:
Merci, monsieur le président.
C'est avec plaisir que je comparais devant le Comité aujourd'hui pour la première fois dans ce nouveau Parlement. Bienvenue aux nouveaux visages de ce Comité vraiment important. Je voudrais commencer par reconnaître que nous sommes sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.
[Français]
J'ai le plaisir d'être ici en compagnie de mon honorable collègue le , M. Marc Miller, et de nos sous-ministres.
[Traduction]
Nous sommes conscients que nous sommes tous deux ici pour parler des récents blocus et manifestations dans tout le pays, mais je suis surtout là pour vous parler des questions complexes qui les sous-tendent. Notre gouvernement comprend que les récents blocages ferroviaires ont eu des répercussions très réelles sur les Canadiens: les entreprises et les gens de tout le pays comptent sur un service ferroviaire fonctionnel pour se rendre au travail, transporter des marchandises et assurer le bon fonctionnement de leurs entreprises. Par ailleurs, les peuples autochtones eux-mêmes en subissent les contrecoups.
Comme vous le savez sûrement, des gens de tous les ministères travaillent jour et nuit pour résoudre ce problème de manière pacifique et durable. La semaine dernière, nous avons accueilli avec satisfaction la nouvelle selon laquelle les derniers barrages ferroviaires avaient été levés et le service ferroviaire régulier reprenait.
Les Canadiens ont été, à juste titre, frustrés de voir les effets des récents blocages ferroviaires se poursuivre, je pense que nous le comprenons. Or, malheureusement, certains représentants de l'opposition semblent avoir davantage cherché à exploiter politiquement cette frustration qu'à trouver des solutions durables et à cheminer vers la guérison nécessaire, comme je l'ai dit à la Chambre des communes.
[Français]
Comme le premier ministre l'a dit avec tant d'éloquence, les Canadiens s'attendent à ce que nous travaillions ensemble pour nous en sortir.
[Traduction]
Marc et moi sommes ici pour répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir, car nous pensons qu'il est vraiment important que nous comprenions tous réellement la complexité et la nature délicate de la situation, ainsi que le danger de certaines des rhétoriques incendiaires que nous avons entendues ces dernières semaines.
En tant que médecin, je garde à l'esprit que tous les députés ont également l'obligation primordiale de « ne pas nuire ». Nous avons besoin d'une solution durable pour que les nations puissent prendre des décisions ensemble afin d'atteindre la certitude nécessaire pour que les Premières Nations, les Métis et les Inuits puissent assurer la santé et le dynamisme de leurs communautés.
[Français]
Les enjeux au cœur de cette situation dépassent le cadre d'un projet particulier et portent sur des sujets complexes de gouvernance, de droits ancestraux et de titre autochtone.
[Traduction]
Au cours des dernières semaines, mon homologue de la Colombie-Britannique et moi-même avons été en communication permanente avec les chefs héréditaires des Wet'suwet'en pour désamorcer la situation et trouver une voie à suivre pour traiter ces questions de manière substantielle. Même si les décisions des services de police sont prises de manière indépendante et libre de toute influence politique, nous étions heureux que la GRC en Colombie-Britannique travaille avec les Wet'suwet'en pour apporter des changements opérationnels afin de désamorcer la situation et de faire de la place pour des discussions en personne entre les chefs héréditaires des Wet'suwet'en et les gouvernements fédéral et provincial.
Nous avons également été encouragés par le fait que Coastal Gas Link a accepté de manière indépendante de suspendre les travaux sur le projet pendant les discussions en personne pour que celles-ci aient lieu, et nous sommes très reconnaissants envers Nathan Cullen de son bon travail pour désamorcer le conflit entre les partis.
L'avant-dernier week-end, à Smithers, j'ai rencontré les chefs héréditaires des Wet'suwet'en et le gouvernement de la Colombie-Britannique et nous avons eu des discussions franches, substantielles, et respectueuses sur les questions relatives aux droits et au titre des Wet'suwet'en. Nous sommes également heureux que les membres de la Coalition matrilinéaire des Wet'suwet'en aient participé à la première soirée de la réunion et nous aient fait entendre leur point de vue très important. Ces entretiens ont porté sur deux sujets distincts: la reconnaissance des droits et du titre des Wet'suwet'en sur l'ensemble de leur territoire et les questions soulevées par le projet Coastal Gas Link. Ces sujets ont été abordés séparément. En ce qui concerne les droits et le titre, les parties se sont concentrées sur les engagements à mettre en place un processus accéléré pour la mise en oeuvre des droits et du titre des Wet'suwet'en.
Le résultat de ces discussions a été un projet d'entente qui sera examiné par les membres du clan Wet'suwet'en par le biais des protocoles de gouvernance Wet'suwet'en pour ratification. Je crois qu'au cours des deux prochaines semaines... ils ont besoin de cet espace pour en discuter sans l'interférence de voix extérieures. Je crois que la suppression des derniers blocages ferroviaires la semaine dernière et la reprise du service ferroviaire offrent à la Nation Wet'suwet'en l'espace nécessaire pour avoir cette importante conversation sur les droits et le titre sur leur territoire.
Par respect pour le processus, le Canada a accepté de donner à la Nation Wet'suwet'en le temps d'examiner les détails de cette entente avant qu'elle ne soit rendue publique. Si cette entente est ratifiée, le ministre Fraser et moi-même avons convenu de retourner sur le territoire Wet'suwet'en pour la signer. De plus, les parties ont convenu de mettre en oeuvre le titre de propriété de manière accélérée et de coordonner notre collaboration. Nous sommes inspirés par le courageux peuple Wet'suwet'en qui a porté la reconnaissance de ses droits devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Delgamuukw-Gisday'wa en 1997. Mais nous devons préciser que la cour n'a pas, à l'époque, accordé de titre de propriété sur leurs terres. Elle a affirmé les droits des Wet'suwet'en, mais a dit que la question du titre de propriété devait être déterminée ultérieurement, puis appliquée.
Je crois que cette entente avec le peuple Wet'suwet'en donnera vie à la décision Delgamuukw-Gisday'wa afin que les générations futures n'aient pas à faire face à des conflits comme celui auquel elles sont confrontées aujourd'hui. Comme l'a dit le défunt chef Wah'tah'kwts dans l'affaire Delgamuukw, « il nous incombe de créer de nouveaux souvenirs dans l'esprit de nos enfants ».
[Français]
Bien qu'il reste du travail à faire, ces discussions ont constitué une étape importante pour concilier les questions complexes de droits et de titre.
[Traduction]
De l'éducation, à la pêche, aux services à l'enfance et à la famille, à la police, aux systèmes judiciaires — nous avons fait des progrès importants dans le travail difficile que Lee Crowchild décrit comme « la déconstruction des effets de la colonisation ».
[Français]
Au cours des cinq dernières années, nous nous sommes éloignés des paramètres de la politique relative aux revendications territoriales globales et aux droits inhérents.
[Traduction]
Les approches de notre gouvernement en matière de négociation d'accords relatifs aux droits sont élaborées à partir des enseignements tirés de plus de 150 tables de discussion sur la reconnaissance des droits ancestraux et l'autodétermination dans tout le Canada. Près d'un million d'Autochtones de plus de 480 Premières Nations, 44 communautés inuites et 7 organisations métisses sont touchés par ces négociations. Depuis 2015, nous avons fait progresser les discussions fondées sur les intérêts et veillé à ce que le principe d'élaboration conjointe soit au cœur de toute négociation avec les groupes autochtones.
