de l'attention que vous porterez à mes observations.
    Je vous remercie de votre exposé.
    Madame Giacomin, nous entendez-vous?
    Nous vous entendons. Toutefois, ce qui est un peu cocasse étant donné le nom de votre organisme, nous ne vous voyons pas.
    Des voix: Oh, oh!
    Le président: Vous avez la parole pour les 10 prochaines minutes.
    Merci.
    C'est dommage que vous ne puissiez pas me voir, car je suis particulièrement ravissante aujourd'hui.
    J'aimerais tout d'abord remercier les Premières Nations du Traité no 7, car je me trouve actuellement sur leur territoire.
    Monsieur le président, honorables membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir pendant l'examen du projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
    Je m'appelle Marina Giacomin, et je suis directrice exécutive de l'organisme Servants Anonymous Society de Calgary. Travailleuse sociale depuis plus de 25 ans, je me concentre surtout sur les enjeux qui touchent les femmes et les enfants, par exemple la violence, la pauvreté et l'itinérance.
    J'ai moi-même été victime de violence et d'exploitation sexuelle, de ma petite enfance jusqu'au début de la vingtaine, notamment à 16 ans, alors que je fréquentais le Downtown Eastside de Vancouver, en Colombie-Britannique. Il y a maintenant 25 ans que je me suis libérée de cet univers.
    En mon nom personnel, au nom de SAS, Servants Anonymous Society Calgary et, surtout, au nom des centaines de femmes et de filles avec lesquelles nous avons travaillé, je tiens à remercier le gouvernement du Canada d'avoir présenté le projet de loi C-36 et de reconnaître que la prostitution est une activité fondamentalement violente, qui constitue une forme de violence contre les femmes. Nous appuyons l'abolition de la prostitution au Canada, et nous vous encourageons à appuyer ce projet de loi.
    Je me concentrerai aujourd'hui sur la transition des ex-prostituées. Je décrirai tout d'abord SAS Calgary, son expérience et son expertise.
    Depuis 25 ans, Servants Anonymous Society Calgary offre un service complet, à participation volontaire, aux femmes et aux filles de 16 ans et plus, avec ou sans enfants, qui veulent se sortir de la prostitution, de l'exploitation sexuelle et de l'industrie du sexe, et se remettre de la violence et des traumatismes qu'elles ont vécus.
    Nous avons recueilli des données sur plus de 700 femmes et filles qui ont bénéficié de nos services. Parmi celles-ci, 100 % ont vécu de la violence, environ 40 % se déclarent Autochtones, et 75 % ont 24 ans ou plus, bien que 90 % d'entre elles aient commencé dans l'industrie du sexe à l'adolescence, généralement autour de 14 ans.
    Les services que nous offrons sont les plus complets au Canada, à notre connaissance. Nous venons en aide à des femmes et à des enfants de partout au pays. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police locaux, notamment l'unité du vice et du crime organisé de la police de Calgary. Depuis plusieurs années, c'est d'ailleurs notre organisme qui offre aux recrues du service de police de Calgary la sensibilisation et la formation obligatoire sur la façon d'appliquer les lois sur la prostitution avec compassion. Nous collaborons aussi avec des établissements correctionnels sous responsabilité provinciale et fédérale, ainsi qu'avec la GRC et, à l'occasion, l'Agence des services frontaliers du Canada.
    Servants Anonymous Society Calgary offre le programme SAFE, qui permet aux femmes et aux filles de quitter immédiatement le monde de la prostitution. Des professionnels s'occupent de ce programme 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Le programme prévoit l'accès à des soins médicaux ainsi que des services de désintoxication et une aide aux toxicomanes, en cas de besoin. C'est aussi à cette étape que les participantes peuvent commencer à se remettre de leurs traumatismes.
    Le programme SAFE, un programme de stabilisation, dure de 30 à 45 jours. Voici ce que montre l'examen récent des résultats obtenus par plus de 100 participantes: après une participation d'une semaine au programme SAFE, 40 % des participantes réussissent à quitter la prostitution et à passer à un environnement stable et sécuritaire. Après une participation de deux semaines, le taux de réussite est de 50 %. Et parmi les femmes qui participent au programme pendant quatre semaines ou plus, 90 % réussissent à abandonner la prostitution pour passer à un environnement stable et sécuritaire.
    Après le programme SAFE, SAS offre un hébergement de transition dans cinq maisons de la ville, où les femmes vivent avec une personne bénévole ou un colocataire qui les soutient. Nous avons aussi des logements permanents et indépendants dotés de services de soutien. En effet, nous sommes propriétaires de plusieurs appartements. Un bénévole qui vit dans l'immeuble veille à la sécurité, en plus d'offrir aux femmes et aux filles l'appui dont elles ont besoin. Enfin, grâce à notre partenariat avec la régie du logement, nous offrons des logements permanents abordables dans la communauté.
    Par ailleurs, les participantes assistent chaque jour à une formation axée sur les connaissances pratiques de la vie quotidienne. Le programme de formation a été conçu par d'anciennes participantes et des femmes qui ont connu la prostitution et l'exploitation sexuelle. Chaque participante est jumelée à un intervenant ou à un conseiller, par exemple un travailleur social ou un conseiller en toxicomanie, qui gère son dossier et lui offre de l'appui. Certains de nos employés sont d'anciennes participantes qui ont obtenu un diplôme en service social. Mentionnons aussi que nous avons un service professionnel de garderie sur place. Nous offrons une thérapie axée sur le développement des enfants, les compétences parentales et le lien d'attachement, ainsi qu'un programme de soutien à domicile pour les femmes vivant avec des enfants.
    Bon nombre des mères qui participent au programme de SAS se voient confier de nouveau la garde de leurs enfants par les services de protection de la jeunesse, et un très fort pourcentage de femmes enceintes peuvent garder leur enfant après la naissance. Signalons que, dans bien des cas, les femmes se décident à quitter la prostitution et à nous contacter soit parce qu'elles ont subi un épisode extrêmement violent où elles craignaient pour leur vie, soit parce qu'elles sont enceintes.
(1350)
    Le dernier volet du programme offert par Servants Anonymous Society Calgary consiste en un service d'aide à l'emploi d'une durée de six mois. Nous continuons d'offrir un suivi et un soutien aux anciennes participantes, de façon à leur faciliter l'accès aux services de la communauté ou à leur permettre de revenir à SAS au besoin. Nous les aidons aussi à préparer un C.V., à chercher un emploi et à se préparer aux entrevues. Nous offrons, par l'intermédiaire de notre entreprise sociale, des stages rémunérés, sur place et dans la communauté, ainsi que des bourses d'études. D'ailleurs, plusieurs anciennes participantes ont fait des études universitaires ou d'autres études postsecondaires afin de poursuivre leur scolarité et d'améliorer leur employabilité à long terme. Parmi les femmes qui suivent tout le programme de SAS, 88 % vivent par la suite sans prostitution et sans exploitation sexuelle, dans un logement stable et sécuritaire, pendant au moins deux ans.
    Le ministère de la Justice et du solliciteur général de l'Alberta a demandé une évaluation indépendante du rendement socioéconomique de nos services. Cette évaluation s'est déroulée de 2009 à 2012. Elle a montré que chaque dollar investi par le gouvernement produit un rendement socioéconomique de 8,57 $. Ainsi, les contribuables économisent, puisqu'on réduit les coûts associés à l'itinérance, au travail des organismes d'application de la loi, à l'utilisation inappropriée des ambulances, des services médicaux d'urgence et des hospitalisations, aux incarcérations, aux interventions visant à assurer le bien-être des enfants, et aux enquêtes sur les homicides. De toute évidence, les services complets qui aident les femmes à quitter la prostitution profitent grandement aux femmes et à la communauté.
    SAS Calgary se réjouit que le gouvernement du Canada reconnaisse que ces services sont essentiels et prévoie des ressources financières afin d'aider les ex-prostitués à quitter cet univers et à se bâtir une vie plus sécuritaire. Nous appuyons le projet de loi C-36, de même que l'importance accordée à la criminalisation des proxénètes, des trafiquants et des clients, et les amendes imposées à ces personnes. Nous avons trop souvent constaté les effets à long terme de la violence et des traumatismes causés par l'industrie du sexe. Ce projet de loi marque donc un premier pas nécessaire, qui aura un effet dissuasif sur ceux qui exploitent les personnes les plus vulnérables de la société. Cette mesure exigera de petites modifications, selon nous. Néanmoins, pour la première fois dans l'histoire du Canada, les femmes exploitées par l'industrie du sexe sont considérées avec dignité. Elles ne sont pas vues comme des êtres nuisibles, mais bien comme des personnes qui méritent qu'on les aide à s'extirper des situations de violence et d'exploitation qui sont leur lot.
    Depuis le dépôt du projet de loi C-36, le lobby pro-prostitution s'est beaucoup fait entendre. D'après ce lobby, certaines femmes choisissent la prostitution parce qu'elles y voient une carrière viable. Les médias ont abondamment véhiculé ce point de vue, qui représente peut-être une infime partie des prostituées. Nous n'avons pas l'intention de reprendre ce débat aujourd'hui. Nous voulons simplement nous assurer que les déclarations pro-prostitution n'étouffent pas la voix des femmes qui ont survécu à l'exploitation et à la prostitution.
    Le point essentiel que le comité et les Canadiens doivent garder à l'esprit, c'est que la majorité des femmes et des filles qui se prostituent sont exploitées, qu'elles sont forcées de se prostituer et subissent des menaces et de la violence. La légalisation ne devrait pas faire partie des options envisagées. Ce n'est pas un emploi.
    Les données démontrent qu'un grand nombre de femmes et de filles quitteraient la prostitution si elles en avaient les moyens. Nous le savons parce que nous gérons l'un des plus importants programmes de transition au pays et que nous devons parfois refuser des femmes, des filles et des enfants parce que nous manquons de place pour les accueillir. Ainsi, nous avons actuellement 14 femmes sur la liste d'attente; elles devront attendre un mois ou deux, en moyenne, avant de pouvoir obtenir une place. Ces semaines d'attente peuvent devenir une question de vie ou de mort pour ces femmes, qui sont la fille, la mère, la soeur de quelqu'un.
    Les recherches montrent aussi clairement que, lorsqu'on met l'accent sur la criminalisation des proxénètes, des clients et des trafiquants, on aide les femmes vulnérables à quitter la prostitution, et on amène le public à comprendre que la prostitution constitue un problème d'inégalité entre les sexes et une violence faite aux femmes.
