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Bonjour. Je m'appelle Jeremy de Beer. Je suis professeur agrégé à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Mes recherches portent sur le droit, les politiques et les questions d'intérêt pour l'entreprise relativement à la propriété intellectuelle, l'innovation technologique et le commerce international. J'enseigne, entre autres, des cours sur les politiques en matière de propriété intellectuelle à l'échelle mondiale et sur le commerce de la musique numérique. Je suis également avocat, et j'ai travaillé avec divers intervenants dans le domaine du droit d'auteur, des créateurs aux producteurs, en passant par les intermédiaires, les utilisateurs finaux et les groupes de consommateurs. Avant d'être professeur, j'étais conseiller juridique à la Commission du droit d'auteur Canada. Il s'agit de l'organisme de réglementation chargé de la gestion du droit d'auteur au Canada.
Cela dit, c'est à titre personnel que je comparais aujourd'hui, et je m'appuie sur mes recherches universitaires et mon expérience professionnelle.
On devrait féliciter le gouvernement du Canada de son engagement dans la réforme du droit d'auteur. Comme un grand nombre d'autres Canadiens, j'ai hâte que le projet de loi , soit adopté. Dans ce contexte, votre travail est extrêmement important, et je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de participer au processus qui fera en sorte que les lois canadiennes concernant le droit d'auteur seront parmi les plus appropriées et les plus efficaces au monde.
Étant donné que je ne suis pas ici pour représenter un organisme ou un certain point de vue, je ne proposerai pas d'amendement précis au projet de loi. Toutefois, afin de favoriser les politiques fondées sur des données probantes, j'espère que mes recherches et mon expérience vous aideront à tirer vos propres conclusions quant à la démarche appropriée.
Si vous me le permettez, j'aimerais parler de deux aspects de la Loi sur la modernisation du droit d'auteur qui ont attiré l'attention des diverses parties intéressées pendant le processus de réforme du droit d'auteur. Le premier concerne les dispositions relatives aux mesures techniques de protection des articles 41 à 41.21 du projet de loi, et le deuxième concerne l'ajout des mots « d'éducation, de parodie ou de satire » à l'article 29 du projet de loi. Je serai heureux d'aborder d'autres aspects pendant la période de questions, si vous me le permettez.
Il ne fait aucun doute que les traités internationaux dont le Canada est signataire doivent faire l'objet de réformes afin de procurer une protection adéquate et des recours judiciaires efficaces contre le contournement des mesures techniques de protection. Le sujet ne soulève pas vraiment la controverse. La seule vraie question, c'est de savoir si le Canada devrait adopter l'approche privilégiée par certains pays, tels les États-Unis, ou l'approche choisie par d'autres pays, par exemple la Suisse et la Nouvelle-Zélande. Il s'agit d'une décision stratégique difficile.
Même s'il existe des différences entre les dispositions anti-contournement du projet de loi et celles de l'American Digital Millennium Copyright Act, ces approches se ressemblent, car elles ne rattachent pas le contournement des mesures techniques de protection à un acte de contrefaçon, ce qui fait que le projet de loi , dans sa forme actuelle, pourrait empêcher le contournement des mesures techniques de protection même si ces mesures s'appliquent à du matériel du domaine public ou même si la raison d'être du contournement est légitime, y compris l'exercice des droits qui sont prévus ailleurs dans le projet de loi .
Par contre, en Suisse et en Nouvelle-Zélande, des réformes récentes rattachent les dispositions sur le contournement à la protection du droit d'auteur et aux oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Selon mes recherches, il existe quatre préoccupations au sujet de l'approche proposée actuellement dans le projet de loi . J'ai fourni à la greffière des exemplaires de quelques-unes de mes publications pertinentes, et d'après ce que je comprends, on vous les distribuera lorsqu'ils auront été traduits. Ces documents expliquent plus en détail les conclusions qu'on peut tirer de ces recherches.
Tout d'abord, ce modèle de disposition anti-contournement n'est pas cohérent, sur les plans conceptuel et pragmatique, avec d'autres parties de lois et de projets de loi canadiens, surtout en ce qui concerne les droits de faire des copies pour usage privé en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur et d'autres dispositions du projet de loi. Selon mes recherches sur les différences entre les lois canadienne et américaine au sujet des copies pour usage privé et des mesures techniques de protection, si on permet la copie pour usage privé en vertu de redevances ou d'autres dispositions, il devrait être légal d'exercer des droits de copies pour usage privé, même s'il existe des mesures techniques de protection.
Deuxièmement, mes recherches démontrent qu'il existe toujours de graves questions juridiques non résolues au sujet de la constitutionnalité des dispositions anti-contournement, si ces dispositions ne reflètent pas les limites fondamentales du droit d'auteur tel qu'il est défini dans la Loi constitutionnelle de 1867 au chapitre de la répartition des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Les règlements qui visent, en substance, des questions contractuelles privées ou des mesures techniques de protection qui ont préséance sur l'équilibre des droits établis par la Loi sur le droit d'auteur risquent d'être invalidés, car ils constituent une intrusion dans un domaine de compétence provinciale. La décision récente de la Cour suprême concernant la Loi sur les valeurs mobilières augmente le risque que, selon l'approche proposée dans le projet de loi , ces réformes soient déclarées inconstitutionnelles. Dans le pire des cas, on pourrait jeter le bébé avec l'eau du bain.
Selon mes recherches, réduire le champ d'action des dispositions pour permettre le contournement à des fins légitimes réduit de façon substantielle ce risque. Cela garantit pratiquement que la loi sera jugée constitutionnelle.
Troisièmement, toujours selon mes recherches, des dispositions anti-contournement rigoureuses n'aideraient pas beaucoup les Canadiens à exploiter le potentiel de nouveaux marchés fondés sur l'innovation, la collaboration et le contenu généré par l'utilisateur, qui sont, selon un grand nombre de spécialistes en affaires et dans les écoles de gestion, les moyens les plus prometteurs pour favoriser la croissance économique, l'innovation et la productivité au cours des prochaines décennies.
Il existe des preuves qui suggèrent le contraire — c'est-à-dire que les dispositions anti-contournement sont nécessaires pour permettre la création de nouveaux modèles d'affaires —, mais ces conclusions sont plus fondées sur des théories que sur des données empiriques. De plus, les recherches — c'est-à-dire les recherches empiriques — laissent entendre que des dispositions anti-contournement rigoureuses posent le risque d'entraîner un étouffement imprévu de la concurrence — ce qui serait contre-productif —, car elles imposent une plateforme, un dispositif et un modèle de distribution précis au contenu numérique. C'est un risque que les Canadiens préféreraient sûrement éviter.
Quatrièmement, selon mes données les plus récentes, la majorité des spécialistes qui ont publié des résultats de recherches sur les dispositions anti-contournement n'appuient pas un modèle qui n'établit pas un lien entre la responsabilité liée au contournement et l'acte de contrefaçon. Afin de produire une vue d'ensemble complète, systématique et objective de la question, une équipe de chercheurs et moi-même avons parcouru presque 1 500 articles publiés dans diverses bases de données sur le sujet.
