J'aimerais commencer par reconnaître que nous sommes réunis aujourd'hui sur le territoire traditionnel des Algonquins.
Je suis Lisa Steacy et je remercie le comité de nous avoir invitées, Mélanie et moi, à parler au nom de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, que je vais désormais désigner par son acronyme, ACCCACS, pour simplifier les choses.
L'ACCCACS est l'une des coalitions de centres contre les agressions sexuelles les plus vieilles au monde. Depuis sa création en 1975, les centres qui en font partie offrent des services de soutien et d'intervention de première ligne en cas de crise aux femmes d'Halifax à Vancouver, en anglais et en français, dans les centres urbains et les milieux ruraux. L'ACCCACS est la voix des milliers de femmes qui lui confient leur histoire par l'intermédiaire de lignes téléphoniques confidentielles.
En offrant aux femmes de toutes les régions du Canada des services de soutien d'urgence, l'ACCCACS a accumulé des connaissances à la fois uniques et approfondies sur les causes et les conséquences de la violence des hommes envers les femmes, y compris dans le domaine de la prostitution. Toutes nos déclarations publiques sur la prostitution et la violence des hommes envers les femmes s'appuient sur des témoignages de femmes qui utilisent nos lignes d'aide et qui font suffisamment confiance à nos intervenants pour leur confier avoir été victimes de viol, de violence physique, d'inceste et de prostitution.
D'anciennes prostituées se sont jointes à notre groupe à Vancouver, à Montréal, à Ottawa et à bien d'autres endroits pour travailler bénévolement ou au sein du personnel afin de venir en aide à des femmes survivantes qui tentent de se sortir de la vie d'exploitation et de violation des droits qu'est la prostitution. Mes convictions et mon désir de faire entendre ma voix s'appuient entièrement sur ces femmes, comme c'est le cas pour tous les membres de l'ACCCACS au pays.
J'ai rencontré et je connais personnellement des femmes qui se prostituent dans la rue ou derrière les portes closes des agences d'escortes, des salons de massage et des clubs de strip-tease ou qui annoncent leurs services en ligne parce qu'elles considéraient que la prostitution était un moyen viable et sécuritaire de gagner de l'argent de façon autonome pour payer leurs études. Ces femmes ont été menacées, violées et battues par des hommes qui achetaient leurs services. Elles ont été menacées, violées et battues par les proxénètes et les souteneurs. Chacune d'entre elles a dû composer avec les dangers et les violations de leurs droits associés à la prostitution et trouver le moyen de survivre.
En 2001, nos membres ont insisté pour que nous adoptions une résolution déclarant que la prostitution est une forme de violence des hommes envers les femmes. En 2005, nous avons fait valoir cette position en l'appuyant sur une analyse de la prostitution comme pratique dangereuse de discrimination sexiste et sexuelle qui exploite et exacerbe les inégalités sociales que vivent les femmes, les inégalités économiques que subissent les femmes vivant dans la pauvreté et les inégalités raciales que connaissent les femmes de couleur et les femmes autochtones.
Les changements proposés par le gouvernement à la loi pénale sont l'occasion pour la société, par l'intermédiaire du droit, de défendre les femmes qui veulent un meilleur sort — pour elles-mêmes et pour toutes les femmes — que d'être vendues comme chair à prostitution. L'existence même de la prostitution non seulement crée une sous-catégorie de femmes traitées comme des marchandises que s'échangent des hommes, mais elle alimente également l'inégalité sexuelle et sexualisée de toutes les femmes.
La définition du consentement établie à l'article 273.1 du Code criminel, placée à la suite des crimes d'agression sexuelle, constitue un cadre utile pour l'ACCCACS pour s'opposer à l'idée que la prostitution est une transaction égale ou une activité sexuelle à laquelle les femmes donnent leur consentement. Le « consentement » est défini comme suit : « accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle ». La force brutale de la pauvreté, de la violence et de l'inégalité qui contraint les personnes, en grande majorité des femmes, à se prostituer élimine toute possibilité de consentement.
Le projet de loi place à juste titre les crimes liés à la prostitution dans la partie du Code criminel qui vise les actes criminels contre la personne. Les femmes qui utilisent nos lignes d'appel d'urgence et celles qui offrent ce service partout au Canada savent depuis des décennies que la prostitution n'est pas néfaste parce qu'il s'agit d'une nuisance ou d'un vice. Elle est néfaste parce qu'elle constitue une violation des droits de la personne, et, dans la plupart des cas, cette personne est une femme.
L'ACCCACS est encouragée de voir que le Parlement a rédigé un projet de loi qui établit clairement que le droit criminel joue un rôle essentiel pour condamner et limiter la prostitution des femmes et des filles au Canada.Tant dans sa résolution de 2001 que dans celle de 2005, l'Association a convenu que le droit criminel peut et devrait sanctionner les auteurs d'actes violents envers les femmes. Le projet de loi est une réponse nécessaire aux femmes et aux groupes de femmes qui demandent au gouvernement de reconnaître que les effets négatifs de la prostitution touchent de manière disproportionnée les femmes et les enfants et que celle-ci mine leur droit à la dignité et à l'égalité établi dans la Charte des droits et libertés.
Les dispositions qui criminalisent les actes des clients ciblent précisément les hommes qui réclament un accès sans restriction au corps des femmes. Les dispositions qui criminalisent les actes des proxénètes et des personnes qui profitent de la prostitution visent avec raison les hommes qui forcent les femmes et les filles à se prostituer, qui tirent profit de la vulnérabilité économique et sociale des femmes pour les amener à se prostituer et qui tirent des avantages économiques en piégeant les femmes et les filles dans la prostitution.
Les dispositions qui s'appliquent aux clients, aux proxénètes et aux exploiteurs concordent avec l'idée que la prostitution est un acte criminel de violence des hommes envers les femmes. Toutefois, des décennies de travail auprès de femmes victimes de viol, de voies de fait, d'inceste et de harcèlement sexuel nous ont appris qu'il y a une incapacité du système, à tous les niveaux, d'arrêter, d'accuser et de condamner des hommes pour violence envers les femmes en vertu des lois actuelles. Nous ne devons pas aggraver la situation en accordant l'absolution aux hommes et en abandonnant encore plus les femmes en décriminalisant la prostitution.
Il sera crucial de mettre en oeuvre rapidement les dispositions proposées si l'on veut qu'elles atteignent les objectifs énoncés. Il incombe au gouvernement fédéral de jouer un rôle de premier plan dans l'établissement de normes pour la police et les procureurs au pays afin d'appliquer toutes les lois qui criminalisent la violence contre les femmes. Toute criminalisation des femmes dans le contexte de la prostitution est incompatible avec une analyse disant que la prostitution est une forme de violence contre les femmes.
Nous nous opposons catégoriquement à la proposition du gouvernement de criminaliser les communications à certains endroits sous prétexte de protéger les collectivités. Les lois qui criminalisent les clients et les proxénètes s'appliquent partout; il est parfaitement inutile d'avoir une autre disposition qui s'appliquerait aux femmes qui se prostituent à certains endroits.
Le projet de loi affirme avec justesse que la prostitution a un caractère violent, néfaste et exploiteur. La vaste majorité des femmes ne choisissent pas de leur propre chef de se prostituer. Il est par conséquent improbable qu'elles choisissent l'endroit où on les prostitue. Cette disposition alimentera probablement le préjugé actuel de l'administration de la justice qui fait en sorte que les femmes les plus marginalisées — les démunies, les membres de minorités visibles et les toxicomanes — sont disproportionnellement ciblées et pénalisées.
Le montant de 20 millions de dollars alloué par le gouvernement pour aider les femmes à sortir de la prostitution est tout simplement insuffisant. La prostitution, comme toute forme de violence contre les femmes, empêche celles-ci d'atteindre l'égalité. Toute forme d'inégalité rend les femmes plus vulnérables à la violence. Venir en aide à des femmes après qu'elles aient subi une agression sexiste et violente n'est pas suffisant. Il faut mettre fin à l'inégalité des femmes et à l'usage qu'en font les hommes.
Tous les partis et tous les ministères du gouvernement devront prendre un engagement ferme pour éradiquer l'inégalité désespérante qu'exploite et entretient la prostitution.
Merci.
Je m'appelle Mélanie Sarroino et je représente le Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. Nous sommes membres de l'ACCCACS et nous sommes aussi membres de la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution.
Depuis 35 ans, nous nous consacrons au développement d'une meilleure réponse à apporter aux femmes victimes d'agressions sexuelles ainsi qu'aux communautés du Québec qui veulent prévenir et agir contre la violence sexuelle. Nous comptons 26 centres membres dans toutes les régions du Québec. Nous avons trois volets d'intervention, soit les services directs, la sensibilisation et la prévention ainsi que la défense des droits.
