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J'aimerais d'abord me présenter, ce qui permettra aux membres de mieux cibler leurs questions.
Je suis docteur en criminologie et j'ai travaillé 27 ans au Service correctionnel du Canada, dont 15 dans 5 différents pénitenciers en tant qu'agent de libération conditionnelle et coordonnateur clinique par intérim. J'ai ensuite travaillé 12 ans en recherche opérationnelle, toujours au Service correctionnel, auxquels s'ajoutent 20 ans d'enseignement en criminologie aux universités d'Ottawa et de Montréal. Je suis l'auteur d'une cinquantaine de publications en criminologie parues dans différentes revues internationales. Actuellement, je fais de l'expertise sur l'analyse de dangerosité et du risque de récidive pour la Couronne et la défense, c'est-à-dire pour la cour.
Dans le court laps de temps qui m'est imparti ce matin, j'aimerais rappeler aux membres du Comité ici présents, pour bien dégager la suite de la discussion, qu'il n'y a pas d'école de formation ni d'université pouvant conduire la personne à devenir commissaire aux libérations conditionnelles. Ce n'est pas une profession ni une spécialisation, mais une fonction.
De plus, la Commission des libérations conditionnelles du Canada n'est qu'un maillon de la chaîne. J'ai entendu beaucoup de commentaires. On cherche à savoir qui est coupable, qui est responsable. Chacun balaie la poussière dans la cour du voisin. Pour bien comprendre le pourquoi de ce dossier ayant entraîné la mort d'une personne, dossier qui est loin d'être une première au Canada dans les annales judiciaires, je me dois de revenir brièvement sur son historique pour bien cadrer le sujet qui est la raison de notre présence aujourd'hui.
Il n'y a pas si longtemps, à la suite du fameux rapport Fauteux et de celui de la commission Archambault, la Loi sur les libérations conditionnelles fut créée en 1956, suivie en 1959 de la création de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada, laquelle allait changer plusieurs fois de nom et devenir la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Celle-ci était composée de personnes choisies, à l'époque, par les ministres et les députés, qui recommandaient les candidats auprès du Cabinet du premier ministre, choix on ne peut plus politique qui dépendait du gouvernement en place.
Malheureusement, devant de hauts taux de récidive, des sondages quant à la perception négative du public canadien acculé à ce phénomène récurrent de la récidive et des décisions prises par les commissaires souvent critiquées pour leur laxisme, il faudra attendre l'arrivée de Willie Gibbs, en 1994, pour que le processus soit radicalement transformé.
Les candidats allaient désormais être jugés en fonction de leurs connaissances et de leurs capacités à mener à bien une entrevue lors d'une audience et à prendre des décisions se voulant justes et éclairées. Pour ce faire, il fallait à tout le moins sélectionner ces personnes au moyen d'un processus échelonné en quatre phases distinctes. La première était l'examen écrit qui, si réussi, amenait la personne à un examen oral. Pour l'examen écrit, à moins d'avoir une réelle expertise dans le domaine, il ne s'agissait pas d'une simple préparation à un examen trois semaines à l'avance, mais très souvent d'une préparation de plusieurs mois, voire d'une année complète.
Ensuite, si le candidat réussissait la première phase, c'est-à-dire l'examen écrit, il était convoqué en entrevue par quatre commissaires aguerris pour le soumettre à des mises en situation et des jeux de rôle et évaluer sa capacité à verbaliser une prise de décision. Après l'écrit et l'oral, il y avait la phase de vérification de la fiabilité du candidat, à savoir s'il avait ou non un casier judiciaire.
Finalement, la personne demeurait sous le tutorat d'un commissaire expérimenté pour une durée d'au moins six mois. Durant cette période, le candidat ne prenait pas de décision en audience. Il pouvait réagir aux propos tenus et donner sa rétroaction, mais, pendant six mois, il était apprenti.
Une fois nommé, il suivait une formation de 15 jours par an sur différentes thématiques liées au domaine criminel, domaine qui nécessite un minimum de connaissances continuellement mises à jour. J'insiste sur ce point.
