Passer au contenu
;

CIMM Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

CHAPITRE 3 : MOYENS DE PRÉVENIR LA VIOLENCE ET D’AMÉLIORER LES RECOURS ET LE SOUTIEN OFFERTS AUX CONJOINTES PARRAINÉES QUI SONT VICTIMES DE MAUVAIS TRAITEMENTS

Les témoins ont transmis au Comité de nombreuses recommandations touchant les mesures que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour faire en sorte que les conjointes parrainées vulnérables soient protégées et possèdent les aptitudes nécessaires pour réussir de façon indépendante. Ces recommandations peuvent être groupées dans les grandes catégories suivantes : informer les conjointes parrainées; modifier les exigences du programme de parrainage de conjoints et les modalités de traitement; offrir une voie efficace vers la résidence permanente pour les conjointes maltraitées et s’assurer que les conjointes disposent de services d’établissement et d’autres mesures de soutien dont elles ont besoin. Des témoins ont également attiré l’attention du Comité sur les pratiques exemplaires utilisées à l’étranger pour traiter certaines de ces questions.

A. Informer les conjointes parrainées de leurs droits, de leur statut et de la marche à suivre pour obtenir de l’aide

Les témoins qui ont comparu devant le Comité étaient d’avis que si les conjointes parrainées disposaient de plus d’information, elles risqueraient moins d’être victimes de violence et pourraient plus facilement se soustraire à des relations empreintes de violence. Selon eux, les conjointes parrainées devraient être mieux informées de ce qui suit :

  • modalités du programme de parrainage des conjoints, notamment le statut d’immigration des conjointes parrainées et les motifs de renvoi (s’il y a lieu) indiqués en langage clair;
  • comportements qui constituent de la violence envers les femmes et qui sont illégaux au Canada;
  • autres traitements envers les femmes qui sont illégaux au Canada, dont la mutilation des organes génitaux et la violence fondée sur le principe de « l’honneur »;
  • la législation canadienne dans les domaines suivants : l’égalité des femmes, les droits et libertés, le droit des époux de voir leur enfant, les droits prévus par le droit de la famille, les droits relatifs à la propriété prévus par la common law; et
  • marche à suivre pour entrer en contact avec le service de police et des organismes de services sociaux en cas de maltraitance.

Les témoins ont également indiqué que les conjointes parrainées venues au Canada grâce à un visa de résidence permanente conditionnelle doivent savoir qu’il existe des exceptions à l’exigence de cohabitation et connaître la marche à suivre pour présenter une demande d’exception[84].

Les témoins ont également proposé plusieurs options pour s’assurer que les conjointes parrainées reçoivent l’information susmentionnée. La plupart d’entre eux ont insisté sur le fait que pour être compris, les renseignements devraient être communiqués dans la langue maternelle de la femme parrainée. Certains ont mentionné la nécessité de communiquer ce type de renseignements pendant que la personne parrainée se trouve encore dans son pays d’origine[85] ou après son arrivée au Canada ou les deux, selon d’autres témoins.

Il a été recommandé que CIC distribue une brochure ou une trousse d’information, et exige que la conjointe parrainée et son répondant signent un document attestant avoir reçu et compris les renseignements[86]. D’autres personnes ont proposé des séances d’information en personne; plusieurs témoins pensaient que ces séances d’information devraient être obligatoires pour obtenir la carte de résidence permanente[87]. On a également proposé une évaluation de suivi obligatoire auprès des conjointes parrainées qu’effectuerait tous les six mois CIC ou un organisme désigné[88]. Selon Mme Kamateros, l’information pourrait être communiquée aux femmes analphabètes par des moyens audiovisuels dans le cadre de réunions en personne[89]. Mme Virk a rapporté une suggestion formulée par un groupe d’étude mis sur pied par son organisme, à savoir une ligne téléphonique centralisée, semblable au 911, qui offrirait de l’information sur les lois et les droits au Canada[90]. Des témoins ont indiqué que le mécanisme d’information des immigrants des autres catégories comme celles des aides familiaux ou des travailleurs qualifiés fédéraux est un bon modèle qui pourrait être utilisé pour la transmission de renseignements aux conjointes parrainées[91].