    Nous aimerions recommander un amendement, plus précisément à l'article 213 (1.1), qui parle des infractions liées à la communication dans les situations où des enfants ou des jeunes de moins de 18 ans pourraient être présents. Bien que SAS appuie le but du projet de loi — qui vise d'une part à éviter que se propage l'objectification sexuelle des femmes et, d'autre part, à protéger les enfants impressionnables contre les effets néfastes de la prostitution sur la société — nous croyons que cette disposition ne devrait pas s'appliquer aux prostituées, puisqu'elles sont elles-mêmes des victimes. Nous recommandons que le projet de loi soit amendé en ce sens.
    Selon nous, les clients seront dissuadés de chercher les services d'une prostituée dans ces endroits si on applique rigoureusement le projet de loi C-36 et qu'on impose les amendes et punitions considérables qui sont prévues. On pourra ainsi poursuivre les objectifs décrits dans le préambule du projet de loi C-36 sans criminaliser les prostituées.
(1355)
    Selon nous, ce changement pourrait éviter que la mesure législative soit contestée pour des motifs juridiques ou liés aux droits de la personne. Avoir des relations sexuelles n'est pas un droit; avoir accès au corps d'une autre personne à cette fin n'est pas un droit non plus. Par contre, nous avons tous droit à la sécurité et à la protection. Ce changement aidera les personnes les plus vulnérables à demander l'aide de la police et à faire des démarches pour quitter la prostitution.
    Nous avons travaillé avec des centaines de femmes et de filles, et nous avons constaté que toutes ont vécu de la violence et des traumatismes, qu'elles aient été forcées de se prostituer très jeunes ou qu'elles aient choisi cette voie parce qu'elles avaient très peu d'options, ou des options vraiment intolérables. Une fois entrées dans l'univers de la prostitution, bien des femmes et des filles restent prises dans l'engrenage. Comme l'a expliqué une participante de notre programme, « ton souteneur arrêtera de te vendre seulement si tu meurs ou si tu es séropositive. Si tu es séropositive, les motards [tout comme les gangs et les clients violents] te tueront eux-mêmes ». La violence règne. À l'intérieur comme à l'extérieur, il n'y a pas de différence.
    Le projet de loi C-36 prévoit des mesures dissuasives à l'endroit de ceux qui souhaitent traiter les femmes comme des objets et des marchandises à commercialiser. Grâce à ces ajouts au Code criminel, les organismes d'application de la loi et les procureurs seront mieux outillés pour protéger les femmes et combattre le crime organisé. Nous devrions tous être fiers de cette solution tout à fait canadienne.
    Merci.
(1400)
    Je vous remercie. Merci beaucoup pour votre exposé.
    Nous passons maintenant à la période des questions. J'aurais une demande spéciale pour les membres du comité: comme Mme Giacomin ne peut pas vous voir, si vous lui posez une question, veuillez prendre un instant pour vous nommer et nommer votre parti, afin qu'elle sache qui parle.
    Nous commençons par le Nouveau Parti démocratique et Mme Boivin.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci à toutes d'être présentes parmi nous aujourd'hui. Vous constituez l'avant-dernier groupe de témoins concernant le projet de loi C-36. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a évidemment la tâche d'étudier ce projet de loi. L'approche du comité est souvent très juridique, ce qui peut clairement sembler être déconnecté de vos réalités respectives.
    Comme avocate, j'ai représenté des centres d'hébergement pour femmes violentées. Je vais vous dire que ce n'est pas évident. Ce n'est pas un travail toujours facile. On lève donc notre chapeau bien haut à tous ceux et toutes celles qui travaillent dans des milieux où les femmes sont exploitées, violentées et traitées avec un manque de respect flagrant. Nous sommes plusieurs à travailler jour et nuit pour contrer ce fléau. On a quand même un travail juridique à faire ici et je vais donc me concentrer sur cette question.
    On comprend le travail que vous avez à faire. J'ai un petit parti pris pour les CALACS. J'admire le travail que vous faites. Je les connais peut-être mieux que les autres groupes qui sont ici. Je remercie encore une fois ces groupes de nous faire part de leurs expériences. Je remercie également les gens de l'extérieur du Canada. J'apprécie l'expérience des autres pays, parce que cela peut élargir nos horizons. Par contre, notre cadre législatif est parfois différent de celui d'autres pays. Nous sommes pris avec cet encadrement juridique.
    Le CALACS de l'Outaouais m'a transmis son mémoire. Il rejoint en grande partie ce que vous avez dit, madame Sarroino.
     Pouvez-vous nous parler un peu plus du travail que vous faites au quotidien pour lutter contre les agressions sexuelles? On constate que celles-ci sont souvent liées à de la violence conjugale. Vous avez malheureusement recensé beaucoup trop de cas.
    Pouvez-vous nous faire un survol du travail que vous faites dans votre milieu? Pouvez-vous nous expliquer encore plus à fond la raison pour laquelle l'article 213 est si dommageable si on part de la prémisse que les femmes sont victimes de la prostitution? À mon avis, cet article est presque une fin de non-recevoir de ce projet de loi. On ne peut pas dire une chose et faire son contraire en même temps.
    Pouvez-vous nous expliquer un peu plus la nature du travail de votre regroupement dans les différentes régions? En même temps, pouvez-vous vous exprimer quant à savoir là où le bât blesse clairement dans ce projet de loi?
    Certains pensent que c'est une façon de se cacher. Selon moi, l'article 213 est là où le bât blesse dans ce projet de loi. C'est la même chose pour les 20 millions de dollars. J'aimerais vous entendre un peu plus à fond à ce propos.
    Merci, madame Boivin.
    Comme je l'ai mentionné au début, certains CALACS du Québec ne sont pas membres du regroupement mais font le même travail. Je pense qu'il y a en tout 35 CALACS au Québec et 26 sont membres de notre regroupement. Il y a trois volets à leur travail. D'abord, il y a l'aide directe, c'est-à-dire qu'ils reçoivent les femmes qui ont subi des agressions sexuelles et font de l'intervention féministe avec elles. Il s'agit essentiellement de les amener à faire une reprise de pouvoir sur leur vie pour les aider à traverser ce qu'elles ont vécu.
    J'aimerais aussi souligner que la majorité des femmes qui nous consultent le font pour une agression qu'elles ont subie, en moyenne, 13 ans auparavant. On s'entend que cela leur prend énormément de temps pour avoir le courage de venir dénoncer cette situation et parler de l'agression dont elles ont été victimes.
     Est-ce dans des contextes de prostitution ou plutôt de violence conjugale?
    Ni l'un, ni l'autre. Il y a beaucoup d'inceste.
    Avec la cyberprédation, on voit toutefois de plus en plus de jeunes victimes d'agression, ainsi que de plus en plus de femmes qui le sont à la suite de rencontres sur Internet.
    Il y a quelques cas liés à la violence conjugale. Il y en a effectivement aussi dans le cadre de la prostitution, selon la région du Québec.
    Notre deuxième volet, qui est très important, c'est la prévention et la sensibilisation. Comme je l'ai mentionné, nous rejoignons près de 25 000 à 28 000 étudiants par année dans les écoles du niveau secondaire. Je ne connais pas la situation au Canada, mais on sait qu'au Québec, on a retiré les cours d'éducation sexuelle à l'école, ce qui cause de grands torts aux jeunes d'aujourd'hui. Nous essayons de pallier ce manque d'éducation sexuelle, principalement par rapport aux agressions, aux relations amoureuses et au respect dans les relations ou au consentement. Ce sont là des sujets que nous abordons dans le cadre de la prévention et de la sensibilisation.
    Nous touchons également à la défense des droits, ce qui est essentiellement ce que je fais en ce moment. Nous parlons beaucoup de tous les enjeux liés à la violence sexuelle envers les femmes. Notre regroupement croit que la prostitution est l'ultime violence sexuelle faite aux femmes. Voilà principalement les interventions que font les CALACS.
    Je suis très contente d'entendre parler de l'article 213. J'écoute depuis plusieurs jours les témoignages. Peu importe qu'on soit en faveur des travailleuses du sexe, qu'on soit religieux ou non, d'un côté ou de l'autre, tout le monde est d'accord pour qu'on retire cet article du projet de loi.
    Il n'est pas cohérent avec le préambule, ni avec l'objectif de la loi qui vise à complètement décriminaliser les femmes puisque, comme nous le croyons, elles sont victimes de leur propre exploitation. C'est très clair. Ce n'est pas consistant. On s'entend que cela va criminaliser les femmes les plus vulnérables, celle qui sont aux prises avec la toxicomanie et qui sont, de façon disproportionnée, des femmes autochtones dans plusieurs régions du Canada.
    Il faut faire très attention à ne pas victimiser davantage ces femmes, qui sont déjà très vulnérables.
(1405)
    Et ceci a pour corollaire les 20 millions de dollars.
    Tout à fait.
    Je n'ai pas eu le temps de le mentionner, parce qu'on m'a bien averti qu'il ne me restait plus beaucoup de temps.
    Les 20 millions dollars sont nettement insuffisants, surtout sur une période cinq ans, pour fournir de l'aide. Ce serait dangereux de mettre en place une loi qui vise à éliminer la demande et la prostitution sans offrir des services, sans supprimer les dossiers criminels, sans combattre les problèmes qui, au départ, font en sorte que les femmes se retrouvent à oeuvrer au départ dans la prostitution. Il faut lutter contre la pauvreté, contre le racisme et contre la discrimination. Il faut une approche globale et holistique qui touche à tous les aspects.
    Vous comprenez mon inquiétude lorsque je dis que si on ne fait pas ça, on va revenir à la case de départ et se faire redire qu'on met la vie des gens en danger. Ça m'inquiète un peu.
    Nous ne sommes pas d'accord.
    Notre point de vue porte sur la sécurité en cas de décriminalisation. On parle tout le temps du modèle néo-zélandais, mais la Nouvelle-Zélande est à l'autre bout du monde et c'est une île. Quant à nous, nous habitons un pays qui a la plus grande frontière commune avec un autre pays.
    Que va-t-il se passer si on décriminalise la prostitution au Canada? Qui va venir acheter les service de nos femmes ici? Il va y avoir énormément de demandes. Cela va faire augmenter l'offre et accroître le nombre de femmes en situation d'insécurité et qui seront victimes de violence, parce que tout le monde s'entend sur le fait que c'est un emploi dangereux.
    Je dirais aussi qu'il faut faire attention aux modèles tout fait et importés d'ailleurs, comme celui de la Nouvelle-Zélande. Malgré ce que les gens peuvent penser, c'est une chose de décider de mettre en place des lois du travail, mais c'en est une autre de déterminer comment on va le faire.
    Nous sommes dans un régime fédéral et nous devons composer avec des juridictions fédérale, provinciales, et territoriales. La voie à suivre n'est pas encore bien tracée. Comme vous l'avez bien mentionné, je pense qu'il faut régler le problème à sa racine avant de commencer à essayer de couper quelque chose en haut et qui ne résoudrait absolument rien.
    La législation est un bon pas, et nous l'appuyons.
    Est-ce à la condition d'apporter les deux corrections que vous avez mentionnées?
    Absolument.

