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CC2 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-2


NUMÉRO 007 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 15 novembre 2007

[Enregistrement électronique]

(0905)

[Traduction]

    Conformément à l'ordre de renvoi du vendredi 26 octobre 2007, le Comité législatif chargé du projet de loi C-2 poursuit son étude dudit projet de loi.
    Bonjour à tous. Bienvenue à notre dernière séance de cette semaine.
    Monsieur Landreville, je vous indique que nous avons quelques petits travaux de comité à régler avant de vous écouter. Si vous voulez bien patienter quelques minutes, nous allons régler cela, puis nous pourrons écouter votre exposé et vous poser nos questions. Merci.
    À la fin de notre réunion d'hier, vous aviez la parole, monsieur Ménard.

[Français]

    Monsieur le président, j'ai déjà fait connaître les arguments qui militent en faveur de la motion. Alors, si les collègues veulent ajouter quelque chose, je suis prêt à les écouter.

[Traduction]

    Je vais attendre.
    Merci.

[Français]

    C'est certain, monsieur le président, que j'ai déjà fait connaître les principaux arguments en vertu desquels le Bloc québécois a déposé cette motion.
    Maintenant, si jamais le gouvernement était réticent malgré l'amendement de Mme Jennings, qui me semble tout à fait raisonnable, serait-il envisageable de penser au moins à avoir une lettre signée par le ministre disant que les études ont bien été faites et que le projet de loi est constitutionnel?
    J'aimerais mieux voir les études — et je n'imagine pas que le gouvernement ait pu manquer de professionnalisme au point de ne pas avoir fait faire des études —, mais j'aimerais qu'avant de commencer, nous ayons une information écrite quant à la constitutionnalité de ce projet de loi.
    Je vous dis en toute honnêteté que si d'aventure le gouvernement ne prenait pas au sérieux notre requête, nous n'aurions d'autre choix que de déposer des motions d'ajournement des travaux tant et aussi longtemps que nous n'aurions pas d'information nous permettant de nous assurer de la constitutionnalité du projet de loi.
    J'ai encore un baby face, mais je suis ici depuis 1993, et c'est la première fois que j'entends autant de témoins nous dire qu'un projet de loi est inconstitutionnel. Je n'ai jamais assisté à un comité où, sur une douzaine de témoins, neuf nous ont informé qu'il y avait une inconstitutionnalité potentielle très forte.
    Je veux avoir quelque chose, que ce soit des études ou une lettre du ministre. Je fais confiance au ministre. Avant d'aller au Conseil des ministres, il est censé avoir signé un mémoire — c'est ainsi qu'on appelle ce geste — dans lequel il s'assure qu'il a pris les dispositions pour s'assurer de la compatibilité de la mesure.
    Si on ne peut avoir accès aux études, il faut avoir une lettre qui sera déposée par le ministre. Ainsi, nous allons pouvoir dormir avec la quiétude de la justesse et du travail accompli. Mais si nous n'avons pas cela, nous n'aurons d'autre choix, mardi matin en commençant nos travaux, que de déposer des motions d'ajournement.
    Alors, j'invite le ministre, le secrétaire parlementaire et M. Petit à prendre notre requête très au sérieux. Nous sommes des parlementaires professionnels et nous aimons notre travail et le comité, mais nous n'allons pas voter sans avoir un minimum de garanties.

[Traduction]

    Monsieur Moore.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai lu la motion dans sa version modifiée par l'amendement de Mme Jennings. Mme Jennings et M. Ménard sont arrivés au Parlement avant moi et je ne leur apprends certainement rien quand je leur dis que les conseils que prodigue le ministère au ministre sont simplement des avis juridiques qui sont protégés par le secret professionnel. Faire ce que vous demandez dans cette motion serait sans précédent.
    Pour répondre à l'inquiétude de M. Ménard relativement à la constitutionnalité du projet de loi, je dirai que le ministre de la Justice a témoigné devant notre comité. Je crois qu'on lui a demandé son avis sur la constitutionnalité de cette mesure législative et, auparavant, sur celle des projets de loi qui avaient été déposés à la dernière session et qui constituent maintenant le projet de loi C-2. Chaque fois qu'il dépose un projet de loi, le ministre doit attester de la constitutionnalité, à son avis, de la mesure législative, en fonction des avis qu'il a reçus. Et ces avis sont protégés par le secret professionnel. Le ministre n'est pas en mesure de nous communiquer les avis juridiques qu'il reçoit.
    Nous avons entendu les témoignages de personnes qui nous ont donné leur avis — pas par écrit, je le reconnais — leur avis de juristes sur la question de savoir si ce projet de loi est constitutionnel ou non. Il n'en reste pas moins...
    Nous pouvons appeler à témoigner des experts d'un domaine ou d'un autre qui voudront nous donner leur avis à ce sujet, mais les avis qui sont donnés au ministre — Mme Jennings le sait pertinemment puisqu'elle a déjà été au gouvernement — tombent sous le coup du secret professionnel. C'est aux clients de renoncer à ce droit, ce qui ne se fera pas en l'occurrence.
    Par conséquent, pour en finir avec cette question, je renvoie mes collègues au témoignage du ministre dans lequel il a déclaré qu'il est de son devoir, à titre de ministre de la Justice, de certifier que les projets de loi qu'il dépose sont, à son avis, conformes à la Charte des droits.
    Monsieur le président, ce n'est pas ce que je souhaite car notre témoin a déjà été obligé de patienter, mais nous pourrions, au besoin, demander aux fonctionnaires du ministère ici présents de nous parler de ce concept du secret professionnel, un concept de longue date, des motifs qui expliqueraient le refus du ministre de renoncer à ce droit en l'occurrence et du fait que ce n'est pas une pratique de la Chambre des communes ni de notre comité que de demander au ministre de le faire.
    Je crois M. Ménard sur parole quand il nous dit ce qui l'a motivé à présenter cette motion, mais le ministre nous a déjà dit que, à son avis, le projet de loi est conforme à la Constitution. Il en est venu à cette conclusion en se fondant sur les avis qu'on lui a donnés, avis qui sont protégés par le secret professionnel. Le ministre ne pourrait que vous le réitérer.
    J'estime donc qu'il n'y a rien à ajouter, surtout que nous avons des témoins qui attendent de prendre la parole. Nous avons aussi des représentants du ministère de la Justice qui pourront répondre à nos questions sur le projet de loi mais dont le rôle n'est pas de donner des avis juridiques au comité.
(0910)
    Merci.
    Madame Jennings.

[Français]

    Monsieur le président, j'apprécie beaucoup les commentaires du secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, M. Moore.. En effet, le privilège client-avocat pourrait être retiré par le client. Dans ce cas-ci, le ministre a décidé de ne pas le faire. Mais selon sa déclaration, M. Moore prétend que le ministre a déjà déclaré et affirmé, à la suite d'une question qui lui a été posée par un membre de ce comité, qu'il aurait reçu des opinions juridiques selon lesquelles le projet de loi C-2, plus particulièrement les dispositions du projet de loi C-2 qui se rapportent directement au système de délinquants dangereux, est conforme à notre Charte et à notre Constitution.
    M. Ménard a posé une question à M. Moore, et ce dernier a évité de répondre. M. Ménard a demandé si le ministre était prêt à signer simplement une lettre adressée au président de ce comité affirmant par écrit que, effectivement, selon les avis juridiques qu'il a reçus — il ne serait pas tenu de divulguer ou de déposer les avis —, il certifie que le projet de loi C-2, et plus particulièrement les modifications qui se rapportent aux délinquants dangereux, est conforme à notre Charte et à notre Constitution.
    Une réponse satisferait M. Ménard ainsi que mes collègues libéraux. Je n'ai pas eu l'occasion de vérifier la transcription de son témoignage devant ce comité, mais si le ministre a déjà fait une déclaration en ce sens, cela ne devrait lui causer aucune difficulté de le rendre par écrit. À ce moment-là, il n'est pas tenu de divulguer les opinions juridiques qu'il a reçues sous le sceau du privilège client-avocat. Toutefois, qu'il affirme par écrit qu'il certifie que le projet de loi C-2 est conforme à la Charte et à la Constitution, selon les avis juridiques qu'il a reçus.
    Alors, j'aimerais que M. Moore réponde à cette question spécifiquement.
(0915)

[Traduction]

    Je vais vous laisser répondre à cette question avant de céder la parole à notre collègue.
    Merci.
    Mme Jennings ne semble pas comprendre quand on lui répond par l'affirmative, parce que le ministre a déjà comparu. Il a déjà présenté son témoignage. Tout le monde sait maintenant que le ministre doit affirmer que, à son avis, les projets de loi qu'il présente sont conformes à la charte.
    Nous sommes maintenant saisis de la motion de Mme Jennings qui ne demande pas au ministre de nous envoyer un document dans lequel il répéterait ce qu'il a déjà dit à notre comité. Pour l'instant, je m'en tiens à la motion, que d'ailleurs nous n'appuyons pas, comme je l'ai déjà dit. Si Mme Jennings veut présenter une autre demande au ministre, elle peut le faire. Mais pour l'instant, il est question de cette motion qui est manifestement déraisonnable.
    Monsieur Bagnell a la parole.
    J'abonde dans le même sens que Mme Jennings et M. Ménard; une lettre du ministre suffirait à régler la question. Ce serait simple. J'estime aussi que nous ne devrions pas tenir ce débat en présence de nos témoins qui attendent patiemment.
    J'ajouterai que M. Ménard et Mme Jennings n'ont pas demandé à voir les avis qui ont été donnés au ministre mais simplement les informations à ce sujet dont dispose le ministère. Cette objection ne tient donc plus. Deuxièmement, le salaire de ceux qui donnent ces avis juridiques est versé à même les fonds publics. C'est dans l'intérêt public et si le ministre agissait dans l'intérêt public, il les communiquerait.
    Il y aura encore trois interventions. Après cela, je pense qu'on commencera à faire du sur place.
    Le prochain nom sur ma liste est celui de M. Ménard.
    Nous commençons à doubler à nouveau le cap, chers collègues. Je vais céder la parole à M. Harris, puis, peut-être pourrions-nous mettre la motion aux voix ou présenter d'autres amendements si M. Ménard en a. Je crois que le temps est venu de clore le débat.
    Allez-y, monsieur Harris.
    Je cède mon temps de parole au secrétaire parlementaire.
    Monsieur Moore, vous aurez la parole, puis M. Ménard aura le dernier mot sur sa motion.
    Monsieur Moore.

[Français]

    Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Le temps avançant et par respect pour M. Landreville, je propose que nous suspendions le débat et que nous y revenions avant d'entendre les fonctionnaires. Sinon, nous allons continuer.

[Traduction]

    M. Petit invoque le Règlement.

[Français]

    Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Hier, j'ai modifié mon horaire d'aujourd'hui spécifiquement parce que le Bloc québécois avait demandé que la motion ait préséance. Nous allons régler cela. Nous ne la reporterons pas à la fin de la séance, qu'il y ait un témoin ou non. Vous le saviez hier. Alors, on va préparer la motion aujourd'hui.

[Traduction]

    Nous avons tous commencé la séance avec le sourire. Tentons de garder le sourire car nous sommes en présence d'un témoin et des représentants du ministère. Faisons en sorte que la discussion avance et n'oubliez pas d'adresser vos observations au président.
    Monsieur Ménard, si vous voulez intervenir vous pourrez le faire tout de suite après M. Moore.
    Voici textuellement ce qu'a dit le ministre à ce sujet, lors de sa comparution devant notre comité :
Bien entendu, j'ai soigneusement étudié la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration des droits en regard de l'intégralité de ces nouvelles réformes concernant les délinquants dangereux, et je suis convaincu qu'elles sont tout à fait constitutionnelles. Ces mesures ont été soigneusement formulées pour constituer une réponse axée sur l'avenir, ciblée et équilibrée au problème réel et urgent que posent ces délinquants dangereux.
    Je remets cela au comité. C'est au compte rendu. Ce sont les propos du ministre qui figurent au compte rendu du comité. Le ministre a certifié que ces dispositions législatives sont constitutionnelles. En faire plus serait très inhabituel.
    Merci, monsieur Moore.
    Monsieur Ménard, vous aurez le dernier mot.

