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Monsieur le Président, je m'excuse auprès de mon collègue d'interrompre la période de questions. J'espère que cette interruption donnera aux députés ministériels et à ceux de l'opposition l'occasion de trouver de meilleures questions à lui poser lorsque j'aurai terminé mon intervention.
Quoi qu'il en soit, je soulève une question de privilège au sujet des questions écrites nos 2068, 2069 et 2070, que j'ai soumises le 7 décembre 2023.
Je vous demande de tenir compte des trois éléments de preuve suivants lorsque vous examinerez ma demande. Premièrement, je vous demande d'examiner les questions que j'ai soumises au gouvernement. Deuxièmement, je vous demande de regarder les réponses que le gouvernement a fournies à mes questions. Troisièmement, je vous demande également d'examiner les aspects procéduraux de cette question, ce que les experts en procédure ont dit à ce sujet et le précédent troublant qui est en train d'être établi à l'égard des questions écrites. J'espère que vous constaterez que la façon dont le gouvernement traite les questions écrites remet en cause son respect du droit des parlementaires de demander des renseignements au nom de leurs concitoyens et de tous les Canadiens.
Vous remarquerez que mes trois questions portent sur la politique étrangère canadienne, plus précisément sur le conflit de longue date entre Israël et la Palestine. Bien que ce soit évidemment un sujet qui fait l’objet d’un débat sérieux au Canada, ma question de privilège ne vise pas à débattre de la crise et du génocide potentiel à Gaza, mais plutôt à exprimer de graves préoccupations à propos du refus du gouvernement de fournir des réponses aux questions claires soulevées par mes concitoyens et par des Canadiens de tout le pays. Je crois que le gouvernement ne s'acquitte pas de ses responsabilités envers les parlementaires en traitant les questions écrites comme il le fait.
Je vais d'abord parler de la réponse que j'ai reçue à la question écrite n o 2068. J'ai posé une question sur l'exportation de biens ou de technologies militaires vers Israël. Ma question comportait 22 sous-questions très précises, comme c'est la norme pour les questions écrites. Je ne lirai pas toute la question à la Chambre puisqu'on peut la retrouver dans les Feuilletons précédents. Cependant, je vais donner des exemples du niveau de spécificité des sous-questions.
Voici un aperçu des points que j'ai abordés:
[Affaires mondiales Canada] a-t-il revu son évaluation des permis d'exportation vers Israël à la lumière de la crise humanitaire à Gaza et de la situation en Cisjordanie; [Affaires mondiales Canada] a-t-il relevé des violations graves du droit international humanitaire ou du droit international des droits de la personne depuis le 7 octobre 2023; selon l'analyse d'[Affaires mondiales Canada], la mort de plus de 6 500 enfants et de 4 000 femmes constitue-t-elle une forme de violence grave à l'égard des femmes et des enfants?
Depuis, le nombre d'enfants tués a doublé et dépasse maintenant les 12 000.
J'ai reçu une réponse passe-partout, du genre copier-coller, qui ne répond pas spécifiquement à ma question. De plus, et c'est un point qui m'inquiète au plus haut point, la réponse contredit des renseignements contenus dans le rapport intitulé « Exportations des marchandises militaires » de 2022 déposé à la Chambre, qui dit clairement qu'on a délivré 199 licences d'exportation pour des marchandises et des technologies militaires destinées à Israël et que 315 licences d'exportation ont été utilisées cette année-là. Par ailleurs, le Canada a exporté à destination d'Israël plus de 21 millions de dollars de marchandises et de technologies militaires pendant l'année précédant le rapport de 2022. La réponse à ma question Q‑2068 ne mentionne toutefois aucune de ces données.
Ajoutons que la réponse que j'ai reçue contredit les renseignements qu'Affaires mondiales Canada a fournis au Globe and Mail lorsqu'il a admis que le Canada avait envoyé des biens militaires non létaux, ce qui semble être un euphémisme pour désigner des pièces et des composants de qualité militaire qui font partie de systèmes extrêmement létaux et pourraient nécessiter des licences d'exportation.
Je me demande pourquoi les renseignements fournis par le gouvernement en réponse à ma question écrite contredisent les renseignements qu’il a fournis aux médias et dans un rapport présenté à la Chambre. Le gouvernement a la responsabilité de fournir des renseignements exacts à la Chambre. Qu’est-ce qui explique ces incohérences dans la réponse à ma question?
Comme vous le constaterez, j’ai posé des questions précises auxquelles il y a des réponses précises. Ces questions sont de la plus haute importance pour les Canadiens en cette période où des dizaines de milliers de personnes réclament l’interdiction d’exporter des armes vers Israël. Je vous rappelle et je rappelle à la Chambre que, depuis des années, les néo-démocrates cherchent à obtenir des détails sur les exportations d’armes canadiennes, que ce soit en Israël, en Turquie, en Arabie saoudite ou, plus récemment, au Kirghizistan et, par la suite, en Russie. En tant que parlementaires, nous disposons de très peu de renseignements pour enquêter sur les nombreuses échappatoires dans le système d’exportation d’armes.
