:
Je vais répondre aux questions des personnes qui ont levé la main, si vous me donnez un instant. J'aimerais d'abord faire une déclaration.
Je voudrais faire un résumé du mandat de ce comité. L'une des observations que j'ai faites lors de notre dernière discussion sur les motions est qu'il semble y avoir une certaine confusion quant à la mission exacte de ce comité.
Étant donné le nom de ce comité, je pense que l'on peut supposer que nous avons la possibilité d'examiner tout ce qui a trait à l'éthique ou à la vie privée, et ce n'est pas le cas. J'aimerais prendre un moment pour décrire le mandat exact de ce comité, si vous me le permettez, et nous poursuivrons nos travaux à partir de là.
Vous avez un document que vous ont préparé les analystes. J'en ai discuté plus en détail avec eux. Il s'agit d'un document d'information qui vous a été envoyé à chacun. Il porte sur les travaux du Comité et on y décrit son mandat. On y parle aussi des quatre commissaires et de leur raison d'être.
La première page de ce document décrit comment les questions peuvent être soulevées ou étudiées par ce comité. Il y a deux façons de procéder. Premièrement, les questions peuvent être renvoyées par la Chambre des communes, comme une mesure législative, par exemple. Nous aurions la responsabilité de les étudier. La seconde façon dont les choses peuvent être soumises à ce comité, bien sûr, comme vous le savez, est par l'intermédiaire de ses membres. Vous pouvez présenter des motions pour étude, que nous accepterons ou non, selon la volonté du Comité.
En ce qui concerne le mandat, le Comité mène ses études et présente ses rapports en fonction des quatre commissaires existants. Bien entendu, il s'agit de la commissaire à l'information du Canada, du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, de la commissaire au lobbying du Canada et du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.
D'après le document que les analystes ont fourni, que je vais parcourir brièvement, si vous me le permettez, l'alinéa 108(3)h) du Règlement prévoit que le mandat du Comité est d'étudier les questions relatives aux agents que je viens d'énumérer: le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'information, le commissaire au lobbying et le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.
Conformément à la Loi sur les conflits d'intérêts, les questions relatives au Code régissant les conflits d'intérêts des députés sont étudiées par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes. Il est important de comprendre cette distinction. Il y a des moments où il convient de soumettre des questions à ce comité et d'autres où il est en fait préférable de les envoyer ailleurs, par exemple au PROC, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
En outre, si l'on examine le mandat des quatre différents commissaires, on constate que la commissaire à l'information du Canada aide les personnes et les organismes qui estiment que les institutions n'ont pas respecté les droits que leur confère la loi. La commissaire à l'information du Canada veille à ce que les droits des institutions fédérales et des tiers concernés soient respectés. Elle s'assure aussi du respect de l'accès à l'information. Je vous laisse y réfléchir.
Le mandat du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada couvre les pratiques relatives au traitement des renseignements personnels des institutions gouvernementales et la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques, qui traite de la façon dont les organisations du secteur privé protègent ces renseignements.
C'est une distinction importante, si je peux prendre un moment pour m'arrêter ici. La responsabilité du commissaire à la protection de la vie privée du Canada ne se limite pas aux seuls titulaires d'une charge publique ni aux institutions fédérales. En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques, ce commissaire peut se charger d'examiner les questions relatives au secteur privé. La portée du mandat de la protection de la vie privée est plus vaste que celle des trois autres commissaires, et il est important que ce comité en soit conscient. Alors que le mandat des trois autres est peut-être relativement restreint, celui du commissaire à la protection de la vie privée est plus vaste, ce qui élargit le mandat du Comité à cet égard.
Le troisième sur la liste est la commissaire au lobbying du Canada. Sa fonction, qui découle de la Loi sur le lobbying, vise à assurer la transparence des activités de lobbying des titulaires de charges publiques fédérales. Il est, bien sûr, question des groupes de pression qui doivent rendre des comptes sur la manière dont ils font du lobbying auprès des titulaires de charges publiques, mais il va de soi que les titulaires de charges publiques doivent également rendre des comptes sur la question de savoir s'ils reçoivent ou non des cadeaux ou autres de la part de lobbyistes. C'est important pour la commissaire au lobbying du Canada.