[Traduction]

    Je vous remercie pour ces questions et réponses.
    Les prochaines questions seront posées par Mme Smith, du Parti conservateur.
    Bonjour, Kate. Comment ça va? Je ne savais pas que vous seriez à Glasgow. Grands dieux, c'est vraiment génial que vous soyez là et que vous puissiez participer à cette discussion. Je remercie tous les témoins qui se joignent à nous aujourd'hui.
    J'aimerais poser des questions à trois ou quatre personnes. Je procéderai rapidement, puisque nous avons peu de temps.
    Kate, nous travaillons à Edmonton depuis déjà longtemps. Vous avez parlé de la surveillance et de l'évaluation effectuées à l'échelon provincial et municipal. Vous appuyez fortement le projet de loi C-36, et vous avez fait quelques recommandations.
    Vous avez entre autres mentionné qu'il faudrait évaluer la situation une fois que le projet aura été, du moins nous l'espérons, adopté. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
    Bien sûr. Je vous remercie, madame Smith.
    D'après notre expérience, on commence avec une vision, et il faut ensuite la mettre en oeuvre.
    Le projet de loi C-36 trace la voie à suivre. Nous savons toutefois qu'en raison des complexités dont il a été question, tout ne se déroulera pas comme prévu.
    C'est en 1995 que notre groupe communautaire a constaté que l'article 213 ne fonctionnait pas, parce qu'il criminalisait la personne laissée sans pouvoir. Toutefois, il a fallu attendre jusqu'à tout récemment, c'est-à-dire jusqu'au dépôt du projet de loi C-36, pour qu'il devienne possible d'apporter des changements.
    Il nous semble vraiment important de réévaluer la situation tous les cinq ans.
    J'aimerais vous donner un exemple précis tiré de la loi provinciale sur la saisie d'un véhicule. Cette mesure législative a été conçue selon les meilleures informations disponibles à l'époque.
(1410)
    Kate, nous n'avons pas le temps d'aborder tous ces détails, je crois.
    Je voulais simplement mentionner que les hommes ont trouvé une faille dans la loi. Elle disait que l'homme devait être dans le véhicule pour que celui-ci soit saisi. Les hommes ont donc commencé à se stationner quatre rues plus loin.
    Il faut toujours regarder comment l'industrie tente de manipuler la situation.
    De s'adapter.
    Oui.
     Vous jugez donc cette évaluation extrêmement importante.
     Je suis ravie de vous revoir.
    Glendyne, c'est un plaisir de vous compter parmi nous et de voir l'excellent travail que vous accomplissez.
     Vous avez souligné qu'il fallait protéger les personnes les plus vulnérables. Vous avez aussi parlé du préambule.
    Je suis vraiment fière de ce préambule. Pour la première fois, on reconnaît les victimes et les situations déplorables dans lesquelles elles se trouvent. J'aime vraiment défendre la dignité, parce que c'est une excellente façon de décrire...
    Pourriez-vous nous parler un peu plus de l'importance du préambule et du changement de paradigme qu'il entraîne, ou entraînera, au Canada?
    Oui, bien sûr. Le préambule m'a vraiment aidée à comprendre ce que le gouvernement souhaitait accomplir grâce à ce projet de loi.
    Le préambule reconnaît la violence inhérente à la prostitution et parle de la nécessité de réduire la demande. Ce sont des éléments essentiels du projet de loi. Il parle aussi de la valeur et de la dignité propres à chaque personne.
    Cette perspective diffère grandement de la législation constitutionnelle, qui traitait la prostitution comme un phénomène nuisible à la communauté. La perspective a beaucoup changé, puisqu'on reconnaît maintenant qu'il s'agit d'une forme de violence qui touche principalement les femmes.
    Je ne pourrais trop vanter les mérites du préambule. Il donne vraiment le ton à tout le reste du projet de loi.
    C'est une grande première au Canada.
    Marina, vous êtes superbe. Servants Anonymous est un organisme extraordinaire. Merci de tout ce que vous faites pour prendre soin des femmes et des enfants. C'est un plaisir d'avoir une autre occasion de vous entendre.
    Marina, vous avez mentionné les services complets offerts. Vous avez aussi souligné que le projet de loi C-36 marque une première étape nécessaire et constitue une grande première au Canada. Vous avez signalé que nous pouvons être fiers que des Canadiens et des députés posent des gestes concrets, tout d'abord en ciblant les proxénètes et les clients et en voyant à ce qu'ils soient tenus responsables de la violence faite aux femmes et aux enfants et, deuxièmement, en reconnaissant les souffrances des victimes. Ce n'est pas la plus vieille profession du Canada, mais sa plus vieille profession.
    Marina, pourriez-vous nous dire quelques mots sur au moins trois services que ces 20 millions de dollars pourraient servir à financer, des services dont je sais que Servants Anonymous s'acquitte admirablement? Parlez-nous un peu des partenariats, comme l'a fait Diane Redsky hier. Le gouvernement fédéral ne peut pas tout faire. Il faut pouvoir compter sur des partenariats entre les échelons fédéral, provincial et municipal. Pourriez-vous aborder certains de ces enjeux, Marina?
    Bien sûr. Je vous remercie de votre question, madame Smith.
    Voici trois des services importants qu'il faudrait probablement offrir: la possibilité de quitter immédiatement le monde de la prostitution, des options de logement abordables à long terme et des programmes de préparation à la vie quotidienne. Dans le cas de la préparation à la vie quotidienne, il ne s'agit pas simplement de connaissances générales. Notre programme de préparation à la vie quotidienne a été conçu par des femmes qui ont connu la prostitution ou l'exploitation sexuelle. Quand il est question du budget, par exemple, on examine vraiment cette question en profondeur. Nous discutons tout d'abord de notre relation à l'argent. Nous abordons donc la question dans une perspective psycho-éducative, avant de mettre l'accent sur les compétences. Les connaissances pratiques de la vie quotidienne sont extrêmement importantes, tout comme les relations avec les autres.
    Cet aspect est particulièrement important pour les femmes qui comptent retourner aux études ou trouver un emploi, parce que certaines ont du mal à établir de bonnes relations. Fait intéressant, nous avons constaté qu'elles avaient surtout du mal à établir des relations avec d'autres femmes. Cela s'explique principalement par le fait que, pendant une grande partie de leur vie, elles ont appris à se rendre attirantes aux yeux des hommes et à établir des relations avec les hommes. Mais elles ont eu moins d'occasions d'établir de bonnes relations avec des femmes. Nous avons donc vraiment à coeur de créer une ambiance de solidarité féminine, où tout est fondé sur la mutualité. Nous n'avons aucunement la prétention d'être les experts quand il s'agit de la vie d'une autre personne. Chacune est l'experte de sa propre vie et peut nous dire de quels services elle a besoin pour faciliter sa guérison, sa transition ou la prochaine étape de sa vie, quelle qu'elle soit.
    Troisièmement, il m'apparaît extrêmement important que les femmes puissent poursuivre des études et se préparer à occuper un emploi, afin qu'elles aient plusieurs options. Comme on le sait, la pauvreté est l'un des principaux facteurs qui mènent à la prostitution et à l'exploitation. Quand on voit à ce que les femmes aient les compétences et les ressources financières requises pour s'en sortir, elles réussissent extrêmement bien; elles peuvent suivre la voie qui les intéresse et poursuivre leurs propres objectifs.