Des témoins estimaient qu’il est tout aussi important pour les répondants d’être bien informés de leurs droits et de leurs responsabilités prévus dans la loi, soit lors d’une séance d’information[92] ou dans un document qu’ils seraient tenus de signer (rédigés dans leur langue maternelle)[93].

Selon deux témoins, il conviendrait d’appliquer aux femmes soit un test ou un système de points d’appréciation de la compréhension des droits susmentionnés et des « valeurs canadiennes[94] ». Un autre témoin a laissé entendre que les nouveaux arrivants devraient signer un document indiquant qu’ils s’engagent à respecter les valeurs canadiennes[95].

Enfin, Debbie Douglas, de l’Ontario Council of Agencies Serving Immigrants, a recommandé de lancer « une campagne nationale de sensibilisation et d’information pour prévenir la violence à l’endroit des femmes, et empêcher les mariages forcés[96] ». Cette campagne serait orientée vers les fournisseurs de services de tous genres, y compris ceux qui travaillent auprès des immigrants et des réfugiés dans les foyers et les maisons d’hébergement, les travailleurs de la santé, les organismes d’application de la loi, les agents d’immigration, ainsi que les travailleurs sociaux et communautaires.

B. Modifier les exigences du programme de parrainage de conjoints et les modalités de traitement des demandes

Durant l’étude réalisée par le Comité, on s’est demandé s’il était possible de faire en sorte que les conjointes parrainées soient moins vulnérables aux mauvais traitements grâce à l’établissement d’exigences minimales concernant l’âge, la maîtrise des langues officielles et la scolarité. Les témoins qui ont abordé la question de l’âge s’accordaient à dire que l’âge minimal pour être parrainé à titre de conjoint, actuellement 16 ans, devrait être porté à 18 ans[97]. Selon eux, un tel changement réduirait la vulnérabilité des conjointes parrainées et dissuaderait les familles à l’étranger de forcer leurs filles à contracter un mariage à un âge précoce[98].

Par contre, les témoins étaient généralement opposés à l’établissement d’exigences minimales à l’égard de la maîtrise d’une langue officielle et/ou des études pour les conjointes parrainées[99]. Des témoins ont avancé des données indiquant que les femmes pouvaient quand même être vulnérables aux mauvais traitements même si elles maîtrisent l’anglais ou le français, si elles sont très scolarisées ou si elles possèdent des compétences. Tout en reconnaissant la nécessité de maîtriser une langue officielle, les témoins étaient d’avis qu’il ne faut pas que ce soit une condition du parrainage; ils préconisent plutôt une formation linguistique[100]. Ils croyaient que l’utilisation de tels critères de sélection entraverait la réunification des familles sans pour autant amoindrir la vulnérabilité des femmes[101]. Des témoins croyaient aussi qu’il n’était pas approprié que le gouvernement adopte des mesures réglementaires pouvant faire obstruction aux choix personnels des Canadiens et des résidents permanents quant à la personne qu’ils veulent épouser[102]. Cependant, Raheel Raza, du Council for Muslims Facing Tomorrow, a exprimé une opinion différente : « J’appuie l’idée selon laquelle les gens qui viennent au Canada doivent avoir une connaissance des langues officielles, parce que c’est le seul moyen dont les victimes potentielles disposent pour connaître leurs droits et, surtout, pour les faire respecter[103] ».

Plusieurs témoins ont recommandé que des modifications soient apportées au traitement des demandes de parrainage de conjoints afin de réduire la vulnérabilité des conjointes parrainées aux mauvais traitements. Faisant observer qu’il arrive parfois qu’un membre de la famille remplisse le formulaire de demande au nom d’un couple, Chantal Desloges, avocate, a recommandé de modifier le formulaire de demande de parrainage pour qu’il soit possible d’y indiquer si l’on a reçu de l’aide pour le remplir, par exemple de la part d’une tierce partie ou d’un interprète[104].

Au dire de témoins, l’examen du répondant par CIC devrait être amélioré par des entrevues menées en personne ou par téléphone. Amel Belhassen, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, a déclaré :

De plus, il ne faut plus se satisfaire de juger le garant selon le dossier qu’il dépose. Il faudrait le rencontrer, le voir, le regarder dans les yeux. C’est lui qui va parrainer la femme. Il ne faut pas se limiter au dossier pour se faire une idée sur le parrain[105].

