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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 24 novembre 1997

• 1521

[Traduction]

Le président (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): La séance est ouverte.

Mesdames et messieurs, notre sous-comité se réunit pour la huitième fois pour étudier l'AMI.

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur la négociation du traité, et sur les grandes questions politiques et juridiques au palier international.

Nous avons demandé aujourd'hui à plusieurs spécialistes de venir nous expliquer la question. Il s'agit d'Elizabeth Smythe, professeure de sciences politiques à l'Université Concordia; de Robert Howse, professeur à l'Université de Toronto; d'Alan Sullivan, président-directeur général de l'Institut canadien des affaires internationales; de Serge Fréchette, associé du cabinet Thomas and Davis; et de Michelle Swenarchuk, directrice générale de l'Association canadienne du droit de l'environnement.

Bienvenue à tous.

Nous demandons toujours à nos experts de nous faire un exposé d'une dizaine de minutes. Nous allons les laisser nous parler les uns après les autres, à la suite de quoi les membres du comité interviendront pour poser des questions; même si la question s'adresse à un des autres experts, sentez-vous bien libres d'intervenir si vous le voulez. Nous avons constaté que cela nous a aidés à bien saisir les enjeux et à les faire comprendre à la population.

Commençons par Elizabeth Smythe, de l'Université Concordia.

Mme Elizabeth Smythe (professeure, Faculté des sciences politiques, Université Concordia, Collège de l'Alberta): Merci beaucoup. Merci aux membres du comité de m'avoir invitée à comparaître.

Aujourd'hui, je ne veux pas vous parler des conséquences que pourrait avoir l'AMI sur la politique canadienne en matière de protection de la culture et de l'environnement, par exemple, car je m'attarderai plutôt à l'origine des négociations, au processus des négociations lui-même, ainsi qu'aux difficultés et aux défis qui se pointent à l'horizon. Je vais tenter d'expliquer quels sont les intérêts de certaines des parties prenantes, puis conclure sur le rôle que les Canadiens pourraient jouer tout au long de la démarche.

Commençons par un peu d'historique. J'ai d'ailleurs fait distribuer un document auquel je me reporterai brièvement.

Dans ce document, j'explique que les capitaux se déplacent beaucoup plus librement depuis l'après-guerre, qu'au début de cette période d'après-guerre ce mouvement était facilité d'autant plus par la libéralisation du mouvement des biens à l'échelle internationale, et que cette évolution était poussée pour sa part par des mesures politiques compensatoires à l'échelle nationale de la part des États cherchant à rendre cet ajustement plus aisé et voulant aider ceux qui étaient directement touchés par cette évolution de l'économie internationale. Les chercheurs en relations internationales ont appelé ce phénomène le libéralisme enchâssé.

Je fais ensuite remarquer que vers la fin de la période de l'après-guerre nous assistons à une très forte hausse de la taille et des mouvements des investissements directs étrangers; cette nouvelle mondialisation de l'économie internationale s'accompagne en parallèle d'un repli de la part des États au palier national.

Pour le Canada, cela signifiait un changement d'orientation: d'importateur de capitaux il devenait exportateur de capitaux. Les entreprises canadiennes ont désormais un nombre croissant d'actifs investis à l'étranger, dont une grande partie se trouve aux États-Unis, mais dont un nombre accru se trouve en Amérique latine et en Asie.

• 1525

J'explique ensuite comment cette intégration accrue dans l'économie mondiale soulève de nouveaux enjeux à l'échelle internationale, notamment l'investissement.

Les investissements, de même que d'autres enjeux, tels que les normes de travail et la réglementation environnementale font partie de ce que Sylvia Ostry et d'autres ont appelé une intégration plus poussée à l'économie mondiale; cette notion sous-entend qu'il y aura des négociations, non pas autour des obstacles transparents au mouvement des biens et des capitaux, mais plutôt autour des différents systèmes économiques nationaux, car on cherchera à déterminer dans quelle mesure ils constituent des obstacles au libre mouvement des capitaux à l'échelle internationale. Voilà le type de frictions systémiques qui s'inscrivent dans le cadre des négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement.

L'Accord multilatéral sur l'investissement doit le jour à la frustration ressentie lorsque l'on a cherché à créer à l'OCDE un instrument international exécutoire en vue du traitement national. En 1991, les États-Unis et le principal défenseur de cet instrument exécutoire de traitement national, le Comité consultatif économique et industriel de l'OCDE, ont abandonné la démarche, arguant que seul un traité international exécutoire sur l'investissement créerait le type de règles dont le capital international a besoin pour investir en toute sécurité partout dans le monde.

Le projet fut également moussé par les États-Unis, qui étaient frustrés par leur incapacité d'effectuer une percée à l'Organisation mondiale du commerce en matière de réglementation des mesures d'investissement reliées au commerce.

L'Uruguay Round produisit un code extrêmement limité dont l'existence est due, selon les États-Unis, à l'opposition extrêmement musclée d'un certain nombre de pays en voie de développement. Les États-Unis décidèrent donc qu'il valait mieux parrainer un accord multilatéral sur l'investissement auprès de l'OCDE, tribune qui regroupe des pays de même esprit qui pourraient créer un accord «d'avant-garde».

Le Canada n'était pas parmi ceux qui prônaient que l'on utilise l'OCDE comme tribune en vue de cet accord multilatéral. En fait, le Canada comme les États-Unis prônaient tous deux l'OMC comme tribune plus appropriée pour élaborer un accord à long terme, étant donné que l'OMC compte beaucoup plus de membres et a une longue expérience du règlement des différends.

Le Canada optait toutefois pour la politique à deux voies, négociant à l'OCDE tout en continuant à exhorter l'Organisation mondiale du commerce à inclure les investissements à son programme commercial, sous réserve d'une tentative très limitée d'étudier les liens entre le commerce et l'investissement, à la suite de la réunion ministérielle de Singapour. Il en résulte que l'OCDE lançait en 1995 ces négociations, avec l'accord du Canada, de l'Union européenne et de plusieurs de ses autres membres.

Le premier rapport lançant les négociations en vue de l'AMI fut entouré de toute une rhétorique qui traduisait bien le programme de libéralisation des investissements parrainé par les États-Unis et par le Comité consultatif économique et industriel. L'objectif en était de définir de façon libre l'investisseur, de créer un mécanisme de règlement des différends qui ferait participer les États investisseurs, et de créer un code musclé sur le traitement national conçu pour rendre les investissements plus sécuritaires et pour limiter la discrétion des gouvernements dans la réglementation de ces investissements. Il s'agissait avant tout de faire avancer inexorablement les politiques des États vers une libéralisation accrue.

Vous connaissez, je sais, les notions de statu quo et de démantèlement. L'objectif était donc le statu quo accompagné d'une longue démarche visant à obtenir le démantèlement complet de plusieurs secteurs.

On a mentionné brièvement la question des normes de travail et des normes environnementales; en fait, elles ont été minimisées considérablement. D'entrée de jeu, le Comité consultatif économique et industriel s'opposait à tout engagement à l'égard des normes environnementales et des normes de travail. Il s'opposait également farouchement à toute annexion de lignes directrices volontaires qui s'appliqueraient aux multinationales.

L'intérêt que ressentait le Canada à l'égard de l'AMI découlait de son expérience de l'ALENA et de l'évolution de l'opinion politique canadienne eu égard à la capacité du Canada et à l'opportunité pour celui-ci de tenter de réglementer l'investissement direct étranger. Dès le milieu des années 80, le Canada s'était rendu compte qu'il n'était plus en mesure de réglementer efficacement de grands segments de l'investissement direct étranger, et qu'il ne pouvait plus se permettre de le faire; c'était en grande partie parce qu'il perdait pied dans la lutte menée contre d'autres pays pour obtenir de nouveaux investissements. Voilà pourquoi le Canada a abandonné une grande partie de sa politique de réglementation des investissements, à l'exception de certains secteurs particuliers, notamment la culture.

• 1530

Par ailleurs, l'Accord multilatéral sur l'investissement permettait au Canada de rendre plus sécuritaires les investissements canadiens à l'étranger et lui permettait de limiter l'effet indésirable de certaines politiques américaines unilatérales qui menaçaient les investissements canadiens, telles que la Loi Helms-Burton.

La déclaration de 1976 sur les entreprises multinationales avait permis au Canada de se faire la main dans les négociations avec l'OCDE sur les investissements. À cette époque, toutefois, le Canada avait hésité devant le principe du traitement national, et il hésite encore aujourd'hui. Il se retrouvait entre l'arbre et l'écorce, puisqu'il devait choisir entre négocier la signature d'un accord qui incluait un engagement non exécutoire à l'égard du traitement national et être isolé, voire exclu, des travaux du Comité de l'OCDE sur l'investissement international et les entreprises multinationales. Le Canada a décidé à l'époque de signer le tout tout en déposant une réserve, réserve qui fit l'objet d'une certaine contestation, notamment par les États-Unis.

Si je vous le mentionne, c'est parce que cela illustre la tendance qu'ont les États-Unis d'utiliser l'OCDE pour créer ce qu'ils appellent des accords modèles, qui peuvent ensuite servir à renforcer les valeurs de la libéralisation bien au-delà des pays membres de l'OCDE. En 1975, la cible des États-Unis avait été les Nations Unies, et les Américains avaient cherché à faire dérailler les négociations onusiennes portant sur un code s'appliquant aux sociétés transnationales.

On voit encore une fois certains pays se servir de l'OCDE pour faire mousser un programme plus vaste de libéralisation. Dans le cas qui nous occupe, il s'agissait de créer un accord modèle à l'OCDE, le «nec plus ultra», puis de négocier avec des pays non membres de l'OCDE sur une base individuelle, en tentant de les convaincre qu'il serait dans leur intérêt d'adhérer à l'accord, faute de quoi ils perdraient de nombreux investissements.

L'OCDE représente également les intérêts des travailleurs par le truchement de la Commission syndicale consultative. Je crois que Bob White, qui dirige la CSC, a déjà comparu. Ce qui inquiète les syndicats dans la libéralisation des investissements directs étrangers, c'est que la concurrence entre les pays qui recherchent des investissements pourrait amener ces derniers à laisser s'éroder les normes en matière de travail et d'environnement. La CSC a également voulu faire annexer à l'accord les lignes directrices sur le comportement des sociétés et des multinationales qui avaient été négociées en 1975.

Par ailleurs, le monde des affaires a fait savoir que ces obligations, si elles devenaient exécutoires dans le domaine du travail et de l'environnement, ou encore les obligations régissant le comportement des sociétés, décourageraient en fait les investissements directs étrangers vers un pays signataire et saboteraient également la possibilité pour les pays non membres de l'OCDE d'accéder un jour à l'accord.

D'autres parties prenantes ont également des intérêts en jeu depuis le début, notamment le secrétariat de l'OCDE. Comme je le signale dans mon mémoire, c'est le secrétariat lui-même qui a parrainé avec beaucoup de zèle ces négociations, en grand partie en vue d'accroître la crédibilité de la division de l'OCDE chargée des questions d'investissement et afin de redorer le blason de l'OCDE, qui avait prêté le flanc à des critiques au cours de la période de l'après-guerre froide et au cours de la période de repli, particulièrement de la part des États-Unis, qui avaient arbitrairement réduit leur contribution au budget de l'OCDE d'une façon significative.

Par conséquent, la conclusion d'un accord d'investissement international exécutoire signalerait que l'OCDE est une tribune de négociation efficace et consoliderait sa position sur l'investissement, sur laquelle empiète évidemment l'OMC.

Toutefois, les négociations à l'OCDE ne se sont pas faites aussi aisément que la plupart des groupes de négociateurs l'auraient pensé au début. Le problème est dû en partie au fait que l'on n'a pas développé de méthode claire et logique permettant de déterminer qu'un enjeu fait l'objet d'un consensus ou qu'il fait l'objet de divergences d'opinions majeures entre les pays membres.

Ce flou a donc donné lieu à une ébauche d'accord, que vous connaissez tous, qui est truffé de notes en bas de pages, de précisions et d'un libellé qui va de très précis à très vague. Tous les enjeux politiques difficiles ont été laissés pour la fin. Comme le disait le président, rien n'est convenu tant que tous ne se sont pas entendus sur tout.

• 1535

Voilà pourquoi, lorsqu'il a fait l'objet d'une fuite l'hiver dernier, l'ébauche d'accord donnait l'impression d'être traité généralisateur, libéralisant largement les politiques d'investissement d'une façon plutôt déséquilibrée, qui profitait particulièrement au capital multinational et qui était un fait accompli. Cette ébauche a donc donné lieu à des réactions négatives, et étant donné la lenteur des négociations, les opposants à l'accord ont eu le temps de se mobiliser.

Or, l'OCDE et certains de ses membres ont été très lents à se réveiller, et en fait incapables de réagir à cette mobilisation. On a dit de l'OCDE qu'elle cherchait à dissimuler. Dès le début, les déclarations ministérielles et nombre des discours louant l'accord étaient diffusés sur Internet. Pourtant, il était impossible de mettre la main sur l'ébauche de l'accord, et l'OCDE n'avait pas mis au point de méthode cohérente pour réagir aux organisations non gouvernementales.

Nombre des difficultés entourant l'AMI sont encore à résoudre, notamment—vous le savez bien—la Loi Helms-Burton, qui a fait l'objet de graves désaccords entre les États-Unis, d'une part, et l'Union européenne et le Canada, d'autre part. Du point de vue des États-Unis, il est difficile de voir comment cette disposition pourrait être abandonnée, étant donné ce qui se passe actuellement au Congrès. Par ailleurs, du point de vue de l'Union européenne, il est tout aussi difficile de voir comment cette dernière pourrait permettre à de telles mesures d'être imbriquées dans un accord d'investissement international.

Les fanfaronnades de la déclaration ministérielle du début se teintent de plus en plus de réalisme. Beaucoup de membres du secrétariat, tout comme nombre des négociateurs, reconnaissent maintenant que l'accord n'obligera pas nécessairement à faire un démantèlement de fond en comble, mais que ce démantèlement sera plutôt limité à certains secteurs et que pour le reste on aura le statu quo.

On a également bougé sur le front du travail et de l'environnement, particulièrement à cause des efforts déployés par les organisations non gouvernementales et du fait que certains gouvernements ont changé, comme au Royaume-Uni, où on se prononce maintenant en faveur d'un libellé beaucoup plus musclé dans l'accord. Pour le Canada, l'enjeu décisif sera évidemment l'enjeu culturel, qui constitue un préalable à toute acceptation de l'entente. Toutefois, il est difficile de voir comment les États-Unis pourraient accepter une exemption générale comme celle que propose la France, étant donné la difficulté qu'ils ont eue à convaincre l'industrie du spectacle américain à accepter l'exemption de l'ALENA.

Mais en même temps les membres de l'Union européenne ne sont pas tous follement enthousiastes de l'exemption générale que propose la France; certains y sont même opposés. Par conséquent, le Canada pourrait peut-être demander une exemption individuelle sur les questions culturelles, mais nous serions bien incapables de prédire quels pourraient être les résultats d'une telle demande.