Différentes études démontrent qu'entre 80 % et 90 % des femmes ayant vécu un lien avec la prostitution ont été victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance. Il est établi que le fait d'être victime de violence contribue à être de nouveau victime de violence. Ce continuum se jouxte souvent à des conditions sociales et économiques défavorables qui contribuent à ce que les femmes se retrouvent un jour au sein du système prostitutionnel.
Dans ce contexte, les conséquences de la prostitution sur la vie des femmes s'apparentent aux conséquences des agressions sexuelles. Les femmes qui ont subi des agressions sexuelles ou celles qui font de la prostitution, ou encore celles qui s'en sont sorties, font de l'insomnie, de l'anxiété, des phobies, des dépressions, de la dissociation et elles peuvent souffrir de toute une série de problèmes psychologiques et physiologiques, y compris des problèmes gynécologiques, sans parler des conséquences sociales.
Je ne vais pas répéter ce que ma collègue a mentionné. Bien entendu, on est bien d'accord avec elle sur la question de l'égalité entre hommes et femmes ainsi que sur les conséquences de la non-abrogation de l'article 213. Je ne vais pas revenir sur cette question afin de sauver du temps.
On entend souvent l'argument selon lequel criminaliser les clients rendra les personnes prostituées plus vulnérables puisqu'elles n'auront pas assez de temps pour évaluer les hommes. Pour nous qui travaillons dans le domaine de la violence faite aux femmes, cet argument ne tient pas la route. Nous avons de la difficulté à croire que 5 à 15 minutes de plus permettront à une prostituée de savoir si un homme est violent ou non, que ce soit avant qu'elle entre dans la voiture de cet homme ou que celui-ci entre dans l'appartement qu'elle occupe.
Nous savons très bien que les hommes violents sont souvent de grands manipulateurs et qu'on ne peut les reconnaître rapidement. Très souvent, ils sont déjà connus par les femmes et ces dernières leur font déjà confiance.
L'aspect de la loi qui criminalise l'achat nous facilitera la tâche dans les ateliers de prévention de l'exploitation sexuelle que nous offrons à des milliers de jeunes par année. Au Québec, les CALACS offrent de la prévention à plus de 25 000 élèves par année. Le contraire de la criminalisation de l'achat aurait été catastrophique. Comment prévenir l'entrée dans le système prostitutionnel, que ce soit comme recruteur ou comme marchandise, quand la loi l'autorise?
Avec la nouvelle loi, nous pouvons traiter du sujet comme nous traitons de celui de l'agression sexuelle. Nous utilisons ce sujet pour parler de la violence dans les relations amoureuses, c'est-à-dire de l'abus de pouvoir qui découle des inégalités sociales. Avec la nouvelle loi, notre message devient donc beaucoup plus cohérent pour les jeunes.
Outre la voie législative, le Canada doit également aborder les facteurs qui poussent certaines femmes dans la prostitution, incluant la pauvreté, le racisme, les effets des pensionnats autochtones, les lacunes du système de protection de la jeunesse et de l'enfance ainsi que l'idéalisation de la prostitution.
Il est primordial de créer des soutiens sociaux pour offrir aux femmes des sources de revenus autres que la prostitution. Cela inclut un éventail complet de services de sortie qui offriraient aux femmes qui se retrouvent dans la prostitution des soins de santé, incluant des soins de désintoxication seulement pour les femmes, des logements sécuritaires pour elles-mêmes et leurs enfants, une aide juridique, un accès à l'éducation et à la formation en emploi, des services de counseling de qualité et un revenu de subsistance garanti.
Les femmes prostituées doivent être admissibles à tous les régimes d'indemnisation conçus pour soutenir les victimes d'actes criminels et devraient bénéficier d'une suspension de leur casier judiciaire en lien avec la prostitution afin de les aider à trouver un autre emploi.
Nous croyons aussi que toutes les ressources déjà existantes, dont les centres de femmes, les centres en agression sexuelle et les maisons d'hébergement, devraient être en mesure d'offrir, autant par des outils que par un budget adéquat,...
Ma collègue Natasha et moi sommes très heureuses d'être ici pour représenter la PEERS Victoria Resource Society, qui est située à Victoria, en Colombie-Britannique. Nous aimerions remercier les personnes qui ont contribué à notre exposé conjoint, lequel s'appuie sur leurs expériences dans l'industrie du sexe.
Je suis la directrice principale de PEERS, qui existe depuis environ 20 ans. Nos principaux programmes inclus des services jour et nuit, un centre d'accueil, une clinique ainsi qu'un soutien à l'emploi et à l'éducation. Nous préparons et diffusons également une liste de « mauvais diables » ou agresseurs dans la région.
Collectivement, nos programmes servent de 350 à 500 personnes par année, selon le financement. Certaines participantes aux programmes considèrent travailler actuellement dans l'industrie du sexe, alors qu'environ un tiers dirait ne plus travailler dans ce secteur, mais continuer de faire appel à nos services parce qu'elles ont besoin d'aide pour le logement, l'accès aux soins de santé et d'autres formes de soutien social.
Je suis également sociologue affiliée à l'Université de Victoria. À ce titre, j'effectue des recherches sur les déterminants sociaux de la santé dans l'industrie du sexe depuis plus d'une décennie. À l'heure actuelle, je mène une étude nationale sur les personnes qui gèrent des agences d'hôtesses et des salons de massage dans le cadre d'une vaste étude financée par les Instituts de recherche en santé et dirigée par Mme Cecilia Benoit.
Je tiens tout d'abord à brosser un portrait statistique de notre région en particulier. Au cours des 15 dernières années, Mme Benoit et ses collègues ont mené trois grandes études sur la santé des personnes travaillant dans l'industrie du sexe. La méthodologie a été conçue avec le plus grand soin, afin, notamment, d'obtenir un échantillon large et varié. L'examen de ces études a permis de déterminer que l'âge médian de la première transaction était la jeune vingtaine; une importante minorité de participants ont indiqué avoir vendu des services sexuels avant l'âge de 18 ans. Près de 80 % ont indiqué être des femmes, et un peu moins de 20 % se sont dits autochtones. L'âge moyen des répondants au moment de l'entrevue se situait dans la jeune trentaine. Nous n'avons pas constaté de surreprésentation des minorités ethniques, mais plutôt une sous-représentation.
Les personnes que nous avons interviewées dans le cadre de ces études et celles avec qui nous travaillons à PEERS ont des points de vue variés sur l'industrie du sexe. C'est fort important. Elles ont des points de vue variés de l'industrie du sexe forgés par une panoplie d'expériences. Toutefois, la plupart s'insurgent à l'idée d'être fondamentalement caractérisées comme des victimes. Comme l'une de nos membres nous l'a dit: « Même si j'ai l'impression que j'ai dû devenir une travailleuse du sexe pour assurer la subsistance de ma petite fille, c'était mon choix, et s'il fallait recommencer, je le ferais. » Une autre a indiqué: « Lorsque des femmes comme moi affirment faire ce métier par choix, il y a des gens qui tiennent à y voir de la victimisation, ce qui laisse entendre que nous sommes incapables de prendre nos propres décisions. » Une autre a mentionné que la seule raison qui l'avait poussée à se joindre à un service d'hôtesse, c'était sa propre curiosité.
Là où nous avons fait de grands progrès dans notre région, c'est avec la police de Victoria. Il y a deux unités — l'unité des crimes de nature sexuelle et l'unité de liaison communautaire — qui travaillent avec PEERS pour rejoindre les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, et les inciter à rapporter des crimes ou d'autres situations préoccupantes.
Pendant la préparation de cet exposé, l'un des agents de liaison des services policiers m'a appris qu'il n'y avait eu aucune accusation liée au trafic dans nos régions depuis de nombreuses années, et peu, voire aucune, accusation de prostitution. Les policiers ont plutôt ciblé les personnes qui exploitent ou qui malmènent les travailleurs et travailleuses du sexe. Par exemple, six cas de ce qu'on appelle communément de « mauvais diables » ont été signalés cette année. Les services de police se concentrent sur les personnes qui ont commis ces crimes — et qui ne sont pas toujours des clients, soit dit en passant —, au lieu de courir après l'ensemble des clients.
J'aimerais parler brièvement de quelques articles du projet de loi , bien que je sache qu'il en a abondamment été question cette semaine. Nous partageons l'opinion des personnes qui ont indiqué en détail pourquoi les articles 286.1 et 213 continueront de nuire à la communication entre les travailleuses du sexe et les clients. Nous insistons sur la nécessité de permettre aux travailleuses du sexe d'échanger librement avec les clients pour les évaluer, fixer les conditions et obtenir des renseignements importants. L'évaluation n'est qu'un aspect. Il faut demander de l'information aux gens, et ceux-ci doivent être prêts à vous la fournir. Cela aussi contribue à la sécurité.