Julie Taub, avocate, a recommandé des entrevues obligatoires pour les conjointes visées par l’exigence de résidence permanente conditionnelle[106].

Enfin, des témoins ont parlé de la possibilité de modifier le règlement concernant les interdictions de parrainage. Ils ont exposé la situation inquiétante des femmes qui obtiennent le statut de réfugié au Canada pour des motifs de violence conjugale et qui demandent plus tard à parrainer le partenaire violent à des fins de regroupement familial[107]. Mme Desloges a soutenu qu’établir une interdiction de parrainage pour ce genre de situation soulagerait la femme de la « pression exercée par la famille afin qu’elle parraine quelqu’un, probablement contre son gré[108] ».

Mme Mattoo a commenté l’interdiction de parrainage de cinq ans imposée aux personnes qui ont été parrainées, qui s’inscrit dans la réforme du gouvernement visant à contrer les mariages frauduleux. Selon elle, cette interdiction ne devrait pas s’appliquer aux conjointes parrainées qui ont été maltraitées[109].

C. Offrir une voie efficace vers la résidence permanente

Bon nombre des recommandations formulées par les témoins ont porté sur le rôle du système d’immigration qui exacerbe la vulnérabilité des conjointes parrainées et les empêche de fuir une situation de violence. Des solutions ont été proposées pour les conjointes parrainées en situation de résidence permanente conditionnelle et pour celles qui sont parrainées au Canada.

1. Résidence permanente conditionnelle pour certaines conjointes parrainées

Des témoins ont exprimé des préoccupations touchant la mise en œuvre du programme de résidence permanente conditionnelle et ont formulé des recommandations pour l’améliorer. Cependant, beaucoup d’autres témoins s’opposaient à l’application du programme aux conjointes parrainées et en ont recommandé l’abolition. Certes, plusieurs étaient favorables à l’objectif légitime de prévenir le mariage frauduleux, mais ils ont laissé entendre que le préjudice potentiel causé aux femmes dépassait tout avantage pouvant découler de la réalisation de cet objectif. Ces diverses positions seront analysées plus en détail ci-dessous.

Les témoins qui ont abordé la question de la mise en œuvre du programme de résidence permanente conditionnelle se sont dits principalement préoccupés par la possibilité de se prévaloir de l’exception prévue dans le Règlement dans les situations de violence et de négligence. Certaines des difficultés mentionnées étaient de nature pratique. Par exemple, à propos de l’expérience des intervenants de première ligne qui essaient d’aider les femmes à se prévaloir de l’exception, Mme Neufeld a indiqué qu’il faut un numéro de téléphone auquel répond un représentant de CIC, des services d’interprétation au téléphone et d’autres méthodes de présentation d’une demande. Au sujet du numéro de téléphone de CIC, voici ce qu’elle a expliqué :

[…] si vous avez déjà essayé d’appeler un centre d’appels de CIC, comme nous l’avons fait de nombreuses fois, normalement, vous ne pouvez pas parler à une personne et vous restez en attente très longtemps, puis la ligne coupe. Si vous êtes une femme dans une situation de violence conjugale et que vous devez appeler CIC pour expliquer votre situation, vous ne pouvez pas rester au téléphone pendant des heures. Et même si vous parlez à un agent du centre d’appels de CIC, on doit transférer votre appel à une autre section, et un agent doit vous rappeler. C’est un problème, parce qu’il n’y a pas nécessairement un numéro où l’on peut rappeler cette femme à n’importe quel moment. Les femmes doivent pouvoir appeler un numéro où elles peuvent parler à une personne qui peut mettre en branle le processus avec elles[110].

Mme Douglas a également fait part de cette préoccupation[111].

Mme Neufeld a proposé que CIC offre des services d’interprétation au téléphone, ce que font d’autres organismes comme Aide juridique Ontario. À son avis, les conjointes parrainées ne parlent pas toujours suffisamment le français ou l’anglais pour se débrouiller au téléphone. Certains problèmes reliés aux appels téléphoniques pourraient être évités si un tiers comme une organisation non gouvernementale ou un avocat était en mesure de présenter une demande d’exception par voie électronique ou par la poste au nom des conjointes parrainées.