J'affirmerai, pour ma part, que si le gouvernement canadien veut vraiment poursuivre son projet de règles d'investissement internationales, l'accord à la tribune de l'OCDE n'est peut-être pas la seule option pour lui. Si le Canada souhaite avancer à un rythme plus lent, l'OMC reste une option, puisqu'elle est une tribune à laquelle se font entendre une gamme plus vaste d'intérêts. Outre l'embarras que causerait à l'OCDE le fait que ses pays membres ne sont pas tous sur la même longueur d'ondes, une bonne partie du travail qui aurait été accomplie ne serait pas perdue, peu s'en faut. En fait, je ne vois aucun désavantage à ce que le Canada se retire d'un accord qui lui serait inacceptable s'il ne peut pas trouver de compromis ou si les autres négociateurs ne réussissent pas à s'entendre.

Pour clore, je ferai remarquer que les audiences de votre comité démontrent en soi que le gouvernement canadien veut savoir ce que pensent les Canadiens de l'accord. Toutefois, cette bonne volonté de la part du gouvernement ne s'est produite qu'après que les journaux ont publié une pleine page de publicité attaquant l'accord, après qu'il s'est fait poser des questions à la Chambre des communes et après que l'on a interrogé les ministres. Aucun effort n'a été déployé pour informer les Canadiens, même si les négociations entourant l'accord remontent à septembre 1995.

Je tiens à souligner que, d'après ma propre expérience, les négociateurs canadiens ont été extrêmement efficaces, coopératifs et francs. Ce qui m'inquiète plutôt, c'est la politique et la pratique générales des gouvernements canadiens et des systèmes parlementaires. Ces pratiques devraient être revues de façon à ce que l'on puisse aller chercher beaucoup plus facilement l'avis des Canadiens sur ce type d'accord qui touche de grands secteurs qui jusqu'à maintenant étaient largement considérés comme canadiens.

Il ne suffit pas de rappeler aux Canadiens qu'ils peuvent changer de gouvernement tous les quatre ans, au moment des élections, si le type de compromis et de choix portant sur d'importantes règles d'investissement internationales qui toucheront directement leur économie ne sont jamais expliquées avant ou pendant une campagne électorale. Et qui plus est, un tel argument est encore plus douteux lorsque les élus, juste après la campagne électorale, semblent être tout à fait ignorants des négociations en cours.

• 1540

Des consultations publiques de ce genre devraient avoir lieu en plus grand nombre et avant que les négociations ne débutent, et il faudrait établir un organe consultatif beaucoup plus représentatif pour donner son avis sur ces négociations. Si l'on veut que les citoyens considèrent comme légitimes les règles mondiales d'investissement, eux à qui l'on demande souvent d'en assumer les coûts en raison même de cette mondialisation, ils doivent sentir qu'ils ont un rôle à jouer dans le façonnement de ces règles et doivent être convaincus que les règles elles-mêmes tiennent compte des intérêts à la fois des capitaux mobiles et des citoyens immobilisés dans leurs milieux.

Merci.

Le président: Nous allons maintenant entendre le professeur Robert Howse, de l'Université de Toronto.

M. Robert Howse (professeur, Faculté de droit, Université de Toronto): Merci beaucoup.

J'aimerais d'abord m'excuser, car je dois partir à 17 heures pour retourner à une réunion à Toronto que je n'ai pas pu remettre.

Je suis professeur de droit à l'Université de Toronto et chercheur adjoint à l'Institut C.D. Howe et coauteur avec mon collègue, Michael Trebilcock, d'un traité intitulé The Regulation of International Trade, que diverses universités, un peu partout dans le monde, y compris Carleton, Queen's, Harvard, l'Université de New York, l'Université de la Virginie et la London School of Economics, utilisent comme manuel scolaire en tout ou en partie.

Aujourd'hui, j'aimerais me pencher sur quelques-unes des questions concernant le libellé de l'ébauche de l'Accord multilatéral sur l'investissement qui ont fait l'objet de controverse ces dernières semaines ou ces derniers mois.

Je dois tout d'abord vous dire qu'en général je préconise fortement la libéralisation des mouvements des investissements. J'estime également que nombre des restrictions que le Canada a imposées à l'investissement étranger dans des secteurs comme les télécommunications, la télédiffusion et les services financiers ne se justifient pas et limitent indûment la compétition dont pourraient profiter les consommateurs canadiens. C'est donc essentiellement le point de vue que j'adopte dans l'examen du texte de cet accord.

J'ai reçu—et je lui en suis reconnaissant—du greffier du comité copie du mémoire juridique que M. Barry Appleton aurait, semble-t-il, déposé ici au sous-comité. J'aimerais revenir sur plusieurs points qui s'y trouvent.

D'abord, il y a le libellé de certaines réserves ou ébauches de réserves du Canada, particulièrement les réserves sur le rôle que jouent les gouvernements dans la prestation des services sociaux. M. Appleton précise que l'on pourrait interpréter ce libellé de façon à conclure que les politiques provinciales ne font pas l'objet d'une réserve, ce qui est certainement quelque chose qu'il faudrait porter à l'attention des négociateurs canadiens.

D'après ma lecture du texte qu'il cite, il est possible peut-être de conclure qu'il s'agit et du gouvernement fédéral et des provinces, mais il vaut certainement la peine de le préciser, car comme il le laisse entendre, nombre sinon la plupart de ces politiques sont du ressort provincial. Donc, à moins—et c'est fort peu probable—que l'on ait rédigé la réserve dans le but d'accorder au gouvernement fédéral un plus grand rôle en matière de politique sociale, il faudrait que le texte précise clairement que la réserve vise les provinces tout autant que le gouvernement fédéral.

Dans la mesure où les obligations comme telles de l'AMI visent certains gouvernements nationaux au sein d'États fédéraux, lorsque j'ai relu l'accord après avoir lu l'opinion de M. Appleton, j'ai été surpris de constater qu'il n'y avait aucune mention de la situation des États fédéraux. C'est quand même assez extraordinaire lorsque l'on songe au nombre de pays membres de l'OCDE qui sont en fait des fédérations. Il faudra certainement trancher cette question du fédéralisme.

• 1545

Dans un deuxième temps, il y a le débat qui entoure les dispositions sur le travail ou d'éventuelles dispositions sur les normes de travail dans l'AMI. Il est très important, à mon avis, que l'accord reflète l'engagement des pays de l'OCDE, y compris le Canada, de maintenir certains droits du travail qui sont des droits essentiels de la personne. J'estime également qu'un tel engagement est tout à fait conforme à l'idée de libéraliser le mouvement des investissements. Ces deux engagements sont distincts: l'un vise l'efficacité et la croissance qui proviennent du libre mouvement des capitaux, et l'autre vise les droits de la personne, qui se traduisent par des normes de travail de base.

Certains se demandent si, à la lumière de la doctrine voulant que le gouvernement fédéral ne peut mettre en oeuvre de traités dans des domaines de compétence provinciale, le Canada peut adhérer à des dispositions relatives aux droits du travail. À mon avis, ce n'est pas un problème. Dans la mesure où le gouvernement fédéral n'a pas recours à une loi pour forcer une province à modifier son droit du travail, nous pouvons signer l'accord en bonne conscience. J'ai l'impression que le genre de pratiques du travail interdites ou décrites comme défendues dans un accord conclu entre les pays de l'OCDE ne constituent pas le genre de pratiques qu'une province canadienne endosserait vigoureusement. Je pense aussi que l'on pourrait étoffer des dispositions sur le travail en incluant dans l'accord une liste d'exclusions dans laquelle les pays conviendraient que certaines pratiques portent atteinte aux droits de la personne et conviendraient de respecter les normes internationales, y compris celles énoncées dans les conventions de l'Organisation internationale du travail au sujet de ces pratiques.

Toutefois, là encore, comme dans le cas de l'ALENA, dans la mesure où le gouvernement fédéral ne tente pas de légiférer dans des domaines de compétence provinciale, la signature d'un accord qui prévoit le respect par le Canada de certaines normes de travail n'entraîne aucun problème constitutionnel d'ordre juridique. Si le gouvernement fédéral essaie de s'assurer que les provinces se conforment à l'accord par des mesures législatives, il fera peut-être face alors à des difficultés constitutionnelles.

Par contre, le genre de pratiques extrêmes que limiterait un accord international de ce genre ressemblent probablement au genre de pratiques que le gouvernement fédéral interdirait dans le cadre de ses pouvoirs en matière de droit pénal. Même si l'on faisait face à une situation extrême où le gouvernement fédéral devrait légiférer afin de se conformer à ses obligations en matière de droits de la personne, il n'y aurait probablement aucun obstacle constitutionnel.

Je dirais toutefois que les provinces agiraient probablement. Je ne pense pas qu'il y ait de province au Canada qui souhaite sembler accepter ou permettre des pratiques dans le domaine du travail qui ont été condamnées par les principaux pays industrialisés.

J'en viens ainsi à la question des politiques environnementales et connexes et à celle de savoir si les politiques gouvernementales légitimes dans ces domaines, l'environnement, la protection du consommateur, etc., sont prévues de façon adéquate dans l'accord, ses exceptions et ses réserves. Probablement pas, à mon avis. Dans l'AMI, brillent par leur absence les dispositions de ce genre que l'on trouve par exemple dans les accords du GATT et les accords pertinents de l'OMC qui permettent à un pays de prendre des mesures qui vont à l'encontre de l'accord si celles-ci sont nécessaires pour la protection de l'environnement ou celle de la santé et de la vie humaine ou animale.

Il s'agit de dispositions d'exemption tout à fait fondamentales qui existent dans les principaux accords commerciaux internationaux, y compris le GATT et les accords régionaux tels que l'ALENA, depuis un certain temps. Je ne vois aucune raison de ne pas inclure une telle disposition dans ce présent accord. En fait, je pense qu'il est important de le faire afin d'éviter que des politiques gouvernementales légitimes qui ne sont pas adoptées dans le but de limiter le commerce ne soient assujetties aux pressions qu'exerceraient des intérêts économiques ou politiques étrangers.

• 1550

Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur les dispositions de l'AMI qui, dans un premier temps, reprennent de façon semblable les dispositions de l'ALENA, mais qui, je pense, poseront un éventuel problème précis et important dans le domaine de la politique gouvernementale canadienne. Je veux parler des dispositions sur les expropriations, qui essentiellement interdisent l'expropriation de l'investissement d'un investisseur, tel que défini dans l'accord, sans indemnisation et sans le respect de certaines autres conditions.

À première vue, cela peut sembler entièrement raisonnable si l'on définit l'expropriation comme signifiant que l'on prend les actions de quelqu'un ou les actifs d'une entreprise pour les remettre en des mains gouvernementales ou pour fermer la porte d'une entreprise et créer un monopole, ou quelque chose de ce genre.

Toutefois, en fait, de nombreux intérêts américains—et il s'agit des précédents qui entourent les takings, aux États-Unis, qui font partie de la jurisprudence constitutionnelle américaine—incluent dans la définition d'expropriation les changements de réglementation. Ceux-ci peuvent avoir une incidence sur la valeur d'une entreprise. Si nous décidons d'interdire un produit quelconque parce qu'il est dangereux pour la santé humaine ou l'environnement, en nous fondant, disons, sur des preuves scientifiques, et si ce produit est fabriqué dans une usine américaine au Canada, les Américains pourraient se plaindre qu'il s'agit là d'une expropriation et qu'ils ont droit à une indemnisation. Ce genre de chose arrive. Ce genre de menace existe.

Sur un plan, il est tout à fait raisonnable de prévoir dans l'accord une indemnisation lorsqu'on saisit, littéralement, les avoirs d'une entreprise. Ne pas le faire reviendrait à du vol. Je pense qu'il nous faut également insister pour que l'on apporte des précisions dans l'accord afin de ne pas y inclure ce que les Américains qualifient de regulatory takings (mainmise par réglementation) ni les modifications de politiques ou de règlements gouvernementaux généraux qui peuvent avoir une incidence sur la valeur d'une entreprise, parce que toutes sortes de changements influent sur la valeur d'une entreprise en particulier. Il serait tout à fait inefficace que les gouvernements indemnisent des entreprises privées pour les risques qui sont la norme dans les affaires. Or, les modifications de politiques gouvernementales représentent des risques normaux du marché. On le constate d'ailleurs en regardant toutes les grandes sociétés qui paient cher pour qu'on leur analyse les politiques gouvernementales, qui retiennent des lobbyistes, etc.

Bref, il suffit de nous assurer que ces dispositions sur les expropriations et l'indemnisation n'ouvrent pas la porte à des demandes d'indemnité lors de modifications aux politiques gouvernementales générales dans des domaines comme l'environnement ou la santé et la sécurité ou la protection du consommateur.

Une dernière chose. Évidemment cet accord va également réglementer nos relations commerciales avec les États-Unis, et à ce sujet il ne faut pas oublier ce que j'ai déjà dit. En outre, comme traité ultérieur, aux termes des règles de la Convention de Vienne sur l'interprétation des traités, s'il y a incompatibilité entre cet accord et l'ALENA, c'est lui qui aura sans doute la primauté, selon le droit international. Il faut donc se rappeler que de facto, d'une certaine façon, par cet exercice, nous modifions l'ALENA.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Howse.

Maintenant, nous entendrons M. Sullivan, de l'ICAI. Je vous souhaite la bienvenue.

M. Alan Sullivan (président-directeur général, Institut canadien des affaires internationales): Merci, monsieur le président.

L'Institut canadien des affaires internationales a été fondé en 1928 afin d'offrir aux Canadiens une tribune nationale qui leur permette d'apprendre et de mieux comprendre les questions internationales et de partager leurs opinions comme Canadiens. Notre institut ne préconise pas de position sur les politiques internationales ou nationales. Aux termes donc de notre règlement, il ne convient pas que, comme président, j'exprime des opinions favorables ou défavorables à l'égard d'un article ou d'une disposition à l'étude dans le cadre de l'AMI.

• 1555

Cela dit, j'ai accepté l'invitation du comité à comparaître parce que je pense pouvoir légitimement ajouter quelque chose au débat et aider à situer la négociation dans son contexte plus vaste de la diplomatie canadienne.

Permettez-moi de noter d'abord que la participation à des activités internationales sur une base multilatérale, qui aboutit à court ou à long terme à un consensus international général constitue une pratique fondamentale du Canada depuis la Seconde Guerre mondiale. Que vous y voyiez là notre rôle d'intervenant ou l'application d'une politique d'engagement, c'est le reflet de l'approche que nous avons adoptée, de façon quasi générale, dans nos activités internationales. Le multilatéralisme était et demeure l'option privilégiée pour traiter des questions internationales.

De plus, pour un pays comme le Canada, qui a des intérêts à l'échelle mondiale, mais qui n'a pas le statut de superpuissance, c'est probablement la façon la plus efficace pour nous de promouvoir nos intérêts, et de nous assurer que nous les faisons connaître et que l'on en tient compte. D'abord, règle générale, nous ne sommes pas seuls, et ainsi nos alliés sur une question peuvent ajouter aux pressions que nous pouvons exercer sur les plus forts, qui autrement pourraient tout simplement imposer leur poids et leur position dans le cadre de négociations bilatérales.