Dans sa réponse à ma question n o 2068, le gouvernement affirme que le Canada possède l’un des systèmes de contrôle des exportations les plus rigoureux au monde. C’est un beau discours que nous entendons depuis de nombreuses années, mais qui ne correspond pas à la réalité. C’est pourquoi j’ai posé ces questions précises.
Le gouvernement affirme depuis des années qu'il dispose d'un système rigoureux de contrôle des exportations, mais nous constatons régulièrement que ce n'est pas le cas. Il y a des failles partout. Des choix politiques sont faits, comme la récente décision concernant la Turquie la semaine dernière et les transactions actuelles avec Israël, où le gouvernement ne tient pas toujours compte du Traité sur le commerce des armes et du risque important de violation des droits de la personne. Nous n'avons aucun moyen d'évaluer la situation sans une réponse complète à nos questions écrites.
Contrairement à ce qui se passe aux États‑Unis, les parlementaires canadiens n'ont pas de droit de regard sur les biens et les technologies d'exportation. Bien que nous ayons été élus à la Chambre, nous ne disposons pas de plus d'informations que le Canadien moyen. Le gouvernement ne veut manifestement pas que nous sachions ce qui est exporté, à qui et à quelle fin, comme le montre la réponse qui m'a été donnée à la question no 2068.
Si nous voulons remédier à ce système défaillant, nous avons besoin des informations appropriées. C'est pour cette raison qu'il est si important d'obtenir une réponse à ma question et que la réponse du gouvernement constitue clairement une atteinte à mon privilège parlementaire. Ces conversations sont les plus cruciales que nous devons avoir en tant que pays mais le gouvernement les évite délibérément en refusant de répondre à ma question.
Je vais passer à la question n o 2069, qui comprenait une série de questions précises sur la politique du gouvernement à l’égard de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de Justice. Je rappelle aux députés que ma question a été soumise au gouvernement avant que l’Afrique du Sud ne soumette à la Cour internationale de Justice une allégation de génocide possible à Gaza de la part du gouvernement d’Israël et avant que la Cour internationale de Justice ne conclue qu’une affaire de génocide contre Israël était « plausible » et ordonne six mesures provisoires, notamment qu'Israël s’abstienne de commettre des actes entrant dans le champ d’application de la Convention sur le génocide, prévienne et punisse l’incitation directe et publique à commettre le génocide et prenne des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture d'aide humanitaire à la population de Gaza.
Ma question écrite a été divisée en 10 sous-questions, ce qui est la norme pour les questions écrites. Encore une fois, je ne lirai pas toute la question, mais je vais donner quelques exemples. J'ai demandé:
combien d’États le gouvernement accepte-t-il comme parties à la CPI;
[...] qu’est-ce qui a incité le Canada à présenter un avis d’opposition à la procédure consultative de la CIJ sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est;
[...] avant d’exprimer l’opposition du Canada à l’avis consultatif de la CIJ, les représentants du gouvernement ont-ils tenu des réunions avec d’autres États pour coordonner les efforts visant à s’opposer à l’affaire devant la CIJ?
Encore une fois, le gouvernement n'a pas répondu à plusieurs sous-questions. Il a plutôt repris les propos utilisés dans ses déclarations publiques. Or, ce n'est pas ce que je cherche à obtenir. Je veux des réponses précises à des questions précises que se posent beaucoup de Canadiens.
Passons à ma troisième question, qui portait sur le sujet très complexe du droit international relatif à Israël et la Palestine, et la manière dont le gouvernement interprète ce droit pour déterminer sa politique étrangère envers cette région. Ma question comptait 18 sous-questions, ce qui, encore une fois, est habituel.
Je ne lirai pas non plus cette question. Cependant, le Président peut-il croire que le gouvernement, au lieu de s'attaquer sérieusement à ces 18 sous-questions, a fourni exactement la même réponse à la question no 2070 qu'à la question no 2069? Il n'y a aucune différence. Les questions sont complètement différentes, avec des sous-questions complètement différentes, mais le gouvernement a choisi de faire un copier-coller de la même réponse pour les deux questions.
Je le répète: j'ai présenté mes questions avant que l'Afrique du Sud ne porte des accusations contre Israël devant la Cour internationale de justice. On pourrait penser que l'attaque horrible du 7 octobre, la guerre contre Gaza et les accusations subséquentes de génocide que l'Afrique du Sud a portées contre Israël pousseraient le Canada à examiner de manière réfléchie les questions de droit international. Or, ces réponses ne donnent pas suite aux questions difficiles que j'ai soulevées. Il semble plutôt que le gouvernement tente d'échapper complètement à ses responsabilités juridiques internationales en faisant des déclarations publiques vagues dénuées de véritable contenu.