[Français]

    Monsieur le président, je crois que nous assistons ici ce matin à une certaine forme d'hypocrisie. Je me rappelle très bien que lorsque les conservateurs étaient dans l'opposition, ils invoquaient le fait que nous étions des élus, des parlementaires, pour avoir droit à toute l'information avant de voter.
    Qu'est-ce que nous réclamons? D'abord, le ministre n'est pas un client. Il est élu et responsable d'un ministère. Avant de voter un projet de loi, nous avons la responsabilité de nous assurer d'avoir toute l'information. Neuf témoins nous ont dit que le projet de loi n'était pas constitutionnel. Je considère faire mon travail de député quand je demande d'avoir l'information. Si le ministre est venu nous voir et qu'il l'a dit, qu'il le mette par écrit.
    Pourquoi n'avons-nous pas confiance en la parole des députés? Mme Jennings a présenté un amendement disant que nous allons garder ces études pour nous. N'est-ce pas payé avec des fonds publics? Qu'est-ce que cela donne de voter une loi comme la loi C-2 sur la responsabilisation, sur l'accès à l'information, sur la transparence, si on n'est même pas capable de donner aux parlementaires toute l'information dont ils ont besoin? Est-ce déraisonnable, quand on est élu, de voter un projet de loi au sujet duquel neuf témoins ont dit qu'il n'était pas constitutionnel? Est-ce déraisonnable de demander si des vérifications ont été faites? Si le ministre l'a dit, ce n'est pas suffisant. Nous avons besoin de plus d'information.
    Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]
    M. Réal Ménard: Je n'ai pas terminé. Calmez-vous! C'est moi qui ai la parole.
    Monsieur le président, si nous n'avons pas d'information mardi matin, je dis au gouvernement que nous allons présenter des motions d'ajournement. C'est ce que nous allons faire. Nous avons le droit d'avoir de l'information. Si vous ne voulez pas nous en donner, nous allons présenter une motion pour prolonger nos travaux afin que le gouvernement invite des constitutionnalistes à venir nous rencontrer. Si nous n'avons pas l'information dont nous avons besoin, nous ne voterons pas le projet de loi.
    Quand les conservateurs étaient dans l'opposition, il n'y avait jamais assez d'information disponible. Aujourd'hui, on veut nous faire voter alors qu'on sait que le projet de loi est potentiellement inconstitutionnel. Je vous ferai remarquer qu'hier, nous étions prêts à prolonger le débat pour voter et que ce sont les conservateurs qui se sont levés.
    Alors, il y a une limite à travestir la démocratie, à être pharisiens et philistins. Cela ne donne rien de voter des projets de loi comme le C-2 si on n'est pas capable de donner de l'information aux parlementaires. Je regrette, on n'est pas dans un secret corporatif entre une pratique privée, un ministre et un cabinet. Je m'attends à ce que des fonctionnaires qui ont de l'information en droit constitutionnel, qui ont donné des avis au ministre, qui ne sont pas dans le secteur privé, qui sont payés à même les fonds public, nous donnent cette information.
    Monsieur le président, je termine en affirmant que si mardi nous n'avons pas quelque chose par écrit nous garantissant de la constitutionnalité du projet de loi, nous allons déposer motion d'ajournement après motion d'ajournement.
(0920)

[Traduction]

    Monsieur Ménard, pour ce qui est de la procédure, je vous rappelle que nous sommes saisis de votre motion. Si elle est adoptée, la demande sera transmise au ministère.
    Cela dit, tous ceux qui voulaient intervenir ont pu le faire et je mets maintenant la motion aux voix.
    Nous voterons d'abord sur l'amendement de Mme Jennings voulant que la motion soit modifiée par l'adjonction, après les mots « soit invité à », de ce qui suit : « fournir, confidentiellement, sur une base de huis clos, lequel protège les avis au ministre », après le mot « disponibles », de ce qui suit : « qu'il a en sa possession » et après les mots « C-2 », de ce qui suit : « pour le vendredi 16 novembre 2007 à 15 heures ».
    Le vote par appel nominal a été demandé.
    (L'amendement est rejeté. [Voir le Procès-verbal])
(0925)
    Maintenant que l'amendement a été rejeté, je mets aux voix la motion originale de M. Ménard soit que le ministère de la Justice soit invité à déposer tous les avis juridiques disponibles ayant trait à la constitutionnalité du projet de loi C-2.
    Il y aura vote par appel nominal.
    (La motion est rejetée par 6 voix contre 5.)
    J'invoque le Règlement, monsieur le président : M. Keddy a-t-il le droit de vote?
    M. Keddy a le droit de vote. Il n'a pas pu voter sur l'amendement au premier tour parce qu'il n'avait pas remis à la greffière les documents sur le remplacement des membres du comité. Il l'avait toutefois fait avant que nous ne mettions aux voix la motion originale de M. Ménard. Il avait donc le droit de vote.
    Monsieur Landreville, je vous souhaite la bienvenue devant ce comité qui, comme vous avez pu le voir, est plein d'énergie mais bien concentré. Certains diraient que nos membres sont opiniâtres dans la défense de leurs opinions, mais moi, je ne suis pas de cet avis.
    Je vous signale brièvement que vous avez 10 minutes pour faire vos remarques liminaires. Il y aura ensuite une période de questions; pendant la première série de questions, chaque intervenant aura sept minutes. Chaque parti pourra vous interroger pendant sept minutes. Par la suite, chaque intervention sera de cinq minutes. Nous dépasserons peut-être un peu 10 heures, mais nous aimerions avoir de 35 à 40 minutes pour les questions.
    Je vous remercie d'être venu avec un si court préavis. Notre comité a été constitué très rapidement et nous avons dû dresser notre liste de témoins en peu de temps. Nous vous savons donc gré d'être ici ce matin.
    Vous avez la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je remercie les membres du comité de me permettre d'exprimer mon point de vue au sujet du projet de loi C-2.
    Je suis professeur émérite de l'École de criminologie de l'Université de Montréal et chercheur associé au Centre international de criminologie comparée, le CICC. J'ai enseigné la pénologie et les politiques pénales depuis 1970 et je fais des recherches dans ce domaine depuis plus de 40 ans.
    Ma présentation va se limiter aux sections du projet de loi C-2 portant sur le projet de loi C-27. J'aborderai successivement deux points : premièrement, les articles 40 à 51 concernant les délinquants dangereux et, deuxièmement, les articles 52 et 53 sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.
    Je commence par la question des délinquants dangereux. Cette section du projet de loi vise à créer une mesure pour neutraliser les multirécidivistes. Cette préoccupation n'est pas nouvelle. Déjà en 1908, en Angleterre, on adoptait le Prevention of Crime Act sur les délinquants habituels.
    En 1947, le Canada adopta lui aussi une loi sur les délinquants d'habitude, qu'on appelait en français les repris de justice, inspirée fortement de la loi anglaise qui avait déjà été abrogée. Le délinquant reconnu repris de justice pouvait être détenu pour une période indéterminée. L'article du Code criminel stipulait que :
[…] un accusé est un repris de justice,

a) si, depuis qu’il a atteint l’âge de 18 ans, il a antérieurement, dans au moins trois occasions distinctes et indépendantes, été déclaré coupable d’un acte criminel pour lequel il était passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus et qu’il mène continûment une vie criminelle, […]
    Les articles 40 à 51 du projet de loi C-2 s'apparentent aussi à une série de lois plus récentes, adoptées aux États-Unis au début des années 1990, appelées les « lois des three strikes ». La plus fameuse et la plus utilisée d'entres elles est la loi californienne adoptée en 1994. Cette loi est en réalité une loi de deux et trois strikes. Succinctement, elle prévoit que lors d'une deuxième condamnation pour crime, la peine sera le double de celle qui aurait été imposée pour cette infraction, et que pour une troisième condamnation pour crime, la peine sera de 25 ans à vie. Au 31 mars 2007, 41 503 délinquants étaient emprisonnés en Californie en vertu de cette loi. Plus de 90 p. 100 de toutes les personnes condamnées en vertu des « lois des three strikes » aux États-Unis, l'ont été en Californie.
    Ces lois sur les délinquants d'habitude, repris de justice ou délinquants multirécidivistes ont été un échec pour cinq raisons : premièrement, elles ne permettent pas de distinguer ceux qui sont une réelle menace pour la société, parce qui'elle frappe un nombre considérable de délinquants non dangereux; deuxièmement, elles ne sont pas appliquées de façon uniforme, posant de sérieux problèmes d'équité; troisièmement, elles s'appliquent de façon discriminatoire contre des groupes minoritaires; quatrièmement, elles n'ont pas d'effet significatif sur la criminalité; et cinquièmement, elles peuvent augmenter de façon considérable la population carcérale, en particulier celle des détenus âgés.
    Reprenons le premier point. Elles ne peuvent pas permettre de distinguer ceux qui sont une réelle menace pour la société puisqu'elles frappent un nombre considérable de délinquants non dangereux.
    Au Canada, le Comité Ouimet de 1969 a étudié le dossier des 80 repris de justice condamnés à la détention préventive qui étaient incarcérés dans les pénitenciers en février 1968.
(0930)
    Le comité a tout d'abord constaté que :
    
L'âge moyen des 80 détenus au moment de leur condamnation à la détention préventive était de 40 ans.
    Il conclut à ce sujet :
Ces chiffres tendent à appuyer la conclusion que l’une des faiblesses de l’application de cette législation est qu’on semble l’invoquer le plus souvent contre le délinquant à un âge où la violence n’entre plus dans son comportement habituel.
    Il dit également:
Près de 40 p. 100 de ceux qui sont condamnés à la détention préventive sembleraient ne pas avoir représenté une menace à la sécurité d’autrui; 2. Un tiers peut-être des personnes incarcérées comme repris de justice semblerait avoir constitué une menace grave pour la sécurité d’autrui [...]
Le Comité conclut que, bien que les dispositions législatives concernant les repris de justice aient été appliquées pour protéger le public contre certains délinquants dangereux, elles l’ont également été contre un nombre considérable de multirécidivistes qui constituent peut-être un sérieux embarras social mais non une menace sérieuse à la sécurité des gens.
    Des constatations semblables ont été faites à propos de la détention préventive en Angleterre et de la « loi des three strikes » californienne.
    Passons au deuxième point. Elles ne sont pas appliquées de façon uniforme, posant de sérieux problèmes d'équité. Encore une fois, au Canada, le Comité Ouimet a constaté, dans son étude sur les 80 repris de justice, que :
45 [...] l’ont été en Colombie-Britannique et 39, soit presque la moitié du total ont été condamnés dans une même ville (Vancouver). Le Comité estime qu’une législation dont l’application est susceptible de varier à ce point ne doit pas faire partie d’un système rationnel de correction.
    Le comité avait aussi constaté la même disparité dans l'application de la loi sur les délinquants sexuels dangereux qui existait à l'époque. La loi actuelle sur les délinquants dangereux peut elle aussi mériter la même critique. En avril 2006, 42 p. 100 des criminels déclarés délinquants dangereux l'avaient été en Ontario, comparativement à 9 p. 100 au Québec et 22 p. 100 en Colombie-Britannique. La « loi des three strikes » de Californie n'est pas appliquée, elle non plus, de façon uniforme.
    Passons au troisième point. Elle s'applique de façon discriminatoire contre les groupes minoritaires. Au Canada, nous n'avons pas de données au sujet de l'application aux Autochtones de la loi sur les repris de justice, mais nous savons que les Autochtones sont surreprésentés à toutes les étapes du processus correctionnel, y compris en ce qui concerne l'application de la loi sur les délinquants dangereux. Cet état de fait soulève d'énormes questions et préoccupe tous ceux qui accordent de l'importance aux valeurs de justice et d'équité. Nous savons en effet que les Autochtones représentent environ — et je ne vous apprends rien — 3 p. 100 de la population canadienne, qu'ils forment 18 p. 100 des personnes admises dans les pénitenciers, qu'ils sont encore plus surreprésentés dans certaines provinces. En 2003-2004, ils représentaient 54 p. 100 des personnes admises dans les pénitenciers du Manitoba et 63 p. 100 de celles admises en Saskatchewan. Les Autochtones représentaient aussi, en 2005-2006, 23 p. 100 des délinquants condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité ou d'une durée indéterminée. Cette surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers, associée au fait qu'ils entrent au pénitencier plus jeunes que les non-Autochtones, ferait en sorte qu'ils seraient encore plus souvent touchés par des mesures concernant les délinquants du projet de loi C-2. On comprend facilement que plus les membres d'un groupe entrent jeunes au pénitencier, plus ils ont de chance d'être condamnés une troisième fois.
    En ce qui a trait au quatrième point, ces lois n'ont pas d'effet significatif sur la criminalité. Puisqu'elles sont ordinairement rarement appliquées, les lois sur les délinquants d'habitude ne peuvent pas avoir d'effet sur la criminalité. Mais même dans le cas où on les utilise sur une large échelle, comme en Californie, elles ont peu ou pas d'effet mesurable. Même si, dans les années 1990, la diminution des taux de criminalité a été plus prononcée en Californie que dans la moyenne nationale américaine, les chercheurs qui ont réalisé un bilan des recherches en arrivent à la conclusion que cette diminution ne peut pas être attribuée de façon significative aux « lois des three strikes ».
(0935)
    Nous arrivons au cinquième point. Ces lois peuvent augmenter de façon considérable la population carcérale, en particulier celle des détenus âgés. Les lois sur les multirécidivistes, si elles sont appliquées sur une large échelle, provoquent inévitablement une augmentation de la population carcérale et un vieillissement de celle-ci. D'une part, un prolongement de la durée des peines se traduit par une augmentation de la population carcérale...

[Traduction]

    Monsieur Landreville, je vous prierais de nous donner votre conclusion en 15 à 20 secondes. Vous avez eu un peu plus de 10 minutes.

[Français]

    En ce qui concerne l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, quatre conditions nouvelles se trouvent dans le projet de loi: participer à un programme de traitement; porter un dispositif de surveillance; regagner sa résidence et y rester aux moments précisés dans l'engagement; et se présenter devant les autorités correctionnelles.
     Ces dispositions, même si elles me semblent acceptables dans certains cas pour des délinquants condamnés, me semblent beaucoup trop sévères pour des personnes qui n'ont pas été reconnues coupables.
     Merci beaucoup.
(0940)

[Traduction]

    Merci, monsieur Landreville.
    Monsieur Bagnell, nous commençons par vous. Vous avez sept minutes.
    Merci.
    Je crois vous avoir entendu dire que, selon vous, les Autochtones seront les plus touchés car ils sont surreprésentés dans nos établissements carcéraux par rapport à la proportion qu'ils représentent dans notre population.
    En Californie, est-ce que certains groupes ethniques sont surreprésentés par rapport à la population en général au sein du système de justice pénale, premièrement et, deuxièmement, parmi les délinquants dangereux?

[Français]

    Oui. En fait, dans la plupart des pays, les minorités ethniques — ou raciales dans certains cas — sont surreprésentées dans la population carcérale. Aux États-Unis en particulier, nous savons que les Noirs sont surreprésentés dans la population carcérale, mais ils le sont aussi chez les gens condamnés en vertu de la « loi des three strikes ». En Californie, par exemple, les Afro-Américains constituent 28 p. 100 des détenus des prisons, mais ils constituent 34 p. 100 des gens condamnés après two strikes et 44 p. 100 après three strikes. En Californie, ils sont vraiment plus durement frappés, de façon générale, par l'incarcération, mais encore plus par le principe des two strikes et des three strikes.