Je ne veux pas dire que nous avons été ou que nous sommes incapables d'obtenir des résultats acceptables sur une base bilatérale. J'entends, évidemment, acceptables au gouvernement en place et aux gouvernements subséquents. Toutefois, je veux dire que dans le cas de la plupart des problèmes ou des questions d'envergure mondiale, une entente internationale la plus vaste possible, qui se reflète dans des règles ou des dispositions considérées comme exécutoires par le plus grand nombre de pays—et dans certains cas, il faut parfois commencer par un nombre plus limité pour ensuite augmenter—constitue la meilleure façon de s'assurer que les plus forts sont assujettis à des contraintes dans la poursuite de leurs intérêts auprès des plus faibles. Même si cela ne donne pas toujours exactement les mêmes possibilités à tous, je dirais que cela donne des possibilités beaucoup plus égales que ce ne serait le cas autrement.

Le Canada croit fermement à cette approche, qui se reflète dans notre appartenance à un grand nombre de clubs dans le monde, d'envergure universelle ou plus limitée, comme l'OTAN et l'OCDE. Nous souscrivons à une approche mondiale à des problèmes mondiaux, engagement de notre part qui est bien connu et attendu.

Ainsi, dans le contexte de notre participation dès le début au GATT, et à l'OMC, concernant la libéralisation du commerce international et l'avantage pour le Canada de règles de portée générale, il est logique et tout à fait normal que le Canada aborde la question de l'investissement international—de plus en plus associé au commerce international—en participant à toute négociation qui tente de créer l'égalité des chances dans ce domaine. Ne pas être à la table lors de discussions sur un sujet aussi important pour notre économie nationale et nos intérêts comme investisseur à l'échelle de la planète nous empêcherait d'influencer le résultat d'une façon plus positive, même si, en dernière analyse, nous constations que l'accord dans son ensemble nous est inacceptable.

En outre, vu notre tradition de quasi-pilier de l'approche multilatérale, notre absence paraîtrait inhabituelle, dans la mesure où elle serait interprétée comme un affaiblissement de notre appui à l'option multilatérale elle pourrait contribuer à amoindrir l'appui des autres pour le multilatéralisme.

Parce que je partage l'opinion répandue que le multilatéralisme a bien servi le Canada au fil des ans, toute diminution de notre appui irait à l'encontre de notre intérêt fondamental, soit exercer au maximum notre influence afin d'atteindre des résultats conformes à nos objectifs.

En dernière analyse, le Canada, comme participant à la négociation d'un traité, est libre de présenter des réserves ou de refuser de signer ou de ratifier le produit fini. En participant au processus de négociation, cependant, le Canada contribue à créer un monde plus ordonné sans sacrifier sa liberté d'action pour traiter le résultat final comme il l'entend.

Enfin, j'aimerais souligner la valeur de ce genre de séance publique, qui peut, espérons-le, nous éclairer sur les aspects particuliers d'une question comme l'AMI et ce qu'en pense la population. Par l'entremise du Parlement, le gouvernement entendra l'opinion de spécialistes, pour et contre, et décidera ce qui est dans l'intérêt national. Ensuite, comme c'est le cas dans une démocratie, la population jugera le gouvernement.

L'ICAI a justement pour rôle de se renseigner sur les questions qui ont une incidence sur le Canada et les Canadiens. Ainsi, nous partageons l'objectif du comité, qui veut éclairer cette question, qui a suscité un intérêt à l'échelle nationale. L'institut, avec ses succursales de Victoria à Halifax, veut compléter le rôle des comités parlementaires visant à élargir la connaissance et à approfondir la compréhension des problèmes.

Merci, monsieur le président.

• 1600

Le président: Merci, monsieur Sullivan.

Maintenant, du cabinet Thomas and Davis, M. Fréchette.

[Français]

M. Serge Fréchette (Associé-Thomas et Davis): Merci, monsieur le président.

Mes commentaires, cet après-midi, porteront sur deux volets qui, bien qu'ils soient dissociés l'un de l'autre, ont quand même été associés d'une façon ou de l'autre au moment de la préparation d'un texte résultant d'une négociation.

Le premier volet portera sur l'aspect juridique de négociation et de la préparation du texte de l'accord, c'est-à-dire l'aspect mécanique pur et simple de la négociation.

Le deuxième volet portera sur quelques aspects juridiques qui sont contenus dans le texte tel que nous le connaissons en ce moment, c'est-à-dire l'aspect substantif.

Je vais commencer par le premier volet, l'aspect de la négociation et de la préparation du texte. J'aimerais d'abord féliciter d'une façon assez particulière ceux qui participent à la négociation et aussi le secrétariat de l'OCDE qui prépare les textes.

Ayant participé à plusieurs négociations dans le passé, je peux vous affirmer qu'il est extrêmement important d'avoir en sa possession, lors du déroulement de la négociation et au moment de sa finalisation, un texte clair comportant plusieurs notes et ayant en annexe les différentes propositions des pays visant à améliorer le texte.

Pourquoi est-ce nécessaire? Parce qu'à plusieurs égards, il faut se rappeler que l'accord qui sera mis en place, si c'est le cas évidemment, devra être adopté par les pays, sous une forme ou sous une autre, dans le cadre de leur régime respectif.

Donc, l'interprétation qui devra être faite du texte lui-même devra refléter l'intention des partis. Les textes, tels que nous les connaissons à l'heure actuelle avec des notes en bas de page, comportant des commentaires, et avec des textes en annexe proposant des modifications, aident à cette compréhension. Et cela deviendra encore beaucoup plus clair lorsque le Canada, si le Canada accepte un accord éventuel, mettra en oeuvre cet accord en bonne harmonie avec la législation domestique.

Évidemment, les textes pourront être ultimement utilisés pour la mise en oeuvre de l'accord, non seulement dans le contexte domestique mais aussi dans son contexte international. Le Canada est un des membres des accords internationaux qui est très souvent impliqué dans le cadre de règlement de différends, particulièrement en ce qui concerne les accords en matière de commerce extérieur.

Il est important pour les gens qui participent à la défense des intérêts canadiens et qui se trouvent confrontés aux mécanismes de règlement des différends, d'être en mesure de relire les textes de ces accords, de vérifier l'historique qui est sous-jacent à chacune des dispositions, particulièrement celles qui sont contestées, de façon à être en mesure d'identifier clairement quels sont les paramètres qui ont été donnés aux champs d'interprétation de ces accords-là.

Le Canada l'a fait à plusieurs reprises dans le passé, lorsqu'il s'agissait de règlements de différends impliquant des textes très particuliers. Ces textes sont donc utiles dans ce sens. C'est aussi dans ce sens que je félicitais un peu plus tôt ceux qui participent à la préparation de ces textes et qui font en sorte que ces textes réflètent essentiellement les vues et les intentions des parties en ce qui concerne chacune des obligations qui sont suggérées.

C'est aussi particulièrement important pour le Canada en tant que membre participant à ces négociations, de faire part de ses propres vues quant à certaines de ces dispositions par la voie de soumissions de textes ou encore par des commentaires à propos de ces obligations. De cette manière, si des contestations avaient lieu dans le cadre de cet accord, le Canada pourrait faire connaître son interprétation des textes de façon tout à fait crédible dans le mécanisme de règlement des différends.

Ceci dit, j'aimerais maintenant passer à l'aspect purement substantif de l'accord, c'est-à-dire discuter de certains aspects et de certains détails qui sont contenus dans l'accord tel que nous le connaissons.

Je m'arrêterai seulement à certains d'entre eux, l'accord étant évidemment une ébauche qui est encore très jeune, compte tenu du fait qu'il reste plusieurs mois de négociations et qu'on en est encore, même si près de deux ans se sont écoulés, à un stade initial, en termes de négociations, puisque la partie principale de la négociation se fera au cours des deux derniers mois de cette négociation. Il n'en demeure pas moins que le texte révèle certains aspects qui méritent que l'on s'y attarde.

Le ministre Marchi annonçait, au début de vos travaux, que l'objectif principal du Canada était en fait de rendre multilatéral le régime des droits concernant les investissements étrangers comme ceux que l'on retrouve dans un accord comme l'ALENA.

Il est donc important de réfléchir sur le concept de l'accord tel qu'on le connaît à l'heure actuelle, pour être en mesure de voir si le Canada ne s'embarque pas dans un accord qui pourrait l'amener au-delà des obligations contenues dans l'ALENA.

• 1605

Un exemple particulier de ce type de situation se retrouve dans les textes des obligations portant sur le traitement de la nation la plus favorisée au sujet duquel a lieu à l'heure actuelle, et au niveau multilatéral, une discussion très importante se rapportant aux circonstances similaires. L'obligation de traitement de la nation la plus favorisée existant dans le contexte de l'investissement et des services entre le Canada et les États-Unis depuis le tout début, c'est-à-dire au moment de l'accord sur l'ALE en 1987, l'Accord de libre-échange original, est soumise au concept de circonstances similaires, c'est-à-dire que l'analyse du traitement qui est accordé à un investisseur se fait dans le contexte de circonstances réglementaires similaires.

Ce concept est excessivement important parce qu'il vient qualifier l'obligation qui est imposée. Si on pense, entre autres, à des secteurs tels que les secteurs réglementés que l'on connaît au Canada comme par exemple, les télécommunications, la radiodiffusion ou bien d'autres secteurs, il existe énormément de raisons purement justifiables pour un gouvernement d'intervenir et de réglementer certaines circonstances particulières de façon différente, de telle sorte qu'on peut se retrouver avec des investisseurs qui, bien qu'appartenant à la même catégorie, sont traités de façon différente.

Il est donc important que le Canada, s'il veut s'assurer que le texte multilatéral, s'il y en a un, reflète sa position actuelle quant à l'obligation de traitement national pour les investisseurs et les investissements, fasse en sorte qu'il y ait, pour le moins, une entente entre les parties qui reconnaîtraient l'existence de ce concept, même si les mots «circonstances similaires» n'étaient pas inclus dans l'obligation sur le traitement national et celui de la nation la plus favorisée, au moment de considérer le traitement qui serait accordé aux investisseurs ou à l'investissement.

L'autre secteur qui mérite une attention particulière est celui des mesures incitatives et des règles proposées par certains pays concernant le traitement des mesures incitatives accordées par certains gouvernements pour attirer l'investissement. Si on regarde la définition qui est proposée, dans le cadre d'une des propositions, ce concept de mesures incitatives s'accorde essentiellement à ce que l'on appelle «les subventions».

Or, dans le contexte multilatéral, il existe déjà des disciplines très particulières en ce qui concerne les subventions. Qu'on se reporte, par exemple, à l'Accord sur l'organisation mondiale du commerce ou un accord spécifique, et on verra qu'une des parties de l'accord porte spécifiquement sur le traitement qui est fait à l'octroi de subventions à des investissements, soit au moment de l'implantation de ces investissements ou encore au moment de la conduite ou de l'opération de ces investissements.

Au niveau multilatéral donc, il existe déjà un cadre de droits portant sur ce qui est autorisé et ce qui n'est pas autorisé en matière de mesures incitatives et en matière d'investissement, de telle sorte que l'introduction, dans cet accord-ci, de mesures portant sur l'investissement mais aussi l'utilisation de mesures incitatives à cet investissement-là, pourrait donner lieu, dans certains cas, à l'existence de conflits, à l'existence de règles différentes, et c'est la raison pour laquelle, comme on l'a dit tantôt, il devient important de gérer l'interrelation entre ces accords dans un tel contexte.

Mais au départ, la question la plus fondamentale est celle de l'utilité d'introduire dans un contexte tel qu'un accord sur les investissements, une discipline propre à l'utilisation de subventions en matière d'investissement puisqu'il existe déjà de telles disciplines dans un contexte multilatéral.

Maintenant, en ce qui concerne la question de l'application de l'accord à certaines mesures, il y a évidemment toute la discussion actuelle qui est probablement la plus importante et qui porte sur les mesures qui seront exclues de l'application de l'accord, soit par l'utilisation de clauses d'exception générales ou encore par l'utilisation de clauses de réserve spécifiques à certains pays.

Il y a aussi la question de savoir si le Canada, en particulier, réussira à obtenir l'exclusion des mesures reliées à la culture ou encore aux industries culturelles selon l'approche politique qui sera prise dans l'application de l'accord lui-même.

Il est important de mentionner qu'on en est encore, comme je le disais tantôt, à un stade très préliminaire des négociations en ce qui concerne l'aspect très détaillé des obligations. Très souvent, ces discussions ont lieu et sont finalisées dans les derniers mois de l'accord, et c'est à ce moment-là que l'on est en mesure de réaliser la façon la plus appropriée de traiter de ces questions d'un point de vue purement stratégique.

• 1610

Il est important de mentionner dès le départ que la clause portant sur les mesures de réserve autorisant un pays à prendre des réserves particulières qui le concernent, telle que libellée à l'heure actuelle, ne porte que sur les mesures existantes. Elle ne porte pas, entre autres, sur ce qu'il est convenu d'appeler des mesures globales, c'est-à-dire qui visent à couvrir un secteur, indépendamment de l'existence actuelle de ces mesures ou de l'adoption future de mesures concernant ce secteur à l'avenir.

C'est un secteur où il y a des différences fondamentales, à l'heure actuelle, entre les règles telles qu'elles existent dans l'ALENA et les règles telles qu'elles pourraient exister dans le cadre de cet accord sur l'investissement.

Je pense qu'on a discuté avec vous, depuis le début, de la partie II des annexes à l'accord sur l'ALENA dans lesquelles sont incluses des exemptions très particulières pour les pays qui visent justement à exclure des secteurs globaux de l'économie, et de l'application de certaines règles et de certaines disciplines particulières.

Dans le texte actuel de l'accord, tel qu'il est proposé, de telles réserves ne seraient pas permises, bien que le Canada, dans la liste de réserves qu'il a déposée, vise à exclure de telles mesures. Le Canada, dans un geste qui vise à démontrer finalement son intention ultérieure, et parce que la discussion a toujours cours sur ce sujet, a clairement indiqué, pour ce qui est de certains secteurs—on parle entre autres du secteur névralgique de la sécurité et des services sociaux, par exemple— qu'en ce qui concerne le secteur fédéral, il entend exclure l'ensemble du secteur en ce qui concerne les mesures actuelles et les mesures futures.

Pour en revenir à ce qui a été dit un peu plus tôt sur la question de savoir si les mesures provinciales dans ces secteurs seront couvertes, à l'heure actuelle, l'accord vise évidemment à couvrir les mesures fédérales et aussi les mesures au niveau régional local, donc les mesures provinciales. Mais il est très encore très tôt, et il reste à voir comment les provinces désireront participer à la négociation, en collaboration avec le gouvernement fédéral, et si elles fourniront d'elles-mêmes leur propre liste de réserves.

Mais, évidemment, à cela est liée toute la question de la discussion de l'inclusion d'une clause fédérale qui vise essentiellement à délimiter le type et la nature de l'obligation fédérale en ce qui concerne les mesures provinciales. Il y a aussi pour les provinces, la question de savoir ce qu'elles obtiendraient en retour des mesures qu'elles offriraient. C'est toute la question du give and take qui, même au niveau provincial, existe lorsque vient le temps, par exemple, dans un secteur provincial, d'accepter les termes d'un accord.

