SHUR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 24 mars 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest— Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Nous savons que certains membres du comité sont en route, mais j'aimerais commencer néanmoins puisque notre sujet est très important pour le comité, surtout qu'il s'agit d'un pays signataire de l'ALÉNA. Permettez-moi de vous présenter Charlotte Gray, qui nous présentera à son tour ses collègues. Merci.
Mme Charlotte Gray (présidente, Writers in Prison Committee, PEN Canada): Merci beaucoup, madame Beaumier. Merci d'avoir invité le PEN à témoigner devant votre comité.
Permettez-moi de faire d'abord quelques remarques d'introduction, puis Marco Vinicio Gallardo vous en dira davantage sur le cas de son père. Isobel Harry nous accompagne également pour répondre aux questions.
Isobel, vous pourriez peut-être vous présenter.
Mme Isobel Harry (directrice des politiques, PEN Canada): Oui. Je m'appelle Isobel Harry et je suis directrice des politiques au sein de PEN Canada, à Toronto.
Mme Charlotte Gray: Pour ma part, je suis Charlotte Gray et je suis présidente du Writers in Prison Committee de PEN Canada.
Marco Gallardo est le fils du général qui est le principal objet de nos propos d'aujourd'hui.
Pour commencer, permettez-moi de vous décrire brièvement ce qu'est PEN Canada. C'est la section canadienne d'une organisation mondiale qui réunit au-delà de 12 000 membres, écrivains et rédacteurs, répartis en 124 centres autonomes.
PEN Canada est une organisation influente et efficace dont les 750 membres sont disséminés d'un bout à l'autre du pays. Nous croyons que la liberté d'expression est l'un des droits fondamentaux de la personne et doit, à ce titre, faire partie intégrante de la politique étrangère canadienne. C'est pourquoi nous avons demandé à être entendus par votre comité.
Je ne vais pas lire tout le mémoire que vous avez sous les yeux. Je tiens simplement à signaler que nous sommes de plus en plus inquiets du sort qui est réservé aux écrivains, aux journalistes et aux rédacteurs au Mexique.
Comme vous le savez, après l'élection de l'an dernier, le Mexique semble s'être engagé sur la voie d'une démocratisation accrue. Après des décennies, le gouvernement se trouvait confronté à une opposition viable et nous espérions qu'il y aurait une diminution des abus des droits de la personne au Mexique. Le PEN s'est inquiété de ces abus dès ses débuts.
En fait, c'est le contraire qui s'est produit. On a constaté une augmentation des abus des droits de la personne: les écrivains, rédacteurs et journalistes mexicains ont été victimes d'arrestations arbitraires, d'agressions, de kidnappings et de torture. Au cours des 15 derniers mois, au moins cinq journalistes ont été assassinés et leur meurtre n'a pas donné lieu à des enquêtes satisfaisantes.
Nous sommes donc très inquiets de ce que les journalistes, les écrivains et les rédacteurs du Mexique font l'objet de menaces croissantes s'ils exercent un droit qui pour nous est absolument fondamental, c'est-à-dire la liberté d'expression.
Nous témoignons devant vous aujourd'hui pour exprimer notre inquiétude générale au sujet de la liberté d'expression au Mexique. Permettez-moi d'aborder un cas particulier, celui du général Gallardo.
Le brigadier-général José Gallardo Rodriguez, membre honoraire de PEN Canada, a récemment été condamné à près de 15 ans d'emprisonnement. Nous avons été horrifiés du traitement qui lui a été infligé. Je vous signale que la Commission interaméricaine des droits de l'homme, sous l'égide de l'Organisation des États américains, a décrit le traitement infligé au brigadier-général au cours des dix dernières années comme une campagne de persécution, de diffamation et de harcèlement.
La condamnation porte sur des événements qui se sont produits il y a plus de dix ans. Les accusations ont été déposées initialement il y a cinq ans, immédiatement après que le général Gallardo a rédigé un article dans lequel il déclarait que les forces armées du Mexique devraient être assujetties à un minimum de contrôle législatif. Il réclamait une surveillance indépendante des forces armées.
Son procès portait en fait sur l'un des 16 chefs d'accusation qui avaient été déposés contre lui. Tous les autres avaient dû être abandonnés par divers recours légaux; il n'avait pas été reconnu coupable faute de preuves.
Quant au chef d'accusation dont il a été reconnu coupable, permettez-moi de vous lire un extrait d'un article du New York Times, publié le jeudi 12 mars 1998. Dans cet article, on parle de la cour martiale qui l'a condamné:
-
La cour martiale a condamné le général Gallardo pour avoir volé des
aliments pour bétail et des uniformes
... lorsqu'il était commandant d'une étable de l'armée, il y a dix ans...
-
et d'avoir brûlé des dossiers afin de masquer l'infraction
présumée.
-
Mais parmi les preuves présentées, il y avait des documents qui
montraient que ces uniformes avaient été envoyés au ranch privé
d'un ancien ministre de la Défense [...]
-
Et après avoir entendu 34 témoins, il n'a jamais été prouvé qu'il
manquait des aliments pour bétail dans les étables. [...]
-
La cour a refusé d'entendre le témoignage de deux enquêteurs
militaires qui avaient déterminé qu'aucune accusation ne devrait
être portée contre le général Gallardo et qui avaient ensuite
renversé leur décision, plusieurs années plus tard, après que le
général ait eu des démêlés avec un nouveau ministre de la Défense,
le général Antonio Riviello Bazàn. [...]
-
Le procès a été tenu dans une vaste base militaire. Très animé, il
a duré près de trois semaines, ce qui en fait l'un des plus longs
procès en cour martiale du Mexique. Les cinq juges étaient tous des
officiers de rang élevé,
... Mais, soit dit en passant, aucun d'entre eux n'avait de formation juridique...
-
et ils ont délibéré pendant quatre heures et demie.
-
Convoqué à la barre des témoins pour sa propre défense, le général
a déclaré d'une voix vibrante qui a fait pencher d'émotion la tête
de bien des officiers: «Durant mon commandement aux écuries, j'ai
été décoré trois fois et promu deux fois. Ma conduite personnelle
et militaire est sans reproche et tous peuvent le constater.»
Néanmoins, les juges se sont montrés impatients lorsqu'ils ont entendu les plaidoyers des avocats du général Gallardo et, comme je l'ai dit, l'ont condamné à une peine d'emprisonnement de près de 15 ans.
Je vous signale très brièvement que le général Gallardo aurait été considéré, il y a 15 ou 20 ans, comme une étoile montante au firmament militaire mexicain. Il est devenu général à 42 ans, ce qui est très jeune. Il faisait partie de l'équipe mexicaine de pentathlon aux Olympiques de Séoul, champion national d'équitation et de tir et semblait destiné à atteindre les plus hauts rangs au sein de l'armée.
Tout en poursuivant une carrière conventionnelle mais illustre, il a étudié pour obtenir un baccalauréat en sciences politiques et en administration publique à l'Université nationale autonome du Mexique, ce qui était tout à fait exceptionnel pour un membre de l'armée mexicaine. La plupart des militaires mexicains étudient à la Escuela Superior de Guerra, le collège militaire. Pendant qu'il poursuivait sa carrière militaire, il a donc étudié comment fonctionne une société civile.
Qu'a-t-il fait pour tant irriter les autorités? Eh bien, il a publié un article dans lequel il réclamait la création d'un poste d'ombudsman militaire. Permettez-moi de vous lire un extrait d'une entrevue avec son fils—non pas Marco, mais son fils aîné—dans laquelle il expliquait tout simplement ce que réclamait son père.