Le mandat du Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique est d'administrer la Loi sur les conflits d'intérêts, qui s'applique aux titulaires de charges publiques fédérales, ainsi que le Code régissant les conflits d'intérêts des députés, qui s'applique aux élus parlementaires. Vous avez les titulaires de charges publiques, qui seraient les ministres, le , etc., et puis vous avez, bien sûr, l'autre loi, qui régit les parlementaires élus — par exemple, ceux qui sont autour de la table aujourd'hui. La loi et les codes énoncent un certain nombre d'obligations et interdisent diverses activités qui supposent des conflits entre les intérêts privés et publics ou qui sont susceptibles de le faire.
Je vais vous en parler très brièvement ici, mais si vous ne l'avez pas encore fait, prenez le temps de lire ce document pour comprendre les responsabilités de chaque commissaire ainsi que les différentes lois qui les guident.
En tant que présidente, il est de ma responsabilité de déterminer si une motion relève de la compétence de ce comité. Au meilleur de mes capacités, je consulterai les analystes et je prendrai des décisions en conséquence, mais l'interprétation que je fais du champ d'application dans le cadre fourni ici est plus étroite que certaines des motions que j'ai actuellement devant moi. Je vous donne ici matière à réflexion.
Je vous demande d'examiner le mandat que vous ont décrit les analystes. Je vous demande également de vous en inspirer lorsque vous présenterez des motions au Comité. Il nous aidera à rationaliser le processus. Il m'aidera, à titre de présidente, à honorer les souhaits de ce comité au meilleur de mes capacités. Il nous permettra également de faire en sorte que notre travail soit productif.
Je vais garder la parole un instant de plus, si vous me le permettez.
Sur ce, je suggère que le Comité entende les quatre commissaires. Lors de notre première réunion, M. Angus a proposé une motion qui a été retirée par la suite. Je voudrais faire une proposition amicale au groupe, si je puis.
Nous avons plusieurs motions d'études devant nous et nous allons bien sûr y donner suite, mais il faudra un peu de temps pour établir la liste des témoins. Pendant que nous y travaillons, que nous dressons cette liste et que nous nous préparons à entreprendre ces études, je suggère que nous prenions les deux prochaines réunions, disons, pour entendre les témoignages de ces quatre commissaires. Nous leur donnerions une heure chacun pour faire un exposé et un résumé de leur mandat avant de leur poser des questions. Cette démarche nous aiderait à mieux comprendre leur mandat à chacun ainsi que le nôtre.
Encore une fois, ce que je vous propose, c'est que chacun de ces quatre commissaires ait la possibilité de venir devant le Comité pendant une heure, et que nous puissions leur poser des questions une fois qu'ils auront prononcé leurs remarques de 10 minutes. Ensuite, après avoir entendu leurs témoignages, nous entamerions bien sûr notre première étude, qui sera décidée par le Sous-comité plus tard dans la journée.
Le Comité consent-il à ce que je poursuive dans cette voie? Quelqu'un qui s'y oppose-t-il?
Monsieur Angus, vous voulez intervenir?
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Merci, madame la présidente.
Il y a une motion que j’aimerais présenter. J’ai apporté des copies de la motion dans les deux langues officielles que la greffière peut faire circuler et, pendant ce temps, je lirai la motion lentement afin qu’elle figure dans le compte rendu.
Je propose:
Que le Comité entreprenne une étude sur le rapport du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique intitulé Rapport Trudeau II, publié le 14 août 2019. Que le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique soit invité à comparaître pendant au moins 2 heures pour informer le Comité sur son rapport et qu'il soit accordé 20 minutes pour une déclaration préparée, suivie de questions des députés. Que le Comité invite d'autres témoins au besoin et qu'il dépose un rapport à la Chambre des communes au plus tard le 29 mai 2020.