[Traduction]

    Vous dites donc qu' en Angleterre, la loi s'applique aux infractions passibles d'une peine de cinq ans, alors qu' ici, c'est de deux ans. Cela ferait-il en sorte que davantage de gens peu ou pas dangereux seraient touchés et que la loi au Canada permettrait de punir plus de délits moins graves que la loi anglaise, qui vise les crimes qui sont passibles d'une peine de cinq ans.

[Français]

    Je n'ai pas fait référence directement à la loi britannique et je ne comprends pas très bien votre question.

[Traduction]

    Excusez-moi, je croyais que vous y aviez fait allusion au début de votre exposé.
    J'ai une autre question pour vous.
    Le ministre ferait probablement valoir que les juges jouissent d'un pouvoir discrétionnaire et n'auront pas à imposer une peine d'emprisonnement indéterminée; toutefois, ils devront se fonder sur les preuves qui ont été présentées au procès. Cela rend-il ces dispositions législatives acceptables à vos yeux? Le juge a le même pouvoir discrétionnaire et pourrait même ne pas alourdir la peine d'un délinquant déclaré dangereux, s'il le jugeait bon.

[Français]

    En fait, pour ce qui est de l'imposition des peines, les juges possèdent à l'heure actuelle un assez large pouvoir discrétionnaire. C'est aussi le cas du côté de la Couronne, et on se rend compte que malgré ou à cause de ce pouvoir discrétionnaire — pouvoir dont je ne voudrais pas discuter —, les Autochtones sont surreprésentés à toutes les étapes du système correctionnel. C'est le cas même en matière de libérations conditionnelles. Les commissaires des libérations conditionnelles ayant un pouvoir discrétionnaire à l'égard de la libération des Autochtones, ceux-ci sont moins souvent libérés conditionnellement que les détenus non autochtones.
    Dans ce cas-ci, deux raisons expliquent que les Autochtones sont — et je ferais l'hypothèse qu'ils le seront encore — surreprésentés. D'une part, ils sont plus souvent incarcérés que les personnes non autochtones. La probabilité qu'ils soient incarcérés pour une deuxième ou une troisième fois est donc plus élevée, d'autant plus qu'ils se font incarcérer beaucoup plus jeunes que les personnes non autochtones. Par exemple, 25 p. 100 des Autochtones admis dans les pénitenciers avaient moins de 25 ans. En effet, les Autochtones sont beaucoup plus représentés que les personnes non autochtones au sein de la population de moins de 25 ans. Il ne s'agit pas de dire que les décisions de certaines personnes sont en cause: c'est un problème systémique.
(0945)

[Traduction]

    Je sais que vous n'avez pas pu finir vos observations. S'il y a autre chose que vous aimeriez ajouter, je vous laisse mes deux dernières minutes. Sinon, vous pouvez me dire si le taux de criminalité est plus élevé dans les États qui ne disposent pas d'une loi comme celle-ci, contrairement à la Californie, les États qui n'ont pas de « Loi des three-strikes  ».

[Français]

    En fait, aux États-Unis, le taux d'incarcération et le taux de criminalité varient beaucoup d'un État à l'autre. Environ 25 ou 30 États — je n'en connais pas exactement le nombre — appliquent des « lois des three strikes », mais il n'y a aucune relation entre cette application et le fait que la criminalité ait ou non diminué. Aux États-Unis comme au Canada, d'ailleurs, la criminalité diminue de façon vraiment considérable depuis 1990-1991, mais cette diminution n'est pas du tout liée aux « lois des three strikes » ou à l'incarcération. C'est un fait très important.
    On peut faire une comparaison très éclairante. Aux États-Unis, la criminalité violente et non violente a diminué de façon très prononcée depuis 1990. Il en va de même au Canada. Les études ont démontré que la diminution suivait la même courbe, c'est-à-dire que le pourcentage était à peu près le même. En revanche, aux États-Unis de 1970 à maintenant, le taux d'incarcération est passé de 215 à 750, ce qui n'est pas le cas du Canada, où le taux d'incarcération est demeuré tout à fait stable pendant cette période. Il n'a varié que de 10 à 15 sur 100 000 habitants. Par conséquent, l'incarcération ne peut pas, d'une façon générale, être tenue responsable de la diminution de la criminalité aux États-Unis. En effet, on a eu le même genre de diminution au Canada sans qu'il y ait eu de hausse des incarcérations.

[Traduction]

    Merci, monsieur Landreville.
    Monsieur Ménard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Landreville, il me fait plaisir d'échanger avec vous. Au cours des dernières années, j'ai entendu parler de vous en bien par des professeurs comme André Jodoin et d'autres professeurs de l'Université de Montréal. On vantait votre érudition. Je regrette que vous ayez été témoin de cette manifestation autoritaire du gouvernement, mais sachez bien que l'opposition veille au grain.
    Cela étant dit, je pense que vous avez très bien précisé...
    Monsieur le président, j'aimerais pouvoir vivre ma vie comme je l'entends.

[Traduction]

    Monsieur Ménard nous accordons beaucoup de latitude, mais essayons de ne pas nous éloigner du projet de loi C-2 en donnant notre opinion sur le gouvernement. Merci.

[Français]

    Mais pour votre part, vous n'êtes pas autoritaire, monsieur le président.
    Monsieur Landreville, j'en étais à rendre hommage à votre érudition. Ce qui me plaît vraiment, c'est le lien que vous avez très clairement affirmé. Vous avez comparé la société américaine, qui a eu recours à l'incarcération et obtenu des taux de criminalité qui n'ont pas baissé de façon corrélative, et le Canada. Vous n'avez pas donné de statistiques par 100 000 habitants pour le Canada, mais on nous dit que ça varie entre 115 et 123.
    Je voudrais que vous vous expliquiez très clairement. Si je comprends bien, vous nous invitez à rejeter le projet de loi C-2. D'après ce que je comprends, vous dites qu'il n'est pas efficace par rapport aux objectifs qu'il poursuit. J'aimerais que vous nous disiez plus clairement pourquoi ce n'est pas efficace et quelles mesures législatives vous souhaiteriez voir adopter pour que l'on puisse atteindre les objectifs visés, c'est-à-dire faire en sorte que les communautés soient plus sécuritaires, tout en gardant bien à l'esprit que le taux de criminalité en matière de crimes violents n'est pas à la hausse.
(0950)
     Pour ce qui est d'établir des comparaisons entre les États-Unis et le Canada, la situation est vraiment idéale. Nous vivons dans le même environnement, tout le monde le sait. Nous évoluons dans le même environnement socio-politique et économique. Nous avons évidemment des taux de criminalité différents. Aux États-Unis, les taux de criminalité sont, en règle générale, plus élevés. De notre côté, nos pratiques d'incarcération sont tout à fait différentes depuis 1970.
    Je vais vous faire part d'autres statistiques. En 1970, la population carcérale américaine était pratiquement deux fois supérieure à la nôtre. Actuellement, elle est plus de sept fois supérieure à la nôtre. Notre population carcérale se chiffre à 105 sur 100 000 habitants alors qu'il s'agit de 750 aux États-Unis. Les Américains appliquent une politique d'incarcération très sévère qui ne peut pas être tenue responsable de la diminution de la criminalité. D'autres facteurs sociologiques, dont la démographie et la croissance économique, sont en cause. Ce sont des facteurs importants.
    Pour ce qui est des lois spéciales, j'ai dit plus tôt qu'aux États-Unis, environ 25 ou 30 États appliquaient depuis 1993 ou 1994 des « lois des three strikes ». La majorité des États les utilisent peu. En effet, 90 p. 100 des gens condamnés l'ont été en Californie. Cet État a vraiment utilisé ce type de loi très largement. Plus de 40 000 personnes, soit plus que la population carcérale canadienne, y sont incarcérées. Les études n'ont pas vraiment démontré que ces lois avaient un effet considérable.
    Il y avait une deuxième partie à votre question.
    Oui. La grande ambiguïté à laquelle fait face notre comité vient du fait qu'on n'a pas réussi à nous préciser ce qui ne fonctionnait pas dans l'actuel régime de désignation des délinquants. Nos analystes nous ont fait part du fait que 333 personnes avaient été désignées délinquants dangereux. Nous essayons de comprendre pourquoi il faudrait appliquer un genre d'automatisme, un renversement du fardeau de la preuve. En tant qu'intellectuel très réputé, modéré et centriste, avez-vous des indications comme quoi certaines choses ne fonctionneraient pas dans le régime de désignation des délinquants dangereux?
    J'ai effectivement mentionné, dans le cas des lois spéciales sur les délinquants dangereux — on peut se référer à l'expérience antérieure au Canada où il y avait à la fois des lois sur les repris de justice et des lois sur les délinquants sexuels dangereux —, que ces lois exceptionnelles fonctionnent mal parce qu'on a de la difficulté à trouver les gens qui vont éventuellement causer des torts graves à autrui.
    D'une part, on ne sait pas exactement qui on devrait cibler. D'autre part, lorsqu'il y a des lois très sévères, comme la loi qui prévoit une peine indéterminée, on voit qu'il peut y avoir de la réticence à l'intérieur même du système de justice pénale à utiliser ces lois. Cela explique, dans une certaine mesure, la disparité énorme de l'application des lois entre certaines provinces. Tout dépend ordinairement du procureur général ou de certains procureurs. Il en va de même en Californie, où on dit qu'un seul procureur est responsable d'un très grand nombre de condamnations.
    Je crois que la loi actuelle sur les délinquants dangereux n'est pas une loi idéale. Cette loi n'est pas appliquée à une large échelle et je pense que c'est bien comme cela. Mais je crois qu'elle est assez souple, d'une part, et assez sévère, d'autre part, pour cibler des délinquants multirécidivistes, et les cibler dans des cas extrêmes où on aurait des raisons de croire qu'ils pourraient commettre des crimes graves contre la personne dans l'avenir.
    En règle générale, ces lois frappent des gens de plus de 40 ans, du moins statistiquement. En effet, la majorité des gens entrent au pénitencier après l'âge de 30 ans. Lors de leur troisième condamnation, surtout s'ils sont condamnés pour violence, si vous tenez compte de la durée de deux peines de pénitencier, ils vont généralement être incarcérés à plus de 40 ans, à un âge où la très grande majorité d'entre eux ne commettront plus des délits de violence.
    Je crois donc que, pour les cas exceptionnels dont les procureurs et les spécialistes ont des raisons probables de croire qu'ils vont commettre des infractions graves, la loi actuelle est assez souple et assez sévère pour les cibler.
(0955)

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Comartin.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

    Merci, professeur Landreville, d'être ici.
    Je vais vous poser des questions en anglais. Ce serait mieux de le faire en français, mais je veux m'assurer de poser mes questions correctement.

[Traduction]

    Vous avez décrit la disparité régionale entre la Colombie-Britannique et les deux provinces du centre. Cette disparité existe-t-elle dans les autres provinces des Prairies, dans les provinces de l'ouest?

[Français]

    En fait, j'ai parlé de trois types de loi. La loi antérieure sur les repris de justice était employée à presque 80 p. 100 dans la région de Vancouver. Les lois sur les délinquants dangereux comportaient aussi des disparités, mais maintenant, la loi sur les délinquants dangereux concerne surtout l'Ontario. Je pourrais retrouver des chiffres à cet effet. J'ai mentionné tout à l'heure que 40 p. 100 de tous les délinquants dangereux provenaient de l'Ontario et qu'il y en avait seulement 9 p. 100 au Québec.
    J'ai des données en ce qui concerne les autres provinces. Depuis 1978, sur les 403 criminels qui ont été déclarés délinquants dangereux, 168 l'ont été en Ontario, 90 en Colombie-Britannique, 31 en Alberta et 29 en Saskatchewan. On pourrait faire des pourcentages, mais il est surtout important de constater que c'est l'Ontario qui en compte le plus et que le Québec en compte beaucoup moins.

[Traduction]

    Au sujet de cette différence entre le Québec et l'Ontario, la différence de population a évidement une incidence, mais les taux de criminalité sont plus ou moins les mêmes. Il est un peu plus faible au Québec de façon générale, mais ces taux sont comparables. Est-ce qu'il y a plus de demandes de désignation dangereuses — je parle des demandes et non pas des désignations elles-mêmes — en Ontario qu'au Québec?

[Français]

     Je crois que oui, mais je n'ai pas les données statistiques en tête. Je sais que nous avons des données sur les ordonnances de surveillance de longue durée, et le Québec a à peu près le même pourcentage de délinquants surveillés de longue durée que l'Ontario. L'Ontario a 40 p. 100 de tous les délinquants dangereux, mais 25 p. 100 des délinquants surveillés de longue durée, alors que le Québec a 9 p. 100 des délinquants dangereux et 26 p. 100 des délinquants sous surveillance de longue durée. On constate donc, à l'intérieur du processus, des décisions différentes.
    La différence entre l'Ontario et le Québec se situe-t-elle au niveau des juges?
(1000)
    En fait, je crois que la plus grande différence vient des procureurs. Les demandes constituent, au départ, la plus grande différence...
    Est-ce parce que les procureurs de l'Ontario sont meilleurs ou parce qu'il sont plus offensifs?
    Il s'agit d'une opinion, mais cela dépend beaucoup du genre de politique que, d'une façon générale, le procureur général veut appliquer. Il y a des périodes où des gouvernements veulent être plus sévères envers la criminalité et à d'autres moments, ils veulent l'être moins. Nous savons qu'en règle générale, à plusieurs points de vue, les peines et les mesures pénales sont moins sévères au Québec qu'en Ontario.