Je vais terminer ma présentation, parce que le temps avance, sur la question de la nécessité ou encore la façon dont le gouvernement fédéral devrait s'y prendre pour l'inclusion de sauvegardes en ce qui concerne tout le secteur culturel.

Le débat a commencé depuis le début des années 1980, sur la façon dont le Canada va réussir à préserver ce qu'il est convenu maintenant d'appeler son identité culturelle et son habileté d'adopter des mesures qui lui permettent essentiellement de préserver son droit légitime d'intervention dans ces secteurs.

Le débat qui n'a toujours pas eu lieu et qui doit avoir lieu ultimement, est de savoir ce que le Canada désire préserver. Est-ce que, comme la France, il désire préserver—et on peut en juger par le libellé de la clause qui est proposée par le gouvernement français—essentiellement la culture et son habileté d'intervenir au soutien de sa souveraineté culturelle, ou est-ce que le Canada vise à préserver, comme il l'a fait dans l'ALENA, des mesures reliées aux industries culturelles? Voilà d'où vient évidemment toutes les difficultés des négociateurs essayant de vendre une exemption culturelle, quand ils tentent d'expliquer à des partenaires, dans le contexte multilatéral, la nécessité pour le Canada de défendre sa culture et sa souveraineté culturelle par le biais de mesures très souvent protectionnistes en ce qui concerne ces industries culturelles.

Le débat a lieu à l'heure actuelle. Il a lieu depuis plusieurs années sur la question de savoir si les lois et règlements du Canada constituent véritablement l'arsenal dont il a besoin pour préserver sa souveraineté culturelle, ou encore si quelques unes de ces mesures ne sont pas là purement et simplement à des fins protectionnistes.

Finalement, le Canada va devoir se poser la question et accepter que, dans la mesure où ces mesures domestiques ne visent que des fins protectionnistes dans un contexte multilatéral et même régional, il y a un prix à payer dans le cadre d'accords commerciaux, puisque des intérêts légitimes évidents se confrontent, c'est-à-dire la protection de la culture, d'une part, et l'engagement d'investissements, dans la mesure d'ouverture des marchés, en ce qui concerne des secteurs névralgiques.

• 1615

Le Canada doit donc prendre position sur cette question à savoir ce qu'il entend véritablement protéger et la façon dont il va s'y prendre.

Techniquement, en termes purement juridiques, il existe peu de différences pratiques entre une exemption culturelle globale et une réserve nationale canadienne qui vise essentiellement à protéger la même chose. Le véhicule est assez peu différent en termes d'effets, pour ce qui est de la protection des droits.

L'utilisation d'une mesure de réserve fait en sorte, surtout dans le cas de réserves spécifiques plutôt que de réserves globales en termes de secteurs, d'exposer nos mesures. Certains croient qu'une telle exposition de ces mesures va avoir comme conséquence d'inviter, dans un deuxième round de négociations, les partenaires à exiger l'élimination de ces mesures, et de là vient leur crainte. Mais en termes d'effets pratiques, d'effets juridiques pratiques, en cas de contestation, c'est le libellé de la réserve ou de l'exception qui juge de son contenu et non pas la forme.

Je vais terminer ma présentation sur ces propos et vous inviter à poser vos questions. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Fréchette.

Enfin, de l'Association canadienne du droit de l'environnement, Mme Michelle Swenarchuk. Je vous souhaite la bienvenue.

Mme Michelle Swenarchuk (directrice générale, Association canadienne du droit de l'environnement): Merci, monsieur le président, et merci de nous avoir invités à comparaître ici aujourd'hui.

L'Association canadienne du droit de l'environnement, l'ACDE, a été créée en 1970. Depuis lors, nous travaillons sur des études de cas, la réforme du droit et la formation juridique, y compris les questions de commerce et d'environnement depuis environ 1987. Avant de nous présenter ici, nous avons examiné les mémoires présentés ici, du Sierra Club, du Congrès du travail du Canada et de Barry Appleton. Nous partageons certaines de leurs préoccupations, sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Cela fait plus de dix ans maintenant que nous nous penchons sur les questions qui touchent à l'environnement et au commerce, et nous considérons que l'AMI représente la quatrième ronde au Canada sur cette question. Il s'agit du dernier d'une longue liste d'accords internationaux qui ont eu et qui continuent à avoir une incidence marquée sur la protection de l'environnement et la politique environnementale. On demande si cet accord aura des conséquences; à notre avis, très certainement.

La réglementation nationale, y compris celle sur l'environnement, représente justement la cible de documents de défense des droits de l'investisseur, comme l'AMI, puisque la réglementation influe sur la capacité des sociétés de mener des activités lucratives. La protection de l'investissement signifie pour nous en fait l'abolition des contrôles réglementaires sur les activités des sociétés. L'AMI représente la dernière des initiatives dans le domaine de la déréglementation internationale.

Nous avons déjà vu au Canada les accords auxquels nous sommes déjà parties avoir des répercussions marquées. Nous vivons à une époque de déréglementation environnementale qui est également une époque de libre-échange. Les deux sont reliées.

J'ai tenté de situer l'accord dans ce contexte pour parler de l'environnement et du commerce. Dans notre mémoire, j'ai énuméré cinq façons dont les accords commerciaux actuels ont engendré des problèmes de protection de l'environnement et de politique.

D'abord, permettez-moi d'aborder l'exemption générale que M. Howse a qualifiée dans le GATT de mécanisme de protection de l'environnement. J'y reviendrai dans un instant, car je crois que c'est très important dans le cadre de la discussion actuelle. Dans mon mémoire, je parle également de la façon dont les autres accords, y compris celui du GATT en 1994, l'accord Canada-États-Unis et l'ALENA, créent tous de nouvelles approches à la rédaction de lois sur l'environnement en préconisant l'internationalisation, l'harmonisation des normes et la décision de retirer aux organismes internationaux la responsabilité d'établir des normes. Je vous laisse le lire vous-mêmes.

Je me suis également étendue un peu sur l'idée que, à notre époque, la notion de l'observation volontaire ou sans contrainte par les entreprises remplace les normes obligatoires en matière de droit de l'environnement. J'estime que l'AMI ajoute à cette tendance. J'accorde également une place importante à ce qu'on appelle dans l'accord la protection de l'investisseur, soit la clause relative à l'expropriation.

• 1620

Pour ce qui est des répercussions de l'accord de libre-échange sur la politique environnementale à ce jour, on a déjà pu tirer une leçon importante, à savoir que tous les accords prévoient une exception générale pour la protection de l'environnement et de la santé humaine, soit l'article XX du GATT, qui a été intégré aux accords subséquents. Cependant, dans tous les différends commerciaux soumis à un tribunal de règlement des différends depuis l'adoption de l'accord canado-américain, où l'article XX devait assurer la protection d'une réglementation liée à l'environnement, cette protection n'a pas été suffisante. Je vous ai déjà soumis la liste d'un certain nombre de cas de ce genre. En réalité, l'article XX est insuffisant.

Il importe de rappeler que, compte tenu du libellé de l'article, les régimes commerciaux auraient pu être assortis de politiques en matière d'environnement et de santé humaine dès le départ. Il n'aurait pas été nécessaire que nous nous trouvions, sur le plan juridique, dans la situation où les considérations liées à l'environnement et à la santé humaine ne font pas le poids face aux dispositions des régimes commerciaux.

Ainsi, en effet, les négociateurs de l'AMI ont dressé, lors de leur réunion d'octobre, une liste des questions environnementales à régler. Ils ont notamment retenu la possibilité d'inclure l'article XX. Je ne crois pas que cela soit très utile.

De toutes les stratégies élaborées dans le cadre de régimes commerciaux qui menacent la protection de l'environnement, nous estimons que le chapitre élargi sur l'expropriation du présent accord, tout comme le chapitre de l'ALENA sur l'investissement, est probablement l'instrument le plus puissant d'une déréglementation accrue dans le secteur de l'environnement.

La disposition relative à la protection de l'investisseur, comme on l'appelle, celle qui concerne l'expropriation, aussi bien dans l'ALENA, selon moi, que dans l'AMI proposé, diffère d'une façon importante de ce qui est prévu au Canada sur le plan intérieur en matière d'expropriation.

Nous vous avons cité un texte que nous avons rédigé antérieurement sur l'expropriation. J'y ai relevé à votre intention un certain nombre de décisions de la Cour suprême du Canada qui tracent les limites du droit canadien en matière d'expropriation.

Par exemple, bon nombre des affaires sont tranchées à la lumière de la réglementation en matière d'utilisation du sol. Ainsi, à la page 5 de mon mémoire, au deuxième paragraphe:

    [...] les tribunaux canadiens ont reconnu depuis longtemps que la réglementation visant l'utilisation du sol n'est pas une mesure d'«expropriation», essentiellement du fait que les règlements de zonage ou autres instruments de planification n'ont pas généralement pour effet d'enlever ou de transférer pleinement l'utilisation, le titre ou l'usage d'un bien. Par conséquent, si la capacité d'un propriétaire foncier d'utiliser ou de mettre en valeur son bien est limitée par un règlement de zonage adopté en bonne et due forme, ce dernier n'a pas droit à une indemnisation, même si le règlement de zonage entraîne une diminution de la valeur du bien.

J'ai donc cité divers jugements rendus par la Cour suprême du Canada d'où il ressort que le zonage, par exemple, effectué dans l'intérêt public, bien qu'il puisse avoir pour effet de réduire la valeur d'une propriété, ne donne pas lieu à une indemnisation.

Le principe important qui se dégage de ces affaires peut être formulé comme suit—je cite maintenant la page 6 de notre mémoire:

    [...] les responsables de la planification peuvent réglementer, limiter ou interdire l'utilisation ou la mise en valeur du sol sans nécessairement devoir indemniser les propriétaires fonciers visés, dans la mesure où de telles initiatives sont prises de bonne foi en fonction d'un objectif de planification valable.

Par contre, aussi bien dans le chapitre sur l'investissement de l'ALENA que dans l'AMI, la notion d'expropriation avec indemnisation obligée est élargie à tel point que pratiquement toute initiative de réglementation de l'État qui réduit la possibilité d'engendrer des bénéfices risque de susciter une demande d'indemnisation.

D'autres témoins ont certainement abordé avec vous l'affaire Ethyl Corporation. À titre de députés, vous savez certainement que cette société revendique 350 millions de dollars canadiens, essentiellement à titre d'indemnisation pour un projet de loi adopté à la Chambre des communes.

• 1625

Mon document porte également sur une autre affaire que l'on apparente à l'expropriation. Il s'agit d'une poursuite en cours contre le Mexique aux termes du chapitre de l'ALENA. L'affaire touche également le domaine de l'environnement: la société américaine Metalclad Corporation poursuit l'État de San Luis Potosi pour son refus de délivrer un permis d'exploitation d'un site d'élimination des déchets.

Le permis a été refusé du fait que, à la suite d'une vérification géologique effectuée par les responsables de l'analyse environnementale de l'Université de San Luis Potosi, le gouvernement a jugé que l'usine représentait un risque environnemental pour les localités avoisinantes et a ordonné sa fermeture. L'étude avait permis de conclure que l'installation était située sur un lit à fond mobile, de sorte qu'elle risquait de contaminer la source locale d'approvisionnement en eau. Il s'agit d'une intervention en matière de réglementation que la plupart des Canadiens trouveraient tout à fait justifiée. Nous n'avons pas l'habitude de construire des usines d'élimination des déchets sur des points d'approvisionnement en eau, du moins je l'espère.

Le gouverneur a fini par déclarer que le site faisait partie d'une zone écologique de 600 000 acres. Metalclad exige d'être indemnisée à hauteur de 90 millions de dollars—et ce sont des dollars américains, je me permets de le signaler—pour avoir été expropriée et à cause de violations des dispositions relatives au traitement national, au traitement de la nation la plus favorisée et à des interdictions relatives au rendement. Il s'agit d'une somme qui dépasse la somme des revenus annuels de toutes les familles du comté où l'installation de Metalclad est située.

L'affaire Metalclad soulève d'autres questions troublantes. La société Metalclad prétend que le gouvernement fédéral mexicain encourage officieusement la poursuite de la société aux termes de l'ALENA pour ne pas avoir à subir l'odieux d'obliger l'État à ouvrir l'installation. Si Metalclad a raison à cet égard, alors on peut supposer avec inquiétude que des investisseurs pourront, en collusion avec des pouvoirs publics, utiliser leurs droits pour imposer à des populations récalcitrantes des investissements qu'elles ne souhaitent pas ou qui seraient même dangereux.

J'estime que l'affaire Ethyl et l'affaire Metalclad sont extrêmement pertinentes à toute discussion des effets vraisemblables de l'AMI sur la politique environnementale. En effet, il me semble que le risque de demandes d'indemnisation de cette nature aura un effet si paralysant sur le législateur qu'il nous sera d'autant plus difficile de réussir à améliorer le droit environnemental.

On voit bien ressortir dans ces affaires le but véritable et le résultat vraisemblable du chapitre de l'AMI qui porte sur l'expropriation. Selon le droit canadien, de telles mesures de réglementation gouvernementales visant à protéger l'environnement et la santé humaine, du fait qu'elles sont raisonnables et justifiées, ne sont pas considérées comme étant des expropriations qui justifient l'indemnisation. En effet, la Cour suprême du Canada a souligné récemment, pas plus tard que cette année, l'importance de la protection de l'environnement comme étant une valeur canadienne, à l'occasion d'un jugement où elle affirmait la constitutionnalité de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Nous estimons que les demandes d'indemnisation faites aux termes des dispositions de l'ALENA en matière d'expropriation et celles qui risquent de l'être aux termes de l'AMI vont aboutir ensemble à la stratégie anti-environnementale la plus efficace jamais mise au point par les sociétés et leurs alliés gouvernementaux. Aucun gouvernement ne prendra à la légère la perspective de devoir verser d'énormes montants pour indemniser ceux qui se disent les victimes d'une mesure législative, quel que soit l'appui accordé à la mesure par le public. Et il me semble important de vous rappeler que, même si nous vivons dans une ère de déréglementation environnementale, les sondages ne cessent d'indiquer un appui très solide du public à des mesures vigoureuses en matière de protection de l'environnement.

L'effet paralysant de l'affaire Ethyl et les perspectives de demandes d'indemnisation aux termes de l'AMI, une fois qu'il aura été adopté, rendront la protection de l'environnement encore plus difficile au Canada. Et que dire des difficultés qu'on peut envisager en matière d'expropriation dans les pays du tiers monde, des pays en voie de développement qui n'ont pas encore de cadre juridique établi en matière d'environnement. Jusqu'à quel point les gouvernements de ces pays s'exposeront-ils à des demandes d'indemnisation comme celle qui est faite au Mexique à l'heure actuelle si, comme nous le prévoyons, l'AMI, une fois signé, est largement respecté dans les divers pays du monde?