Madame la présidente, si vous me le permettez, j’aimerais parler de la motion et souligner l’importance de cet enjeu.
En août 2019, avant les dernières élections, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a publié son rapport, après avoir été informé qu'une affaire nécessitait une enquête. Il a entrepris l’enquête, et j’aimerais parler de celle-ci. Elle est très importante parce que, si le était déjà le premier et l’unique premier ministre de l’histoire du Canada à avoir été reconnu coupable d’avoir enfreint les lois sur l’éthique, le rapport a révélé que cela s'était produit une deuxième fois. Cette révélation en elle-même justifie un examen plus approfondi.
Le rapport du commissaire a été présenté à la Chambre, conformément à la Loi sur les conflits d’intérêts, laquelle indique que le commissaire peut mener ces examens à la demande d’un membre du Sénat ou de la Chambre, ou de sa propre initiative, comme cela s’est produit dans le cas de l’examen qui nous occupe.
Madame la présidente, les détails de l’examen et ses points les plus importants, qui figurent sur la première page du rapport, sont les suivants:
L’article 9 interdit à tout titulaire de charge publique de se prévaloir de ses fonctions officielles pour tenter d’influencer la décision d’une autre personne dans le but de favoriser son intérêt personnel ou celui d’un parent ou d’un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.
Le rapport indique ensuite ce qui suit:
Au début de 2016, SNC-Lavalin a commencé à faire du lobbying auprès du gouvernement actuel [le gouvernement maintenant réélu] en vue de faire adopter un régime d’accords de réparation. Suite à des consultations, des modifications au Code criminel permettant un tel régime ont été adoptées dans le cadre du budget fédéral de 2018.
Le 4 septembre 2018, la directrice des poursuites pénales a informé le bureau de la ministre de la Justice et procureure générale qu’elle n’inviterait pas SNC-Lavalin à négocier d’un possible accord de réparation.
Cette décision a servi de catalyseur à une série d’événements singuliers, historiques et très troublants qui ont provoqué finalement le retrait du Canada de la liste des 10 pays les moins corrompus sur l’indice mondial de perception de la corruption.
Dans son rapport, le commissaire ajoute que les éléments de preuve démontrent que a cherché à influencer la procureure générale de plusieurs façons, soit directement, soit par le biais de gestes posés par des personnes sous sa direction. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ajouter de nombreux commentaires pour que les gens reconnaissent à quel point ces constatations sont importantes et troublantes.
M. Trudeau a rencontré le 17 septembre 2018 et, à ce moment-là, elle a réaffirmé son intention de ne pas intervenir dans la décision de ne pas inviter SNC-Lavalin à négocier un accord de réparation que la directrice des poursuites pénales avait prise. Elle a aussi communiqué à M. Trudeau ses préoccupations au sujet des tentatives d’ingérence politique inappropriées auprès de la procureure générale dans une affaire criminelle.
Madame la présidente, le Bureau du directeur des poursuites pénales a été établi sous le gouvernement du premier ministre conservateur Stephen Harper, et il a pour but de créer un pare-feu pour protéger l’indépendance de notre magistrature, dans le cas improbable où un membre de l’exécutif ou du Bureau du premier ministre chercherait à intervenir d’une façon inappropriée dans les décisions de l’administration de la justice de notre pays.
Le rapport ajoute:
On a tenté, entre autres, d'encourager [la procureure générale] à reconsidérer la possibilité d'obtenir des conseils externes de « quelqu'un comme » une ancienne juge en chef de la Cour suprême.
Comme l'ont révélé les témoignages au Comité de la justice, nous croyons comprendre que les personnes concernées avaient en tête quelqu'un de bien précis, qui était une ancienne juge en chef de la Cour suprême.
