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Bonjour tout le monde.
Good morning, everyone. La séance est ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité législatif chargé du projet de loi , conformément à l'ordre de renvoi du mardi 27 mars 2007,
Nous entendrons ce matin un témoin de la Criminal Lawyers' Association,
[Français]
nous avons le plaisir d'accueillir ce matin
[Traduction]
M. Michael Lomer, trésorier.
Bienvenue, monsieur Lomer. La parole est à vous.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je tiens à remercier le comité d'avoir invité la Criminal Lawyers' Association à l'audience portant sur cette mesure législative.
C'est une mesure législative traitant d'un sujet assez précis. Nous connaissons les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve dans le Code criminel depuis plusieurs années déjà et avons appris à travailler avec ces dernières et à en comprendre la raison d'être. Je crois que la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur ces dispositions à trois occasions différentes. Leur caractère constitutionnel a été reconnu.
Par le passé, en tant qu'association qui représente des personnes accusées d'infractions, notre problème n'était pas le renversement du fardeau de la preuve ou rien de tel, jusqu'à l'ajout du motif tertiaire; et il était si largement défini que c'était essentiellement « ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice ». Et nous n'arrivions tout simplement pas à comprendre ce à quoi on voulait en venir avec cette loi. Est-ce que la confiance, c'était l'emprisonnement de tous les criminels? Est-ce que la confiance, c'était que tout le monde a le droit d'être remis en liberté sous caution à moins d'un refus pour motif raisonnable?
Et cela a été contesté et le résultat final, c'est que le Parlement a prévu des exemples précis pour illustrer ce qu'on entendait par là. Je fais remarquer que le projet de loi proposé ici en fait autant, mais dans le contexte des armes à feu et de l'usage des armes à feu pour commettre des infractions criminelles.
Je dois dire que cette mesure législative fera sans aucun doute l'objet de contestations constitutionnelles. Je crois, très franchement, qu'elle s'en tirera, car son caractère spécifique mènera n'importe quel tribunal qui décide de la constitutionnalité de la loi là où le Parlement voulait en venir et pourquoi il voulait en arriver là.
Je crois qu'en définitive, la Criminal Lawyer's Association — vous devez comprendre que j'ai seulement pu consulter notre comité avant maintenant parce que le sujet a été soulevé si rapidement — n'a pas grand-chose à dire contre ce projet de loi. Si vous nous avez invités ici aujourd'hui en croyant que nous allions vous dire que le projet de loi est problématique et mal avisé, ou trop vaste, ou autre chose de genre, je crains que ce ne soit pas le cas. En fait, la mesure est assez spécifique.
Dans l'ensemble, ce qu'il faut comprendre de la mise en liberté sous caution, c'est que la décision est axée sur les faits et ce, peu importe s'il y a renversement du fardeau de la preuve ou non.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Si un jeune est accusé de trafic de marijuana parce qu'il a vendu l'équivalent de 20 ou de 30 $ de marijuana à un ami, qu'il y ait renversement du fardeau de la preuve ou non, il sera libéré sous caution. S'il est accusé de possession de 10 kilogrammes d'héroïne, il y a renversement du fardeau de la preuve mais, même si ce n'était pas le cas, une ordonnance de détention aurait fort probablement été émise en raison de la nature de l'infraction, du type de drogue, de la quantité de drogue et d'autres facteurs du genre.
Ce que j'essaie de dire, c'est que le renversement du fardeau de la preuve n'apporte rien de plus aux tribunaux, sauf qu'il les amène à regarder du côté que le Parlement veut qu'ils regardent. Je dois vous dire très sincèrement que dans les tribunaux à Toronto à tout le moins, on fait preuve d'une extrême prudence dans toutes les affaires où des armes à feu sont en jeu. Bien qu'aucun renversement du fardeau de la preuve n'ait été légiféré, il y a ce qu'on pourrait appeler le renversement du fardeau de la preuve de facto quand des armes sont en jeu.
Monsieur le président, j'ai terminé ma déclaration préliminaire portant sur votre projet de loi. Je serai ravi d'entendre vos commentaires ou de répondre à vos questions.