-
La création d'un poste d'ombudsman militaire est la première étape
de la modernisation des forces armées. Il faut entendre ce terme de
modernisation autrement que le font les militaires pour qui il
s'agit d'acheter des nouvelles armes, des tanks, des hélicoptères,
des mitraillettes, etc. Pour mon père, ce n'est pas cela la
modernisation. À titre d'expert des sciences sociales et d'étudiant
en sciences politiques à l'Université nationale du Mexique, mon
père sait que la modernisation, c'est la capacité d'une
institution, dans ce cas-ci l'armée, de s'adapter à l'évolution
quotidienne et aux exigences de la société.
-
Mon père propose également l'abolition des «pouvoirs de guerre»,
dont il estime qu'ils sont inconstitutionnels et mauvais en
principe. Il ne peut pas y avoir de pouvoirs de guerre en temps de
paix. L'armée doit toujours exister, car elle a des fonctions à
accomplir, mais les pouvoirs de guerre qui confèrent des privilèges
à l'armée ne peuvent exister qu'en temps de guerre, durant des
périodes exceptionnelles où le pays est en crise et difficile à
gouverner. En temps de paix, toutefois, l'armée doit être
assujettie au droit civil, parce que les soldats sont avant tout
des citoyens.
Je vous ai donné quelques renseignements sur l'emprisonnement du général Gallardo. Maintenant, comme je vous l'ai dit, je laisserai la parole à Marco, qui est arrivé de Mexico ce matin et qui est prêt à répondre à toutes vos questions sur les circonstances de l'arrestation et de l'emprisonnement de son père.
Isobel et moi sommes prêtes également à répondre à vos questions sur le travail du PEN. Merci.
La présidente: Merci. Marco souhaite-t-il commencer par une déclaration?
M. Marco Vinicio Gallardo (fils du brigadier-général mexicain José Francisco Gallardo Rodriguez (Interprétation)): Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de cette occasion de vous présenter mon cas.
Je vais vous parler des peines d'emprisonnement qui ont été imposées à mon père parce qu'il faisait partie de l'armée. Il n'a fait que lutter pour renouveler les forces armées afin qu'on y trouve une certaine présence civile, plus particulièrement un ombudsman, pour surveiller les forces politiques.
Il a entrepris d'étudier la participation de la société civile quand il était dans l'armée. Cela ne s'était jamais fait et l'armée l'a donc immédiatement considéré comme un ennemi. Les militaires fréquentent généralement des écoles rurales, pas des écoles civiles ou des universités.
• 1600
Je vais vous parler mais particulièrement de son incarcération
actuelle. Il est en prison depuis août 1997. Il est à peu près
complètement isolé. Seuls les membres de sa famille immédiate
peuvent le visiter, mais on a maintenant suspendu son droit de voir
sa femme en privé—il avait pu la voir deux jours la semaine
précédente—et on l'a également isolé de tous les autres détenus.
Il est donc complètement isolé. On ne lui permet qu'un appel
téléphonique et il ne peut communiquer avec personne par écrit. Il
est harcelé, car on lui impose la présence d'un photographe 24
heures par jour. Il ne peut rien faire, il est suivi partout.
À mon avis, cette peine de 15 ans est la peine la plus longue qu'ait imposée l'armée dans un cas comme celui-là. L'armée veut se servir du cas de mon père pour montrer aux autres militaires que personne ne peut critiquer les forces armées.
La révolution mexicaine n'a pas été en mesure de limiter de quelque façon que ce soit les pouvoirs de l'armée. Elle veut conserver ses pouvoirs et c'est pourquoi elle a imposé une peine aussi lourde à mon père, pour que l'armée demeure telle qu'elle est et ne soit en aucun cas assujettie aux lois civiles.
Je tiens à signaler que mon père a reçu l'appui de la Commission interaméricaine des droits de la personne. En 1982 et en 1997, la Commission a étudié son dossier et a déclaré qu'il ne devait pas être condamné. Tout ce que fait l'armée au Mexique va à l'encontre de la convention sur les droits de la personne.
La présidente: Merci.
Monsieur Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci à tous d'être venus nous rencontrer aujourd'hui pour nous parler de ce cas important et triste qui se déroule au Mexique.
Madame Gray, vous représentez le PEN. Les violations de la liberté d'expression sont un indice assez clair de futures violations des droits de la personne fondamentaux et peuvent même donner lieu à des conflits. Travaillez-vous en collaboration avec d'autres groupes, comme Amnistie internationale, d'autres ONG du Mexique et d'ailleurs, pour défendre les cas du général Gallardo et d'autres personnes? Vous avez écrit dans votre document que ces personnes étaient victimes de violations patentes de leurs droits fondamentaux. Participez-vous à un effort concerté pour porter cette affaire devant les Nations Unies, l'OEA ou d'autres pays? Si c'est le cas, quels résultats obtenez-vous?
Vous avez proposé certaines mesures que le Canada pourrait prendre. Notre ancien ambassadeur au Mexique n'a pas mâché ses mots lorsqu'il a parlé du traitement économique que réservait le Mexique à ses contrats avec des pays étrangers, mais notre gouvernement l'a rapidement bâillonné, et cela a provoqué...
Une voix:
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Keith Martin: Il était notre ambassadeur au Mexique et on l'a relevé de ses fonctions.
M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.): C'était à la demande des Mexicains, ou alors, il a pris sa retraite. Je ne crois pas que vous puissiez dire qu'il a été bâillonné.
M. Keith Martin: Eh bien, cette personne-là était notre ambassadeur au Mexique. Il a appelé les choses par leur nom et on l'a relevé de ses fonctions. Cela a provoqué un incident entre les autorités mexicaines et notre gouvernement.
Comment proposez-vous que nous abordions cette question avec les Mexicains? Devrions-nous assortir notre commerce avec ce pays de conditions? Devrions-nous exiger la libération des prisonniers politiques? Comment devrions-nous procéder, précisément, à votre avis?
Mme Charlotte Gray: Nous travaillons en étroite collaboration avec nos ONG. En fait, avant de venir ici, j'ai amené Marco Gallardo au bureau d'Amnistie internationale, car cette organisation estime que son père est également emprisonné pour délit d'opinion.
• 1605
Nous travaillons en étroite collaboration avec d'autres ONG
qui se préoccupent de droits de la personne. Nous échangeons de
l'information, nous coordonnons des manifestations de protestation
et nous discutons des stratégies qui devraient être appliquées pour
discuter avec nos gouvernements et faire des démarches auprès du
gouvernement mexicain.
Je vais maintenant laisser Isobel vous expliquer comment nous traitons ces questions et les dossiers particuliers auprès des organisations internationales. Vous demandez quelles mesures nous proposons, eh bien, ce qui nous inquiète particulièrement, au PEN, c'est que lorsque les Canadiens—les électeurs, les politiques, les journalistes—pensent aux violations des droits de la personne, ça leur semble toujours se produire à l'autre bout du monde. Cela arrive dans des pays comme le Myanmar—la Birmanie—, le Vietnam ou le Nigéria.
Le Nigéria et la Birmanie sont des parias sur la scène internationale, c'est vrai, et il est très facile pour un pays comme le Canada de déclarer que les gens sont traités de cette façon et que la liberté d'expression est violée, en contravention à tous les principes des Nations Unies. C'est facile pour un ministre d'un pays occidental de s'opposer à de telles violations dans le cadre de relations bilatérales ou de conférences multilatérales.
Nous nous inquiétons particulièrement de la situation au Mexique, où l'on constate une énorme augmentation des violations des droits de la personne et des restrictions à la liberté d'expression. Ce pays-là fait partie de notre continent. Nous entretenons avec lui d'étroites relations commerciales. D'après ce que nous pouvons voir, les questions et les préoccupations au sujet de cas comme celui du général Gallardo ne sont jamais soulevées dans les relations entre gouvernements.
Puisque le Mexique est un pays avec lequel nous entretenons d'étroites relations commerciales, nous croyons qu'il faudrait pouvoir y discuter énergiquement de nos préoccupations en matière de droits de la personne et plus particulièrement des dossiers que nous avons mentionnés. Nous encourageons les membres de votre comité à le faire.