Les délégations et les négociateurs nous parlent de ce qu'ils appellent l'approche à trois volets en matière de protection de l'environnement qui caractérise l'accord. Selon nous, et j'ai résumé notre position aux pages 8 et 9, l'approche qu'ils proposent sera de peu d'utilité. On y prévoit notamment un certain libellé au préambule. Or, d'après ce que nous savons, le libellé d'un préambule n'est pas applicable. Selon le libellé, le signataire ne pourrait réduire les normes environnementales pour attirer l'investissement. Ceux qui proposent une telle approche ont en tête le libellé de l'ALENA, que je vous ai soumis. Or, ce libellé est non exécutoire, non applicable, et il n'interdit nullement la diminution des normes environnementales pour attirer les investissements.

• 1630

Également, soutient-on, l'AMI devrait contenir d'autres renvois à l'article XX du GATT. Or, la jurisprudence à ce jour aux termes de l'article XX n'a pas été d'une grande utilité.

De plus, le Royaume-Uni propose une forme quelconque d'évaluation des questions environnementales. Or, le gouvernement du Canada a effectué un examen environnemental de l'ALENA, et, à notre connaissance, il n'en est pas ressorti grand-chose de constructif. Ainsi, l'idée de prévoir un tel examen pour l'AMI ne nous réjouit pas beaucoup.

Nous en arrivons à la conclusion que l'AMI, encore plus que les accords précédents en matière de commerce international, souffre d'un manque d'équilibre entre les intérêts commerciaux et ceux des citoyens et de l'environnement. L'accord ne tient aucunement compte des objectifs tout à fait justifiables que sont pour un pays la protection de la santé, les normes de travail, la politique sociale, la culture, ou la création d'emplois à l'échelle locale. Par contre, l'accord prévoit une définition très étendue de l'investissement et des droits de l'investisseur, y compris des recours extraordinaires en matière d'expropriation. Il comporte des dispositions en matière de statu quo et de démantèlement, mais aucune protection à l'égard de toute politique innovatrice pouvant correspondre dans l'avenir à l'intérêt public. Il prévoit des recours investisseur-État, mais ne prévoit aucun recours citoyen-État ou citoyen-investisseur. Il prévoit des processus juridiques secrets.

J'exhorte fortement les parlementaires canadiens à se pencher très sérieusement sur cette question des processus secrets de règlement des différends que prévoient ces ententes, et qui remettent en cause les pouvoirs du Parlement lui-même. Il y a là des décisions qui ne sont pas ouvertes à la participation du public et dont il ne peut même pas connaître l'existence. Nous aimerions intervenir dans l'affaire Ethyl, mais nous ne le pouvons pas. Le gouvernement risque de devoir verser 350 millions de dollars canadiens en indemnisations, et aucun d'entre nous, qui sommes des citoyens canadiens, ne peut obtenir une seule page de documentation sur l'affaire. Ce sont des délibérations strictement confidentielles.

L'AMI n'assure aucun équilibre entre les intérêts industriels du Nord et les besoins du Sud en matière de lutte contre la pauvreté. Les gouvernements nationaux sont obligés d'en respecter les dispositions. Cependant, les sociétés ne sont pas tenues de respecter les lois d'intérêt public des pays où elles exercent leurs activités.

Ayant pris connaissance de la déclaration du ministre Marchi devant votre comité, nous y voyons une tentative très faible du gouvernement fédéral de protéger le pouvoir de légiférer dans l'intérêt public. Voici ce qu'il y déclarait: «Tout comme dans le cadre de l'ALENA, le Canada n'acceptera pas de souscrire à un quelconque engagement de portée générale quant au gel—ce qu'on appelle le «statu quo»—ou à l'élimination progressive—le «démantèlement»—de ses restrictions sur l'investissement étranger. Le Canada gardera la souplesse voulue pour conduire ses politiques dans les grands domaines d'intérêt national.» Il a également dit du mécanisme d'arbitrage investisseur-État qu'il s'agissait d'un système «transparent». Je trouve une telle déclaration tout à fait mystifiante. Je n'arrive vraiment pas à comprendre comment on peut dire d'un processus tout à fait secret qu'il est transparent.

D'après le libellé de sa déclaration, il se peut que le gouvernement canadien envisage de protéger les mesures de contrôle qui visent l'investissement étranger, soit ce qui reste de la Loi sur l'examen de l'investissement étranger. Je suis passablement inquiète de lire que le Canada gardera la souplesse voulue pour conduire ses politiques seulement dans les «grands domaines» d'intérêt national. Je ne sais pas ce qu'on veut dire par «grands domaines», mais je suis inquiète de constater que le Canada ne se soucie pas de tous les domaines d'intérêt national.

En guise de conclusion, nous formulons quatre recommandations. Nous ne sommes pas favorables à cet accord. Nous ne pensons pas que le Canada devrait le signer. Cependant, compte tenu des réalités de notre époque, nous prévoyons que le Canada le signera.

En premier lieu, nous recommandons que, compte tenu de l'évolution qu'on a pu observer jusqu'à maintenant en matière d'accords commerciaux et de questions environnementales, et du fait que les solutions envisagées par les délégations ne suffiront pas à protéger l'environnement ou la politique environnementale, le Canada propose une mesure d'exception pour les politiques relatives à l'environnement et à la gestion des ressources ou, si cela n'aboutit pas, que le Canada, de concert avec d'autres délégations, propose une réserve précise visant ces politiques.

Nous appuyons également les propositions du Sierra Club en faveur d'un accès beaucoup plus considérable du public à la documentation, aux possibilités d'information et aux audiences relatives à l'accord.

Nous sommes favorables à l'examen environnemental et nous exhortons le gouvernement canadien à appuyer la proposition du Royaume-Uni à cet égard. Cependant, il doit s'agir d'un examen de portée générale, avec participation du public. Contrairement à ce qui a pu se passer jusqu'à maintenant, un tel examen doit porter notamment sur les répercussions des accords de ce genre sur les pouvoirs décisionnels des gouvernements signataires.

• 1635

Enfin, nous ne pensons pas que le gouvernement canadien devrait signer la clause relative à l'expropriation.

Merci.

Le président: Merci. Nous passons maintenant aux questions, en commençant par M. Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je tiens à souhaiter la bienvenue au groupe de témoins.

Je suis certainement d'accord sur un plan, à savoir que, tant du côté de l'OCDE que du gouvernement fédéral, le processus a été beaucoup trop secret. On aurait dû faire participer le public canadien beaucoup plus tôt pour assurer les appuis qui seront nécessaires à la table de négociation.

Il semble que Mme Smythe a bien résumé la situation en disant que les questions politiques les plus difficiles ont été laissées pour la fin. Nous avons pris connaissance de l'ébauche de mai et d'une liste de réserves, mais cela fait déjà un certain temps. Or, il semble que, dans ce genre de négociation, le processus s'accélère vers la fin. Nous ne savons pas vraiment quel sera le résultat final. Il nous revient donc de tenter de décider quelle sera la position de départ du Canada à la table.

Monsieur Howse, j'ai quelques questions à vous poser, et j'ai compris par ailleurs que vous devez partir tôt. Vous avez soulevé deux aspects au sujet desquels j'aimerais connaître les avis des témoins.

Je crois vous avoir entendu dire que l'AMI l'emporterait sur le chapitre de l'ALENA sur l'investissement, et je me ferai l'avocat du diable à ce sujet en vous disant que, lorsqu'il existe deux cas parallèles de ce genre, toute partie retiendrait l'accord qui lui convient le mieux pour régler un différend en matière d'investissement. J'aimerais donc que nos témoins experts me disent s'il est vraiment clair que l'un des accords aurait plus de poids.

En deuxième lieu, monsieur Howse, vous avez fait la distinction entre réglementation et expropriation et vous avez fait valoir qu'il n'allait pas de soi que toute mesure de réglementation par les pouvoirs publics devait aboutir à un litige. Or, il y a là toute une zone grise, me semble-t-il. L'État n'a-t-il pas beau jeu d'introduire une politique qui risque de toucher un investisseur—qu'il soit Canadien ou étranger—et de lui faire un tort injustifié en le privant de certains revenus?

Si l'État formule une politique de ce genre, et je pense ici à Ethyl Corporation—un cas d'actualité qui nous concerne—ne doit-il pas la fonder sur des faits scientifiques? Ne doit-il pas appuyer sur des évaluations scientifiques telle ou telle orientation qu'il préconise, par exemple, pour contrer un risque environnemental? N'est-il pas un peu trop facile de laisser l'État exproprier sans donner de recours à l'entreprise visée, sans lui laisser d'autres possibilités que de fermer ses portes?

M. Robert Howse: Sur le premier aspect, il se peut que j'aie été un peu mal compris. Vous avez tout à fait raison de dire que les droits et les obligations issus de l'AMI ne surplanteront pas ceux issus de l'ALENA. Toutefois, si une opposition entre les dispositions d'un traité antérieur et celles d'un traité postérieur ne pouvait être résolue, selon les principes d'interprétation de la Convention de Vienne, qui sont également ceux du droit international actuel, c'est l'accord le plus récent qui prévaudrait.

Cependant, la Convention de Vienne invite également les parties à assurer le rapprochement des dispositions des divers accords qui portent sur la même question, de sorte que la situation que j'ai évoquée ne surviendrait qu'en cas d'opposition fonctionnelle évidente et insurmontable entre les dispositions des deux traités. J'espère que j'ai pu vous rendre ma pensée plus claire.

Sur le deuxième aspect, je suppose que je dois répondre par la négative. En effet, aucune entreprise n'est à l'abri d'une modification des règlements. Le mode d'imposition qui vise un secteur donné peut changer, ou le mode de fabrication d'un produit peut être modifié, ou encore jugé dangereux. Si nous nous mettions à indemniser les entreprises à cause de tels changements de réglementation, le Trésor public deviendrait une sorte de caisse d'assurance qui servirait à protéger les entreprises de l'initiative gouvernementale.

• 1640

Nous ne pouvons pas le faire. D'après moi, il n'y a aucun principe qui nous permette de le faire.

Si vous voulez dire qu'il peut arriver qu'un gouvernement cible une compagnie particulière et essaie de propos délibéré de lui causer des problèmes ou de la pousser à la faillite tout en dissimulant ses intentions grâce à un changement réglementaire de nature générale, je pense effectivement qu'il peut y avoir de bonnes raisons dans de telles circonstances pour vouloir protéger les investisseurs contre un comportement dommageable ou malicieux, ou encore contre des préjugés à l'endroit d'une compagnie particulière de la part d'un gouvernement.

D'après moi, même si les dispositions relatives à l'expropriation sont très strictes dans une entente comme l'AMI, un comité de règlement des différends s'en rendrait très vite compte si un gouvernement essayait de se servir de la politique normale de l'État pour acculer une compagnie particulière à la faillite. C'est ce qu'on appelle une attaque déguisée en droit constitutionnel: on essaie de faire indirectement ce qu'on ne pourrait pas faire directement.

D'après moi, nous pourrions faire modifier les dispositions relatives à l'expropriation pour garantir que les changements réglementaires ne soient pas assujettis à l'exigence d'indemnisation, ce qui garantirait que les comités de règlement des différends ne se laisseront pas prendre par une tentative de déguiser une attaque contre une entreprise particulière ou de cacher une telle attaque derrière des changements généraux à la politique.

Mme Michelle Swenarchuk: Je voudrais ajouter quelque chose là-dessus. Compte tenu du libellé actuel des clauses d'expropriation, même si les décisions du gouvernement se fondent sur des preuves scientifiques, il devra quand même verser une indemnisation. Le libellé est tellement général—et je me reporte à la page 51 de l'ébauche de l'accord—que toute tentative d'empêcher la production de bénéfices, même si c'est dans l'intérêt du public, même si c'est conforme à la loi et même si ce n'est pas discriminatoire—tous ces mots sont là—donnera quand même lieu à une demande d'indemnisation.

M. Charlie Penson: La décision devrait-elle être prise en fonction de faits scientifiques?

Mme Michelle Swenarchuk: J'imagine que cela montrerait que la décision n'est pas discriminatoire, mais ce que je veux dire, c'est que cela n'aidera pas le gouvernement. Peu importe sur quels arguments scientifiques se fonde la décision, il faudra quand même verser une indemnisation, et, à mon avis, cela fausse entièrement la situation.

M. Charlie Penson: Si j'ai bien compris, cette question n'est toujours pas réglée.

Mme Michelle Swenarchuk: Mais nous l'avons accepté dans le cadre de l'ALENA. À ma connaissance, le gouvernement du Canada appuie un tel libellé. À mon avis, c'est extrêmement dangereux, et cela représente un écart important par rapport à la loi canadienne.

[Français]

M. Serge Fréchette: J'aimerais juste ajouter à ce qui a été dit, mais dans un sens un peu différent cependant.

Je pense qu'on est tous à peu près d'accord que les gouvernements ne devraient pas être limités par ce genre de discipline quant au type de réglementation qui peuvent passer pour légitime pour évidemment viser à s'assurer à ce que les industries fonctionnent de façon correcte dans le marché.

Je ne pense pas, cependant, si on examine le langage spécifique de l'article 2.1, auquel on fait référence, que c'est ce qui est visé par l'article. Très spécifiquement, on dit:

[Traduction]

ou de prendre une ou des mesures ayant un effet équivalent.

[Français]

Ce que vise ce langage, à mon avis, c'est aussi ce que visait un langage différent dans l'ALENA à l'origine, ce sont des mesures qui ont pour effet d'éliminer la capacité pour l'entreprise de fonctionner, à toutes fins pratiques. C'est l'équivalent d'une expropriation et ce n'est pas juste l'intervention du gouvernement qui puisse avoir un effet normal et attendu sur la capacité de l'entreprise de faire des affaires.

Le genre de règlements généraux qui sont passés par tous les gouvernements ne me semblent pas en aucune façon visés par ce genre de règlement, la disposition équivalente de l'ALENA.

Cependant, et c'est ce qui a été dit plus tôt, et je suis d'accord avec cela, si un gouvernement, sous le couvert d'une réglementation dite légitime, passait une réglementation qui avait pour effet d'enlever totalement la capacité pour une entreprise de conduire ses affaires, avait le contexte de ce qu'on appelle en droit international public, dans le contexte spécifique d'expropriation

[Traduction]

d'enlever l'entreprise commerciale

[Français]

dans un tel cas, la réglementation constituerait, à mon avis,

[Traduction]

une mesure ayant l'effet équivalent

[Français]

et, dans un cas comme celui-là, très clairement, le tribunal concluerait qu'il s'agit d'une expropriation.

• 1645

Pour revenir à l'affaire Metalclad et Ethyl Corporation, je pense que ce qu'il est important de se rappeler, c'est que les affaires sont, à l'heure actuelle, pour adjudication. La question fondamentale qui devra être déterminée dans les deux cas, c'est de savoir si les actions qui ont été prises par les gouvernements constituent des expropriations. C'est le test.

Il faut bien se rappeler aussi que les disciplines qui ont été incorporées à l'ALENA—à l'origine à l'ALE, parce que cela remonte finalement au texte de l'accord original entre le Canada et les États-Unis— et ensuite dans cet accord-ci, ne sont pas vraiment différentes de ce que sont les standards actuels en droit international public. Donc, ce que visent à faire, dans certains cas,—à tout le moins, en ce qui concerne les pays les plus développés, ceux de l'OCDE—c'est de codifier la compréhension actuelle qu'ont ces parties de ce que constitue le droit international public. Il ne faut pas s'imaginer que ces accords-ci ont pour effet de créer un corps de droit qui est tout à fait différent.