Après avoir examiné 1 500 articles, nous avons conclu que seul un très faible pourcentage — c'est-à-dire 10 p. 100 des chercheurs — appuyait les dispositions anti-contournement. Trente-quatre pour cent des auteurs de ces études étaient neutres, alors que 56 p. 100 n'appuyaient pas ce modèle précis de loi anti-contournement.
Même si on ne peut donc pas interpréter ces données empiriques comme représentant de façon concluante l'opinion du public, ou même l'opinion de toutes les parties intéressées, elles laissent voir un consensus parmi les spécialistes qui ont publié des résultats de recherches sur ce sujet. Les données probantes sont dans les documents que j'ai remis à la greffière.
Compte tenu de ces données probantes, vous voudrez peut-être examiner si l'approche anti-contournement adoptée par la Nouvelle-Zélande ou la Suisse serait plus appropriée pour le Canada. Je serai heureux de vous parler plus en détail de la façon précise de procéder si vous le souhaitez.
Auparavant, j'aimerais parler d'un autre sujet, c'est-à-dire les répercussions engendrées par l'ajout des mots « d'éducation, de parodie ou de satire » à l'article 29 de la loi, et surtout le mot « éducation ». D'après ce que je comprends, certaines parties intéressées sont d'avis que ces mots sont trop vagues et pourraient soulever des litiges importants et provoquer une baisse des recettes enregistrées par les auteurs et les éditeurs de matériel éducatif.
Tout d'abord, si l'interprétation de la portée de la nouvelle disposition devait effectivement faire l'objet de nombreux litiges, alors il est pratiquement impossible, pour le moment, de conclure si on aura des effets — négatifs ou positifs — sur le paiement des redevances et sur les recettes au Canada. En ma qualité d'ancien conseiller juridique de la Commission du droit d'auteur Canada, à laquelle il incombe de réglementer les aspects économiques du droit d'auteur, je peux vous affirmer que la structure de redevances qui émergera de ce processus sera souple et équitable.
Je peux aussi vous affirmer que la possibilité de l'émergence de litiges au sujet de la signification de ces nouvelles dispositions ne constitue pas un motif valable pour rejeter leur intégration dans la loi canadienne sur le droit d'auteur. En fait, si on peut prédire quelque chose avec certitude, c'est qu'on amènera un grand nombre des dispositions du projet de loi devant les tribunaux. Il faut s'y attendre.
Je ne dis pas que le Parlement ne devrait pas guider les tribunaux: par exemple, sur les facteurs qu'il juge pertinents pour déterminer le caractère équitable de tout ce qui est lié aux oeuvres protégées par le droit d'auteur. Toutefois, selon mon expérience professionnelle, je peux vous dire qu'il serait dangereux et inapproprié de définir les catégories de façon trop précise, car elles doivent, par leur nature, être souples et équitables.
Encore une fois, merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de participer à ce processus. C'est avec plaisir que j'approfondirai le sujet ou que je répondrai à vos questions.
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Bonjour. J'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité à comparaître. Je m'appelle Samuel Trosow et je suis professeur à l'Université de Western Ontario. J'enseigne à la faculté de droit, et j'enseigne aussi à la faculté des études sur l'information et les médias, qui offre le programme de journalisme, le programme d'études des médias et le programme de bibliothéconomie et sciences de l’information.
Les politiques en matière de droit d'auteur sont au centre de mes recherches, surtout en ce qui concerne les nouvelles technologies. Aujourd'hui, je vais commenter surtout les aspects du projet de loi qui ont des répercussions directes sur l'enseignement, l'apprentissage et la recherche dans nos communautés éducatives. Le projet de loi n'est pas parfait, mais je veux parler d'une chose que le gouvernement a très bien réussie, à mon avis; il s'agit des dispositions sur l'utilisation équitable.
L'utilisation équitable, c'est le droit de copier des oeuvres sans obtenir de permission ou sans payer de redevances, mais seulement lorsqu'il est équitable de le faire. La Cour suprême du Canada reconnaît que l'utilisation équitable fait partie intégrante de la Loi sur le droit d'auteur et qu'il s'agit d'un droit extrêmement important pour tous les Canadiens. Le défi posé par l'élaboration de politiques sur le droit d'auteur consiste à trouver un équilibre entre les différentes parties intéressées afin de promouvoir l'apprentissage et le progrès, de rémunérer les créateurs et d'encourager la production de nouvelles oeuvres. Pour y arriver, les droits d'auteur créent un monopole limité, c'est-à-dire que les auteurs ont des droits importants et exclusifs sur leurs oeuvres, mais le monopole est limité par sa durée et par les droits des utilisateurs, par exemple l'utilisation équitable.
Ce que vous devez faire, c'est de veiller à ce que les politiques concernant le droit d'auteur permettent la création de nouvelles formes d'apprentissage et de créativité, et qu'elles garantissent en même temps aux créateurs de biens intellectuels un niveau raisonnable de protection dans l'environnement numérique. C'est à ce moment-là que l'importance de l'utilisation équitable se fait vraiment sentir. Il arrive que, peu importe le rôle que nous jouons, nous devons avoir accès à des renseignements et les utiliser. La Loi sur le droit d'auteur permet actuellement l'utilisation équitable à des fins de recherche, d'étude privée, de critique, de compte rendu et de communication de nouvelles.
En 2004, dans l'affaire CCH Canadian Ltée c. Barreau du Haut-Canada, la Cour suprême a jugé que l'utilisation équitable était un droit important des utilisateurs, un droit qui fait partie intégrante de l'équilibre général visé par la Loi sur le droit d'auteur. Cette interprétation est cohérente avec les pratiques changeantes et est très appropriée dans un environnement d'information qui s'appuie en grande partie sur la technologie. Toutefois, dans le contexte des établissements d'enseignement, il subsiste un degré d'incertitude sur la portée de l'utilisation équitable, car on a essentiellement adopté le libellé de la Loi sur le droit d'auteur de 1911 du Royaume-Uni, lorsqu'on a adopté la loi canadienne équivalente en 1921.
Dans les versions précédentes du projet de loi , la communauté éducative était unanime sur le fait que les catégories d'utilisation équitable avaient besoin d'être clarifiées. On avait suggéré d'ajouter les mots « tels les » avant recherche, étude privée, critique, compte rendu et communication des nouvelles, et d'ensuite préciser les six critères du caractère équitable adoptés dans la décision CCH. Toutefois, le projet de loi n'a pas adopté la suggestion concernant l'ajout des mots « tels les ». Il a plutôt ajouté trois éléments précis à la liste: l'éducation, la parodie et la satire. Bien que j'aurais préféré l'ajout des mots « tels les », la proposition actuelle est un compromis très raisonnable.