Je vais maintenant laisser la parole à Isobel, qui vous expliquera un peu ce que nous faisons auprès de l'ONU.
Mme Isobel Harry: Lors des consultations que nous avons tenues le mois dernier avec le ministère des Affaires étrangères, nous avons demandé que le gouvernement du Canada envisage de discuter du problème du Mexique dans le cadre de sa déclaration sur le point 10 des audiences de la Commissions des droits de l'homme des Nations Unies qui auront lieu cette année à Genève. Ce serait une première pour le Canada. Il faudrait peut-être également envisager de collaborer avec le Mexique en vue de produire une déclaration du président. Nous avons proposé d'autres solutions, dont la création d'un poste de rapporteur spécial sur la question du Mexique.
Ce sont des choix difficiles, puisque le Mexique ne figure pas à l'ordre du jour de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Il faudrait donc étudier la possibilité de proposer la création d'un poste de rapporteur spécial ou de proposer que le rapporteur sur la question de la liberté d'expression soit invité à visiter le Mexique pour constater le type de violations qui y sont commises.,
Pour ce qui est de l'OEA, comme vous le savez sans doute, le Canada, contrairement au Mexique, n'est pas un des pays signataires de la Convention américaine. Cela pose un problème au Canada pour ce qui est de veiller au respect des recommandations de l'OEA, par exemple.
M. Keith Martin: Collaborez-vous avec d'autres journalistes du Mexique et d'ailleurs pour remettre constamment à l'ordre du jour les problèmes du général Gallardo, de M. Leon, de M. Garcia et d'autres, dont les droits ont été violés? Existe-t-il un noyau de journalistes qui sont prêts à ramener ces questions sur la scène publique à chaque fois que l'occasion se présente?
Mme Isobel Harry: Je ne peux pas dire que nous travaillons directement avec des journalistes au Mexique, mais je sais que ce procès et le récent prononcé de la sentence ont été rapportés dans les principaux journaux mexicains et que bon nombre d'articles prenaient position en faveur du général. Nous avons également obtenu une certaine couverture médiatique ici au Canada. L'affaire a donc suscité passablement d'intérêt et nous espérons que cela continuera.
M. Keith Martin: Merci.
La présidente: Monsieur Graham.
M. Bill Graham: Mes questions vont dans le même sens que celles de M. Martin.
Il va de soi que notre comité n'a guère de pouvoir sur ce qui se passe au Mexique, mais quelle influence notre visiteur mexicain croit-il que pourraient avoir les membres du Congrès du Mexique? Serait-il utile que nous communiquions avec nos collègues du Congrès pour leur demander d'intervenir?
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Malheureusement, on ne respecte pas au Mexique le partage des pouvoirs entre les volets exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement. Nous avons un système présidentiel qui fonctionne à sa guise au lieu de respecter les trois entités du pouvoir. Dans un tel contexte, les forces armées sont toutes-puissantes.
Depuis les deux dernières élections, depuis que le gouvernement au pouvoir est le PRI—le même qui est à la tête du pays à l'heure actuelle—, nous ne pouvions pas faire grand-chose. Cependant, aux dernières élections, en 1997, le pouvoir a été mieux partagé entre le PRD, le PRI et le PAN, les trois principaux partis politiques du pays.
Étant donné que le partage du pouvoir est maintenant différent, nous pensons qu'il est possible de faire quelque chose. Cependant, jusqu'à maintenant, le PRD, l'un des partis au pouvoir, s'est borné à essayer de constituer une commission sur les droits de la personne. J'ai demandé aux membres de la commission de rendre visite à mon père en prison pour savoir dans quelles conditions il est détenu, mais les observateurs ne se sont pas entendus sur les mesures à prendre et la façon de procéder. Ce que je constate, c'est que l'armée est encore trop puissante.
M. Bill Graham: Mais pensez-vous qu'il serait utile que notre comité envoie une lettre à un comité analogue du Congrès au Mexique, tant au Sénat qu'à la Chambre des députés?
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): De nombreuses lettres ont déjà été envoyées au Sénat ou à la Chambre basse, mais elles sont toutes restées sans réponse. Des lettres ont aussi été envoyées au secrétaire national à la Défense, à toutes les instances possibles.
Lorsque nous avons jugé que nous avions épuisé tous les recours juridiques possibles au Mexique, nous avons fait appel à la Commission interaméricaine des droits de l'homme, précisément parce qu'il n'y avait plus rien que nous puissions faire chez nous.
M. Bill Graham: Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par «pouvoirs de guerre»? Vous dites que l'armée agit toujours dans votre pays comme s'il était sur le pied de guerre? Cela signifie-t-il que l'armée est totalement indépendante du pouvoir judiciaire civil? Est-ce là la conséquence de cette situation?
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Les pouvoirs de guerre ont été établis dans la Constitution de 1917, à l'article 13. Ils confèrent aux militaires le pouvoir d'assumer le contrôle du pays en temps de crise ou de guerre. Or, les militaires se servent de ces pouvoirs alors que le pays ne traverse pas vraiment de crise ou de guerre. Étant donné que nous sommes en temps de paix, mon père luttait pour l'abolition de ces pouvoirs de guerre. Étant donné que les experts, les avocats et les juges militaires sont directement nommés par le secrétaire des forces armées, il n'y a rien que nous puissions faire car les décisions se prennent à un échelon supérieur qu'aucune instance civile ne peut contester.
La présidente: Je vais faire un bref commentaire, suivi d'une brève question. Tout d'abord, je tiens à vous dire que lorsque notre ambassadeur n'a pas mâché ses mots, plusieurs d'entre nous auraient voulu privément lui accorder la plus haute distinction que le Canada pouvait offrir car nous avons admiré sa franchise.
Vous êtes à l'extérieur du Mexique, êtes-vous sous surveillance? Comment se fait-il qu'on vous ait laissé venir ici? Vous surveille-t-on? Fait-on rapport de vos allées et venues pendant que vous êtes ici? Allez-vous vous sentir en sécurité une fois de retour dans votre pays?
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Au début, oui, ma famille et moi-même avons reçu des menaces. En 1993, par exemple, j'ai été menacé directement, j'ai aussi été battu dans une unité militaire. J'ai aussi été victime d'une autre agression physique. Mais maintenant que nous avons acquis une certaine liberté, je suis convaincu que rien ne m'arrivera. On nous laisse maintenant oeuvrer pour cette cause.
La présidente: Merci.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Je tiens à m'excuser de mon retard. Comme j'ai lu la documentation, je peux vous poser quelques questions. Le Canada est actuellement partie prenante à l'Accord de libre-échange avec le Mexique et les États-Unis. On peut voir, comme dans l'exemple de votre père, qu'il existe certaines lacunes concernant les droits de la personne.
Le Canada vient d'être nommé président de la première ronde de négociation pour la zone de libre-échange des Amériques. Je crois qu'on doit en profiter, après avoir constaté concrètement nos limites dans l'Accord de libre-échange nord-américain, pour ne pas les répéter et les multiplier dans la zone de libre-échange des Amériques.
• 1620
Je voudrais d'abord vous demander vos
commentaires. Quelles sont vos préoccupations ou quels
seraient les avertissements que vous pourriez donner au
comité ou aux négociateurs canadiens? Dans ces
négociations qui vont débuter sous peu sur une entente
de libre-échange entre les deux Amériques, comment
pourrait-on plus rigoureusement et plus concrètement
défendre les droits de la personne, du Nord au Sud?