[Traduction]

    Y a-t-il une façon de savoir si c'est le coût de la demande de désignation de contrevenants dangereux qui explique le nombre plus important de demandes en Ontario par rapport au Québec?

[Français]

    Je ne saurais vous le dire.

[Traduction]

    C'est tout, monsieur le président.
    Merci.
    Merci, monsieur Comartin.
    C'est au tour de M. Kramp.
    Merci, monsieur le président.
    Bonjour, professeur Landreville.
    J'ai un peu de mal à accepter que vous compariez la loi proposée à la loi californienne dite la « loi three-strikes  ». Vous avez dit, à titre d'exemple, qu'en vertu de cette loi, la Californie compte près de 40 000 détenus, mais des témoins ont dit à notre comité et à celui de la justice que le projet de loi vise un groupe très restreint de personnes. Il s'agit peut-être d'une, deux, trois, quatre ou cinq personnes. On parle peut-être d'une cinquante de personnes à travers le Canada, il s'agit donc d'un groupe très restreint de personnes qui ont commis des crimes odieux, des crimes graves contre la personne.
    Dans le contexte de la loi californienne, savez-vous quel pourcentage de crimes sont des crimes contre la propriété, par opposition aux crimes contre la personne?

[Français]

    J'ai, quelque part ici, une ventilation des crimes contre la propriété et la personne, et je peux dire...

[Traduction]

    Vous pouvez me donner un chiffre approximatif, je ne recherche pas des statistiques exactes.

[Français]

    Environ la moitié des gens condamnés après two strikes, et un peu moins dans le cas des gens condamnés après three strikes, avaient commis des infractions contre la propriété au moment de la deuxième ou de la troisième condamnation.
    Vous avez mentionné que des témoins vous avaient dit que votre projet de loi viserait environ 50 personnes. Ai-je bien compris?

[Traduction]

    C'est juste.

[Français]

    En fait, idéalement, si on ciblait des gens qui ont commis des délits très graves et qui constituent réellement un danger pour les personnes dans l'avenir, théoriquement, on arriverait probablement à un chiffre semblable. Cependant, le projet de loi n'est pas conçu comme cela.

[Traduction]

    J'avais cru comprendre que le projet de loi était conçu de cette façon. Il s'agit de crimes graves contre la personne. Ces infractions primaires sont désignées comme telles. On ne parle pas d'une première ou d'une deuxième condamnation, mais d'une troisième condamnation pour viol, vol, meurtre, homicide, etc.
    Maintenant, pour chacune de ces condamnations, il y a des victimes, et compte tenu de votre expérience, j'imagine que vous savez sans doute qu'il y a des victimes multiples. Vous ne croyez pas que nous avons une obligation envers la société de trouver un équilibre?
(1005)

[Français]

    Vous avez raison, le législateur doit prévoir des mesures pour protéger la société, mais ici, si je comprends bien votre projet de loi, vous avez une liste assez longue d'infractions dont, par exemple, le vol par effraction ou les voies de fait, qui peuvent... C'est comme la loi sur les repris de justice. Auparavant, le législateur voulait frapper des multirécidivistes dangereux, mais en pratique, ces lois frappaient des chronic petty offenders. C'est différent de ce que souhaite le législateur, soit cibler les 50 délinquants multirécidivistes dangereux. À mon avis, ceux-ci pourraient être gérés par la loi actuelle sur les délinquants dangereux, surtout avec les mécanismes de renversement de l'obligation de signaler ces délinquants. Avec la liste, je crois qu'on peut prévoir que ce sera comme avec les lois dans le passé: le législateur voulait vraiment atteindre des délinquants dangereux, mais il frappait des chronic petty offenders.

[Traduction]

    J'ai deux autres petites questions.
    Il y a une chose qui me dérangeait un peu, mais j'ai peut-être mal compris. Vous avez dit que lorsque les gens atteignent 40 ans, ils sont moins susceptibles de présenter une menace qu'au cours de leurs années antérieures. Mais puisque la personne en question vient juste d'être condamnée de nouveau, est-ce que cela ne va pas à l'encontre de votre théorie? Cela ne veut-il pas dire, justement, que cette personne n'a toujours pas appris, puisqu'elle est condamnée de nouveau? Est-ce que cela ne veut pas dire que la menace de récidive reste importante, quel que soit l'âge de la personne?

[Français]

    Je crois qu'il faut faire la différence entre les gens qui vont commettre des infractions graves contre la personne et qui représentent vraiment un danger, et les gens qui vont commettre de nouveaux délits — dont un certain nombre sont sur votre liste —, mais qui ne représenteront pas à l'avenir un danger grave pour la personne. Toutes les études démontrent que la criminalité de violence diminue chez les gens de plus de 35 ans ou 40 ans. D'ailleurs — même s'il y en a beaucoup —, on voit beaucoup moins de gens entrer dans les pénitenciers après 40 ans qu'après 20 ans. À mon avis, seulement une petite partie de ceux qui seront condamnés pour la troisième fois vont commettre des infractions qui vont représenter des dangers graves pour la personne.

[Traduction]

    D'accord, merci.
    Plusieurs témoins — experts dans leurs domaines — ont parlé à ce comité et à d'autres comités qui étudient des questions liées au domaine de la justice de ce phénomène relativement récent des armes, des gangs de rue et de la drogue. Vous avez dit qu'on observe en réalité une diminution du taux de crimes violents, mais ces témoins, lors de leurs témoignages, nous ont dit l'inverse. Ils ont dit qu'il y a eu récemment une augmentation significative du taux de crimes violents, notamment de crimes liés à ce triple phénomène des armes, des gangs de rue et de la drogue.
    Êtes-vous d'accord avec ce postulat?
    Soyez bref, monsieur Landreville, très bref.

[Français]

    Peut-être peut-on faire une nuance. Les crimes de violence diminuent de façon constante au Canada depuis 1991. Il est possible qu'un certain nombre de crimes violents commis par des gangs augmente, mais de façon générale, la criminalité de violence a diminué de façon notable au Canada depuis 1991. Elle n'est pas en augmentation. Je parle des statistiques.

[Traduction]

    Merci, monsieur Landreville.
    Madame Jennings.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Désolé, madame Jennings, je ne veux pas vous interrompre.
    Nous allons manquer de temps. Les fonctionnaires du ministère sont ici et je sais qu'il y a d'autres membres du comité qui veulent poser des questions. Je vous demande donc de vous en tenir à trois minutes et demie dans vos questions pour que ceux qui ont demandé la parole puissent poser leurs questions.
(1010)

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Premièrement, seriez-vous en mesure de nous faire part du nombre annuel de personnes trouvées coupables pour la première fois d'un acte criminel figurant dans la liste qui se trouve dans la partie  27 du projet de loi C-2?
    Deuxièmement, connaissez-vous le nombre annuel de personnes trouvées coupables pour une deuxième fois?
    Troisièmement, connaissez-vous le nombre annuel de personnes trouvées coupables pour une troisième fois?
    Si vous avez accès à ces chiffres, pourriez-vous nous dire quel pourcentage de ces gens appartiennent à des minorités visibles ou sont des Autochtones, des femmes ou des personnes souffrant d'un handicap intellectuel ou physique? Bref, je parle ici des quatre groupes figurant dans notre Charte.
    Avez-vous ces chiffres? Dans le cas contraire, savez-vous où le comité pourrait les obtenir? Jusqu'à maintenant, le gouvernement semble dans l'incapacité de nous les fournir.
    Non, je n'ai pas ces chiffres à ma disposition. Je crois que la majorité de ceux que vous demandez n'existent pas. Nous pourrions en obtenir certains portant sur les gens qui sont entrés au pénitencier, étant donné que les statistiques en matière correctionnelle sont plus complètes, par exemple, pour des catégories comme les femmes, les hommes, les Autochtones et les minorités visibles.
    Le Service correctionnel pourrait probablement fournir aussi des chiffres sur des gens entrés pour la deuxième ou troisième fois au pénitencier, mais ces statistiques ne sont généralement pas disponibles. Je crois même que ces gens devraient étudier leurs statistiques.
    À votre connaissance, y a-t-il à l'heure actuelle quelque part au Canada une étude en cours ou déjà menée à terme, réalisée dans un institut de criminologie ou commandée par le ministère de la Justice ou tout autre groupe, qui vise à obtenir ces chiffres?
    Non. Je crois que ces chiffres pourraient être obtenus auprès des chercheurs du Service correctionnel du Canada puisque ce sont eux qui possèdent la banque de données sur les admissions. Leur système est probablement assez sophistiqué pour fournir ces chiffres. Ce sont eux qui pourraient le faire puisque ce sont eux qui détiennent ces informations.
    Merci.

[Traduction]

    Monsieur Harris.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Landreville, je crois qu'il est clair que l'objectif de la loi sur les contrevenants dangereux est de cibler les pires criminels de notre société qui ont été reconnus coupables et de les retirer de la société afin qu'ils ne constituent plus une menace pour nos familles et nos enfants. Nous avons dit que les juges et les procureurs de la Couronne disposeront toujours de pouvoirs discrétionnaires lorsqu'ils appliqueront cette nouvelle loi.
    Tout le monde ici reconnaît qu'il y a actuellement une surreprésentation des Autochtones dans notre système pénal. Tout le monde reconnaît que les Autochtones affrontent des problèmes sociaux énormes depuis leur naissance jusqu'à leur adolescence, âge où ils peuvent s'attirer des ennuis. Tout le monde reconnaît qu'il faut faire quelque chose. Nous voulons changer cela.
    Ce que j'essaie de dire, c'est que compte tenu du pouvoir discrétionnaire des juges et des procureurs de la couronne, compte tenu de la façon dont le projet de loi est rédigé et de son objectif, il y a bien moins de chance pour qu'il crée une discrimination fondée sur la culture, la race ou le milieu que le député d'en face le laisse entendre.
    J'ajouterais, monsieur Landreville, et j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet, que les Canadiens qui craignent pour leurs vies, leurs familles et leurs collectivités ont peur de ces menaces. Quels que soient son milieu et sa culture, que cette personne soit blanche, rouge, noire, rose ou autre, si elle répond au critère qui pousse un procureur de la couronne à demander une désignation de délinquant dangereux, tout ce que veulent les Canadiens, c'est qu'elle soit retirée de la société. Est-ce que vous ne croyez pas que le système de justice et le Code criminel doivent permettre cela pour protéger nos sociétés?
    Pouvez-vous me répondre, s'il vous plaît.
(1015)
    Vous avez environ 30 secondes, monsieur Landreville. Nous essayons de nous assurer...
    Il y a deux autres personnes qui veulent prendre la parole. Je vais laisser Mme Freeman et M. Keddy poser leurs questions — après quoi il faudra passer aux autres témoins.

[Français]

    Malheureusement, je ne suis pas de votre avis sur cette question. Malgré le fait que ni vous ni qui que ce soit d'autre au sein du système d'administration de la justice n'ait l'intention de viser les Autochtones de façon disproportionnée, ils sont visés, et je suis personnellement convaincu — c'est une opinion — qu'ils vont l'être encore plus, compte tenu des probabilités, comme je l'ai dit plus tôt.
    Même si ce n'est pas l'intention de cette loi, elle va les frapper de façon disproportionnée. Il est tout à fait juste de tenter de cibler des délinquants dangereux. C'est un droit et un devoir que vous avez, mais malheureusement, dans la pratique, puisque leur taux d'incarcération est plus élevé et qu'ils entrent plus jeunes au pénitencier — et ici, je me répète —, ils vont être frappés de façon discriminatoire malgré le pouvoir discrétionnaire des juges.

[Traduction]

    Madame Freeman.

[Français]

    Merci, monsieur Landreville, de votre exposé.
    J'aimerais poser une question pour donner suite à l'intervention de M. Kramp. On prétend souvent — en fait, le Parti conservateur prétend souvent — que les crimes violents sont à la hausse. Or, toutes les statistiques auxquelles nous avons accès indiquent que les crimes violents, en fait les crimes en général, connaissent une diminution vraiment notoire. Étant donné que toutes les lois qu'on nous propose visent à lutter contre l'augmentation des crimes, j'aimerais que vous nous donniez des précisions à ce sujet.
    J'ai ici des statistiques de Statistique Canada. En 1992, on a atteint au Canada le taux le plus élevé en matière de crimes de violence, soit 1 084 par 100 000 habitants. En 2006, cette proportion était réduite à 951 par 100 000 habitants, ce qui représente une diminution de 12 p. 100. Pendant cette période, le total des infractions au Code criminel a diminué de 27 p. 100. Les crimes de violence ont moins diminué, mais ils ont quand même subi une baisse.
     Pour ce qui est des homicides, ils sont en chute libre, si vous me permettez l'expression, depuis 1975. J'ai des chiffres ici . À l'heure actuelle au Canada, on enregistre 40 p. 100 moins d'homicides qu'en 1975. C'est une diminution relativement constante depuis cette année-là, et elle coïncide avec l'abolition de la peine de mort.
    Si je comprends bien, les crimes violents diminuent au Canada. On prétend mettre en vigueur des projets de loi pour lutter contre l'augmentation des crimes, mais Statistique Canada ne nous dit pas la même chose.
(1020)
    En effet. Il semble que le postulat soit faux.
    D'accord.
    Ce projet de loi s'adressera surtout aux récidivistes, à des délinquants qui ne seraient pas nécessairement dangereux. Pourriez-vous nous dire quel genre de récidivistes seraient ciblés par l'application de ce projet de loi s'il était adopté?
    Toutes les expériences antérieures donnent à penser qu'un nombre considérable de multirécidivistes, qu'on appelle parfois en criminologie chronic petty offenders, seraient visés par cette loi. Certains délinquants dangereux visés par la loi seraient certainement des délinquants qui perpétreraient éventuellement des actes de violence, mais la majorité des délinquants, du fait qu'ils auraient plus de 40 ans, n'en viendraient pas à représenter un danger grave pour les autres.
    La loi ne viserait pas directement les délinquants dangereux, ceux qu'on veut vraiment viser?
    Elle viserait, mais ne frapperait pas.
    Le but est là, mais...
     C'est ce que les recherches antérieures démontrent.
    Merci.