Je poursuis ma lecture du rapport:
Pendant ce temps, SNC-Lavalin et le Cabinet du premier ministre étaient entrés en communication avec l'ancienne juge en chef de la Cour Suprême afin de l'inviter à se pencher sur le dossier. La dernière tentative d'influence a eu lieu le 19 décembre 2018, durant une conversation entre Mme Wilson-Raybould et l'ancien greffier du Conseil privé [M. Michael Wernick], qui a insisté, au nom de M. Trudeau, qu'il fallait trouver une solution afin d'éviter les conséquences économiques qui adviendraient si SNC-Lavalin ne négociait pas un accord de réparation.
Nous savons, d'après le témoignage du chef de la direction de SNC-Lavalin, qu'aucun emploi n'était en péril, et nous savons aussi que le n'avait entrepris aucune étude pour déterminer quelles en seraient les répercussions sur l'économie.
J'en reviens au rapport:
La deuxième étape de l'analyse consistait à déterminer si M. Trudeau, par ses actions et celles de son personnel, a tenté de favoriser les intérêts de SNC-Lavalin de façon irrégulière.
Voici la conclusion formulée dans le sommaire:
Étant donné ce qui précède, je conclus que M. Trudeau s'est prévalu de sa position d'autorité sur Mme Wilson-Raybould pour tenter d'influencer sa décision concernant l'infirmation de la décision de la directrice des poursuites pénales, laquelle avait conclu qu'elle n'inviterait pas SNC-Lavalin à entamer des négociations en vue de conclure un accord de réparation.
Par conséquent, je conclus que M. Trudeau a contrevenu à l'article 9 de la Loi.
Madame la présidente, il s'agit d'un rapport complet et détaillé, dont le sommaire confirme qu'il y a eu contravention à la loi de la part du . Voilà qui est, en soi, une situation historique inquiétante, comme je l'ai dit, et très troublante, mais cela amène aussi les Canadiens à prendre du recul et à remettre en question les institutions auxquelles ils devraient faire entièrement confiance — en l'occurrence, le système judiciaire — et le sens de l'éthique de ceux qui se trouvent dans les coulisses du pouvoir et qui font partie du Cabinet du premier ministre.
Ce qui est intéressant, à mon avis, c'est que M. Dion explique plus loin dans son rapport qu'il y a eu obstruction pour l'empêcher d'aller au fond de l'affaire. En effet, à chaque occasion possible, le a invoqué le principe des renseignements confidentiels du Cabinet. Il a affirmé que le décret adopté constituait la plus large renonciation au secret ministériel de l'histoire canadienne. Bien que ce soit difficile à quantifier ou à vérifier, de nombreux spécialistes ont contesté la véracité de cette affirmation. Nous savons toutefois que, pour les besoins de l'enquête du commissaire, il lui a été incroyablement difficile, voire impossible, de mener à bien son travail.
La gravité de la situation a, bien entendu, donné lieu à la tenue de cette enquête, et c'est aussi pour cette raison que l'opposition s'est employée, lors de la dernière session parlementaire, à tenir des discussions approfondies sur le sujet... cela ne s'est pas produit à cause des manœuvres d'obstruction. Au cours de l'évolution de ce dossier dans la sphère publique, nous avons entendu des juristes dire que cette situation était très préoccupante.
Sur le coup, le gouvernement avait répondu que, selon toute vraisemblance, les conservateurs ne manqueraient pas d'inviter une série d'anciens procureurs généraux ayant servi sous des gouvernements conservateurs. Or, je tiens à lui rappeler, comme je l'ai fait à ce moment-là, les propos de l'ancien procureur général libéral de l'Ontario, M. Michael Bryant, qui est actuellement directeur général et avocat général de l'Association canadienne des libertés civiles:
Par conséquent, si le Cabinet du premier ministre [...] a apporté des modifications juridiques au Code criminel pour répondre aux besoins d'un conglomérat québécois et qu'il a ensuite exercé des pressions sur la ministre de la Justice pour politiser une poursuite criminelle, alors ce gouvernement est sur le point d'apprendre à la dure que l'ingérence dans l'administration de la justice n'est pas seulement une politique malavisée. C'est aussi peut-être un crime.