La disposition est devenue le souffre-douleur de l'opposition et plusieurs sources prétendent que l'utilisation équitable vise surtout à épargner de l'argent et qu'on fera beaucoup plus de copies, ce qui nuira aux éditeurs canadiens et aux créateurs. Ceux qui sont contre l'utilisation équitable accusent sans cesse le secteur éducatif de ne pas vouloir rémunérer les créateurs à leur juste valeur, et ils affirment que les écoles, les enseignants et les étudiants souhaitent étendre le champ d'application de l'utilisation équitable afin d'épargner de l'argent, mais rien n'est plus faux.
Les membres du comité précédent, c'est-à-dire celui sur le projet de loi , ont entendu plusieurs groupes parler des sommes énormes dépensées par le secteur de l'éducation afin d'acheter du matériel documentaire ou d'obtenir une licence pour l'utiliser. Ernie Ingles, la bibliothécaire en chef de l'Université de l'Alberta, a dit au comité, en février dernier, que les bibliothèques des universités du Canada dépensaient plus de 300 millions de dollars annuellement pour l'achat de contenu ou des licences s'y rapportant et que les modifications à l'utilisation équitable ne changeraient rien à cela. Campus Stores Canada a soulevé le même point ce jour-là, en affirmant que l'utilisation équitable n'avait aucune répercussion sur la vente d'ouvrages didactiques ou de manuels scolaires, et l'entreprise ne voyait pas pourquoi cela changerait. Les exploitants de librairies ont appuyé l'ajout de l'éducation comme étant un droit universitaire important en ce qui concerne l'utilisation équitable, et ils pensent que les inquiétudes au sujet de la reproduction à grande échelle sont tout simplement sans fondement.
Le but de l'ajout de l'éducation à l'utilisation équitable n'est pas d'épargner de l'argent, mais de le dépenser plus intelligemment et de façon à rendre accessible le contenu à plus de gens. De plus, l'utilisation équitable ne détruira pas l'industrie canadienne de l'édition et les créateurs qui en dépendent. Aux États-Unis, le droit à l'utilisation équitable à des fins éducatives est considérablement plus étendu que ce que propose le projet de loi C-11. Même si les Américains sont beaucoup plus permissifs que ne l'est le projet de loi C-11 à ce sujet, leur industrie de l'édition est prospère et solide.
Voici ce que je propose comme prochaine étape. Si le comité souhaite clarifier et limiter l'utilisation équitable à des fins d'éducation, il existe une solution bien simple: inclure, dans le texte de la loi, les six facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire CCH. On peut évaluer l'équité de l'utilisation selon les facteurs suivants: le but, la nature et l'ampleur de l'utilisation, les solutions de rechange à l'utilisation, la nature de l'oeuvre et l'effet de l'utilisation sur l'oeuvre.
Si vous estimez qu'il faut davantage clarifier et définir l'utilisation équitable à des fins d'éducation, alors n'hésitez pas à ajouter ces précisions à la loi.
J'aimerais parler d'un dernier point qui me préoccupe. Certains ont proposé que l'utilisation équitable à des fins d'éducation soit limitée aux établissements d'enseignement admissibles. Je rejette cette approche. Ce serait une erreur. L'utilisation équitable constitue un droit pour tous les Canadiens, et non seulement pour ceux qui ont le privilège de fréquenter un établissement d'enseignement — un terme défini et limité dans la loi. L'utilisation équitable n'intervient pas seulement dans un séminaire de deuxième cycle sur la physique quantique. C'est pour l'entraîneur de hockey qui enseigne des habiletés de patinage intensif. C'est pour un centre d'accueil pour aînés qui offre des programmes sur la nutrition et l'activité physique. C'est pour un groupe de guides qui acquièrent des connaissances sur l'environnement naturel. C'est pour une exposition sur l'histoire locale dans un musée près de chez nous. C'est pour un programme d'alphabétisation à la bibliothèque municipale. C'est pour tout intervenant dans le domaine en pleine croissance de l'éducation permanente.
Oui, il est essentiel de clarifier l'utilisation équitable pour ceux qui travaillent ou étudient dans des établissements d'enseignement, et il est vrai que des exceptions supplémentaires ne s'appliquent qu'à eux. N'empêche que l'utilisation équitable est un droit important pour les Canadiens de tous les horizons, y compris les auteurs, les artistes et les musiciens, peu importe s'ils travaillent ou non dans nos écoles, collèges et universités. En précisant les objectifs de l'utilisation équitable à des fins d'éducation, le projet de loi C-11 renforce et clarifie le droit de chacun à ce privilège, malgré certaines affirmations à caractère sensationnel que vous avez entendues.
Cette modification est d'importance capitale parce que la meilleure façon d'atteindre les objectifs énoncés dans le document de consultation du gouvernement — à savoir l'innovation, la créativité, l'investissement, la concurrence et le leadership mondial —, c'est de faire du Canada un paradis pour le droit d'auteur équitable. On devrait encourager les Canadiens de tous les milieux à se livrer à des pratiques en matière de droit d'auteur équitable. Le droit d'auteur équitable, sous toutes ses formes, devrait devenir la marque de commerce d'une culture canadienne du droit d'auteur, à l'image des valeurs canadiennes.
Je vous exhorte donc à adopter la disposition proposée concernant l'utilisation équitable, avant de passer aux prochaines étapes du projet de loi.
Merci encore de votre temps, et je serai heureux de répondre à vos questions durant la période des questions ou, plus tard, par écrit.
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Absolument. Merci, monsieur le président.
[Français]
L'an dernier, lors des réunions du Comité législatif chargé du projet de loi , nous avons entendu beaucoup de témoignages sur la manière dont les jeunes produisent et consomment les médias numériques. On a aussi dit que la Loi sur le droit d'auteur du Canada avait, de façon pressante, besoin d'être modifiée pour s'adapter à ces développements. Par contre, nous n'avons pas vu beaucoup de jeunes Canadiens et Canadiennes devant le comité. J'espère donc aussi pouvoir partager avec vous le point de vue d'un jeune Canadien en ce début de nouvelle législature.
[Traduction]
Commençons par les MTP, ou les mesures techniques de protection.
Les MTP sont des technologies conçues pour contrôler la façon dont on peut accéder aux médias numériques et en copier le contenu. Le projet de loi érige en violation du droit d'auteur le fait de contourner les MTP ou de fabriquer et de distribuer des dispositifs de contournement. Il est à noter que tous les principaux partenaires commerciaux du Canada offrent une protection juridique pour les MTP aux termes des traités Internet de l'OMPI.
Ces technologies sont souvent qualifiées de « serrures numériques », mais je crois qu'il s'agit là d'une expression tout à fait impropre; au lieu de considérer les MTP comme des restrictions destinées en quelque sorte à frustrer les consommateurs, on devrait les considérer comme un élément essentiel pour un marché des médias numériques en plein essor. S'il y a un message que j'aimerais transmettre aujourd'hui aux membres du comité, c'est qu'on devrait se débarrasser de l'expression « serrures numériques » et remettre l'accent sur ces technologies, sur ce qu'elles permettent de faire et sur la façon dont la législation canadienne sur le droit d'auteur devrait les protéger pour qu'on puisse maintenir un marché canadien plein de créativité et de dynamisme.