[Traduction]

    C'est monsieur Keddy qui va clore cette séance.
     Merci, monsieur le président. Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins.
    La discussion qui se déroule actuellement sur les délinquants dangereux est fort intéressante. Vous nous dites tout compte fait que cette nouvelle mesure législative pénaliserait un trop grand nombre d'intervenants et que nous allons en fait pénaliser les personnes qui sont coupables de délits mineurs.
    Les Canadiens qui écoutent ou regardent nos délibérations ou qui liront les procès-verbaux plus tard doivent bien comprendre qui nous ciblons ici quand nous parlons de délinquants dangereux. À mon avis, ceux qui ont été reconnus coupables non pas d'une, de deux mais bien de trois actes criminels violents, et qui ont entre autres utilisé des explosifs, ont eu recours à une arme à feu pour intimider les gens lors de la perpétration d'une infraction, ont exploité une personne handicapée à des fins sexuelles, sont un père, une mère ou un tuteur qui sert d'entremetteur, se livrent ou possèdent de la pornographie juvénile, qui permettent l'exploitation d'un enfant, ont recours au leurre, sont accusés d'un acte criminel violent, d'agression sexuelle, de vivre des produits de la prostitution ou d'avoir infligé illégalement des lésions corporelles... Il ne s'agit certainement pas là de délits mineurs. Il s'agit d'infractions violentes, graves et dangereuses.
    J'ai remarqué que vous avez dit qu'il y a moins d'infractions ou d'actes criminels graves. Est-ce que cela veut dire que notre société, que les Canadiens, que les députés à la Chambre des communes qui essaient de faire adopter une loi pour l'ensemble des Canadiens ne devrions rien faire et que nous devrions nous contenter de quelque chose de médiocre ou que nous devrions simplement dire que si nous pouvons faire quelque chose pour empêcher les actes criminels violents...? Écoutez, nous ne parlons pas ici de personnes qui sont coupables de délits mineurs et je dois vous dire je ne suis pas d'accord avec vous. Nous parlons ici de délinquants dangereux.
    Comparer cette proposition au système des “three strikes“ de la Californie est peu judicieux parce qu'en fait nos propositions n'ont rien à voir à ce qu'on fait en Californie. Dans cet État, vous pouvez être envoyé derrière les barreaux simplement pour avoir traversé de façon illégale la chaussée. À mon avis, c'est pousser les choses beaucoup trop loin et c'est en fait ridicule. Mais ce n'est pas ce dont nous parlons ici. Nous cherchons simplement à protéger les Canadiens des délinquants dangereux et violents.
    Je ne dis pas que la mesure législative est parfaite, mais elle est certainement mieux indiquée qu'un projet de loi ou une loi médiocre.
    Si j'ai suffisamment de temps —
    Il vous reste une minute.
    Une minute. Je vais quand même donner au témoin une chance de répondre.
    J'aimerais passer à une question un peu différente et vous demander si vous pensez que ce projet de loi, et tout particulièrement, les dispositions sur les infractions désignées sont conformes à la Constitution. Pensez-vous que si l'on contestait la validité de ces dispositions, le gouvernement aurait gain de cause?
(1025)

[Français]

    Je ne vais pas répondre à votre deuxième question: c'est hors de mon champ de compétence. Pour ce qui est de la première, si j'ai bien compris, le projet de loi comprend une liste d'infractions; vous avez nommé les plus graves, mais il y a aussi des infractions telles que l'introduction par effraction et les voies de fait.

[Traduction]

    Merci.
    Je crois que nous devrons mettre fin à cet échange maintenant.
    Je tiens à vous remercier, monsieur Landreville, de cette analyse statistique approfondie. Je sais qu'on vous a posé des questions sur vos statistiques et que vous voulez répondre plus tard. Je vous invite donc à faire parvenir ces documents à notre greffière qui sera ravie de les distribuer aux membres du comité.
    J'aimerais maintenant demander aux représentants du ministère à venir prendre place à la table des témoins. Nous sommes déjà un petit peu en retard et je demanderai s'il est possible de poursuivre notre réunion après 11 heures pour que tout le monde ait l'occasion de poser des questions aux représentants du ministère. En fait, si nous commençons dès maintenant par un tour de questions de cinq minutes plutôt qu'un tour de sept minutes, nous pourrons rattraper probablement le temps perdu.
    Comme je l'ai déjà signalé, nous pourrions procéder plus rapidement si tout le monde posait des questions concises. De cette façon, un plus grand nombre de députés auront l'occasion de poser des questions. Si les fonctionnaires veulent formuler des commentaires liminaires, je les invite à être brefs. J'aimerais qu'on garde autant de temps que possible pour poser des questions et laisser nos témoins y répondre, au cours des 45 prochaines minutes. Je demanderai probablement au comité la permission de prolonger nos travaux pendant 10 minutes ou peut-être même 15 minutes, simplement parce que nous avons perdu du temps au début de la réunion lorsque nous avons discuté de la motion. De cette façon, nous disposerons d'une heure pour discuter de ce projet de loi avec les représentants du ministère.
    Monsieur Cohen.
    Je n'ai pas de commentaire liminaire mais je pensais simplement me présenter puisque je n'ai pas encore comparu pour discuter de cette mesure législative.
    Nous vous serions reconnaissant de le faire. Merci.
    Je m'appelle Stanley Cohen et je suis avocat général principal du ministère de la Justice. J'offre des conseils sur la charte des droits en ce qui a trait au système de justice pénale et à la sécurité nationale. J'ai déjà eu l'occasion de comparaître devant des comités parlementaires et je sais que certains d'entre vous me connaissez déjà. J'ai travaillé dans le milieu universitaire et dans le domaine de la réforme du droit et j'espère que je pourrai vous être utile. Je suis venu pour vous offrir mon aide si c'est possible.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Cohen.
    Nous passerons directement au premier tour de questions.
(1030)
    Je n'ai qu'une question à poser et puis je partagerai le reste de mon temps avec mon collègue M. Murphy.
    D'après vous, les dispositions du projet de loi C-2 qui touche le système des contrevenants dangereux sont-elles conformes à la constitution? Dans l'affirmative, pourquoi?
    Le reste de mon temps sera utilisé par M. Murphy.
    Puisque je veux répondre à cette question sans déborder du cadre de mes responsabilités, je me contenterai de dire qu'il existe au ministère un processus qui prévoit l'analyse de toutes les mesures législatives pour déterminer si elles sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés. Cette mesure législative a été étudiée et elle n'aurait pas été publiée ou déposée à la Chambre si l'on n'avait pas déterminé qu'elle était clairement conforme à la constitution et qu'il serait possible de défendre avec des arguments crédibles auprès d'un tribunal cette conformité à la constitution.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais revenir à votre réponse. D'aucuns ont dit que les propositions touchant les contrevenants dangereux dans lesquelles on transfère au prévenu le fardeau de la preuve — en fait ce n'est pas vraiment un prévenu mais c'est la personne condamnée à l'étape de la détermination de la peine — pourraient empiéter sur le droit de cette personne au silence, c'est-à-dire la protection contre l'auto-incrimination. Je crois que M. Hoover a dit qu'il existait une jurisprudence à cet égard. C'était dans l'affaire — j'allais dire Grewal, mais ce n'est pas le bon nom — Grayer ou quelque chose qui ressemble au fromage, non pas au nom du député.
    De toute façon, les témoins nous ont dit lors de la dernière réunion que la jurisprudence ne fait pas autorité et en fait ne peut garantir que lorsque l'on déplace le fardeau de la preuve, le contrevenant peut toujours avoir droit au silence. En d'autres termes, le condamné peut décider de ne pas mot dire, mais il devra dans ces circonstances accepter les répercussions de cette décision, c'est qu'il ne pourra utiliser de preuves qui auraient pu l' aider.
    C'était clairement ce que nous ont dit les représentants de la Criminal Lawyers' Association qui disait qu'on présentait sous un angle faux...
    Monsieur Hoover, vous étiez dans la salle lorsqu'on a tenu ces propos.
    Pouvez-vous me dire, monsieur Cohen, quel impact ces modifications pourraient avoir sur le droit au silence ou la protection contre l'auto-incrimination garantie par la charte?
    C'est évidemment là une question qui ouvre sur énormément de choses.
    Certes, la Constitution protège le droit qu'a l'accusé de garder le silence. En règle générale, ce droit intervient au moment où la personne est interrogée par la police. Le rapport qui existe entre le droit pour l'accusé de garder le silence et le droit qu'il a de ne rien dire qui puisse l'incriminer a été abondamment commenté dans la jurisprudence, mais en tout état de cause, ce deuxième droit recouvre une notion un peu plus large.
    Pour en revenir à votre question au sujet de l'importance de l'affaire Grayer en ce qui concerne le droit de garder le silence, dans cette affaire, le jugement disait en substance qu'une personne qui se retrouve dans une situation qui pourrait être la sienne, dans le cadre d'une demande visant à la faire reconnaître comme un délinquant dangereux, a parfaitement le droit de rester muet et de ne coopérer en rien. Aucune disposition de ce projet de loi n'obligerait la personne en question à témoigner, et aucune disposition non plus ne représenterait un fardeau inversé qui ferait que la personne en question soit obligée de répondre.
    Lorsqu'une personne se trouve dans une situation comme celle-là — en situation de risque pourrions-nous dire — il est certain qu'elle a tout naturellement envie, qu'elle est tout naturellement poussée à vouloir être capable de répondre, et c'est bien entendu la raison pour laquelle cela finit par donner lieu à une contestation. Et même si une personne a parfaitement le droit de garder le silence, il n'empêche qu'elle reste parfaitement capable de décider, en toute connaissance de cause et pour des raisons tactiques, d'accepter ou non de répondre. Elle n'est pas obligée de le faire. Cela n'est pas une fin en soi.
    Comme le montrent la loi et la pratique, la personne en question a le droit de contre-interroger, le droit de citer des témoins, le droit également de se servir des éléments de preuve qui ont été présentés par le ministère public. À cet égard donc, peut-être pourrait-on ne pas appeler cela le droit au silence, mais c'est quand même un droit au silence si la personne en question refuse de parler ou de coopérer. Et pour moi, ce n'est pas là quelque chose qui ferait intervenir cette prétendue notion d'auto-incrimination.
    Je dois vous signaler que les dispositions qui protègent contre l'auto-incrimination se trouvent soit à l'article 11, soit à l'article 13 de la Charte, articles qui sont annoncés et précédés par une indication comme quoi ces droits sont garantis à quiconque est accusé d'une infraction. Dès lors qu'une personne est accusée d'une infraction, elle bénéficie ipso facto de ces protections.
    L'affaire Lyons, qui demeure la référence et la balise à prendre en compte dans tous les cas associés à la Loi sur les délinquants dangereux, a donné lieu à un jugement de M. le juge La Forest, un juriste modéré et neutre, un expert en la matière...
(1035)
    Excusez-moi, monsieur Cohen.
    Nous allons devoir poursuivre.
    Très bien, mais laissez-moi simplement conclure en revenant sur ce que dit l'arrêt Lyons. Selon l'arrêt Lyons, ce n'est pas un cas qui fait intervenir la protection accordée par l'article 11 étant donné qu'en l'occurrence, la personne n'est pas accusée d'une infraction. Cela fait partie du processus de détermination de la peine.
    Je vous remercie.
    Vous voudrez bien m'excuser, mais nos échéances sont très serrées. Je ne voulais pas vous interrompre, mais il faut absolument essayer de maintenir l'ordre dans l'intérêt de tout le monde.
    Monsieur Ménard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Sauf votre respect, monsieur Cohen, je suis ici depuis 1994 et je peux vous dire qu'il nous est déjà arrivé d'étudier des règlements et des lois dont le ministère disait qu'ils étaient constitutionnels, mais qui ont été invalidés par la suite. Mon collègue a peut-être dit qu'il s'agissait des libéraux, mais les dispositions antiterroristes ont été étudiées en comité, n'est-ce pas? M. Comartin était membre du comité. Certaines dispositions ont été invalidées. Quand Mme Marleau était ministre de la Santé, les règlements sur le tabac ont été invalidés. Alors, je trouve votre affirmation pour le moins présomptueuse. Ce n'est pas parce que le ministère nous renvoie un projet de loi que celui-ci ne sera pas invalidé par la suite.
    Mais puisque vous nous dites avec assurance que le projet de loi est constitutionnel, j'aimerais que pour une fois, en tant que parlementaire, vous nous expliquiez avec précision quels sont les mécanismes de vérification. Soyez assez précis. Quand, au Conseil des ministres, le ministre signe un mémoire disant que c'est constitutionnel, quelle forme cela prend-il précisément?
     J'aurai ensuite trois questions à vous poser concernant le fond des choses. Je suis juriste comme vous et je sais évidemment qu'on peut toujours contester une loi. Vous nous avez dit que vous aviez vérifié, ce qui est d'ordre général, mais quelles sont plus spécifiquement les démarches que vous avez faites et quelles sont les garanties raisonnables?

[Traduction]

    Pour commencer, cela fait déjà plusieurs fois que je comparais devant vous pour parler de ce genre de choses, et je n'ai jamais opiné que telle ou telle loi était constitutionnelle et que la cour le confirmerait, ou qu'elle est inconstitutionnelle et que la cour l'invaliderait. Ce que j'ai dit, c'est ce que j'ai dit au tout début. Il existe un processus qu'on utilise pour faire une évaluation et le ministre de la Justice a l'obligation de procéder à cet examen. Ce que nous en avons conclu, c'est que la loi en question n'est pas inconstitutionnelle de prime abord. Cela ne veut toutefois pas dire que...