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Merci d'être venu et merci de votre témoignage.
À la dernière réunion, nous avons entendu un exposé du Centre canadien de la statistique juridique et j'aimerais connaître votre avis sur le rôle des statistiques en général. Nous avons tendance à nous fier beaucoup aux statistiques parce qu'elles sont empiriques, mais l'exposé nous a fait découvrir — et ce n'est la faute de personne — que le Centre canadien de la statistique juridique ne conserve aucun registre du nombre de fois que la mise en liberté sous caution a été accordée.
Je pense qu'en principe nous sommes tous en faveur de ce projet de loi, mais en tant que législateurs — pas nécessairement comme avocats, mais comme législateurs —, nous aimerions peut-être nous appuyer sur des statistiques qui présentent le nombre de demandes de mise en liberté sous caution qui ont été approuvées et le nombre de conditions de libération de cautionnement qui n'ont pas été respectées, menant à l'incarcération, etc. Il y a une façon de le faire, par extrapolation, à partir de la dernière diapositive que nous avons vue, mais cette méthode est fragmentaire, donne des résultats un peu inexacts et peut servir aux deux côtés du débat portant sur les personnes en liberté alors qu'elles ne devraient pas l'être.
J'aimerais savoir comment votre organisation s'appuie sur les statistiques. Pensez-vous qu'il faut améliorer la façon de recueillir les statistiques pour vous aider à prendre position?
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C'est probablement vrai. Il y a toujours un fond de vérité dans tout cet homme a dit.
Concrètement, quand un avocat de la défense est en présence de ce que j'appelle le point de vue microscopique par opposition au point de vue macroscopique d'une mesure législative — quand il représente une personne à une audience de mise en liberté sous caution —, il examine la loi, ses effets sur la personne et le résultat. Les membres de la Criminal Lawyers' Association qui siègent au comité ont rarement l'occasion de débattre le point de vue général, « macro » comme je l'appelle, et peuvent pratiquement juste le faire dans des forums comme la présente séance et d'autres initiatives législatives.
Habituellement, nous n'utilisons pas les statistiques dans nos plaidoyers au tribunal, car un juge répondra, « En quoi la mise en liberté de 1 000 personnes devrait-elle m'intéresser? J'ai cette personne devant moi; voici ses antécédents, voici mes préoccupations, et les statistiques ne vous aideront pas à plaider sa cause ».
En ce qui concerne la collecte de statistiques, la question est beaucoup plus vaste, car toute personne qui recueille ce type de statistiques doit faire une analyse coûts-avantages. Des statistiques ont été recueillies par diverses initiatives locales à Toronto. Elles ne nous ont pas été d'une aide très précieuse parce que vous devez vraiment tenir compte de la personnes chargée de la collecte des données.
Les statistiques — et je crois que c'est la raison pour laquelle Mark Twain était si circonspect — dépendent vraiment de la personne qui pose la question et recueille les données. Vous pouvez biaiser les données, même inconsciemment, par le type de questions que vous posez et l'information que vous cherchez à obtenir.
Tout cela pour dire que les statistiques ne sont pas forcément utiles, abstraction faite de données comme le taux d'homicide, qui nous indique que le pays, contrairement aux événements qui font périodiquement la une de l'actualité partout au Canada, ne court pas à sa perte. La criminalité n'est pas omniprésente dans les rues. Nous avons quelques problèmes ici et là, et nous les avons probablement depuis que je suis enfant — et je me rappellerais peut-être des manchettes — mais je ne crois pas que les gros titres font avancer le dossier. C'est pourquoi je crois que les statistiques sont d'une certaine utilité pour nous garder concentrés.
J'espère que cela répond à la question.
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Bonjour et merci d'être venu nous rencontrer ce matin.
Vous savez que nous débattons du projet de loi dans un contexte où le nombre d'infractions commises au moyen d'armes à feu de même que la criminalité en général sont à la baisse. Évidemment, je fais abstraction de la réalité des gangs de rue se trouvant dans certains grands centres urbains, surtout Toronto et Vancouver, de même que Montréal, n'ayons pas peur de le dire. Je ne voudrais pas être complaisant; on me le reprocherait, et à juste titre.