Les éléments de preuve à ce sujet ont été examinés soigneusement, et à mon avis, minutieusement, dans l'affaire Canada contre Bedford. Qui plus est, l'article 213 favorise un climat de stigmatisation et de discrimination, car il présente les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe comme une menace plutôt que comme des membres de la société. Il est probable qu'il s'appliquera de manière abusive aux personnes travaillant à l'extérieur. Ces personnes n'ont pas les moyens de payer des amendes ou d'obtenir les services d'un avocat. Elles craignent déjà beaucoup la police. Cette crainte est profondément ancrée et ne découle pas seulement des lois sur la prostitution, surtout dans le cas de toxicomanes, de personnes qui n'ont pas de logement sûr ou de personnes qui ont fait l'objet de discrimination raciale.
L'article 286.4 du projet de loi, qui criminalise la publicité pourrait aussi nuire à la capacité des travailleuses d'échanger afin d'assurer leur sûreté et leur sécurité. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet, car il en a été question et notre temps est compté.
L'article 286.1, qui criminalise le fait de bénéficier d'un avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels impose une contrainte aux travailleuses du sexe qui souhaitent interagir avec d'autres pour leur venir en aide. Nous reconnaissons qu'il y a des exceptions notoires, dont il a été question cette semaine, il n'en demeure pas moins que cette loi est fort épineuse, à notre avis, car il revient à ces personnes de prouver qu'elles font partie de ces exceptions.
Il y a eu des discussions l'autre jour au sujet de la signification de l'« exception non applicable » du paragraphe 286.2(5), qui semble indiquer qu'il n'existe aucune forme d'avantages matériels permissibles dans le cadre d'une entreprise commerciale. J'aimerais obtenir un peu plus de précisions aujourd'hui, car cet article...
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Comme je le mentionnais, j'ai travaillé dans l'industrie du sexe de l'âge de 21 ans jusqu'à l'âge de 37 ans. Il est vrai que c'est un choix que j'ai fait. J'en ai fait le choix pour ma fille, et j'en suis fière, tout comme c'est mon choix de venir témoigner devant vous aujourd'hui.
J'ai deux enfants et un conjoint depuis 11 ans. J'habite Victoria. Je suis membre du conseil d'administration de l'organisme PEERS et membre de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois du travail du sexe. J'ai aussi fait partie de l'équipe de recherche de la Dre Cecilia Benoit. J'occupe maintenant un poste chez AIDS Vancouver Island pour un programme touchant la réduction des méfaits.
Je suis choquée par le projet de loi . Je trouve qu'il est irrespectueux de nos droits humains en insistant sur le fait que je suis une victime parce que j'ai choisi de travailler dans le commerce du sexe. Or, j'ai choisi librement ce travail. M'appeler ainsi ou me traiter de la sorte, c'est ignorer et dénigrer ma réalité. Cela ne tient pas compte de mon choix.
J'ai eu une bonne relation avec beaucoup de mes clients. J'ai bien aimé certains d'entre eux, d'autres un peu moins, mais je ne me suis jamais sentie abusée. J'ai cependant été victime de discrimination. J'ai eu la visite du service de la protection de la jeunesse, qui m'avait menacée de m'enlever mon garçon parce que j'étais une travailleuse du sexe.
Par la suite, j'ai été très réticente à divulguer ma participation dans l'industrie. Je me suis sentie très seule et sans défense. Conséquemment, s'il m'était arrivé un incident, je ne l'aurais pas signalé. Je ne crois pas que le projet de loi aidera à améliorer cette situation. Il n'enraiera pas la stigmatisation et le jugement à l'endroit des personnes qui exercent cette activité.
Comme M. MacKay l'a mentionné dans son discours plus tôt cette semaine, le projet de loi devrait permettre une réduction de l'offre et de la demande. Malheureusement, ce projet de loi n'aura pas l'effet escompté. Plutôt que de mettre fin à la situation, il va déplacer le problème et contraindre les travailleuses du sexe à effectuer leurs transactions dans un contexte de pression accrue. Il y aura beaucoup plus de possibilités de conflit, et le dépistage sera insuffisant auprès des clients. Au bout du compte, le projet de loi augmentera la vulnérabilité des personnes qui exercent ce métier.
Il deviendra davantage difficile pour les intervenants du milieu, comme chez PEERS, d'offrir des services, de bâtir des liens de confiance, d'établir une connexion ouverte avec les travailleuses du sexe, les travailleurs du sexe ou les personnes transgenres, car il a été démontré que ceux qui travaillent dans la rue perçoivent la criminalisation comme une menace.
J'irai encore plus loin en vous disant que le projet de loi pourrait même mettre en danger les équipes d'intervenants mobiles, qui se déplacent chaque nuit pour offrir un soutien de première ligne, en les poussant eux aussi à rejoindre la clientèle dans des endroits isolés. En outre, ils se déplaceront dans des espaces mal éclairés en dehors de la vue de témoins.
À cet égard, j'aimerais citer à cet égard les propos d'une membre chez PEERS:
Je suis profondément préoccupée par le projet de loi C-36. S'il est adopté, cette loi va nuire à ma capacité de filtrer et de sélectionner mes clients et de négocier mes conditions, mes propres conditions de travail, lors de ces rencontres. La criminalisation de mes clients rendra mon travail plus difficile. Je commence déjà à planifier la façon dont je pourrai travailler autour de ces nouvelles lois. Je me sens très nerveuse au sujet de mon avenir et face à ma sécurité.
En conclusion, je ne pense pas que le projet de loi C-36 contienne des dispositions qui favoriseront la santé et la sécurité. Je pense qu'il est très important ici de séparer nos positions morales quant à une sexualité dite appropriée par rapport à nos lois et l'examen de nos droits humains.
J'aurais préféré voir un modèle s'appuyant principalement sur des principes progressifs, tels que ceux mis en place en Nouvelle-Zélande, un modèle qui décourage l'exploitation des jeunes tout en encourageant les travailleuses du sexe à exercer leur métier dans un contexte qui valorise leur droit à la sécurité. Ces principes n'obligent personne à travailler dans l'industrie.
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Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que tous les députés et toutes mes consoeurs et collègues spécialistes.
Je tiens aussi à remercier les techniciens qui ont permis à plusieurs d'entre nous de participer à cet important exercice démocratique grâce à la vidéoconférence.
Notre organisation a envoyé une lettre à Mme Boivin, à M. Casey et à Mme Smith, ainsi qu'un mémoire qui a peut-être été traduit à temps. Dans les lettres que nous avons envoyées aux députés, nous avons inclus la lettre d'une femme qui a été masseuse et hôtesse pendant sept ans, celle d'une femme qui a été forcée de se prostituer dans la rue pendant 22 ans, celle d'une mère dont la fille fait partie des victimes de meurtre à Edmonton, celle d'un ancien client et celle d'une thérapeute qui aide des femmes à se rétablir à la suite de traumatismes complexes. Ils sont avec moi, même si je suis seule ici.
Je connais aussi l'histoire des mesures prises par la communauté pour s'attaquer aux importantes répercussions liées à la présence d'hommes draguant dans nos quartiers. Je me souviens de la peur des enfants qui se faisait harceler en se rendant à l'école et des filles à qui l'on demandait si elles étaient des prostituées. Des hommes harcelaient des femmes qui attendaient l'autobus, faisaient des courses ou vaquaient à leurs occupations.
Je me base donc sur l'expérience de la population d'Edmonton qui a tenté de régler un problème complexe. Il m'apparaît fort important de signaler que pour nous, il ne s'agit pas d'un enjeu partisan. Nous considérons que c'est une question de droit de la personne, de justice sociale et d'égalité des femmes. De l'avis de notre organisation, une personne ne devrait jamais se trouver dans une situation vulnérable ou précaire, quel que soit son âge, parce qu'elle est aux prises avec la pauvreté, l'itinérance, le chômage, l'absence de revenu ou des problèmes de santé physique ou mentale. Nous ne voulons en aucune manière que des personnes vulnérables deviennent des proies.
Il faut aussi se souvenir de notre histoire en tant que pays et colonie; le poids des lois et de la discrimination a surtout frappé les femmes. Nous observons un virage, un virage que nous souhaitons appuyer. Nous le voyons comme un changement générationnel qui se produira sur une période de 30 ans. Il faudra attendre quelques années avant de voir les fruits du changement apporté par cette loi, mais nous sommes convaincus qu'il est important de faire porter la responsabilité d'un acte nuisible à ceux qui en sont responsables.
En Alberta et au Manitoba, de nombreuses initiatives ont été menées par des groupes communautaires, des groupes dirigés par des femmes ayant une expérience concrète, par des chefs politiques, par des procureurs de la couronne et par la police. Au fil des ans, nous avons créé des ressources pertinentes, respectueuses des personnes voulant recevoir des soins de santé ou tout autre service permettant de réduire les préjudices.
Parallèlement, l'exploitation se poursuit. Il nous semble donc important de faire porter la responsabilité de leurs actes aux personnes qui réclament des services sexuels et qui créent un marché favorisant l'industrialisation des femmes et des enfants.