En 2019, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique et le Sommet des Premières Nations ont élaboré conjointement la politique de reconnaissance et de réconciliation des droits pour les négociations de traité en Colombie-Britannique. Cette nouvelle politique élimine des concepts tels que l'extinction, la cession et la renonciation pour les futurs traités, accords et autres arrangements constructifs. Elle démontre l'engagement du Canada à travailler en collaboration avec les partenaires autochtones et provinciaux sur la base de l'affirmation et de la mise en œuvre des droits ancestraux, et conformément aux principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Ensemble, nous nous engageons à résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et à mettre en œuvre les droits et le titre des Wet'suwet'en. Nous comprenons que nous sommes à un moment critique, et nous nous engageons à construire une nouvelle voie avec les peuples autochtones du Canada.
Meegwetch.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
J'aimerais d'abord commencer en précisant que nous sommes réunis ici aujourd'hui sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin.
Je sais bien que les incidents et les événements des dernières semaines ont eu une incidence directe sur bon nombre d'entre vous, car cela a touché les collectivités que vous représentez et la vie de vos électeurs.
[Traduction]
Les conversations qui ont eu lieu à Smithers avec la ministre Bennett sont une étape positive et vitale, mais il ne fait aucun doute qu'il y a encore du travail à faire — un travail connu de beaucoup d'entre vous ici en votre qualité de membres de cet important comité parlementaire. Il reste en effet beaucoup à faire pour répondre aux préoccupations sous-jacentes du peuple Wet'suwet'en et aux gestes de solidarité qui en résultent dans l'ensemble du pays.
Cependant, je suis heureux que nous puissions montrer ensemble qu'une résolution pacifique est réalisable. Je suis d'avis que la voie de la facilité n'est pas toujours la bonne solution; le recours à la force est parfois un signe de faiblesse. Au cours des dernières semaines, nous avons été témoins de l'ignorance, de la peur et de l'incompréhension qui émanaient des messages et des commentaires virulents diffusés en ligne, alors que l'on s'en prenait à des individus en public comme en privé. Nous en avons d'ailleurs eu un exemple tout près d'ici à Ottawa où un groupe de jeunes Autochtones a dû déplacer son rassemblement hebdomadaire après avoir reçu une menace de mort.
Selon moi, c'est la preuve que nous avons beaucoup de chemin à faire lorsqu'il s'agit d'en apprendre davantage sur les aspects sombres de l'histoire d'un pays non réconcilié avec ses habitants, et de faire de réels efforts pour écouter et apprendre les uns des autres.
Je l'ai déjà dit, et je le répète: sans dialogue ouvert et honnête, nous ne pouvons tout simplement pas aller de l'avant ensemble.
[Français]
Un dialogue ouvert, respectueux et permanent est essentiel pour parvenir à la paix, à la coopération et à la prospérité pour tous les peuples de ce pays.
[Traduction]
C'est dans cet esprit de paix et de coopération que j'ai rencontré des membres de Kanyen’kehá:ka le long des voies ferrées de Tyendinaga, comme vous le savez sans doute. Nous avons tenu un dialogue ouvert et déployé des efforts concertés pour progresser vers une résolution pacifique. Des progrès modestes mais importants ont été réalisés à la suite de ce dialogue.
Toutefois, ma présence a suscité énormément de soupçons; on craignait qu'il s'agisse en fait d'une ruse et que la police allait intervenir. Ce n'est pas tous les jours que les gens sont entourés par la police, et ces réactions sont normales. Une partie de la conversation avec les dirigeants, les aînés et les membres de la collectivité, y compris les femmes et les enfants, a été très difficile, très douloureuse et très personnelle. Des histoires bouleversantes ont été échangées concernant le traitement déconcertant que l'on réserve aux peuples autochtones dans ce pays.
[Français]
Ce sont des questions très graves qui nécessitent notre attention, et ce, depuis des centaines d'années, et il n'y a pas de place dans cette discussion pour la rhétorique et le vitriol.
La question que je me suis posée au cours des dernières semaines est la suivante: allons-nous continuer de faire les choses comme nous les avons toujours faites, ce qui nous a amenés à ce stade de notre relation, ou allons-nous adopter une nouvelle approche, celle qui privilégie une véritable relation de gouvernement à gouvernement et de nation à nation?
Mon plus grand défi au cours des derniers mois en particulier, mais aussi dans la relation en général, a trait à la confiance. C'est aussi un défi pour Mme Bennett. C'est ce qui empêche les meilleures initiatives, celles qui sont les plus réfléchies, d'aller de l'avant. Il est clair que notre travail doit permettre de gagner cette confiance au fil du temps.
[Traduction]
Afin de bâtir un avenir meilleur où nous gagnerons cette confiance, je crois qu'il est important de reconnaître le passé. Depuis près de 500 ans, les peuples autochtones sont victimes de discrimination dans tous les aspects de leur vie. La Couronne a empêché l'établissement d'un partenariat véritable et équitable avec les peuples autochtones, imposant plutôt une relation fondée sur des modes de pensée et des façons de faire coloniaux et paternalistes. Cette approche a laissé un sillage de dévastation, de douleur et de souffrance. C'est inacceptable.
Bon nombre d'entre nous savons où cela nous a mené: un système d'aide à l'enfance déficient dans le cadre duquel les enfants autochtones de moins de 14 ans représentent 52,2 % de ceux qui sont placés en famille d'accueil, même s'ils ne comptent que pour 7,7 % de l'ensemble des enfants canadiens; des taux de suicide consternants chez les jeunes Autochtones, une source de douleurs et de souffrances indicibles qui affligeront les familles et les collectivités pour des générations à venir; des conditions de logement inacceptables avec de l'eau qui non seulement n'est pas potable, mais n'est pas non plus assez propre pour s'y baigner; et des collectivités privées d'un accès fiable aux routes, aux centres de santé et même aux écoles.
[Français]
Lorsque nous avons formé le gouvernement il y a quatre ans, nous avons fait de nombreuses promesses importantes, notamment à l'égard de certains des domaines que je viens de décrire.
Nous avons tenu une grande partie de nos promesses, mais ce que nous avons surtout appris, c'est que tout doit être fait grâce à un réel partenariat et que le Canada réussira si nous écoutons les voix de ceux que nous avons ignorés et méprisés depuis trop longtemps et de ceux qui dirigent les collectivités dans l'ensemble du pays.
Nous savons qu'il n'y a pas de solution miracle pour réparer les torts causés pendant des décennies en matière de discrimination systémique auxquels les peuples autochtones du Canada ont dû faire face, mais notre gouvernement est déterminé à consacrer le temps, l'énergie et les ressources nécessaires pour corriger les torts du passé et bâtir un meilleur avenir pour les générations futures.
Nous faisons de notre mieux pour entreprendre ce travail d'une manière différente de celle qui a été utilisée pendant une grande partie de notre histoire commune, une histoire où les droits inhérents, le leadership et la vitalité culturelle n'ont pas été respectés comme ils auraient dû l'être.
[Traduction]
Notre approche est fondée sur le partenariat et la concertation. Il s'agit d'écouter les dirigeants autochtones, les aînés, les jeunes et tous les membres de la communauté et de travailler à atteindre leurs objectifs en fonction de leurs priorités.
Depuis 2016, nous avons investi 21 milliards de dollars dans les dossiers prioritaires ciblés par nos partenaires autochtones. Ensemble, nous avons réalisé des progrès, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour combler les écarts socioéconomiques inacceptables qui existent encore entre Autochtones et non-Autochtones.
