SINT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 1er mars 2000
La présidente (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): Mesdames et messieurs, j'ouvre maintenant cette séance du Sous- comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux qui poursuit son étude des relations économiques entre le Canada et l'Europe.
Aujourd'hui nous allons entendre d'abord M. Gifford, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, et Mme Suzanne Vinet, directrice générale intérimaire.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous prie de commencer.
M. Mike Gifford (conseiller spécial en politique commerciale (à la retraite) auprès du sous-ministre, Agriculture et Agroalimentaire Canada): Merci beaucoup, madame la présidente, et bon après-midi mesdames et messieurs.
Peut-être pourrais-je commencer par un survol historique rapide des relations économiques du Canada et de l'Europe, et en particulier de l'Union européenne, dans le domaine agricole.
Comme vous le savez sans doute, jusqu'à la fin des années 60, l'Europe en général et le Royaume-Uni en particulier étaient des marchés importants pour la production agricole canadienne. En fait, si on remonte à la période de 1965-1967, on voit que l'Europe achetait plus de 40 p. 100 des exportations agricoles du Canada. Bien sûr, aujourd'hui cette proportion n'est plus que de 6 p. 100, et je vais vous expliquer les raisons de ce déclin très marqué du marché européen pour les exportations canadiennes.
Avec l'adoption d'une politique agricole commune dans la Communauté européenne des six au début des années 60, l'Europe, qui était jadis un importateur net dans tous les secteurs agricoles, a mis en place d'importants systèmes de soutien des prix qui ont stimulé la production dans toute l'Europe, à tel point qu'à la fin des années 70 et au début des années 80, l'Europe était devenue un exportateur net dans pratiquement tous les secteurs de sa production.
En ce qui concerne les exportations à destination du Royaume- Uni, historiquement, nous avons joui d'un accès préférentiel à ce marché. Pendant la première moitié du siècle, et pendant une bonne partie des années 60 également, le Royaume-Uni a été le plus important marché pour les exportations agricoles canadiennes. Dans presque tous les cas, nos produits entraient au Royaume-Uni sans droits de douane, et lorsque ce n'était pas le cas, nous avions un tarif préférentiel, tout comme les autres pays du Commonwealth.
Évidemment, lorsque la Grande-Bretagne est entrée dans la Communauté européenne en 1973, ce qu'on avait vu sur le continent dix ans plus tôt a commencé à se produire au Royaume-Uni. Nos exportations vers le Royaume-Uni ont commencé à baisser, et à l'heure actuelle, non seulement l'Europe n'importe plus les produits canadiens, elle est devenue notre concurrente sur les marchés du tiers monde.
La situation s'est détériorée à tel point qu'au cours des dix dernières années, il y a eu neuf années où le Canada a été un importateur net de produits agricoles européens. On s'attendrait à l'inverse. De fournisseur traditionnel de produits alimentaires et de fibres que nous étions pour l'Europe, nous sommes devenus un importateur net de produits agricoles.
La raison est très simple; les Européens ont un excellent accès au marché agricole et agroalimentaire canadien, et notre accès au marché européen est déplorable. Pendant la majeure partie de l'après-guerre, nous avons eu une série de négociations bilatérales avec les États-Unis sous les auspices de l'ancien GATT, et ces négociations ont eu pour effet de réduire les tarifs. Évidemment, quand on réduit les tarifs dans un organisme multilatéral comme l'ancien GATT, ces réductions tarifaires profitent à tout le monde, y compris les Européens.
• 1535
En conséquence, notre protection tarifaire a diminué au cours
des années, ce qui a profité aux Européens, en particulier dans le
secteur des produits alimentaires transformés. La majeure partie de
leurs exportations à destination du Canada sont dans le secteur des
boissons alcoolisées et des produits alimentaires transformés, par
exemple la confiserie. Ils ont donc profité de la baisse
progressive des tarifs canadiens. Toutefois, nos exportations
traditionnelles de blé et d'autres produits à destination de
l'Europe sont aujourd'hui terriblement précaires.
Comme je l'ai déjà dit, c'est à cause de la politique agricole commune de l'Union européenne que l'Europe, d'importateur net, est devenue un exportateur net important. L'Europe est le plus gros importateur de produits agricoles au monde, mais en même temps, elle est aujourd'hui au deuxième rang pour l'exportation de produits agricoles.
Le passage d'importateur net à exportateur net a eu certaines conséquences; en effet, l'agriculture représente actuellement environ 50 p. 100 du budget total de l'Union européenne, ce budget qui est commun à toutes les nations d'Europe. Politiquement parlant, aucun politicien européen ne peut se permettre d'ignorer ce soutien accordé aux secteurs ruraux de l'Europe. Dans certains États membres, comme le Royaume-Uni, la population active dans le secteur agricole est très faible, à peu près l'équivalent de ce qu'elle est au Canada ou aux États-Unis, mais par contre, il y a d'autres États membres, comme l'Espagne, le Portugal et la Grèce, où le pourcentage de la population active dans le secteur agricole est toujours très élevé par rapport à la norme dans les pays développés.
Toutefois, cette politique agricole commune a évolué au cours des années. Elle subit actuellement des pressions budgétaires. Au début des années 90, M. MacSharry, qui était commissaire à l'agriculture à l'époque, a reconnu que la politique agricole commune devait changer, qu'on ne pouvait continuer éternellement à soutenir artificiellement les prix à un niveau bien supérieur à celui des prix mondiaux, ce qui provoque toutes sortes de problèmes transatlantiques dans le secteur agricole.
Ainsi, lors des négociations d'Uruguay dans le domaine agricole, pour parvenir à une conclusion positive, il a fallu que l'Europe reconnaisse la nécessité de modifier sa politique agricole commune, au moins en ce qui concerne les céréales, et la nécessité de baisser les subventions à l'exportation dont jouissaient les agriculteurs européens. Ces réformes, entreprises en 1991 et 1992, se sont intensifiées l'année dernière quand M. Fischler, l'actuel commissaire européen à l'agriculture, a proposé de nouvelles réductions des prix de soutien des céréales.
Ce qui est positif dans tout cela, c'est qu'au fur et à mesure que les Européens rapprochent leurs prix de soutien des niveaux mondiaux, cela leur permet d'envisager sérieusement une élimination éventuelle des subventions à l'exportation. S'il y a une chose qu'ils ne peuvent pas faire, c'est maintenir leurs propres prix de soutien pendant que les prix mondiaux restent bas. S'ils veulent continuer à exporter, il va falloir absolument qu'ils diminuent cet écart.
Comme je l'ai dit, en ramenant les prix de soutien à un niveau plus proche des niveaux mondiaux, au moins dans le cas des céréales, il est fort possible que les Européens réussissent à éliminer leurs subventions à l'exportation lors de la prochaine série de négociations à l'OMC.
Les Européens vont avoir un certain nombre de problèmes à résoudre dans un avenir proche. L'un d'entre eux, bien sûr, tient à l'expansion de l'Europe, à l'adhésion de la plupart des pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est.
À l'heure actuelle, il y a 15 États membres, et 10 ou 12 pays négocient pour adhérer à l'Union européenne. La plupart de ces pays, comme la Hongrie, la Roumanie et la Pologne, ont un potentiel agricole considérable. Ils se débattent encore dans les difficultés de ce qui reste de leur économie centralisée et, dans l'ensemble, leur agriculture n'est pas particulièrement productive. Toutefois, au cours des années et des siècles passés, cette région de l'Europe était le grenier traditionnel de l'Europe. L'Union européenne des 15 va donc devoir faire face à une expansion considérable de la production agricole si la politique agricole commune actuelle n'est pas modifiée. Et bien sûr, cette expansion agricole serait provoquée par ces prix de soutien très élevés.
• 1540
En ce qui concerne les difficultés que le Canada doit attendre
en Europe au cours des prochaines années, l'Europe qui était jadis
pour nous un marché d'exportation important est devenue un
concurrent important dans les pays du tiers monde. Évidemment, nous
aimerions améliorer notre accès au marché européen. Pour ce faire,
il faut que nous réussissions à persuader les Européens
d'abandonner leurs subventions à l'exportation. L'Union européenne
est responsable d'environ 85 p. 100 des subventions à l'exportation
dans le secteur agricole. Nous voudrions que ces subventions en
Europe soient remplacées par un soutien au secteur rural, car ce
type de soutien n'impose pas autant de distorsions commerciales que
les politiques agricoles actuelles.
Par conséquent, pendant la prochaine série de négociations à l'OMC, celle qui vient de commencer cette année, nous allons demander aux Européens de prendre des mesures pour éliminer leurs subventions à l'exportation, pour améliorer notablement notre accès à leur marché, et pour réduire leur soutien à la production nationale qui provoque de graves distorsions commerciales.
Pour être juste envers les Européens, à propos de la position qu'ils ont adoptée à Seattle en décembre dernier, quand nous avons essayé d'élargir les négociations à l'OMC... En fait, à Seattle, l'agriculture n'était pas la cause du problème. Les problèmes étaient nombreux, mais il s'agissait surtout de déterminer ce qu'on inscrirait au programme des négociations en plus de l'agriculture et des services. Cela a été le problème dominant. Il faut reconnaître que les Européens ont été relativement accommodants pendant les discussions agricoles et que si on avait fait autant de progrès dans les autres domaines que dans le domaine agricole, Seattle aurait été un succès.
Pendant la prochaine série de négociations à l'OMC, notre gouvernement espère obtenir des améliorations importantes dans les trois secteurs clés: accès aux marchés, subventions à l'exportation et soutien interne. Nous espérons pouvoir travailler avec d'autres pays qui ont une position comparable et des préoccupations semblables, en particulier avec les États-Unis et le groupe de pays exportateurs de produits agricoles qu'on appelle le groupe de Cairns et dont le Canada fait partie. Nous avons tous des objectifs équivalents en ce qui concerne l'Europe, tous nous voudrions introduire une certaine discipline dans leur politique agricole commune.
En ce qui concerne les initiatives bilatérales, comme beaucoup de témoins ont dû l'observer avant moi, il serait extrêmement difficile de négocier, par exemple, une entente de libre-échange avec l'Union européenne si l'agriculture faisait partie de cette entente. Les Européens ne voient pas très bien ce qu'ils auraient à gagner avec une entente de libre-échange avec le Canada qui inclurait l'agriculture, car nous sommes un producteur agricole important, nous sommes extrêmement concurrentiels, et si l'on institue une zone de libre-échange commune, il faudrait que la politique agricole commune actuelle subisse des changements fondamentaux.
En réalité, à moyen et à long terme, le seul moyen pour des pays comme le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine, le Brésil, et même les États-Unis, de se tailler un accès sur le marché européen, c'est de négocier multilatéralement.
Certains pays ont négocié récemment des ententes de libre- échange avec les Européens, par exemple le Mexique. Toutefois, l'économie agricole mexicaine est complémentaire de l'économie européenne, car les Mexicains peuvent exporter des fruits et des légumes, des produits tropicaux et des produits hors saison qui ne sont pas en concurrence directe avec la production européenne.
• 1545
Par contre, je crois pouvoir dire sans le moindre doute qu'une
entente entre MERCOSUR, c'est-à-dire l'Argentine, le Brésil et
autres pays de ce genre, et l'Union européenne, même si elle était
étiquetée libre-échange, exclurait certainement l'agriculture. En
effet, l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay sont d'excellents
producteurs de produits agricoles de zone tempérée.
Pour conclure, certains anciens problèmes subsistent, par exemple les subventions à l'exportation en Europe, le manque d'accès au marché européen, mais au cours de ces dernières années, de nouveaux problèmes commencent à se poser, et je veux parler des domaines de la santé et de la sécurité.
Par exemple, l'interdiction par les Européens d'importer du boeuf ayant été traité avec des hormones de croissances qui nous amène plus ou moins à un scénario de représailles autorisé par l'OMC. Nous avons dit aux Européens que, temporairement au moins, nous étions prêts à accepter une compensation au lieu de représailles, mais en réalité, c'est un domaine où nous ne pouvons pas agir sans les États-Unis, car les États-Unis sont un exportateur potentiel de boeuf beaucoup plus important que nous.
Depuis 1995, l'exportation de canola, ou colza, vers l'Europe est à proprement parler interdite car le processus d'approbation européen des produits génétiquement modifiés tourne actuellement à vide. À l'heure actuelle en Europe, un véritable moratoire a été imposé sur l'approbation de toutes les nouvelles variétés génétiquement modifiées. La Commission européenne a des règlements et un processus d'approbation qui ressemblent beaucoup au processus d'approbation canadien, mais dans sa dernière étape, c'est-à-dire l'approbation des États individuellement, certains de ces États ont tout simplement refusé de franchir la dernière étape et d'autoriser l'approbation de ces nouvelles variétés génétiquement modifiées.