Il y a des pages et des pages de textes rédigés par des juristes qui ont donné leur avis sur cette question. Une ancienne juge qui a témoigné devant le Comité de la justice, Mary Ellen Turpel-Lafond, a déclaré: « Un responsable politique ou un représentant administratif du gouvernement qui cherche à influencer une poursuite... ce n'est pas seulement immoral, mais c'est illégal. » L'ancienne juge Turpel-Lafond est aujourd'hui directrice de l'Indian Residential School History and Dialogue Centre à l'Université de la Colombie-Britannique.
L'obstruction qui s'est produite n'a rien de surprenant, compte tenu de la gravité des agissements, dont la véracité a été démontrée par le travail du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Dans son rapport très détaillé, il parle des procès en cours et de la manière dont cela a nui à sa capacité de faire enquête.
Il est crucial que nous, les députés, en qui les Canadiens accordent leur confiance au moment de nous élire, soyons capables de faire le travail pour lequel nous avons été envoyés ici. Quand on nous dit que le principe des renseignements confidentiels du Cabinet peut être invoqué pour un motif autre que celui de protéger les discussions et la sécurité du processus décisionnel au sein du Cabinet — c'est-à-dire pour maintenir la solidarité, permettre au gouvernement de parler d'une seule voix, protéger les intérêts en matière de sécurité nationale ou veiller à ce que les processus d'attribution des marchés publics ne soient pas corrompus en raison d'un accès précoce à des renseignements de nature délicate — et quand ce même principe est utilisé comme bouclier pour protéger des actes répréhensibles et, essentiellement, pour mettre les titulaires de charge publique à l'abri de tout examen public, nous sommes en présence d'une situation inacceptable, et tout le monde s'entend là-dessus.
Les éléments de preuve qui ont été présentés au commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique l'ont amené à conclure que, de toute évidence, M. Trudeau a sciemment tenté d'influencer Mme Wilson-Raybould, directement et par l'entremise de ses agents.
Cette influence et les tentatives d'influence se sont soldées par le congédiement de la procureure générale lorsqu'elle a refusé d'acquiescer. Nous entendons beaucoup de critiques à l'égard d'autres pays et, souvent, les tribunes télévisées regorgent d'invités qui veulent parler des dirigeants d'autres pays, en particulier de nos voisins du Sud, mais quand nous voyons le premier ministre congédier la ministre de la Justice et procureure générale parce qu'elle ne s'est pas pliée à ses vœux, alors qu'elle exerce l'autorité et le pouvoir discrétionnaire qui lui ont été légalement et dûment conférés au moment de sa nomination, cela nous inquiète beaucoup.
Lorsqu'on examine ce qui s'est ensuivi, force est de constater, madame la présidente, qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé mettant en cause un conflit de personnalités entre la ministre de la Justice et procureure générale, Mme Wilson-Raybould, et le premier ministre Justin Trudeau, car il y a eu des effets en chaîne. Une fois que Mme Wilson-Raybould a quitté le Cabinet, nous avons vu la présidente du Conseil du Trésor renoncer à son poste au sein du Cabinet dans la foulée des tractations survenues derrière des portes closes. Nous savons qu'à la suite de cette séquence d'événements, le greffier du Conseil privé a été contraint de démissionner en plein milieu du plus grand scandale politique que nous ayons vu depuis des générations. Il n'est pas inutile de rappeler que le secrétaire principal, l'ami personnel du , a également démissionné alors que la disgrâce s'abattait sur les titulaires des plus importantes charges publiques au Canada.