Comme le Président peut le constater, j'ai posé des questions très précises qui exigent des réponses tout aussi précises. Quelqu'un à Affaires mondiales Canada connaît les réponses à ces questions. La et son personnel doivent certainement avoir les réponses. Le gouvernement n'a fait absolument aucun effort pour répondre à mes questions de bonne foi. Or, ces questions ne sont pas que des mots sur du papier. Elles portent sur le cœur même de l'action du gouvernement et sur ses responsabilités.
J'entends par là que le gouvernement doit reconnaître ses responsabilités en vertu du droit international, y compris en vertu des conventions et des traités qu'il a signés. Il a la responsabilité d'expliquer comment il interprète le droit international dans des cas complexes comme celui du conflit entre Israël et la Palestine. En tant que parlementaire, j'ai la responsabilité de demander des comptes au gouvernement et de veiller à ce que les Canadiens obtiennent l'information à laquelle ils ont droit, en utilisant les outils à ma disposition.
Chaque jour, des Canadiens me demandent des renseignements sur la façon dont le gouvernement interprète le droit international en ce qui concerne la guerre et le génocide potentiel à Gaza. J'ai reçu plus d'un quart de million de courriels de la part de Canadiens qui se disent outrés par la position du gouvernement: tout d'abord, le gouvernement hésite à demander un cessez-le-feu; ensuite, il refuse de soutenir les démarches de l'Afrique du Sud; puis il réduit l'aide humanitaire vitale fournie par l'entremise de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient; et maintenant, il hésite à demander aux États-Unis et à Israël de mettre fin à cette guerre.
En l'absence de réponses claires de la part du gouvernement, comme mes lettres restent sans réponse, mes questions à la Chambre restent sans réponse, mes appels sur les médias sociaux restent sans réponse et mes questions lors des réunions des comités restent sans réponse, les questions écrites sont l'un des rares outils dont je dispose pour comprendre la position du gouvernement et dialoguer avec lui au nom des Canadiens. Le gouvernement prétendra sûrement qu'il a répondu à certaines de mes sous-questions et que mon mécontentement n'est qu'une histoire d'opinion.
Je ne vous demande pas de juger de la qualité ou de l'absence de qualité. Ce que je vous demande de faire aujourd'hui, Monsieur le Président, c'est de déclarer que le refus du gouvernement de répondre à la plupart des sous-questions de ma question écrite constitue une violation de mes droits en tant que députée.
Selon la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, page 517, l'objectif des questions écrites est le suivant: « [...] [L]es questions écrites sont inscrites au Feuilleton, après l’avis requis, dans le but d’obtenir du gouvernement des renseignements détaillés volumineux ou techniques concernant “quelque affaire publique”. »
Au chapitre 7 de son rapport de novembre 2004, intitulé « Le processus de suivi pour répondre aux questions des parlementaires inscrites au Feuilleton », la vérificatrice générale a écrit: « Le droit d'obtenir des renseignements du gouvernement et le droit de le tenir responsable de ses actes sont deux des principes fondamentaux [de la démocratie] parlementaire. »
Les questions écrites sont l'un des outils que les Canadiens peuvent utiliser, par l'entremise de leurs représentants élus, pour forcer le gouvernement à rendre des comptes. Monsieur le Président, j'espère que vous examinerez cette question très sérieusement et que vous reconnaîtrez qu'il s'agit de prime abord d'une atteinte à mes privilèges de députée.
Le gouvernement a les réponses à mes questions. Il aurait pu répondre aux questions que je lui ai posées et faire preuve de la transparence à laquelle les Canadiens ont droit. Il ne l'a toutefois pas fait. Je crois que cela constitue une violation de mes privilèges. J'aimerais citer la décision rendue par la Présidente le 16 décembre 1980, qui se trouve à la page 5797 des Débats de la Chambre des communes: « […] il serait hardi de prétendre qu’il ne saurait jamais y avoir matière à une question de privilège à première vue quand on a délibérément refusé de répondre aux questions d’un député [...] »
Je me reporte également à la 21 e édition de l'ouvrage d'Erskine May, qui décrit l'outrage ainsi:
tout acte ou omission qui nuit ou fait obstacle à l’une des chambres du Parlement dans l’exercice de ses fonctions, ou qui nuit ou fait obstacle à un membre ou dignitaire d’une de ces chambres dans l’exercice de ses fonctions, ou qui tend, de manière directe ou indirecte, à entraîner de tels résultats, peut être considéré comme un outrage au Parlement, même en l’absence de précédent correspondant à cette infraction.
J'aimerais mettre l'accent sur le mot « omission » juste avant de conclure. Comme je l'ai dit, ces questions sont importantes pour les Canadiens. Pour faire mon travail de parlementaire et exiger des comptes du gouvernement, je dois avoir l'information adéquate à laquelle j'ai droit.
Monsieur le Président, je vous demande simplement de vous pencher sur mes trois questions, d'examiner les réponses fournies par la et de rendre une décision. Si vous jugez qu'il y a eu, à première vue, atteinte à mes privilèges de députée, je serai prête à présenter la motion appropriée en temps et lieu.