Comme c’est peut-être le cas de toute mesure relativement nouvelle, des témoins ont affirmé que les agents de CIC avaient besoin d’une formation sur le statut de résident permanent conditionnel et les exceptions prévues dans le Règlement[112]. Il semble que les agents ne soient pas toujours au fait de l’information correcte, en dépit du Bulletin opérationnel 480 sur l’exception relative à la violence conjugale. Des femmes ont ainsi reçu des renseignements erronés et contradictoires[113].

Les préoccupations des témoins concernant les éléments à fournir pour prouver qu’il y a eu violence et qu’une exception peut s’appliquer ont été exposées précédemment dans le rapport. De nombreux témoins ont fait valoir la nécessité d’alléger la charge de la preuve. Christine Straehle, professeure, a évoqué le contraste avec le principe de la présomption d’innocence : « [D]ans les cas de violences supposées, l’idée est que la femme parrainée doit prouver son innocence, ce qui revient à dire qu’elle doit prouver qu’elle a été maltraitée pour ne pas être pénalisée d’avoir quitté la relation parrainée, en d’autres mots pour ne pas être expulsée[114]. » Selon elle, « [l]a charge de la preuve qu’il y a eu tentative de contourner la Loi canadienne sur l’immigration doit reposer sur CIC et l’ASFC ».

Concernant le recours à la résidence permanente conditionnelle comme moyen de lutter contre le mariage frauduleux, Mme Marshall a déclaré que « [s]i le Canada imposait un statut conditionnel de deux ans, il rejoindrait alors de nombreux autres pays » et qu’« en luttant contre les mariages frauduleux, on protège mieux les femmes[115] ».

D’autres témoins ont mentionné les outils déjà prévus dans la Loi pour prévenir les mariages frauduleux, notamment l’examen préliminaire des personnes présentant une demande d’immigration et les mesures d’exécution de la Loi (c.-à-d. enquêtes d’admissibilité, renvoi) dans les cas de fraude et de fausses déclarations, et ils ont exprimé des doutes quant à la mise en œuvre du programme de résidence permanente conditionnelle comme étant la meilleure politique à adopter à cet égard[116]. Des témoins ont demandé plus d’éléments de preuve pour éclairer cette décision d’orientation[117] tandis que Mme Hogben a demandé pour sa part une évaluation de la politique concernant le statut de résident permanent conditionnel[118]. Enfin, des témoins soutenaient que le préjudice que peut causer aux femmes la politique de résidence permanente conditionnelle dépasse tous les avantages possibles[119].

Dans une autre perspective, deux autres témoins ont dit craindre qu’une conjointe parrainée puisse présenter de fausses allégations de violence pour se soustraire à l’exigence de cohabitation[120].

2. Conjointes parrainées au Canada

Des témoins ont également indiqué que les conjointes parrainées au Canada victimes de mauvais traitements doivent disposer d’une voie efficace pour obtenir la résidence permanente en cas de rupture de parrainage. Plusieurs ont signalé le caractère inadéquat du mécanisme de protection qui s’applique à ce genre de situation, soit la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Mme Neufeld a indiqué que les motifs d’ordre humanitaire « ne sont pas conçus » pour ce genre de cas, notamment parce que les conjointes parrainées qui subissent des mauvais traitements peuvent avoir du mal à prouver leur établissement au Canada, l’un des critères associés à la demande pour des motifs d’ordre humanitaire[121]. Elle a ajouté que cette difficulté particulière peut être liée aux mauvais traitements : la violence conjugale peut entraîner la dépendance financière, l’isolement et l’incapacité de suivre des cours de langue.

Pour redresser la situation de ce groupe de femmes vulnérables, des témoins ont recommandé une voie directe vers la résidence permanente. De nombreux témoins abondaient dans ce sens sans toutefois avancer de solution en particulier, affirmant simplement, comme l’a fait Mme Kamateros : « Nous croyons qu’il faudrait faire preuve de plus d’indulgence en cas de violence conjugale. On devrait accorder l’exemption à la victime et lui permettre de rester au Canada au lieu de la renvoyer dans son pays d’origine[122]. » D’autres ont recommandé que le gouvernement mette en place des dispositions sur le droit de s’établir que pourraient utiliser les agents de CIC lorsqu’ils découvrent durant le processus de demande qu’une immigrante est victime d’un mariage forcé[123].