En ce qui concerne les personnes qui ont agi sous la direction ou avec l'autorisation du , celles qui ont été impliquées dans l'affaire, ainsi que celles qui ont joué un rôle au nom d'autres ministres, le commissaire a conclu qu'elles n'auraient pas pu influencer la procureure générale en se servant simplement de leurs fonctions. Par conséquent, le commissaire n'avait pas de motifs raisonnables d'examiner leur conduite. Il n'avait pas non plus de raison de croire que ces personnes ont pu contrevenir à une autre règle de droit cruciale prévue dans la loi, mais elles ont agi conformément à l'orientation générale établie par M. Trudeau en septembre 2018 et n'ont pas reçu instruction de mettre fin aux communications, même après que des procédures judiciaires liées au dossier avaient été entamées.
Depuis les élections, dans leurs lettres de mandat respectives, les ministres de la Couronne ont tous reçu la directive d'agir dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de se conduire selon les normes d'éthique les plus élevées. Cependant, nous pouvons constater que les scandales du passé continuent de surgir, de telle sorte que le gouvernement actuel ne donne pas l'impression d'agir de manière éthique.
Le voyage sur l'île d'un milliardaire faisait encore les manchettes et demeurait présent dans l'esprit des Canadiens lorsque la GRC, qui avait transféré une plainte au commissaire, a déclaré qu'elle ne pouvait pas mener une enquête de façon productive. Pourquoi donc? On dirait bien que cette obstruction perdure.
Au cours des dernières semaines, j'ai soulevé la question du manquement, par le , à l'obligation de déposer sa déclaration aux termes du Code régissant les conflits d'intérêts des députés. Tous les députés sont maintenant tenus de le faire, et le premier ministre a affirmé qu'il s'agissait d'un oubli administratif. En matière de règles, il me semble que le premier ministre Trudeau estime qu'il existe deux catégories de règles: un ensemble de règles pour ceux qui gouvernent et un autre pour ceux qui sont gouvernés.
Ce n'est pas le genre de pays que veulent les Canadiens. Ce n'est pas le genre de démocratie en laquelle ils croient. Promouvoir nos intérêts personnels et privés par l'entremise de nos bureaux, voilà qui est l'antithèse de ce que les Canadiens attendent de nous, les élus.
Madame la présidente, examinons maintenant le contexte historique du travail effectué par le Commissariat. Traditionnellement, le Commissariat interprète la définition d'intérêt personnel de façon étroite. Même s'il n'exclut pas expressément certains types d'intérêts, il limite généralement les intérêts personnels aux intérêts de nature financière.
Dans le Rapport Trudeau II, le commissaire dit ceci:
Dans le livre vert de 1973 intitulé Les membres du Parlement et les conflits d'intérêts et publié par le gouvernement fédéral, le conflit d'intérêts est défini comme étant « une situation dans laquelle un parlementaire a un intérêt personnel et pécuniaire suffisant pour influer ou paraître influer sur l'exercice de ses fonctions et attributions publiques » [...]. Cette définition est aussi reprise dans le rapport de la Commission Parker, qui portait sur des allégations de conflit d'intérêt réel ou apparent concernant l'honorable Sinclair Stevens [...]. Soulignons que cette interprétation ne s'appliquait à l'époque qu'aux parlementaires.
Depuis, les critères servant à déterminer s'il y a conflit d'intérêts ont évolué. Aucune mention n'est faite d'un « intérêt personnel et pécuniaire » — une formulation plus restreinte — que ce soit dans les versions subséquentes du Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat, dans la Loi ou dans le Code régissant les conflits d'intérêts des députés. Une interprétation du terme « intérêt personnel » dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la Loi et l'intention du Parlement m'incite donc à penser que ce terme pourrait couvrir tout type d'intérêt qui touche uniquement le titulaire de charge publique ou que celui-ci partage avec une catégorie restreinte de personnes.
Les intérêts publics et personnels peuvent prendre différentes formes. Ils peuvent être de nature financière, sociale, politique ou autre. Comme le décrit le rapport de 1980 rédigé par le professeur J. Ll. J. Edwards et intitulé La responsabilité ministérielle en matière de sécurité nationale dans la mesure où elle concerne les charges de Premier ministre, de Procureur général et de Solliciteur général du Canada, les intérêts publics concernent, par exemple, « la nécessité de maintenir des relations internationales harmonieuses entre États, d'atténuer les dissensions entre les groupes ethniques [ou] d'éviter les conflits ouvriers ».