Tout en espérant votre réponse, je dois vous annoncer que nous avions soumis au comité ici un sujet d'étude sur le commerce et les droits de la personne. Votre présence ici renforçait l'imminence de ce débat ou de cette discussion. La présidente nous a parlé d'un trophée pour le Canada, si j'ai bien compris, à cause du grand respect qu'a de nous l'opinion publique internationale. Toutefois, si on continue à se mettre la tête dans le sable, peut-être ce respect diminuera-t-il comme peau de chagrin. Fort probablement et malheureusement, le parti au pouvoir, préférant noyer le poisson ou parler d'autres choses, va éliminer ce sujet de discussion. Nous le saurons bientôt.
J'ai deux questions. Qu'est-ce qui devrait être pris en considération dans les négociations sur la zone de libre-échange? Que penseriez-vous du retrait du Canada ou du fait que le Canada ne veuille pas, en comité, établir de lien entre le commerce et les droits de la personne?
[Traduction]
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Oui, cela devrait être inclus dans tout traité commercial. Ainsi, nous savons qu'un traité signé avec la Communauté européenne renferme une clause qui appelle au respect des droits de la personne. Nous aimerions que le même genre de disposition figure dans l'ALENA.
Le gouvernement du Mexique affirme qu'il n'y a pas de violations des droits de la personne au Mexique, mais nous savons qu'il y a eu de nombreuses atteintes aux droits des indigènes lors de la crise au Chiapas. En outre, des représentants d'Amnistie internationale et de la Commission interaméricaine des droits de l'homme se sont rendus au Mexique et ont constaté de nombreuses atteintes aux droits de la personne.
À mon avis, le Canada devrait entreprendre une étude des violations des droits de la personne au Mexique et insérer dans l'entente de l'ALENA une disposition concernant le respect des droits de la personne car des trois pays qui sont partie à l'ALENA, le Mexique est sans doute celui où l'on se livre avec impunité à des violations des droits de la personne.
La présidente: Madame Gray.
Mme Charlotte Gray: Je voulais simplement ajouter à ce que Marco a dit quelques explications sur la façon dont fonctionne PEN Canada.
Nous axons nos efforts sur des cas individuels. Nous sommes un organisme de défense de la liberté d'expression. Nous oeuvrons dans des pays dirigés par des régimes répressifs, qu'ils soient de droite ou de gauche. Nous mettons l'accent sur la liberté d'expression et nous essayons de ne pas nous laisser entraîner dans un débat sur les politiques gouvernementales, sauf dans ce domaine. Il va de soi que nous reconnaissons que l'ALENA est essentiellement un traité commercial et économique qui n'a pas une plus grande portée.
Cela dit, PEN Canada est ouvert à toute tribune multilatérale où nous estimons que nos représentants, qu'il s'agisse de députés ou de membres du gouvernement, peuvent exercer des pressions en faveur des cas que nous défendons. Le général Gallardo, par exemple, est membre honoraire de PEN Canada. Nous avons décidé d'en faire un membre honoraire parce que généralement, nous choisissons des auteurs qui vivent dans des pays où nous croyons pouvoir exercer une certaine influence.
Dans un pays comme le Mexique, que nous retrouvons au sein de plusieurs clubs, nous estimons que le Canada devrait exercer son influence dans une vaste gamme de dossiers discutés à l'échelle bilatérale avec le gouvernement mexicain. Nous voulons nous assurer qu'il sera question des droits de la personne et que le nom de notre membre sera mentionné.
Voilà comment PEN fonctionne. Merci.
La présidente: Merci. Madame Augustine.
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci. Je vous souhaite la bienvenue au Canada en cette journée très froide.
J'aimerais reparler de la Commission mexicaine nationale des droits de la personne. Pouvez-vous m'expliquer le fonctionnement de cette commission et préciser ses liens avec la Commission interaméricaine des droits de l'homme? Voilà ma première question.
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): La Commission nationale a été créée par le président Salinas et ses membres ont été personnellement nommés par le président. Par conséquent, cette commission nationale n'est pas vraiment indépendante et ses recommandations restent généralement lettre morte. De façon générale, ces recommandations ne sont pas appliquées.
• 1630
Dans le cas précis de mon père, étant donné que c'est une
question de pouvoirs, les membres de la Commission ont conclu que
cette affaire ne relevait pas de leur compétence, qu'elle relevait
plutôt de la compétence des militaires et que par conséquent, ils
s'en lavaient les mains. Voilà pourquoi nous avons demandé
l'intervention de la Commission interaméricaine des droits de
l'homme. Nous pensions qu'elle pourrait faire mieux.
Quant aux liens qui existent entre ces deux instances, la Commission nationale et la Commission interaméricaine des droits de l'homme ont déjà échangé des communications au sujet de cas précis. Rien de plus.
Au sein de l'OEA, il a été envisagé de resserrer les liens entre les deux entités. On a envisagé de soumettre tous les cas à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Les cas seraient d'abord examinés au Mexique et ensuite acheminés à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Mais cette idée n'a pas été concrétisée.
De façon générale, la Commission nationale a un problème d'image étant donné que ses recommandations ne sont pas respectées. D'habitude, elle fait des recommandations sur des cas simples, mais lorsque des cas compliqués ou des cas mettant en cause les militaires ou les échelons inférieurs du gouvernement se présentent, elle ne fait rien.
Mme Jean Augustine: Existait-il une commission des droits de la personne avant l'ALENA?
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Il n'existait pas de commission nationale sur les droits de la personne avant la signature de l'ALENA. Carlos Salinas a créé cet organisme précisément pour pouvoir signer l'accord car il était nécessaire à l'époque d'avoir cette commission. Avant la signature de l'ALENA, il n'y avait que certaines ONG qui s'intéressaient aux droits de la personne, rien de plus.
Mme Jean Augustine: Avant la signature de l'ALENA, vous n'auriez pas pu venir au Canada ou faire en sorte que PEN Canada oeuvre pour votre cause.
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Nous n'avons jamais oeuvré par l'entremise de la Commission nationale des droits de la personne au Mexique. Nous sommes toujours passés par les ONG.
Mme Jean Augustine: Quelles mesures efficaces pourrait prendre le Canada pour inciter le gouvernement du Mexique à respecter les droits de la personne? Je sais que PEN a formulé certaines recommandations.
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Parlez-vous de façon générale ou d'un cas particulier?
Mme Jean Augustine: Je sais que dans le cas qui nous occupe, PEN a formulé certaines recommandations dans son mémoire. Ainsi, on recommande de mener des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les menaces et agressions attestées contre des journalistes, des écrivains, des militants des droits de la personne et leurs défenseurs. Vous dites que la Commission nationale des droits de la personne est plus ou moins inutile à cet égard et vous souhaitez que le gouvernement mexicain fasse toutes ces choses. Je cherche simplement à savoir par quel moyen nous pourrions inciter le gouvernement du Mexique à se rendre à vos requêtes. Toutes les suggestions que vous voudrez nous faire en tant que comité seront les bienvenues.
Mme Charlotte Gray: Nous revenons ici sur les moyens que pourrait prendre le Canada pour exercer des pressions sur le gouvernement du Mexique. Il suffit simplement d'intervenir par tous les canaux possibles, que ce soit par l'intermédiaire de contacts de député à député ou de ministre des Affaires étrangères à ministre des Affaires étrangères, au sein de diverses instances internationales, que ce soit à l'ONU, à l'OEA ou par l'entremise de l'ALENA.
• 1635
Nous avons déjà dit que le Mexique et le Canada étaient
souvent membres des mêmes clubs. Par exemple, à l'Organisation des
États américains, les ministres des Affaires étrangères peuvent
réclamer une réunion pour aborder des dossiers précis. Le dossier
du général est de toute évidence un dossier qui pourrait être
soulevé à une réunion comme celle-là.