    Pour ce qui est des partenariats, nous avons un partenariat avec les services de police. Nous recevons du financement de divers échelons de gouvernement et de nombreux donateurs privés. Le gouvernement provincial nous verse un petit financement par l'entremise de la confiscation de biens au civil, qui est liée à la prévention du crime. Ce serait aussi une façon d'utiliser les fonds fédéraux, je crois. De plus, grâce à notre partenariat avec la Ville de Calgary, nous pouvons travailler à renforcer le lien d'attachement entre les mères et les enfants qui ont été longtemps séparés. En effet, quand ces mères retrouvent la garde de leurs enfants, de multiples défis peuvent se présenter. L'administration municipale nous soutient dans ces efforts. Nous avons aussi établi d'excellents liens avec tous les partis politiques de l'Alberta, étant donné que notre organisme est, bien sûr, non partisan.
    Bref, oui, je crois que ce projet de loi foisonne de possibilités. C'est pourquoi j'adore le Canada. Je suis vraiment fière d'être canadienne. L'innovation des Canadiens dans des domaines comme l'itinérance me ravit. À Calgary, nous cherchons à mettre fin à la pauvreté. En tant que pays, nous discutons de la prostitution et des solutions qui répondront le mieux aux besoins des femmes. Je crois très fermement que nous devrions être fiers de ce projet de loi, et que nous pouvons vraiment changer la vie de femmes et de filles du Canada.
(1415)
    Je vous remercie de ces questions et réponses.
    Les prochaines questions seront posées par M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Phillips, dans leurs témoignages, quelques avocats se sont dits préoccupés par les dispositions concernant l'inversion du fardeau de la preuve. Dans votre mémoire, vous avez décrit ce phénomène comme une présomption de culpabilité à l'endroit d'une personne qui vit ou se trouve souvent avec certaines autres personnes. Je sais que vous avez mentionné cette question pendant votre déclaration préliminaire. J'ai toutefois l'impression que cette disposition vous préoccupe avant tout pour des raisons de politique, plutôt que pour des raisons juridiques ou constitutionnelles. Pourriez-vous me dire si c'est bien le cas et expliquer, si vous le désirez, pourquoi cet aspect vous semble choquant à l'extérieur du contexte juridique et constitutionnel?
    Je ne suis pas juriste, loin de là. Je pense simplement que, lorsqu'une personne est obligée de s'expliquer, cela ouvre la porte à de la discrimination. Par exemple, nous avons mentionné dans notre mémoire que les gens qui vivent dans la rue entretiennent des relations. Ces gens s'entraident dans le milieu du sexe et ils s'aident à repérer des clients. Nous ne sommes pas convaincus que les exceptions prévues tiendraient compte de ces rapports intimes et de ces relations d'aide. De façon semblable, il n'est pas certain non plus que ces exceptions viseraient les toxicomanes qui entretiennent le type de relations qui découle de la toxicomanie, surtout en ce qui concerne les personnes qui consomment dans la rue; ces gens pourraient être perçus différemment parce qu'ils sont victimes de discrimination sociale ou économique.
(1420)
    D'accord, merci.
    Mme Quinn, nous sommes presque à la fin de notre liste de 60 témoins. Il est donc difficile de croire qu'un témoin à cette étape-ci du processus pourrait nous soumettre une nouvelle idée, mais c'est ce que vous avez fait. Merci, et je vous en félicite.
    Votre proposition de supprimer le casier judiciaire des gens qui ont été accusés de sollicitation dans les dernières décennies est, bien franchement, rafraîchissante et c'est une proposition inédite. Vous êtes la première à nous proposer pareille mesure.
    Vous ne le savez peut-être pas, mais le pardon n'existe plus au Canada. De nos jours, on appelle ça une suspension du casier. Il est récemment devenu beaucoup plus difficile d'obtenir une suspension: les frais ont quadruplé; il faut attendre encore plus longtemps; et bien moins de gens y sont admissibles.
    Mais puisque c'est la première fois que cette idée nous est soumise, j'aimerais faire deux choses. Je vous inviterais à faire toute observation supplémentaire que vous pourriez avoir à ce sujet, puis, espérons-le, nous aurons le temps de faire un tour de table et de demander à tous les autres témoins s'ils aiment aussi cette idée qui nous est présentée pour la première fois.
    Merci.
    Un grand, grand merci, M. Casey.
    En fait, nous en avions parlé il y a deux ans lors du débat sur le projet de loi. J'étais l'une des 16 témoins qui ont comparu devant le comité indépendant. Nous avions alors fourni des documents sur les effets néfastes des casiers judiciaires. Malheureusement, je pense que ces documents dorment sur des tablettes.
    Nous avons donc estimé qu'il était important d'en parler de nouveau dans le mémoire présenté au comité permanent afin d'aider les femmes, les hommes et les transgenres que nous avons rencontrés et qui sont écrasés sous le poids de leur casier judiciaire.
    Répétons que nous avons fait quelques recherches. J'ai mentionné qu'en Écosse, le casier judiciaire disparaît de lui-même, la personne n'a rien à faire. Je pense que nous avons fait en sorte que le pardon — je sais maintenant qu'il ne s'agit même plus d'un pardon — soit beaucoup trop difficile à obtenir, beaucoup trop cher, et que nous continuons de punir les gens.
    Nous aimerions qu'une tout autre approche soit adoptée afin que l'objet même du projet de loi reconnaisse les vulnérabilités qui découlent de l'exploitation. Il faut que nous fassions un pas de plus et que les casiers judiciaires soient lavés. Les États-Unis le font, et, dans bien des cas, ce fut une réussite.
    Nous avons mis en oeuvre un programme de déjudiciarisation à Edmonton qui fonctionne depuis 2002. La Couronne nous permet d'inciter les femmes à établir leur propre plan de déjudiciarisation — elles disent ce qu'elles estiment être la cause de leur exploitation — parce que bien des femmes sont accusées aux termes de l'article 213. Par la suite, nous présentons le plan à la Couronne, qui doit l'approuver. Il nous incombe ensuite de soutenir les femmes dans la réalisation de leur plan.
    Des procureurs de la Couronne très créatifs ont retiré huit accusations — notamment celles visant les infractions prévues à l'article 213, défaut de comparution, mandat pour violation de condition — et ils ont lavé ces dossiers avant même qu'ils deviennent officiels. Voici le problème: bien des gens n'ont pas encore entrepris les démarches menant à la suspension du casier parce que cela coûte trop cher, et ils continuent d'assumer le poids de leur casier judiciaire, lequel date parfois des années 1990.
    Nous serions très heureux de vous faire parvenir tous les travaux et les recherches que nous avions préparés pour notre comparution devant le comité indépendant. Je pense que nous rendrions grand service aux gens et que nous leur redonnerions espoir si nous les aidions à se sortir de leur situation affligeante et à cesser d'être victimes de discrimination; si nous leur offrions la possibilité de s'instruire, d'obtenir le logement social dont ils ont besoin et d'aller à l'école s'ils souhaitent devenir travailleurs sociaux; et si nous leur donnions la chance de faire partie de la communauté.
    Merci beaucoup d'avoir soulevé ce point.
    Oui, s'il vous plaît.
    Je m'adresse à tous les autres témoins. J'aimerais vraiment savoir ce que vous pensez de l'idée de Mme Quinn, qui propose essentiellement d'amnistier les gens et de supprimer leurs anciennes accusations de sollicitation.
    Je suis d'accord.
    Je suis tout à fait d'accord. Je pense que c'est une idée fantastique, surtout que les gens qui se retrouvent avec des casiers judiciaires ont souvent fait les frais d'inégalités et de discrimination, ce sont des facteurs déterminants. J'estime que cette mesure est parfaitement en phase avec nos observations sur l'égalité entre les sexes qui vont dans le même sens.
(1425)
    Merci.
    Mme Gerrard, voulez-vous intervenir?
    Madame Potvin?