Madame la présidente, ce point est très important, surtout l'observation selon laquelle les intérêts publics et personnels peuvent prendre « différentes formes » et être « de nature financière, sociale, politique ou autre ». Lors de la réunion désastreuse tenue en septembre 2018, le a bien dit à Mme Wilson-Raybould, alors ministre de la Justice et procureure générale, que sa demande découlait de son rôle de député de Papineau et que des emplois en dépendaient.
Ce n'est pas la première fois que nous entendons ce refrain de la part du gouvernement. Nous l'avons entendu au printemps dernier, après que les allégations avaient été publiées pour la première fois dans le Globe and Mail en février 2019. Nous l'avons entendu au Comité de la justice. Nous l'avons entendu à la Chambre. Nous l'avons entendu pendant les élections. Je suis sûr que si j'interrogeais M. Trudeau aujourd'hui, j'aurais droit au même argument, mais nous savons que les emplois n'étaient pas en péril. Même s'ils l'étaient, il s'agissait là d'une hypothèse ou d'une impression. Ou alors, c'était simplement un excès de prudence devant l'éventualité que les libéraux perdent leurs sièges à la Chambre, d'où la décision de forcer la main à une titulaire de charge publique pour faire avancer leurs propres intérêts.
C'est le genre de choses que l'on voit dans les films. C'est le genre de situations que les gens veulent... vous savez, ils veulent parler de ce qui se passe aux États-Unis, dans le Bureau ovale, mais cela se passe ici. L'ancienne ministre de la Justice, Mme Wilson-Raybould, a déclaré qu'elle avait l'impression d'assister à un véritable « massacre du samedi soir », faisant allusion à une nuit tristement célèbre de l'histoire politique américaine, mais aujourd'hui, nous savons que c'était un massacre aux proportions épiques, à voir la liste de personnes très importantes qui ont perdu leur position de pouvoir.
Il est essentiel de comprendre que l'électorat canadien nous a envoyés ici pour faire partie d'une législature où le parti au pouvoir ne détient pas la majorité absolue et ne jouit pas de l'entière confiance des Canadiens; ce n'est pas comme si Justin Trudeau avait été réélu en remportant 200 sièges. Non, les Canadiens ont raccourci la laisse, madame la présidente. Ils s'attendent à ce qu'il y ait un examen complet de la conduite du gouvernement et à ce que les partis de l'opposition lui demandent des comptes. Après tout, c'est ce pour quoi nous sommes ici.
Les députés de tous les partis, en leur qualité de simples parlementaires, devraient s'inquiéter lorsque l'exécutif outrepasse ses pouvoirs, au point de remettre en question la crédibilité de leurs bureaux respectifs — c'est-à-dire, la crédibilité de chacun des 338 députés. Personne n'est épargné, ce qui est inquiétant. C'est quelque chose dont j'entends parler régulièrement. J'espère que les députés de toutes les allégeances conviendront que la possibilité d'étudier le rapport d'un haut fonctionnaire du Parlement, que nous avons d'ailleurs entendu au cours de la dernière session... J'ai posé beaucoup de questions sur ce sujet aux députés ministériels à la Chambre. Nous faisons confiance au travail indépendant des comités, ainsi qu'aux mandataires indépendants du Parlement.
Il y a un agent du Parlement qui a consacré beaucoup de temps à la rédaction du Rapport Trudeau II et qui n'est pas venu témoigner sur le sujet devant le comité qui aurait dû l'entendre.