Dans notre mémoire, nous disons que la criminalisation de l'achat de service sexuel aura un effet positif, mais que la criminalisation des personnes qui fournissent ces services aura un effet très préjudiciable. Nous n'appuyons pas la possibilité d'arrêter des enfants, des adolescents et des femmes se trouvant à des endroits où des enfants pourraient être présents. Nous aimerions que cette disposition du projet de loi soit entièrement supprimée. Nous avons trop souvent été aux prises avec la discrimination que d'autres ont évoquée. Je sais qu'à Edmonton, la capitale de l'Alberta, la commission du logement ne permet à personne ayant un casier judiciaire d'obtenir un logement subventionné et que les personnes qui ont déjà fait de la sollicitation n'y sont pas les bienvenues.
Les femmes qui veulent devenir travailleuses sociales dans nos universités ne peuvent pas présenter de demandes, car elles ont un casier judiciaire. Bien souvent, les emplois que postulent des femmes exigent une vérification du casier judiciaire. De nombreuses femmes renoncent, car elles n'ont pas envie de dire quelle était leur occupation, en raison de la stigmatisation.
En 1995, notre organisation a écrit au ministre de la Justice d'alors. Nous lui avons dit qu'en tant que simples citoyens, nous étions conscients qu'il y avait un déséquilibre de pouvoir entre la personne en quête de prostitués et la personne debout au coin de la rue, et qu'à notre avis, il fallait créer différentes options. Nous nous sommes mis au travail dans notre ville et nous avons créé, de concert avec le bureau du procureur, le maire et le ministre de la Justice, un programme pour les délinquants de la prostitution.
Le ministre de la Justice de l'époque a dit que puisque la communauté avait soulevé ce problème, les hommes se verraient infliger une amende d'environ 500 $, et que cet argent serait remis à la collectivité pour réparer le préjudice. Un groupe composé de multiples intervenants, y compris des femmes qui avaient survécues à l'exploitation, des parents dont les filles se livraient à la prostitution de rue, des travailleurs sur le terrain et tous les partis ont déterminé que les priorités étaient l'élimination de la pauvreté, le rétablissement après un traumatisme, des bourses pour que les gens puissent reconstruire leur vie ainsi que la sensibilisation et l'éducation du public.
En Alberta, nous avons eu un certain nombre d'initiatives de sensibilisation publique, mais cette sensibilisation doit être continue; il faut en faire dans les écoles, c'est une question de consentement.
Nous devons transmettre un message. J'aimerais voir dans tous les aéroports un message indiquant qu'au Canada nous ne tolérerons pas l'intimidation et la vente de personnes, afin que les nouveaux arrivants sachent que dans notre pays, on ne peut pas acheter des services sexuels.
Nous aimerions que des programmes en fonction de l'âge soient offerts aux personnes qui pourraient devenir des cibles vulnérables ou des délinquants. Malheureusement, nous voyons de nombreux jeunes hommes commettre des actes de violence contre les femmes. Par conséquent, nous savons qu'il faut trouver des moyens d'apprendre aux jeunes hommes ce qu'est une relation saine et respectueuse.
Nos recommandations indiquent que nous appuyons l'orientation du projet de loi . Nous aimerions que l'article 213 du Code criminel soit supprimé et qu'il y ait des investissements dans des mesures de prévention et des médias sociaux offrant une perspective originale et constructive.
Nous aimerions un investissement de plus de 20 millions de dollars. J'avais mal compris; je croyais que c'était 20 millions de dollars par année. Je peux vous dire que les groupes qui travaillent au Canada, de la PEERS Victoria Resource Society jusqu'à l'autre bout du pays, sauraient faire bon usage de cet argent pour aider les femmes, les hommes et les transgenres quelle que soit leur situation.
Nous croyons aussi qu'il est important d'établir un processus de surveillance et d'évaluation. Toute loi peut être une arme à double tranchant. Il y aura des conséquences attendues et positives; il y aura aussi des conséquences inattendues.
La dernière loi existe depuis 30 ans. Nous croyons que nous devons la réévaluer environ tous les cinq ans afin de savoir ce que nous accomplissons en tentant d'établir des valeurs normatives dans la loi.
Nous aimerions également la mise en place d'un mécanisme afin d'effacer le casier judiciaire de toute personne accusée au titre de l'article 213 par le passé — femme, homme ou transgenre — afin de les soulager de ce fardeau et de les accueillir dans la plénitude de la société canadienne.
En Écosse, même s'il existe des chefs d'accusations touchant la prostitution, les accusations disparaissent. Personne n'a à présenter une demande de pardon; les accusations disparaissent. Nous pouvons faire quelque chose, faire preuve d'originalité. Nous demandons d'effacer tous les dossiers des 30 dernières années.
Voilà nos principaux points. Merci.
Je vous remercie de me donner le privilège de venir témoigner devant le Comité de la justice aujourd'hui au sujet du projet de loi .
Je suis la directrice de l'équipe Defend dignity, une initiative de justice des églises de l'Alliance chrétienne et missionnaire au Canada. Nous agissons comme catalyseur auprès de personnes et d'églises pour qu'elles contribuent à mettre fin à l'exploitation sexuelle au Canada.
La première étape pour mettre fin à l'exploitation sexuelle est d'informer les gens de ce qui se passe dans leur ville et dans leur région. À cette fin, nous avons travaillé en partenariat avec l'Alliance évangélique du Canada afin d'organiser des activités de sensibilisation dans 28 villes, de la Colombie-Britannique aux Maritimes au cours des deux dernières années.
Nous avons été dans de grandes villes et dans de petites villes en utilisant la même formule à chaque endroit. Parmi les présentateurs, il y a des intervenants d'organismes locaux qui travaillent sur le terrain, des policiers de la ville, des survivants, un analyste des politiques ainsi qu'un policier qui fait partie de l'équipe Defend Dignity qui parle de la question de la demande. Les représentants d'organismes gouvernementaux et non gouvernementaux sont invités à faire du réseautage lors de chaque activité, ce qui permet au public d'en apprendre encore plus sur le problème dans leur région.
Un certain nombre de survivants et de représentants d'organismes auxquels nous avons fait appel lors de ces événements témoignent devant le comité.
Ces séances d'information ont permis à Defend Dignity d'acquérir une perspective nationale, de prendre conscience de l'ampleur du problème, de savoir quels services sont offerts ou non dans de nombreuses régions et de constater le manque d'uniformité avec laquelle les policiers appliquent les lois sur la prostitution et protègent les personnes en cause.
Au sein des églises de l'Alliance chrétienne et missionnaire, nous voyons de plus en plus de congrégations faire leur part en offrant des services aux victimes. Dignity House à Winnipeg est une maison de guérison pour le deuxième stade du rétablissement des femmes qui sortent de la prostitution dirigée par la Kilcona Park Alliance Church de cette ville. L'une des églises de l'Alliance soutient aussi U-r home, un réseau de maisons d'hébergement qui s'apprête à voir le jour à Newmarket, en Ontario. D'autres églises examinent des façons d'offrir de l'aide aux victimes.
Le mandat de Defend Dignity découle de notre conviction profonde que chaque personne a une valeur intrinsèque, et que par conséquent tout le monde mérite d'être traité avec dignité quelque soit son genre, sa race, sa couleur ou son statut socioéconomique. Nous croyons que la violence fait partie intégrante de la prostitution, qu'elle opprime les gens et les ramène au rang d'objet ou de commodité. Malheureusement, au Canada, elle est devenue un moyen de survie pour les plus démunis.
J'étais à Ottawa la semaine dernière pour rencontrer Jason Pino, le fondateur et directeur d'un organisme qui s'appelle Restoring Hope, une maison d'hébergement pour les adolescents pendant la fin de semaine, qui est située au centre-ville d'Ottawa. L'organisme a ouvert ses portes en février 2013 pour les adolescents. Quelques semaines plus tard, des adolescents ont cogné à la porte pour demander si elles pourraient avoir une place, car elles étaient forcées de se prostituer juste pour avoir un toit.
Le Canada peut et doit en faire plus pour les jeunes. Nous avons besoin de loi qui protègent les plus vulnérables.
Defend Dignity croit que le projet de loi comporte des points forts qui interdiront l'exploitation, la violence et l'abus qui caractérise la prostitution. Nous appuyons sans réserve la nouvelle infraction interdisant l'achat de services sexuels prévue à l'article 286. Des recherches menées par l'organisme Chicago Alliance Against Sexual Exploitation et l'organisme Eaves en Grande-Bretagne ainsi que les résultats du modèle du Nord en Suède nous apprennent que les accusations criminelles, les amendes, les peines de prison et la divulgation du nom sont les meilleurs moyens de dissuader des clients d'acheter des services sexuels. Rendre les hommes responsables de leurs actes entraînera un changement social en indiquant clairement qu'il n'est jamais acceptable d'acheter un autre être humain et que les femmes ne sont pas des commodités.