D’autres ont recommandé de modifier la voie actuelle de demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, proposant l’accélération de la première étape de la demande pour les immigrantes qui quittent des situations de violence et les mères sans statut juridique[124]. Concernant les femmes maltraitées qui n’ont plus de statut juridique, Lorne Waldman a recommandé de tenir compte des facteurs humanitaires et de compassion avant de prendre toute mesure coercitive et d’envisager de détenir ou d’expulser les intéressées[125]. Enfin, Mme Long a aussi recommandé une solution faisant appel aux mécanismes déjà établis en matière d’immigration; elle a proposé qu’un permis de résidence temporaire soit remis aux femmes qui sont dans cette situation pour leur permettre de rester au pays le temps nécessaire pour répondre aux critères d’admissibilité de programmes établis comme celui de la catégorie de l’expérience canadienne[126]. Richard Kurland, avocat, a proposé d’accorder le statut de résident permanent conditionnel aux victimes de mauvais traitements[127].

D. Services d’établissement et autres mesures de soutien visant à favoriser l’indépendance

De nombreux témoins ont souligné l’importance de la formation linguistique. Malgré la formation linguistique gratuite offerte par des organismes d’établissement, il est fréquent que les conjointes parrainées ne fréquentent pas ces cours. Cela s’explique par le fait qu’elles ne sont pas au courant des services d’établissement mis à leur disposition ou qu’elles ne peuvent pas suivre des cours parce que leur répondant les en empêche (en particulier dans les situations de maltraitance). Pour enrayer l’obstacle de la sensibilisation et de l’accès à l’information, certains témoins ont suggéré de mettre en contact les conjointes parrainées avec des services d’établissement dès l’obtention du visa de résident permanent ou d’adopter un mécanisme d’inscription automatique à des cours de langue[128]. Pour enrayer l’obstacle de l’interdiction par les répondants, des témoins ont recommandé que la formation linguistique soit obligatoire; Siran Nahabedian, du Bouclier d’Athéna Services familiaux, a même suggéré d’en faire une condition pour l’obtention de la résidence permanente[129].

Un certain nombre de témoins ont signalé la nécessité d’aider les femmes parrainées à avoir accès à des services de counseling pour les mauvais traitements dont elles sont victimes. On a également mentionné la possibilité d’offrir des services de counseling dans les organismes d’établissement[130].

L’indépendance financière est un facteur crucial soulevé par plusieurs témoins pour permettre aux conjointes parrainées de fuir une situation de violence et de mener une vie au Canada après la séparation. Dans la même veine, des témoins ont suggéré que soient prévus, dans le cadre des programmes d’établissement destinés aux conjointes parrainées, des services d’orientation visant l’autonomie financière[131]. D’autres ont même suggéré d’intégrer l’indépendance financière au programme de parrainage. Par exemple, le répondant pourrait être tenu de déposer de l’argent dans un compte de banque au nom de sa conjointe[132].

Enfin, des témoins ont formulé des recommandations visant à faciliter l’emploi des conjointes parrainées. Plus précisément, ils ont recommandé que le gouvernement fournisse de meilleurs renseignements sur les compétences et les emplois en demande aux conjointes parrainées avant leur arrivée au Canada; qu’il mette en œuvre une stratégie nationale de garde d’enfants; qu’il renforce la Loi fédérale sur l’équité en matière d’emploi et qu’il continue de collaborer avec les provinces à la reconnaissance des titres de compétence étrangers[133].

E. Recommandations pour prévenir les mariages forcés

Un certain nombre de témoins ont présenté des recommandations pour lutter contre le mariage forcé en particulier. Dans son exposé présenté au Comité, Mme Mattoo a recommandé qu’une protection spéciale soit accordée aux victimes d’un mariage forcé et que ces dernières fassent l’objet d’une évaluation approfondie du risque ainsi qu’une évaluation pour motifs humanitaires. En outre, Mme Mattoo a également recommandé que CIC sensibilise davantage ses agents et ses arbitres aux divers aspects de la maltraitance, en particulier dans les cas de mariage forcé[134].

M. Khan était d’avis que le mariage forcé devrait être une infraction pénale passible d’une peine d’emprisonnement[135]. Deepa Mattoo reconnaissait que d’autres pays ont adopté cette approche, mais elle soutenait que la criminalisation n’est pas une option que le Canada peut se permettre d’envisager pour le moment parce que « la question n’est ni assez connue ni suffisamment comprise[136] ».