Nous ne sommes pas les seuls à tirer la sonnette d'alarme au sujet de la multiplication des violations des droits de la personne au Mexique. La presse internationale s'est fort intéressée au cas du général Gallardo. Cela dit, le gouvernement du Mexique ne bougera sans doute pas dans l'un ou l'autre de ces dossiers à moins d'être soumis à des pressions de l'étranger. Voilà pourquoi tout ce que les membres du comité feront, que ce soit parler au ministre ou envoyer des lettres aux organismes pertinents au Mexique, sera très efficace.
M. Marco Vinicio Gallardo (Interprétation): Toute déclaration susceptible de contribuer à la libération de mon père sera évidemment bienvenue, mais ce qui importe le plus pour nous, c'est de faire respecter les recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. En effet, après deux ans d'audiences et de témoignages, la Commission a conclu que mon père devrait être acquitté et libéré. C'est ce qui importe le plus pour moi.
La présidente: Merci.
Je pense que le temps est écoulé. Nous avons un autre groupe qui attend. Nous avons été très heureux de vous rencontrer aujourd'hui et nous ferons des recommandations. Je pense que nous allons écrire à notre ministre pour lui demander de vous représenter au nom du comité. Merci beaucoup d'être venus.
Mme Charlotte Gray: Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités et de nous avoir ainsi donné l'occasion d'expliquer le cas du général Gallardo et d'énoncer nos préoccupations générales au sujet des violations des droits de la personne au Mexique. Nous apprécions beaucoup cette occasion qui nous est donnée de communiquer avec nos législateurs. Je vous remercie en notre nom à tous.
M. Marco Vinicio Gallardo: Merci beaucoup.
La présidente: Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes.
La présidente: Nous allons maintenant accueillir les représentants du B'nai Brith Canada. Il s'agit de Lisa Armony, directrice nationale de l'Institut des affaires internationales, de Rubin Friedman, directeur des relations gouvernementales—je pense que nous avons tous déjà vu Rubin, c'est un homme occupé, et de Stephen Scheinberg, vice-président.
Qui va commencer?
M. Rubin Friedman (directeur des relations gouvernementales, B'nai Brith Canada): Vous m'avez enlevé les mots de la bouche. Vous avez présenté tout le monde, de sorte que je ne sais plus ce que je dois dire maintenant.
[Français]
Permettez-moi de dire juste quelques mots sur le B'nai Brith Canada. Le B'nai Brith Canada est l'organisme juif le plus vieux du Canada. Il existe au Canada depuis plus de 120 ans. Le B'nai Brith Canada fait aussi partie d'un organisme international qui date de 150 ans. L'organisme est un amalgame d'organismes de services à la communauté et de lutte contre la discrimination et l'antisémitisme.
[Traduction]
Stephen Scheinberg, notre vice-président national, vous présentera les derniers faits saillants de nos rapports sur l'extrémisme international de droite et ses effets. Nous parlerons également des bombardements terroristes et de la communauté juive en Argentine.
Nous voulons également soulever une autre question, soit le caractère de plus en plus politisé de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et certains des problèmes qui en découlent. Lisa Armony abordera le sujet. Et enfin, j'ajouterai quelques mots au sujet des problèmes très réels et des répercussions que cette politisation a eus ici au Canada.
Avec votre permission, je vais céder la parole à M. Scheinberg.
M. Stephen Scheinberg (vice-président, B'nai Brith Canada): M. Friedman a mentionné que nous avions effectué des études sur l'extrémisme de droite. En 1987, la maison d'édition HarperCollins a publié notre ouvrage sur l'extrémisme de droite en Europe, aux États-Unis et au Canada. Singulièrement, plusieurs pays avaient été oubliés. Personnellement, j'ai regretté que nous n'ayons pas couvert l'Argentine, pays dont on sait depuis longtemps qu'il a servi de refuge aux nazis en fuite après la Seconde Guerre mondiale.
• 1650
Je ne viens pas ici aujourd'hui pour vous dire que l'Argentine
est l'un des pays du monde où se multiplient les atteintes aux
droits de la personne et qu'à ce titre, le comité devrait y prêter
attention. Je viens plutôt signaler qu'il y a eu des changements en
Argentine et que ce sont des changements positifs.
La plupart d'entre vous savent sans doute que de 1976 à 1983, les militaires argentins contrôlaient le gouvernement et se livraient à ce qu'on appelait la «sale guerre». Elle a été particulièrement sale pour la communauté juive d'Argentine.
Au cours de cette période, entre 9000 et 30 000 personnes ont «disparu». On a su par la suite que l'une des méthodes favorites pour assurer la disparition consistait à administrer des calmants aux prisonniers, à les transporter en avion militaire au-dessus de l'océan et à les jeter en bas. Récemment, un article de fiction du magazine The New Yorker rapportait un incident comme celui-là.
Sur les 9000 à 30 000 personnes disparues, selon les estimations, 10 à 15 p. 100 étaient des Juifs. Étant donné que la population juive en Argentine représente à peine 1 p. 100 de l'ensemble de la population, il est logique de conclure que la population juive a été une victime singulière de cette sale guerre, mais nous n'avons pas le temps de relater cette longue histoire.
En 1983, il y a eu rétablissement en Argentine d'un gouvernement plutôt démocratique et des élections acceptables ont lieu dans ce pays depuis. Aujourd'hui, le gouvernement argentin, dirigé par Carlos Menem, compte au sein de son Cabinet deux ou trois juifs, dont le ministre de l'Intérieur. Cependant, cela ne signifie pas que la communauté juive en Argentine ne connaît pas de problèmes.
Comme on vient de vous donner des leçons d'espagnol avant que nous entrions, je vais vous apprendre un autre mot espagnol: impunidad, qui veut dire impunité. Nous connaissons tous ce mot. Dans le contexte argentin, cela signifie que des crimes sont commis en toute impunité. Pour commencer, la plupart des responsables des crimes commis pendant la sale guerre sont en liberté—et je pense que vous connaissez tous les arguments sur la façon de traiter les militaires et sur la façon de traiter les crimes passés. Vous avez sans doute entendu ces arguments au sujet d'autres pays, ailleurs dans le monde.
En 1992, un attentat à la bombe contre l'ambassade d'Israël en Argentine a tué 29 personnes et en a blessé 252 autres. Cela remonte à il y a six ans. On en a en effet fêté le sixième anniversaire il y a une semaine, le 17 mars.
Il y a quatre ans, le 18 juillet 1994, un attentat à la voiture piégée contre le Centre communautaire juif de Buenos Aires, en Argentine, a causé la mort de 86 personnes; il y a aussi eu 300 blessés.
Il s'agit d'événements horribles. Comparons cela avec l'attentat à la bombe d'Oklahoma City, au travail rapide des forces policières américaines qui ont mis la main au collet des responsables et qui les ont traduits devant les tribunaux et qui ont, espère-t-on, imposé la justice. C'est un modèle à suivre.
• 1655
Actuellement, en Argentine, personne n'a été arrêté ni
condamné pour ces crimes horribles. L'impunidad, l'impunité, est
maintenue en Argentine. Ce que cela signifie pour les Argentins en
général et les Juifs en particulier, c'est une nervosité constante,
quant au fait que le gouvernement ne protège pas les ambassades
étrangères, ni ses propres citoyens et n'arrête personne dans ces
cas-là. On ne peut aussi s'empêcher de penser «jamais deux sans
trois». Personne ne sait quand un éventuel troisième attentat
pourrait se produire.
Ce qu'on sait, au sujet de ces attentats, c'est que divers groupes en ont revendiqué la responsabilité. L'Hezbollah et le Djihad islamique l'ont fait non seulement pour l'attaque contre une institution israélienne mais aussi pour la destruction d'une institution communautaire juive. C'est horrible.
Le manque d'action est évident. Le système judiciaire est incompétent. Nos forces policières sont pointées du doigt par la plupart des journalistes comme l'instrument probablement utilisé par le Djihad islamique ou l'Hezbollah, pour commettre ces crimes, en association avec leurs activités.