Le résultat c'est que nous n'avons pas exporté une tonne de canola en Europe depuis 1995. Auparavant, notre canola entrait en Europe en franchise de droits de douane. Ce n'était pas un gros marché—nos principaux marchés sont au Japon, chez nos partenaires de l'ALENA et en Chine—, mais en 1995, nous avions tout de même expédié pour plus de 400 millions de dollars de canola en Europe. C'est donc un marché que nous avons perdu.
Plus récemment, nous avons entrepris des discussions bilatérales avec les Européens pour ménager un accès à l'Union européenne pour les vins canadiens. Le vin est la principale exportation européenne à destination du Canada. Bien que les Européens se plaignent périodiquement des pratiques des régies provinciales des alcools, la réalité, c'est que le marché canadien est pour eux un excellent marché qui n'a cessé de se développer et de s'élargir, et pendant ce temps, une fois de plus dans ce domaine, notre accès au marché européen est déplorable. En particulier, nous avons un excellent produit pour lequel nous pensons pouvoir trouver un excellent créneau, le vin de glace, qui est produit au Canada et qui est de qualité mondiale. Nous essayons actuellement de négocier une entente bilatérale avec les Européens qui permettrait, entre autres choses, d'exporter du vin de glace canadien à destination de l'Europe. Nous espérons que ces négociations seront terminées cette année.
Voilà qui termine mes observations qui, je l'espère, vous auront donné une idée de l'évolution du commerce agricole entre le Canada et l'Europe.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Gifford.
Madame Vinet, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Suzanne Vinet (directrice générale intérimaire, Direction des politiques de commerce international, Direction générale des services à l'industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada): Non.
La présidente: Je vais donc donner la parole à Mme Higginson, qui représente la Fédération canadienne de l'agriculture.
Madame Higginson, vous êtes la bienvenue.
Mme Jennifer Higginson (analyste des politiques commerciales, Fédération canadienne de l'agriculture): Je m'appelle Jennifer Higginson, de la Fédération canadienne de l'agriculture, et je suis accompagnée aujourd'hui par Martin Rice, directeur exécutif du Conseil canadien du porc, qui aura également des observations à faire au sujet de son secteur. Sally Rutherford, notre directrice générale, pourra également répondre à vos questions.
• 1550
Pour commencer, j'aimerais remercier le comité de nous avoir
invités à participer à cette discussion.
La FCA est un organisme cadre qui représente plus de 200 000 familles agricoles au Canada. Les agriculteurs canadiens ont démontré qu'ils sont en mesure de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux. Au cours des cinq dernières années, les exportations agricoles ont connu une hausse de plus de 65 p. 100, atteignant un chiffre record de 22,65 milliards de dollars en 1998.
L'Union européenne est le troisième plus important marché d'exportation pour les produits agricoles canadiens. En 1998, 57 p. 100 des exportations canadiennes de produits agricoles sont allées aux États-Unis, 9 p. 100 au Japon et 7 p. 100 à l'Union européenne.
Les principaux produits agricoles exportés par le Canada en Europe ont été, entre autres, les céréales, pour 339 millions de dollars, les oléagineux, les légumineuses à grain, d'autres produits d'origine animale, les produits laitiers, les provendes, le tabac et les viandes rouges.
Nous pensons que les principaux problèmes dans nos relations commerciales avec l'Europe seront abordés lors de la prochaine série de négociations commerciales à l'OMC, ou du moins que cela devrait être le cas. Comme Mike l'a dit dans son exposé, les grands problèmes, comme l'accès aux marchés, le soutien intérieur et les subventions à l'exportation de produits agricoles, sont des problèmes très délicats qui doivent être traités dans toute entente bilatérale avec l'Europe. Le secteur agricole est très protégé là- bas, et nous ne pensons qu'ils soient prêts à accorder des concessions importantes dans une entente bilatérale. Pour obtenir des concessions, il faudrait que les négociations soient élargies, qu'un plus grand nombre de secteurs et de pays y participent.
Pour notre secteur, un des problèmes les plus importants est celui des subventions à l'exportation. L'accord issu des négociations d'Uruguay limite le montant des subventions à l'exportation. Ces restrictions ont été calculées sur une période de référence pendant laquelle les paiements de soutien ont été très élevés. Ainsi, les subventions à l'exportation des produits de base ayant diminué, en particulier avec les dispositions qui autorisaient un report pendant certaines années, et avec la baisse récente des céréales, ces subventions à l'exportation connaissent un regain de popularité. Pour vous donner une idée des conséquences pour les producteurs canadiens: les Européens subventionnent l'exportation d'avoine à destination du marché américain, et cela influence très nettement le prix de l'avoine en Amérique du Nord, y compris pour les producteurs canadiens.
En ce qui concerne les subventions à la production ou le soutien intérieur, les négociations d'Uruguay prévoyaient aussi des engagements de réduction du soutien interne. Or, comme ces réductions ont été calculées en fonction d'une période de référence où les paiements de soutien étaient très élevés, pour l'année finale, on s'aperçoit que les versements internes sont bien inférieurs aux limites fixées, et cela pour tous les pays en cause.
En 1995, le Canada ne consacrait aux programmes de la catégorie orange que 15 p. 100 de la limite autorisée. Pendant ce temps, les Américains dépensaient 27 p. 100 de leur limite autorisée, et l'Union européenne 60 p. 100. Pendant cette même période, les États-Unis et l'Union européenne consacraient des sommes considérables aux programmes de la catégorie bleue.
Certes, les subventions à la production versées aux producteurs en vertu de la politique agricole commune, dite PAC 2000, étaient assorties d'une baisse des prix d'intervention, mais permettaient d'indemniser les producteurs par le biais de paiements directs. Autrement dit, les programmes oranges ont été délaissés au profit des programmes verts, qui sont exemptés de tout engagement de réduction. On considère que les programmes de la catégorie bleue imposent moins de distorsions commerciales que les programmes de la catégorie orange, et pour cette raison ils ne sont pas soumis aux même engagements de réduction. Cela dit, nous sommes convaincus que ces programmes se ressemblent beaucoup et même qu'ils ont exactement le même effet.
• 1555
Il y a un principe qui a été avancé—dont on a entendu parler
à plusieurs reprises à Seattle, avant Seattle et après—et c'est le
principe du rôle multifonctionnel de l'agriculture, un principe
auquel les Européens et les Japonais tiennent beaucoup. Pour nous,
c'est principalement une question de soutien intérieur.
Effectivement, il faut observer que l'agriculture joue un grand
nombre de rôles différents, mais en même temps, nous devons nous
assurer que les soutiens que nous versons pour maintenir le rôle
multifonctionnel de l'agriculture imposent le moins possible de
distorsions commerciales, et nous assurer que cela s'intègre dans
les programmes de la catégorie verte. Ce que nous voudrions, c'est
un plafond commun pour les dépenses dans le secteur agricole.
En ce qui concerne l'accès aux marchés, comme Mike vous l'a dit, l'accès aux marchés des céréales a toujours été un problème. Lorsque les droits d'accès historiques du Canada aux marchés des pays européens ont changé après leur adhésion à l'Union européenne, certains différends ont surgi. Après les négociations d'Uruguay, le Canada a continué à défendre sa cause auprès de l'OMC. Sans lui rendre tout le terrain perdu, cela lui a tout de même permis de récupérer certains marchés.
Aujourd'hui, à une époque où d'autres pays tentent d'adhérer à l'Union européenne, nous devons absolument garder à l'esprit les leçons tirées de cette expérience. Sur le plan agricole, et en particulier sur le plan des céréales, la Pologne et la Hongrie présentent un intérêt particulier. Martin vous parlera d'autres pays qui intéressent particulièrement le secteur du porc.
En ce qui concerne l'administration des contingents tarifaires, l'Europe a adopté pour l'administration de ses contingents une approche différente de celle du Canada. L'Europe a décidé de regrouper toute sa production de viande, y compris la volaille, en un même contingent tarifaire, ce qui a laissé très peu d'accès pour notre porc. La même chose s'est produite pour les céréales secondaires, et le résultat, c'est qu'il n'y a pratiquement plus d'accès pour notre orge.
La façon dont l'Europe applique les directives de l'OMC en ce qui concerne l'accès minimum est également une cause d'inquiétude. En effet, la taille des CT et les seuils et les prix de référence utilisés pour fixer les tarifs douaniers pourraient avoir de graves conséquences.
Les obstacles non tarifaires sont un de nos plus gros problèmes commerciaux avec l'Europe. Il y a ici une foule d'autres problèmes qui ont perturbé ou qui risquent de perturber le commerce des produits agricoles.
En ce qui concerne les hormones de croissance bovine, le Canada a gagné sa cause lors d'un règlement des différends, mais l'UE n'en continue pas moins à refuser d'importer du boeuf produit au moyen d'hormones de croissance. L'UE est prête à payer des amendes pour ne pas avoir à se plier au jugement. Ainsi, nous sommes dans l'impossibilité d'expédier en Europe du boeuf produit avec des hormones, bien que ces produits aient été acceptés par le Codex et par les chercheurs canadiens.
En ce qui concerne l'équivalence des normes, il est absolument nécessaire d'harmoniser et d'établir l'équivalence des normes vétérinaires et des normes d'inspection. Des progrès ont été accomplis dans ce domaine. En décembre 1998, le Canada et l'Union européenne ont signé un accord d'équivalence vétérinaire portant sur les mesures sanitaires applicables au commerce des animaux vivants et des produits d'origine animale, ce qui constitue un pas dans la bonne direction. On travaille également au sein de l'OCDE pour harmoniser les exigences réglementaires en matière de pesticides.
En ce qui concerne les produits génétiquement modifiés, il y a en ce moment un débat animé en Europe au sujet de l'utilisation de la biotechnologie moderne et des organismes génétiquement modifiés. Le Canada continue à ne pas pouvoir exporter dans le marché de l'Union européenne des produits agricoles issus de semences génétiquement modifiées. Cette situation reflète en grande partie l'incertitude d'un bon nombre de pays européens et d'une bonne partie de leur population.
• 1600
Dans ce domaine, la discussion vient tout juste de commencer.
Il va falloir résoudre des problèmes importants, sur la scène
nationale et internationale, et certainement mieux définir ce qui
qu'est un produit génétiquement modifié, ce qui constitue un
produit biotechnologique. Il va falloir adopter des règles en ce
qui concerne l'étiquetage et prendre des décisions au sujet des
seuils de tolérance. Le Canada se penche sur ces dossiers au niveau
national, mais la discussion doit aussi s'étendre sur la scène
internationale.
Les récentes négociations du protocole sur la biosécurité ont mis en relief un écart entre les attitudes de l'Union européenne et du Canada face à certaines questions de biotechnologie. Pendant ces négociations, on a discuté d'un élément particulièrement intéressant, le principe ou la démarche de la précaution. La semaine dernière, la FCA a organisé un atelier sur la multifonctionnalité et le principe de la précaution, ce qui nous a donné l'occasion d'entendre de nombreux points de vue différents de la part des Européens, des Américains et de nos propres représentants. À mon avis, c'est un domaine qui en est encore à ses premiers pas.
Nous insistons sur la nécessité de faire preuve de vigilance et nous assurer que l'évaluation des risques est fondée sur des données scientifiques et non pas sur des considérations politiques ou autres.
En ce qui concerne l'avenir des négociations agricoles à l'OMC, le Canada compte obtenir une libéralisation encore plus poussée du commerce agricole. Par contre, l'UE continue à insister pour protéger l'agriculture et pour subventionner les exportations et protéger ses frontières contre l'importation d'un grand nombre de produits agricoles. Tout développement important dans ce domaine devrait passer par l'OMC, mais étant donné la taille du marché, nous sommes tout à fait prêts à envisager des ententes bilatérales avec d'autres régions avec lesquelles nous aurions des intérêts en commun.
Je cède maintenant la parole à Martin.
M. Martin Rice (directeur exécutif, Conseil canadien du porc): Merci beaucoup.
Je remercie la FCA de m'avoir invité à les accompagner aujourd'hui, et je félicite ce comité d'avoir décidé d'examiner nos relations économiques avec l'Europe.
Quand nous parlons de l'Europe, nous avons tendance à penser à l'Union européenne actuelle, mais comme Jennifer l'a dit, nous commençons également à nous tourner du côté des nouveaux candidats. Il y en maintenant une douzaine qui voudraient se joindre à l'Union européenne, et si ces pays ne sont pas particulièrement solides économiquement, ensemble ils ont une population assez importante.
Les possibilités commerciales nous intéressent particulièrement. C'est l'aspect des relations économiques auquel nous consacrons le plus de temps. En ce qui concerne l'Europe, le principal sujet d'irritation, de conversation, etc., a plutôt été l'absence de relations commerciales.