En plus de l'infraction qui criminalise l'acheteur, et parce que nous croyons à la valeur et à la dignité des délinquants comme à celle des victimes, nous demandons au gouvernement d'envisager d'obliger chaque délinquant à participer à un programme de détournement de la prostitution. Seules quelques villes au Canada ont des programmes pour les clients des prostituées, mais celles qui en ont rapportent que de nombreux hommes, après avoir terminé le programme, comprennent mieux le tort qu'ils ont causé aux femmes qu'ils ont achetées, aux familles à eux-mêmes. Les intervenants du programme offert par l'Armée du Salut de Saskatoon rapportent qu'il n'y a eu que 8 récidivistes parmi les 699 hommes ayant suivi leur programme, qui a commencé en 2002. Il faut rendre ces programmes obligatoires et les offrir dans les villes canadiennes afin que les délinquants puissent commencer à modifier leurs comportements. Les amendes recueillies pour ces infractions et les sommes recueillies par les programmes destinés aux clients de prostituées devraient être remises à des services qui aident les gens à sortir de la prostitution.
L'article 213 nous préoccupe aussi grandement; c'est pourquoi nous demandons qu'il soit retiré du projet de loi. Il nous préoccupe parce qu'il cible les prostituées les plus vulnérables, qui travaillent dans la rue et se prostituent simplement pour assurer leur subsistance. Ces personnes considèrent n'avoir aucune autre option, parce qu'elles sont pauvres ou itinérantes, souffrent de troubles mentaux ou de toxicomanie ou subissent des pressions. Condamner une personne qui a déjà atteint le fond et lui imposer une amende ne créerait qu'un fardeau inutile. Nous ne croyons pas que ces gestes reflètent l'intention de la loi telle qu'elle est décrite dans le préambule, un préambule qui nous ravit.
Dans le cadre de notre travail, nous avons rencontré des survivants qui, en raison d'accusations liées à la prostitution, n'avaient pas pu finir leurs études et obtenir un bon emploi. Je pense par exemple à une ex-prostituée de l'Ontario, jeune mère monoparentale, qui était aux études et dont le casier judiciaire a été vérifié parce qu'elle devait faire un stage pour obtenir son diplôme. Étant donné les accusations de prostitution, aucun employeur n'a voulu l'accepter, et elle n'a pas pu terminer son programme. Elle a été victimisée de nouveau à cause des accusations portées au criminel.
Selon Defend Dignity, il n'est pas raisonnable, d'un côté, d'affirmer que la prostitution est fondamentalement une forme d'exploitation et que la plupart des prostituées risquent de subir de la violence et, de l'autre côté, de porter des accusations contre elles. Comme la plupart des prostituées sont victimes de violence, on ne devrait pas déposer d'accusations contre elles. Quand nous travaillons avec les prostituées et les survivants, la violence est un thème récurrent. Il n'y a, dans le Code criminel, aucune autre situation où les victimes de violence font l'objet d'accusations. Les accusations ne devraient viser que ceux qui posent des gestes violents.
Le bureau du ministre de la Justice a répondu à Defend Dignity que les forces policières pourraient traiter ces infractions à leur discrétion. Cela nous préoccupe. Les 28 événements que nous avons organisés nous ont permis d'interagir avec des corps policiers de partout au pays. Nous avons constaté qu'il existe des divergences dans la façon dont ceux-ci considèrent la prostitution, traitent les prostituées et appliquent les infractions criminelles liées à la prostitution. À certains endroits, les services de police ont déjà adopté le nouveau paradigme décrit dans le préambule du projet de loi: ils voient les prostituées comme des victimes de violence et d'exploitation, s'efforcent de les aider et offrent des services de transition.
À d'autres endroits, par contre, les corps policiers nient l'existence de la prostitution. Ils ignoraient même, jusqu'à ce qu'on le leur signale, que des publicités sur Internet annonçaient des femmes « à vendre » dans leur ville. À ce même endroit, la police niait l'existence de prostitution alors que des intervenants-jeunesse s'occupaient de jeunes mineures qui vendaient leur corps pour se procurer de la drogue. Par ailleurs, d'autres policiers ont indiqué que leur méthode habituelle consistait à porter des accusations contre les prostituées et à les mettre en prison.
Dans le contexte de la nouvelle loi concernant la prostitution, il faudra sensibiliser les policiers de partout au pays aux réalités de la prostitution, y compris à l'exploitation et à la violence qui y sont liées. Il est essentiel que cette formation commence dès l'entrée en vigueur de la loi. Nous ne pourrons jamais trop le répéter.
S'il m'apparaît essentiel de bien former les policiers, c'est notamment en raison d'un voyage au Nunavut, où j'ai entendu le témoignage de femmes exploitées sexuellement par des membres de leur famille. Les policiers du Nord canadien doivent être sensibilisés au problème de la prostitution familiale et savoir comment traiter ces situations.
Pour que le projet de loi puisse porter fruit, sa mise en oeuvre exigera un travail de sensibilisation, notamment auprès des juges, des procureurs et des autres intervenants du système de justice.
Defend Dignity voit d'un bon oeil le nouveau financement de 20 millions de dollars que le gouvernement promet de consacrer à des services de transition. Cette somme n'est toutefois pas suffisante, si on la compare aux 8 millions de dollars que le Manitoba consacre chaque année à cet enjeu. Nous encourageons le gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces, les organisations de première ligne et les groupes confessionnels, comme c'est déjà le cas dans le cadre du Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes.
Grâce à la nouvelle loi, le Canada deviendra bientôt un meilleur pays pour d'innombrables hommes, femmes et enfants victimes d'exploitation sexuelle, et pour tous ceux qui risquent d'être exploités. Cette loi commencera à façonner la société et le pays d'une façon positive. Elle contribuera à bâtir une société canadienne dans laquelle les gens ne sont pas des objets, les hommes sont tenus responsables de leurs gestes, et tout le monde est à l'abri des prédateurs. Il est donc crucial que la nouvelle loi sur la prostitution reconnaisse les effets négatifs qu'a la prostitution sur les personnes et sur la société, qu'elle cherche à décourager cette activité, et qu'elle s'efforce de l'abolir.
Defend Dignity appuie le projet de loi et propose qu'on y apporte les améliorations suivantes afin de renforcer la politique et la mesure législative.
Premièrement, il faudrait éliminer l'article 213 du projet de loi C-36, de sorte qu'aucune personne qui se prostitue ne soit coupable d'une infraction parce qu'elle a communiqué avec une personne dans le but d'offrir ou de fournir des services sexuels.
Deuxièmement, lors de la mise en oeuvre de la nouvelle loi, il faudrait fournir une formation standard aux policiers, aux procureurs de la Couronne et aux juges, afin d'expliquer la nouvelle façon de voir la prostitution.
Troisièmement, il faudrait obliger les clients à participer à un programme de sensibilisation destiné aux clients de la prostitution, et utiliser les fonds ainsi recueillis pour financer les services de transition offerts aux prostitués.
Quatrièmement, il faudrait accroître le nouveau financement consacré aux services de transition pour qu'il corresponde, toutes proportions gardées, à la somme que le gouvernement du Manitoba investit chaque année dans la lutte contre l'exploitation sexuelle.
Et cinquièmement, il faudrait collaborer avec les provinces, les groupes confessionnels et les organisations de première ligne afin d'offrir des portes de sortie aux personnes qui se prostituent.
Je vous remercie de l'attention que vous porterez à mes observations.
C'est dommage que vous ne puissiez pas me voir, car je suis particulièrement ravissante aujourd'hui.
J'aimerais tout d'abord remercier les Premières Nations du Traité no 7, car je me trouve actuellement sur leur territoire.
Monsieur le président, honorables membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir pendant l'examen du projet de loi .
Je m'appelle Marina Giacomin, et je suis directrice exécutive de l'organisme Servants Anonymous Society de Calgary. Travailleuse sociale depuis plus de 25 ans, je me concentre surtout sur les enjeux qui touchent les femmes et les enfants, par exemple la violence, la pauvreté et l'itinérance.
J'ai moi-même été victime de violence et d'exploitation sexuelle, de ma petite enfance jusqu'au début de la vingtaine, notamment à 16 ans, alors que je fréquentais le Downtown Eastside de Vancouver, en Colombie-Britannique. Il y a maintenant 25 ans que je me suis libérée de cet univers.
En mon nom personnel, au nom de SAS, Servants Anonymous Society Calgary et, surtout, au nom des centaines de femmes et de filles avec lesquelles nous avons travaillé, je tiens à remercier le gouvernement du Canada d'avoir présenté le projet de loi et de reconnaître que la prostitution est une activité fondamentalement violente, qui constitue une forme de violence contre les femmes. Nous appuyons l'abolition de la prostitution au Canada, et nous vous encourageons à appuyer ce projet de loi.
Je me concentrerai aujourd'hui sur la transition des ex-prostituées. Je décrirai tout d'abord SAS Calgary, son expérience et son expertise.