Cependant, je suis un peu étonné de votre témoignage. En effet, nous nous interrogeons à deux égards. D'abord, le renversement du fardeau de la preuve, qui existe déjà à l'étape de la mise en liberté par voie judiciaire ou de la mise en liberté sous caution, ne nous apparaît pas fondé dans un certain nombre de cas. Il faudrait allonger la liste des infractions dans le cadre desquelles il y aurait un renversement du fardeau de la preuve, c'est-à-dire des cas où ce serait au prévenu et non à la Couronne qu'incomberait le fardeau de la preuve.
Dans le cadre de votre témoignage, vous avez dit une chose qui m'a un peu étonné, et j'aimerais que vous me donniez plus de détails à ce sujet. Vous semblez dire que lorsqu'un juge ou un juge de paix, dans le cas du Québec, est saisi d'une cause impliquant des prévenus ayant commis des infractions au moyen d'armes à feu, il y aurait déjà en quelque sorte un renversement du fardeau de la preuve. Cette pratique aurait donc déjà existé avant que le législateur ne décide de l'inscrire dans un texte de loi. J'aimerais que vous nous expliquiez cela. J'imagine que vous vous fondez sur les témoignages d'avocats membres de votre association.
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À mon avis, ce qui est en jeu ici, c'est le côté pratique par opposition au côté théorique, ou plus précisément peut-être, le côté pratique par opposition au rôle crucial des législateurs pour faire savoir aux tribunaux et de ce qu'ils estiment être importants. C'est pour cette raison... que même si je comprends que les statistiques tendent à révéler une incidence plus faible de l'utilisation des armes à feu, vous ne pouvez pas le dire aux citoyens de Toronto. Nous avons connu l'année où il y a eu le plus d'infractions commises au moyen d'une arme à feu; tout le monde en a entendu parler. C'est assez choquant.
Mais il y a quand même un rôle, qui n'est pas mu par les statistiques, mais par la perception du public et le besoin de savoir que des mesures législatives sont adoptées pour redresser la situation. Je ne parle pas de sévir contre le crime, car il y un grand nombre de dossiers où l'on tient ce genre de discours. Je fais allusion ici à une approche nuancée plus spécifique pour dire aux tribunaux et au public que les armes à feu et les infractions commises au moyen d'une arme à feu sont particulièrement problématiques et que nous devons nous y attaquer. Je crois que c'est pour cette raison que même si vous faites valoir des arguments fondés sur des statistiques, à toutes fins pratiques, les tribunaux ont déjà traité de la question et renversé le fardeau de la preuve, de facto, il y a quand même une certaine utilité sur le plan législatif de faire savoir que c'est une préoccupation.
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Je pense particulièrement à un tribunal de Scarborough qui, étrangement, figure parmi ceux qui traitent le plus grand nombre de cas d'infractions commises avec une arme à feu, et où ce sont les juges de paix qui en sont chargés.
Lorsqu'un crime est commis avec une arme à feu, peu importe qu'il y ait d'autres accusations ou que le fardeau de la preuve incombe à la Couronne, le tribunal demandera une ordonnance de détention. L'accusé devra arriver à le convaincre du contraire. Cette façon de faire est probablement reflétée dans la manière dont les juges de paix examinent les cas d'infractions impliquant une arme à feu. Par conséquent, d'après mon expérience, et certainement celle de mes collègues, si on accorde une mise en liberté sous caution, celle-ci sera assortie de conditions très rigoureuses. Il est beaucoup moins probable que les accusés soient libérés. On ne se contente pas d'une simple garantie de leur part; un programme doit être mis en place pour veiller à ce qu'ils ne récidivent pas, particulièrement avec une arme à feu.
Monsieur Ménard, j'espère avoir répondu à votre question. Il est difficile de dégager des statistiques des travaux quotidiens des tribunaux. En réalité, nous nous fondons entièrement sur des données factuelles. On nous rapporte des faits, on entend des témoignages... et ce ne sont pas des inventions.
