Privilège parlementaire

Introduction

Le privilège parlementaire s’applique aux droits et immunités jugés nécessaires pour permettre à la Chambre des communes, en tant qu’institution, et à ses députés, en tant que représentants de l’électorat, d’exercer leurs fonctions. Il désigne également les pouvoirs dont la Chambre est investie pour se protéger, ainsi que ses députés et ses procédures, d’une ingérence indue et s’acquitter efficacement de ses principales fonctions, soit de légiférer, délibérer et demander des comptes au gouvernement.

Les privilèges parlementaires furent revendiqués pour la première fois en Angleterre il y a plusieurs siècles, lorsque la Chambre des communes s’efforçait d’assumer un rôle distinct au sein du Parlement. Ces privilèges s’avéraient alors nécessaires afin de protéger la Chambre et ses députés du pouvoir et de l’ingérence du roi et de la Chambre des lords.

Les privilèges dont jouissent la Chambre et ses députés sont inscrits dans la Constitution et revêtent par conséquent la plus grande importance; de fait, ils jouent un rôle vital dans la bonne marche du Parlement. Cela est aussi vrai aujourd’hui qu’il y a des siècles, à l’époque où les Communes anglaises luttaient pour obtenir ces droits et privilèges.

Types de privilèges

Les privilèges des députés assurent l’immunité absolue dont ils ont besoin pour s’acquitter de leur travail parlementaire, alors que les droits collectifs de la Chambre sont les moyens indispensables dont elle dispose pour exercer efficacement ses fonctions. Les députés bénéficient de ces privilèges à titre individuel, car la Chambre ne peut pas accomplir son travail sans leur contribution. Par ailleurs, la Chambre en bénéficie collectivement afin de pouvoir protéger ses députés, de même que sa propre autorité et dignité.

Graphique décrivant les droits, immunités et pouvoirs jugés nécessaires à la Chambre en tant qu’institution et ceux nécessaires aux députés en tant que représentants de l’électorat.

Droits et immunités des députés

Les droits et immunités des députés à titre individuel peuvent être regroupés comme suit :

En règle générale, on considère que la liberté de parole au cours des délibérations parlementaires constitue le privilège le plus important des députés. Elle est protégée par la Loi constitutionnelle de 1867 et par la Loi sur le Parlement du Canada.

La liberté de parole permet aux députés de formuler librement toute observation pendant les travaux au Parlement, par exemple à la Chambre ou en comité, en jouissant d’une complète immunité de poursuite criminelle ou civile. La Chambre accorde également ce droit aux personnes qui comparaissent devant elle ou l’un de ses comités, et ce, dans le but de les encourager à communiquer toute l’information avec franchise, sans crainte de représailles ou d’autres actions défavorables. La Chambre des communes ne saurait mener efficacement ses travaux si ses députés et les témoins qui comparaissent devant ses comités ne pouvaient s’exprimer et formuler des critiques en toute liberté, sans devoir en rendre compte à des organismes de l’extérieur.

Le privilège de l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles découle de la nécessité pour la Chambre des communes de traiter la présence et l’exercice des fonctions des députés comme une priorité absolue, priorité qui tient à l’importance primordiale du Parlement.

Le privilège de l’immunité d’arrestation ne s’applique qu’aux affaires civiles. Il ne s’est jamais appliqué à des cas d’accusations criminelles contre des députés, pas plus qu’à toute autre affaire comportant un élément de criminalité, par exemple un outrage criminel au tribunal. Les députés qui sont accusés d’infractions à la loi sont assujettis à l’application régulière de la loi au même titre que tout autre citoyen.

La Chambre des communes n’offre pas un asile contre la loi. En effet, le droit pénal s’y applique comme partout ailleurs au Canada. Il n’existe aucune immunité quant aux actes criminels commis dans l’enceinte parlementaire, sauf à l’intérieur des limites très étroites du privilège parlementaire. Cependant, que la Chambre siège ou non, il est interdit aux forces policières extérieures de pénétrer dans l’enceinte parlementaire dans l’exercice de leurs fonctions officielles sans en avoir obtenu au préalable l’autorisation du Président.