Depuis des siècles, les peuples autochtones demandent au gouvernement du Canada de reconnaître et d'affirmer leurs compétences légales à l'égard de leurs propres affaires. Ils veulent pouvoir exercer le contrôle sur leurs terres, leur logement, leur éducation, leurs systèmes de gouvernance et leurs services à l'enfance et à la famille, et avoir la capacité d'agir dans ces domaines. L'autodétermination favorise le mieux-être et la prospérité des communautés autochtones. C'est là un objectif que tous les Canadiens devraient s'efforcer d'appuyer.
[Français]
Il est incontestable que l'autodétermination est une meilleure voie à suivre.
Les peuples autochtones autonomes réussissent mieux sur le plan socioéconomique, c'est prouvé. Un plus grand nombre d'enfants terminent leurs études secondaires, moins de personnes sont sans emploi et les résultats en matière de santé sont bien meilleurs. Les initiatives dirigées par les Autochtones sont plus fructueuses, nous l'avons constaté à maintes reprises.
Il est absolument nécessaire d'appuyer la réussite dirigée par la nation et la communauté dans chaque collectivité autochtone au Canada, et pas seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans ceux des soins de santé, de la gestion de l'eau et des ressources, des services à l'enfance et à la famille, bref, dans tous les secteurs.
[Traduction]
C'est la raison pour laquelle notre gouvernement poursuit ses efforts pour changer l'orientation de ses politiques vers la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Il faudra pour ce faire adopter des modèles de gouvernance autochtones et aider les collectivités autochtones à faire valoir leurs droits.
Nous aidons les Premières Nations à se soustraire aux dispositions de la Loi sur les Indiens dans des domaines comme les terres, l'environnement, la gestion des ressources et les élections. Par exemple, nous collaborons avec les institutions autochtones et les Premières Nations pour mettre au point les outils dont elles ont besoin pour stimuler le développement économique local, habiliter leurs collectivités et promouvoir la prospérité.
Depuis 2019, neuf Premières Nations ont commencé à fonctionner en vertu de leurs codes fonciers ratifiés en application de l'Accord-cadre sur la gestion des terres des Premières Nations et de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations. De plus, 18 Premières Nations se sont jointes aux 264 autres qui affirment avoir compétence dans le domaine de la gouvernance financière en se plaçant sous le régime de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations.
L'autodétermination est essentielle pour libérer le potentiel économique, créer des possibilités de croissance et combler les écarts socioéconomiques. Nous savons qu'en faisant progresser l'autodétermination, le potentiel de réussite est énorme aussi bien pour les peuples autochtones que pour l'ensemble du Canada.
Pour y arriver, il nous faut comprendre que la reconnaissance et l'affirmation des droits constituent une première étape dans la recherche d'une voie à suivre. Nous devons aussi aider nos partenaires autochtones à cerner nos défis, puis nous devons les relever. Il nous faut enfin reconnaître que les mesures les plus importantes que nous pouvons prendre consistent à prêter une oreille attentive à ceux qui nous exposent les dures réalités, à accepter le changement et à accueillir favorablement les idées créatives. Une telle transformation exigera toutefois détermination, persévérance, patience et divulgation de la vérité.
[Français]
Le travail qui nous attend sera difficile. Comme je l'ai mentionné, cette voie exigera beaucoup de notre part. Nous devrons travailler dans un véritable partenariat et écouter, même quand la vérité sera difficile à entendre. Nous devrons continuer de communiquer, même lorsque nous serons en désaccord. Il nous faudra continuer de collaborer et de chercher des façons créatives d'aller de l'avant, ainsi que de nouvelles voies vers la guérison et la véritable compréhension.
Nous avons tous vu ce qui se passe lorsque nous ne réussissons pas à maintenir le dialogue. Cette voie engendre de la méfiance et de la confusion, qui peuvent être la cause de conflits et entraver notre cheminement commun. Je veux être clair: il incombe aux détenteurs de droits de déterminer qui parle en leur nom de leurs droits et titres autochtones. Nous continuerons de consacrer des efforts à la poursuite de ces conversations. Malgré tous ces défis, je sais que le travail acharné qui nous attend en vaut bien la peine.
Ensemble, nous pouvons bâtir un Canada meilleur, et c'est ce que nous allons faire. Ce sera un pays dans lequel les nations autochtones saines, prospères et autonomes seront des partenaires clés. Nous avons l'occasion d'apprendre de notre histoire commune, de partager notre douleur et même notre joie, et de faire un travail qui donnera naissance à un pays où tous peuvent réussir.
J'ai hâte de travailler avec mes collègues de tous les côtés pour réaliser ce travail essentiel et ce potentiel énorme. Cela requiert la participation de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes.
Il me tarde de répondre à vos questions.
Meegwetch.
:
Monsieur Battiste, je crois que vous connaissez bien les structures héréditaires qui existent dans les communautés micmaques et certains des défis qui se posent concernant les conseils de bande élus et, en fait, certains des progrès accomplis. La situation est tout à fait inégale au pays.
Comme Mme Bennett l'a bien résumé, je pense que des progrès ont été accomplis dans l'Ouest pour créer les bases d'un dialogue avec les chefs héréditaires. Au pays, bon nombre de collectivités autochtones considèrent le système des conseils de bande imposé par la Loi sur les Indiens comme un système colonialiste et paternaliste. Ce système a éliminé des structures très démocratiques par nature qui ont une très riche histoire et qui existaient bien avant le Canada, et le gouvernement du Canada a consciemment contribué à leur élimination.
Puisque nous formons un pays qui souhaite concrétiser ce que nous appelons la réconciliation, nous ne pouvons pas faire fi de ces voix, en sachant qu'à certains moments, le gouvernement a délibérément démantelé ces structures, comme je l'ai déjà dit. Dans certains cas, il y a eu très peu de dialogue, voire aucun. J'ai moi-même participé à l'ouverture de dialogues avec les membres de la Confédération haudenosaunee. Ils sont modestes. Ils ne sont généralement pas dans la sphère publique. Or, il y a beaucoup de travail à faire. La relation est très complexe, car nous parlons de bon nombre de nations qui traversent la frontière américaine également. C'est quelque chose qui a créé au sein de certaines collectivités, en fait, la crise de légitimité. Cela ne veut pas dire que les conseils de bande élus ne sont pas d'ardents défenseurs de leurs collectivités. Ils le sont. C'est simplement que cela a créé une réalité où il y a parfois une impression d'illégitimité qui a contribué à porter un coup non seulement à la relation, mais à la capacité de travailler en partenariat. C'est une chose dont nous prenons conscience, probablement moins vite que nous le devrions, mais nous en prenons conscience, et il nous faut régler les questions fondamentales auxquelles Mme Bennett a été confrontée en une période de quatre jours pour ce qui est des territoires et des titres qui avaient été reconnus dans la décision Delgamuukw. Se dire simplement qu'on ne nouera le dialogue qu'avec ce conseil de bande parce que cela fait son affaire est une façon très utilitariste de penser et ne constitue pas la bonne approche à adopter.
Certaines collectivités sont tout à fait satisfaites d'un système de conseils élus, et d'autres souhaitent travailler différemment et aller de l'avant. Voilà pourquoi nous avons tous les outils dont j'ai parlé dans ma déclaration préliminaire. Pour certaines collectivités, cela ne fonctionne pas et nous devons le comprendre et faire preuve de créativité et voir comment nous unir. Tout cela favorisera la stabilité, une bonne gouvernance et un respect à l'égard de la relation, ce qui est peut-être l'élément de respect et de vérité qu'il manque. Or, je crois que c'est la bonne façon de faire avancer la nation. Les choses peuvent être compliquées, mais nous ne pouvons pas dire que nous allons dicter les conditions, qu'il s'agisse des cadres de reconnaissance des droits ou autre. Nous devons comprendre que dans certaines collectivités et dans certaines nations, il y a une relation fondée sur un traité et qu'elles demandent qu'elle soit respectée, et que dans d'autres collectivités, il s'agit d'une relation beaucoup plus ancienne, et dans d'autres encore, d'une relation beaucoup plus récente.