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Mon parti appuie ce projet de loi également, mais permettez-moi un instant de me faire l'avocat du diable.
Ne risquons-nous pas d'imposer trop de restrictions aux tribunaux en appliquant ce renversement du fardeau de la preuve, en particulier dans les cas d'infractions impliquant une arme à feu? Bien sûr, le nombre de ces crimes diminuera au cours des prochains mois, comme on l'a vu en moins d'un an à Toronto, mais le système judiciaire se retrouvera les mains liées par ce principe, précisément pour ce qui est des infractions mettant en jeu une arme à feu.
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Le renversement du fardeau de la preuve n'a jamais empêché les gens qui devaient être libérés de l'être. Je dois le préciser d'emblée. Si quelqu'un est un bon candidat pour une mise en liberté sous caution, toutes proportions gardées, le fardeau de la preuve n'influencera pas particulièrement le résultat. En général, je ne m'en inquiéterais pas trop.
Toutefois, j'encouragerais les législateurs à examiner les cas actuels où l'on renverse le fardeau de la preuve, comme avec le trafic de stupéfiants. Nous appliquions ce principe lorsque nous avions la Loi sur les stupéfiants, bien avant la loi actuelle qui établit différents niveaux de trafic, selon la drogue. Trouvez-vous logique qu'on renverse le fardeau de la preuve depuis longtemps dans des cas de trafic de marijuana, mais qu'on ne l'ait pas fait jusqu'à présent pour des vols qualifiés commis avec une arme à feu?
Il serait donc important de revoir la loi actuelle et de se demander s'il est toujours fondé de renverser le fardeau de la preuve. Voilà un des paradoxes de la situation.
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Comme vous le savez tous, Toronto a connu, pour reprendre les mots de la Reine, une
annus horribilis. L'année 2005 a tout simplement été terrible étant donné le nombre de crimes commis avec une arme à feu, le point culminant ayant été le meurtre de Jane Creba. La population a été scandalisée par tous ces meurtres, et à mon avis, ce qui est particulièrement bouleversant, ce sont toutes ces pertes de vie inutiles — non seulement des victimes, mais aussi des jeunes hommes impliqués dans ce type d'agressions.
Je vais tenter d'être le plus honnête possible. Même si le projet de loi répond en quelque sorte aux préoccupations de la société, je trouve qu'il ne règle pas vraiment le problème. Nous devons absolument concevoir d'autres formes d'intervention, et je ne parle pas ici des services sociaux trop indulgents. Il faut remonter à la source du problème.
Je peux vous dresser le profil des enfants qui deviennent des criminels. À partir de ce profil, vous pourriez mettre sur pied des programmes précis, cerner les individus et les traiter de façon ciblée. Nous devons leur venir en aide. Lorsqu'on regarde la situation, on constate malheureusement que nos mesures sont davantage axées sur le durcissement des peines plutôt que sur l'aide que nous pourrions offrir aux personnes à l'origine de ces infractions. Il faut s'attaquer à la racine du problème. D'ailleurs, je sais qu'on a déjà commencé à en discuter dans certains quartiers de Toronto.
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Hier, nous avons débattu d'un autre projet de loi à la Chambre, et on nous a dit qu'il n'y avait pas suffisamment de statistiques à l'appui. De toute évidence, j'ai trouvé très intéressantes vos remarques à propos du fait que les statistiques n'ont rien à voir dans la qualité d'un projet de loi.
Je ne voudrais pas vous poser une question trop difficile ou qui ne relève pas de vos compétences, mais en même temps, je pense que ça pourrait être utile. Lorsque nous travaillons sur ce type de mesures législatives, mis à part le rôle que les statistiques peuvent jouer — et d'après vous, il n'est pas si important — quelles autres questions, selon vous, devrions-nous prendre en compte pour nous assurer d'adopter une mesure législative qui soit efficace?
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Il ne s'agit pas là d'une question facile.