L’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal s’appuie sur le principe voulant que la présence d’un député à la Chambre des communes ait préséance sur ses autres obligations et que la Chambre ait le droit prioritaire d’exiger la présence et les services de ses députés. Cette exemption s’applique également dans le cas des personnes citées à comparaître au même moment devant la Chambre ou ses comités.

L’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal s’applique aux affaires entendues par les tribunaux civils, criminels et militaires. Cependant, il est fréquent qu’un député renonce à exercer ce droit, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une poursuite pénale.

On reconnaît également que les fonctions parlementaires d’un député ou d’un haut fonctionnaire de la Chambre, par exemple le greffier de la Chambre, ont préséance sur le devoir de juré. Comme les tribunaux peuvent compter sur un vaste réservoir de jurés éventuels, il est généralement admis qu’il est dans l’intérêt supérieur du pays d’exempter les parlementaires de ce devoir civique.

Les députés ont le droit de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires sans avoir à subir de l’obstruction, de l’ingérence ou de l’intimidation.

Il est arrivé que l’on interprète des cas d’agression physique ou d’obstruction physique (comme des barrages routiers, des cordons de sécurité et des manifestations) comme des actes empêchant les députés d’accéder à l’enceinte parlementaire ou nuisant à leur liberté de mouvement dans cette enceinte.

Un député peut aussi être victime d’obstruction ou d’ingérence dans l’exercice de ses fonctions parlementaires par des moyens non physiques.

Il est impossible de codifier tous les incidents qui pourraient être interprétés comme des actes d’obstruction, d’ingérence ou d’intimidation, par des moyens physiques ou non physiques. Toutefois, certaines questions qui ont été jugées comme des atteintes au privilège à première vue comprennent le recours à la violence physique pour empêcher un député d’accéder à son bureau, l’atteinte à sa réputation, l’usurpation du titre de député, l’intimidation de députés, de leur personnel et de témoins devant les comités ainsi que la communication de renseignements trompeurs.

Droits collectifs de la Chambre

Les deux principaux pouvoirs ou privilèges collectifs de la Chambre des communes sont le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires et le droit exclusif de réglementer ses affaires internes.

La Chambre des communes peut prendre des sanctions contre quiconque, un député, un membre du personnel ou un « étranger » (personne qui n’est ni un député ni un haut fonctionnaire de la Chambre), se rend coupable selon elle d’une violation de ses privilèges ou d’un outrage au Parlement. Un large éventail de sanctions est applicable à ce genre d’inconduite.

Les pouvoirs disciplinaires de la Chambre des communes se rattachent au contrôle exercé par le Parlement sur ses propres affaires.

Un député peut être rappelé à l’ordre, se voir ordonner de mettre fin à une intervention, être « désigné par son nom » (suspendu pour le reste de la journée) pour n’avoir pas respecté l’autorité de la présidence, être privé de son droit de participer aux travaux de la Chambre des communes pour une période déterminée ou être expulsé. Il peut également être cité à comparaître à la barre, qui est située à l’arrière de la Chambre, pour recevoir une semonce ou un blâme, être déclaré coupable d’atteinte au privilège ou d’outrage à la Chambre, ou encore se faire ordonner de présenter des excuses.

Les étrangers peuvent être expulsés de la tribune des visiteurs ou de l’enceinte parlementaire. S’ils se rendent coupables d’outrage à la Chambre des communes, ils peuvent aussi être officiellement cités à comparaître à la barre de la Chambre si cette dernière adopte une motion à cet égard.

Les pouvoirs et les limites continuent d’être définis et adaptés au fur et à mesure que les précédents procéduraux et les décisions de la présidence s’accumulent en réponse à de nouvelles situations.