J'ai l'intention de faire des observations à la fois sur l'Union européenne et sur les pays d'Europe qui ne font pas partie de l'Union. Plus le secteur agricole est actif commercialement, plus il éprouve de frustrations à cause du comportement des Européens. Je ne veux pas dire que ce sont les seuls à imposer des mesures et des politiques de distorsion et à ériger des barrières, mais ils opèrent sur une telle échelle, et ils ont réussi à maintenir ces mesures pendant si longtemps et dans de si nombreux domaines que c'est pour nous une véritable source de préoccupations car c'est tout à fait contraire à l'esprit des ententes signées, notamment à l'issue des négociations d'Uruguay.
Après avoir finalement accordé un accès minimum, ils ont défini cet accès minimum de telle manière, et d'une façon si rusée, que cela ne respecte absolument plus l'esprit du cycle d'Uruguay. Nous nous attendions à ce que cet accès minimum soit calculé sur la base de leur consommation nationale de porc; mais au lieu de cela, ils ont regroupé différentes catégories de viande, et comme ils importent d'importantes quantités d'agneau, de boeuf, etc., ils ont réussi à bloquer presque toutes les importations de porc. Malgré tout, cette perspective nous a semblé très prometteuse.
• 1605
Dans leur mise en oeuvre, les contingents tarifaires ont été
répartis en diverses catégories. Cela va à l'encontre de la façon
dont le Canada a procédé. Dans l'utilisation des contingents
tarifaires au Canada, ceux-ci sont plus faciles d'accès et
d'utilisation qu'en Europe.
On continue de constater des surplus européens dans les marchés des pays du tiers monde, et ces surplus respectent l'obligation de réduction des subventions aux exportations dont les pays ont convenue dans les négociations d'Uruguay. Néanmoins, nous devons composer avec les forces d'un marché dans lequel l'un des principaux joueurs peut exporter autant qu'il le souhaite, offrir des subventions considérables aux exportations et refuser un accès réel à ses propres marchés; cela nous oblige à faire concurrence dans des conditions d'offre très importante par rapport à une demande beaucoup plus faible qu'elle ne le serait si l'Europe ouvrait ses marchés, comme nous, au commerce international.
Nous avons produit une brochure dont des exemplaires vous ont été distribués. Parmi les questions commerciales qui figurent dans nos sujets de négociation, au moins la moitié, sinon davantage, sont directement liées à l'Union européenne; ce sont des questions d'obstacles techniques, de subventions aux exportations, de contingents d'importation, etc.
L'Union européenne s'est plus particulièrement portée à la défense de certains nouveaux concepts, comme la multifonctionnalité, dont Jennifer a parlé. Les pays du groupe de Cairns ne sont pas les seuls à être sceptiques à ce sujet, c'est également le cas de la plupart des pays industrialisés. On estime que ce principe est un moyen qui permet à l'Europe de continuer à justifier ses mesures très protectionnistes et ses subventions aux exportations car il lui permet de faire valoir les avantages non économiques de l'agriculture, entre autres au titre des loisirs et de l'agrément, pour les citoyens, de beaux paysages ruraux. J'estime que les Canadiens s'intéressent tout autant que les Européens à de tels facteurs extérieurs.
La présidente: Monsieur Rice, Mme Higginson a parlé de multifonctionnalité. Comment définissez-vous ce terme, exactement?
M. Martin Rice: Ce sera une bonne question à poser quand vous vous rendrez en Europe.
J'ai participé à certains colloques à Seattle. Les Européens semblent croire qu'ils sont les seuls à vraiment apprécier ces aspects non pécuniaires de l'agriculture et ils pensent donc qu'ils devraient pouvoir faire valoir ces attributs non économiques de l'agriculture pour obtenir un traitement privilégié. Nous reconnaissons que l'agriculture doit respecter certaines conditions, entre autres pour ce qui est de la production non polluante, mais ces obligations ne devraient pas être plus grandes pour nous que pour les producteurs européens. Si nous respectons leurs normes en ce qui a trait, par exemple, au bon traitement des animaux, il n'y a pas de raison de limiter notre accès aux consommateurs européens. C'est sous cet angle que nous voulons examiner ces choses.
La multifonctionnalité pourrait donc devenir un critère de restriction des échanges commerciaux. Il y aura en tout cas beaucoup de discussions durant les négociations commerciales pour délimiter cette question.
Il y a également le principe de la précaution, dont les dangers sont assez clairs. À l'heure actuelle, les Français refusent d'importer du boeuf britannique, même si les cas d'encéphalopathie bovine spongiforme sont très fréquents dans les troupeaux français. Les Français continuent néanmoins d'interdire l'importation de boeuf britannique sous prétexte que d'après eux, le risque existe toujours.
• 1610
Ce principe est probablement une boîte de Pandore qui, une
fois ouverte, permettra aux Européens de défendre leur intérêt
particulier en le justifiant par l'application de ce soi-disant
principe de précaution... On voit donc que tant le principe de
précaution que la multifonctionnalité feront l'objet de grandes
discussions, j'en suis sûr, avant que des pays comme le Canada
jugent qu'on peut les appliquer de façon légitime à l'accès aux
marchés.
Pour nous, l'agriculture et l'agroalimentaire sont trop importants au Canada pour qu'on en fasse un secteur d'exception, un secteur nécessitant un traitement spécial et auquel s'appliquent des règles différentes de celles du reste de l'économie, comme c'était le cas avant les négociations d'Uruguay. L'agriculture a des caractéristiques particulières, mais il faut que s'appliquent ces règles que nous avons du moins commencé à obtenir dans le cas de l'agriculture et qui donnent aux exportateurs un certain degré d'accès aux marchés et des moyens de corriger les griefs et les traitements injustes si cet accès est bafoué.
Nous souhaitons donc que soit évité ce que Mike a mentionné dans le cas du MERCOSUR, par exemple, c'est-à-dire une exemption à l'égard de l'agriculture et de l'agroalimentaire dans un accord de libre-échange entre l'Europe et les pays du MERCOSUR. Quand je parle à des Argentins et des Brésiliens, je suis surpris que les gens là-bas soient prêts à laisser l'Europe exempter l'agriculture et à appliquer de telles politiques alors que le Brésil et l'Argentine ont, comme nous, d'énormes intérêts dans ce secteur, l'un des secteurs dans lesquels ils ont un avantage comparatif. Cela revient à négocier en s'imposant soi-même un handicap.
Permettez-moi d'aborder un instant d'autres parties de l'Europe. Nous examinons depuis quelque temps déjà la question de ces autres pays européens, dont la Pologne et la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie, la Slovaquie et quelques autres, qui se joignent à l'Union européenne. Au cours des 10 dernières années, ces pays sont devenus des fournisseurs importants de porc et, dans le cas de la Pologne, de céréales, de graines oléagineuses et d'autres produits agricoles, dont le tabac. Nous avons vu ce qu'a souffert notre marché du fromage au Royaume-Uni, lorsque celui-ci a adhéré à l'Union européenne. Et il y a d'autres exemples que nous souhaitons éviter, qui ne doivent plus jamais se reproduire. La population de ces pays qui adhèrent à l'Union européenne totalise je crois plus de 150 millions d'âmes.
Nous apprécierions grandement toutes les mesures que votre sous-comité pourrait prendre pour observer la situation en Europe et encourager notre gouvernement fédéral à veiller à ce que nous conservions au moins le statu quo dans nos échanges commerciaux avec ces pays et, en tout cas, à ce que nos droits de commerce avec ces pays soient maintenus s'ils se joignent à l'Union européenne. Nous ne savons pas très bien comment ces règles fonctionnent, mais le Canada devrait peut-être entreprendre des négociations de libre- échange avec certains de ces pays, entre autres la Pologne et la Hongrie, compte tenu de ce que l'Union européenne négocie un libre- échange avec certains pays de notre zone, dont le Mexique et le MERCOSUR. Les nations de l'Union européenne ne peuvent négocier d'ententes bilatérales de leur propre chef. En adhérant à l'Union européenne, les pays renoncent à tous leurs accords commerciaux bilatéraux avec d'autres pays.
• 1615
À l'heure actuelle, forts de leur espoir et de leur certitude
de pouvoir joindre les rangs de l'Union européenne, ces pays
négocient la résiliation de tous les accords bilatéraux dont ils
étaient signataires. Lorsqu'ils adhéreront à l'Union européenne,
ils devront être dégagés de tous ces accords commerciaux avec des
pays non-membres de l'Union européenne.
Ces accords seront donc résiliés, mais dans nos conditions de commerce avec ces pays, il y a d'autres domaines que les tarifs dont nous pouvons tirer profit pour favoriser notre commerce avec des pays comme la Pologne et la Hongrie, avant qu'ils se joignent à l'Union européenne. Nous devons en profiter. Parallèlement, nous devons tenir compte de ce que la perspective d'adhésion de ces pays à l'Union européenne ajoutera au pouvoir de cette union de réformer encore sa propre politique commune en matière d'agriculture.
En 1998, l'Union européenne avait lancé une initiative intitulée Agenda 2000, dans laquelle elle proposait des changements importants à la politique agricole commune, y compris une mesure qui aurait réduit les prix intérieurs des céréales et les aurait ramenés plus près des niveaux internationaux. Cette mesure se fondait en partie sur la nécessité de ramener davantage ces prix à un niveau qui permettrait d'accueillir ces autres pays.
En fin de compte, la réforme n'a pas été réalisée, ou du moins pas au niveau nécessaire. La plupart des gens conviennent qu'il faudra d'autres grands changements avant que l'Union européenne puisse accueillir ces autres pays, des réformes qui peut-être... Je doute que les grands pays de l'Union européenne souhaitent ardemment accueillir les anciens pays du bloc de l'Est. L'Europe devra faire preuve d'un grand courage politique pour accepter l'adhésion de ces autres pays à l'Union européenne. Pour ma part, j'estime que cela pourrait prendre plus longtemps que ne le croient certains de ces pays candidats optimistes, et si certains d'entre eux renonçaient à cette adhésion, j'aimerais que l'on puisse négocier des accords bilatéraux avec des pays comme la Pologne et la Hongrie.
Pour conclure, le plan d'action proposé par la direction de la recherche parlementaire semble mettre l'accent sur les capitales européennes prétendument importantes que le comité devrait visiter; c'est un élément important, mais d'après notre expérience, le Canada—je ne voudrais pas être injuste envers nous. Le Canada est un pays moins important que les États-Unis et nous avons souvent davantage en commun avec des pays européens plus petits, entre autres les Pays-Bas et le Danemark, ou même la Suède et l'Irlande, dont l'économie se porte très bien. Au cours des dix dernières années, la croissance par habitant a probablement été plus rapide dans ces pays qu'en Allemagne et en France et, dans le cas du Danemark et des Pays-Bas, plus particulièrement, ils sont généralement plus ouverts aux influences et au commerce venant de l'extérieur de l'Europe que la France et l'Allemagne.
Nous pensons donc que vous devriez visiter un ou deux pays plus petits et que vous y constaterez peut-être un intérêt plus grand pour des liens économiques plus resserrés entre notre continent et le leur. Dans ces pays, les gens semblent davantage en faveur d'une libéralisation des échanges agricoles car ils y voient l'occasion d'importer des produits, de les retransformer et de les réexporter, en plus de pouvoir exporter au sein de l'Union européenne.
Le Parlement européen, qui est encore à Strasbourg, je crois, est maintenant l'un des principaux joueur de la scène européenne. Nous vous demandons de nouveau de tenir compte des pays qui n'ont pas encore adhéré à l'Union européenne dans l'examen de nos relations économiques avec l'Europe.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Rice.
Le dernier témoin mais non le moindre, Mme Christine Elwell.
Bienvenue.
Mme Christine Elwell (analyste principale de politiques, Sierra Club du Canada): Merci, et bonjour.
Le Sierra Club du Canada est un groupe environnementaliste national qui a cinq bureaux régionaux à travers le pays. Merci de nous avoir invités à vous rencontrer aujourd'hui pour discuter des relations entre le Canada et l'Europe, surtout au chapitre de l'agriculture.
J'ai l'intention de discuter de deux sujets aujourd'hui, le génie génétique et les tendances actuelles du marché. Je mentionnerai le protocole sur la biosécurité et j'expliquerai que c'était une meilleure plate-forme que l'OMC pour traiter de ces questions.
J'aborderai le nouveau document européen sur le principe de précaution applicable à la salubrité des aliments. Enfin, je ferai quelques recommandations sur les mesures que peut prendre la Canada dans le domaine de l'accès aux marchés et des règles, puis je discuterai brièvement des recommandations pour améliorer, au moins, nos relations bilatérales.