[Traduction]

Le président: Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: À ce moment-là, la question que je poserais ensuite en est une que ce groupe-ci a déjà soulevée, et elle porte sur la différence de processus selon la loi canadienne pour une entreprise visée par la loi canadienne et un investisseur étranger dont les biens se font exproprier. Comment pourrait-on mettre au point un processus qui ne défavorise pas une compagnie canadienne qui devrait passer devant les tribunaux du Canada et perdre un certain temps alors que la compagnie étrangère aurait accès à un comité d'examen où il n'y a pas de procédure d'appel, par exemple? Pouvez-vous nous en parler?

M. Robert Howse: Oui, je pense que c'est essentiellement ce qu'on fait, c'est-à-dire qu'on donne une meilleure protection aux compagnies étrangères sous certains aspects qu'aux compagnies canadiennes relativement aux politiques gouvernementales. Cette disposition prévoit plus que ce que les compagnies canadiennes reçoivent au Canada.

Je ne suis pas non plus d'accord avec M. Fréchette pour dire que nous pouvons être certains que ces dispositions ne représentent qu'une codification de ce que le droit international public prévoit déjà relativement à l'expropriation.

J'ai déjà conseillé des clients au sujet de l'ALENA dans certains cas dont je ne peux pas vraiment parler à cause du secret professionnel. Je peux cependant dire que la position prise par certains groupes américains laisse entendre qu'on ne peut pas considérer ces dispositions comme représentant de nouvelles concessions importantes qui ne sont pas reliées étroitement aux normes actuelles du droit international et qui n'ont pas été acceptées par les États-Unis, soit dit en passant, qui ont souvent négocié des dispositions tout à fait différentes et beaucoup plus strictes dans le cadre de traités d'investissement bilatéraux. Selon moi, ces dispositions pourraient très bien être interprétées par un comité de règlement des différends comme représentant de nouvelles concessions importantes qui, même si elles restent vagues, dépassent la portée du droit international.

De toute façon, vous courez un risque important parce que, comme au moins un témoin l'a dit, le montant de l'indemnisation à verser pourrait être énorme. Comme elle l'a dit, le principal problème, c'est que cela voudra dire qu'il n'y aura plus aucun règlement de publié, ce qui est quelque peu exagéré.

Même si cela arrivait, il y a aussi un risque que les gouvernements continueront de faire des règlements et qu'un groupe commercial décidera tout à coup qu'une mesure quelconque représente une expropriation et présentera au gouvernement une facture d'une centaine de millions de dollars. C'est un risque très réel, et je n'ai pas l'impression que des législateurs prudents peuvent se permettre de courir ce risque.

M. Charlie Penson: Il s'agit en réalité d'une expropriation déguisée.

M. Robert Howse: En effet, c'est une expropriation déguisée. Comme vous le savez, il est souvent arrivé dans le cadre du GATT et ailleurs que les comités de règlement des différends ne se laissent pas prendre à de tels déguisements. Je serais tout à fait satisfait si la disposition définissait de façon très stricte l'expropriation comme étant le fait d'enlever des biens ou toute mesure qui représente une acquisition déguisée.

• 1650

Autrement dit, tout comme certaines dispositions du GATT précisent qu'une mesure n'est pas exonérée s'il s'agit d'une restriction déguisée imposée au commerce, je serais tout à fait satisfait qu'on inclue une disposition de non-contournement disant que, si l'on essaie de déguiser une expropriation, on devra quand même verser l'indemnisation prévue.

Le président: Merci.

Monsieur Nault.

M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je semble être le seul jusqu'ici à chaque réunion qui veuille examiner tous les détails au sujet des consultations. J'essaie de comprendre la fonction de conclusion de traités par opposition à la négociation sous toutes ses formes, et le rôle que jouent le Parlement, les gouvernements et le public dans ce processus.

D'une part, il y en a qui disent que ce sont des négociations très secrètes et d'autres qui disent qu'on doit faire au grand jour et dire au reste du monde quelle est notre position et que, si nous sommes de bons scouts, les autres pays du monde accepteront ce que nous voulons ou bien refuseront et attendront de voir ce qui arrivera.

Je voudrais aller un peu plus loin. Dites-moi si, d'après certains, il est évident que le processus que nous utilisons n'est pas efficace. À ce moment-là, que pourrions-nous faire différemment, vu que les traités et les négociations de ce genre sont en train de devenir presque chose courante? Il faudrait que quelqu'un y consacre beaucoup de temps, qu'il s'agisse d'un comité permanent qui s'occupe de ces négociations régulièrement partout dans le pays, ou bien d'un site sur l'Internet où tout le monde pourrait jeter un coup d'oeil sur notre position et qui permettrait d'avoir un référendum chaque fois que nous voulons faire quelque chose, comme certains l'ont proposé.

Je voudrais savoir comment vous pensez que nous pourrions procéder. Dans une certaine mesure, il me semble que ce serait une bonne chose si les gens se faisaient confiance, vu que nous nous occupons des intérêts des Canadiens. Supposons que ce ne soit pas le cas; commencez par me donner des idées. D'après moi, vous pourriez peut-être dire publiquement comment nous pourrions procéder autrement si vous n'aimez pas ce que fait maintenant le gouvernement du Canada.

Mme Michelle Swenarchuk: Il y a déjà d'autres modèles au Canada. Les traités internationaux du Canada ne sont pas tous négociés en secret. Je fais par exemple partie du comité consultatif canadien, et de temps à autre d'une délégation, qui négocie un traité commercial international sur le mouvement transfrontalier des organismes modifiés génétiquement, c'est-à-dire du protocole sur la biosécurité. Je suis représentante non gouvernementale à cette équipe de négociation. Nous faisons rapport de nos progrès à ceux que nous représentons. L'équipe comprend des membres de l'industrie, des universitaires et des employés des divers ministères gouvernementaux en cause. Les renseignements sur tout ce qui se fait lors de ces séances de négociation peuvent être obtenus publiquement. À la fin d'une séance de négociation d'une semaine à Montréal, on publie un rapport sur la position de chaque pays.

C'est la même chose pour toutes les négociations des organismes de l'ONU. Le modèle existe, et le gouvernement du Canada pourrait suivre l'exemple de ces organismes de l'ONU. D'après moi, il pourrait appliquer le même modèle aux négociations commerciales.

Dans le passé, les accords commerciaux ont toujours été négociés dans le secret le plus total. Cela remonte jusqu'aux accords du GATT en 1947. D'après moi, ce n'est tout simplement plus acceptable, parce que les conséquences, les sujets visés et la portée des accords sont tellement énormes qu'il y a très peu de choses que fait le gouvernement qui ne sont pas touchées. Il est donc temps d'après moi de reprendre le modèle de l'ONU et de tenir ces négociations en public.

Mme Elizabeth Smythe: Je suis d'accord. D'ailleurs, mon premier exemple allait être celui des Nations Unies elles-mêmes, qui fonctionnent selon un modèle différent.

Je ne veux pas trop critiquer l'OCDE. Cet organisme s'inscrit quelque part entre l'OMC et l'ONU, parce qu'il a toujours eu dans le passé des représentants des syndicats et des comités consultatifs commerciaux. Le fait est que d'autres intervenants sont maintenant en cause et que cet accord sur l'investissement aura d'énormes conséquences pour toutes sortes de domaines et toutes sortes d'autres intervenants.

Au niveau national, il y a beaucoup de différences entre ne rien dire du tout au sujet de ce qu'on fait et dire absolument tout. Par exemple, je pense qu'on pourrait être beaucoup plus ouvert au départ sur les questions reliées au mandat de négociation.

• 1655

Il existe des comités consultatifs, et nous en avons déjà eu pour les négociations commerciales internationales. J'ignore si l'on s'en est servi aussi efficacement qu'on aurait pu le faire, et je ne pense pas non plus qu'ils représentent vraiment tous les secteurs. J'ai compté rapidement les membres d'un comité consultatif sur le commerce international, qui comptait peut-être 23 membres, dont une proportion énorme représentait les entreprises et les autres les écoles commerciales. Ces comités comptent très peu de représentants des domaines syndical ou environnemental, des consommateurs et d'autres groupes. Je pense qu'on pourrait facilement combler cet écart.

D'après moi, le Parlement aurait un rôle à jouer notamment pour déterminer le mandat de négociation. Le gouvernement des États-Unis se débrouille fort bien pour négocier des accords commerciaux internationaux même s'il doit expliquer ses objectifs de négociation au Congrès et si son mandat fait l'objet de longs débats.

Je pense donc que l'on pourrait trouver un compromis. Nous pourrions avoir un processus beaucoup plus ouvert qu'à l'heure actuelle.

Le président: Monsieur Howse.

M. Robert Howse: Vu que je dois partir, ce sera ma dernière intervention.

Tout d'abord, les comités comme le vôtre pourraient jouer un rôle énorme, mais ils ont besoin pour cela de certains moyens de recherche. Nous devons aussi nous attaquer aux attitudes secrètes qui existent encore dans certains services du ministère des Affaires étrangères et inciter les fonctionnaires à fournir beaucoup plus de renseignements aux comités parlementaires, y compris certains documents. Si les documents en question ont une cote de sécurité qui cause un problème, on devrait avoir un mécanisme pour résoudre le problème.

Aux États-Unis, les fonctionnaires parlent au Congrès parce que celui-ci précise bien que s'il n'est pas satisfait des renseignements qu'il obtient, l'accord risque fort d'être rejeté. Le problème au Canada, c'est que trop de gens considèrent que nous devons accepter tout ce que nous pouvons obtenir et qu'il est tout à fait inacceptable pour le Canada de dire qu'un accord n'est pas à notre avantage et qu'il le rejette. On nous a répété constamment dans le cas de l'Accord de libre-échange, de l'ALENA et de divers autres accords que nous ne pouvons pas rejeter ces accords, peu importe s'ils nous sont défavorables.

Au cours de négociation donnée à Harvard par Roger Fisher, j'ai appris que c'était une stratégie catastrophique pour un négociateur. La façon automatique d'être totalement impuissant dans une négociation, c'est de n'avoir rien sur quoi se rabattre, c'est-à-dire une position au cas où les négociations n'aboutissent pas. À moins d'être préparés psychologiquement à dire que nous ne signerons pas un mauvais accord, nous n'avons pas vraiment d'incitatifs à apporter les modifications voulues.

Merci, et je m'excuse de devoir partir.

Le président: Monsieur Howse, je vous remercie d'être venu. Je sais que vous devez partir. Je tiens cependant à vous garantir que nous avons d'excellentes ressources. Nous avons la Bibliothèque du Parlement. D'ailleurs, vu que la question est tellement complexe, nous avons retenu les services de Christopher Maule, un professeur de l'Université Carleton. Nous avons donc toutes les ressources nécessaires, je pense.

Avant que vous partiez, j'ai noté que le ministre a dit, quand il était ici—il l'a vraiment affirmé de façon catégorique—que le Canada ne signerait pas d'accord simplement pour le plaisir de la chose. À moins que ce ne soit dans l'intérêt du Canada, il ne signera pas l'accord, mais je ne sais pas jusqu'où vous voulez qu'il aille.

Monsieur Sullivan, très rapidement.

M. Alan Sullivan: Je voudrais faire trois observations très rapides, monsieur le président. D'ailleurs, pour ce qui est des arrangements de nature pratique, si j'étais à la place du comité, j'essaierais d'abord de voir à quel point cette question suscite l'intérêt dans le pays. Autrement dit, s'il y a très peu de Canadiens qui s'intéressent à la question, on pourrait peut-être les consulter directement au lieu de monter une opération digne de la Troisième Guerre mondiale. Une chose à déterminer, ce serait donc de savoir dans quelle mesure cette question suscite beaucoup d'intérêt dans le pays. D'après moi, il pourrait y avoir pas mal d'intérêt sur cet accord particulier partout dans le pays.

Deuxièmement, comme j'ai déjà travaillé dans le domaine des questions internationales, je note que, dans une certaine mesure, vous êtes victime de ceux avec qui vous négociez, parce que, s'ils ne sont pas prêts à jouer le jeu comme vous voulez qu'ils le jouent, vous risquez de ne pas pouvoir participer au jeu. Il me semble que c'est au gouvernement à en décider. À un moment donné, il devra décider s'il veut changer les règles du jeu, ou bien quelles seront les conséquences d'une telle décision, dans quelle mesure ils doivent le faire et ce que cela représenterait pour les intérêts du Canada à la fin du compte.

• 1700

Troisièmement—et je regrette que notre collègue soit parti—l'une des différences entre le système canadien et le système américain, je pense, c'est que, selon la constitution américaine, comme tout le monde ici le sait peut-être, le Sénat doit fournir des conseils et donner son approbation dans le cas de traités internationaux. Autrement dit, le président ne peut pas signer un accord international sans l'approbation du Sénat, alors que, au Canada, si je ne m'abuse, l'exécutif, c'est-à-dire le gouvernement du jour, a le pouvoir de signer des accords internationaux.

M. Robert Nault: Et j'imagine que, certains jours, le président voudrait bien pouvoir faire la même chose.

Je vous remercie beaucoup de nous avoir fait part de vos commentaires sur la façon de mieux renseigner les gens. Vous devez cependant vous rappeler que le contraire est vrai.

Le Canadien moyen n'a pas la moindre idée de qui fait partie de ces organismes dont vous parlez. Bien entendu, le Canadien moyen compte sur ses représentants élus beaucoup plus que sur ces organismes qui produisent leur propre enthousiasme à propos de leur travail et de leurs déclarations. C'est donc une arme à deux tranchants, et je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes ici cet après-midi. À la fin du compte, les députés doivent prendre une décision, à tort ou à raison.

Je voudrais dire un mot à propos de cet effet de refroidissement dont parlent les gens. Ce doit être une nouvelle expression qui est sortie depuis quelques années. Je ne trouve pas que la possibilité pour Ethyl Corporation d'intenter des poursuites—ou pour n'importe quelle autre entreprise dans une société démocratique—ait un effet de refroidissement. Dans les deux cas mentionnés cet après-midi, il n'y a pas vraiment eu de conclusion, et nous ne savons pas exactement qui va gagner et qui va perdre. J'ai bien l'impression que si Ethyl Corporation est sur le point de gagner et si le gouvernement du Canada pense que cela va avoir des effets négatifs, il fera quelque chose.