Pour parler de faits plus récents, pendant la dernière période des Fêtes, à Noël et au jour de l'An, des tombes ont été profanées dans des cimetières juifs de la banlieue de Buenos Aires, alors que la police gardait ces cimetières. Cela nous permet de comprendre bien des choses au sujet de la police argentine.
Je pourrais vous parler d'autres groupes de la société argentine. C'est l'armée qui me donne le plus d'espoir. En effet, l'armée, qui a été pendant longtemps le fléau de la société argentine, a pris des mesures positives, mais pas les organismes de renseignement ni les forces policières.
J'aimerais maintenant faire quelques recommandations au comité. Lorsque des délégations canadiennes ont visité l'Amérique du Sud, y compris l'Argentine, nous n'avons pu lire nulle part qu'on avait prêté quelque attention que ce soit à ces atteintes aux droits de la personne alors que le président Clinton, lors d'une récente visite à Buenos Aires, a insisté pour rencontrer les leaders de la communauté juive argentine ainsi que des défenseurs des droits de la personne. Il faut garder cela à l'esprit: nous n'avons pas encore pris nos responsabilités dans ce domaine mais, espérons-le, nous le ferons. Je parle des questions relatives au commerce et aux droits de la personne.
Il faudrait aussi faire des démarches auprès du gouvernement argentin, en soulignant que nous espérons que des mesures seront prises.
Pour finir, un programme actuellement en cours à Winnipeg a permis l'arrivée au Canada comme immigrants de 13 familles juives argentines. Elles ont reçu toute l'aide nécessaire du ministère de l'Immigration et de la communauté juive de Winnipeg. Ces gens ne seraient pas normalement reconnus comme réfugiés, la situation en Argentine ne le permettant pas, mais ce sont tout de même des gens qui vivent dans la crainte.
L'an dernier, ma femme et moi avons passé le mois de mai en Argentine. Si vous allez en Argentine, et j'espère que vous en aurez l'occasion, et si vous visitez les institutions de la communauté juive, vous verrez qu'elles sont entourées de murs de béton, que des gardes y assurent la sécurité et vous saurez qu'on y vit à l'intérieur comme dans une forteresse qui se défend contre les dangers venant de l'extérieur. Voilà le genre de problèmes que vit la communauté juive d'Argentine.
La présidente: Merci.
Madame Armony.
Mme Lisa Armony (directrice nationale, Institut des affaires internationales, B'nai Brith Canada): J'aimerais prendre quelques minutes pour parler de la politisation de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, comme le disait Rubin au début de son exposé.
Comme vous le savez, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies travaille actuellement à Genève. B'nai Brith Canada, en tant qu'ONG, participe chaque année aux consultations du ministère des Affaires étrangères et des ONG en préparation des travaux de la Commission. Nous l'avons fait de nouveau le mois dernier. Le mémoire que nous avons présenté au gouvernement vous a été remis, je crois. J'en ai des copies supplémentaires. Mes commentaires sont extraits de ce mémoire.
Lorsque je parle d'une politisation croissante de la CDH, je parle des tentatives faites par des États partageant les mêmes idées, pour s'approprier et manipuler le programme de la CDH, pour satisfaire leurs propres besoins politiques. Divers États membres agissent ainsi sur diverses questions. On a notamment essayé de détourner tout le programme et le mécanisme décisionnel de la CDH. Mais nous constatons que cette politisation a particulièrement été dirigée vers des questions d'importance directe pour Israël et les communautés juives du monde.
L'un des aspects sur lesquels je ne m'étendrai pas est le traitement spécial réservé à Israël. Je préfère aujourd'hui parler de ce que nous considérons comme une tolérance de l'antisémitisme à la Commission. Je vais vous en donner deux exemples, datant de l'an dernier.
À la 53e session, le 11 mars 1997, le représentant de l'OLP, Nabil Ramlawi, a accusé les autorités israéliennes d'avoir transmis le virus du VIH à 300 enfants palestiniens pendant l'Intifada. Il prétendait avoir appris ces faits dans le journal israélien Yedioth Aharonoth, une accusation qui n'a pas été trouvée. Diverses ONG sont immédiatement intervenues pour que cette déclaration soit condamnée. Pourtant, aucune mesure n'a été prise.
Cette question a de nouveau été soulevée par l'ambassadeur d'Israël et par le représentant permanent adjoint des États-Unis le 22 juillet, lors d'une réunion du Conseil économique et social. Ils ont dénoncé cette accusation comme étant une «déclaration malveillante et manifestement fausse et non rectifiée de l'observateur de l'Organisation de libération de la Palestine». Malgré cette dénonciation, l'ambassadeur palestinien a refusé de s'excuser ou de retirer cette déclaration mensongère à propos du sida et elle est restée dans le compte rendu analytique officiel des Nations Unies jusqu'au 15 mars dernier, quand M. Ramlawi a adressé une lettre au président pour faire retirer cette déclaration, qui avait également fait l'objet d'une rétractation six semaines plus tôt dans le quotidien égyptien al-Ahram parce qu'elle était absolument sans fondement. Le secrétaire général Kofi Annan a aussi reproché au président de la Commission d'avoir laissé passer cette allégation malicieuse sans la faire corriger.
Pendant la même session, quelques jours plus tard, à l'examen du rapport du rapporteur spécial sur le racisme, il y avait une partie du texte au sujet de l'antisémitisme dans les camps radicaux islamiques. On y disait plus précisément que les éléments islamiques radicaux employaient notamment comme tactique la manipulation des textes religieux, particulièrement du Coran, pour justifier la haine contre les Juifs. Cet extrait a fait l'objet d'une vive opposition de l'Organisation de la conférence islamique. On a parlé de blasphème et la délégation de l'Organisation de la conférence islamique a demandé que cette partie du rapport soit supprimée, ce qui fut fait.
• 1705
Le fait que des allégations d'empoisonnement sans fondement
aient pu rester au compte rendu de la CDH sans susciter
d'objection, sauf de deux États membres—en passant, le Canada n'a
pas formulé d'objection—alors que la description d'un
antisémitisme radical islamique, qui est bien documentée, ait été
éliminée du compte rendu montre bien l'hostilité croissante de
l'environnement de la CDH pour les questions se rapportant
directement aux communautés juives. C'est peut-être aussi un signe
d'une tendance croissante chez les éléments radicaux islamiques de
confondre l'anti-sionisme et l'antisémitisme, c'est-à-dire de ne
presque plus faire de distinction entre les critiques politiques à
l'endroit d'Israël et la propagation de la haine contre tous les
Juifs.
C'est vraiment grotesque qu'au moment où la Commission des droits de l'homme des Nations Unies célèbre le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des États membres utilisent la tribune pour promouvoir l'antisémitisme, tandis que d'autres ferment les yeux.
Ces exemples établissent également un précédent très dangereux pour la Commission des droits de l'homme. Premièrement, ils menacent évidemment l'indépendance des rapporteurs spéciaux et diminuent par conséquent leur capacité de surveiller efficacement les manifestations d'antisémitisme ou de toute forme de racisme, ou même toutes les questions sur lesquelles ils préparent des rapports. Par conséquent, il devient ainsi beaucoup plus difficile de trouver des solutions au problème. Cela menace également l'intégrité de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en tant qu'organisme de défense des droits de la personne.
Comme je l'ai mentionné, nous avons porté cette question à l'attention du ministère des Affaires étrangères au cours des consultations. Nous avons alors demandé au gouvernement du Canada de s'opposer vigoureusement et d'une manière visible aux machinations délibérées qui banalisent les véritables questions de droits de la personne dans le but de faire des gains politiques.
Nous espérons que votre comité jugera bon de porter aussi ces questions à l'attention du ministère, particulièrement en ce moment, parce que la Commission est en session. Nous surveillons la situation très attentivement et nous espérons que nous ne verrons pas des incidents de cette nature se répéter. Nous devons faire preuve de vigilance et exiger que le gouvernement canadien ne permette pas que cela se reproduise encore cette année.