[Français]

    C'est sûr que je me prononce pour la décriminalisation.
    Je crois que c'est vraiment un bon départ. Le fait d'avoir un dossier criminel peut fermer beaucoup de portes. Moi qui étais d'accord pour faire ce travail, si j'avais eu un casier judiciaire, j'aurais peut-être eu de la difficulté avec les autres emplois que j'ai occupés.
    Avez-vous maintenant un casier judiciaire?
    C'est arrivé, mais il a été effacé parce que c'était une erreur judiciaire. En effet, cela me limitait beaucoup.
    Merci.

[Traduction]

    Mme Gerrard, souhaitez-vous...
    Votre micro est-il ouvert, Mme Gerrard?
    Voilà, on vous entend maintenant.
    Bonjour.
    J'appuie cette mesure de tout coeur. Je tiens à parler de nouveau d'une femme du Sud de l'Ontario dont j'ai parlé dans mon intervention.
    Elle m'a dit qu'elle avait perdu presque tout espoir lorsqu'on lui a dit qu'elle n'était pas admissible au programme. Elle avait presque terminé le processus, mais elle devait payer cette somme pour compléter son dossier; elle n'a donc pas pu faire supprimer son casier judiciaire. Tout ce qui lui restait à faire était d'attendre et d'essayer d'économiser de l'argent. Elle m'a dit que cela lui coûterait, je pense, 1 000 $. Or, chaque dollar disponible était investi dans son éducation. Lorsque je lui ai parlé la dernière fois, en mars dernier, elle était toujours en attente: elle essayait d'accumuler l'argent nécessaire pour faire laver son casier judiciaire.
    J'appuie donc cette mesure de tout coeur. Je pense qu'il faut supprimer tous ces anciens casiers judiciaires. Ce serait un message clair qui permettrait au projet de loi de réaliser pleinement son objet et de reconnaître que les femmes sont vraiment exploitées et que ce fardeau a empêché bien des femmes de se sortir de la prostitution.
    Enfin, Mme Giacomin, voulez-vous faire des observations?
    Oui. Il s'agit d'une excellente idée, nous l'appuyons à 100 %. Nous avons eu un bon taux de réussite avec nos programmes d'emploi: des femmes se trouvent un emploi auprès de gens qui sont prêts à ne pas trop s'en faire si elles ont un casier judiciaire. Cependant, des femmes avec qui nous avons parlé veulent pratiquer certaines professions, mais elles ne le peuvent pas sans un casier judiciaire vierge. Nous saluons donc cette mesure, c'est une excellente idée.
    Bon travail, Kate.
    Merci beaucoup. Et merci de ces questions et réponses.
    La prochaine intervenante est Mme Ambler, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. Merci beaucoup pour le temps et les efforts que vous avez consacrés dans ce dossier. Et merci pour le travail que vous faites dans vos régions et vos localités auprès des femmes et des prostitués.
    J'adresse ma première question à PEERS Victoria Resource Society; elle porte sur l'évaluation des clients. Vous en avez parlé, et il en a été question cette semaine lors de nos séances. Vous avez dit que les travailleuses du sexe devaient pouvoir communiquer en toute liberté avec leurs clients afin d'assurer leur sécurité. Mais nous avons entendu d'autres témoins, et ce, même aujourd'hui, dire que cette évaluation n'en est pas vraiment une, et que même l'évaluation la plus poussée ne sert à rien.
    Hier, une femme qui a été victime de traite de personnes a comparu, et elle nous a dit qu'elle pensait que l'homme qui était dans l'automobile n'était pas dangereux, jusqu'à ce qu'il sorte une barre à clou d'en dessous de son siège. Elle a tout oublié des deux jours qui ont suivi.
    Je ne sais pas comment on peut concilier tout ça, les notions de « prostituée » et de « travailleuse du sexe », ce que vous appelez « escorte ». Est-ce vraiment possible? Vous qui faites partie d'un petit groupe de femmes qui a la chance de pratiquer dans un milieu relativement sécuritaire, qu'en pensez-vous, est-ce vraiment possible?
    Il s'agit là en fait de trois questions.
    J'utilise plusieurs termes. Divers termes sont utilisés dans l'industrie du sexe, cela fait partie de sa diversité, je passe donc d'un terme à l'autre. Je ne pense pas que l'industrie du sexe soit homogène et que je puisse utiliser un seul terme pour le décrire.
    J'estime que l'évaluation des clients n'a pas à être d'une efficacité à toute épreuve afin qu'il soit un outil précieux pour les travailleuses du sexe et qu'il les sauve de temps à autre. Il ne s'agit pas là, à mon avis, d'un critère pertinent pour examiner la question de l'évaluation des clients.
    Et je ne sais si nous sommes vraiment un si petit groupe. La notion de « vaste majorité » a été décrite de bien des façons cette semaine. Je pense que nous appartenons à un groupe relativement important et que ce groupe a lui aussi le droit de se faire entendre.
(1430)
    J'en conviens. Je ne suis pas certaine que nous disposions de ces chiffres — je pense que personne ne le sait, compte tenu de la nature des activités —, mais vous avez aussi parlé de la violation des droits de la personne dans le contexte des travailleuses du sexe. Comme Natasha Potvin, vous avez dit que vous aimiez certains de vos clients, que vous en aimiez d'autres un peu moins, mais que vous étiez, de façon générale, fière du choix que vous avez fait et que cela vous convient.
    Bien franchement, vu la façon dont vous en parlez, on se croirait dans un épisode d'une comédie télévisée sur de joyeuses prostituées. Je suis incapable de réconcilier cela avec les autres choses que j'ai entendues. Si le projet de loi est adopté, devrez-vous arrêter vos activités?

[Français]

    Je crois que cela m'empêcherait de travailler en sécurité. J'aurais davantage peur, du fait que mes clients seraient criminalisés. C'est très important. Il est sûr qu'on parle d'évaluation des clients.
    Entre travailleuses du sexe, on s'envoie des messages et on est en mesure de se dire de faire attention. Il existe une liste des mauvais clients que fournissent certains organismes gérés par et pour le milieu. En adoptant cette loi, on va criminaliser mes clients et cela éloignera peut-être les bons clients.
    Les mauvais clients sont ceux qui n'ont peut-être pas peur de la justice ou de la police. Il y a de bons et de mauvais clients, comme dans un autre job. On apprécie beaucoup certains clients et d'autres un peu moins. Par contre, le fait de criminaliser les clients, qui peuvent être un de vos collègues, un frère ou une soeur, un client qui a une vie de famille et craint de perdre son emploi, va certainement les éloigner.
    Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'environ 10 % de ma clientèle était constituée de femmes. J'ai eu des femmes comme clientes. Que fait-on de ces femmes? On dit que le client est la mauvaise personne, l'homme qui persécute, mais il y a aussi des clientes. On n'en parle pas. Personne n'en parle. Les traitons-nous, elles aussi, de perverses? Que fait-on de ce problème?
    À mon avis, la façon dont cette loi nous amène à criminaliser le client n'arrangera rien. Cela va simplement déplacer le problème. On retourne à la chasse aux sorcières qu'on faisait auparavant.

[Traduction]

    Je n'en suis pas certaine, par contre. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il s'agit d'un emploi comme les autres et qu'il y a de bons et de mauvais clients. J'ai participé à beaucoup de réunions dans le cadre de mon travail et je connais des gens qui travaillent dans d'autres types d'organisation. Il se peut bien que ces derniers aiment certains clients et qu'ils en haïssent d'autres, mais ils n'ont pas peur que leurs clients les frappent à coup de bar à clou ou qu'ils les attachent à un lit pendant une semaine et les laissent mourir de faim ou les torturent.
    À mon avis, selon ce que je sais, ces types d'actes de violence sont bien plus courants dans votre secteur d'activité que dans tout autre secteur.

[Français]

    J'aimerais ajouter un élément à cet égard.
    Quand j'avais 18 ans, j'avais une copine qui travaillait dans un dépanneur et elle a été assassinée. Le risque est un peu partout.
    Il est vrai que le risque est très élevé dans le travail du sexe. C'est pourquoi nous avons besoin d'organismes gérés par et pour le milieu et qu'il faut décriminaliser et réglementer cette question. Il faut également protéger les personnes d'âge mineur. Toutefois, le risque au travail peut être partout.
    Il est vrai que le risque est plus élevé dans notre domaine. Cependant, comme je vous le dis, j'ai perdu une copine qui travaillait dans un dépanneur. Elle a été attaquée avec une arme.