[Français]

     Un instant, c'est moi qui pose les questions. Quel est le processus? Ne me dites pas que c'est constitutionnel, expliquez-moi le processus.

[Traduction]

    J'ai dit que la loi n'est pas inconstitutionnelle de prime abord et qu'il était possible de la défendre de façon raisonnée devant la cour. Le processus utilisé pour faire cette évaluation... vous m'avez demandé de quoi il s'agissait.
(1040)

[Français]

    Ce n'est pas ma question. Dites-moi quel est le processus suivi au ministère, étape par étape. C'est ce que je veux comprendre. Et répondez à ma question précisément.

[Traduction]

    C'est ce que j'essaie d'expliquer.
    L'évaluation d'un projet de loi commence tôt, au moment où l'on nous présente diverses possibilités de réforme. Tout cela fait l'objet d'avis juridiques, de discussions, de tables rondes, etc. Toutes les ramifications sont également prises en compte, qu'elles soient de nature constitutionnelle ou autre — et les décideurs interviennent aussi dans ces discussions. Les considérations d'ordre constitutionnel sont prises en compte. Des avis sont rédigés et soumis aux hauts-responsables, et tout cela aboutit sur le bureau du ministre qui est le décideur ultime.

[Français]

    Combien y a-t-il eu d'avis juridiques dans ce dossier?

[Traduction]

    Je ne peux pas vous dire combien au juste. Je sais qu'il y en a eu plus d'un. Je sais qu'il y a des opinions qui ne traitent pas seulement de la charte, et que diverses autres sections du ministère vont se pencher sur d'autres questions juridiques.
    Ce que je peux vous dire, c'est que lorsque les avis juridiques sont rédigés, on procède à un examen réaliste du projet de loi pour savoir, comme je l'ai dit, s'il est manifestement anticonstitutionnel d'une part, ou, à l'autre extrême si sa constitutionnalité est contestable.

[Français]

    Je vous pose une deuxième question avant que mon temps ne soit écoulé.
    Monsieur le président...

[Traduction]

    Votre temps de parole est écoulé, monsieur Ménard. Toutes mes excuses. J'ai la certitude que vous aurez l'occasion d'y revenir.
    Monsieur Comartin.
    Je ne suis pas sûr, monsieur Cohen, si ma question s'adresse à vous ou à M. Hoover, mais j'ai certaines réserves. Ce qui me préoccupe beaucoup, c'est la constitutionnalité du projet de loi en ce qui concerne le partage des pouvoirs. Voyez certains échanges que nous avons eus aux rencontres entre le gouvernement fédéral et les procureurs généraux des provinces au cours des quelques dernières décennies, et ceux-ci n'ont jamais voulu qu'on empiète sur leur territoire, à savoir l'administration de la justice, qui évidemment relève d'eux en vertu de la Constitution. Je crois qu'il y a empiètement de ce côté, et que l'on contrevient en plus à la Charte.
    On m'a dit qu'on a ordonné au ministère de grouper ces cinq projets de loi en un seul seulement 48 heures avant le début de l'actuelle session. Je ne sais pas à quel moment la décision a été prise. Voulez-vous confirmer que vous n'avez eu qu'un avis de 48 heures pour grouper ces projets de loi? C'est ma première question.
    Question no deux, quand a-t-on décidé de faire du défaut de se conformer à une ordonnance de surveillance un élément déclencheur?
    Troisième question — et j'imagine que c'est celle qui me trouble le plus — et c'est de savoir à quel genre de consultation on a procédé? Nous avons entendu le témoignage de M. Cooper. Il s'agit là de la personne qui intente des poursuites dans une région plus que n'importe qui au pays en ce moment. Il est venu à nous et nous a dit, écoutez, ce dont j'ai vraiment besoin, ce sont des modifications à la partie XXIV pour que je puisse avoir de meilleures preuves pour poursuivre ces demandes. Il a dit que ces modifications l'aideraient infiniment.
    Il a également fait valoir dans son témoignage qu'il n'allait pas modifier sa pratique si ces modifications étaient adoptées. Donc pourquoi faisons-nous ça, et pourquoi n'avons-nous pas écouté des gens comme lui et apporté des modifications à la partie XXIV, ce qui lui aurait facilité la tâche de beaucoup?
    En réponse à votre première question, qui est de savoir si nous avons eu plus de 48 heures pour présenter le projet de loi, il est évident que c'est oui.
    En réponse à la deuxième question concernant l'inclusion du défaut de se conformer à une ordonnance de surveillance, j'en ai entendu parler pour la première fois en novembre 2004, lorsque la question a été posée par le procureur général de l'Ontario. On nous a en fait soumis une demande officielle d'étude en janvier 2005. Le groupe de travail fédéral provincial territorial sur les délinquants dangereux étudie cette question depuis un certain temps déjà.
    Vous vous en souvenez sans doute, dans son témoignage devant le comité le 5 juin, le ministre a confirmé qu'il attendait les délibérations du groupe de travail FPT et l'étude des ministres de la Justice FPT, et qu'il espérait inclure une telle disposition d'ici l'automne. Presque tout le travail a été terminé au cours de l'été, et une recommandation a été discutée en détail. En fait, c'est le fruit de ce travail que vous voyez dans le projet de loi à l'étude. Il y a donc eu des consultations approfondies, qui se poursuivent depuis un certain temps déjà, et c'est ce qui nous a permis de mettre au point non seulement un modèle viable mais un modèle utilisable par toutes les compétences.
    Je crois que la question posée par M. Cooper, pour qui j'ai le plus grand respect, tient à sa perspective à lui. Il n'était pas ici à titre de porte-parole du procureur général de l'Ontario; il a bien dit qu'il ne faisait qu'exprimer sa propre opinion. Avant d'étudier cette question plus avant et de conclure quoi que ce soit — je crois qu'il a proposé un amendement particulier à l'article 760 — nous voudrons consulter nos partenaires FPT en bonne et due forme. Ce travail n'a pas été fait, et cette question n'a pas été soulevée par les représentants du procureur général de l'Ontario au cours des consultations précédentes.
(1045)
    Quand vous a-t-on donné l'ordre de grouper ces cinq projets de loi en un seul?
    Ce n'est pas moi qui ai pris la décision. Vous devrez peut-être poser la question à d'autres responsables. Je répète que ma responsabilité est celle d'avocat conseil principal pour la loi sur les délinquants dangereux.
    Quand a-t-on décidé d'apporter cet amendement à l'ordonnance de surveillance?
    Je vous prierais encore une fois de vous reporter à la déclaration qu'a faite le ministre le 5 juin.
    Mais lorsqu'il était ici, je crois que les autres membres du comité qui étaient là à ce moment-là ont eu comme moi l'impression très nette que cette disposition ne paraîtrait pas dans le projet de loi C-27, que cette question était remise à plus tard. Chose certaine, c'est l'impression que j'ai eue.
    Je crois que la déclaration claire du ministre — Si je me souviens bien, on lui a demandé s'il autoriserait un amendement au projet de loi C-27, et il a répondu qu'à ce moment précis, nous n'étions pas disposés à le faire parce qu'il y avait encore des consultations en cours, mais qu'il espérait — et je crois que c'est bien ce qu'il a dit — qu'on espérait que ces consultations seraient terminées à l'automne.
    Je devrais relire la transcription. Ce n'est pas le souvenir que j'en ai.
    Permettez-moi de revenir à —
    Monsieur Comartin, malheureusement, vous devrez poser cette question plus tard.
    Allez-y, monsieur Kramp.
    Rappel au Règlement.
    C'est peut-être en fait une question de privilège.
    M. Cooper nous a dit qu'il allait proposer un amendement. Je ne l'ai pas vu. La question que je veux poser à ces messieurs est de savoir si on lui a donné l'ordre de ne pas le faire.
    Je vais permettre qu'on réponde à cette question. J'en ferai une question de privilège, et nous allons obtenir une réponse.
    M. Cooper ne relève absolument pas de moi, et je n'ai pas discuté avec lui de la question de savoir s'il proposerait ou non un tel amendement. La première fois que j'ai entendu parler de cette proposition, c'est lorsqu'il l'a faite ici. Je n'ai vu aucun projet d'amendement. Je ne sais pas où il en est ou quelle forme cet amendement prendrait. Je ne sais rien à ce sujet, désolé.
    La greffière m'informe que nous allons vérifier cela. Elle croit comprendre qu'elle a peut-être envoyé un texte mais que nous n'avons tout simplement pas eu le loisir de vous le transmettre. Chose certaine, ce sera fait.
    Allez-y, monsieur Kramp.
    Merci, monsieur le président.
    Merci encore à nos témoins.
    L'un des grands sujets de fierté que nous avons toujours eu au Canada, c'est le loisir que nous avons d'exercer la discrétion judiciaire, qu'il s'agisse de la Couronne ou de la magistrature. Divers témoins ont dit au comité que, surtout en ce qui concerne la loi sur les délinquants dangereux, la Couronne ou la magistrature se verraient privées de leur pouvoir discrétionnaire, aussi bien avant la désignation comme telle qu'au cours du processus de détermination de la peine. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
    En outre, pourriez-vous nous expliquer de nouveau ce processus, pour que l'on puisse bien comprendre les dispositions qui concernent la discrétion judiciaire?
(1050)
    Eh bien, il est évident que la première possibilité relative à la discrétion judiciaire se présente au moment où le procureur de la Couronne adresse une requête en vertu de l'article 752, et le procureur de la Couronne doit alors faire valoir auprès de la cour que l'infraction de prédicat est une infraction grave à l'égard d'une personne. Si le juge estime que la situation ne répond pas aux critères de l'article 752, il lui est loisible de dire que ce n'est pas le cas, et la requête ne peut pas aller plus loin.
    Une fois franchi ce seuil initial, la prochaine possibilité relative à la discrétion judiciaire se présente lorsque le procureur de la Couronne doit demander un examen psychiatrique en vertu de l'article 752.1. Il est alors loisible au juge d'écarter cette requête s'il est d'avis que la procédure n'aboutira pas à une désignation de délinquant dangereux.
    Une fois l'examen psychiatrique communiqué à la cour, le procureur de la Couronne doit alors demander le consentement du procureur général et transmettre ce consentement par écrit à la cour. Quand c'est fait, et le tout doit être accompagné d'un avis au défenseur, on passe alors à la phase de l'audience. C'est à ce moment que la cour exerce sa discrétion pour la dernière fois, tout d'abord pour décider si le délinquant répond aux critères du délinquant dangereux; ensuite, comme le veut la jurisprudence que l'on trouve dans la Reine c. Johnson, et même si le délinquant répond aux critères du délinquant dangereux, la cour peut bien sûr refuser de lui imposer une peine indéterminée si un châtiment moins grave permet de gérer le risque que court le grand public.
    En vertu de cette nouvelle disposition, tous ces éléments de discrétion judiciaire restent intacts. Même dans les circonstances où la présomption intervient du fait d'une troisième infraction de prédicat suffisamment grave, le juge conserve la discrétion de refuser la désignation si le délinquant est en mesure de réfuter cette présomption.
    Dans un cas comme dans l'autre, si la désignation est faite, le principe évoqué dans l'affaire Johnson est très clair: le juge a toujours la discrétion de ne pas imposer de peine indéterminée s'il y a moyen de bien gérer le risque pour la société en imposant une peine moins longue.
    Merci. C'était ma seule question.
    Merci, monsieur Kramp.
    Monsieur Lee, vous avez cinq minutes.
    Je suis d'accord pour dire que l'aspect pouvoir discrétionnaire que l'on retrouve dans ce projet de loi a été bien repensé, et que c'est une bonne chose.
    Ce qui me préoccupe, c'est la conformité à la Charte, surtout en ce qui concerne l'article 7 de la Charte et les principes de la justice fondamentale, le droit de conserver le silence. Je demeure sceptique ici. J'admets que nous entrons dans une zone grise, et j'ai bien compris ce qu'ont dit M. Hoover ainsi que M. Cohen aujourd'hui. Ils se sont efforcés de répondre à cette question, mais je veux seulement faire état de mon objection sur le fond, et vous pourrez peut-être y répondre.
    Parmi les principes de la justice fondamentale, on compte le droit au silence. Je pars du principe que le droit au silence demeure respecté pendant toutes les procédures criminelles, même jusqu'au moment où la personne reçoit sa sentence. C'est aussi le cas de la procédure applicable aux délinquants dangereux. Qu'on me reprenne si j'ai tort, mais je n'ai pas lieu de croire pour le moment qu'on refuserait à un accusé le droit de conserver le silence au cours d'une procédure criminelle, particulièrement au moment où cette personne se retrouve privée de liberté.
    Dans le cours normal des choses, lorsqu'on a recours au droit de conserver le silence, on s'attend à ce que le procureur de la Couronne explique pourquoi l'individu en question pose un danger tel que l'État est en droit d'entraver davantage sa liberté. Dans ce cas particulier, si j'en crois le libellé du projet de loi, la Couronne n'a pas à donner une telle explication. Oui, il y a un rapport d'évaluation qui précède l'audience, mais la Couronne n'a pas à donner d'explication étant donné que la loi crée une présomption selon laquelle la personne est dangereuse. Donc le procureur de la Couronne n'a plus à donner d'explication. Il n'existe plus qu'une simple formule mathématique qui dit que la personne est présumée dangereuse.
    J'avance pour ma part que cela revient en pratique à priver l'accusé du droit de conserver le silence, parce que non seulement l'individu doit faire face à une présomption fondée sur une formule mathématique qui lui impose à lui ou à elle le statut de délinquant dangereux, mais on le contraint à prouver que c'est faux. L'individu est obligé de dire : « Ce n'est pas vrai. Peu importe ce que vous pensez de moi, je ne suis pas cet homme. » Forcer quelqu'un à réfuter une présomption mathématique, c'est pour moi supprimer en pratique le droit de conserver le silence dans le cadre d'une procédure criminelle, et c'est ce qui me préoccupe.
    Je vais m'arrêter là, et je vais voir si vous pouvez me rassurer et me dire que l'individu n'a pas, en pratique, perdu le droit de conserver le silence s'il est déclaré délinquant dangereux, si je peux dire, en vertu d'une formule mathématique où le procureur de la Couronne n'a plus l'obligation de donner un portrait complet des faits.
(1055)
    Je comprends vos préoccupations. J'imagine que chaque fois que le fardeau de la preuve est inversé dans le cadre d'une procédure criminelle, le même genre de préoccupation se pose dans la mesure où le fait que le fardeau de la preuve soit inversé oblige l'intimé à répondre d'une manière ou d'une autre. On pourrait penser que l'on contrevient au droit de conserver le silence si l'on est obligé de répondre directement en témoignant. Je ne crois pas que dans les cas où il y a inversement de la preuve et où la personne est invitée à répondre, que la jurisprudence en arrive nécessairement à la même conclusion que vous, mais disons que, d'un point de vue psychologique ou tactique, je vois à quoi vous voulez en venir.
    Je dirai ceci à propos du droit de conserver le silence. Le droit au silence n'est pas mentionné explicitement dans la Constitution. Ce droit est apparu dans la jurisprudence en vertu de l'article 7. Je sais qu'on vous a mentionné l'affaire Hébert en ce qui concerne l'article 7 et le droit au silence. Plus récemment, il y a à peine deux ou trois semaines, la Cour suprême, dans l'arrêt Singh, qui traitait d'interrogatoires à répétition de la part de la police dans le cas d'une personne qui était en détention, a rendu un jugement fort explicite où il est dit que le droit au silence n'empêchait pas la police d'interroger de façon répétée une personne lorsqu'elle disposait de preuves nouvelles ou se retrouvait devant des circonstances nouvelles suscitant des questions exigeant réponse.
    Je vois que le président me regarde comme si ma réponse était trop longue.
    Oui. Peut-être vous faut-il encore une vingtaine de secondes.
    Je vais tâcher de conclure.
    Je suis d'avis que...
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Il s'agit sans doute d'une question fondamentale qui finira sans doute fatalement par aboutir devant les tribunaux. Il serait donc vraiment utile d'avoir la totalité...
    Je comprends, monsieur Lee, et j'essaie de laisser un peu de latitude pour que ce soit possible.
    Je vais essayer de conclure.
    J'ajouterai seulement que l'affaire Singh porte sur le droit au silence et fait des observations sur les liens entre l'auto-incrimination et le droit au silence. Cela vaut la peine de l'examiner.
    Il est aussi question de l'affaire White à la Cour suprême du Canada, dans laquelle il est abondamment fait allusion au cadre de la protection contre l'auto-incrimination.
    J'estime que cette citation, extraite de l'arrêt Singh, et qui provient de l'affaire White, est pertinente. Je cite le juge Iacobucci :
Je tiens tout d’abord à préciser que toute règle commandée par le principe interdisant l’auto-incrimination, qui restreint la contraignabilité, est en tension dynamique avec un principe contraire de justice fondamentale, selon lequel le juge des faits devrait disposer des éléments de preuve pertinents dans sa recherche de la vérité. [. .] De toute évidence, la Charte sanctionne des dérogations à cette règle positive générale. L’alinéa 11c) et l’art. 13 en sont des exemples évidents. Il s’agit de savoir si nous avons besoin d’une autre exemption et, dans l’affirmative, pourquoi?
    Je pense que cela doit être examiné, en particulier à la lumière de l'affaire Grayer, qui vous a été signalée et qui indique qu'une personne peut légalement résister à tout mécanisme qui cherche à obtenir sa coopération. Aucune procédure distincte n'est envisagée ici, et le droit au silence, dans les faits, peut être revendiqué avec succès, au péril toutefois de la personne en question.
(1100)
    Merci.
    Madame Freeman.