La Chambre des communes a le droit exclusif de diriger ses débats et ses délibérations. Elle seule peut prendre et modifier ses règles et gérer ses affaires internes sans ingérence extérieure ainsi que déterminer son emploi du temps et arrêter ses décisions. Bien que, en général, on encourage les députés à s’abstenir de débattre d’affaires en instance devant les tribunaux (sub judice), c’est un principe qu’on s’impose, et il n’existe aucune règle applicable à l’extérieur de la Chambre pour interdire de tels propos.

Le Parlement a le droit d’assurer la présence de ses députés. Sauf s’ils sont occupés à d’autres activités parlementaires, par exemple des réunions de comité, les députés sont censés être présents à la Chambre des communes lorsque cette dernière siège. En pratique, la Chambre se montre toutefois très souple à ce chapitre, et il est considéré comme inacceptable de mentionner la présence ou l’absence d’un député en Chambre. Étant donné que chaque parti, par l’intermédiaire de son whip, s’assure de la présence de ses députés, il est rare que la Chambre ait à prendre des mesures à cet égard.

Collectivement, la Chambre des communes a le droit de lancer des enquêtes. Elle peut convoquer des témoins, les obliger à comparaître et les faire témoigner sous serment. Elle peut aussi traiter comme un outrage au Parlement la présentation de faux renseignements. Elle peut ordonner et imposer la production de documents, et elle a le droit de publier des documents contenant des propos diffamatoires ou potentiellement diffamatoires. Les règles de la Chambre et ses ordres de renvoi habilitent en outre ses comités à exercer la plupart de ces droits collectifs.

Procédure relative aux questions de privilège

Un député qui estime qu’il y a eu violation du privilège ou qu’un outrage a été commis doit en saisir la Chambre à la première occasion. Si un député a satisfait à l’exigence du préavis écrit d’une heure et que le Président l’autorise à invoquer le privilège, il doit décrire brièvement sa plainte, après quoi le Président peut choisir d’entendre d’autres députés avant de décider s’il y a, à première vue, matière à privilège, c’est-à-dire s’il semble justifié qu’on accorde la priorité ou une attention immédiate à la question. Lorsqu’il se prononce sur une question de privilège, le Président évalue l’effet que l’incident ou l’événement a eu sur la capacité du député à s’acquitter de ses responsabilités parlementaires.

Si le Président détermine que la question de privilège est fondée à première vue, le député qui l’a soulevée est appelé à proposer une motion. Cette dernière peut faire l’objet d’un débat et demande habituellement que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre se penche sur la question. Si la Chambre adopte la motion, la question est renvoyée au Comité, qui peut choisir de convoquer des témoins experts. Le Comité dépose à la Chambre un rapport sur ses constatations et recommandations, à la suite duquel on peut proposer une motion d’adoption du rapport.

Limites du privilège

Le Parlement n’a pas le pouvoir de fixer par lui-même les limites de ses privilèges, qui figurent dans la Constitution du Canada, de sorte que les tribunaux ont compétence pour déterminer l’existence et la portée d’un privilège invoqué. Pour ce faire, ils ont habituellement eu comme principe directeur la protection de l’autonomie parlementaire contre les tribunaux et l’exécutif. La principale question posée par les tribunaux est de savoir si le privilège invoqué est nécessaire pour que la Chambre des communes et ses députés puissent s’acquitter de leurs fonctions, qui sont de délibérer, de légiférer et de demander des comptes au gouvernement, et ce, sans ingérence de l’extérieur du Parlement.

Une fois que l’existence et la portée d’une catégorie de privilège sont confirmées, l’exercice du privilège parlementaire ainsi que tout geste ou toute décision en découlant sont soustraits à l’examen des tribunaux.

Privilège et outrage

Un député ou un individu dont la conduite nuit à la Chambre dans l’exercice de ses fonctions ou aux députés dans l’exercice de leurs fonctions peut, par définition, faire outrage au Parlement. Par « outrage au Parlement », on entend tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions, ou transgresse l’autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes, ou des propos diffamatoires à son endroit ou à l’endroit de ses députés ou hauts fonctionnaires. Toutes les atteintes aux privilèges constituent des outrages à la Chambre, mais les outrages ne sont pas tous forcément des atteintes aux privilèges.