La présidente: Merci. Monsieur Friedman, avez-vous un commentaire à faire?
M. Rubin Friedman: Oui, je veux ajouter quelques mots.
Une calomnie selon laquelle des médecins juifs, des médecins israéliens, auraient infecté des enfants palestiniens est maintenant parvenue au Canada et est distribuée sur les campus du pays. C'est vraiment facile de télécharger cette information à partir d'Internet. C'est vraiment facile d'aller dans des camps du mouvement Hamas et du mouvement Hezbollah et même sur le territoire de l'Administration nationale palestinienne pour y trouver une foule d'informations afin de répandre l'idée que des juifs conspirent pour prendre le pouvoir sur le monde entier, que Monica Lewinsky est un agent sioniste parce qu'elle est juive.
Des voix: Oh, oh!
M. Rubin Friedman: Nous rions, mais le problème est que dans les pays arabes et les pays islamiques, on prend au sérieux de telles informations. J'aimerais bien pouvoir en rire. Je vois même des groupes juifs faire des blagues de cette nature. Il n'en reste pas moins que certains prennent ces informations au sérieux.
Cela a un effet sur la façon dont les gens d'origine arabe voient les juifs. Certaines de ces personnes d'origine arabe vivent au Canada. Ces gens sont bombardés par le même type d'information, de désinformation et de propagande comme nous tous. Le contexte dans lequel ils peuvent évaluer ces informations est très différent. Ils ont des revendications qu'ils ont présentées depuis longtemps déjà. Leur façon de recevoir ces informations sera très différente de la façon dont le reste des Canadiens pourraient les recevoir. Il y a quand même un effet.
Nous venons de trouver deux exemples de documents qui sont largement distribués sur des campus universitaires, il y en a 250 exemplaires, et ces documents sont diffusés sur le même pied que des informations politiques légitimes où l'on critique Israël. Le débat politique légitime est une chose, mais l'antisémitisme en est une autre. Les deux ne sont pas identiques.
Je voulais vous signaler comment les informations circulent vraiment rapidement de nos jours et que lorsqu'on entend une calomnie provenant de l'étranger au sujet des juifs, il est vraiment possible de la retrouver au Canada très peu de temps après. Et je peux certifier que nous l'avons retrouvée au Canada. Je tiens donc à vous le signaler afin de vous montrer qu'il est urgent de régler ce problème au niveau international. Cela vient de l'étranger et non pas du Canada.
La présidente: Monsieur Martin.
M. Keith Martin: Merci beaucoup à vous tous d'être venus nous parler aujourd'hui. J'ai toujours admiré le travail que B'nai Brith fait pour nous signaler ainsi qu'au monde entier des exemples de cas importants d'abus des droits de la personne perpétrés contre des membres de la religion juive.
Votre organisation a d'énormes possibilités d'agir comme artisan de la paix et je me suis demandé si B'nai Brith s'était donné la mission de défendre la cause de ceux qui dénoncent les violations des droits de la personne perpétrés contre des gens qui ne sont pas juifs, qu'il s'agisse de ceux qui ont décidé de dénoncer la violation des droits de la personne du peuple kurde en Turquie, par exemple, ou de ceux qui ont décidé de demander aux modérés parmi les groupes arabes des droits de la personne de dénoncer les cas de violations des droits de la personne perpétrées contre le peuple juif dans divers pays et de ceux qui ont demandé aux groupes arabes modérés de se joindre à B'nai Brith pour dénoncer les cas de violations des droits de la personne perpétrées contre la communauté juive, les aidant ainsi à dénoncer les cas de violations des droits de la personne perpétrées contre les Arabes dans diverses parties du monde.
Je ne suis pas juif, mais je pense que vous avez là une occasion énorme, en tant qu'artisans de la paix, en tant que leaders de la paix, de vous dépasser vous-mêmes en portant à l'attention du monde des exemples horribles de ce qui est perpétré non seulement contre les gens de votre religion mais aussi contre ceux d'autres religions.
Enfin, pouvez-vous nous suggérer ce que nous pouvons faire pour endiguer le flot croissant de littérature haineuse et de radicalisme qui se répand, et je ne parle pas seulement du sentiment antisémite, mais d'autres sentiments formulés contre divers groupes minoritaires?
M. Rubin Friedman: Voici comment je veux vous répondre. B'nai Brith a toujours signalé les cas de violations des droits de la personne dans ses rapports au ministère des Affaires étrangères chaque fois que ces cas entraient dans ses secteurs de compétence et étaient portés à sa connaissance.
Par exemple, nous avons parlé des cas de violations des droits de la personne perpétrées contre les Turcs et les Tsiganes. Nous avons établi un dialogue interculturel avec la collectivité musulmane à Toronto.
Mais il faut un dialogue. Il faut qu'il y ait quelqu'un en face de nous pour parler. C'est parfois plus difficile qu'on pourrait l'imaginer, dans le cas de porte-parole officiels. Il y a beaucoup de personnes à qui l'on peut parler, mais cela devient problématique lorsqu'il s'agit de représentants d'un organisme qui parlent à ceux d'un autre organisme. Il en a été ainsi jusqu'à maintenant. Cela ne veut pas dire que nous ne continuerons pas d'essayer ou que tous nos efforts ont été vains. Nous en sommes rendus là actuellement sur ce front.
Enfin, je comprends qu'il faut dénoncer tous les cas de violations des droits de la personne. Malheureusement, nous avons constaté dans le passé que si nous ne dénonçons pas les cas de violations des droits de la personne perpétrés contre des personnes d'origine juive, très peu de gens le feront. Dans un sens, nous essayons donc de combler un vide. Nous n'essayons pas nécessairement de faire absolument tout pour tout le monde. Nous essayons de combler un vide qui existe habituellement, à notre avis. Les exemples que Lisa a évoqués et qui viennent des Nations Unies vous donnent une parfaite idée de ce dont nous parlons, c'est-à-dire qu'il y a très peu de gens qui parlent de ces questions. Et si les organisations juives ne le font pas, eh bien je ne sais pas qui le fera.
M. Keith Martin: Je comprends exactement ce que vous dites. Je ne me suis pas exprimé clairement. Ce n'est pas une question de choisir entre les deux, mais plutôt de faire les deux. Et à certains égards, la raison est pragmatique. En tendant la main à d'autres et en les faisant participer, vous arriverez peut-être à les faire parler également et à se joindre à vous, sans qu'il soit nécessaire de le leur demander, pour dénoncer les cas de violations des droits de la personne perpétrés contre les juifs en Argentine, et quel que soit l'angle sous lequel on les voit, il faut conclure que ces cas sont vraiment consternants. En agissant ainsi, vous pourrez donc bâtir un consensus et même si vous ne pourrez peut-être pas toujours vous prononcer ensemble sur certaines questions, vous pourriez du moins le faire dans certains cas.
M. Stephen Scheinberg: Nous avons commencé ici au Canada à dénoncer les cas de violations des droits de la personne et notre organisation estime que les droits de la personne sont indivisibles. Nous collaborons avec toutes les collectivités au Canada lorsque nous voyons des cas de violations des droits de la personne. Nous formons souvent des coalitions à Montréal, à Toronto, à Ottawa et ailleurs afin de coopérer avec d'autres collectivités parce que nous estimons que c'est la façon la plus efficace de fonctionner en ce qui concerne les droits de la personne.
Ces coalitions sont beaucoup plus difficiles à former au niveau international. Elles réussissent mieux au niveau communautaire qu'à des niveaux plus élevés, par exemple entre organismes. Trouver l'équivalent du B'nai Brith quelque part dans le monde arabe... Bon, j'espère que le monde arabe établira pour lui des organismes de défense des droits de la personne, des organismes fraternels visant la protection des droits de la personne avec lesquels nous pourrons travailler. Nous ne les avons pas encore trouvés. Nous aimerions beaucoup que cela arrive.