Il y a beaucoup de nuances, et je crois que vous avez tout à fait raison de poser la question, monsieur Battiste, car elle renvoie à la nature complexe de la relation et aux mesures que nous devons prendre pour avancer.
:
Nous allons nous partager notre temps de parole.
Comme vous le savez, madame Bérubé, la Commission royale sur les peuples autochtones était le produit de la crise d'Oka. Il y avait beaucoup de leçons à tirer à la suite de cette énorme enquête de la Commission, leçons qui n'ont pas forcément été suivies, en ce qui a trait, par exemple, à l'achat de terres. Je ne vous dis pas que c'est une analyse simpliste, parce que c'est une réflexion très profonde. Bon nombre de recommandations n'ont pas été suivies. Il y a eu des périodes où l'engagement du gouvernement laissait à désirer, il faut l'admettre, et cela s'est produit à tous les égards.
La scission de l'ancien ministère qui a donné lieu à nos deux ministères actuels découle justement des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, scission qui n'a pas eu lieu à ce moment-là, mais plus de 20 ans après. C'est la même leçon que nous avons tirée de l'arrêt Delgamuukw. À la suite de la crise dOka, nous nous sommes rendu compte, en tant que Québécois et Canadiens, de la réelle tension qui existe, laquelle a un fondement légitime qui date de bien avant la création même du Canada, au regard de la participation des forces armées. C'est une cicatrice qui reste ouverte au sein de ces communautés.
On parle souvent des répercussions économiques qui persistent sur l'économie du Québec et sur celle du Canada, et il faut le souligner. En revanche, Les plus grandes répercussions, de façon proportionnelle, se sont fait sentir au sein de Kahnawake et de Kanesatake, un sous-développement qui a persisté et qui persiste jusqu'à ce jour.
Le préjudice et les préjugés qui ont suivi par la suite, nous les avons vus ressurgir, que ce soit dans les médias ou dans les commentaires affichés sur Facebook. Il s'agissait des mêmes commentaires que ceux qui avaient cours après la crise d'Oka. Il y a eu la mort du caporal nommé à la suite de l'intervention de la Sécurité du Québec, ou SQ. Il y a aussi eu la mort d'un homme qui sortait de Kahnawake, au moment où une roche était lancée contre sa fenêtre. Il a fait une crise cardiaque et il en est mort.
Ce sont des choses sur lesquelles il faut réfléchir en tant que société. J'ose croire qu'il y a eu des changements à la suite de la crise d'Ipperwash. En Ontario, on a vu au sein de la police une réforme des façons de faire et de l'engagement autochtone, un engagement qui fait suite à cette sensibilité culturelle et aux revendications qui existent depuis fort longtemps. Reste-t-il du travail à faire? Je dirais très humblement oui.
:
Je vous remercie de votre invitation.
Les questions que je tiens à soulever concernent l'application du droit autochtone. Je suis reconnaissant d'avoir compris que le titre autochtone se trouve au cœur des disputes actuelles, ici, en Colombie-Britannique, et que sa reconnaissance appartient aux ayants droit, les chefs héréditaires. Ce qu'il faut, bien sûr, c'est la reconnaissance de ce titre, puis que le pouvoir compétent puisse mettre en œuvre ce qu'implique le contenu de ce titre.
Quand ce pouvoir compétent sera reconnu, il englobera le droit wet'suwet'en et les mécanismes de résolution interne des différends dont cette nation pourra se servir pour relever les défis intervenant entre les conseils élus et les conseils héréditaires. Ce n'est pas la dernière fois qu'on en entend parler.
C'est pour vous dire que c'est la loi, une loi reconnue dans la Constitution.
Nous avons également besoin, bien sûr, des mécanismes de reconnaissance intersociétale, des textes comme l'article 35 et de la démarche exclusivement caractéristique qui se trouve déjà là; de la Déclaration déjà mentionnée des Nations unies et des mesures législatives que le gouvernement peut prendre pour reconnaître les droits et le titre comme enjeux de la durabilité et du développement économique; de la nécessité de réformer la prise d'ordonnances d'injonction; de la primauté du droit au sens large.
Toutefois, ma contribution principale consiste à essayer de me servir d'une loi des Anishinabés. Je suis originaire de la réserve du cap Croker, sur la rive sud de la baie Georgienne, sur la péninsule Bruce. Par exemple, la constitution de la réserve Wiikwemkoong prévoit les modalités d'application des lois de cette nation pour s'occuper des questions dont elle est saisie. Ces lois forment les sept enseignements des aïeuls. Permettez-moi de vous en faire la lecture, pour que puissiez réfléchir à ces conseils dans la résolution des différends qui nous préoccupent tous tellement.
La première loi est celle du respect, qui consiste à accepter les gens tels qu'ils sont. La constitution l'affirme: « Écoutez avec un esprit ouvert les opinions d'autrui et soyez sensibles aux sentiments d'autrui. Respectez également toutes les créatures vivantes et notre mère la Terre ». Représentez-vous cette loi comme une norme, un principe, un critère, une autorité, un précédent, une tradition, un écriteau et une enseigne pour la régulation de nos affaires et la résolution de nos différends.
Il y a l'humilité: « Efforcez-vous de devenir modeste ».
Il y a la vérité: « Soyez digne de confiance. Ne discutez que de faits et, inversement, recherchez la connaissance exacte ».
Voici des principes constitutionnels.
Il y a la bravoure et le courage. La constitution dit: « Assumez la responsabilité de vos erreurs et faites face aux circonstances inconnues. Prenez des risques et ne vous laissez pas décourager par les pertes ».
Il y a l'amour: « Affectionnez votre entourage ». Imaginez que ça fait partie du règlement de nos différends sur le plan constitutionnel. « Faites savoir à vos amis et à votre famille que vous les adorez inconditionnellement. Plus important encore, aimez-vous vous-même ».
Il y a l'honnêteté: « En tout, parlez et agissez franchement, sans arrière-pensée ».
La septième règle est celle de la sagesse: « Soyez sage et instruisez-vous grâce à la vie. De plus, apprenez de vos erreurs. Englobez dans votre sagesse celle des anciens et des enfants ».
Voilà des principes apparentés à la vie, à la liberté et à la sécurité, à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement. Bien sûr, ils sont généraux. On y aspire. Ils fondent les espoirs pour l'égalité, la mobilité et la liberté à l'intérieur de la Constitution canadienne.
Je propose que, dans le droit canadien, nous nous inspirions de ce genre de principes et que nous en fassions des normes de conduite de nos entreprises. On peut leur donner une signification en termes précis et, dans les lois, comme dans cette constitution, et dans la jurisprudence. Ils peuvent aussi inspirer nos comportements.
Ici, à l'Université de Victoria, nous enseignons le droit autochtone et la common law. Nous décernons les grades de docteur en droit et de docteur en droit autochtone. Ici, de plus, les étudiants acquièrent des connaissances des divers systèmes de droit. Par mon enseignement du droit constitutionnel, ils apprennent ce qu'est le fédéralisme, la Charte des droits et libertés et les droits autochtones et ceux des traités, mais, en même temps, ils apprennent aussi, en cours de route, le droit anishinabé.