Depuis 25 ans, Servants Anonymous Society Calgary offre un service complet, à participation volontaire, aux femmes et aux filles de 16 ans et plus, avec ou sans enfants, qui veulent se sortir de la prostitution, de l'exploitation sexuelle et de l'industrie du sexe, et se remettre de la violence et des traumatismes qu'elles ont vécus.
Nous avons recueilli des données sur plus de 700 femmes et filles qui ont bénéficié de nos services. Parmi celles-ci, 100 % ont vécu de la violence, environ 40 % se déclarent Autochtones, et 75 % ont 24 ans ou plus, bien que 90 % d'entre elles aient commencé dans l'industrie du sexe à l'adolescence, généralement autour de 14 ans.
Les services que nous offrons sont les plus complets au Canada, à notre connaissance. Nous venons en aide à des femmes et à des enfants de partout au pays. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police locaux, notamment l'unité du vice et du crime organisé de la police de Calgary. Depuis plusieurs années, c'est d'ailleurs notre organisme qui offre aux recrues du service de police de Calgary la sensibilisation et la formation obligatoire sur la façon d'appliquer les lois sur la prostitution avec compassion. Nous collaborons aussi avec des établissements correctionnels sous responsabilité provinciale et fédérale, ainsi qu'avec la GRC et, à l'occasion, l'Agence des services frontaliers du Canada.
Servants Anonymous Society Calgary offre le programme SAFE, qui permet aux femmes et aux filles de quitter immédiatement le monde de la prostitution. Des professionnels s'occupent de ce programme 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Le programme prévoit l'accès à des soins médicaux ainsi que des services de désintoxication et une aide aux toxicomanes, en cas de besoin. C'est aussi à cette étape que les participantes peuvent commencer à se remettre de leurs traumatismes.
Le programme SAFE, un programme de stabilisation, dure de 30 à 45 jours. Voici ce que montre l'examen récent des résultats obtenus par plus de 100 participantes: après une participation d'une semaine au programme SAFE, 40 % des participantes réussissent à quitter la prostitution et à passer à un environnement stable et sécuritaire. Après une participation de deux semaines, le taux de réussite est de 50 %. Et parmi les femmes qui participent au programme pendant quatre semaines ou plus, 90 % réussissent à abandonner la prostitution pour passer à un environnement stable et sécuritaire.
Après le programme SAFE, SAS offre un hébergement de transition dans cinq maisons de la ville, où les femmes vivent avec une personne bénévole ou un colocataire qui les soutient. Nous avons aussi des logements permanents et indépendants dotés de services de soutien. En effet, nous sommes propriétaires de plusieurs appartements. Un bénévole qui vit dans l'immeuble veille à la sécurité, en plus d'offrir aux femmes et aux filles l'appui dont elles ont besoin. Enfin, grâce à notre partenariat avec la régie du logement, nous offrons des logements permanents abordables dans la communauté.
Par ailleurs, les participantes assistent chaque jour à une formation axée sur les connaissances pratiques de la vie quotidienne. Le programme de formation a été conçu par d'anciennes participantes et des femmes qui ont connu la prostitution et l'exploitation sexuelle. Chaque participante est jumelée à un intervenant ou à un conseiller, par exemple un travailleur social ou un conseiller en toxicomanie, qui gère son dossier et lui offre de l'appui. Certains de nos employés sont d'anciennes participantes qui ont obtenu un diplôme en service social. Mentionnons aussi que nous avons un service professionnel de garderie sur place. Nous offrons une thérapie axée sur le développement des enfants, les compétences parentales et le lien d'attachement, ainsi qu'un programme de soutien à domicile pour les femmes vivant avec des enfants.
Bon nombre des mères qui participent au programme de SAS se voient confier de nouveau la garde de leurs enfants par les services de protection de la jeunesse, et un très fort pourcentage de femmes enceintes peuvent garder leur enfant après la naissance. Signalons que, dans bien des cas, les femmes se décident à quitter la prostitution et à nous contacter soit parce qu'elles ont subi un épisode extrêmement violent où elles craignaient pour leur vie, soit parce qu'elles sont enceintes.
Le dernier volet du programme offert par Servants Anonymous Society Calgary consiste en un service d'aide à l'emploi d'une durée de six mois. Nous continuons d'offrir un suivi et un soutien aux anciennes participantes, de façon à leur faciliter l'accès aux services de la communauté ou à leur permettre de revenir à SAS au besoin. Nous les aidons aussi à préparer un C.V., à chercher un emploi et à se préparer aux entrevues. Nous offrons, par l'intermédiaire de notre entreprise sociale, des stages rémunérés, sur place et dans la communauté, ainsi que des bourses d'études. D'ailleurs, plusieurs anciennes participantes ont fait des études universitaires ou d'autres études postsecondaires afin de poursuivre leur scolarité et d'améliorer leur employabilité à long terme. Parmi les femmes qui suivent tout le programme de SAS, 88 % vivent par la suite sans prostitution et sans exploitation sexuelle, dans un logement stable et sécuritaire, pendant au moins deux ans.
Le ministère de la Justice et du solliciteur général de l'Alberta a demandé une évaluation indépendante du rendement socioéconomique de nos services. Cette évaluation s'est déroulée de 2009 à 2012. Elle a montré que chaque dollar investi par le gouvernement produit un rendement socioéconomique de 8,57 $. Ainsi, les contribuables économisent, puisqu'on réduit les coûts associés à l'itinérance, au travail des organismes d'application de la loi, à l'utilisation inappropriée des ambulances, des services médicaux d'urgence et des hospitalisations, aux incarcérations, aux interventions visant à assurer le bien-être des enfants, et aux enquêtes sur les homicides. De toute évidence, les services complets qui aident les femmes à quitter la prostitution profitent grandement aux femmes et à la communauté.
SAS Calgary se réjouit que le gouvernement du Canada reconnaisse que ces services sont essentiels et prévoie des ressources financières afin d'aider les ex-prostitués à quitter cet univers et à se bâtir une vie plus sécuritaire. Nous appuyons le projet de loi , de même que l'importance accordée à la criminalisation des proxénètes, des trafiquants et des clients, et les amendes imposées à ces personnes. Nous avons trop souvent constaté les effets à long terme de la violence et des traumatismes causés par l'industrie du sexe. Ce projet de loi marque donc un premier pas nécessaire, qui aura un effet dissuasif sur ceux qui exploitent les personnes les plus vulnérables de la société. Cette mesure exigera de petites modifications, selon nous. Néanmoins, pour la première fois dans l'histoire du Canada, les femmes exploitées par l'industrie du sexe sont considérées avec dignité. Elles ne sont pas vues comme des êtres nuisibles, mais bien comme des personnes qui méritent qu'on les aide à s'extirper des situations de violence et d'exploitation qui sont leur lot.
Depuis le dépôt du projet de loi , le lobby pro-prostitution s'est beaucoup fait entendre. D'après ce lobby, certaines femmes choisissent la prostitution parce qu'elles y voient une carrière viable. Les médias ont abondamment véhiculé ce point de vue, qui représente peut-être une infime partie des prostituées. Nous n'avons pas l'intention de reprendre ce débat aujourd'hui. Nous voulons simplement nous assurer que les déclarations pro-prostitution n'étouffent pas la voix des femmes qui ont survécu à l'exploitation et à la prostitution.
Le point essentiel que le comité et les Canadiens doivent garder à l'esprit, c'est que la majorité des femmes et des filles qui se prostituent sont exploitées, qu'elles sont forcées de se prostituer et subissent des menaces et de la violence. La légalisation ne devrait pas faire partie des options envisagées. Ce n'est pas un emploi.
Les données démontrent qu'un grand nombre de femmes et de filles quitteraient la prostitution si elles en avaient les moyens. Nous le savons parce que nous gérons l'un des plus importants programmes de transition au pays et que nous devons parfois refuser des femmes, des filles et des enfants parce que nous manquons de place pour les accueillir. Ainsi, nous avons actuellement 14 femmes sur la liste d'attente; elles devront attendre un mois ou deux, en moyenne, avant de pouvoir obtenir une place. Ces semaines d'attente peuvent devenir une question de vie ou de mort pour ces femmes, qui sont la fille, la mère, la soeur de quelqu'un.
Les recherches montrent aussi clairement que, lorsqu'on met l'accent sur la criminalisation des proxénètes, des clients et des trafiquants, on aide les femmes vulnérables à quitter la prostitution, et on amène le public à comprendre que la prostitution constitue un problème d'inégalité entre les sexes et une violence faite aux femmes.
Nous aimerions recommander un amendement, plus précisément à l'article 213 (1.1), qui parle des infractions liées à la communication dans les situations où des enfants ou des jeunes de moins de 18 ans pourraient être présents. Bien que SAS appuie le but du projet de loi — qui vise d'une part à éviter que se propage l'objectification sexuelle des femmes et, d'autre part, à protéger les enfants impressionnables contre les effets néfastes de la prostitution sur la société — nous croyons que cette disposition ne devrait pas s'appliquer aux prostituées, puisqu'elles sont elles-mêmes des victimes. Nous recommandons que le projet de loi soit amendé en ce sens.