Je ne veux pas m'aventurer trop loin sur ce sujet, et je ne voudrais pas que la population puisse penser que le gouvernement canadien et ses responsables hésiteraient à agir a) dans l'intérêt de l'environnement et b) dans l'intérêt de leurs citoyens, simplement parce qu'une société décide qu'elle n'aime pas la façon de faire du gouvernement. On voit peut-être cela dans certains pays du tiers monde, mais je doute fort que cela donne de bons résultats ici. Je ne pense pas non plus que les Canadiens soient prêts à accepter ce genre de choses, car ce n'est pas pour cela que nous sommes ici. Je vais peut-être paraître un peu macho, mais je ne voudrais surtout pas que les Canadiens pensent que leur gouvernement va se soumettre de crainte d'être poursuivi par Ethyl Corporation. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

J'aimerais poser une autre question, sur une particularité de notre fédération qui m'intrigue beaucoup: les réserves provinciales. Il n'y a pas très longtemps, certains témoins nous ont dit que notre système de santé et notre politique sociale étaient menacés parce que les réserves relatives à la compétence provinciales n'étaient pas clairement énoncées. Pouvez-vous me dire si cela est vrai? Est-ce qu'il faudrait envisager d'inscrire dans le traité des réserves spéciales pour éviter que ce traité ne soit ignoré un jour ou l'autre, ou oublié après une vingtaine d'années parce qu'il n'est plus conforme à nos besoins?

Mme Michelle Swenarchuck: Je vais commencer par l'argument «effet de refroidissement». Le gouvernement ontarien a confié un mandat statutaire à notre organisme pour favoriser la réforme du droit, et à ce titre nous participons à des campagnes pour améliorer le droit environnemental.

Et vous le savez, les gens savent comment ce genre de choses se produisent. La Loi canadienne sur la protection de l'environnement est un bon exemple. Nous faisons campagne pour faire accepter une norme particulière. Nous formons des alliances avec des gens et organismes de tout le pays qui partagent notre désir d'appliquer cette norme. L'industrie concernée forme ses propres alliances, s'oppose à la norme ou présente ses propres arguments. Voilà comment se crée la politique environnementale, la politique en matière de santé, toutes les politiques publiques. Toutes sont le fruit de compromis entre les divers intérêts en présence, et je reconnais que le gouvernement est là pour faire ces compromis.

• 1705

Cela dit, il y a invariablement divergence d'opinions, et dans notre cas, c'est le plus souvent entre nous-mêmes et les industries concernées. Vous ne savez pas combien de fois depuis dix ans les fonctionnaires nous disent: «Oh, vous ne pouvez pas faire cela à cause de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis...» «Et pourquoi donc?» «parce que cela pourrait être contesté, et dans ce cas...», bla, bla, bla. Les fonctionnaires supposent toujours que nous allons perdre notre cause, et par conséquent on ne peut pas imposer une norme car elle sera contestée et annulée.

C'est déjà une situation concrète dans la politique canadienne.

Le gouvernement était extrêmement conscient des pouvoirs d'expropriation de l'ALENA, car on le poursuit pour une somme énorme. Cela ne va pas arranger les choses, et nous pouvons nous attendre à ce qu'on nous dise de plus en plus: nous ne pouvons pas faire cela, nous ne pouvons pas courir le risque de poursuites pour indemnité.

Quant à la question des réserves, effectivement, il faudrait rectifier l'énoncé pour qu'il englobe les politiques provinciales sans le moindre doute.

Le président: Monsieur Fréchette.

[Français]

M. Serge Fréchette: Pour répondre à la première question, il me semble que, essentiellement, ce dont on parle c'est toute la question—je vais renverser l'ordre des questions—de la protection de la souveraineté ou, si vous voulez, l'intervention provinciale au niveau de la protection des mesures relatives à la santé publique.

Comme je l'ai dis plus tôt, la réserve qui a été déposée par le gouvernement fédéral, dans son libellé actuel, ne couvre que le niveau fédéral. Pourquoi? Parce que je ne détiens aucune confidence à ce niveau-là, je ne fais pas partie de l'équipe de négociations mais, très souvent, les provinces attendent avant de soumettre leurs propres réserves, de voir ce qu'est le package complet, ce qui est offert, quelles sont les obligations, la portée des obligations et ce qu'elles ont à gagner ou à perdre quant à la fourniture de réserves, quant à la prise de réserves elle-même.

À l'heure actuelle, comme je l'ai dit plus tôt, il n'y a aucune clause fédérale dans l'accord qui permette au gouvernement fédéral, advenant qu'une des mesures canadiennes soient contestées, de limiter la portée de ce challenge-là sur l'intervention provinciale. C'est-à-dire que la clause fédérale a pour objet, normalement, dans un traité, d'imposer une limite quant à la portée des obligations sur les niveaux de gouvernements inférieurs, entre guillemets, c'est-à-dire les niveaux provinciaux et les niveaux locaux.

Ce qui se produit à l'heure actuelle, fort probablement, c'est que les provinces attendent de voir ce que sera le package dans sa totalité avant de décider si elles iront de l'avant avec une fourniture de leurs propres réserves. Dans ce cas, si elles sont d'accord pour accepter que les obligations s'appliquent à elles, de façon volontaire, c'est-à-dire qu'elles acceptent que dans leur champ de responsabilités respectives, champ constitutionnel de responsabilités, elles entendent se soumettent aux obligations de traitement national, soit la nation la plus favorisée et autre.

Fort probablement, elles soumettront elles-mêmes au gouvernement fédéral une liste de réserves qu'elles veulent voir inclues à l'intérieur de la liste canadienne auquel cas, par exemple, la réserve fédérale, telle qu'elle est stipulée à l'heure actuelle, sera probablement modifiée pour inclure les niveaux fédéral et provinciaux, de telle sorte que son libellé, qui est essentiellement le même libellé que ce qu'on a, à l'heure actuelle, dans l'ALENA, couvrira et les mesures fédérales et les mesures provinciales. Cela devient, par la suite, une question d'interprétation à savoir si le libellé lui-même couvre le genre de mesures qui seront adoptées par une province à savoir si elles sont exclues de l'application des obligations ou pas.

Donc, c'est de cette façon que fonctionne les réserves. Tant et aussi longtemps que les provinces n'auront pas accepté de soumettre leur juridiction, c'est-à-dire leurs mesures elles-mêmes au cadre du traité et qu'il n'y aura pas de clause fédérale qui ira au-delà de ce qu'elles sont normalement, il n'y aura pas d'implication directe dans les champs de compétence provinciale, de telle sorte que, même dans le contexte actuel, si le libellé demeurait ce qu'il est, les mesures provinciales qui sont à l'intérieur du champ très spécifique de responsabilités des provinces, ne seraient pas touchées par l'accord, parce que le fédéral n'a aucune juridiction constitutionnelle pour intervenir au niveau de la mise en oeuvre des obligations internationales, dans les champs de compétence exclusive provinciale.

Les champs dont on parle sont en grande partie des champs de juridiction provinciale, de telle sorte que si le fédéral était soumis à une contestation et que la mesure canadienne était considérée comme étant illégale, le fédéral n'aurait rien pour forcer les provinces, qui auraient ces mesures-là, à modifier leur régime interne pour se conformer à l'obligation.

Le gouvernement fédéral devrait payer le prix autrement, parce qu'il demeure assujetti à son obligation internationale, mais il n'y aurait rien qui irait modifier la mesure provinciale.

• 1710

J'essaie donc de dire que, ultimement, on est encore très tôt dans le processus pour déterminer si certaines mesures provinciales dans ce secteur-là sont en danger ou ne le sont pas. Je pense qu'en bout de ligne, les provinces devront faire une évaluation de ce qui constitue le package pour déterminer la façon dont ils entendent se soumettre volontairement ou non, en ce qui a trait à leur champ de juridiction respectif, au cadre des obligations, et c'est à cela qu'on en vient à l'heure actuelle.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Fréchette. C'est à M. Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Merci à nos invités. Ma première question s'adresse à Mme Smythe. J'aimerais que vous nous confirmiez—il me semble que j'ai compris clairement, mais je veux m'en assurer—que, comme plusieurs autres panelistes à l'exception de M. Sullivan, si je ne m'abuse, vous aviez dit: «que l'on signe ou qu'on ne signe pas, cette entente-là ne serait pas une catastrophe pour le Canada».

Est-ce bien ce que vous avez dit?

Quant à vous, monsieur Sullivan, vous avez dit que, par principe, le Canada devait signer cette entente. Non? Donc, on pourrait ne pas signer, cela ne serait pas une catastrophe non plus.

[Traduction]

M. Alan Sullivan: Je ne vous ai pas dit si nous devrions signer ou ne pas signer. J'ai dit que c'était au gouvernement de décider. Cela dit, il serait normal que nous participions au processus de négociation. Nous devons participer aux négociations, et en fin de compte nous pourrons décider si nous souhaitons signer le traité tel quel, le signer avec des réserves, ou ne pas le signer du tout.

Mme Elizabeth Smythe: J'aimerais vous expliquer mon raisonnement un peu mieux, car c'est un sujet que j'ai développé un peu plus dans mon texte écrit.

D'après ce que je comprends, lorsque les limites ou les obstacles causent des problèmes aux investisseurs canadiens, il ne s'agit pas des pays membres de l'OCDE. Par conséquent, cet accord ne règle pas forcément leurs problèmes. L'idée, c'est que cet accord deviendrait un modèle que les pays qui ne sont pas membres de l'OCDE pourraient signer.

Si cet accord n'était pas conclu, ou si le Canada décidait de ne pas le signer, plus de la moitié de nos investissements, c'est-à-dire nos investissements aux États-Unis, sont couverts par l'ALENA. Nos investissements au Mexique sont couverts également. Nous avons des ententes commerciales bilatérales avec le Chili, et ces investissements-là sont donc couverts également. Il est possible que le Chili décide d'adhérer au traité, et rien ne nous empêche de signer des ententes bilatérales avec d'autres pays.

Un processus de protection des investissements étrangers existe déjà, et, enfin, les travaux sur les règles d'investissement de l'OMC se poursuivent.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais connaître votre opinion, à vous quatre qui restez, sur le rôle des députés et le rôle de ce comité après le dépôt du rapport. Avant la fin de l'année 1997, nous allons devoir rédiger un rapport, le déposer et la ronde finale et intensive de négociations sera entreprise dès janvier pour se terminer quelque part, il semblerait, en avril.

Mais là, on nous fait travailler depuis un mois sur une ébauche d'un document où le trois-quart est entre parenthèses et où on peut voit l'orientation des négociateurs. Je vous avoue que, depuis un mois, les témoins nous ont ébranlés à plusieurs égards et nous ont donné des informations très pertinentes.

Selon vous,—moi j'ai ma petite idée là-dessus— devrait-on laisser aller les négociateurs et, après cela, comme on a vu souvent dans l'Accord de libre échange avec le Chili ou Israël, voter les accords de mise en oeuvre ou ce travail-là, l'après négociation, devrait être revu, soit par le comité, un peu comme M. Nault l'a dit précédemment, et aussi entendre d'autres témoins.

Monsieur Fréchette.

M. Serge Fréchette: Peut-être un peu pour m'éloigner de ce qui a été dit par d'autres participants un peu plus tôt, pour avoir participé à plusieurs négociations bilatérales, trilatérales et multilatérales dans le passé, je peux vous assurer que le processus, tel qu'il existe maintenant, est probablement loin d'être parfait, j'en conviens. Mais, il est probablement l'un des plus transparents que j'aie vu et, en ce sens-là, moi, je suis encouragé qu'à tout le moins, les gens aient l'opportunité de regarder un texte qui en est encore au niveau de l'ébauche. C'est quelque chose qui, à ma connaissance, n'a jamais été fait.

Je pense qu'il est nécessaire, compte tenu de ce qui a été dit, et je suis tout à fait d'accord, des enjeux actuels qui sont négociés dans ces accords, l'interrelation entre les obligations des autres secteurs, il y a une plus grande implication du public, soit par l'entremise d'interventions devant des comités comme le vôtre ou par l'entremise d'autres mécanismes mis en place par l'administration fédérale et même provinciale. Il ne faut pas oublier qu'il y a des intérêts provinciaux qui sont en jeu là-dedans et des interventions doivent être faites tout au cours du processus.

• 1715

Il y a plusieurs façons pour le gouvernement fédéral de décider de mettre en place des mécanismes comme ceux-ci et, aussi, plusieurs façons pour le Parlement de s'impliquer à l'intérieur de mécanismes comme ceux-ci en demandant à ce que l'administration fédérale intervienne et vienne finalement faire part du déroulement des négociations.

Il y a une limite, cependant, et je peux vous dire que, comme négociateur, il y a une certaine limite quant au degré de transparence qui peut avoir lieu et ce qu'on doit essayer de chercher c'est l'équilibre. Il n'en demeure pas moins que, parce que les intérêts sont de plus en plus importants et que la pénétration qu'ont ces accords sur les régimes domestiques est de plus en plus grande, il est nécessaire pour les gens d'avoir de plus en plus d'implications dans le développement de la politique qui touche ces accords-là et aussi dans le développement des règles.

Donc, je pense que tout ce qu'on peut faire c'est de continuer à vous encourager, comme comité, de demander aux gens qui sont impliqués dans les négociations d'intervenir, non pas juste ceux qui sont impliqués, mais aussi ceux qui sont touchés à tous les niveaux, un peu comme vous le faites maintenant.

[Traduction]

Mme Elizabeth Smythe: J'aimerais faire une observation.

Après ces audiences, votre comité va certainement préparer un rapport, et il devrait certainement en profiter pour discuter des compromis importants que le Canada pourrait être appelé à accepter. Les compromis sont la véritable clé de ce genre de négociations. Vous devez donc vous pencher sur ces questions dans votre rapport pour que le public et le gouvernement puissent donner leur opinion.

Ce n'est pas à moi de dire au gouvernement comment il doit terminer les négociations, puisque aux termes de notre Constitution le gouvernement a le droit de procéder comme il le fait. Toutefois, j'espère qu'à la suite de votre rapport, lorsque l'entente finale sera signée, lorsque la loi habilitante sera soumise au Parlement, j'espère que le gouvernement ne manquera pas d'expliquer comment cette importante question soulevée par votre comité a été traitée au moment de l'entente finale.

J'aimerais également qu'on s'engage à apporter des changements lors de négociations futures. Il est difficile de changer le processus à mi-chemin, et nous sommes allés trop loin dans ce processus pour espérer que le gouvernement changera sa façon de procéder, mais j'aimerais que votre comité formule des recommandations sur la façon dont le gouvernement devrait procéder à l'avenir. Je pense à une meilleure consultation, d'autant plus que ces accords ont un impact de plus en plus grand sur les Canadiens.

Le président: À titre d'information pour mes collègues et pour nos témoins, lorsque notre comité dépose un rapport, il demande toujours au gouvernement d'y répondre dans un certain délai; par conséquent, certainement, le gouvernement sera tenu de répondre. Bill connaît mieux les règles que moi, mais je crois que le gouvernement dispose de 150 jours, environ, pour répondre aux recommandations du comité.

Mme Michelle Swenarchuk: Puis-je ajouter quelque chose à ce sujet?

Le président: Certainement.

Mme Michelle Swenarchuk: Pour commencer, reprenez-moi si je me trompe, mais pour autant que je sache, si le processus a été aussi ouvert cette fois-ci, ce n'est pas parce que l'OCDE a publié l'ébauche de l'accord, c'est parce qu'il y a eu des fuites, et c'est ce qui a permis à des gens comme moi de le lire.