Il est primordial d'honorer la décision des Canadiens qui nous ont envoyés ici pour faire un travail, et vous nous avez lu, madame la présidente, certaines des modalités de notre mandat. Je vous sais gré d'avoir demandé et obtenu l'aval du Comité pour inviter les commissaires à témoigner, et c'est fantastique. Je crois que cela est distinct de ma motion, car la motion que nous avons devant nous porte sur une étude bien précise, et le travail du commissaire ne se limite pas à une seule question. Son bureau grouille d'activité. J'ai eu l'occasion de rencontrer le commissaire. Il est entouré d'une équipe fort occupée qui veille à ce que les Canadiens puissent avoir confiance en leurs représentants publics, en leurs députés, donc je ne vois pas pourquoi la comparution du commissaire devant notre comité serait considérée comme redondante par rapport à ma motion.
Depuis le début de mon intervention, la salle bourdonne d'activité. J'attirerais simplement l'attention de la présidente sur le fait que la date de rapport dans le libellé devant vous est seulement l'une des différences entre cette motion et celle qui a malheureusement été rejetée à notre dernière réunion en raison des votes du gouvernement et d'une des membres de l'opposition. Cette membre de l'opposition avait alors déclaré ne pas comprendre la motion proposée. Donc, même s'il ne s'agit pas de la même motion, quoique son résultat doive, espérons-le, être le même, cette motion devrait nous permettre d'étudier ce rapport précis du commissaire.
Madame la présidente, quand nous parlons de l'intérêt public et du travail que nous allons entreprendre en comité, quand nous parlons de ce qui intéresse les Canadiens, je reçois certes beaucoup de correspondance à cet effet. Je ne suis pas autorisé par ceux qui m'écrivent à en faire part au Comité, mais les Canadiens s'attendent à ce que l'on poursuive l'examen de cette question. L'analyse légale fournie aux Canadiens a, en quelque sorte, suscité ce besoin. Nous avons invité ces spécialistes à s'adresser aux Canadiens, et ils ont très clairement établi qu'il y avait un problème.
Le 25 février 2019, Mary Condon, doyenne de l'Osgoode Hall Law School, a déclaré: « Le procureur général ne doit pas “subir les pressions” de ses collègues et plus particulièrement, il ne doit pas subir de pressions politiques partisanes ». Quand une juriste de renom comme Mme Condon — pour qui la somme de toutes mes connaissances en droit ne représente que le bout de son petit doigt — s'exprime sur le sujet, son avis a beaucoup de poids aux yeux des Canadiens dans le discours public.
En 2015, Justin Trudeau a déclaré qu'il serait différent, qu'il ferait de la politique autrement. Toutefois, nous savons maintenant que ce n'est pas le cas. Le Comité n'a pas eu l'occasion au cours de la dernière session du Parlement de convoquer le , et il y avait plusieurs personnes... Et, fait intéressant, madame la présidente, au cours des discussions que nous avons eues à notre réunion de lundi, un des noms prononcés a retenu mon attention, soit celui de Mathieu Bouchard, sur une question différente, une question différente sur laquelle vous pouvez vous renseigner à même les manchettes. Nous avons un problème de conduite contraire à l'éthique dans la nomination des juges. La même personne a été mentionnée dans un témoignage que nous avons entendu l'an dernier sur cette question. Ce sont les mêmes acteurs que l'an dernier qui continuent aujourd'hui leur manège.
J'estime que nous avons été témoins de ce qui est connu de par le monde comme l'un des plus graves scandales politiques de l'histoire canadienne. On pourrait croire que ces personnes auraient aujourd'hui l'humilité de se conduire de façon irréprochable. Ils l'ont échappé belle la première fois, si je puis dire, et voilà que, depuis, et peut-être même dans un autre ministère, ils ont le nez fourré dans le dossier de la nomination des juges.
C'est le genre de choses, madame la présidente, que les Canadiens qui m'écrivent... Pendant la campagne électorale, quand je faisais du porte-à-porte, et j'en ai fait à beaucoup d'endroits, on m'a parlé de ce problème. C'était après le dépôt du rapport. C'était après les audiences au comité de la justice l'an dernier. Pour les Canadiens, le dossier n'est pas clos.