Shahin Mehdizadeh, surintendant de la Gendarmerie royale du Canada, a souligné l’importance de la formation offerte aux policiers et aux organismes de soutien de première ligne afin qu’ils puissent repérer et aider les victimes de mariages forcés :

J’espère que la sensibilisation des policiers de première ligne à cette question leur permettra de reconnaître et d’évaluer plus efficacement les risques pour les femmes immigrantes lorsqu’ils répondront à des cas de présumée violence en milieu familial ou de mariage forcé. De façon plus importante, leur compréhension de ces questions leur donnera les outils nécessaires pour activer les systèmes de soutien et assurer la sécurité des victimes[137].

D’autres témoins ont recommandé que le Canada fasse sienne l’approche adoptée par des pays semblables à l’égard du mariage forcé, comme il est indiqué dans la section suivante.

F. Expérience d’autres pays

Comme il est expliqué dans le présent rapport, le système d’immigration du Canada prévoit l’application de diverses mesures dans les situations de violence conjugale et de mauvais traitements. La présente section reprend certaines réflexions des témoins au sujet des politiques et des pratiques qu’ont adoptées des pays semblables au Canada pour traiter les situations de violence; il y est également question de la résidence temporaire/permanente et du mariage forcé.

1. Situations de violence et admissibilité à la résidence temporaire/permanente

Comme il est expliqué précédemment, des témoins ont indiqué que la politique concernant la résidence permanente conditionnelle appliquée au Canada ainsi que dans certains pays semblables risque de rendre les immigrantes encore plus vulnérables à la violence des répondants.

Des témoins ont fait mention d’une autre politique appliquée aux États-Unis pour réduire les risques de violence auxquels sont exposées les conjointes parrainées. Comme l’a fait observer Mme Neufeld, conformément à la loi américaine sur la violence à l’égard des femmes, les « femmes dont le parrainage a été retiré et traité [peuvent] présenter une demande de résidence permanente de façon indépendante, excluant le parrain pour des motifs de violence conjugale[138] ». Mmes Neufeld et Straehle considèrent que la procédure de demande indépendante qui existe aux États-Unis est préférable au processus mis à la disposition des conjointes parrainées au Canada, soit présenter une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire[139]. Mmes Neufeld et Straehle conviennent que, par rapport à la procédure américaine, le processus de demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire comporte de « longues procédures[140] » et de « longs délais de traitement[141] ».

Christine Hyndman, représentante du ministère de l’Entreprise, de l’Innovation et de l’Emploi de la Nouvelle-Zélande, a parlé du processus qui existe en Nouvelle-Zélande pour les femmes immigrantes qui subissent de la violence conjugale : les victimes de violence peuvent demander un visa de travail ou de résidence temporaire, valide pour une période de neuf mois, en vue d’obtenir le statut de résident permanent; les demandes sont traitées en priorité par des agents d’immigration[142]. Comme l’a expliqué Mme Hyndman, « [d]ans le cas des demandes au titre de la catégorie de résident, le demandeur doit avoir eu l’intention de demander la résidence à titre de conjoint d’un Néo-Zélandais, et la relation doit avoir été interrompue à cause de violence conjugale[143] ». Selon Fraser Richards, représentant du gouvernement néo-zélandais, dans le cas où l’intéressée présente une demande de résidence permanente, étayée d’éléments prouvant qu’il y a violence conjugale, « il n’est pas nécessaire d’intenter des poursuites au criminel[144] ». M. Richards a ajouté qu’« à la base, on exige une déclaration solennelle de la part de personnes indépendantes et compétentes[145] ». Mme Hyndman a également souligné la période requise pour obtenir le statut d’immigrant pour les femmes immigrantes victimes de violence conjugale, précisant qu’il faut « normalement moins d’un an » à partir du moment où la personne subit de la violence et quitte son mari jusqu’au moment où elle obtient le statut d’immigrant[146].