Selon nous, les clients seront dissuadés de chercher les services d'une prostituée dans ces endroits si on applique rigoureusement le projet de loi et qu'on impose les amendes et punitions considérables qui sont prévues. On pourra ainsi poursuivre les objectifs décrits dans le préambule du projet de loi sans criminaliser les prostituées.
Selon nous, ce changement pourrait éviter que la mesure législative soit contestée pour des motifs juridiques ou liés aux droits de la personne. Avoir des relations sexuelles n'est pas un droit; avoir accès au corps d'une autre personne à cette fin n'est pas un droit non plus. Par contre, nous avons tous droit à la sécurité et à la protection. Ce changement aidera les personnes les plus vulnérables à demander l'aide de la police et à faire des démarches pour quitter la prostitution.
Nous avons travaillé avec des centaines de femmes et de filles, et nous avons constaté que toutes ont vécu de la violence et des traumatismes, qu'elles aient été forcées de se prostituer très jeunes ou qu'elles aient choisi cette voie parce qu'elles avaient très peu d'options, ou des options vraiment intolérables. Une fois entrées dans l'univers de la prostitution, bien des femmes et des filles restent prises dans l'engrenage. Comme l'a expliqué une participante de notre programme, « ton souteneur arrêtera de te vendre seulement si tu meurs ou si tu es séropositive. Si tu es séropositive, les motards [tout comme les gangs et les clients violents] te tueront eux-mêmes ». La violence règne. À l'intérieur comme à l'extérieur, il n'y a pas de différence.
Le projet de loi prévoit des mesures dissuasives à l'endroit de ceux qui souhaitent traiter les femmes comme des objets et des marchandises à commercialiser. Grâce à ces ajouts au Code criminel, les organismes d'application de la loi et les procureurs seront mieux outillés pour protéger les femmes et combattre le crime organisé. Nous devrions tous être fiers de cette solution tout à fait canadienne.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Merci à toutes d'être présentes parmi nous aujourd'hui. Vous constituez l'avant-dernier groupe de témoins concernant le projet de loi . Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a évidemment la tâche d'étudier ce projet de loi. L'approche du comité est souvent très juridique, ce qui peut clairement sembler être déconnecté de vos réalités respectives.
Comme avocate, j'ai représenté des centres d'hébergement pour femmes violentées. Je vais vous dire que ce n'est pas évident. Ce n'est pas un travail toujours facile. On lève donc notre chapeau bien haut à tous ceux et toutes celles qui travaillent dans des milieux où les femmes sont exploitées, violentées et traitées avec un manque de respect flagrant. Nous sommes plusieurs à travailler jour et nuit pour contrer ce fléau. On a quand même un travail juridique à faire ici et je vais donc me concentrer sur cette question.
On comprend le travail que vous avez à faire. J'ai un petit parti pris pour les CALACS. J'admire le travail que vous faites. Je les connais peut-être mieux que les autres groupes qui sont ici. Je remercie encore une fois ces groupes de nous faire part de leurs expériences. Je remercie également les gens de l'extérieur du Canada. J'apprécie l'expérience des autres pays, parce que cela peut élargir nos horizons. Par contre, notre cadre législatif est parfois différent de celui d'autres pays. Nous sommes pris avec cet encadrement juridique.
Le CALACS de l'Outaouais m'a transmis son mémoire. Il rejoint en grande partie ce que vous avez dit, madame Sarroino.
Pouvez-vous nous parler un peu plus du travail que vous faites au quotidien pour lutter contre les agressions sexuelles? On constate que celles-ci sont souvent liées à de la violence conjugale. Vous avez malheureusement recensé beaucoup trop de cas.
Pouvez-vous nous faire un survol du travail que vous faites dans votre milieu? Pouvez-vous nous expliquer encore plus à fond la raison pour laquelle l'article 213 est si dommageable si on part de la prémisse que les femmes sont victimes de la prostitution? À mon avis, cet article est presque une fin de non-recevoir de ce projet de loi. On ne peut pas dire une chose et faire son contraire en même temps.
Pouvez-vous nous expliquer un peu plus la nature du travail de votre regroupement dans les différentes régions? En même temps, pouvez-vous vous exprimer quant à savoir là où le bât blesse clairement dans ce projet de loi?
Certains pensent que c'est une façon de se cacher. Selon moi, l'article 213 est là où le bât blesse dans ce projet de loi. C'est la même chose pour les 20 millions de dollars. J'aimerais vous entendre un peu plus à fond à ce propos.
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Ni l'un, ni l'autre. Il y a beaucoup d'inceste.
Avec la cyberprédation, on voit toutefois de plus en plus de jeunes victimes d'agression, ainsi que de plus en plus de femmes qui le sont à la suite de rencontres sur Internet.
Il y a quelques cas liés à la violence conjugale. Il y en a effectivement aussi dans le cadre de la prostitution, selon la région du Québec.
Notre deuxième volet, qui est très important, c'est la prévention et la sensibilisation. Comme je l'ai mentionné, nous rejoignons près de 25 000 à 28 000 étudiants par année dans les écoles du niveau secondaire. Je ne connais pas la situation au Canada, mais on sait qu'au Québec, on a retiré les cours d'éducation sexuelle à l'école, ce qui cause de grands torts aux jeunes d'aujourd'hui. Nous essayons de pallier ce manque d'éducation sexuelle, principalement par rapport aux agressions, aux relations amoureuses et au respect dans les relations ou au consentement. Ce sont là des sujets que nous abordons dans le cadre de la prévention et de la sensibilisation.
Nous touchons également à la défense des droits, ce qui est essentiellement ce que je fais en ce moment. Nous parlons beaucoup de tous les enjeux liés à la violence sexuelle envers les femmes. Notre regroupement croit que la prostitution est l'ultime violence sexuelle faite aux femmes. Voilà principalement les interventions que font les CALACS.
Je suis très contente d'entendre parler de l'article 213. J'écoute depuis plusieurs jours les témoignages. Peu importe qu'on soit en faveur des travailleuses du sexe, qu'on soit religieux ou non, d'un côté ou de l'autre, tout le monde est d'accord pour qu'on retire cet article du projet de loi.
Il n'est pas cohérent avec le préambule, ni avec l'objectif de la loi qui vise à complètement décriminaliser les femmes puisque, comme nous le croyons, elles sont victimes de leur propre exploitation. C'est très clair. Ce n'est pas consistant. On s'entend que cela va criminaliser les femmes les plus vulnérables, celle qui sont aux prises avec la toxicomanie et qui sont, de façon disproportionnée, des femmes autochtones dans plusieurs régions du Canada.
Il faut faire très attention à ne pas victimiser davantage ces femmes, qui sont déjà très vulnérables.
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Bien sûr. Je vous remercie de votre question, madame Smith.
Voici trois des services importants qu'il faudrait probablement offrir: la possibilité de quitter immédiatement le monde de la prostitution, des options de logement abordables à long terme et des programmes de préparation à la vie quotidienne. Dans le cas de la préparation à la vie quotidienne, il ne s'agit pas simplement de connaissances générales. Notre programme de préparation à la vie quotidienne a été conçu par des femmes qui ont connu la prostitution ou l'exploitation sexuelle. Quand il est question du budget, par exemple, on examine vraiment cette question en profondeur. Nous discutons tout d'abord de notre relation à l'argent. Nous abordons donc la question dans une perspective psycho-éducative, avant de mettre l'accent sur les compétences. Les connaissances pratiques de la vie quotidienne sont extrêmement importantes, tout comme les relations avec les autres.
Cet aspect est particulièrement important pour les femmes qui comptent retourner aux études ou trouver un emploi, parce que certaines ont du mal à établir de bonnes relations. Fait intéressant, nous avons constaté qu'elles avaient surtout du mal à établir des relations avec d'autres femmes. Cela s'explique principalement par le fait que, pendant une grande partie de leur vie, elles ont appris à se rendre attirantes aux yeux des hommes et à établir des relations avec les hommes. Mais elles ont eu moins d'occasions d'établir de bonnes relations avec des femmes. Nous avons donc vraiment à coeur de créer une ambiance de solidarité féminine, où tout est fondé sur la mutualité. Nous n'avons aucunement la prétention d'être les experts quand il s'agit de la vie d'une autre personne. Chacune est l'experte de sa propre vie et peut nous dire de quels services elle a besoin pour faciliter sa guérison, sa transition ou la prochaine étape de sa vie, quelle qu'elle soit.
Troisièmement, il m'apparaît extrêmement important que les femmes puissent poursuivre des études et se préparer à occuper un emploi, afin qu'elles aient plusieurs options. Comme on le sait, la pauvreté est l'un des principaux facteurs qui mènent à la prostitution et à l'exploitation. Quand on voit à ce que les femmes aient les compétences et les ressources financières requises pour s'en sortir, elles réussissent extrêmement bien; elles peuvent suivre la voie qui les intéresse et poursuivre leurs propres objectifs.