Même chose en droit criminel, qui les met en relation avec le droit cri ou en droit des biens, qui les initie au droit gitxsan. Le droit tsilhqot'in est combiné au droit des obligations contractuelles, tandis que le droit hul'q'umi'num ou le droit cowichan le sont au droit de la responsabilité délictuelle.
Dans notre pays, coexistent de nombreux droits, de nombreuses traditions juridiques dont nos actions peuvent s'inspirer en toute confiance, et l'étymologie de l'appellation de ces principes de respect et d'humilité, de vérité, de bravoure, d'amour, d'honnêteté et de sagesse sert de fil conducteur. Par exemple, zaagidiwin, l'amour, provient d'un mot signifiant embouchure. Nous apprenons à vivre dans l'amour en observant l'embouchure d'un cours d'eau qui enrichit la terre, et les normes qui doivent guider notre vie sont l'honnêteté, gwayakwaadiziwin, une piste dégagée, qui n'entrave pas nos conversations, ou l'humilité, dibaadendiziwin, qui est la mesure précise de nos pensées. L'idée de respect, manaaj'idiwin, c'est d'y aller mollo les uns avec les autres. La notion de sagesse, c'est nanagadawenda/nibwaakaawin, c'est-à-dire se pencher sur les choses, les étudier.
Ce sont des lois canadiennes, des lois de la terre, et les Wet'suwet'ens pourraient exprimer des lois se rattachant à des principes analogues. Ainsi font les Pieds Noirs et les Salishs, les Mi'kmaqs, les Inuits, les Métis et les Haïdas. Tous les groupes possèdent ces lois écrites et non écrites. Il importe donc de parler du titre, des compétences et des mécanismes de résolution des différends internes et intersociétaux, mais comprenez que, en partie, le principe de vie de ces lois et mécanismes est la compréhension qu'ont les autochtones de la loi.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions ou à vos observations.
Il y a beaucoup à dire, mais j'espère m'être bien fait comprendre sur le fait que le droit autochtone est une ressource qui doit servir à la raison et à l'action dans notre pays.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Je vous remercie de me permettre de témoigner, même si je ne pouvais me présenter en personne. Je suis présentement dans la communauté de la nation Uashat mak Mani-Utenam, sur la Côte-Nord du Québec. Vive la technologie!
Je ne reviendrai pas sur les faits concernant la crise autochtone. Vous les connaissez amplement. À titre d'expert en droit et en politique autochtone, je vais me concentrer principalement sur ce que je comprends des causes de la crise et sur ce que je considère comme des leçons que nous pouvons en tirer.
Tout d'abord, la crise est le point culminant de plusieurs enjeux liés aux territoires et à la gouvernance politique des Premières Nations. Il y a, bien sûr, les enjeux propres à la nation des Wet'suwet'en et ceux liés au projet particulier de Coastal GasLink. Si la crise a pris une telle ampleur, c'est parce que les enjeux dépassent largement l'opposition de chefs héréditaires à un projet de gazoduc. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la crise a eu un écho aussi grand au Québec et qu'il y a eu des gestes d'appui aussi importants de Premières Nations au Québec, particulièrement de la part des Mohawks et des Micmacs, mais aussi de la part d'Atikamekw, d'Innus, d'Algonquins et de bien d'autres.
La situation au Québec est très semblable à celle qui existe en Colombie-Britannique. Ce sont deux régions où il n'y a pas de traité historique de cession, ou du moins, où il y en a peu. Il y a donc de grandes superficies de ce qu'on désigne comme des territoires autochtones non cédés sur lesquels les Premières Nations détiennent des droits, mais des droits pas totalement reconnus par les gouvernements ni les tribunaux. Ce sont ce que j'appelle des droits invisibles: des droits ancestraux, le titre ancestral, le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, le droit d'être consulté et accommodé, le droit à la protection fiduciaire de la Couronne, et ainsi de suite.
Ce n'est pas parce qu'ils sont invisibles qu'ils n'existent pas, mais parce qu'ils sont invisibles, ils sont souvent ignorés. Dans le cours que j'enseigne à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, « Droit canadien et peuples autochtones », je commence toujours mon premier cours en présentant un dessin de mon cru, qui est une représentation imagée du droit autochtone canadien. Voici mon dessin.
On voit un rectangle qui symbolise le droit canadien et un cercle qui désigne les ordres normatifs des peuples autochtones. Ce cercle chevauche en partie le droit positif canadien, mais pas totalement: il y a des droits qui sont parfois reconnus et d'autres qui ne le sont pas. C'est ce dont parlait M. Borrows concernant les droits autochtones, c'est-à-dire les ordres normatifs des peuples autochtones qui existaient auparavant et qui ont continué d'exister au Canada.
Le graphique explique ce qu'on appelle le pluralisme juridique, qui est présent en matière de droit autochtone au Canada, et il explique aussi en partie les enjeux liés à la crise et la complexité des solutions. Les peuples autochtones, parce qu'ils n'ont pas été conquis, parce qu'ils n'ont pas abandonné leurs droits inhérents, malgré les efforts considérables menés pendant des générations de politique coloniale, possèdent toujours, dans différentes mesures, selon les nations, des parties de leur ordre juridique qui existait avant la création du Canada. C'est vrai pour ceux qui ont conclu des traités et c'est encore plus vrai pour ceux qui n'en ont pas conclu, comme c'est le cas au Québec et en Colombie-Britannique notamment.
Ces droits ont été en partie reconnus par les tribunaux, qui essaient ainsi, tant bien que mal, de concilier la souveraineté préexistante des nations autochtones avec la souveraineté actuelle de la Couronne. Par contre, les concepts créés demeurent flous et imprécis. Bref, ils demeurent souvent invisibles aux yeux du système politique actuel. C'est là le problème fondamental. Devant la difficulté à résoudre les problèmes par la voie politique, les Premières Nations sont obligées de se tourner vers les tribunaux ou de bloquer des voies ferrées.
Il faut bien réaliser que la voie des tribunaux n'est pas une panacée. C'est souvent très long, très coûteux et très risqué. Même quand la Première Nation a gain de cause en cour, cela ne représente pas nécessairement une victoire. Prenez justement le cas de la nation des Wet'suwet'en, l'une des deux nations visées par la fameuse décision rendue dans l'affaire Delgamuukw en 1997.
La décision a été annoncée comme une grande victoire pour les Autochtones, puisque la cour reconnaissait l'existence et la portée du titre ancestral sur les territoires autochtones non cédés. Cependant, la cour a refusé de trancher la cause, en invitant les gouvernements à négocier ou les Premières Nations à retourner en première instance pour refaire la preuve du titre.
On peut certainement croire qu'on ne serait pas ici aujourd'hui si la voie de la négociation avait mieux fonctionné. On ne peut pas blâmer les tribunaux. La reconnaissance et la définition de ces droits invisibles ont été laissées à la Cour suprême, à défaut d'avoir été précisées au niveau politique, comme le gouvernement fédéral avait pourtant promis de le faire lors du rapatriement de la Constitution en 1982 et de l'inclusion de l'article 35, qui reconnaît les droits ancestraux sans les définir.
Ces jours-ci, il y en a d'ailleurs plusieurs qui proposent de nouvelles modifications constitutionnelles pour corriger cette situation. Il y a bien eu quelques traités dits modernes qui ont été conclus depuis que la Cour suprême a rappelé au gouvernement, en 1973, dans l'affaire Calder, que les droits ancestraux n'étaient pas des fossiles inertes.
Oui, il y a eu quelques traités, mais ils ont été peu nombreux. La situation des Wet'suwet'en est donc loin d'être unique. Il y a ailleurs, surtout en Colombie-Britannique, au Québec et dans les Maritimes, plusieurs situations semblables où l'on retrouve des territoires ancestraux non cédés sur lesquels existent ces droits invisibles.