Je vais vous donner quelques exemples.
Je ne qualifierais pas de serrure numérique la MTP utilisée par Spotify, un service de musique en ligne. Pourquoi? Parce qu'en s'abonnant à Spotify, on peut écouter de la musique de façon illimitée à partir de ce site. On a accès à un immense répertoire de musique qu'on peut télécharger en tout temps. Par contre, la MTP empêche les gens de copier le flux de musique sur leur disque dur. Sans la MTP, il suffirait de s'abonner à Spotify pendant un mois, de copier chaque morceau de musique offert, puis d'annuler l'abonnement. La MTP empêche cette pratique, sans pour autant nous empêcher d'avoir accès au répertoire en tout temps.
Même les services de distribution de vidéos en ligne profitent des MTP. Par exemple, on peut louer ou acheter des films à partir du site Web de Blockbuster. De nos jours, il ne reste pas beaucoup de clubs vidéos; ceux-ci offrent maintenant des services en ligne. Si on loue un film à partir du site de Blockbuster, on reçoit le fichier vidéo au prix de 3 $; toutefois, le film est protégé par une MTP, qui cause la suppression automatique du fichier après 30 jours. Si on décide d'acheter le même film, il faudra payer un peu plus cher, peut-être 20 $, mais le fichier vidéo ne s'effacera pas automatiquement. À vrai dire, c'est grâce aux MTP que le modèle de location est possible: sans les MTP, il n'y aurait aucune différence entre le modèle de location et le modèle d'achat.
On entend souvent dire que les industries culturelles doivent trouver de nouveaux modèles d'affaires pour leurs produits. À mon avis, elles ont déjà fait le virage, mais elles comptent sur les MTP pour assurer la viabilité de ces modèles de distribution.
[Français]
C'est pour cette raison qu'il est absolument nécessaire de rattraper le reste du monde et de ratifier ces traités de l'OMPI.
[Traduction]
De plus, le projet de loi prévoit de nouvelles exceptions qui accorderaient aux consommateurs une plus grande souplesse dans la façon dont ils peuvent utiliser le contenu en ligne qu'ils achètent légalement. Ces nouvelles exceptions concernent entre autres le changement de support, l'enregistrement pour écoute en différé et les copies de secours. On attendait depuis longtemps ces ajouts à la loi canadienne sur le droit d'auteur, mais ceux-ci ne doivent s'appliquer que si les MTP ne sont pas contournées au moment de faire ces nouveaux types de copies.
Je sais que certaines personnes ont proposé de retirer cette condition et de permettre le contournement des MTP afin de faire des copies de secours et de reproduire des copies dans un autre format. Cependant, une telle autorisation n'a de sens que si nous revenons à la mentalité des serrures numériques et que nous cessons de considérer ces technologies comme des moyens propices aux modèles de distribution dont je viens de parler.
Je vais vous donner quelques autres exemples. Si je peux contourner la MTP de Spotify, c'est-à-dire la technologie qui protège la diffusion de musique en mode continu, pour faire des copies de secours, comme je l'ai dit, je pourrai tout simplement copier le répertoire complet de Spotify, en toute légalité aux termes du projet de loi , et posséder ainsi ma propre copie de toutes les oeuvres musicales offertes aux abonnés.
Par ailleurs, si j'ai le droit légalement de faire des copies de secours d'un film loué à partir du site de Blockbuster, je n'aurai aucune raison de l'acheter. Je pourrais tout simplement louer des films et faire autant de copies de secours que je veux. Voilà pourquoi il est absolument essentiel d'inclure les MTP dans ces nouvelles exceptions pour assurer la viabilité de ces nouveaux modèles d'affaires.
J'ai maintenant quelques observations à faire au sujet des dispositions habilitantes, chose que personne n'a abordée aujourd'hui, si je ne me trompe pas. C'est une question dont on a beaucoup entendu parler dernièrement, alors j'espère pouvoir la tirer au clair maintenant.
Lorsque l' a présenté le projet de loi C-32 il y a quelques années, il a beaucoup parlé de la lutte contre les malfaiteurs ou les destructeurs de richesse dans le milieu des droits d'auteur. Autrefois, c'était des programmes tels que Napster et LimeWire. Maintenant, on parle de sites Web comme isoHunt et The Pirate Bay. Voilà ce que visent vraiment les dispositions habilitantes.
À l'autre extrême, le projet de loi contient également des dispositions d'exonération qui sont conçues pour protéger les bons. On entend par là des fournisseurs de services Internet comme Rogers et Bell, des moteurs de recherche ou des sites d'hébergement comme YouTube. Nous savons que ces services bien intentionnés sont parfois utilisés pour transmettre un contenu contrefait, mais ce n'est pas leur objectif principal. C'est pourquoi le projet de loi leur accorde une exonération et les protège contre toute responsabilité.
On doit vraiment voir cela comme un spectre. Le projet de loi contient, d'une part, des dispositions habilitantes pour s'en prendre aux méchants et, d'autre part, des dispositions d'exonération pour protéger les bons.
Toutefois, le problème que j'aimerais porter à votre attention aujourd'hui, c'est que le projet de loi ne donnera pas assez de pouvoir aux titulaires de droit d'auteur pour leur permettre de poursuivre ces méchants. D'une part, le libellé des dispositions habilitantes est étroit; il y a donc un risque que les méchants comme isoHunt et The Pirate Bay puissent s'en tirer en cour. D'autre part, le libellé des dispositions d'exonération est trop vague. Non seulement les méchants pourraient avoir gain de cause grâce aux dispositions habilitantes, mais ils pourraient aussi être protégés en invoquant les dispositions d'exonération. Ce serait une conséquence négative imprévue du projet de loi, s'il était adopté dans sa forme actuelle.
Je ne saurais trop insister sur l'importance de trouver le bon libellé pour les dispositions habilitantes et les dispositions d'exonération. Je ne veux pas entrer dans les détails parce que ce serait beaucoup trop technique, mais je vais vous donner un exemple.
Une disposition habilitante s'applique actuellement aux sites Web conçus principalement pour faciliter une violation du droit d'auteur. C'est ce que dit le libellé actuel. Toutefois, chaque fois que les responsables de ces sites Web ont été traînés en justice dans d'autres pays, leur premier argument a toujours été de dire ceci: « Oui, 99 p. 100 des gens qui consultent notre site Web téléchargent du contenu illégal et oui, nous avons fait des millions de dollars à la suite de ces infractions, mais ce n'était pas notre intention principale. Cela n'a jamais été la raison principale pour laquelle nous avons conçu notre site Web. Nous n'y pouvons rien si les gens l'utilisent maintenant à ces fins. » Voilà pourquoi je propose de changer le libellé des dispositions habilitantes de sorte que les sites Web conçus ou exploités principalement pour faciliter une violation du droit d'auteur soient tenus responsables du nombre exorbitant d'infractions qu'ils causent.