Mme Long s’est dite favorable au système accéléré de la Nouvelle-Zélande qui permet aux conjointes victimes de violence d’obtenir le statut de résident permanent : « Si nous trouvons important que les femmes maltraitées et leurs enfants aient les moyens de laisser leur conjoint violent, il est alors essentiel qu’elles puissent se confier à une infirmière, qui va ensuite rédiger un rapport, et il est important que les exigences en matière de preuves ne soient pas trop élevées, car c’est très difficile pour une femme de prouver qu’elle est maltraitée[147]. »

2. Mariages forcés

Concernant la question des mariages forcés, des témoins croient que le Canada pourrait suivre l’exemple du Royaume-Uni[148]. Ils ont notamment évoqué les services offerts aux victimes et les mesures législatives destinées à prévenir les mariages forcés.

Mme Straehle a expliqué que le gouvernement du Royaume-Uni a créé en 2005 la Forced Marriage Unit (FMU), une initiative conjointe du Foreign and Commonwealth Office et du Home Office. Cette unité offre en tout temps un service public d’assistance téléphonique aux victimes d’un mariage forcé qui, de l’avis de plusieurs témoins, devrait également être offert au Canada[149]. Mme Straehle considère que la Force Marriage Unit du Royaume-Uni constitue une pratique exemplaire que le Canada devrait adopter pour les victimes potentielles d’un mariage forcé et de mauvais traitements[150]. Selon elle, cette unité suit trois principes : « [P]remièrement la victime a le droit à être crue, deuxièmement, montrer de l’empathie et donner confiance, troisièmement, placer la victime au cœur du processus[151] ».

De l’avis de plusieurs témoins, le Canada devrait également envisager de faire du mariage forcé une infraction criminelle, emboîtant ainsi le pas au Royaume-Uni[152]. Les témoins n’ont pas fourni de précisions à cet égard, mais d’après l’information reçue du parlement britannique, un projet de loi adopté en 2014 interdit « l’usage de la violence, de menaces ou de toute autre forme de contrainte dans le but d’amener une personne à contracter un mariage sans son libre consentement » et interdit d’amener une personne à quitter le Royaume-Uni pour la marier de force[153].

Mme Hyndman, représentante du gouvernement de la Nouvelle-Zélande, s’est dite inquiète du risque de mariages forcés par rapport à la culture des mariages arrangés dans son pays; elle a cependant indiqué qu’il existe « des mesures de protection pour garantir la nature consensuelle du mariage[154] ». Ella a ajouté que les organismes gouvernementaux « agissent de concert afin de mieux faire connaître ce qu’est le mariage forcé et de sensibiliser davantage la population », en offrant par exemple au personnel de police une formation sur les types de violence communément associés au mariage forcé; par ailleurs, le personnel spécialisé des services policiers fait enquête sur les cas de mariage forcé[155].


[84]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1710 (Lorne Waldman).

[85]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1730 (Alia Hogben); CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1630 (Humaira Madawa, Maison Afghane-Canadienne (MAFCAN)).

[86]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1535 (Kathryn Marshall).

[87]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1655 (Katie Rosenberger).

[88]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1540 (Kamal Dhillon).

[89]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1655 (Melpa Kamateros).

[90]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1655 (Swarandeep Virk).

[91]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1710 (Marie-Josée Duplessis).

[92]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1640 (Heather Neufeld).

[93]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1535 (Kathryn Marshall).

[94]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1640 (Laila Fakhri); CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1700 (Poran Poregbal).

[95]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1655 (Khadija Darid).

[96]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1555 (Debbie Douglas).

[97]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1555 (Debbie Douglas); CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1720 (Saman Ahsan, directrice générale, Fondation fille d’action).

[98]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1600 (Queenie Choo); CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1640 (Chantal Desloges, avocate, Chantal Desloges Professional Corporation, à titre personnel).

[99]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1650 (Claudia Andrea Molina).

[100]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1715 (Marie-Josée Duplessis).

[101]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1540 (Audrey Macklin).

[102]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1640 (Elizabeth Long).

[103]      CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1550 (Raheel Raza, Council for Muslims Facing Tomorrow).

[104]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1640 (Chantal Desloges).

[105]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1535 (Amel Belhassen).

[106]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1700 (Julie Taub, avocate spécialisée en droit de l’immigration et des réfugiés et ancien membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, à titre personnel).

[107]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1735 (Salma Siddiqui, présidente, Coalition of Progressive Canadian Muslim Organizations); CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1645 (Chantal Desloges).