Il faut dire que, dans l'état actuel des choses, la conclusion de traités est extrêmement difficile, voire impossible pour un grand nombre de nations. C'est que le cadre actuel des négociations est inadéquat et inefficace. D'abord, la politique actuelle sur le règlement des revendications globales comporte un énorme handicap: le gouvernement fédéral est à la fois juge et partie. C'est aussi un processus très long, parsemé d'embuches. Mentionnons, pour vous donner une idée de la situation, que des nations sont en négociation depuis plus de 40 ans.
Pendant ce temps, les territoires continuent d'être développés. Il y a bien l'obligation de négocier et d'offrir des accommodements, qui a été créée par la Cour suprême en 2004 dans le cadre d'une affaire mettant en cause la Nation haïda. Cependant, il s'agit encore là d'un autre concept flou, imprécis, qui cause beaucoup de frustration, autant chez les Autochtones que chez les promoteurs, soit dit en passant. Ils se plaignent d'être pris entre l'arbre et l'écorce.
Il faut dire que les gouvernements n'ont pas beaucoup de motivation pour négocier une reconnaissance des droits. On ne peut pas trop compter sur la pression des tribunaux, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Tout en reconnaissant les droits des Autochtones, et malgré la protection constitutionnelle conférée en 1982, les tribunaux se sont aussi assurés que ces droits n'étaient pas absolus et que les gouvernements pourraient les enfreindre. En effet, la Cour suprême a établi des critères pour justifier l'atteinte aux droits, même au titre ancestral formellement reconnu, ce qui fournit ainsi aux gouvernements une recette pour continuer de ne pas reconnaître ces droits invisibles.
Aussi, tout en reconnaissant l'existence du titre ancestral, la Cour suprême a imposé aux communautés autochtones le fardeau de prouver leur occupation antérieure de leurs territoires traditionnels. Cette preuve se révèle extraordinairement difficile et coûteuse à produire. Une seule nation autochtone a réussi à fournir cette preuve. C'était en 2014 et cette affaire s'est conclue devant la Cour suprême par la confirmation d'un titre ancestral de la nation tsilhqot'in concernant environ 5 % de son territoire ancestral.
Alors, que peuvent faire les Premières Nations qui possèdent des droits invisibles, mais qui ne peuvent ni faire reconnaître ceux-ci par les tribunaux, ni prendre part à des négociations pouvant mener à la conclusion d'un traité? Pour l'instant, la seule chose qu'elles peuvent exiger, c'est d'être consultées. Encore là, elles se font rappeler qu'elles n'ont pas de droit de veto. Si elles ne sont pas satisfaites de la consultation, elles peuvent recourir aux tribunaux, mais si elles ne sont pas satisfaites des tribunaux, que reste-t-il? Voilà l'impasse dans laquelle nous sommes.
Selon moi, la crise autochtone est donc une conséquence directe de l'incapacité des gouvernements à reconnaître les droits invisibles, qui sont quand même réels, et à régler les griefs historiques des Premières Nations qui n'ont jamais cédé ou abandonné leurs droits territoriaux.
Or la résolution de ces revendications territoriales ne pourra pas avoir lieu tant et aussi longtemps que l'on ne changera pas fondamentalement les mécanismes de négociation. Après de nombreuses années, parsemées d'expériences de négociation frustrantes, je suis d'avis que la solution à l'impasse actuelle passe par un mécanisme indépendant des gouvernements. En effet, le problème est systémique, c'est-à-dire que le système actuel ne peut pas régler ces enjeux, qui sont si complexes qu'ils dépassent même la capacité des administrations gouvernementales. Ce genre d'enjeux ne peuvent pas être réglés par des fonctionnaires qui doivent suivre des politiques, des directives et des procédures administratives. Il faudrait donc, selon moi, qu'une nouvelle institution, indépendante des gouvernements, ait la responsabilité de clarifier et de mettre en oeuvre les droits des Premières Nations. Cette entité indépendante devrait être composée de personnes possédant l'expertise et la légitimité nécessaires à la réalisation de cette tâche sensible et hautement importante.
L'une des premières choses à changer est probablement le vocabulaire utilisé. En effet, on ne parle pas de revendications, un terme qui porte à confusion, car cela laisse entendre que les groupes autochtones demandent des droits nouveaux. Comme je l'ai dit, ce sont plutôt des droits existants à l'égard desquels on demande une reconnaissance formelle. On devrait donc plutôt parler d'une politique de reconnaissance des droits. Cette solution serait aussi un geste concret dans la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a officiellement appuyée.
En conclusion, je dirai quelques mots sur l'incertitude que la crise a provoquée chez les promoteurs de projets, notamment en ce qui concerne les autorités qui ont la compétence pour négocier des ententes de développement. Les entreprises et l'État s'adressent bien sûr aux conseils de bande élus. Ceux-ci, rappelons-le, tentent aujourd'hui de faire ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont pour améliorer la vie de leurs communautés. Cela dit, il s'agit là d'un autre débat.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, les autorités traditionnelles ont subsisté au sein de plusieurs nations. Dans quelques cas, les tribunaux ont également reconnu la légitimité de ces autorités traditionnelles, comme chez les Wet'suwet'en en 1997. C'est ici que la responsabilité du gouvernement fédéral est utile, voire fondamentale. En effet, c'est au gouvernement fédéral qu'incombe l'obligation de s'assurer que le processus respecte les droits du groupe autochtone concerné.
Aussi, plutôt que d'encourager la division des communautés autochtones, il faudrait leur donner les ressources nécessaires pour qu'elles puissent mettre sur pied des institutions pensées à partir de leur propre perspective juridique, lesquelles leur permettront d'en arriver à des décisions légitimes qui auront ainsi plus de chances d'être respectées par tous.
Pour ce faire, il faut aussi passer par la voie politique. Il n'est pas nécessaire de conclure une entente, parce que le droit à l'autonomie gouvernementale est un droit inhérent. Il est toutefois plus utile de conclure des ententes sur l'autonomie gouvernementale. Sinon, il survient des situations comme celle des Mohawks de Kahnawake, qui ont mis en place une sorte de souveraineté de facto sur leur territoire, ce qui explique, entre autres, pourquoi on ne pouvait pas défaire le blocus par une simple injonction de la cour.
Encore là, pour conclure des ententes et reconnaître l'autonomie gouvernementale, le système actuel rend la chose très difficile.
Bref, il faut maintenant faire preuve de créativité et de courage afin d'adopter des mesures concrètes pour passer de la parole aux actes. Sinon, la réconciliation va demeurer un vœu pieux. L'expression « relation de nation à nation » ne voudra plus rien dire, et des crises comme celles-ci vont se reproduire.
Sur ces paroles positives, je vous remercie.
Je remercie d'abord les Algonquins de nous avoir autorisés à faire des affaires dans leur territoire. Je remercie aussi le Comité de son invitation.
Je me nomme Theresa Tait Day. Mon nom héréditaire est Wi'hali'yte. Je suis de la quatrième génération, dans ma famille, à le porter. En ma qualité de sous-chef héréditaire de la Maison près du feu, Kun Beghyukh, du clan de la Petite Grenouille, ou Laksilyu, j'ai participé pendant de nombreuses années à la gouvernance des Wet'suwet'ens. J'ai siégé à la table du bureau des Wet'suwet'ens.