J'exhorte donc le comité à examiner ces points, ainsi que d'autres modifications proposées aux dispositions habilitantes et aux dispositions d'exonération.
En dernier lieu, j'aimerais parler rapidement de quelques modifications techniques qu'il faut apporter à certaines parties précises du projet de loi où il est question de logiciels. Il s'agit de dispositions liées à des questions comme la recherche sur le chiffrement, la sécurité des réseaux, la rétroingénierie et l'interopérabilité des logiciels.
L'année dernière, au comité chargé du projet de loi , des témoins comme l'honorable John Manley et l'honorable Perrin Beatty ont parlé un peu de certaines de ces modifications. Je peux confirmer, en ma qualité d'ingénieur de systèmes et d'avocat spécialiste du droit d'auteur, que ces modifications sont en effet requises pour les dispositions ayant trait aux logiciels. Je n'ai pas entendu beaucoup de gens s'y opposer, alors je pense qu'elles sont assez bien acceptées. Je presse donc le comité d'en tenir compte également.
[Français]
Je crois que le temps qui m'était alloué est écoulé. Dans ce cas, je serai heureux de répondre à vos questions au sujet de ce projet de loi.
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Il y a deux éléments qui sont importants au sujet des désaccords concernant les mesures techniques de protection. D'une part, il faut favoriser l'émergence de nouveaux modèles d'affaires et l'innovation, et d'autre part, il faut, dans la mesure du possible, éviter toute conséquence non voulue. Peu importe la solution qu'adoptera le Canada, ces deux éléments doivent être les objectifs primordiaux: favoriser l'émergence de nouveaux modèles d'affaires et éviter les conséquences non voulues.
Si on regarde les preuves empiriques aux États-Unis, on constate qu'il y a eu toute une panoplie de conséquences non voulues. Il n'y a pas de preuves empiriques — bien qu'il y ait des preuves anecdotiques — qui indiquent que les mesures techniques de protection ont favorisé l'émergence de modèles d'affaires. Remarquez que j'ai parlé de mesures techniques de protection, et non de dispositions anti-contournement. Il s'agit de deux choses différentes.
Donc, bien qu'il y ait des preuves anecdotiques que les mesures techniques de protection ont favorisé l'émergence de modèles d'affaires, il n'y a pas de preuves empiriques qui relient cela aux dispositions anti-contournement, non plus qu'à des dispositions anti-contournement de style DMCA.
Si on prend l'exemple de la Suisse, un pays qui a la réputation d'être un chef de file mondial dans l'innovation technique scientifique, leur modèle favorise l'émergence de nouvelles entreprises et il favorise l'innovation, tout en atténuant ou en limitant les conséquences non voulues qui peuvent survenir. C'est tout particulièrement important dans le cas du Canada, étant donné que ces traités remontent à 1996. Si nous nous dotons d'un modèle souple, comme l'a mentionné M. McColeman, il faut qu'il y ait cette marge de manoeuvre. À mon avis, le modèle suisse y parvient très bien.
Le danger qui réside dans le fait de s'en remettre au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est que ce pouvoir sera inévitablement réactionnaire et toujours a posteriori. À l'heure actuelle, la Loi sur le droit d'auteur autorise notamment le gouverneur en conseil à prendre des règlements pour exempter certaines technologies des redevances pour la copie à usage privé. On constate toutefois une certaine réticence à utiliser ce pouvoir décisionnel de réglementation. Même si on peut l'utiliser, il s'agit d'un pouvoir réactionnaire, et ce n'est que lorsqu'il sera trop tard qu'on constatera qu'il y a un problème.
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Je suppose que tout le monde a entendu la traduction.
Je trouve que ce genre d'attitude qui consiste à dire: « puisque nous ne pouvons pas arrêter la copie, pourquoi la rendre illégale? — puisque la copie est possible, il faut donc l'autoriser — » est tout à fait défaitiste.
Si vous songez au type de copie qui se fait aux États-Unis, par exemple, où on a réussi à mettre sur pied ces modèles d'affaires — on compte sur ces protections —, nous constatons en fait que le vent a commencé à tourner. On constate que l'on a récemment renversé la vapeur dans des pays comme la France et la Corée du Sud. Ils ont réussi, grâce à des mesures législatives progressives semblables au projet de loi C-11 — elles comportent toutefois des dispositions différentes — à renverser la tendance de la copie non rémunérée et de la copie illégale.
Nous constatons aujourd'hui deux tendances: d'un côté, une diminution des téléchargements illégaux et de l'autre, un accroissement des téléchargements légaux et de la copie rémunérée et donc, un renflouement des recettes des créateurs.
Je pense donc que c'est un peu défaitiste de lever les bras au ciel et de dire que l'on n'y peut rien, qu'on va continuer de copier, comme s'il était en quelque sorte impossible pour nous de maîtriser cette activité illégale.
Ce que nous voyons aujourd'hui dans le monde, surtout en France et en Corée du Sud, a prouvé le contraire.
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Merci, monsieur le président.
Et merci à nos témoins. Je dois dire que les délibérations ont très bien commencé et j'ai trouvé ce que vous avez dit très instructif.
Si je puis me permettre, j'aimerais commencer par la question des mesures techniques de protection. MM. Gannon et de Beer ont fait des commentaires intéressants à ce sujet.
Je ne crois pas que nous ayons parlé, à la dernière rencontre, de ce à quoi vous avez tous les deux fait allusion, à savoir le rapport entre les prélèvements et les mesures techniques de protection.
Monsieur de Beer, vous y avez fait allusion en premier en disant que cela n'était pas conforme avec d'autres parties de la loi. Vous laissiez entendre, si je ne m'abuse, que s'il y avait prélèvement, on devrait autoriser les contournements. J'ai pris rapidement quelques notes à ce sujet.
De votre côté, monsieur Gannon, vous faisiez un lien entre le concept des prélèvements, le régime en vigueur en Suisse, et l'approche qu'elle a adoptée à l'égard des mesures techniques de protection.
Pouvez-vous, l'un ou l'autre, élaborer à ce sujet? Prenons l'exemple particulier d'un iPod ou d'un iPad. De quel genre de prélèvement pourraient-ils faire l'objet en Suisse? Dans le bref laps de temps qui a suivi vos commentaires, j'ai été sur Internet faire des recherches. Il semble qu'il y ait en Suisse un vigoureux débat à ce sujet.
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Oui, je peux répondre, si vous me le permettez. En général, ces questions ne sont pas aussi étroitement liées entre elles qu'on pourrait le penser.
En fait, de façon générale en Europe, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou de la Suisse, il y a de très nombreux prélèvements sur les différents dispositifs et médias numériques. Et cela n'a aucun rapport avec un genre particulier de clauses anti-contournement. Ce n'est pas la raison pour laquelle la Suisse a une clause anti-contournement. Il y a de très nombreux prélèvements dans toute l'Union européenne et des modèles complètement différents d'anti-contournement. Il faut souligner que ceux-ci ne sont pas liés.