Deuxièmement, nous avons eu la même expérience lors des négociations de l'ALENA. À cause de certaines fuites, nous avons pu en voir un exemplaire en mars 1992. Ce n'était pas le texte définitif, mais il était déjà très avancé. Celui-ci doit être conclu en mai prochain. À quelques changements près, l'ébauche et la version définitive se ressemblaient beaucoup. Ce que nous avons ici est très proche de ce que veut l'OCDE.

Par conséquent, une intervention de votre comité serait certainement très utile, et le plus tôt sera le mieux. À mon avis, il ne faut pas attendre pour tenter de modifier sérieusement la position du gouvernement canadien. Si une recommandation s'impose, il faut la faire immédiatement.

• 1720

Au sujet de l'exactitude de ce texte, je représentais une des organisations non gouvernementales qui ont rencontré l'OCDE en octobre. Elles ne doutaient pas qu'il s'agissait du document de travail, et le texte n'a pratiquement pas changé depuis que nous en avons pris connaissance à la suite d'une fuite. Autrement dit, l'accord définitif ne sera pas tellement différent de ce texte, à quelques exceptions près.

Le président: Effectivement, nous devons présenter un rapport avant Noël, un rapport qui, fondamentalement, exprime l'opinion des Canadiens sur ces questions, car, apparemment, les négociations doivent se poursuivre en janvier. Le gouvernement aura donc ce rapport en main avant de reprendre les négociations en janvier.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Fréchette, plus tôt, vous avez parlé de la distinction, dans la définition, de l'industrie culturelle par rapport à la culture en général. Je ne vous demanderai pas le libellé que vous proposeriez, parce que ce serait peut-être long, mais je vais vous demander, sur les trois sujets suivants: le droit du travail, l'environnement et, spécifiquement, en ce qui a trait au développement durable et à la culture, si vous croyez, comme l'expression le dit, que ce soit des «deal-breaker».

Nous ne sommes pas les négociateurs, nous sommes des gens qui discutent et qui allons orienter, espérons-le, les négociateurs du gouvernement. Selon vous, est-ce que ce sont trois sujets suffisamment importants pour être des sujets élémentaires?

M. Serge Fréchette: À mon avis, ce sont trois sujets particulièrement importants, justement parce que, comme je le disais plus tôt, c'est un accord qui a une portée potentielle très importante sur des secteurs de la vie quotidienne de chacun, que plusieurs accords auparavant n'avaient pas. L'ALENA a une portée identique et le gouvernement a tenté de préserver son habileté d'intervenir pour préserver sa capacité de réglementer dans les secteurs auxquels vous avez fait référence.

Je pense qu'il faut maintenant se poser la question si la façon dont le gouvernement a tenté de préserver son habileté est la meilleure. On l'a vu dans le cas de l'industrie culturelle, particulièrement à la lumière de ce qui a été décidé récemment dans le cadre de l'OMC, dans le cadre des questions environnementales et des questions du travail. Je pense que toute la question de l'interface entre les mesures sur l'investissement, les mesures sur le commerce, les normes de travail et les mesures en matière environnementale, tout ce débat-là doit avoir lieu. Il n'a pas encore eu lieu.

Donc, idéalement, le gouvernement devrait faire en sorte de se préserver le maximum de marge de manoeuvre pour intervenir tout en reconnaissant, cependant, que ce qui est négocié et ce qu'on vise à faire, c'est empêcher les gouvernements, même sous le couvert de mesures comme celles-là, autrement légitimes, d'adopter des mesures qui soient purement protectionnistes. Cela s'est vu dans le passé, des mesures protectionnistes adoptées sous le couvert de mesures environnementales. La question est celle de l'équilibre à la lumière des disciplines actuelles et celles qu'on négocie, mais ce sont trois secteurs névralgiques, il n'y a aucun doute. Ce sont les deal-breaker.

M. Benoît Sauvageau: En ce qui a trait à l'environnement et aux droits du travail, les accords parallèles ou les réserves seraient insuffisants. Cela doit-il être inclu dans l'accord, selon vous, ou quelle importance doit-on leur apporter? Le négociateur en chef ou le ministre, je ne me rappelle pas lequel des deux, nous a dit que la position canadienne était semblable à celle qui a prévalu dans l'ALENA. Est-ce une implication assez grande?

M. Serge Fréchette: En ce qui me concerne, des accords parallèles seraient suffisants. La question devient cependant la nature des obligations contenues dans ces accords-là et la question de savoir si ces obligations-là peuvent être mises en oeuvre par le biais d'un mécanisme de règlement des différends qui soit valable, qui soit à l'intérieur de l'accord ou en parallèle avec l'accord, pour autant que les mêmes parties soient signataires et qu'ils aient des forces de loi. Je pense que le cachet parallèle ou encore accord principal n'a aucune espèce d'importance.

Ce qui est important, c'est le corps même des obligations. Est-ce que ce sont des obligations formelles qui engagent les parties dans ces secteurs-là ou est-ce que c'est tout simplement un engagement à tenter de faire certaines choses? Il faut encore voir ce qu'il a dans le cadre des accords parallèles sous l'ALENA qui étaient des accords, somme toute, tentatifs, dans ce sens qu'on essayait d'établir un régime, c'était la première fois.

Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Sauvageau?

[Traduction]

Monsieur Blaikie.

• 1725

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Le dernier intervenant m'a devancé, car je voulais parler de l'environnement.

Dans votre exposé, vous citez les diverses initiatives en matière d'environnement, et vous dites que ce n'est pas suffisant. Mais si j'ai bien compris, vous ne parlez pas de tout ce qui peut se faire aux termes d'accords parallèles, comme c'est le cas dans l'ALENA. Il me semble que même avec des accords exécutoires aux termes de l'ALENA, les trois gouvernements signataires de cet accord, les trois amigos, sont tenus d'appliquer leurs propres lois. Ils ne sont pas tenus de respecter un ensemble de normes environnementales reconnues par les trois pays, et cela vaut également pour les questions de travail.

S'il y a un volontaire parmi vous, j'aimerais savoir ce qu'il en pense, car plusieurs témoins ont dit que les choses se passeraient ainsi, c'est-à-dire que cette question serait réglée aux termes d'accords parallèles reproduisant les dispositions de l'ALENA, tout comme l'AMI reprend beaucoup d'éléments de l'ALENA.

Mme Michelle Swenarchuk: Je vais répondre.

Nous n'avons jamais considéré que les accords parallèles étaient une bonne solution pour régler les problèmes d'intégration, à la fois économiques et environnementaux, de l'ALENA. Lorsque j'entends dire que le gouvernement du Canada a l'intention d'utiliser des accords parallèles cette fois-ci, je me souviens que pour l'accord Canada-Chili, c'était également la seule chose qu'ils acceptaient d'envisager.

Nous avons publié des critiques sur l'accord parallèle de l'ALENA. Je n'en dirai pas plus pour l'instant.

Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les pouvoirs prévus dans les accords parallèles n'affectent pas vraiment les relations commerciales. Il s'agit d'accords de coopération sur des programmes de coopération, et tout cela reste à l'extérieur du contexte commercial. À mon avis, cela ne comporte aucune protection contre d'éventuels problèmes environnementaux ou des problèmes politiques causés par les accords commerciaux.

M. Serge Fréchette: Un des problèmes fondamentaux à l'heure actuelle, c'est de trouver le juste milieu entre la politique commerciale, la politique environnementale et la politique du travail. À cause des accords qui existent déjà, il est important de régler ces problèmes le plus tôt possible, ce que personne ne conteste.

Nous essayons de conserver aux gouvernements leur pouvoir d'adopter certains types de mesures, mais nous ne savons pas encore quels seront les pouvoirs de ces gouvernements aux termes de ces accords. Certains pensent que l'énoncé actuel va grandement limiter ces pouvoirs. D'autres prétendent que les gouvernements restent libres d'adopter des mesures positives pour conserver les normes environnementales et les normes sur le plan du travail, mais c'est seulement parce qu'on a eu des exemples regrettables dans le processus de règlement des différends. C'est la raison pour laquelle ce n'est pas brillant.

L'important, c'est que, quoi que nous fassions aujourd'hui, il importe de permettre au gouvernement d'avoir un impact maximum sans faire appel à ces politiques discriminatoires qui limitent l'activité commerciale. En effet, que nous le voulions ou non, ces accords sont là pour assurer la libre circulation des biens, des services et des investissements.

Ce qu'il va falloir maintenant... C'est la raison pour laquelle j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait conserver un maximum de flexibilité: en effet, les prochaines négociations à l'OMC, et ailleurs, vont s'attaquer à ces problèmes qui deviennent chaque jour de plus en plus importants parce qu'ils touchent directement les Canadiens.

Nous tous, au Canada, allons devoir nous demander ce que nous souhaitons réaliser, et quels rapports nous voulons établir entre ces accords commerciaux et les autres accords.

À de nombreux égards, les négociateurs commerciaux ne sont pas très bien équipés pour traiter de ces questions, parce qu'ils ne comprennent pas leurs complexités. C'est une chose qu'ils doivent comprendre avant d'aller discuter de tous ces rapports complexes. Pour l'instant, je ne crois pas qu'ils soient prêts. Il va falloir attendre quelques années encore, et avant d'y parvenir, il va falloir éduquer les gens.

• 1730

M. Bill Blaikie: Michelle, pourriez-vous développer la dernière ligne de votre mémoire où vous dites que l'AMI ne fait rien pour trouver un équilibre entre les intérêts industriels des pays du Nord et les besoins des pays de l'hémisphère Sud, ce qui permettrait de remédier à la pauvreté. Je sais que cela n'a pas un rapport direct avec l'environnement, mais cela mérite tout de même d'être développé.

Mme Michell Swenarchuk: C'est un sujet qui nous ramène aux arguments d'un grand nombre de Canadiens au sujet de l'impact de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis. En effet, certains d'entre nous pensent qu'il est tout à fait légitime pour les gouvernements d'accorder certaines préférences pour favoriser le développement local, par exemple, ou créer des emplois. En notre qualité d'environnementalistes, nous pensons qu'on est justifié d'insister pour tirer une valeur ajoutée de nos ressources au lieu de les exporter brutes. C'est une des grandes préoccupations de mes collègues du Sud en ce qui concerne cet accord: ils craignent que cela n'empêche leurs gouvernements d'adopter des cadres juridiques de ce genre pour favoriser le développement local.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib): Merci, monsieur le président.

Vous m'avez permis de voir d'un oeil tout à fait nouveau certaines questions dont nous avons déjà beaucoup entendu parler. J'apprécie énormément ce genre de choses car cela me permet de mieux comprendre ces questions. Avant d'entrer dans ces détails, j'aimerais préciser une ou deux choses.

Premièrement, la question de la participation des provinces. Certains ont beau penser que le processus est insatisfaisant, mais je vous assure que nous consultons les provinces très régulièrement. En fait, pendant tout le processus, les provinces sont consultées chaque mois. Lorsqu'on s'est mis d'accord sur une ébauche pour l'AMI, les provinces ont été consultées immédiatement après cette réunion, et de toute façon, elles sont consultées chaque mois. Nous espérons que cet élément-là au moins du processus est acceptable.

Nous espérons qu'un autre élément de l'accord sera jugé d'une façon positive; il s'agit de l'extraterritorialité. Mais on a même mentionné la Loi Helms-Burton aux États-Unis. Il ne faut pas oublier que le principe d'extraterritorialité n'a rien de nouveau. Les États-Unis l'appliquent dans ce pays depuis des années et des années, et si cela ne va pas jusqu'aux compagnies avec lesquelles ils n'ont pas de rapports particuliers, cela s'applique certainement aux compagnies qu'ils possèdent au Canada, c'est-à-dire les filiales canadiennes qui leur appartiennent exclusivement, et qui sont tenues d'observer les règles de la politique étrangère américaine. Si cet accord se conclut, et on peut se demander si ce sera le cas, il faut espérer que nous pourrons obtenir cela.

On a parlé de l'expropriation, un élément très important des négociations. J'en ai parlé au négociateur en chef, et je sais que c'est une grave préoccupation. Vous avez parlé d'un type d'expropriation qui va plus loin que la saisie d'actifs ou de biens immobiliers. Il s'agit de changements réglementaires, de changements de zonage, d'occupation des sols, etc. Sur la base de mon expérience personnelle, je peux vous dire que si ces choses-là sont considérées comme des expropriations, alors, j'ai été exproprié quatre ou cinq fois moi-même. Je suis un de ces individus regrettables qui possèdent des terres, et lorsque le zonage change, on m'impose des nouvelles règles, que j'aie été propriétaire de la terre ou pas avant le changement.

• 1735

Je pense que c'est une des questions dont nous devrions discuter avec le négociateur en chef lorsqu'il reviendra; nous devons nous assurer que ce complot socialiste ne s'infiltrera pas dans l'accord.

Nous savons aussi que c'est un gros problème pour l'OCDE parce que tous les pays ne sont pas des fédérations. Il y a des États unitaires, si bien que le processus de l'accord varie d'un pays à l'autre. Il est certain qu'il n'est pas facile de faire chanter au même diapason 29 pays qui sont tous différents les uns des autres. Ayant été jadis directeur de chorale, je peux vous dire qu'il n'est pas facile de faire chanter ensemble 29 personnes.

S'il importe d'aller jusqu'au bout de ces négociations, c'est en partie à cause de la nature même des multinationales. Quand on dit aux gens que la majorité des multinationales ne sont pas de grosses entreprises, ils sont très surpris. Ce ne sont pas les grosses entreprises qui ont un pied dans ce pays et un autre dans un autre pays, mais le plus souvent, ce sont de petites et moyennes entreprises. Elles sont dans la majorité.

Tout accord doit fonctionner dans les deux sens et si nous avons une compagnie basée au Canada, mais qui est une multinationale parce qu'elle a ouvert des bureaux au Chili, par exemple, c'est à nous de fixer les règles du jeu, parce que les petits entrepreneurs n'ont pas les ressources suffisantes pour se défendre seuls dans cette jungle. Voilà donc ce que nous recherchons.

Je n'ai pas vraiment de questions, à moins que vous n'ayez une observation à faire. Je vous remercie d'avoir abordé ces questions d'une façon tout à fait nouvelle, et je vous assure que nous allons approfondir les arguments que vous nous avez apportés.

Le président: Cela nous amène à la fin de nos délibérations. Je tiens à remercier les membres du groupe d'être venus et de nous avoir soumis leurs observations sur papier. Je vous assure que nous allons les étudier attentivement. Nous présenterons vos arguments non seulement au négociateur en chef, mais également au gouvernement lorsque nous ferons notre rapport.

Si vous avez quelque chose à ajouter plus tard, n'hésitez pas à contacter notre greffier. Nous devons préparer notre rapport d'ici la première semaine de décembre, et le déposer en Chambre avant l'ajournement, cette même semaine. De cette façon, le gouvernement aura notre rapport avant la reprise des négociations en janvier.

Je vous assure que notre comité va suivre de très près les délibérations finales de l'AMI, que ce soit en avril, en mai ou en juin. J'ai suivi ce qui se passait à l'OMC, et il a fallu deux ans de plus que prévu. Je ne sais pas si ce sera la même chose, mais quoi qu'il en soit, notre comité va suivre cela de près. Collègues, nous reprendrons nos travaux demain.

La séance est levée.