Je crois avoir dit, dans ma réponse précédente, dans quels secteurs j'interviendrais. Si c'est pour combattre la criminalité et faire face à ses conséquences, vous me demandez quelque chose qui n'est pas vraiment de mon domaine, mais sachez qu'il y a un secteur dans lequel je n'hésiterais pas à agir. On a déjà commencé à Toronto, et on le voit de plus en plus, même si cela n'a pas encore nécessairement donné de résultats. Je parle ici de lutter contre la narco-criminalité et la dépendance à la drogue en misant sur une approche médicale plutôt que policière. J'ai même entendu à travers les branches que l'Association canadienne des chefs de police estimait que ce n'était pas si mauvais que cela. C'est fort différent du modèle qu'on voit aux États-Unis, qui est extrêmement punitif.
Si vous voulez lutter contre la criminalité, vous devez d'abord vous attaquer à ses causes et remédier à la dépendance à l'héroïne en adoptant une approche médicale. On doit aider le toxicomane pour éviter qu'il commette des crimes dans le but de se procurer de la drogue. Comme je l'ai dit, ce n'est pas dans mon intérêt de défendre une telle cause, mais je crois que cette approche mérite d'être prise en considération par le gouvernement. D'ailleurs, celle-ci ne date pas d'hier.
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Merci. J'ai quatre questions, mais trois d'entre elles sont étroitement liées.
Dans le présent projet de loi, nous resserrons les critères en ce qui concerne la mise en liberté sous caution. Celle-ci est un droit explicite en vertu de la Charte. Je croyais que lorsqu'on limite un droit garanti par la Charte, il fallait avoir un préambule pour préciser le contexte et éviter qu'il y ait de la confusion, simplement au cas où la question serait soulevée plus tard. Vous avez indiqué que cela ne semblait pas faire l'objet de litiges, mais j'aimerais tout de même connaître votre avis sur l'utilité d'un préambule.
Ensuite, j'aimerais que vous nous expliquiez comment la magistrature, à Toronto, si ce n'est pas partout au pays, tient compte de la période de détention préventive dans la détermination de la peine. On nous a dit que le temps passé en détention avant le procès comptait double, voire triple. Pourriez-vous aussi nous dire si la détention préventive a une incidence sur la propension d'un accusé à plaider coupable? Cela est-il susceptible de faire augmenter le nombre de détentions préventives?
Enfin, est-ce que l'existence de peines minimales obligatoires prévues par la loi empêche de créditer la période au cours de laquelle un accusé a été maintenu en détention dans l'attente de son jugement? Autrement dit, si vous êtes détenu pendant un an avant votre procès et qu'on vous impose une peine minimale de cinq ans, qu'est-ce que cette détention d'un an viendra changer à la peine? Quoi qu'il en soit, est-ce que cela peut donner lieu à une contestation devant le tribunal parce que les conditions existantes auront été modifiées?
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Très bien. Je pense avoir bien saisi toutes vos questions.
Le préambule est souvent utile. Dans ce cas, je pense que les faits parlent d'eux-mêmes et qu'il n'est probablement pas nécessaire. Face à cette réalité inéluctable, ce projet de loi est amplement justifié. Je ne crois pas que les tribunaux aient besoin qu'on leur montre la voie à suivre.
Quant à la période de détention préventive, normalement, sans que ce soit une loi, en règle générale, elle compte double, étant donné que les individus ne sont pas admissibles à une libération conditionnelle ou à un quelconque programme au cours de cette période. Les conditions sont souvent beaucoup plus difficiles. La période de détention préventive compte maintenant triple, car le gouvernement ontarien a longtemps négligé ses prisons, au point qu'il y a parfois trois détenus par cellule. Et comme on n'a pratiquement rien prévu pour les occuper, ils restent confinés dans leur petit espace. Ils ont le choix d'avoir les pieds ou la tête près de la toilette. Compte tenu de ces conditions déplorables, les tribunaux commencent à retrancher de la peine la période de détention « précédant la déclaration de culpabilité ».
Est-ce que cela incite l'accusé à plaider coupable? Absolument. Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la réforme du cautionnement, certaines études le prouvaient déjà. Il y a un lien statistique entre la probabilité de plaider coupable et l'incarcération avant le procès. Je n'ai pas ces études avec moi, mais elles étaient très révélatrices.