Dans un autre article que j'ai publié, je propose que le Canada ne suive pas la voie qui consisterait à faire des prélèvements sur un plus grand nombre de médias et de dispositifs. C'est un problème de marché qui doit trouver sa solution dans le marché. Ce dont il faut parler, ce sont des moyens d'encourager l'innovation dans le marché des contenus numériques, n'est-ce pas? C'est essentiellement de cela qu'il s'agit.
Dans ce contexte, il s'agit de savoir si nous voulons retourner en arrière au modèle d'affaires numérique des 25 dernières années ou à celui des 25 prochaines années. Il y aurait un réel danger de croire que parce que certains pays ont promulgué des clauses strictes d'anti-contournement, nous devrions emboîter le pas ou de penser que des clauses strictes sont meilleures que des clauses modérées. Ce serait tomber dans l'argument fallacieux selon lequel parce qu'une certaine protection est bonne, en rajouter est nécessairement meilleur.
Ce n'est pas réellement comme cela qu'il faut voir la question. Nous voulons absolument créer de l'innovation dans les contenus numériques: des modèles d'affaires novateurs qui facilitent la vente et la commercialisation des contenus numériques. Le spectre en est large. D'aucuns pensent que les mesures techniques de protection n'ont aucun rôle à jouer dans ce genre de marché. Je ne pense pas que nous débattions sérieusement de cela; nous nous rendons tous compte que les mesures techniques de protection ont un rôle à jouer.
La question est de savoir si nous allons élaborer une loi qui protège ces types de modèles d'affaires grâce à des mesures techniques de protection? Tout le monde conviendra que la réponse est oui, que nous allons faire cela. La réelle question est donc de savoir quel type de clauses allons-nous avoir? Vont-elles ressembler aux clauses des États-Unis ou à celles de la Suisse?
La question n'est pas de savoir s'il y aura prélèvement ou pas, non. La question est de savoir si nous voulons des modèles d'affaires pour les 25 prochaines années ou ceux des 25 dernières, et de quelle façon nous allons gérer le risque…
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Merci, monsieur le président.
Au nom de l'Alliance pour l'égalité des personnes aveugles du Canada, je tiens tout d'abord à remercier le comité de nous avoir invités à témoigner. Nous en sommes très reconnaissants.
Je m'appelle Marc Workman et je suis le directeur national de l'Alliance. L'Alliance est une organisation nationale composée essentiellement de personnes non voyantes, sourdes et non voyantes, et malvoyantes. Nous militons pour toute une gamme d'enjeux au niveau local, provincial et national. Pour tout complément d'information sur notre organisation, je vous invite à consulter notre site à l'adresse: blindcanadians.ca.
La législation sur le droit d'auteur et sa réforme sont d'une importance cruciale pour les Canadiens non voyants. L'accès aux documents imprimés, dont la plupart sont protégés par droit d'auteur, est l'un des principaux obstacles qui empêchent les Canadiens non voyants de participer pleinement à la société. Cela dit et s'il n'en tenait qu'à nous, la non-voyance n'aurait rien à voir avec ce débat. Je préférerais ne pas être ici ce soir pour représenter les Canadiens non voyants. J'aimerais en outre ne pas avoir à compter sur une dispense qui me permet, ainsi qu'aux gens ou aux organisations à but non lucratif auxquels je m'adresse, de créer dans d'autres formats les oeuvres protégées par droit d'auteur auxquelles nous n'avons pas accès. Au lieu de cela, d'autres Canadiens non voyants et moi-même, préférerions emprunter des livres à la bibliothèque, tout comme nos concitoyens qui voient. Tout comme ces derniers, nous préférerions acheter des livres dans des librairies en ligne ou traditionnelles. Bref, à l'instar de tous nos concitoyens qui voient, nous voulons avoir accès aux oeuvres protégées par droit d'auteur.
Malheureusement, les Canadiens non voyants n'y ont pas accès aujourd'hui. En effet, moins de 10 p. 100 — et d'aucuns diraient moins de 5 p. 100 — des documents imprimés sont disponibles dans un format accessible.
Je veux que vous gardiez cela à l'esprit en écoutant mes recommandations. Ces changements recommandés ne sont nécessaires que parce que les éditeurs et les titulaires de droits d'auteur créent des produits qui pourraient être accessibles aux Canadiens non voyants, mais ne le sont pas. Un accès véritable nécessite, non pas une dispense, mais un engagement de la part des titulaires de droits d'auteurs et des éditeurs de rendre ces produits accessibles. Pour résumer, nous ne voulons pas avoir à compter sur une dispense, mais nous le devons. C'est pourquoi je vous exhorte à rendre cette dispense aussi efficace que possible en adoptant les recommandations que je vais vous faire pendant le reste de mon exposé.
La première recommandation a trait aux mesures techniques de protection. Bien que la dispense prévue au paragraphe 41.16 du projet de loi autorise le contournement des mesures techniques de protection afin de produire, dans d'autres formats, des oeuvres protégées par droit d'auteur, cette autorisation ne pourra pas, à toutes fins pratiques, être exercée par le Canadien non voyant moyen.
Le bris du verrou numérique qui protège le droit d'auteur des oeuvres est presque certainement au-delà des forces du Canadien non voyant moyen. Non seulement cela exige-t-il un certain niveau de compétence technique, que bien des Canadiens non voyants n'ont pas, mais il n'y a aucune garantie que les outils de contournement eux-mêmes seront accessibles, même aux Canadiens non voyants les plus férus de technique.
De plus, le contournement de ces mesures techniques de protection représente un fardeau pour les organismes qui produisent d'autres formats pour le compte des Canadiens non voyants, puisque ceux-ci auront à embaucher et à garder des employés compétents pour briser les verrous numériques. Et même si le paragraphe 41.16(2) du projet de loi accorde une dispense à ceux qui offrent des services ou fabriquent des produits destinés à contourner les mesures techniques de protection en vue de produire d'autres formats, cette dispense n'est accordée que dans la mesure où les services ou les outils en question ne nuisent pas indûment au fonctionnement de la mesure technique de protection. Comme on ne précise pas ce qu'on entend par « ne nuisent pas indûment au fonctionnement de la mesure technique de protection », il reste une ambiguïté qui nous concerne.
Étant donné les restrictions générales dont est assorti le contournement des mesures techniques de protection, il est peu probable — à notre avis — que les outils nécessaires soient largement et facilement accessibles aux Canadiens non voyants et aux organismes qui travaillent en leur nom. Tout comme bien d'autres organisations, l'Alliance recommande donc — et on en a entendu parler aujourd'hui — que les restrictions sur le contournement des mesures techniques de protection soient liées à des actes associés à des violations du droit d'auteur. Non seulement cela serait plus juste pour la société canadienne en général, mais ce serait, à notre avis, le meilleur moyen d'assurer que les Canadiens non voyants ont accès aux outils nécessaires pour accéder aux oeuvres protégées par droit d'auteur, accès auquel ils ont d'ailleurs droit.