Je suis redevable de ma formation à mes grands-parents, qui ont travaillé, dans le système politique, pour les droits et le titre de gouvernance. Ils ont été des acteurs des affaires Calder et Delgamuukw-Gisday’wa et participé à la formation de la Fraternité des Indiens de Colombie-Britannique. J'ai été directrice des programmes pour les Autochtones à la Legal Services Society pendant près d'une décennie, et je pense que c'est là que j'ai rencontré John Borrows, il y a longtemps.
Je suis la cofondatrice de la Wet'suwet'en Matrilineal Coalition, avec cinq chefs héréditaires représentant les cinq clans. Les chefs héréditaires et la communauté en général ont demandé à la coalition de trouver une solution pour faciliter la prise de décisions dans notre nation. Nous nous sommes particulièrement occupées des dossiers du gaz naturel liquéfié et de Coastal GasLink. Notre peuple voulait en tirer un avantage et il aspirait à une décision prise sur une note positive. Mais, depuis, nous subissons la violence et la coercition latérales des cinq chefs qui prétendent représenter la nation.
Je parle au nom de la coalition, en ma qualité de chef héréditaire de sexe féminin, et au nom de mes compagnes-chefs héréditaires, des membres des bandes, de nos conseils de bandes élus et des membres de mon groupe de maisons en ma qualité de sous-chef nommée et de porte-parole désignée.
Nos communautés se sont fait connaître du monde entier quand certains de nos chefs héréditaires ont bruyamment diffusé leur opposition au projet de Coastal GasLink, malgré l'appui solide que lui accordent les communautés. Les voix de ces chefs ont été amplifiées par les talents et les ressources de militants écolos de l'extérieur qui prétendent appuyer les Wet'suwet'ens, mais dont l'intérêt premier est d'arrêter le projet de pipeline.
Les organisateurs des protestations se cachent commodément derrière notre écran de peuple autochtone tout en cherchant à imposer les objectifs de leur stratégie à nos dépens. Ces actions compromettent le mieux-être social de notre nation et l'avenir économique de notre peuple.
Ils ont présenté les chefs héréditaires qui s'opposent au pipeline comme les défenseurs de la gouvernance traditionnelle, donnant l'impression que le chef et le conseil foulent à leurs pieds les souhaits de la communauté. Ce n'est pas si simple. Les chefs héréditaires de nos communautés ne gouvernent pas seuls. Les décisions se prennent collectivement. Ils se rassemblent dans les salles communautaires. Pendant ces réunions, les gens ont droit de parole. On recherche le consensus. À la fin du processus, les chefs communautaires et les chefs élus des bandes informent les chefs héréditaires du message de la communauté à publier. Le projet en question a été détourné par les cinq chefs.
Les chefs héréditaires sont des décideurs représentatifs et non des autocrates. La communauté leur dicte ses décisions, et c'est ainsi que nous avançons. Or, ce n'est pas ce qui se passe. La bande et la communauté ont été laissées de côté.
D'après un sondage réalisé dans Witset, la nation, la communauté la plus nombreuse de notre territoire, plus de 80 % de notre communauté approuve la réalisation du projet de gaz naturel liquéfié. Le discours populaire et celui des chefs héréditaires divergent.
On vous dit que ces hommes parlent pour notre nation, mais, souvent, ils ne parviennent pas à comprendre même les traditions de base. Le port inconvenant des costumes de chef, pendant les protestations, offense les chefs traditionnels les plus progressistes. Ce comportement révèle un manque de respect fondamental pour nos droits coutumiers. Comment pouvons-nous être gouvernés par ces gens qui ne les comprennent même pas?
Quant au bureau des Wet'suwet'ens, il est structuré et contrôlé par ses propres bienfaiteurs, qui tirent un salaire des opérations et gèrent les décisions en matière de dépenses. Ils ne rendent pas de comptes à notre communauté.
En négociant directement avec ce bureau, le Canada et la Colombie-Britannique légitiment un groupe de brutes et d'agresseurs de femmes.
De plus, en refusant d'entendre les conseils élus, ces gouvernements ont, frivolement, empêché les voix actuellement les plus crédibles de se faire entendre. Le système reposant sur la Loi sur les Indiens doit être réformé, mais ça n'invalide pas le rôle des conseils élus. Tout en étant imparfaits, ils continuent de parler au nom de notre peuple tant qu'un modèle meilleur ne sera pas mis en oeuvre. Voilà pourquoi je suis ici, pour vous implorer de créer un modèle meilleur de prise de décisions.
Les voix des femmes ont été tues par la dissidence. En notre qualité de femmes wet'suwet'ens et de chefs de la communauté, nous voulons être entendues et participer à la prise des décisions. Voilà notre façon d'agir. Mais nos voix n'ont pas été entendues. Beaucoup de chefs héréditaires masculins agissent par oppression historique intériorisée. Nous affrontons une domination patriarcale. De façon très malsaine, les voix des privilégiés et des protestataires non autochtones passent avant celles des femmes autochtones. Ces intervenants affirment leur volonté de concert pour éviter l'examen de leurs politiques.
Dans cette question, le pipeline n'est pas tout. Les événements actuels déterminent notre façon de faire comme nation. Les souhaits d'un peuple n'ont pas été entendus. Je suis d'accord avec John Borrows: Il y a des croyances, mais, dans notre nation, nous sommes opprimées depuis 150 ans et nous continuons de l'être sous le régime actuel.
À la consultation du 28 février sur le projet d'accord, un certain nombre de chefs héréditaires a assisté à une réunion avant celle des chefs héréditaires masculins avec des ministres de la province et des ministres fédéraux. Nous nous sommes rencontrés jusqu'à ce qu'on promette que les chefs organiseraient une réunion communautaire publique. À la place, ils ont décidé d'organiser de petites réunions claniques, de cinq ou vingt décideurs sur la question. Ça ne ressemble pas à un système démocratique.
Les deux grands dossiers à résoudre, la position des Wet'suwet'ens dans le dossier Coastal GasLink et le rôle des chefs héréditaires dans notre gouvernance, sont à proprement parler laissés aux soins des Wet'suwet'ens. Nos communautés y travaillent depuis des années, et nous trouverons une solution à notre manière. Notre communauté a besoin de mettre en oeuvre un processus par lequel les Wet'suwet'ens créeront un modèle de prise de décisions, un processus pour les grands projets. Nous avons besoin d'un système qui nous permettra de collaborer ensemble à la réconciliation économique, à la création d'emplois et à la reconstruction de notre nation. Nous avons besoin d'un nouveau modèle.
La Loi sur les Indiens nous a pris, nous les femmes, comme cibles, comme le fait la violence continue à l'intérieur et à l'extérieur de nos communautés. Tout en appuyant la décolonisation comme élément de réconciliation, les partisans des peuples autochtones doivent également appuyer la lutte contre le sexisme et l'oppression continue des Amérindiennes.
Nous exigeons respectueusement des chefs héréditaires qui représentent le bureau des Wet'suwet'ens de se responsabiliser et de faire preuve d'équité dans les processus. Nous demandons au gouvernement de nous aider à fournir les ressources nécessaires à notre nation pour tracer de manière concertée une piste qui conduira à une réconciliation économique qui ne laissera personne de côté, qui sera démocratique, transparente et juste, comme vous pouvez le voir dans votre système de gouvernement. Vous avez ce système équitable, pas nous.
Nous avons une porte de sortie. Nous demandons d'organiser une rencontre pour l'ensemble de la communauté et, aux protestataires, de cesser de projeter une image déformée des Wet'suwet'ens. Nous sommes prêts pour un nouveau système de gouvernance qui ne laissera personne de notre nation de côté.