Mais auparavant, je me dois de souligner respectueusement que nous contestons l'analyse de M. Gifford sur les négociations de Seattle. Nous étions présents à Seattle et d'après ce que nous avons constaté, l'agriculture était considérée comme un grand dossier. Ce n'était pas le seul dossier, mais c'était une question fondamentale que souhaitait aborder la société civile.
Même s'il y avait consensus sur la question des subventions aux exportations, une grande majorité de gens reconnaissaient les préoccupations non commerciales, la multifonctionnalité de l'agriculture. Comme le dit le slogan, il faut remettre la culture dans l'agriculture. Les gens étaient donc ouverts aux aspects non commerciaux, surtout en ce qui a trait à la vie rurale, à l'environnement, à la santé—tous les aspects positifs.
Également, nous avons été très déçus qu'au chapitre de la biotechnologie le conseil ait semblé d'accord pour que soit créé un groupe de travail de l'OMC sur la biotechnologie, même si les 15 ministres de l'Environnement se dissociaient de cet accord en raison de l'énorme fossé qui existe et du caractère très controversé de ce dossier.
Nous avons été très contents de l'échec des négociations de Seattle, surtout de ce qu'on n'a pas créé un groupe de travail sur la biotechnologie. De cette façon, le groupe de Montréal sur l'entente en matière de biosécurité aura de ce fait l'occasion d'élaborer les règles. Nous sommes donc très satisfaits du déroulement des événements.
Le génie génétique est également une question très importante, comme vous l'avez dit. La société canadienne est exposée à des influences énormes mais très différentes de celles qui existent en Europe, bien que nous soyons également influencés par l'Europe. Par exemple, l'influence européenne peut venir de ce que la British Medical Association réclame un moratoire indéfini sur les récoltes modifiées génétiquement en raison d'un manque de consensus scientifique. Les Canadiens ne comprennent pas que les grands détaillants ou les producteurs d'aliments vendent en Europe des produits non modifiés génétiquement alors que ces mêmes sociétés vendent ici des produits modifiés génétiquement. Les consommateurs se demandent pourquoi on applique ici des normes moins rigoureuses. Pourquoi les Européens ont-ils droit à des normes plus élevées? Voilà ce sur quoi s'interroge à l'heure actuelle le public canadien.
Récemment, on a constaté dans le monde entier un revirement incroyable dans le secteur de la vente au détail. Il ne s'agit pas seulement de McCain, qui a déclaré ne plus vouloir acheter de pommes de terre modifiées génétiquement. Frito-Lay a interrogé ses fournisseurs. Seagram a produit une déclaration sur les éléments modifiés génétiquement de ces produits. Même McDonald a emboîté le pas à McCain.
Le secteur des aliments diététiques tout entier fait également des efforts pour éviter les modifications génétiques. L'Association canadienne des aliments de santé a récemment réclamé l'étiquetage obligatoire et la société Yves, l'un des fabricants les plus populaires d'aliments de santé, s'est déjà engagée le 3 février à ne plus vendre de produits modifiés génétiquement.
Ces décisions sont renforcées à l'échelle internationale. Le marché de l'Union européenne demeure fermé à ces produits et tout récemment, le ministre de la Santé de l'Allemagne a interdit le maïs Liberty 176 en raison de préoccupations au sujet de gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques. Pour ma part, j'ai des enfants et j'hésite déjà énormément à donner des antibiotiques à mes enfants. Je suis consciente des inquiétudes que suscitent les antibiotiques et leur usage à toutes les sauces.
Plus récemment encore, la société Nestlé de Hong Kong s'est dotée d'une politique contre les produits modifiés génétiquement. C'est peut-être encore plus important, compte tenu de l'intérêt qu'a le Canada à l'égard du marché japonais. Le marché européen est fermé à ces produits, et c'est de plus en plus le cas du marché japonais et des marchés asiatiques; l'Amérique du Nord se retrouve à peu près isolée. Lorsqu'une société comme celle-là se dote d'une politique contre les aliments modifiés génétiquement en Europe et en Asie, on peut supposer que cela se produira ici également; ce n'est qu'une question de temps et de bon sens. Les exportations canadiennes sont peut-être protégées contre certaines activités européennes, mais leurs marchés se resserrent. Aux États-Unis, en fait, un grand nombre de permis d'utilisation de récoltes biotechnologiques devront bientôt être renouvelés. Il est très possible qu'ils ne soient pas renouvelés compte tenu de toute cette inquiétude du public.
• 1625
Ce que nous conseillons à nos amis du secteur agricole
canadien, c'est de ne pas se fermer de portes. Ils doivent éviter
de s'enfermer dans l'univers des organismes modifiés génétiquement
parce que les marchés sont en train de changer.
La préoccupation ne s'applique pas seulement aux organismes modifiés génétiquement—le canola et d'autres—mais aussi aux aliments pour animaux, un secteur assez considérable. Nous conseillons donc aux producteurs d'oeufs de nourrir leurs animaux avec des aliments non modifiés génétiquement s'ils veulent se tailler une bonne place dans les nouveaux marchés.
Le mois dernier, un grand détaillant du Royaume-Uni, Tesco, a éliminé tous les OMG de l'alimentation de ses volailles. Pour ma part, j'achète pour ma famille des poulets élevés en liberté.
Sun Valley, un producteur de volaille est l'un des plus grands importateurs britanniques de tourteau de soya, a emboîté le pas. Ce qu'il faut savoir, c'est que Sun Valley appartient à Cargill. Dans une déclaration au Parlement, Sun Valley a dit que le marché des aliments pour animaux s'alignerait bientôt sur le marché des produits de consommation.
Dans le journal agricole américain, High Plains, une firme du nom de Fimat, l'un des plus grands courtiers, a prédit une chute de 50 p. 100 du maïs et du soya modifiés génétiquement. Cette déclaration fait suite à un récent sondage d'opinions Reuters.
L'an dernier, les sondages ont révélé que le public est deux fois plus conscient du problème, et que 80 p. 100 des consommateurs sont maintenant sensibles à cette question; 70 p. 100 des répondants jugent que les aliments eux-mêmes sont sans danger, mais d'après les sondages, la moitié des gens jugent inefficaces le régime de réglementation du gouvernement.
D'après les statistiques les plus récentes, 97 p. 100 des gens souhaitent un étiquetage, 68 p. 100 refusent de consommer des aliments modifiés génétiquement et 50 p. 100 souhaitent une interdiction de ces aliments. Le problème, c'est que 29 p. 100 des consommateurs jugent que les modifications génétiques sont avantageuses; l'avantage est au niveau de la production et ils n'en tirent aucun avantage direct eux-mêmes. Parallèlement, 32 p. 100 des gens s'inquiètent de la salubrité des aliments et 29 p. 100 se disent d'accord avec les compagnies d'assurance qui affirment que le risque des organismes modifiés génétiquement n'est pas encore connu et pourrait être très élevé en raison des fuites de ces organismes dans l'environnement et des problèmes qu'ils peuvent causer pour la santé publique.
Mais l'industrie génétique rétorque pour sa part qu'il faut lui faire confiance, que ces produits sont sans danger; toute cette discussion est menée par des scientifiques respectés et soucieux de sécurité. Pourtant, les scientifiques de Santé Canada nous disent pour leur part qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour faire les tests qui s'imposent. Il y a très peu de tests indépendants. Des groupes modérés, comme la British Medical Association, réclament également un moratoire. Deux cent trente scientifiques du monde entier ont signé une déclaration pour réclamer un moratoire, dans le cadre du protocole sur la biosécurité.
Certains partisans de la technologie disent que les organismes modifiés génétiquement sont inoffensifs. Tout cela révèle que le public canadien est pour le moins partagé quant aux opinions scientifiques et cela suffit à nous satisfaire, car tout ce que nous voulons démontrer, c'est qu'il s'agit d'un dossier dans lequel nous devons être très prudents.
Le protocole sur la biosécurité a reconnu officiellement les dangers de transporter des organismes modifiés génétiquement, et cela a fait la manchette. Permettez-moi de prendre quelques instants pour vous décrire les points saillants de notre position sur ce protocole. Le principal élément, c'est que les consommateurs, le marché, sont conscients de ces problèmes. Les consommateurs y sont très sensibles et le gouvernement, ainsi que les principaux intervenants sur les marchés, seraient bien avisés de prendre ces préoccupations au sérieux.
L'industrie dit au public que ces aliments sont ceux qui ont été les plus testés, mais le problème, c'est la rigueur de ces tests, des tests menés en secret. Le public a beaucoup de difficulté à faire confiance à des documents auxquels ils n'ont pas accès. Même les quelques approbations décernées par la FDA américaine relèvent de la science de pacotille.
Greenpeace International a récemment préparé un rapport sur l'approbation des bactéries Rhizobium modifiées génétiquement. On a inséré quatre nouveaux gènes dans cette bactérie du sol, et l'un de ces gènes n'a même pas été identifiée par le scientifique qui s'en est occupé. Dans ce dossier, quatre des six scientifiques étaient contre, un pour, l'un s'est abstenu et l'autre a abandonné le projet. La bactérie a néanmoins été approuvée par la FDA américaine et pourrait être commercialisée au Canada d'ici deux ans.
M. Robert Devlin, qui a inventé un poisson modifié génétiquement pour le gouvernement canadien, déclare qu'il ne peut produire de statistiques sur le risque pour vérifier les dangers que pose ce poisson aux populations sauvages.
• 1630
Tout cela montre l'inquiétude du grand public même si
l'industrie déclare faire des tests rigoureux. C'est sur cela que
se fondent les craintes des citoyens que nous avons constatées;
cela devrait motiver l'industrie et le gouvernement à mettre en
place les politiques nécessaires.
Pour répondre à ce que Mike a dit au sujet du mauvais accès de l'agriculture canadienne à l'Europe, examinons les raisons pour lesquelles cet accès est limité. Sur la liste des différends commerciaux, on constate un différend relatif au piégeage des animaux à fourrure, un différend qui sera bientôt présenté au sujet de l'amiante—le dossier de l'amiante entre la France et le Canada—, la question des hormones bovines, les organismes modifiés génétiquement et les produits forestiers dans le contexte de l'exploitation durable. Tout ces produits suscitent de grandes préoccupations et j'estime que nous aurions un meilleur accès au marché européen si nous comprenions les valeurs qui sont liées aux produits et à leur production. Pour accroître l'accès, il faudrait probablement davantage d'activités de collaboration que de différends commerciaux.
Pour ce qui est du protocole sur la biosécurité—et je vous signale que j'ai un résumé du protocole sur la biosécurité préparé par Greenpeace International et les commentaires de cet organisme, que je vous remettrai—, d'une façon générale, les groupes environnementalistes sont satisfaits de ce protocole. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, nous préférons que les règles soient établies par un groupe du PNUE—le Programme des Nations Unies pour l'environnement—plutôt que par un groupe de travail de l'OMC. Ce serait une meilleure façon de procéder.
Nous sommes très heureux de ce que le principe de précaution soit partout présent dans les décisions sur les obligations en matière de biosécurité. Nous sommes heureux de ce que les accords ne soient pas subordonnés l'un à l'autre. Nous sommes également satisfaits de ce qu'a été rejetée l'idée d'une clause dérogatoire qui aurait permis à l'OMC, en cas de différend, de passer outre aux dispositions du protocole sur la biosécurité. De cette façon, les choses sont claires.
Nous sommes déçus au sujet de l'étiquetage. Il semble qu'il faudra pour cela attendre deux ans. Nous sommes déçus des mesures préconisées au titre de la séparation des semences protégées par le protocole, mais ce sont des sujets auxquels nous pourrons travailler plus tard pour les améliorer.
Même si le protocole ne contient pas de dispositions aussi rigoureuses que nous l'aurions souhaité au chapitre de l'application, il contient néanmoins des dispositions relatives au commerce avec les pays non signataires de l'entente, des dispositions semblables à ce qu'on trouve dans d'autres accords multilatéraux en matière d'environnement, entre autres la convention de Bâles ou la convention sur les espèces menacées. Cela signifie que l'on applique le principe du préavis et du consentement et que les non signataires de l'accord sont traités de la même façon que les adhérents. Cela a pour effet d'étendre la portée de l'entente aux tiers non adhérents qui veulent commercer avec des signataires de l'entente.
Il y a donc un peu de tout là-dedans, mais comme je l'ai dit, nous sommes relativement satisfaits du groupe.
À ce propos, je vous ai aussi amené un document d'information récent de l'Institut international du développement durable sur le protocole sur la biosécurité et son analyse. Je vous en laisserai un exemplaire avec plaisir.
La présidente: Madame Elwell, vous pouvez en déposer des exemplaires auprès de notre greffière qui verra à ce que chacun en reçoive une copie. C'est très gentil, je vous en remercie.