Sans ce changement, c'est presque sûr que peu de Canadiens aveugles pourront exercer leur droit de contourner les mesures techniques de protection pour produire d'autres supports.
Notre deuxième recommandation porte sur la production à but lucratif d'autres supports. Selon l'article 32 de la Loi sur le droit d’auteur, seules les OBSL n'ont pas à demander une permission à l'auteur pour produire une version accessible de l'oeuvre protégée. Je répète qu'en raison de la loi, seule une petite fraction des oeuvres protégées sont converties sur un support accessible. Mais un nombre croissant d'entreprises à but lucratif participent à la production de supports accessibles. Nous recommandons de supprimer la restriction liée aux entreprises à but lucratif dans les exemptions prévues par la Loi sur le droit d'auteur et le projet de loi . Nous croyons que le retrait de cette restriction permettra de produire beaucoup plus d'autres supports pour les oeuvres protégées.
Notre troisième recommandation concerne l'envoi d'autres supports à l'étranger. Nous applaudissons les précisions apportées à la loi, qui nous rapprochent d'une entente internationale favorisant l'envoi d'autres supports à l'étranger. Les modifications réduiront beaucoup le transfert des mêmes oeuvres sur d'autres supports dans différents pays partout dans le monde.
Toutefois, la disposition 37 du projet de loi sur les alinéas 32.01(1)a) et b) limite la capacité des organisations d'envoyer d'autres supports à l'étranger, dans la mesure où l'auteur doit être citoyen canadien ou citoyen du pays de destination. Il s'agit d'un fardeau pour les organisations qui veulent envoyer d'autres supports à l'étranger, car elles doivent établir la citoyenneté de l'auteur avant l'envoi. En outre, cette disposition restreint le nombre d'oeuvres qu'il est possible d'envoyer.
Nous recommandons que les restrictions ne s'appliquent qu'aux oeuvres produites au Canada qui pourraient l'être dans le pays de destination et aux oeuvres déjà disponibles dans ce pays. Il faut selon nous se fier à ces deux critères pour déterminer s'il est possible d'envoyer une oeuvre à l'étranger. Ainsi, la tâche serait plus facile pour les organisations qui envoient des oeuvres à l'étranger, et bien plus d'oeuvres pourraient être envoyées.
Concernant notre quatrième recommandation, le paragraphe 32(2) de la loi limite la portée de l'exemption stipulée à l'article 32 en excluant la production des imprimés à gros caractères. Cette restriction nuit aux Canadiens de tous âges qui ont de la difficulté à lire les imprimés, mais surtout les Canadiens âgés. Elle constituera un problème croissant, car la population vieillit et davantage de Canadiens éprouvent des problèmes de vision et ont besoin de lire des gros caractères. Nous recommandons de retirer cette restriction de la Loi sur le droit d'auteur.
Concernant notre cinquième et dernière recommandation, l'alinéa 32(1)a) de la loi limite aussi l'exemption de l'article 32 et empêche l'adaptation d'oeuvres cinématographiques pour les rendre plus accessibles. Nous croyons que cette restriction est une des causes de l'offre extrêmement limitée de films présentés en audiovision.
Je précise que l'audiovision est une narration sonore de l'action qui permet aux personnes aveugles de mieux comprendre le film.
Nous recommandons de retirer cette restriction qui figure dans la Loi sur le droit d'auteur.
En terminant, la disposition 37 du projet de loi contient des restrictions semblables pour la production d'imprimés à gros caractères, l'adaptation d'oeuvres cinématographiques et l'envoi d'autres supports à l'étranger. Nous croyons qu'il faut aussi supprimer la modification du paragraphe 32.01(2), qui exclurait les imprimés à gros caractères et les oeuvres cinématographiques de l'exemption.
Je présume que mon temps est écoulé. Je vais donc en rester là et je pourrai répondre aux questions.
Merci.
Bonsoir.
Je m'appelle Brian Boyle et je suis accompagné de mon collègue André Cornellier. Nous sommes photographes professionnels.
Ce qui est bien avec les photos, c'est que des millions de Canadiens peuvent les regarder. Mais comme dans tous les domaines, il faut du talent, des années de formation, de l'expérience et des investissements financiers pour être professionnel.
Nous sommes coprésidents de la Coalition des photographes canadiens. Je vous remercie de l'invitation à témoigner sur le projet de loi C-11, la loi prévoyant la modernisation de la Loi sur le droit d'auteur. Merci également au gouvernement du Canada d'avoir présenté ce projet de loi; nous lui offrons notre soutien.
Notre coalition représente les intérêts de deux associations professionnelles: les Photographes professionnels du Canada, les PPOC, que je représente, et l'Association canadienne des créateurs professionnels de l'image, la CAPIC, représentée par André Cornellier. Ensemble, nous représentons 15 000 photographes professionnels, dont plus de 95 p. 100 sont des propriétaires de petites entreprises qui gèrent leurs activités et travaillent partout au Canada.
Ces hommes et ces femmes propriétaires de petites entreprises comptent sur les revenus générés par leurs créations pour subvenir aux besoins de leurs familles, engager des gens de leurs collectivités et payer leurs factures. Le projet de loi C-11 élimine à juste titre les paragraphes 13(2) et 10(2), qui constituent une inégalité de longue date reposant sur une vision dépassée et discriminatoire de la photographie.
Le paragraphe 10(2) stipule que le propriétaire de l'original est l'auteur de la photographie. Le paragraphe 13(2) indique que celui qui a passé la commande est le titulaire des droits de l'oeuvre, pas l'auteur. Cette disposition est en contradiction flagrante avec les dispositions concernant toutes les autres oeuvres, comme les enregistrements musicaux et les oeuvres littéraires, dont l'auteur conserve les droits, même si l'oeuvre est commandée par une autre personne.
Dans presque tous les autres pays industrialisés, comme le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, et tout récemment l'Australie, les photographes possèdent les droits sur les photos commandées, pas celui qui a passé la commande. En gros, le projet de loi C-11 met simplement la loi à jour pour refléter les tendances internationales et les réalités économiques.
Il convient de souligner que les trois projets de loi précédents C-32, C-61 et C-60 proposaient aussi de supprimer les paragraphes 13(2) et 10(2).
Avant de commencer, je souhaite remercier le comité de nous recevoir aujourd'hui et le gouvernement d'avoir inclus les photographes dans le projet de loi . Pour nous, c'est un geste très important et nous en sommes reconnaissants.
Je vois aussi que nous sommes dans une salle qui nous convient très bien, puisque devant moi, on peut lire la phrase suivante:
[Traduction]
« The Spirit of the Printed Word », représentée par une image. J'imagine qu'une image vaut mille mots.
[Français]
En plus de faire du créateur d'une photographie le premier titulaire du droit d'auteur, le projet de loi propose d'ajouter l'alinéa 32.2(1)f) à la loi actuelle. Cela donnera des droits de reproduction très larges aux personnes qui passent des commandes destinées à un usage privé et non commercial.