Enfin, on a déjà critiqué les peines minimales obligatoires en disant qu'elles ne prenaient pas en considération la période de détention préventive. Le juge Rosenberg, de notre cour d'appel, a rendu une décision selon laquelle la constitutionnalité des peines minimales obligatoires serait maintenue, mais seulement parce qu'une disposition tenait compte de la détention préventive. Dans ce cas, les peines minimales obligatoires s'appliquent toujours.
Je crois avoir répondu à toutes vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Lomer, d'être parmi nous aujourd'hui.
Vous avez parlé d'un phénomène très particulier. À l'étape de la caution, c'est-à-dire à l'étape préliminaire, ce sont les faits qui comptent et pas nécessairement le droit à la caution. On doit donc plaider les faits. Vous avez mentionné plus tôt certaines villes, par exemple Toronto, où il y a eu des événements graves encore récemment. M. Comartin a parlé d'un policier qui a été tué par balle alors qu'il visitait une maison.
Quand les journaux de la veille ont parlé d'un événement de ce genre, on sait très bien, comme avocat, que la caution sera difficile à obtenir le lendemain matin, même s'il n'y a pas de renversement de la preuve. Vous avez assez d'expérience pour savoir que si le journal principal de Toronto publie pendant deux ou trois jours des articles sur un meurtre en particulier, le juge sera très réticent à accorder une caution quand l'avocat se présentera avec son client, même si c'est un bon client. Ai-je bien compris ce que vous avez dit?
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Je passe à ma deuxième question. Nous parlons du renversement du fardeau de la preuve en ce qui a trait à la mise en liberté sous caution. Le Code criminel prévoit le renversement du fardeau de la preuve en cas de recel. L'avocat est obligé de faire la preuve... Nous avons des cas où le législateur, sans aucune statistique, a décrété un renversement du fardeau de la preuve. Nous, les avocats, sommes obligés de faire cela. Nous parlons de la mise en liberté sous caution. C'est différent, on s'entend bien.
Toutefois, j'aimerais vous poser une question qui a été soulevée par M. Bagnell et M. Lee. Elle porte sur le fait que le temps passé en détention durant l'étude de la demande de cautionnement compte double et que lorsque le détenu vient entendre la sentence, à la fin du processus, le juge en tient compte.
Dans la province de Québec, il existe un phénomène particulier, et le même phénomène existe chez vous. Certains de nos clients demandent d'être condamnés à plus de deux ans et un jour parce qu'ainsi ils purgent un sixième de la peine plutôt que les deux tiers. Nos clients veulent être condamnés au pénitencier fédéral plutôt que d'être incarcérés dans un pénitencier provincial. Vivez-vous le même phénomène et cela a-t-il un effet sur la demande de mise en liberté sous caution?
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Nous nous sommes intéressés à ce que les accusés veulent comme peine lorsqu'ils savent qu'ils seront reconnus coupables.
Certains de mes clients ayant déjà purgé une peine dans une maison de correction me disaient qu'ils préféraient être incarcérés dans un pénitencier, pour un jour de plus, ou me demandaient une région en particulier. Ce sont, à mon sens, des manipulations inefficaces du système. Je précise « inefficaces » parce que ces gens doivent tout de même purger une peine. Oui, le système fédéral a une procédure accélérée pour les auteurs d'une première infraction non violente. Et oui, il est parfois plus difficile d'obtenir une libération conditionnelle dans un établissement provincial que fédéral. Ce n'est pas toujours le cas, toutefois, comme je m'évertue à le dire à mes clients. Ils peuvent croire ce qu'ils veulent, mais ce n'est pas nécessairement ce qui se passe réellement.
Par exemple, on a resserré les critères d'admissibilité à une libération conditionnelle dans les établissements fédéraux ces 10 dernières années. Ils diront ce qu'ils veulent — ils pensent qu'ils sont des avocats de prison — mais ils peuvent se tromper.