Mme Christine Elwell: Merci beaucoup. C'est ce que je ferai.
Pour revenir aux questions que vous étudiez—et je dois dire que je suis enchantée que vous examiniez ce sujet—, il existe un certain nombre d'initiatives bilatérales, dont le plan d'action mixte Canada-États-Unis et des idées à propos d'un accord de libre- échange.
Tout d'abord, nous ne croyons pas que vous pourrez résoudre le manque d'accès à un marché au moyen d'un autre accord commercial. C'est dans le traité de Rome, je crois, qu'on dit que la relation entre le Canada et l'Europe devrait reposer sur trois piliers—l'économie, bien sûr, mais aussi les droits de la personne et le développement durable. Un accord commercial ne pourrait donc à lui seul résoudre vos problèmes; nous avons besoin de mesures plus complètes qui donnent davantage d'occasions de comprendre les préoccupations de toutes les parties.
Autre recommandation, lorsque vous tiendrez vos négociations bilatérales et vos programmes de travail, il faudrait éviter de vous limiter. Cela s'applique plus particulièrement au gouvernement et à l'industrie. Il faudrait que des ONG puissent également participer aux négociations, surtout puisque nos organismes sont souvent ceux qui vous causent des difficultés. Il est donc logique que nous participions à vos travaux.
• 1635
Si nous avons l'occasion d'examiner avec nos homologues
européens quels sont leurs problèmes et leurs préoccupations, nous
pourrions essayer de trouver des solutions; ce sont des aspects
auxquels vous n'auriez peut-être pas accès autrement. Je vous
recommande donc d'augmenter votre délégation. Je ferais volontiers
un voyage un Europe en mai—non, c'est une blague.
Mais sérieusement, vous pourrez accomplir davantage avec l'aide de parties complémentaires, si vous ne vous limitez pas aux représentants du gouvernement et de l'industrie.
Je m'arrête là. Nous pourrons en discuter davantage et je suis prête à répondre à vos questions. Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Chers collègues, nous passons maintenant aux questions.
M. Casson va-t-il...?
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): M. Casson va poser la première question, puis je reviendrai après...
M. Rick Casson (Lethbridge, Réf.): S'il reste du temps.
La présidente: Oui, s'il reste du temps. Merci beaucoup, monsieur Casson.
M. Rick Casson: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie tous d'être venus exprimer vos opinions.
Monsieur Gifford, ma première question d'adresse à vous.
M. Deepak Obhrai: Monsieur Gifford, je vous signale qu'il est porte-parole en matière d'agriculture.
M. Rick Casson: M. Calder et moi siégeons au Comité de l'agriculture. Nous avons étudié les filets protecteurs, les problèmes du secteur agricole et les solutions que nous pourrions adopter pour rétablir une stabilité à long terme en agriculture.
On nous dit constamment que les subventions de l'Union européenne et aux États-Unis sont l'une des principales causes du faible coût des denrées dans le monde. On nous dit que les Européens subventionnent leur production alimentaire parce qu'à une certaine époque—peut-être à plus d'une reprise—, ils ont manqué de nourriture. Ils ne vont pas laisser de telles disettes se reproduire. Ils ne veulent plus avoir faim et ils prendront toutes les mesures nécessaires pour cela... Je peux comprendre cela, mais ne leur est-il pas possible de garantir l'approvisionnement alimentaire de leurs propres pays, de leur propre population, sans autant perturber le marché mondial? J'aimerais savoir ce que vous en penser.
M. Mike Gifford: Madame la présidente, je croyais à l'origine que la politique agricole commune avait été élaborée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, à une époque où la majeure partie de l'Europe vivait dans la disette et le rationnement. La politique agricole commune était un plan qui visait à accroître au maximum la production agricole en Europe, et ce, à tout prix. Les prix ont été établis en fonction de l'Allemagne, ce qui correspondait, pour les pays les plus efficaces, dont la France, à un chèque en blanc.
C'est au titre des immobilisations, c'est-à-dire de la valeur des terres, que l'on a le plus souvent tiré parti du système, et c'est ce que l'on constate, par exemple, dans l'est de l'Angleterre ou dans le bassin parisien, des terres agricoles où l'on cultive des céréales évaluées à 7 000 $ ou 8 000 $CAN, par exemple. En effet, plus l'État accorde une aide, plus il est probable que l'on tirera parti de ces avantages au titre des immobilisations.
On s'est rendu compte que la politique agricole commune qui a été établie au début des années 60 entraîne de fortes distorsions des échanges pour les pays tiers concurrents, notamment l'Amérique du Nord et l'Amérique latine. Cette politique est également très perturbatrice pour les pays en développement, car lorsque les Européens écoulent leurs excédents structurels grâce aux subventions à l'exportation, ils pratiquent le dumping sur le marché international, ce qui a un effet dissuasif sur la production dans les pays en développement qui tentent essentiellement d'obtenir un rendement du marché. Si leur marché intérieur est perturbé par ces produits subventionnés, alors les pays en développement d'Afrique sont manifestement aussi touchés que les pays latino-américains exportateurs de produits agricoles.
Par conséquent, en Europe, on semble lentement accepter à regret que même si l'on conserve le droit de soutenir le secteur agricole, il faut le faire par des moyens qui perturbent moins les échanges. C'est pour cette raison qu'à l'heure actuelle, peu d'Européens seraient prêts à parier qu'ils maintiendront indéfiniment les subventions à l'exportation. Celles-ci vont être éliminées progressivement. Il reste simplement à déterminer le rythme de ce processus. Je crois que c'est un fait accepté en Europe.
Au niveau politique, certainement, M. Fischler a indiqué très clairement que dans la réforme de la politique agricole commune, son objectif consiste à ramener progressivement le soutien des prix aux niveaux mondiaux et à indemniser les producteurs par des paiements représentant un revenu direct.
• 1640
À brève échéance, la réforme de la PAC va paradoxalement
coûter beaucoup plus au Trésor, car en pratique, ce sont pour
l'instant les consommateurs qui assument le coût du soutien des
prix. Il s'agit d'un impôt sur les consommateurs. À l'avenir, ce
sont les contribuables européens qui devront payer une plus large
part du soutien que fournit l'Europe. Mais cette réforme approche
et le système devra évoluer. Comme nous l'avons dit tout à l'heure
à propos de l'effet qu'aura l'adhésion de l'Europe centrale et
orientale sur les coûts de la politique agricole commune, si le
système ne change pas, ces coûts seront énormes.
Il y a de ce fait une évolution. Je crois qu'elle est de bon augure pour le prochain cycle de négociations, mais l'agriculture est un dossier politique aussi sensible en Europe qu'en Amérique du Nord et l'évolution sera difficile. Mais, comme je l'ai dit, je crois que nous...
M. Rick Casson: Alors, en ce qui a trait au calendrier, compte tenu de l'élargissement et de l'incapacité de laisser les niveaux de soutien inchangés au sein de l'Union européenne, que pensez-vous du calendrier? Que peut-on espérer? Faudra-t-il attendre 10 ou 15 ans pour que la baisse des subventions de l'Union européenne apporte quelque répit à nos producteurs?
M. Mike Gifford: Dans l'immédiat, les négociations commerciales tenues dans le cadre de l'OMC ne permettront pas de remédier aux fluctuations à court terme des prix des produits de base que nous connaissons à l'heure actuelle; l'échéance est donc à moyen ou à long terme. Je crois que les Européens reconnaissent qu'il leur faudra une fois de plus réformer leur politique agricole commune, probablement en 2002-2003. Ces changements apparaissent déjà inévitables.
Si les Européens acceptent un renforcement des disciplines dans le cadre de l'OMC, ce qu'ils prévoient... Jusqu'à présent, au cours des négociations précédentes, bien que l'Europe soit le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, toute sa tactique de négociation reposait sur la protection du marché intérieur. Les Européens oublient ou ignorent leurs intérêts en matière d'exportation. Là encore, sous l'impulsion de M. Fischler, à la Commission européenne, on assiste davantage sur... L'Europe, si elle veut être concurrentielle à l'avenir, doit pouvoir rivaliser sur les marchés étrangers ainsi que sur le marché intérieur. Là encore, cela est, je crois, de bon augure, pour le prochain cycle de négociations.
L'Europe change, mais à court terme, fondamentalement, la faiblesse actuelle des prix s'explique par les quatre bonnes récoltes mondiales enregistrées sur quatre années consécutives. Cette situation est aggravée par l'utilisation de subventions à l'exportation, de crédits à l'exportation, d'aide alimentaire et de tous les autres moyens auxquels on a recouru pour tenter de protéger les producteurs du monde entier. Mais bien entendu, même si le libre-échange existait à l'échelle internationale, les prix des produits de base continueraient de varier, car cela est dans leur nature, en raison des fluctuations de l'offre provoquées par les conditions atmosphériques.
M. Rick Casson: Est-ce qu'il me reste du temps?
La présidente: Vous avez juste une minute.
M. Rick Casson: Quel est le pourcentage de la production agricole européenne qui est exportée? Le savez-vous?
M. Mike Gifford: Vous me prenez au dépourvu. Je ne suis pas en mesure de vous répondre à brûle-pourpoint.
M. Rick Casson: Je me demandais simplement quelle était cette proportion.
Vous avez dit que les négociations bilatérales ne sont probablement pas la voie à emprunter. Cependant, vous avez ensuite cité un accord bilatéral sur le vin.
M. Mike Gifford: Oui.
M. Rick Casson: Il semble que l'accord conclu avantage légèrement les Européens par rapport à nous; nos importations de vin en provenance de l'Europe se chiffrent à 350 millions de dollars et nos exportations vers cette région représentent un million de dollars. Vous pensez que ce n'est pas une bonne formule.
M. Mike Gifford: Non. Ce que je voulais dire lorsque j'affirmais que les perspectives de conclure un accord bilatéral de libre-échange n'étaient guère prometteuses, à cause des difficultés qu'ont les Européens à résoudre le problème de l'agriculture... Mais cela ne devrait pas nous empêcher de lever certains obstacles précis à l'accès, produit par produit.
L'accès du vin est un obstacle technique. En fait, ils n'ont pas approuvé notre production viticole ni nos méthodes de culture. Il s'agit de l'utilisation d'un obstacle technique pour limiter l'accès, par opposition à un obstacle sanitaire et phytosanitaire ou à un obstacle tarifaire.
La plupart de nos problèmes d'accès à l'Europe, les points névralgiques, tels que les céréales et le porc, n'ont rien à voir avec les mesures sanitaires et phytosanitaires; ces difficultés sont entièrement liées à des droits de douane classiques, qui sont élevés. Il s'agit ici des anciennes barrières au commerce et non pas des nouvelles. Les restrictions d'accès à l'Europe n'ont pour la plupart rien à voir avec des questions sanitaires et phytosanitaires; elles s'expliquent par une protection extrêmement élevée à la frontière et par le recours à des obstacles classiques par les Européens.
La présidente: Merci.
[Français]
Madame Alarie.
Mme Hélène Alarie (Louis-Hébert, BQ): J'ai l'impression que dans notre façon de faire du commerce, nous suivons beaucoup les États-Unis. Quand nous étions à Seattle, cela avait une grande influence, alors que les États-Unis, d'une certaine façon, ne nous font pas de cadeaux avec les subventions internes qu'ils donnent à leurs producteurs.
C'est apparu aussi au Protocole pour la biosécurité. Les États-Unis n'avaient pas de voix, mais au fond, le Canada parlait assez régulièrement pour eux. C'est peut-être normal puisque 57 p. 100 de nos exportations vont chez eux. Mais, puisqu'on parle des relations Canada-Europe ici, cela nous met dans une position tout à fait opposée à celle de l'Europe, où tout est différent: leur façon de produire, d'exporter, tout.
J'étais un peu mal à l'aise, après le Protocole pour la biosécurité, d'écouter une conversation de M. Glickman sur le principe de la précaution et qui disait—je vais vous traduire ses propos à ma façon—que les États-Unis peuvent en faire fi, qu'ils sont capables de le contourner. Et quand il parlait de l'étiquetage obligatoire des aliments transgéniques, il disait qu'étiqueter un aliment transgénique, c'était comme le marquer au fer rouge. C'est ma traduction libre. Je suis venue ici à l'improviste.
Donc, face à cela, j'ai des inquiétudes. Par exemple, c'est sûr que je m'intéresse énormément aux organismes génétiquement modifiés, mais je me demande pourquoi le Canada n'est pas plus proactif. On perd du temps, des mois et des mois. Qu'on dise qu'il est nécessaire de connaître l'aspect scientifique de la chose, je suis absolument d'accord sur cela. Ce n'est pas une affaire émotive. C'est une affaire scientifique. Mais on n'a même pas cette démonstration-là présentement.