[Traduction]

    Lorsque vous entendez des histoires comme celles qui nous ont été racontées cette semaine, vous dites-vous qu'il s'agit de cas isolés et qu'un caissier de dépanneur risque tout autant d'être tué qu'une prostituée? À votre avis, comment le gouvernement devrait-il protéger les femmes qui n'ont pas choisi cette vie?
(1435)

[Français]

    Je crois qu'on doit renforcer l'aide aux personnes. La somme de 20 millions de dollars ne peut pas aider toutes les provinces.
    Il existe déjà des lois concernant le trafic et les mineurs. Je crois qu'on devrait renforcer l'aide aux organismes, qu'il s'agisse d'organismes gérés par et pour le milieu ou les CALACS.
    Il faut non seulement donner la chance à ces personnes de poursuivre leur cheminement, là où elles en sont, mais aussi traduire en justice les criminels, c'est-à-dire les véritables abuseurs. Il faut prendre la personne où elle est actuellement et assurer un suivi avec elle en ce qui a trait à son cheminement. Si cette personne a été victime d'abus, il faut l'accompagner, la soutenir et l'aider à aller au bout de son combat.

[Traduction]

    Merci beaucoup de ces questions et réponses. C'était tout le temps dont vous disposiez Mme Ambler.
    Nous passons maintenant au Nouveau Parti démocratique. Mme Péclet a la parole.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Encore une fois, merci beaucoup à tous les témoins qui sont venus partager leurs connaissances et leurs points de vue avec nous aujourd'hui. Je pense que c'est extrêmement important. Nous avons besoin de vous.
    Pour poursuivre dans la même veine que ma collègue, j'aimerais dire qu'il y a beaucoup d'emplois dangereux. Par exemple, le policier et le pompier risquent aussi leur vie tous les jours.
    La Cour suprême a été claire: on doit aussi protéger les prostituées. Je pense que nous nous entendons tous sur ce point.

[Traduction]

    C'est intéressant, Mme Phillips, parce que dans votre présentation vous avez dit qu'en neuf ans aucune accusation de traite de personnes n'avait été portée par la police, il est probablement question ici de la police de Victoria.
    Je ne pourrais pas garantir quelle était la période de temps exacte. J'ai demandé à mes personnes-ressources juste avant de partir — nous n'avons pas été avisés longtemps à l'avance — et ils m'ont dit qu'ils avaient l'impression qu'une telle accusation avait été portée il y a sept ans, mais qu'elle avait été laissée tomber.
    D'accord.
    En résumé, non, aucune accusation n'a été portée.
    Autrement dit, dans les dernières années, il y a eu une seule accusation?
    Certainement pas dans les sept dernières années.
(1440)
    Dans le cadre du présent débat, nous n'avons pas clairement défini les différents termes utilisés, mais je pense qu'il est important que nous puissions distinguer les diverses notions dans un débat. La traite de personnes est clairement définie dans le Code criminel:
    
Quiconque recrute, transporte, transfère, reçoit, détient, cache ou héberge une personne, ou exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter ou de faciliter son exploitation commet une infraction passible, sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation :
    
a) d’un emprisonnement à perpétuité, s’il enlève la personne, se livre à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave [...]
    Il s'agissait là de la définition de traite de personnes. Voici maintenant comment l'exploitation est définie:
    
[...] une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.
    Je tenais simplement à faire remarquer que si les termes « traite des personnes » et « exploitation » sont définis dans le Code criminel et que prostitution... Je me demandais simplement pourquoi il n'y a eu aucune accusation en sept ans au titre des dispositions existantes. Comment le projet de loi C-36 pourra-t-il aider les victimes de traite de personnes et d'exploitation au sens du Code criminel?
    Je ne peux pas vraiment répondre au nom des services de police quant à la façon dont ils mènent leurs enquêtes, bien entendu. Je suppose qu'ils portent une très grande attention aux plaintes qui leur sont présentées. Ce n'est pas qu'ils font fi du problème, il est évident qu'ils n'ont tout simplement pas trouvé le problème. Je suis donc convaincue que les dispositions contre la traite de personnes, si de tels actes avaient lieu dans notre région, suffiraient pour porter des accusations criminelles. Je ne comprends pas vraiment comment le projet de loi C-36 est lié à la question de la traite de personnes. À mon avis, le projet de loi laisse un peu à désirer, car il vise des gens qui ne sont peut-être pas du tout victimes de traite.
    Je ne sais pas si j'ai répondu à la question.
    Il existe une différence entre la prostitution et les termes qui sont définis dans le Code criminel.
    Oui.
    Vous êtes donc d'accord.
    Il est ici question de ressources. Mme Ambler vous a demandé ce qu'on pourrait faire pour aider les victimes de ces crimes. À mon avis, nous convenons tous que les inégalités sont la source première de la vulnérabilité des femmes. Pourriez-vous, et peut-être Mme Potvin, donner des précisions sur vos observations selon lesquelles les inégalités doivent être ciblées à la source afin que nous puissions, d'une part, éviter que gens soient forcés de se prostituer et, d'autre part, aider et protéger les gens qui souhaitent continuer à travailler dans l'industrie du sexe, et ce, de façon à ce que les deux puissent coexister?
    Je tiens à souligner que les victimes, dans le contexte de l'industrie du sexe, et les gens qui viennent nous voir pour obtenir de l'aide afin de sortir de cette industrie, ne nous laissent pas du tout indifférents.
    D'un point de vue social plus global, l'un des obstacles qu'il faut surmonter pour aider les gens est le montant d'aide au revenu dans notre région ainsi que la disponibilité de logements abordables. Il faudrait certainement mettre l'accent sur ces questions si l'on veut qu'il y ait moins de femmes qui entrent dans l'industrie du sexe parce qu'elles ont besoin d'argent. Voilà pourquoi elles se prostituent, et je ne crois pas que ce soit une bonne raison. Les gens devraient pouvoir choisir comment ils gagnent leur argent.
    En ce qui concerne le Code criminel, je pense que votre seconde question portait sur ce qu'on pourrait faire pour aider les femmes victimes. Certaines dispositions légales sur la traite de personnes et sur l'exploitation sexuelle de mineurs sont justifiées. Dans notre région, nous avons certainement obtenu de bons résultats lorsque nous avons essayé de trouver des moyens, grâce à l'établissement de ponts entre la police, PEERS et les travailleuses du sexe... Il y a de plus en plus de plaintes d'agressions physiques et sexuelles. Ces dispositions sont importantes pour les gens qui oeuvrent dans l'industrie du sexe, et il est crucial que les gens portent plainte sur le fondement de ces dispositions, car on ne le faisait pas assez souvent par le passé.
    Merci beaucoup.
    Madame Potvin, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

     Vous avez posé la question en anglais, mais je voudrais seulement ajouter qu'en matière d'éducation et de prévention, le travailleur ou travailleuse du sexe doit se former un caractère. Personnellement, je crois beaucoup à l'éducation par les pairs. Je travaille présentement à AIDS Vancouver Island avec des personnes ayant des problèmes de consommation. On y pratique ce qu'on appelle le « street college ». C'est une forme d'éducation par les pairs. Je crois que ça aide à faire passer le message.
    Dans des écoles, j'ai aussi animé des ateliers sur la stigmatisation, le travail du sexe et la compréhension de la distinction entre un choix et un non-choix.
    Je crois que ça fonctionne. L'éducation par les pairs est très importante. C'est plus facile à cet égard d'établir un lien avec une jeune qui voudrait se lancer dans le travail du sexe et de lui expliquer ce que sont les conséquences, les risques et la stigmatisation. Si, par la suite, elle en fait son choix, elle saura au moins dans quoi elle risque de s'embarquer, tout en sachant aussi qu'elle peut compter sur les pairs.

[Traduction]