[Français]

    Je vais laisser la parole à M. Ménard.
    Je veux parler de la question du droit de se taire. Sur 11 témoins, si j'exclus le ministre et les officiels, six ont remis en cause le caractère constitutionnel du projet de loi, dont des professeurs de droit pénal et criminel. Vous comprendrez donc que nous sommes un peu inquiets. Le droit de se taire ne pourra plus exister dans toute son honnêteté, si le projet de loi est adopté, dans la mesure où le renversement du fardeau de la preuve oblige la personne mise en cause à se défendre. On peut dire qu'elle va renoncer à se défendre, évidemment, mais si on part avec une logique semblable, il n'y a plus de garantie constitutionnelle qui tienne.
    Sachez que nous sommes très inquiets. Je partage tout à fait le questionnement de M. Lee. Non seulement la question du droit de se taire est-elle mise en cause, mais on nous a parlé de l'incompatibilité du projet de loi avec les garanties contre les détentions arbitraires et l'article 7, le droit à la vie et à la sécurité et tout ce qui s'y rattache.
    Comment pouvez-vous nous sécuriser concernant la question de la détention arbitraire et celle de l'article 7? Je reviendrai sur d'autres questions ensuite, si j'en ai le temps.

[Traduction]

    Premièrement, au sujet de l'idée que vous avez entendue des témoins qui ont laissé entendre que le projet de loi est anticonstitutionnel, je n'ai pas suivi vos délibérations ni lu les bleus ou quoi que ce soit d'autre, mais je ne suis pas surpris que des gens aient un autre point de vue et affirment qu'il existe un problème constitutionnel qui aboutira à des procès et à une contestation constitutionnelle. Je dirais que le problème n'est pas là. Aucun des problèmes que vous avez évoqués n'est simple. Ce n'est pas une science. On ne peut pas dire ipso facto que parce qu'il y a une atteinte le tribunal va forcément invalider la loi.
    Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont ces personnes ont abordé la question parce qu'elles ont constaté qu'il y a une violation et qu'ils doivent passer à la deuxième question, celle de savoir si la loi peut raisonnablement se justifier dans une société libre et démocratique. À mon avis, c'est le noeud...

[Français]

    Les personnes qui ont dit cela, je les tiens pour au moins aussi compétentes que vous. Vous nous avez parlé de vos antécédents comme universitaire, mais les gens qui se sont présentés devant nous qui sont des professeurs à McGill ou à l'Université de Toronto, je les tiens pour au moins aussi compétents que vous.

[Traduction]

    Je ne doute pas qu'ils le soient et peut-être sont-ils plus sûrs de leurs faits que moi. Ce que j'ai essayé de faire ici, c'est simplement de poser la question que se posent des êtres raisonnables au stade de l'examen d'un projet de loi pour l'évaluer. Quand j'ai dit que la loi n'est pas carrément anticonstitutionnelle et peut être défendue de manière crédible et raisonnée, je dis que si le gouvernement va de l'avant avec cette loi, comme il est décidé à le faire, il aura de bons arguments à présenter en cour, qui pourra les accepter.
    En réponse à vos questions de portée plus vaste au sujet de articles 9 et 7 ainsi que les autres, il s'agit de la genèse de la loi concernant les délinquants dangereux. Si nous regardons l'arrêt Lyons, qui est encore une fois la source, le locus classicus dans ce domaine, vous trouverez non seulement les articles 7 et 9 mais aussi les articles 11 et 12 de la Charte, qui sont invoqués et traités largement et abondamment à l'occasion de la contestation de ce qui était à l'époque une loi relativement nouvelle sur les délinquants dangereux.
(1105)

[Français]

    Je veux seulement être rassuré sur le fait que dans les conférences fédérales-provinciales-territoriales des ministres de la Justice — d'ailleurs, je sais qu'il y en a une en cours présentement et je déposerai une motion pour obtenir les informations sur ce qui a été discuté —, les dispositions que l'on s'apprête à adopter, si tant est qu'on les vote, ont déjà fait l'objet d'un relatif acquiescement.
    Est-ce un peu ce que vous nous laissiez entendre, monsieur Hoover? Laissiez-vous entendre que la somme des cinq projets de loi que nous allons peut-être voter a fait l'objet de considération par ce forum qu'est la conférence fédérale-provinciale-territoriale des ministres de la Justice?

[Traduction]

    Je pense que la réponse est très simple. Ils se sont penchés sur un grand nombre de points abordés dans le projet de loi et ils en ont discuté d'autres qui n'y trouvent pas. Il y a divers avis autour de la table. Je ne sais trop de quelle disposition vous voulez que je parle, mais il est certain que le texte fait l'objet de discussion régulièrement. Toutes les lois qui auront des effets sur l'administration de la justice par les provinces les intéressent, pas seulement celle-ci.

[Français]

    Par ailleurs, pour ce qui touche l'ancien projet de loi C-27, sentiez-vous que nous étions en présence d'un désir affirmé, d'une passion plutôt tiède ou d'un rejet catégorique en ce qui a trait aux dispositions particulières qui concernent les délinquants dangereux? Sommes-nous en présence d'un projet de loi très désiré, d'une passion plutôt tiède de la part d'une province ou d'un rejet formel?
    Je sais que vous êtes toujours mal à l'aise face aux références à l'amour, mais c'est une figure de style.

[Traduction]

    Je pense qu'un désir affirmé a été exprimé, à la fois en public et lors des rencontres de hauts fonctionnaires en faveur de réformes destinées à corriger le problème Johnson, comme le ministre l'a dit le 5 juin dans son témoignage et encore tout dernièrement. Johnson a suscité des interrogations sur l'interprétation a donné dans chaque juridiction et on a réclamé que nous y répondions. La majorité des provinces appuient vigoureusement la loi sous sa forme actuelle — peut-être pas toutes les provinces à 100 p. 100, mais jusqu'à présent nous n'avons reçu, au sujet du C-2...
    Vous voulez savoir à propos du Québec? Encore une fois, j'hésite à parler d'une province en particulier. Je dirais que dans l'ensemble il existe un fort consensus autour de la nécessité d'avoir cette loi.
    Monsieur Petit.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Bonjour, monsieur Hoover et monsieur Cohen.
    Je vais revenir sur une des questions qui ont été posées sur ce qu'on appelle le droit de se taire. Vous avez bien cerné le point, à l'effet que le droit de se taire n'est pas nécessairement un élément garanti par la Charte, mais qui vient des différents jugements rendus par la Cour suprême depuis une bonne vingtaine d'années.
    La question que je vais vous poser sera un peu plus pointue. Dans le Code criminel, puisque vous travaillez avec le Code criminel, il y a des présomptions. Actuellement, il y en a déjà. La présomption vient à l'encontre de ce qu'on appelle le droit à l'innocence et le droit de se taire, parce qu'on présume alors que vous êtes coupable, par exemple, et c'est alors à vous de prouver l'inverse.
    En matière de recel, lorsqu'on parle de vol et recel, une présomption est utilisée depuis plus de 50 ans, depuis que le Code existe. A-t-elle déjà été attaquée par un procureur? Depuis que la Charte existe, y a-t-il eu une attaque qui a démontré que les présomptions en général — je ne parle pas que de cette présomption — attaqueraient des droits inaliénables de la Charte? C'est ma première question.
    J'ai aussi une sous-question, qui est également un commentaire. On voit souvent, lorsqu'on se présente à la cour, le procureur de la Couronne déposer un avis de récidive pour obtenir une condamnation supplémentaire. On fait une présomption. On indique déjà qu'on demandera plus d'amendes, plus de prison. On présume déjà de quelque chose. Tout cela n'a jamais été attaqué, du moins, personnellement, je n'ai jamais vu que cela avait été renversé ou annulé par la Cour suprême du Canada.
    J'aimerais donc savoir si la question de M. Lee, du Parti libéral, est pertinente. J'aimerais aussi savoir si des présomptions du Code criminel ont déjà été attaquées ou renversées par une décision de la Cour suprême du Canada.
(1110)

[Traduction]