Mme Lisa Armony: Permettez-moi de vous donner un exemple qui montre à quel point il est difficile de trouver un partenaire.
Récemment, un organisme canado-arabe nous a contactés. Il cherchait à mettre sur pied un programme de collecte d'équipement d'hôpital ici au Canada pour l'envoyer à un hôpital d'enfants en Jordanie. Nous avons accueilli ce projet avec beaucoup d'enthousiasme, nous y avons mis tous nos efforts, et nous avions beaucoup de volontaires tous prêts à travailler. Mais on a arrêté le programme, peut-être à cause du climat politique qu'on voit ces jours-ci au Moyen-Orient. Il se peut que le gouvernement jordanien, qui participait à ce projet conjoint, ait considéré que ce n'était pas le bon moment de travailler ouvertement avec un organisme juif. À cause de cela, on a en quelque sorte laissé tomber le programme.
Ce genre de coopération est donc très difficile, même quand on parle d'une question qui n'a rien à voir avec le conflit. Ce projet était un effort purement humanitaire faisant intervenir un voisin arabe d'Israël qui est géographiquement le plus proche et avec qui Israël entretient des relations. Cela devrait montrer clairement qu'il est très difficile de trouver des partenaires de l'autre côté.
M. Keith Martin: Merci.
La présidente: Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: Non, ça va. Merci.
La présidente: Madame Folco.
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Je voudrais vous remercier d'avoir fait cette présentation qui est courte, mais qui en dit long sur ce qui se passe dans le monde.
Ce que je trouve inquiétant, évidemment, c'est le fait qu'on ait pensé, il y a un peu plus de 50 ans, que les choses allaient non seulement se calmer mais peut-être même disparaître, mais nous voyons maintenant une résurgence agressive du phénomène de l'antisémitisme à travers le monde, qui se cache très souvent, comme vous l'avez dit, sous la forme d'un antisionisme.
Je voulais dire deux ou trois choses. Tout d'abord, sur la question des personnes d'origine juive qui vivent en Argentine, vous avez dit qu'un certain nombre de familles étaient arrivées ici. Vous avez parlé de 13 familles juives d'Argentine qui sont arrivées à Winnipeg. Je suppose que vous connaissez bien le programme de la communauté juive de Montréal, qui a parrainé deux grands groupes de juifs soviétiques, qui en a été légalement responsable, qui a aidé le gouvernement du Québec à les sélectionner là-bas et à les amener ici, et qui en est maintenant responsable pour un certain nombre d'années.
Je me demandais si vous aviez étudié la possibilité de faire ce même genre de chose en ce qui concerne les Juifs d'Argentine. La communauté juive de Montréal l'a fait, mais la communauté ismaélienne l'a fait aussi en ce qui concerne les Ismaéliens au Pakistan, selon exactement le même principe, avec le gouvernement du Québec. Ce n'est pas nécessairement la meilleure solution, mais dans le court terme, c'est une solution.
• 1720
Je sais que ce n'est pas facile
pour l'avoir essayé moi-même, mais je me demande
quelle sorte de liens
vous entretenez avec les divers groupes
des diverses communautés arabes
ou musulmanes en vue de les ouvrir davantage
partout au Canada. On
sait qu'elles sont souvent influencées, à travers
l'Internet ou autrement, par l'extrême-droite anti-islamiste
et quelquefois antisémite.
Enfin, je voulais simplement dire que cette histoire de sang contaminé se lie très facilement à l'histoire des Protocoles de Zion, que nous connaissons tous. Cela m'inquiète, et j'imagine que cela vous inquiète aussi de voir comment la roue continue à tourner.
[Traduction]
M. Stephen Scheinberg: Nous connaissons bien le programme organisé par la communauté montréalaise pour les immigrants soviétiques. Mais le programme à Winnipeg pour les familles venant d'Argentine est intéressant, et pourrait nous servir de modèle. Par exemple, on pourrait soumettre au gouvernement du Québec une proposition en vue d'établir un programme semblable à Montréal, ou soumettre cette proposition à l'Ontario pour un programme à Toronto et à Ottawa. Nous sommes ouverts à cette notion, et toute mesure et toute aide que nous pourrions recevoir des autorités de l'immigration seraient les bienvenues.
Pour ce qui est de nos relations avec des groupes de femmes et avec d'autres groupes, on organise chaque année à Toronto, pendant la période de Pâques—ou Pessah, comme on l'appelle dans la religion juive—un Seder interconfessionnel pour les femmes. En général, nous recevons des femmes et des féministes—donc un groupe de femmes très diversifié. Nous avons d'excellents contacts avec d'autres groupes. Rubin a mentionné les dialogues entre musulmans et juifs qu'on a eus à Montréal et à Toronto. Nous considérons ces dialogues comme très importants au niveau local. Nous faisons un effort pour rencontrer autant de communautés que possible.
M. Rubin Friedman: J'aimerais ajouter un commentaire, et renforcer les propos de Steve.
Nous avons beaucoup plus de succès avec une coopération au niveau local qu'au niveau national ou international. Au niveau local, nous parlons avec des gens qui ont souvent les mêmes problèmes que nous. Quand on parle de la guerre du Golfe ou d'autres incidents au Moyen-Orient, les juifs et les musulmans deviennent souvent victimes de crimes haineux, ou racistes. Ces deux groupes ont donc quelque chose en commun, même si en théorie ils appartiennent à des groupes qui s'opposent dans ce conflit. Néanmoins, les deux groupes sont visés au moment où on parle de conflit. À ce niveau, il y a donc d'excellentes raisons pour qu'ils travaillent ensemble. Il est très facile pour nous de travailler ensemble quand nous traitons de questions communes, comme les crimes haineux. Mais au niveau international, cela devient bien plus difficile.
[Français]
Mme Raymonde Folco: Je voulais aussi ajouter que j'ai mentionné le Québec parce qu'il y a une clause particulière dans l'accord d'immigration entre le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Mais il se pourrait bien—je ne veux quand même pas aller trop vite—que la nouvelle loi canadienne contienne un article qui pourrait permettre à des groupes de parrainer des groupes venant d'ailleurs.
Pour répondre à la question de M. Martin, tout à l'heure, je sais aussi que le Congrès juif canadien, en particulier à Montréal, celui que je connais mieux évidemment, a beaucoup fait pour aller chercher d'autres groupes et les faire venir dans la province de Québec, et peut-être aussi ailleurs au Canada—de cela, je suis moins au courant—et s'est déclaré prêt à aider d'autres groupes qui sont victimes de discrimination, même s'ils ne sont pas juifs.
• 1725
Le Congrès juif canadien, région du Québec, s'est souvent
porté volontaire auprès du gouvernement, auprès des
médias et ainsi de suite. Donc, je voulais simplement
le mentionner. Malheureusement, M. Martin est parti,
mais il aura l'occasion de le lire. Merci.
[Traduction]
La présidente: Je ne crois pas qu'il y ait d'autres questions pour vous. Auriez-vous quelques commentaires à faire en conclusion?
M. Stephen Scheinberg: Votre suggestion à propos de l'immigration en groupe est très bonne. Évidemment, je connais bien les activités du Congrès juif canadien au Québec. De temps en temps, nous serions même prêts à collaborer avec lui, s'il le veut.
M. Rubin Friedman: J'aimerais vous laisser quelques exemplaires de documents que nous avons obtenus de différents sites Internet. Et si cela vous intéresse, je peux vous laisser des exemplaires de documents distribués ici à Ottawa très récemment.
La présidente: Merci beaucoup.
Il y aura maintenant une réunion du comité directeur. La séance est levée.