On crée comité après comité, et je ne vois pas qui gère l'ensemble de ces comités. J'appelle cela «noyer le poisson». Alors, face à mes inquiétudes, j'aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires.
[Traduction]
La présidente: Qui aimerait répondre?
[Français]
Mme Hélène Alarie: N'importe qui.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Gifford, voudriez-vous commencer?
Mme Christine Elwell: Excusez-moi, mes enfants parlent français, mais...
J'aimerais simplement dire que selon moi, cela tient à la nature combative de la démarche commerciale que le gouvernement canadien a engagée. Elle paraît dénuée de souplesse. Nous semblons toujours nous mettre du mauvais côté dans les dossiers. Je ne sais pas pourquoi nous sommes si combatifs pour accéder à des marchés mal choisis, alors que nous avons ici un environnement si fécond et que nous sommes en mesure de fournir au monde de merveilleux produits si abondants.
Pourquoi ne pas privilégier le segment supérieur, la qualité, au lieu d'essayer de faire avaler aux Européens le boeuf aux hormones dont ils ne veulent pas, de faire accepter l'amiante aux pays qui la refusent, ainsi que les cultures et les semences transgéniques?
Je ne sais pas comment l'expliquer, mais cela semble être «l'accès au marché ou la mort». On ne paraît pas se rendre compte que la relation ne repose pas simplement sur le commerce économique, mais sur la confiance—la culture dans l'agriculture. Je ne veux pas être dure, mais je vais dire les choses telles que je les conçois. Nous sommes très combatifs afin d'ouvrir des marchés, même si le consommateur ne le souhaite pas. Je suis triste que nous, une ONG canadienne, devions expliquer que notre gouvernement avance comme un rouleau compresseur. Je ne sais pas pourquoi c'est ainsi et j'espère que les politiques pourront obliger notre gouvernement à justifier son manque de sensibilité.
La présidente: Madame Rutherford, vous vous êtes approchée de la table. Vouliez-vous formuler une observation à cet égard?
Mme Sally Rutherford (directrice générale, Fédération canadienne de l'agriculture): J'aimerais laisser à Mike le soin de le faire.
La présidente: D'accord.
M. Mike Gifford: Madame la présidente, je me bornerai à faire une remarque évidente: si le consommateur ne veut pas d'un produit, il ne se vendra pas. Vous pouvez produire toutes les denrées que vous voudrez, mais à moins que vous n'ayez un marché, elles ne feront que pourrir ou s'accumuler. De toute évidence, c'est le consommateur sur le marché qui déterminera ce qui est produit et ce qui est vendu.
Toute la question revient cependant à la portée de l'intervention de l'État, en ce qui a trait, par exemple, à l'étiquetage obligatoire par rapport à l'étiquetage volontaire. Je ne veux pas entrer dans tout ce dossier, mais je me bornerai à dire que nous ne nous excusons pas de tenter énergiquement d'améliorer notre accès au marché européen—un marché qui représentait autrefois plus de 40 p. 100 de nos exportations et dont la part est tombée à 6 p. 100 en 1999.
• 1650
Nous avons constaté de quelle façon l'agriculture canadienne
peut tirer parti d'un bon accès à un marché. Lorsque je suis entré
au ministère, au milieu des années 60, la part de nos exportations
vers les États-Unis était largement inférieure à 20 p. 100 du
total. À l'heure actuelle, elle dépasse largement 60 p. 100. Ce
changement s'explique par les bonnes possibilités d'accès au marché
américain dont nous jouissons.
Notre accès au Japon et à l'Europe en particulier est gravement limité. Il existe dans une faible mesure des questions sanitaires et phytosanitaires, mais l'essentiel de ces obstacles sont les bonnes vieilles barrières tarifaires traditionnelles et c'est fondamentalement ce que nous nous efforçons de corriger. Nous souhaitons avoir l'occasion de servir le consommateur européen, tout comme les Européens ont la possibilité de servir le consommateur canadien.
Au fond, nous ne souhaitons pas de mesures techniques qu'il serait autrement légitime d'utiliser en guise d'obstacles déguisés au commerce. Il n'existe aucun pays membre de l'OMC qui ne se réserve pas le plein droit, dans le cadre de cette organisation, de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé humaine, végétale et animale ainsi que l'environnement. Le problème se pose lorsque ces mesures sont employées de manière discriminatoire, ou lorsqu'elles sont essentiellement arbitraires et que les décisions sont politiques plutôt que scientifiques. Voilà les questions que nous tentons d'aborder.
Un certain nombre de personnes ont parlé du protocole sur la biodiversité. Il ne s'agit pas de savoir quel accord prime l'autre. Ils sont complémentaires et non incompatibles. Il n'y a rien de mal à ce qu'un accord environnemental sur la biodiversité énonce les modalités du commerce des produits génétiquement améliorés. Cependant, l'OMC est l'instance internationale chargée du commerce et par conséquent, ces deux accords internationaux peuvent coexister sans aucun problème. On voulait s'assurer qu'il n'existe pas deux accords contradictoires qui s'excluent mutuellement. Je crois que si la plupart des gens sont satisfaits du processus de Montréal, c'est essentiellement parce que les mesures sont complémentaires et non pas contradictoires.
Merci.
Mme Sally Rutherford: Peut-être puis-je intervenir brièvement.
À l'instar de Mike, j'estime que les problèmes commerciaux fondamentaux que nous avons avec l'Europe ne portent pas sur les produits ayant subi des modifications biotechnologiques. Il s'agit du porc. Il n'existe aucun porc génétiquement modifié que nous tentons de vendre à l'Europe. Il s'agit aussi du blé et des produits du même genre. Voilà ce qui constitue de loin les problèmes agricoles que nous rencontrons s'agissant de l'accès. Ces difficultés ne sont pas nouvelles. Nous espérions pouvoir les résoudre dans le cadre du dernier accord et il n'en a rien été. Les Européens ont été tout à fait ingénieux dans la conception de leur système d'administration, en fin de compte. Il faut rendre hommage à leur ingéniosité et nous devons faire en sorte qu'ils ne puissent pas recommencer la prochaine fois.
En ce qui a trait à la biotechnologie, à ce stade, par le processus qui existe dans ce pays, le gouvernement canadien a déterminé que les produits en vente au Canada, qu'ils aient ou non subi des modifications biotechnologiques, sont sans danger pour la consommation—ils ne présentent aucun risque pour la santé humaine ni pour l'environnement. On peut accepter ou rejeter cette position. Certains considèrent que le lait est un produit en général dangereux. Chacun a droit à son opinion. Le fait de dire que nous ne devrions pas tenter de vendre à d'autres pays des produits que nous sommes légalement autorisés à vendre aux Canadiens ne tient pas debout. Comme Mike l'a signalé, libre aux consommateurs de décider d'acheter ou pas ces produits.
Alors que nous entendons beaucoup parler des autres pays et des régimes d'étiquetage qu'ils appliquent à leurs produits, en réalité, aucun pays au monde n'a un système d'étiquetage qui fonctionne, certainement pas un système qui puisse véritablement être accrédité, ou mis en place. Il y a beaucoup de chiffres, de protocoles, mais soit ils ne sont pas appliqués, ils restent lettre morte, ou ils ont été escamotés.
• 1655
En ce qui a trait aux seuils, les Européens, par exemple, ont
simplement fixé leur seuil de 1 p. 100 au hasard. C'est un chiffre
qui n'est fondé sur aucun précédent. Il n'y a pas de données
scientifiques pouvant justifier ce seuil plutôt qu'un autre. Il est
vraiment assez difficile de savoir à quoi s'en tenir.
Je sors aujourd'hui d'une réunion sur l'étiquetage des produits issus de la biotechnologie et je suis offusqué de me faire dire que j'ai perdu toute ma journée, une bonne partie de la fin de semaine dernière et un bon nombre de jours au cours des derniers mois. Je pense que toutes les personnes faisant partie de ce groupe sont vraiment très sérieuses. Loin de nous de vouloir jeter de la poudre aux yeux.
Nous avons discuté aujourd'hui de la façon d'examiner ces questions sous l'angle scientifique. En vérité, si vous décidez sérieusement d'instaurer un régime d'étiquetage, il vous faudra convenir que, dans une certaine mesure, cet étiquetage reposera entièrement sur des données scientifiques, ce qui implique une certaine rigueur. Si nous adoptons dans notre pays un système d'étiquetage obligatoire entièrement fondé sur des données scientifiques prouvables, nous n'étiquetterons qu'un très faible nombre de produits. Voilà ce qu'il en est.
Il nous faut ensuite essayer d'étiqueter des produits originaires d'autres pays. Comment résoudre ce problème? On est confronté à des régimes où l'on sait que l'on ne pourra pas retracer l'origine des produits ni de la transformation.
Toute la question de l'étiquetage et de la vérité dans la publicité devient très complexe. On ne peut pas simplement dire que nous allons instaurer un étiquetage obligatoire et que la semaine prochaine, le produit sera étiqueté. C'est une réalité qui est hélas devenue évidente pour tous ceux d'entre nous qui s'efforcent de trouver une solution. Franchement, dans l'action que nous menons, peu importe qu'il s'agisse d'un système d'étiquetage volontaire ou obligatoire. Il faudra parvenir à une solution d'une façon ou d'une autre. Et il faut d'abord décider ce que l'on va étiqueter avant de procéder à cet étiquetage.
Je tiens à formuler un dernier commentaire à propos du protocole sur la biosécurité. Je m'occupe beaucoup de la question des espèces menacées et je dois avouer que je trouve fort intéressant le fait qu'un accord en matière d'environnement ait pu servir à mettre en place de véritables obstacles au commerce, car un tel accord ne porte vraiment pas sur la biosécurité. Si cette dernière nous tenait véritablement à coeur, franchement, nous ne vendrions pas de canola à un grand nombre de pays, car beaucoup d'entre eux ne cultivent pas cette plante. Nous nous intéressons seulement aux produits génétiquement modifiés et on a tort de croire que nous faisons autre chose.
[Français]
La présidente: Juste une petite question.
Mme Hélène Alarie: J'ai juste un commentaire à faire. Je ne partage pas entièrement ce que vous dites, madame Rutherford. Par ailleurs, il est clair que nous devons avoir un autre débat, qu'il soit de nature scientifique ou autre, et qu'il faut que nous ayons les informations qui nous manquent.
J'en reviens à ce que vous disiez, monsieur Gifford. Si on veut exporter en Europe, il faudrait peut-être écouter un peu plus les Européens et se préoccuper un peu plus de ce que veulent. Je trouve que c'est là le grand problème et je vois qu'ils ont de plus en plus d'influence sur les pays en voie de développement. En tout cas, leur influence dépasse les 9 p. 100 d'exportations qu'on fait avec eux. C'était ma dernière remarque.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Voulez-vous répondre à cela? Non? Entendu.
Monsieur Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
À propos de la grande question qui nous intéresse, madame la présidente, j'aimerais proposer de faire comparaître quelqu'un devant nous. Il s'agirait de M. Gordon Surgeoner, du CAO de Guelph. Il est très au courant de ce dossier.
À titre d'agriculteur, je préférerais dédramatiser cette question. Intéressons-nous à l'aspect scientifique, car c'est là où réside le problème, maintenant. Franchement, compte tenu de l'évolution de l'agriculture, c'est une industrie qui doit changer très rapidement, car de plus en plus d'êtres humains naissent chaque jour. Par conséquent, l'agriculture devient plus intensive et plus sensible à l'environnement. Il va falloir nous pencher sur toutes ces questions, car nous nourrirons 10 milliards de personnes d'ici l'an 2040 ou 2050. À l'heure actuelle, nous ne produisons pas assez de nourriture pour répondre à ces besoins.
• 1700
Il nous faut aborder ces dossiers de façon proactive à
l'avenir et dès maintenant, car c'est ainsi que chaque personne
dans cette salle et sur la planète obtiendra trois repas
nourrissants par jour.
Monsieur Gifford, je suis curieux à propos des prochaines négociations de l'OMC. Je sais que celles de Seattle ont souffert car elles ont pris un mauvais départ. Je m'interroge sur l'étendue des dégâts. Nous avons évidemment été à l'avant-garde de la réduction des subventions, dans notre pays, et ces mesures ont agi au détriment de certaines des industries que nous avons ici, dans l'agriculture. Nous sommes allés plus loin que tout autre pays. Si nous nous trouvions dans une situation où les autres pays n'allaient pas plus loin dans le domaine des subventions, dans quelle mesure pourrions-nous faire machine arrière sans nous exposer à des droits compensateurs?
Comme l'a affirmé Sally, les Européens ont été très rusés dans ce qu'ils ont négocié. Ils ont par exemple négocié la clause de report, qui se termine le 31 décembre de cette année. À votre avis, y a-t-il un risque que les Européens recourent à cette disposition? Je sais à quoi elle aboutirait.