Pour ce qui est des partenariats, nous avons un partenariat avec les services de police. Nous recevons du financement de divers échelons de gouvernement et de nombreux donateurs privés. Le gouvernement provincial nous verse un petit financement par l'entremise de la confiscation de biens au civil, qui est liée à la prévention du crime. Ce serait aussi une façon d'utiliser les fonds fédéraux, je crois. De plus, grâce à notre partenariat avec la Ville de Calgary, nous pouvons travailler à renforcer le lien d'attachement entre les mères et les enfants qui ont été longtemps séparés. En effet, quand ces mères retrouvent la garde de leurs enfants, de multiples défis peuvent se présenter. L'administration municipale nous soutient dans ces efforts. Nous avons aussi établi d'excellents liens avec tous les partis politiques de l'Alberta, étant donné que notre organisme est, bien sûr, non partisan.
Bref, oui, je crois que ce projet de loi foisonne de possibilités. C'est pourquoi j'adore le Canada. Je suis vraiment fière d'être canadienne. L'innovation des Canadiens dans des domaines comme l'itinérance me ravit. À Calgary, nous cherchons à mettre fin à la pauvreté. En tant que pays, nous discutons de la prostitution et des solutions qui répondront le mieux aux besoins des femmes. Je crois très fermement que nous devrions être fiers de ce projet de loi, et que nous pouvons vraiment changer la vie de femmes et de filles du Canada.
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Un grand, grand merci, M. Casey.
En fait, nous en avions parlé il y a deux ans lors du débat sur le projet de loi. J'étais l'une des 16 témoins qui ont comparu devant le comité indépendant. Nous avions alors fourni des documents sur les effets néfastes des casiers judiciaires. Malheureusement, je pense que ces documents dorment sur des tablettes.
Nous avons donc estimé qu'il était important d'en parler de nouveau dans le mémoire présenté au comité permanent afin d'aider les femmes, les hommes et les transgenres que nous avons rencontrés et qui sont écrasés sous le poids de leur casier judiciaire.
Répétons que nous avons fait quelques recherches. J'ai mentionné qu'en Écosse, le casier judiciaire disparaît de lui-même, la personne n'a rien à faire. Je pense que nous avons fait en sorte que le pardon — je sais maintenant qu'il ne s'agit même plus d'un pardon — soit beaucoup trop difficile à obtenir, beaucoup trop cher, et que nous continuons de punir les gens.
Nous aimerions qu'une tout autre approche soit adoptée afin que l'objet même du projet de loi reconnaisse les vulnérabilités qui découlent de l'exploitation. Il faut que nous fassions un pas de plus et que les casiers judiciaires soient lavés. Les États-Unis le font, et, dans bien des cas, ce fut une réussite.
Nous avons mis en oeuvre un programme de déjudiciarisation à Edmonton qui fonctionne depuis 2002. La Couronne nous permet d'inciter les femmes à établir leur propre plan de déjudiciarisation — elles disent ce qu'elles estiment être la cause de leur exploitation — parce que bien des femmes sont accusées aux termes de l'article 213. Par la suite, nous présentons le plan à la Couronne, qui doit l'approuver. Il nous incombe ensuite de soutenir les femmes dans la réalisation de leur plan.
Des procureurs de la Couronne très créatifs ont retiré huit accusations — notamment celles visant les infractions prévues à l'article 213, défaut de comparution, mandat pour violation de condition — et ils ont lavé ces dossiers avant même qu'ils deviennent officiels. Voici le problème: bien des gens n'ont pas encore entrepris les démarches menant à la suspension du casier parce que cela coûte trop cher, et ils continuent d'assumer le poids de leur casier judiciaire, lequel date parfois des années 1990.
Nous serions très heureux de vous faire parvenir tous les travaux et les recherches que nous avions préparés pour notre comparution devant le comité indépendant. Je pense que nous rendrions grand service aux gens et que nous leur redonnerions espoir si nous les aidions à se sortir de leur situation affligeante et à cesser d'être victimes de discrimination; si nous leur offrions la possibilité de s'instruire, d'obtenir le logement social dont ils ont besoin et d'aller à l'école s'ils souhaitent devenir travailleurs sociaux; et si nous leur donnions la chance de faire partie de la communauté.
Merci beaucoup d'avoir soulevé ce point.
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Merci, monsieur le président.
Avant de passer à mes autres questions, j'aimerais signaler que certains des plus importants cas de traite de personnes au Canada ont eu lieu dans la région de Toronto. Dans ma région, l'ouest de Toronto, ainsi qu'à Hamilton, il y a eu des cas internationaux de traite de personnes liés à l’industrie du commerce du sexe. La traite de personne ne se produit donc peut-être pas dans l'ensemble du pays. Les expériences sont différentes selon l'endroit, et je pense que, dans des régions où il y a beaucoup de néo-Canadiens et de trafic international, on est susceptible d'observer ce genre d'activité. Je soupçonne que les témoins qui ont comparu devant nous plus tôt aujourd'hui et qui ont parlé des femmes asiatiques prisonnières de cette industrie diraient probablement qu'un bon nombre de femmes asiatiques viennent au Canada en tant que victimes de l'industrie du sexe.
Je tiens à dire à chacune d'entre vous que je vous remercie grandement d'être venues ici et de nous avoir fait part de toute votre expertise et de votre expérience. Je veux également remercier tous les témoins ayant comparu devant nous lors de chacune des séances cette semaine. Il est grand temps que nous ayons une discussion nationale sur cette question. Parfois, des questions sont soumises au Parlement pour des raisons tordues et de façons que nous ne pouvons pas prévoir. Cependant, trois personnes ont porté une affaire devant les tribunaux il y a de nombreuses années. Cette affaire est parvenue jusqu'à la Cour suprême, comme nous le savons tous, et cette dernière a rendu une décision rédigée par la juge en chef. C'est pourquoi nous sommes tous ici aujourd'hui pour discuter de cette question très importante.
Que ce soit notre choix ou non, il est bien que nous ayons cette discussion et, peu importe notre décision, je crois que la situation au Canada sera meilleure à l'avenir. La juge en chef McLachlin a dit au Parlement du Canada, aux 10 députés que vous voyez devant vous aujourd'hui, au quelque 300 autres députés qui ne sont pas ici avec nous, mais qui regardent ce qui s'y passe très attentivement, ainsi qu'aux sénateurs, que l'encadrement de la prostitution est un sujet complexe et délicat. Je pense que, d'après tout ce que vous avez dit et tout ce que nous avons entendu, qu'il est évident que cette affirmation est vraie.
Il incombera au Parlement, s'il choisit de le faire, de concevoir une nouvelle approche. Une option s'offre à nous. Nous pouvons choisir d'adopter l'option qui s'offre à nous, sous sa forme actuelle. Nous pouvons décider d'y apporter des changements. Nous pourrions choisir de ne rien faire du tout, comme l'ont demandé deux des personnes qui nous ont soumis cette affaire. Hier, nous avons entendu les témoignages de Mme Scott et de Mme Lebovitch, et elles aimeraient que nous ne fassions rien, que nous ne touchions pas aux dispositions qui ont été invalidées par la Cour suprême, mais qui doivent être laissées en suspens pendant l'année se terminant en décembre. Elles veulent aussi que la prostitution au Canada soit légalisée et qu'elle soit exercée en toute latitude, sans réglementation et sans entrave, à n'importe quel moment, n'importe où, et à la discrétion des acheteurs et des vendeurs.
Que croyez-vous que nous devrions faire? Devrions-nous faire quelque chose ou ne rien faire? Devrions-nous choisir de criminaliser l'achat de services sexuels? Et si nous ne faisons rien, que sera, d'après vous, la situation au Canada le lendemain et au cours des 10 prochaines années? Dans quelle situation nous trouverons-nous dans 10 ans? Plus tôt cette semaine, nous avons entendu le témoignage d'experts sur la situation en Europe, et ils nous ont dit que, en Allemagne, où, à l'heure actuelle, la prostitution est légalisée et exercée en toute latitude, il y a plus de 400 000 travailleurs du sexe, et il y a eu une augmentation considérable de la traite de personnes. Il s'agit surtout de personnes qui entrent en Allemagne à partir de l'Europe de l'Est, mais il y en a aussi qui viennent d'autres pays. Inversement, nous avons entendu que l'expérience a été différente en Suède. C'est ce qu'a affirmé l'un des principaux auteurs du modèle suédois, que nous examinons aujourd'hui. En effet, en Suède, il y a moins de violence, de travailleurs du sexe, d'achat de services sexuels et de cas de traite de personnes.
Étant donné tout cela, j'aimerais connaître votre opinion sur ce que vous croyez que nous devrions faire? Devrions-nous faire quelque chose ou devrions-nous détourner le regard et ne rien faire du tout?
Commençons par vous, madame Steacy.