Je me rends compte que vous avez entendu beaucoup d'affirmations aujourd'hui. Je suis d'accord avec John Borrows sur les principes, mais ces principes doivent faire partie du dialogue de notre nation, et, dans notre nation, nous n'avons pas vraiment pu dialoguer. Nous n'avons pas de mécanisme en place qui permette à chacun de s'exprimer et de savoir de quoi il est question. Le sujet a été décidé par un groupe, sans le concours de la communauté et sans l'apport de la nation.
Nous arrivons à la onzième heure, quand, tout d'un coup, la se présente et discute avec les cinq groupes non autorisés par nous pour le faire.
Ce sont les communautés qui disent ce qu'il faut faire, et les chefs héréditaires n'agissent pas seuls. Ils reçoivent des instructions de la part des membres. Le problème auquel nous faisons face, en tant que Wet'suwet'en, c'est l'absence d'un mécanisme permettant à chacun d'avoir son mot à dire de manière démocratique, ouverte et équitable.
À l'heure actuelle, dans le système de réunions de clan, lorsqu'on organise une réunion à laquelle assistent 20 personnes... En ce moment, le clan Likhts'amisyu est sous la direction de Warner Naziel — qui s'est approprié le nom de la propriétaire légitime, Gloria George. Il organise une réunion, et 20 personnes disent: « Oui, allez-y. » Ces petites réunions ne permettent pas de prendre une décision pour notre nation. Je suis donc ici pour parler à la ministre Bennett et aux autres ministres afin d'essayer de créer un mécanisme dans le cadre duquel nous sommes tous informés et invités à participer à chaque décision qui doit être prise relativement à nos communautés. Le titre et les droits sont maintenus au sein de la nation Wet'suwet'en. Ils ne disparaissent pas. Ces ententes ne changeront pas le fait qu'aujourd'hui, les membres de mon clan et de ma maison peuvent aller protester.
Je crois que la meilleure approche que le gouvernement peut adopter pour l'avenir, c'est de réfléchir à la façon dont ces modèles de gouvernance s'intègrent dans le monde d'aujourd'hui. Nous ne pouvons pas revenir 100 ans en arrière — et, en fait, ces réunions oppriment notre nation. Nous avons l'impression d'être coincés dans les années 1800. Il faut aller de l'avant sur le plan économique. Nous devons tirer profit de nos terres. Nous devons être en mesure d'acquérir des parts dans les projets qui nous sont présentés. Il nous faut en profiter, mais nous n'avons pas de mécanisme au sein de notre communauté pour régler ce problème particulier. Oui, nous devons nous occuper de la question concernant le titre et les droits, mais encore faut-il un mécanisme pour prendre, aujourd'hui, des décisions sur les projets à venir.
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Merci, monsieur Battiste. Je suis, moi aussi, content de vous revoir. C'est une excellente question.
Dans l'arrêt Delgamuukw, la Cour a statué que le titre d'un groupe national serait reconnu. Le contenu de ce titre serait semblable au fief simple. L'affaire de la nation Tsilhqot'in a montré que la Première Nation exercerait un droit bénéficiaire sur les terres. Ces activités engloberaient non seulement les activités traditionnelles, mais aussi les droits relatifs à la surface et au sous-sol.
La Cour a également fait valoir que le titre avait une limite intrinsèque, à savoir l'interdiction de détruire ces terres ou de les utiliser de telle sorte que les générations futures ne puissent pas en bénéficier. La décision rendue dans l'affaire Delgamuukw a préparé la voie à celle de la nation Tsilhqot'in, car elle a reconnu l'intérêt général que possède un groupe national, comme je viens de l'expliquer.
En ce qui a trait aux mécanismes de reconnaissance, nous n'avons pas besoin de revenir en arrière de 23 ans seulement; nous pouvons remonter à il y a 250 ans. La Proclamation royale de 1763 disait que les terres seraient réservées aux Indiens jusqu'à ce qu'il y ait un accord public pour le transfert ou le partage de ces terres avec ceux qui viendraient vivre parmi eux. Nous avons donc un long préavis non seulement de 23 ans, mais bien de 250 ans, pour confirmer que les terres restent la propriété des peuples autochtones jusqu'à ce qu'il y ait un accord qui dise le contraire. Or, ce n'est pas ce qui s'est produit sur le territoire.
Il s'agit donc d'encourager les Wet'suwet'en à mettre en place des mécanismes de règlement des différends internes, comme le disait Mme Tait-Day, afin de garantir que les membres de cette nation puissent, en vertu de leurs propres lois, prendre des décisions sur la façon dont ces terres peuvent être utilisées, occupées et gérées de manière responsable.
L'idée d'invoquer les lois autochtones à de telles fins a été reconnue par les tribunaux dans l'affaire Van der Peet. Ils ont statué qu'« une conception moralement et politiquement défendable des droits autochtones intégrera les deux points de vue juridiques », c'est-à-dire le point de vue de la common law, de la Constitution, d'une part, et celui des peuples autochtones, d'autre part.
Pour créer ces mécanismes de règlement des différends intersociétaux, mécanismes qui miseront sur les lois internes des Wet'suwet'en, vous pouvez vous inspirer de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce qui donnerait l'occasion d'établir, par voie législative, des accords — comme le reconnaît la loi de la Colombie-Britannique elle-même — afin de faciliter la mise en œuvre de ces droits.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un vecteur de développement économique. Parfois, les gens pensent à tort qu'il s'agit de bloquer tout développement. Il faut plutôt essayer de comprendre, dans un esprit démocratique, ce que signifie un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Ce n'est pas un veto, mais c'est le droit de dire non. Si la communauté dit non, il faut alors mettre en place un autre processus pour garantir que l'honneur de la Couronne soit respecté, advenant l'absence d'un tel consentement.
La possibilité d'utiliser les lois propres aux peuples autochtones pour éclairer les mécanismes de règlement des différends intersociétaux signifie que les peuples autochtones ont le droit d'être libres, c'est-à-dire d'être différents des autres Canadiens au sein de leurs nations, conformément à leurs lois. Ils ont également le droit d'être différents les uns des autres à l'intérieur de leurs nations, car la fonction de toute loi au sein d'une nation, c'est de vous permettre d'exprimer votre désaccord de façon constructive. C'est justement ce que demande Mme Tait-Day: la possibilité d'être en désaccord de manière constructive dans un contexte de collaboration.
Pour terminer, je vous renvoie à la constitution de la nation Wiikwemkoong. On y trouve des principes de justice naturelle, qui sont définis comme suit:
une personne a le droit de connaître les allégations portées contre elle, [le droit] de se défendre et l'assurance qu'une décision équitable sera prise en tenant compte de tous les éléments de preuve pertinents présentés à l'avocat du ministère de la Justice;
les limites raisonnables n'excèdent pas la limite prescrite par la loi et ne sont pas excessives;
il y a conflit d'intérêts lorsqu'une organisation doit gérer de multiples intérêts, dont l'un pourrait éventuellement corrompre la motivation à agir sur les autres.
Là où je veux en venir, en m'appuyant sur les sept principes des aïeuls ou les dispositions constitutionnelles relatives aux conflits d'intérêts, aux limites raisonnables ou aux principes de justice naturelle, c'est que les Premières Nations peuvent être encouragées à prendre des décisions en toute clarté.
Il y aura des différences, tout comme il y a des différences entre le Québec et l'Alberta, et tout comme le gouvernement fédéral pourrait avoir une opinion différente sur ce qui se passe dans les territoires. On peut bâtir des confédérations au sein desquelles on peut obtenir des réponses à ces questions que suscitent les différences, mais il faut mettre en place les procédures et les principes appropriés, et les lois autochtones ne font pas exception.