Par ailleurs, à titre d'aviculteur, j'observe en ce moment avec grand intérêt les producteurs laitiers, car ils se mêlent des contrats d'exportation. Nous le savons vous et moi comment la gestion de l'offre a été établie. Je me demande s'il y a à craindre que ces contrats d'exportation nuisent au système de gestion de l'offre. À titre d'homme politique, je suis ici. À titre d'aviculteur dans mon autre vie, je suis ici pour défendre au mieux la gestion de l'offre. Mais je me trouve aussi mis dans une situation où je dois avoir quelque chose qui puisse être défendu.
Telles sont mes questions pour l'instant.
M. Mike Gifford: Madame la présidente, en réponse à la première question concernant l'étendue des dégâts causés par l'échec du lancement d'un cycle global de négociations, à Seattle, je crois qu'au départ, il était entendu, au niveau international, que le prochain cycle de négociations devait durer trois ans. Manifestement, même si nous allons entamer les négociations sur les services et l'agriculture cette année, il est peu probable que nous puissions les conclure si elles ne sont pas étendues à d'autres questions, notamment les tarifs industriels, la propriété intellectuelle, l'interdiction du dumping, et à toutes les autres questions qui étaient sur le tapis à Seattle.
Malheureusement, les événements de Seattle indiquent que, même s'ils ne nous empêcheront pas, pendant la première année des négociations agricoles, de procéder tel que nous l'aurions fait de toute manière—créer un comité, se mettre d'accord sur un président, déposer des propositions initiales de négociations—, à un moment donné, probablement dans le courant de 2001, nous allons nous heurter à un mur si d'ici là, il n'a pas été convenu de lancer une série de négociations plus globales. Pour que la négociation sur l'agriculture réussisse, il nous faut l'élargir au-delà de l'agriculture et des services.
Que se passera-t-il si les autres pays ne réduisent pas les subventions? Je crois que la plupart des participants, y compris l'Union européenne, ont reconnu que l'architecture issue du cycle d'Uruguay doit fondamentalement être renforcée. Je ne constate aucun désaccord sur la réduction des subventions perturbant le commerce. Je crois que cette question sera inscrite à l'ordre du jour et personne ne s'y opposera vivement.
Il y aura tout un débat sur les subventions des programmes verts si l'on s'entend pour réduire celles qui provoquent une distorsion des échanges. À mon avis, un grand nombre de pays affirmeront que si les subventions des programmes verts n'entraînent par définition aucune perturbation des échanges, leur utilisation ne devrait faire l'objet d'aucune discipline. D'autres pays invoqueront la marge, à savoir que toutes les subventions auront une certaine incidence sur les décisions relatives à la production et sur l'investissement
Le problème, lorsque nous établissons des programmes de subventions intérieures au Canada, c'est que nous devons les concevoir de façon à ne pas entraîner l'application de droits compensateurs par les États-Unis. L'amère expérience dans le secteur du porc nous a appris que sans cela, les effets des droits compensateurs anéantissent toutes les contributions de l'État et plus. Autrement dit, les effets se font sentir sur le prix de chaque porc vendu au Canada et non pas seulement sur les porcs que nous vendons aux États-Unis.
• 1705
À l'évidence, dans l'élaboration d'un programme de subventions
à l'agriculture, tout gouvernement doit bien veiller à ce que le
programme ne puisse faire l'objet d'une action en compensation, ni
en vertu du droit intérieur des États-Unis, ni dans le cadre de
l'OMC. Dans le cas des programmes «verts», ceux-ci ne peuvent faire
l'objet d'une procédure compensatrice s'ils respectent les critères
de l'OMC. Selon les lois américaines en la matière, si un programme
ne vise pas une industrie en particulier, il ne peut pas non plus
être frappé de droits compensateurs. C'est pourquoi nous sommes
préoccupés par l'éventualité de droits compensateurs.
À propos de l'utilisation par les Européens de subventions à l'exportation, bien qu'il soit exact que ces derniers et les Américains aient effectivement pu prolonger leur droit de recourir à des subventions à l'exportation, en pratique, les États-Unis n'ont pas utilisé de telles subventions sur les céréales depuis l'été 1996. Puisque j'essaie ici d'être objectif, je serai très précis: dans le cas du blé, les Européens ont été assez responsables, mais on ne peut pas en dire autant de l'orge et de certains autres produits.
M. Murray Calder: Mais grâce à la clause de report, ils sont en mesure de brader environ 37,8 millions de tonnes de blé. En outre, cette clause prendra fin le 31 décembre de cette année.
M. Mike Gifford: Je sais, monsieur Calder, mais je ne pense pas que les Européens soient si irresponsables à court terme. Jusqu'à présent, ils se sont montrés beaucoup plus responsables que par le passé.
En ce qui concerne les contrats d'exportation et la gestion de l'offre, l'organe d'appel statuant sur les prix à l'exportation pratiqués par l'industrie laitière canadienne s'est contenté d'affirmer qu'en matière d'exportation, si on applique un système de prix multiples, un système de double prix dans lequel votre prix intérieur est supérieur à votre prix d'exportation, plus l'État intervient, plus on risque que cette pratique soit considérée comme une subvention à l'exportation. Comme le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux délèguent une grande partie de leur pouvoir aux offices provinciaux de commercialisation, c'est la délégation du pouvoir de l'État à ces offices de commercialisation représentant les producteurs qui a en effet abouti à une situation de subventions à l'exportation plutôt qu'à une situation de dumping.
Il me semble que la décision de l'organe d'appel implique en fait que si l'on veut un système de gestion de l'offre au Canada pour le marché intérieur, c'est bien. Si l'on veut exporter, il faut établir un système dans lequel l'État intervienne le moins possible, qu'il s'agisse d'une intervention directe ou indirecte, passant par la délégation de pouvoirs fédéraux et provinciaux aux offices de commercialisation. C'est la seule conséquence. Je ne crois pas qu'il y en ait d'autres pour le marché intérieur, dans la mesure où la production destinée à l'exportation reste distincte de la production intérieure.
M. Murray Calder: Bien. Merci.
La présidente: Monsieur Shepherd.
Mme Christine Elwell: Pourrais-je répondre rapidement, ou bien manquons-nous de temps?
La présidente: Oui, allez-y.
Mme Christine Elwell: Je voudrais, si vous me le permettez, tenter de dissiper deux mythes au sujet du génie génétique. Vous dites par exemple que le monde a faim et qu'il faut le nourrir. J'ai ici un document du Réseau des femmes pour l'environnement intitulé «Nourrir le monde», dans lequel on préconise l'agriculture durable. Par exemple, les producteurs de café du Mexique ont doublé leur rendement en utilisant des méthodes de culture biologique.
J'ai aussi une citation de l'Institut pour le développement durable en Éthiopie:
-
[...] il y a encore des gens qui ont faim en Éthiopie, mais ils ont
faim parce qu'ils n'ont pas d'argent, pas parce qu'il n'y a pas de
nourriture pour les nourrir [...] Nous trouvons très insultant que
l'on utilise à tort notre pauvreté pour tenter d'infléchir
l'opinion du public européen.
• 1710
Ce texte a été écrit en réponse à la campagne menée par
Monsanto en Europe et intitulée «Que la récolte commence». Les
auteurs de cette campagne tentaient de culpabiliser les Européens
parce qu'ils refusaient d'accepter les aliments modifiés
génétiquement, car le monde affamé ne peut pas se permettre le luxe
de refuser ces aliments.
Je voulais simplement attirer votre attention, monsieur, sur la grande polémique au sujet du mythe selon lequel nous aurions besoin des aliments modifiés génétiquement pour nourrir le monde. Peut-être que l'agriculture durable nous permettra d'atteindre cet objectif plus rapidement.
Je voudrais maintenant aborder un autre mythe qui peut vous créer des difficultés, parce que je l'ai entendu ici et là. Jennifer en a parlé, Mike en a parlé, et je pense qu'on le trouve aussi dans le rapport du Comité permanent sur le Canada et l'OMC. C'est l'idée que dans les décisions sur ces questions, la politique n'a aucun rôle à jouer, que tout devrait être fondé strictement sur les données scientifiques.
Je rappelle que non seulement l'accord SPS de l'OMC permet aux pays membres de fixer des normes qui sont acceptables à leurs yeux et qui peuvent être plus rigoureuses que les normes internationales, le cas échéant, mais qu'en outre, l'organe d'appel a rendu une décision dans l'affaire des hormones qui invalide spécifiquement la décision de l'organe de première instance sur ce point et qui confirme que l'accord SPS permet une évaluation des risques à la fois quantitative et qualitative.
Enfin, je cite un article publié récemment dans un journal européen:
-
Les décideurs doivent savoir quel degré d'incertitude est associé
aux résultats de l'évaluation des données scientifiques
disponibles. C'est une responsabilité éminemment politique que de
juger de ce qui constitue un niveau de risque «acceptable» pour la
société.
Par conséquent, tenter de divorcer la politique du processus décisionnel, c'est refuser de voir la réalité et les règles du jeu, qui permettent aux décideurs de prendre des décisions politiques.
L'étude scientifique et l'évaluation du risque ont justement pour raison d'être de déterminer s'il y a suffisamment d'éléments scientifiques pour s'inquiéter, auquel cas il faut évaluer le risque. Eh bien, en évaluant ce risque, il faut tenir compte de ce qui est acceptable pour la société. Et en l'absence de certitude scientifique, cela devient une décision politique.
Je pense donc que nous nous berçons d'illusions quand nous disons qu'il faut gommer tout l'aspect politique, parce que c'est intrinsèquement politique.
La présidente: Monsieur Calder, très brièvement.
M. Murray Calder: Très bien.
Christine, je ne me suis sans doute pas exprimé aussi clairement que je le souhaitais. On ne va pas gommer l'aspect politique dans tout cela. C'est la raison de notre présence ici. L'élément qui manque dans le débat en ce moment, c'est le facteur de l'éducation.
À l'heure actuelle, l'agroalimentaire occupe 2,5 p. 100 de la population. Là-dessus, 0,5 p. 100 produit 80 p. 100 des aliments dans notre pays. Je comprends l'inquiétude du consommateur, parce qu'il veut savoir ce qu'il mange. C'est là qu'entre en jeu l'aspect éducation.
J'estime que les consommateurs doivent être présents à la table, quand nous prenons des décisions dans ce secteur, afin qu'ils puissent comprendre ce que nous faisons. Cela nous permettrait alors d'éviter les problèmes et la polémique que nous avons aujourd'hui. Si l'on mettait beaucoup l'accent sur l'éducation dans tout cela, les gens comprendraient l'évolution de l'agriculture et je pense qu'en très grande majorité, ils approuveraient cette évolution. L'agriculture s'oriente dans un certain nombre de voies différentes.
La présidente: Merci, monsieur Calder.
Monsieur Shepherd.
M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Merci, madame la présidente.
Je remercie M. Gifford et certains de nos producteurs agricoles.
Ce processus avec l'Union européenne dure depuis très longtemps. Si l'on tente de jeter un regard neuf sur les négociation commerciales, qu'avons-nous dans notre boîte à outils que nous pourrions utiliser de façon permanente? On dirait bien que nous sommes passés du GATT à l'OMC et que nous avons toujours ce problème persistant dans nos échanges commerciaux avec nos partenaires européens.
Quand je vois certaines pratiques commerciales que je qualifierais de distorsions, je commence à me demander pourquoi le Canada n'en fait pas autant. Je sais que nous avons un petit marché et je suis conscient que les Européens, comme vous l'avez dit, ne se préoccupent pas beaucoup de leurs exportations, mais s'intéressent d'abord et avant tout à leurs produits intérieurs, mais il n'en demeure pas moins qu'ils doivent bien les vendre quelque part. Dans le secteur du vin, par exemple, je me demande pourquoi nous ne cherchons pas à voir s'il n'y aurait pas des raisins modifiés génétiquement qui permettraient...
Autrement dit, pourquoi ne pas rendre aux Européens la monnaie de leur pièce en faisant obstacle à l'entrée de leurs produits au Canada et même dans toute l'Amérique du Nord? Cela ferait-il débloquer le processus de négociation? Je sais que les Américains leur ont donné une raclée, pourrait-on dire, dans la guerre de la banane. Peut-être que nous devrions nous comporter un peu plus comme eux.
M. Mike Gifford: Même les États-Unis, qui sont aujourd'hui la seule superpuissance économique mondiale, n'ont pas eu beaucoup de succès quand ils ont tenté de s'en prendre aux Européens pour les forcer à prendre des décisions qu'ils ne veulent pas prendre. Je pense toutefois que les Européens, les Américains et nous-mêmes avons un point en commun, à savoir que nous sommes tous disposés à reconnaître la primauté du droit dans le commerce agricole tout comme nous la reconnaissons dans les autres échanges.