    Merci de ces questions et réponses.
    Avant de céder la parole à M. Dechert du Parti conservateur — et je n'empiète pas sur son temps de parole —, comme la question a été abordée, je crois qu'il faudrait préciser que la même question a été posée à Sécurité publique Canada.
    Selon le Centre national de coordination contre la traite de personnes de la Gendarmerie royale du Canada, des accusations de traite de personnes ont été portées, en date d'octobre 2013, dans 161 cas depuis 2004.
    De ce nombre, 152 étaient des cas nationaux de traite de personnes, et 9 étaient des cas internationaux. La majorité des victimes de la traite nationale sont exploitées sexuellement, tandis que les victimes de la traite internationale sont principalement contraintes au travail forcé.
    Les tribunaux ont été saisis de 47 de ces 161 cas de traite de personnes, qui se sont soldés par des condamnations pour traite de personnes ou infractions connexes. Dans ces 47 cas, le nombre de victimes s’élevait à 124, et le nombre d’accusés reconnus coupables, à 54. En outre, 20 des 161 cas de traite de personnes ont abouti à d’autres résultats. À l’heure actuelle, 94 — en date de janvier 2014— des 161 cas de traite de personnes demeurent en instance devant les tribunaux, ce qui représente 144 personnes accusées et 172 victimes.
    Je tiens à préciser, pour que tout le monde dispose des renseignements exacts, que ces statistiques proviennent des analystes.
(1445)
    Oh, je pensais que vous étiez en train de témoigner. J'étais prête à vous questionner.
    Je plaisante. Mais trêve de plaisanteries, pourrions-nous avoir une copie de ce document?
    Oui. Nous veillerons à ce qu'il soit distribué à tous.
    C'est maintenant au tour des conservateurs.
    Monsieur Dechert.
    Merci, monsieur le président.
    Avant de passer à mes autres questions, j'aimerais signaler que certains des plus importants cas de traite de personnes au Canada ont eu lieu dans la région de Toronto. Dans ma région, l'ouest de Toronto, ainsi qu'à Hamilton, il y a eu des cas internationaux de traite de personnes liés à l’industrie du commerce du sexe. La traite de personne ne se produit donc peut-être pas dans l'ensemble du pays. Les expériences sont différentes selon l'endroit, et je pense que, dans des régions où il y a beaucoup de néo-Canadiens et de trafic international, on est susceptible d'observer ce genre d'activité. Je soupçonne que les témoins qui ont comparu devant nous plus tôt aujourd'hui et qui ont parlé des femmes asiatiques prisonnières de cette industrie diraient probablement qu'un bon nombre de femmes asiatiques viennent au Canada en tant que victimes de l'industrie du sexe.
    Je tiens à dire à chacune d'entre vous que je vous remercie grandement d'être venues ici et de nous avoir fait part de toute votre expertise et de votre expérience. Je veux également remercier tous les témoins ayant comparu devant nous lors de chacune des séances cette semaine. Il est grand temps que nous ayons une discussion nationale sur cette question. Parfois, des questions sont soumises au Parlement pour des raisons tordues et de façons que nous ne pouvons pas prévoir. Cependant, trois personnes ont porté une affaire devant les tribunaux il y a de nombreuses années. Cette affaire est parvenue jusqu'à la Cour suprême, comme nous le savons tous, et cette dernière a rendu une décision rédigée par la juge en chef. C'est pourquoi nous sommes tous ici aujourd'hui pour discuter de cette question très importante.
    Que ce soit notre choix ou non, il est bien que nous ayons cette discussion et, peu importe notre décision, je crois que la situation au Canada sera meilleure à l'avenir. La juge en chef McLachlin a dit au Parlement du Canada, aux 10 députés que vous voyez devant vous aujourd'hui, au quelque 300 autres députés qui ne sont pas ici avec nous, mais qui regardent ce qui s'y passe très attentivement, ainsi qu'aux sénateurs, que l'encadrement de la prostitution est un sujet complexe et délicat. Je pense que, d'après tout ce que vous avez dit et tout ce que nous avons entendu, qu'il est évident que cette affirmation est vraie.
    Il incombera au Parlement, s'il choisit de le faire, de concevoir une nouvelle approche. Une option s'offre à nous. Nous pouvons choisir d'adopter l'option qui s'offre à nous, sous sa forme actuelle. Nous pouvons décider d'y apporter des changements. Nous pourrions choisir de ne rien faire du tout, comme l'ont demandé deux des personnes qui nous ont soumis cette affaire. Hier, nous avons entendu les témoignages de Mme Scott et de Mme Lebovitch, et elles aimeraient que nous ne fassions rien, que nous ne touchions pas aux dispositions qui ont été invalidées par la Cour suprême, mais qui doivent être laissées en suspens pendant l'année se terminant en décembre. Elles veulent aussi que la prostitution au Canada soit légalisée et qu'elle soit exercée en toute latitude, sans réglementation et sans entrave, à n'importe quel moment, n'importe où, et à la discrétion des acheteurs et des vendeurs.
    Que croyez-vous que nous devrions faire? Devrions-nous faire quelque chose ou ne rien faire? Devrions-nous choisir de criminaliser l'achat de services sexuels? Et si nous ne faisons rien, que sera, d'après vous, la situation au Canada le lendemain et au cours des 10 prochaines années? Dans quelle situation nous trouverons-nous dans 10 ans? Plus tôt cette semaine, nous avons entendu le témoignage d'experts sur la situation en Europe, et ils nous ont dit que, en Allemagne, où, à l'heure actuelle, la prostitution est légalisée et exercée en toute latitude, il y a plus de 400 000 travailleurs du sexe, et il y a eu une augmentation considérable de la traite de personnes. Il s'agit surtout de personnes qui entrent en Allemagne à partir de l'Europe de l'Est, mais il y en a aussi qui viennent d'autres pays. Inversement, nous avons entendu que l'expérience a été différente en Suède. C'est ce qu'a affirmé l'un des principaux auteurs du modèle suédois, que nous examinons aujourd'hui. En effet, en Suède, il y a moins de violence, de travailleurs du sexe, d'achat de services sexuels et de cas de traite de personnes.
    Étant donné tout cela, j'aimerais connaître votre opinion sur ce que vous croyez que nous devrions faire? Devrions-nous faire quelque chose ou devrions-nous détourner le regard et ne rien faire du tout?
    Commençons par vous, madame Steacy.
(1450)
    Oui, comme je l'ai dit dans mon mémoire et dans ma plaidoirie, je crois que nous devons faire quelque chose. Je pense qu'il est important non seulement pour les femmes qui sont dans le milieu de la prostitution par choix ou contre leur gré, mais aussi pour toutes les femmes, que nous faisions quelque chose à propos de la prostitution.
    Nous savons, comme ma collègue et moi en parlions plus tôt, que, même si pas toutes les femmes sont violées, le fait que les hommes violent les femmes sème la peur chez toutes les femmes et les met en danger. C'est ce que je crois également à propos de la prostitution. Je pense que nous parlons actuellement du droit pénal. Le projet de loi qui a été présenté est une réponse pénale à la prostitution, et je crois que, en tant que loi pénale, le projet de loi C-36 représente un assez bon point de départ avec, comme je l'ai déjà dit, la suppression de la disposition qui criminalise les femmes se livrant à de la prostitution dans certains endroits.

[Français]

    Je ne vais pas répéter ce que ma collègue a mentionné, mais je dirai simplement que je rêve d'un monde où moi-même et ma fille pourrons nous déplacer dans la rue sans être vues comme des objets sexuels par l'ensemble des hommes. Je ne dis toutefois pas que tous les hommes sont comme cela.
    Pourtant, je ne sais combien de fois je suis allée dans une boîte de nuit et que je me suis fait toucher par un homme sans qu'on me demande la permission. Je ne sais combien de fois je me suis fait suivre dans les rues par un homme qui allait peut-être me faire quelque chose et où j'ai réussi à m'en sortir. Je pense qu'il faut faire quelque chose. Il faut arrêter de dire que les femmes, ou essentiellement les femmes, peuvent être achetées.
    Je veux dire à ma collègue, que je respecte énormément, que nous ne jugeons pas les femmes aux prises avec des problèmes dans l'industrie du sexe ou qui ont choisi de travailler dans cette industrie. Nous parlons au nom de toutes les femmes.
    J'espère simplement que ma fille va grandir, qu'elle sera vue comme une personne à part entière et que mon fils verra les femmes et les filles comme des personnes à part entière. Je pense qu'il est donc nécessaire de faire quelque chose à ce sujet.

[Traduction]