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C'est rare qu'un client me dise qu'il n'aurait jamais commis son infraction s'il avait su la peine qu'on lui infligerait. Les délinquants ont néanmoins une petite idée de ce qui les attend. En fait, c'était pire avec la Loi sur les jeunes contrevenants, où parfois, le système judiciaire renseignait mal le public sur les peines éventuelles. Ce n'est pas pour rien que les jeunes contrevenants commettaient des crimes en croyant qu'on serait clément envers eux.
Il incombe au système judiciaire de ne pas passer outre — du moins, sans motif raisonnable — aux lois actuellement en vigueur. Ce serait probablement un bon début.
J'ai parlé d'utiliser une approche médicale dans les cas de trafic de drogues, tout comme de mettre sur pied des programmes ciblés, qui nous permettraient de cerner le type d'individus susceptibles de commettre des crimes graves comme ceux impliquant une arme à feu. Sans trop m'attarder là-dessus, je peux vous dire que ce sont souvent des gens désabusés, souffrant de problèmes de santé mentale, qui habitent des quartiers défavorisés du centre-ville. Je suis sûr que vous comprenez ce que je veux dire.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Lomer, de votre présence parmi nous aujourd'hui.
Ma question porte sur la procédure. Un individu est appréhendé par la police après avoir commis un crime avec une arme à feu et est conduit devant un juge de paix, pas nécessairement un juge. Dans ce projet de loi, il est question qu'il comparaisse devant un juge, n'est-ce pas?
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Merci beaucoup de votre présence.
Il y a une question qui me trotte dans la tête depuis notre dernière séance avec les statisticiens. Ceux-ci nous ont montré une diapositive qui indiquait que parmi les individus accusés d’une infraction visée par le projet de loi , seulement 40 p. 100 étaient finalement reconnus coupables.
À la lumière de cette statistique, je me suis dit que quelque chose ne tournait pas rond. Les enquêtes ne sont-elles pas assez approfondies? Les preuves sont-elles insuffisantes pour condamner des individus? Ou bien est-ce parce qu’au Canada, il y a des avocats futés comme vous qui permettent à ces individus de tirer leur épingle du jeu? Si, parmi tous les accusés, 60 p. 100 sont déclarés innocents et seulement 40 p. 100 reconnus coupables, alors autant accorder à tout le monde la mise en liberté sous caution.
Pourtant, dans ma circonscription, un individu a été accusé d’agression sexuelle armée et, pendant sa liberté sous caution, il est revenu sur les lieux de son crime pour se venger. Le bilan: deux morts et une personne gravement blessée. Quelles conclusions en tirez-vous?
Notre travail est de veiller à la sécurité publique. Ces statistiques m’ont abasourdi. Lorsque nous assistons à une ou deux tragédies après avoir accordé, à tort, une mise en liberté sous caution, cela nous amène à penser qu'il serait préférable d'opter pour la sécurité et ne plus libérer d’accusés, même sous caution, avant d’être absolument certains qu’ils ne présentent pas une menace pour la société?
Quelles conclusions tirez-vous de ces statistiques?
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Tout d’abord, j’aimerais savoir comment on a recueilli ces données.
On estime — et encore une fois, j’ignore d’où vient cette information — que 80 p. 100 des accusés sont condamnés ou plaident coupables. Je pense que c’est quelque chose du genre. Par conséquent, 20 p. 100 subiront un procès ou verront leurs accusations rejetées. Vous me demandez donc d’expliquer d'où viennent ces 40 p. 100.
Je pourrais l'expliquer de cette façon... Ce qu’on voit souvent, ce sont quatre jeunes dans une voiture avec un fusil. Le jeune en possession du fusil est accusé et les trois autres sont acquittés, à moins qu’ils puissent prouver qu’un des leurs a déjà pris le fusil dans ses mains, ce qu’ils ne peuvent souvent pas faire.
Monsieur Thompson, il m’est difficile de vous donner davantage d’explications. Quand vous dites que l’on devrait resserrer les critères d’admissibilité à une mise en liberté sous caution, sachez qu’en vertu de la Charte, on ne peut refuser ce droit à qui que ce soit sans motif valable.