La grande percée qui a été réalisée pendant le cycle d'Uruguay a été de se débarrasser de toutes ces exceptions applicables à un seul pays, de mettre en place des règles d'application générale en agriculture et ensuite de créer un mécanisme de règlement des différends doté de pouvoirs exécutoires. À l'époque du GATT, quand on n'aimait pas les conclusions d'un groupe spécial, on n'en tenait pas compte, c'est tout. On refusait simplement de faire adopter le rapport par le GATT. De nos jours, sous le régime de l'OMC, une partie à un différend ne peut pas bloquer l'adoption du rapport d'un groupe spécial.
Maintenant, les pays ont le choix. Si l'on a gain de cause contre un autre pays, par exemple dans l'affaire des hormones bovines... L'organe d'appel a décrété que l'Union européenne ne faisait pas preuve d'uniformité dans l'application des restrictions sur les hormones bovines.
Voici l'alternative pour les Européens: se conformer à la décision de l'organe d'appel, ou encaisser les représailles autorisées. Au fond, c'est ce qu'ils font maintenant; ils subissent des représailles et je pense que les Européens, les Américains et nous-mêmes espérons tous que l'étape suivante sera d'adopter un quelconque scénario de dédommagement qui débouchera en fin de compte sur un scénario permettant la vente du boeuf d'Amérique du Nord. Si le consommateur européen ne veut pas l'acheter, très bien, mais au moins ce sera le consommateur qui décidera et non pas les gouvernements.
Se mettre hors la loi représente un désavantage très marqué pour un petit pays ou même un pays de taille moyenne. Pour être juste, il faut reconnaître que même nos amis américains, dans nos différends commerciaux bilatéraux avec les États-Unis, ont respecté l'OMC et l'ALENA. En l'absence de l'OMC et de l'ALENA, il y aurait aujourd'hui des restrictions sur l'importation de blé canadien et d'autres produits d'exportation aux États-Unis. C'est grâce à ces règles et obligations internationales que nous survivons. Je pense que ce serait très dangereux pour nous, alors même que dans beaucoup de pays du monde on nous considère comme un champion de la primauté du droit dans le commerce international, de commencer à jouer à de petits jeux qui, à long terme, causeraient plus de problèmes qu'ils ne pourraient en résoudre.
La raison pour laquelle les Européens ont un accès relativement bon à notre marché tandis que nous avons un accès relativement médiocre au leur, c'est que même si le GATT était relativement faible et inefficace dans le secteur du commerce agricole, cela n'a pas empêché le Canada et les États-Unis, de 1948 jusqu'au cycle de Tokyo, de réduire progressivement les droits de douane sur le commerce bilatéral. Comme nous réduisions nos tarifs bilatéraux, nous devions les réduire aussi pour le reste du monde.
Quand les Européens sont passés d'importateurs nets à exportateurs nets, ils ont essentiellement profité des gains réalisés par les négociateurs américains. Tel est l'effet d'une négociation multilatérale: on peut négocier en réalité sur une base bilatérale, mais les avantages sont étendus à tous.
Je pense que la possibilité de prendre des mesures illégales... Le seul résultat serait de se faire assommer à coup de poursuites devant les tribunaux, et cela n'aura pas beaucoup d'incidence sur le pays que l'on essaie d'influencer. C'est à moyen terme, je le reconnais, mais nous avons de bien meilleures chances d'infléchir les Européens dans un sens qui est plus compatible avec nos intérêts en faisant jouer le poids collectif des pays en développement, des pays de taille moyenne exportateurs de denrées agricoles, comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, et aussi des États-Unis, et en travaillant de concert avec les Européens qui sont de plus en plus conscients qu'ils doivent changer leurs politiques agricoles. Nous avons de bien meilleures chances de réussir de cette façon qu'en posant des gestes illégaux qui ne correspondent pas à nos droits.
M. Alex Shepherd: Je ne songeais pas nécessairement à des gestes illégaux, mais plutôt à des mesures identiques à celles que les Européens prennent à l'égard de certains de nos propres produits.
Dans l'industrie vinicole, par exemple, il y a une telle distorsion commerciale entre les deux pays. Je sais que nous avons un petit marché et que nous n'avons probablement pas beaucoup d'influence de toute façon, mais sur le plan théorique, pourquoi n'adoptons-nous pas la même approche analytique face à leurs importations dans notre marché?
Je suppose que le problème qui exaspère beaucoup de producteurs est que dans le cadre de ce processus, ils ont accès à notre marché tandis que nous n'avons pas accès au leur. Comment pouvons-nous ralentir ce processus.
J'ai pris bonne note de ce que vous avez dit à propos des gestes illégaux et j'en conclus qu'à votre avis, l'imposition par les Européens de certaines restrictions hypothétiques est en fait illégale. Cette situation illégale existe bel et bien et nous fait perdre des millions et des millions de dollars d'exportations.
M. Mike Gifford: Dans le cas du vin, nous abordons très explicitement cette question. Des négociations sont en cours. Le commissaire Fischler et le ministre Vanclief se sont tous les deux engagés à tenter de résoudre dans un délai de six mois nos problèmes dans le commerce du vin. Des négociations bilatérales sont actuellement en cours et il faut espérer que l'on pourra résoudre ce problème.
L'OMC n'empêche pas un pays de prendre des règlements ou d'imposer des mesures techniques. Par contre, elle empêche les gens d'abuser de leurs droits en adoptant des règlements qui, à première vue, semblent parfaitement justifiés, et de s'en servir comme prétexte pour faire obstacle au commerce. Je peux dire que dans le cas du vin, je pense que nous sommes dans le bonne voie.
La présidente: Monsieur Rice, vous vouliez faire une observation.
M. Martin Rice: Je ne pense pas que nous en retirerions l'on pourrait obtenir le moindrement satisfaction en imposant au Canada les mêmes restrictions aux importations que les Européens ont imposées. Aux termes des règles commerciales internationales, nous ne pourrions pas cibler seulement les Européens. Il faudrait que ça s'applique à tous les pays et il nous faudrait renoncer à beaucoup si nous n'honorons pas tous les engagements que nous avons pris. Je pense que le prix qu'il nous faudrait payer pour nous dégager de ces engagements, pour libérer notre marché, serait tout simplement trop élevé.
Notre principal problème n'est pas tellement ce que l'Europe fait sur notre propre marché; c'est plutôt ce que les Européens font sur nos marchés ailleurs dans le monde. Il s'agit de les empêcher de ruiner nos autres marchés.
N'est-il pas vrai, Mike, que lorsque la politique agricole commune a été créée, les gens étaient sympathiques à cette politique en Amérique du Nord et ailleurs et l'appuyaient parce qu'elle répondait à une crainte historique d'une pénurie de nourriture? On n'avait pas vraiment prévu qu'il en résulterait une telle surproduction et que personne n'interviendrait pour y mettre un frein. C'est vraiment incroyable de voir à quel point ils ont été dépassés par les événements et se sont retrouvés avec une surproduction aussi importante. Ce n'est pas qu'ils n'arrivent pas à se nourrir; c'est cette montagne de nourriture excédentaire qu'ils produisent qui pose maintenant un problème.
La présidente: Merci, monsieur Shepherd. Je voudrais poser une brève question.
Monsieur Rice, vous avez dit pendant votre exposé que dans le cas des pays qui ne font pas partie de l'Union européenne, ce que nous devons faire, c'est nous efforcer de conserver au moins les ententes que nous avons avec eux. En même temps, vous dites que certains de ces pays qui aspirent à devenir membres de l'UE sont en mesure de se retirer de ces ententes. S'ils s'en retirent, comment pouvons-nous conclure des ententes avec eux pour garantir...? Vous ai-je mal compris?
M. Martin Rice: On peut toujours se retirer d'un accord douanier quelconque. Si je comprends bien, une fois devenu membre de l'UE, un pays ne pourra plus continuer d'adhérer à un accord de libre-échange. Je veux dire par-là l'absence totale de droits de douane entre ce pays et un autre pays tiers. Le pays devra dorénavant fonctionner uniquement en conformité des accords conclus par l'UE.
Ils sont tellement confiants de devenir membres de l'UE qu'ils sont en fait disposés à... J'ignore qu'elle est l'étendue de ces accords, mais ces pays semblent déterminer à se retirer de tout accord de tarif nul ou d'autres accords douaniers conclus avec d'autres pays, afin de pouvoir devenir membres du marché commun.
• 1725
Nous avons mentionné deux choses. Nous pouvons poursuivre avec
ces pays les pourparlers sur les questions non douanières. Je pense
que c'est à cela que Mike fait allusion. Rien ne nous empêche de
discuter de questions autres que les droits de douane, afin de
régler ces choses à l'amiable et de consolider nos relations
commerciales amicales avec ces pays avant qu'ils ne se joignent à
l'UE.
Par ailleurs, je pense que nous ne devrions pas tenir pour acquis, du moins pas encore, que ces pays réussiront à conclure avec l'UE des arrangements mutuellement satisfaisants pour devenir membres de l'UE. Je pense qu'il faudra pas mal de compromis des deux côtés. Il faudra quand même une volonté politique.
La présidente: Je voudrais poser une brève question sur la multifonctionnalité. J'ai fait partie du comité qui a tenu des audiences d'un bout à l'autre du Canada sur les consultations relatives à l'OMC, et ce mot n'a jamais été prononcé pendant nos discussions au Canada. Est-ce quelque chose de nouveau? Enfin, je ne comprends toujours pas de quoi il s'agit.
Mme Christine Elwell: Cela s'appelle aussi les questions non commerciales. C'était dans le projet qui n'a pas été accepté à Seattle, au paragraphe 29, intitulé «Considérations autres que d'ordre commercial». C'est là qu'on trouve la liste: agriculture, localités rurales, salubrité des aliments, santé. C'est ce que l'on veut dire quand on parle de multifonctionnalité.
La présidente: Madame Higginson.
Mme Jennifer Higginson: Quand j'étais à Seattle, nous avons discuté de cela avec des organisations agricoles japonaises et européennes et elles ont même fait des présentations là-dessus. Leur argument était qu'il faut voir quels sont les différents rôles de l'agriculture, en termes de développement rural et des avantages que l'agriculture apporte à la communauté mondiale: les paysages plaisants que les touristes admirent quand ils se promènent à la campagne, les avantages environnementaux de l'agriculture, et d'autres rôles fonctionnels, par exemple les rivages verdoyants des cours d'eau. Il y en a toute une liste.
Quand les Japonais parlent d'agriculture multifonctionnelle, ils évoquent l'ensemencement en herbes des pentes abruptes dans les zones montagneuses où il peut y avoir des problèmes d'érosion, et autres considérations semblables. De notre point de vue, toutes ces fonctions de l'agriculture sont très importantes, mais l'Union européenne verse déjà actuellement des subventions et une aide financière nationale. Or, les producteurs veulent que les gouvernements leur versent des sommes supplémentaires pour leur permettre de continuer d'assumer les autres rôles de l'agriculture.
Nous reconnaissons assurément que l'agriculture joue d'autres rôles, mais si les producteurs européens commencent à se faire subventionner et payer pour tous les autres avantages qu'ils apportent à la collectivité, il sera encore plus difficile pour nos producteurs d'être compétitifs sur la scène internationale.
La présidente: Monsieur Gifford.
M. Mike Gifford: Il y en a parmi nous qui pensent que la multifonctionnalité, c'est un peu du trompe-l'oeil. On peut bien appeler cela des questions non commerciales, mais au fond, c'est seulement un prétexte permettant aux ministres de l'Agriculture de subventionner les régions rurales. En fin de compte, pourvu que l'aide soit versée de manière à ne pas provoquer de distorsions commerciales, le montant d'aide que l'on accorde à la population rurale est essentiellement une décision intérieure.
La communauté internationale a son mot à dire si l'aide en question provoque des distorsions commerciales. L'un des acquis importants de Seattle est l'acceptation par le commissaire Fischler que si les gouvernements d'Europe décident d'accorder une aide à leurs secteurs ruraux pour des raisons non traditionnelles, c'est- à-dire autres que la production agricole, cette aide doit être fournie de manière à ne pas provoquer de distorsions commerciales et ne doit pas servir d'excuse pour maintenir des obstacles aux importations et des subsides à l'exportation.
• 1730
Certains s'imaginent que si l'on répète le mot
multifonctionnalité assez souvent et pendant assez longtemps, cela
deviendra une sorte de bouclier nous mettant comme par magie à
l'abri de la libéralisation du commerce.
La présidente: Merci. Nous n'avons plus de temps. Merci, chers collègues, d'être venus. Merci aux témoins.
La séance est levée.