[108]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1645 (Chantal Desloges).

[109]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1640 (Deepa Mattoo).

[110]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1630 (Heather Neufeld).

[111]      Par exemple, CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1600 (Debbie Douglas).

[112]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1635 (Heather Neufeld).

[113]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1600 (Debbie Douglas).

[114]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1550 (Christine Straehle, professeure, Faculté des sciences sociales, Université d’Ottawa).

[115]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1610 (Kathryn Marshall).

[116]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1645, (Lorne Waldman); CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1605 (Audrey Macklin).

[117]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1710 (Shirin Mandani, directrice exécutive, Reh’ma Community Services).

[118]      CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1730 (Alia Hogben).

[119]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1645 (Lorne Waldman).

[120]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1615 (Julie Taub); CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1730 (Salma Siddiqui).

[121]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1640 (Heather Neufeld).

[122]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1715 (Melpa Kamateros).

[123]      Voir, par exemple, CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1640 (Deepa Mattoo); CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1640 (Chantal Desloges).

[124]      CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1540 (Queenie Choo); YWCA Metro Vancouver, YWCA Mothers without Legal Status Project, mémoire.

[125]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1625 (Lorne Waldman).

[126]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1550 (Elizabeth Long).

[127]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1715 (Richard Kurland, analyste de la politique et avocat, à titre personnel).

[128]      Kripa Sekhar, South Asian Women’s Centre, mémoire.

[129]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1725 (Siran Nahabedian, travailleuse sociale auprès des femmes victimes de violence conjugale et de violence familiale, Bouclier d’Athéna Services familiaux).

[130]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1630 (Humaira Madawa).

[131]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo), CIMM, Témoignages, 2 avril 2014, 1720 (Kripa Sekhar).

[132]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1630 (Katie Rosenberger).

[133]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1640 (Shirin Mandani); CIMM, Témoignages, 25 mars 2014, 1555 (Debbie Douglas); CIMM, Témoignages, 1er avril l 2014, 1545 (Avvy Yao-Yao Go).

[134]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1635 (Deepa Mattoo). Un certain nombre de ces recommandations figuraient également dans le mémoire présenté au Comité par Kripa Sekhar.

[135]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1535 (Mohammad Khan).

[136]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1705 (Deepa Mattoo).

[137]      CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1540 (Surintendant Shahin Mehdizadeh, Manitoba, Division "D", Gendarmerie royale du Canada, à titre personnel).

[138]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1705 (Heather Neufeld).

[139]      Ibid., CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1550 (Christine Straehle).

[140]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1550 (Christine Straehle).

[141]      CIMM, Témoignages, 5 mars 2014, 1705 (Heather Neufeld).

[142]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1540 (Christine Hyndman, gestionnaire, Politique en matière d’immigration, ministère de l’Entreprise, de l’Innovation et de l’Emploi de la Nouvelle-Zélande).

[143]      Ibid.

[144]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1555 (Fraser Richards, avocat principal, Entreprises et registres, ministère de l’Entreprise, de l’Innovation et de l’Emploi de la Nouvelle-Zélande).

[145]      Ibid.

[146]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1605 (Christine Hyndman).

[147]      CIMM, Témoignages, 9 avril 2014, 1605 (Elizabeth Long).

[148]      CIMM, Témoignages, 4 mars 2014, 1615 (surintendant Jean Cormier, directeur, Centres de coordination de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada); CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1545 (surintendant Shahin Mehdizadeh).

[149]      CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1540 (Raheel Raza); CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1535 (Mohammad Khan).

[150]      CIMM, Témoignages, 1er avril 2014, 1545 (Christine Straehle).

[151]      Ibid.

[152]      CIMM, Témoignages, 26 mai 2014, 1540 (Raheel Raza).

[153]      Anti-social Behaviour, Crime and Policing Act 2014, 2014, ch. 12, art. 121 [traduction].

[154]      CIMM, Témoignages, 8 avril 2014, 1545 (Christine Hyndman). En particulier, Mme Hyndman a indiqué qu’en Nouvelle-Zélande, « [i]l est interdit au célébrant ou à l’officier de l’état civil de marier en toute connaissance de cause quelqu’un de moins de 16 ans et de moins de 18 ans sans le consentement des parents ».

[155]      Ibid.