La CPC est favorable à ce que les personnes qui commandent des photographies et leur famille puissent en faire un usage raisonnable à des fins privées, en particulier dans les médias sociaux.
Par contre, la CPC est très inquiète du fait que le projet de loi ne comporte aucune définition de l'expression « non commercial ». Cette omission nuira de manière importante aux photographes professionnels qui gagnent leur vie par ce travail et contribuent à la croissance économique du pays.
L'absence de définition de l'expression « non commercial » ouvre la porte à des reproductions non prévues qui pourraient avoir des conséquences financières négatives importantes pour les photographes. Cette absence de définition ne peut qu'introduire un déséquilibre entre le droit des utilisateurs et le droit des photographes de gagner leur vie. Ce déséquilibre tient essentiellement au fait qu'il permettrait aux utilisateurs de reproduire des photographies qui seraient pour eux non commerciales, ce qui, par contre, aurait des conséquences importantes sur le plan commercial pour le photographe. Le photographe et la personne qui passe la commande pourraient interpréter de manière très différente l'expression « non commercial ».
[Traduction]
Prenons un exemple.
La couverture arrière de votre brochure montre la photo d'un paysage de Port aux Basques, à Terre-Neuve. Selon le projet de loi, celui qui a commandé la photo peut la reproduire à des fins privées et non commerciales. Il peut envoyer une copie à son fils, en accrocher une dans son chalet ou en donner une à sa grand-mère qui a grandi à Port aux Basques, sans faire subir de pertes financières importantes au photographe.
Mais même s'il ne s'agit pas d'une pratique commerciale, une photo reproduite des centaines de fois entraîne d'importantes conséquences pour le photographe. Ses revenus futurs sont menacés, car il ne peut pas vendre des photos semblables qui présentent le même paysage. Tous les clients potentiels auraient déjà une copie gratuite de la photo.
[Français]
En vue de remédier à ce déséquilibre et de préciser le sens de l'expression « non commercial », la CPC soumet un bref amendement technique qui s'inscrit tout à fait dans l'esprit du projet de loi . Le texte de cet amendement technique s'inspire directement du paragraphe 29.21(1) intitulé « Contenu non commercial généré par l'utilisateur » que le projet de loi souhaite ajouter à la loi. Le texte de l'amendement se trouve à la deuxième page du document que vous avez devant vous.
L'amendement proposé par la CPC permettrait de nombreuses utilisations des photographies par les personnes qui les auraient commandées. Il restreindrait uniquement les utilisations susceptibles d'avoir des conséquences financières importantes pour les photographes. Il fixe des critères visant à faire en sorte que les pratiques jugées non commerciales par les personnes qui commandent les photographies n'aient pas de conséquences commerciales importantes pour les photographes.
Parallèlement, cet amendement respecte le désir du gouvernement de garantir un accès équitable aux photographies de commande, conformément au souhait des consommateurs. La CPC ne croit pas que cet amendement aille à l'encontre de l'intention de la loi qu'il vise à modifier. Il est simplement destiné à clarifier la notion de « non commercial ».
[Traduction]
Monsieur Boyle.
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Rapidement, je peux vous donner un autre exemple. Je pense que c'est plus simple comme cela.
Supposons qu'une dame est dans sa cuisine et publie une recette sur son blog. Elle prend une photo du mets en question et l'affiche aussi sur son blog. Cela ne nuira pas à mes affaires. Cela ne tuera pas mon entreprise. Ce ne serait pas un problème.
Mais s'il s'agit du blog d'une entreprise... Évidemment, si l'entreprise a décidé de produire un blog, c'est dans le but de faire de l'argent. À ce moment-là, ce blog devient une utilisation commerciale, à mon sens.
Donc, on peut avoir un blog utilisé à des fins non commerciales, et un autre utilisé à des fins commerciales.
Il y a aussi un autre élément à prendre en compte à propos des blogs. Supposons que cette dame utilise la photo à des fins non commerciales. Elle détient les droits nécessaires et peut le faire. Mais si elle autorise tout le monde à la reproduire — ce que la loi lui permet de faire —, un moment donné, la photo qu'elle a affichée sur son blog aura fait le tour du monde et tous les utilisateurs pourront la reproduire et permettre à d'autres de faire de même. À ce moment-là, impossible pour moi de vendre ma photo, parce qu'elle est déjà offerte partout gratuitement.
Où doit-on fixer la limite? C'est ce que nous tentons d'établir en parlant des préjudices causés à l'entreprise... Si la personne l'utilise une fois ou deux, ou quelques fois, et que le tout se fait respectueusement, il n'y aura pas de dommages. Mais à un moment donné, cela pourrait causer suffisamment préjudice à mon entreprise pour que j'en perde la moitié. Comme pour l'exemple de Napster que j'ai donné tantôt.
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Je ne voudrais pas trop m'attarder sur la question, mais ce qui me frappe, c'est que si nous suivons le modèle de la Suisse, nous créerons une autre catégorie de personnes qui, pour se procurer les appareils et accessoires fonctionnels dont ils ont besoin, devront demander de l'aide au gouvernement, et probablement même aux provinces. Je crains qu'une imposition extrême de ces appareils relativement à la réglementation complique sérieusement la tâche de bien des gens.
Je vais m'arrêter ici au sujet de cette lourde taxe supplémentaire. Au dire d'un autre témoin, il paraît que seuls les grille-pain ne sont pas taxés en Suisse. L'une des premières personnes avec qui j'ai eu le plaisir de travailler chez Rogers Cable, pendant mes études, était un homme malvoyant. Tout ce que cet homme parvenait à accomplir en 1995 avec un ordinateur était véritablement stupéfiant. Il m'avait montré certains des outils dont il se servait à l'époque pour pallier sa déficience au quotidien, et je ne peux qu'imaginer que la technologie d'aujourd'hui est bien plus poussée.
Je me fais simplement du souci parce que chaque occasion sert de prétexte pour taxer davantage les citoyens, alors qu'on devrait plutôt leur simplifier un peu la vie. Je vous remercie de votre témoignage
J'aimerais maintenant m'adresser à MM. Boyle et Cornellier.
Messieurs, vous avez souligné certaines des difficultés que rencontre le gouvernement — comme tout autre gouvernement — à essayer d'adopter de telles mesures législatives. Chaque disposition s'accompagne de 10 autres difficultés ou obstacles.
M. McColeman m'a parlé d'une entreprise de sa circonscription qui embellit des photos en leur apportant des retouches numériques de façon à ce qu'elles ressemblent à des toiles. Qui détient le droit d'auteur? Est-ce celui qui modifie la photo? Ainsi, une seule modification législative soulève toujours bien d'autres questions.
Vous avez souligné certains points épineux, mais tout bien considéré, trouvez-vous que le projet de loi constitue un pas en avant?
Sans vouloir me prononcer sur les amendements que le comité proposera, êtes-vous satisfait du projet de loi, même sous sa forme actuelle?