    Je vais diviser votre question en deux. Vous avez commencé par dire que nous créons une présomption de culpabilité. La culpabilité, évidemment, ne fait pas partie de cette question. Nous avons déjà dépassé ce stade. Nous avons établi trois condamnations ici. Toute présomption qui présuppose la culpabilité serait, à mon avis, manifestement anticonstitutionnelle, et ce genre de présomptions ne sont pas des présomptions qui figurent dans le Code criminel ou ailleurs.
    On parle de l'inversion de la charge de la preuve. Quant à la question de savoir comment on aborde la justifiabilité des dispositions relatives à l'inversion de la charge de la preuve, la question déterminante est de savoir si la présomption elle-même, l'inversion de la charge, est justifiable. Essentiellement, cela découle de l'arrêt Oakes de la Cour suprême du Canada, qui constitue la principale décision relative à l'article 1erde la Charte et qui affirme que les faits qu'une personne ne peut pas rationnellement prouver ou réfuter ne peuvent être justifiés. Il doit y avoir un lien rationnel entre le fait avéré — il s'agit ici de trois condamnations — et du fait présumé. Le fait présumé a à voir avec le lien entre ces condamnations, ces infractions désignées et la dangerosité.
    Vous avez demandé si ces dispositions ont été maintenues dans la jurisprudence. L'inversion de la charge de la preuve et les présomptions impératives sont traitées de la même manière et peuvent constituer une limitation raisonnable justifiable aux termes de l'article 1er de la Charte, et les tribunaux ont statué souvent sur ce point: l'affaire Whyte en 1988 au sujet du soin et du contrôle d'un véhicule automobile; l'affaire Holmes, également en 1988, qui portait sur la possession d'outils d'effraction; l'affaire Keegstra, sur la promotion délibérée de la haine; l'affaire Chaulk, portant sur les présomptions de santé mentale, l'affaire Downey, au sujet de l'association avec des prostitués et enfin l'affaire Pearson, sur le cautionnement raisonnable.
    Telles sont les affaires, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a aussi des affaires où les tribunaux ont conclu à une atteinte à la Constitution. Les affaires de ce genre ont tendance à susciter des poursuites, et personne ne nie qu'une disposition législative qui vient inverser le fardeau de la preuve n'en suscitera pas d'autre.
    Un des facteurs qui vient compliquer les choses pour ceux qui décident de contester cette loi, c'est de vaincre l'idée que ce n'est pas une question qui porte sur la culpabilité et l'innocence et ne relève donc pas de l'article 11 de la Charte, qui traite de la présomption d'innocence; ils devront plutôt, si vous me passez l'expression, chercher refuge à l'article 7 de la Charte, ce qui pourra conduire à un autre genre d'examen.
    Merci, monsieur Cohen.
    Nous allons maintenant passer à M. Harris, M. Bagnell, Mme Jennings et M. Comartin. Pour qu'on puisse terminer à l'heure, je vous demanderais d'être aussi concis et rapide que possible. Je sais que nous débattons de questions plutôt incendiaires et qu'on avance bien, mais il faudrait quand même qu'on termine avant 11 h 15. Par la suite, j'aimerais vous faire part de quelques commentaires sur le processus de la semaine prochaine...
    On risque de terminer à 11 h 17, monsieur Comartin.
    Monsieur Harris.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais poser deux petites questions. J'aimerais revenir à ce que j'ai dit hier relativement à la similitude qu'il me semble y avoir — tout en sachant que je ne suis pas avocat — entre les audiences de libération conditionnelle, les demandes de libérations conditionnelles et l'inversion du fardeau de la preuve inhérent à ce processus et l'inversion du fardeau de la preuve dont nous débattons à l'heure actuelle.
    Monsieur Cohen, vous venez tout juste de dire que dans le cadre du processus de désignation de délinquant dangereux on retrouve deux aspects dans le système d'inversion du fardeau de la preuve, à savoir la preuve des faits et la dangerosité. Je suis d'avis que ces deux principes s'appliquent également aux audiences de libérations conditionnelles: la preuve des faits, puisque la personne est emprisonnée et que les faits ont été prouvés puisqu'elle a été reconnue coupable; et deuxièmement, la dangerosité est un facteur dont on tient compte lors de l'examen de demande de libération conditionnelle. Y a-t-il des risques? Est-il risqué de remettre en liberté l'individu à ce moment-ci? Ainsi, bien que les circonstances soient différentes, le processus, pour sa part est quasiment le même.
    À ma connaissance l'inversion du fardeau de la preuve dans le cadre d'une demande de libération conditionnelle, ça veut dire concrètement qu'une personne incarcérée doit démontrer devant une commission des libérations conditionnelles qu'elle mérite d'être remise en liberté. C'est ce qu'on entend par inversion du fardeau de la preuve.
    Ce principe a-t-il déjà été contesté? A-t-on pu démontrer qu'il est constitutionnel et conforme à la Charte? Je suppose que c'est le cas, puisqu'il est toujours appliqué. Ai-je raison?
(1115)
    Je ne pourrais pas vous répondre dans l'immédiat. En effet, je ne me dis pas expert en matière de validité ou d'historique des contestations du régime de libération conditionnelle, mais je constate qu'en vertu de cet arrangement fixé par la loi, le régime prévoit des mesures de protection sous forme d'admissibilité à la libération conditionnelle.
    J'en suis conscient, mais il est question d'une demande de libération précoce, c'est-à-dire que la personne incarcérée doit démontrer qu'elle mérite d'être remise en liberté avant...
    Je vois le lien que vous essayez d'établir.
    D'accord.
    Deuxièmement, pour ce qui est des inquiétudes de M. Lee, la personne qui comparaît devant la commission des libérations conditionnelles a le droit de garder le silence. Étant donné que ce processus, ce privilège existe toujours, et qu'il ne date pas d'hier, je suis convaincu qu'à un moment donné on s'est questionné sur son caractère constitutionnel et sa conformité à la Charte. Je suppose qu'il n'est pas anticonstitutionnel, puisqu'on s'en sert toujours.
    Si l'un ou l'autre de ces principes, à savoir l'inversion du fardeau de la preuve et le droit de garder le silence dans le cadre d'une demande de libération conditionnelle, s'était avéré anticonstitutionnel ou non conforme à la Charte, je doute très fort qu'ils auraient survécu à l'épreuve du temps. J'estime que les similitudes entre l'inversion du fardeau de la preuve et le droit de garder le silence sont suffisamment marquées pour qu'on puisse être rassurés.
    Afin de bien préciser ce qui nous intéresse, je précise que nous nous intéressons à ce sur quoi portent les garanties de la Charte. Les articles 11 et 13, qui portent sur l'auto-incrimination et la présomption d'innocence, sont formulés en termes de chefs d'accusation. On pourrait sans doute trouver quelque chose à ce sujet dans la jurisprudence. Mais je ne voudrais pas m'avancer en tranchant d'une façon ou d'une autre. À l'article 7, il est question d'une demande de recherche...
    Ce que les tribunaux recherchent, ce sont des processus équitables et la concrétisation du principe de la justice fondamentale.
    Monsieur Bagnell, très rapidement.
    Merci.
    Les téléspectateurs doivent trouver bizarre que le ministère ait suivi un processus lui ayant permis de déterminer que le principe n'est pas manifestement inconstitutionnel alors qu'une majorité de nos témoins experts juridiques ont dit le contraire.
    Je me contenterai d'une petite question. Les questions débattues portent sur la détention arbitraire et la Constitution parce que les personnes visées seront détenues arbitrairement et si elles ne peuvent pas prouver qu'elles ne récidiveront pas. Et comment sont-elles censées le prouver?
    Deuxièmement, il a été question du non-respect du principe de la proportionnalité parce que des peines ont déjà été imposées pour chacun des trois crimes. Ce qui veut dire que la détention supplémentaire ne serait pas proportionnelle au crime.
(1120)
    Le principe de la détention arbitraire, c'est quelque chose qui se précisera au fil des contestations judiciaires.
    Quand on parle de quelque chose qui est manifestement inconstitutionnelle, il s'agit d'un principe qui est de toute évidence manifestement inconstitutionnel.
    Je mets au défit tous les experts que vous avez invités à comparaître de dire que le texte législatif est manifestement inconstitutionnel. Je suppose que les experts qui ont témoigné ont précisé qu'à leur avis dans le cadre d'une contestation judiciaire bien ficelée, ils seraient capables de mettre de l'avant des arguments crédibles afin de convaincre la cour — et je suis sûr qu'ils en sont convaincus — que le projet de loi est inconstitutionnel ou tout au moins que certains aspects du texte le sont.
    Je comprends leur point de vue mais je ne pense pas qu'ils se prononceraient en disant que le texte est manifestement inconstitutionnel.
    Désolé, je n'ai pas pris en note la deuxième partie de votre...
    Elle portait sur la proportionnalité.
    La proportionnalité est une question qui, bien évidemment, relève de l'article 1, la question de la justification ou comment peut-on justifier l'existence du texte législatif. En tentant de déterminer si la réponse est proportionnée, les tribunaux prendront en compte une série de facteurs. Il est clair qu'ils s'intéresseront au degré d'adaptation qui se retrouve dans la loi.
    Mes collègues et d'autres intervenants vous ont beaucoup parlé de ce que contient le texte législatif, notamment des mesures de protection. Pour reprendre certains de leurs propos, la présomption d'innocence s'applique aux infractions de prédicat devant les tribunaux; le tribunal peut refuser les demandes d'ordre d'évaluation déposées par la Couronne. Les évaluations sont effectuées par une partie neutre et peuvent fournir des preuves qui seraient suffisantes à elles-seules pour renverser la présomption; il faut obtenir le consentement préliminaire du procureur général; il existe une exigence de préavis relative à la demande de désignation à titre de délinquant dangereux; le délinquant a le droit de prendre connaissance de toutes les preuves présentées par la Couronne et jouit des pleins droits de participation, bien qu'il ne soit pas obligé de témoigner; le tribunal jouit de discrétion lui permettant de refuser la détention indéterminée.
    De plus, bien évidemment, il y a l'examen du cas en vue d'une libération conditionnelle, principe qui a joué un rôle très important en étude par le juge La Forest de l'affaire Lyons. Cette affaire devrait être réexaminée.
    Je suis désolé, monsieur Cohen. Vous avez légèrement dépassé votre temps. Je voudrais vous permettre de terminer, mais Mme Jennings et M. Comartin désirent poser des questions, et ensuite on aimerait bien terminer la séance.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Cohen, vous n'avez cessé de répéter que le ministre a certifié que le projet de loi C-2 n'est pas manifestement inconstitutionnel. Dans votre réponse aux questions posées par mon collègue, vous avez encore utilisé le terme « manifestement inconstitutionnel ».
    Permettez-moi de vous donner une définition de manifestement: d'une manière manifeste, à l'évidence. Ce n'est pas un critère qui est très rigoureux. Je dirais même plus qu'on aurait plutôt tendance à le qualifier de laxiste parce qu'il faudrait vraiment que ça vous saute aux yeux. Même les gens n'ayant pas de formation en droit pourraient déterminer qu'il y a quelque chose qui cloche dans la loi.
    Voici ma question. À titre d'avocat général principal de la section des droits de la personne au ministère de la Justice, avez-vous pris connaissance de projet de loi dont on aurait discuté et au sujet duquel les experts juridiques auraient dit qu'il n'était pas manifestement inconstitutionnel même si des preuves solides démontraient qu'il y avait des risques d'inconstitutionnalité ou que le texte était inconstitutionnel mais que le ministre aurait refusé de certifier parce qu'il refusait de se contenter du critère si peu rigoureux qu'est « manifestement inconstitutionnel »?
    Je vous demanderais de répondre très brièvement.
(1125)
    Je vous dirais que je n'ai pas utilisé le terme « manifestement inconstitutionnel » de façon isolée. Ce que je dis, c'est que le texte législatif n'est pas manifestement inconstitutionnel et que si des arguments raisonnables et crédibles étaient mis de l'avant dans le cadre d'une contestation, le tribunal saisi de l'affaire serait convaincu.
    C'est le mieux que je puisse faire à brûle-pourpoint.
    Monsieur Comartin.
    Monsieur Cohen, pensez-vous que l'arrêt Gardiner est toujours d'actualité ou estimez-vous qu'il a été supplanté par les décisions qui l'ont suivi — l'arrêt Lyons ou l'arrêt Johnson ou encore un autre?
    L'arrêt Gardiner n'a pas été annulé, à ma connaissance. Il s'agit d'une décision qui se manifeste dans la common law et qui s'exprime, dans une moindre mesure, dans le Code criminel actuel.
    Merci.
    Monsieur Hoover, M. Keddy a beau dire le contraire, il y a un certain nombre de dispositions qui portent sur des crimes mineurs et non sur des crimes violents graves. Savez-vous, au ministère combien il y a de cas par année de personnes qui sont reconnues coupables trois fois? Combien y a-t-il de cas d'individus reconnus coupables d'introduction par effraction qui écopent d'au moins deux ans? Combien y en a-t-il en tout? À mon avis, il doit y avoir des milliers de cas d'individus qui sont reconnus coupables d'une infraction une troisième fois après avoir écopé d'au moins deux ans au moment des deux infractions précédentes.
    À l'époque des délibérations portant sur la formulation de la politique qui sous-tend le texte qui nous intéresse, nous nous sommes intéressés, dans la mesure du possible, à la jurisprudence et aux condamnations. Je peux vous dire qu'il n'y en a pas des milliers par année.
    Encore une fois, d'après notre examen et des discussions qu'on a pu mener avec nos collègues provinciaux qui sont eux responsables des poursuites etc., je pense que le nombre maximal de cas qu'on a pu identifier pour les douze infractions primaires assorties d'une peine d'au moins deux ans dans tous les cas — ce qui est relativement grave comparativement — était potentiellement de quelque 50. En plus, étant donné la discrétion dont dispose la Couronne je ne pense pas qu'elle procéderait dans 100 p. 100 des cas. En tout cas, c'est ce qu'on a estimé comme nombre de cas par année.
    Merci, monsieur Hoover.
    Je voudrais vous remercier tous les deux. Je suis désolé que le temps ait filé aussi rapidement. Je suis convaincu qu'on aurait pu discuter de cette question pendant encore une heure. Je vous remercie tous les deux d'avoir accepté notre invitation et de nous avoir fait part de vos commentaires.
    Les témoins se préparent à partir et je profite de cette occasion pour vous indiquer que nous venons tout juste de recevoir nos derniers témoins et que nous allons donc passer à l'étude article par article la semaine prochaine.
    Pour ce qui est des amendements, selon la motion qui a été adoptée par le comité, les amendements au projet de loi C-2 doivent être donnés au greffier 24 heures avant le début de l'étude article par article, bien qu'il est possible de proposer des modifications supplémentaires lors de l'étude. Pour que le bureau du greffier reçoive un exemplaire du document regroupant les amendements soumis par les députés avant 15 heures lundi — dans les deux langues officielles, évidemment — il faut que le greffier reçoive les amendements au plus tard à midi. Je voudrais que vous me confirmiez que tous les députés sont d'accord pour que les amendements soient envoyés au greffier avant midi lundi afin de faciliter notre étude article par article.
    Très bien. Merci.
    La séance est levée.