    D'accord.
    J'aimerais vous poser la deuxième question. Si nous ne faisons rien, quel sera, selon vous, l'état de la prostitution au Canada dans 10 ans?
    Je pense que nous serons le bordel de l'Amérique du Nord. Je pense que ce sera comme le Grand Prix de Montréal ou le Stampede. Tous les Américains viendront. Ils viennent au Québec pour l'alcool. Alors, pourquoi ne viendraient-ils pas pour les femmes?
    Je pense que c'est une décision très dangereuse à prendre.
    Vous soulevez un bon point. Nous vivons juste à côté du pays le plus riche du monde, d'un des plus grands pays au monde, certainement beaucoup plus grand que le nôtre. Approximativement 80 % ou plus de la population canadienne vit à moins de 200 kilomètres de la frontière américaine.
    J'ai récemment visité Montréal, et j'ai vu qu'il y avait une exposition au musée sur l'époque de la prohibition aux États-Unis. Montréal avait des boîtes de nuit qui servaient de l'alcool. Il y avait beaucoup de jeux de hasard et de prostitution. Les gens pouvaient aller là-bas...
    Je pense que cette exposition est encore ouverte. On peut y voir un modèle de bar clandestin. Il y a une chambre qui est conçue pour avoir l'air d'une chambre dans un bordel. Je crois que cela représente les années 1930. On observe une pièce d'un poste de police. L'exposition raconte comment la ville de Montréal a été traumatisée par cette expérience. Des dizaines de milliers d'Américains venaient toutes les fins de semaine là-bas pour boire, jouer et utiliser les bordels. Les Montréalais se sont battus contre cela. Il y avait des politiciens et des policiers qui ont participé à ce combat.
    Nous ne voulons pas que ce genre de situation se reproduise, n'est-ce pas?
    Certainement pas.
    M. Bob Dechert: D'accord.
    Je crois qu'il ne me reste plus de temps de parole, monsieur le président.
    Merci.
    Merci beaucoup. Merci de ces réponses.
    Notre prochain intervenant est du Nouveau Parti démocratique.
    Monsieur Jacob.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur participation à nos travaux, cet après-midi.
    Ma première question s'adresse à Mme Sarroino. Tous les autres témoins pourront aussi bien sûr intervenir par la suite.
    Ce qui m'a frappé dans votre intervention, c'est que vous parliez beaucoup de soutien social, d'un éventail de soins de santé, de logement et d'une approche holistique.
    Comme vous le savez, la Suède a adopté le modèle qui criminalise l'acheteur de services. Toutefois, cette mesure législative était accompagnée de mesures sociales extrêmement importantes. Un tel modèle ne peut pas fonctionner si les autorités n'ont pas les ressources nécessaires pour aider les gens dans le besoin.
     Sans les mêmes mesures sociales, croyez-vous qu'il serait possible de faire disparaître la prostitution dans les pays qu'on dit nordiques, comme la Suède?
(1455)
    Non, évidemment pas.
    Je ne vais pas tout répéter ce qu'on a dit. Cependant, tant qu'il n'y a pas une lutte contre la pauvreté et qu'on ne met pas en place des services de santé et de désintoxication, les femmes vont toujours, faute de choix, avoir besoin de recourir à la prostitution pour pouvoir se nourrir et nourrir leur famille. De plus, elles ne verront pas comment elles pourraient s'en sortir si elles désiraient le faire, parce qu'aucun service ne serait à leur disposition.
    Selon un des témoignages que j'ai entendus, cela peut prendre jusqu'à 15 essais et plusieurs années pour réussir à se sortir de la prostitution. Si les services ne sont pas présents ou s'ils ne sont pas bien financés, cela n'encouragera certainement pas les femmes qui désirent s'en sortir à le faire. En somme, je pense que c'est primordial.
    Dans le fond, il faut d'abord lutter contre tous les enjeux qui font en sorte que les femmes ont recours à la prostitution.
    Mme Steacy, voudriez-vous ajouter autre chose à cet égard?
    Je vais le faire brièvement, mais en anglais.

[Traduction]

    Je pense que, depuis trop longtemps, la prostitution est la solution qui s'offre aux femmes n'ayant pas accès à un filet de sécurité sociale. Si nous commençons à aborder le problème de la prostitution et que nous déployons des efforts pour l'éliminer, nous devrons nécessairement lutter contre toutes les injustices, tout ce qui a été enlevé aux femmes et tout ce qui leur manque, qui les poussent à se tourner vers la prostitution.

[Français]

    Je vous remercie, madame Steacy.
    Y a-t-il quelqu'un d'autre qui voudrait mentionner un autre aspect à ce sujet?
    Je veux juste ajouter...

[Traduction]

    Aimeriez-vous ajouter quelque chose, madame Potvin? Puis, Mme Quinn...

[Français]

    Oui. Merci, monsieur le président.
    Il faut des services, mais il faut quand même faire la distinction entre un acte entre des adultes consentants et un acte d'abus. Ce serait pertinent de voir quand même une différence quand on parle d'actes entre deux adultes consentants. Toutefois, il faut donner de meilleures ressources à tous ceux et à toutes celles qui veulent passer à autre chose ou qui veulent y rester. Il faut au moins donner un appui et plus d'aide à cet égard. Même en cas d'actes entre des adultes consentants, il faut donner la possibilité de dénoncer une agression, un abus ou un acte violent.

[Traduction]

    Monsieur Jacob, Mme Quinn avait la main levée.

[Français]

    Madame Quinn, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Oui, nous devons absolument aborder les problèmes de pauvreté, qui touchent plus les femmes que les hommes. Nous le savons tous. Je n'insisterai donc pas sur ce point. Par exemple, une femme en Alberta aux prises avec des troubles de santé mentale importants s'est tournée vers notre système d'aide sociale. Elle a réussi à obtenir 723 $. Toutefois, son loyer coûte 700 $. Elle a donc dû continuer à faire de la publicité sur backpage.com, un site Internet d'achats et de ventes, pour subvenir à ses besoins de base. C'est à cela que nous devons mettre fin.
    J'ai dit que l'argent de l'école des clients sert, en grande partie, à réduire la pauvreté. Nous nous sommes servis de cet argent pour donner aux femmes des certificats d'épicerie, pour les aider à acheter des médicaments sur ordonnance et à s'occuper de leurs enfants et pour payer toutes les choses dont nous avons besoin chaque jour. De plus, nous avons créé une lueur d'espoir — nous avons établi des bourses et des dotations dans deux universités et collèges primaires. Nous sommes inondés d'appels de femmes qui veulent obtenir ces bourses afin qu'elles puissent avoir la chance de changer leur vie.
    Quand nous disons que nous voulons diminuer la demande, nous ne pouvons pas nous contenter de faire cela, parce que, comme le soutiennent certains, cela enlèverait des revenus aux travailleurs du sexe. Nous devons aussi augmenter les ressources. Nous devons donc adopter une approche à trois volets: réduction de la demande, gros investissements sociaux et éducation publique à tous les niveaux.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Jacob. C'est tout le temps que vous avez.
    Pour les dernières minutes, M. Goguen aura la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie toutes les personnes d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui.
    Évidemment, on fait face à une situation assez complexe. Toutes les réponses seront prises en considération. Il faut arriver à trouver une solution qui va améliorer la situation ici, au Canada.
    Madame Sarroino, plus tôt, vous avez fait état d'une vaste gamme de services que fournit votre organisme. Vous avez piqué ma curiosité en parlant d'un service de défense des droits. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus ce en quoi consiste ce service?
(1500)
    Comme je l'ai expliqué, c'est un peu ce que je suis en train de faire aujourd'hui en participant aux travaux du comité. C'est aussi le fait que nos militantes dans nos centres membres appellent leurs députés régionaux pour parler de la prostitution et du fait qu'il faut éliminer la demande. Chaque centre a des militantes qui sont souvent des survivantes qui vont travailler sur plusieurs enjeux qui sont importants politiquement. Il y a aussi l'indemnisation pour les victimes d'actes criminels. Au Québec, on travaille très fort pour élargir la liste des crimes qui sont admissibles à cet égard. Cela fait partie de notre travail au chapitre de la défense des droits. Il y en a aussi beaucoup d'autres, mais je ne voudrais pas prendre trop de temps pour les expliquer.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Voudriez-vous...?
    D'accord.
    Madame Gerrard, vos services semblent être tellement efficaces qu'ils permettent aux gens de sortir de la criminalité. Vous avez une liste d'attente. Je me demande si vous pourriez nous dresser un portrait sommaire des personnes qui ont habituellement recours à vos services pour les aider à se retirer du système. Je sais que chaque personne est différente, mais y a-t-il des personnes types et pouvez-vous décrire leur état de santé et leur état mental?
    Je pense que vous voulez peut-être poser cette question à quelqu'un d'autre. Nous n'offrons pas actuellement de services pour les personnes voulant quitter la prostitution, à l'exception de l'une de nos églises à Winnipeg qui participe à ce genre d'initiative. Faites-vous allusion à cela?
    Je suis désolé. Je me suis adressé à la mauvaise personne.
    Je vais poser cette question à Mme Quinn. Je ne sais pas si je l'ai formulée correctement. Avez-vous compris ce que je disais, madame Quinn?
    Oui, j'ai compris.
    Nous avons de nouveau accordé une grande priorité à la guérison des traumatismes. Nous avons constaté que les femmes ont vécu un traumatisme intergénérationnel et qu'il leur faut beaucoup de temps pour guérir afin de pouvoir reconstruire leur vie. Certaines femmes ont subi des sévices durant leur enfance. On peut donc parler d'un traumatisme très profond. Puis, elles ont certainement été victimes d'actes de violence lorsqu'elles ont été exploitées dans le cadre de leur travail de prostitution, que ce soit dans les agences d'escortes et de massage, dans la rue ou à n'importe quel autre endroit.
    Comme je l'ai dit, les femmes viennent nous voir pour nous demander de les guérir. Nous travaillons avec des conseillers spécialisés qui sont conscients de la profondeur du traumatisme qu’ont subi ces femmes. Nous constatons que beaucoup de ces personnes ont développé des problèmes de santé mentale à cause des atrocités, des humiliations et des actes de violence qu'elles ont subis.
    Nous réclamons, notamment, des fonds suffisants pour fournir des services de consultation à long terme pour la guérison de traumatismes qui, en plus d'offrir de l'aide thérapeutique professionnelle, impliquent aussi un soutien par les pairs, comme d'autres l'ont mentionné. Il est vraiment important que des gens ayant vécu des expériences similaires jouent un rôle central dans le processus de guérison et de reconstruction de la vie de ces personnes.
    Merci beaucoup de ces questions et réponses.
    Je veux remercier les témoins d'avoir été parmi nous aujourd'hui. Leurs exposés ont été très instructifs et ont beaucoup contribué à la discussion sur le projet de loi C-36.
    C'est notre avant-dernière réunion. Nous prendrons une pause d'une demi-heure, puis nous entendrons les derniers témoins sur le projet de loi C-36.
    La séance est maintenant levée.
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