Qu'on soit d'obédience politique plus conservatrice ou plus libérale, plus à gauche ou plus à droite, au même titre que tous les membres réunis dans cette salle, n'est pas commissaire qui veut. Les commissaires en poste ne font aucune analyse criminologique, ne remplissent aucune grille d'évaluation actuarielle et n'établissent pas de plan de traitement correctionnel. Tout ce qui relève du diagnostic et du pronostic entourant le comportement criminel appartient exclusivement à l'agent de libération conditionnelle. Quand on parle de comportement criminel, il n'y a pas deux, trois, quatre ou cinq spécialistes, il n'y en a qu'un seul: c'est l'agent de libération conditionnelle, qui plus est s'il est diplômé en criminologie.
Le Service correctionnel du Canada a pour mandat de recommander ou non un détenu, et c'est uniquement à la lueur des recommandations écrites, et seulement à ce moment, que la Commission est alors apte à prendre une décision quant à octroyer ou non un élargissement des conditions de la personne détenue à l'extérieur lors d'une audience.
Traiter en amont du seul processus de nomination de la Commission en cherchant un responsable sans prendre en compte ce qui se fait par le Service correctionnel du Canada, c'est faire fausse route.
Je ne peux que commenter sous toute réserve le cas de M. Eustachio Gallese, puisque je n'ai pas son dossier.
Même si le cas ne constitue pas une situation isolée dans le temps quant à la fréquentation des prostituées — le président du syndicat l'a même reconnu, il était étonné de la réponse de la commissaire du Service correctionnel —, je rappellerais qu'autoriser un cas lourd, condamné pour meurtre, à solliciter à plusieurs reprises des services de nature sexuelle moyennant rétribution, constitue un acte criminel passible d'une amende de 1 000 $ aux termes du sous-alinéa (286.1(1)a)(ii) et de 5 000 $ en cas de récidive aux termes de l'alinéa 286.1(1)b). Ce faisant, le Service correctionnel du Canada s'est placé en position de proxénète en l'autorisant à fréquenter un salon de massage, cette autorisation ayant été signée par l'agente de libération conditionnelle avec co-signatures des autorités en place, c'est-à-dire contrôle de qualité et supérieur immédiat.
Autre erreur gravissime, on ne devrait jamais, mais jamais, placer un détenu dans un centre résidentiel communautaire qui relève du fédéral, lorsque ce dernier a un dossier lourd, notamment pour tout ce qui constitue meurtres et agressions sexuelles. Il devrait être placé dans un centre correctionnel communautaire.
Alors, pour ne pas confondre le public, parce que beaucoup de journalistes ont fait des cours 101 à M. et Mme Tout-le-Monde, je rappellerais que la différence est majeure.
Les centres résidentiels communautaires, ou CRC, sont des maisons de transition provinciales ayant un contrat avec le fédéral et sont des maisons qui coûtent beaucoup moins cher que les centres correctionnels communautaires qui, eux, relèvent du fédéral et disposent d'un personnel aguerri, de professionnels et, généralement, pour la région du Québec, de criminologues. Donc, dans ces maisons de transition provinciales, il y a des détenus provinciaux condamnés à des peines de trois, quatre, six, dix ou dix-huit mois, qui côtoient des détenus ayant des peines lourdes de 20 ans, 25 ans, soit des cas extrêmement lourds.
Je vous rappellerais que la Constitution prévoit la séparation des pouvoirs visant les prisons et les pénitenciers. Là, on semble mélanger les deux, mais on ne le devrait pas. Les détenus provinciaux relèvent des provinces. Les détenus fédéraux relèvent du fédéral. Dans un CRC, le personnel en place est constitué d'un gardien de nuit et d'un gardien de jour, d'animateurs de groupe, de quelques intervenants, de beaucoup d'étudiants en stage et de bénévoles. Quant aux détenus qui y séjournent, ils demeurent sous la tutelle d'un agent de liaison du Service correctionnel, qui vient faire sa navette entre le bureau de libération conditionnelle et le centre résidentiel communautaire, afin de rencontrer les détenus qui lui sont confiés.
Pour limiter, et non éradiquer, le risque de récidive contre la personne — le risque zéro n'existe pas, c'est une farce, c'est un leurre, cela fait partie de la propagande —, les commissaires devraient siéger au nombre de trois. J'ai connu une époque où ils étaient quatre pour les cas de meurtre. Pour tous les dossiers de meurtre, comme c'était le cas il y a 20 ans, il devrait y avoir trois commissaires. Certes, vous allez me dire que c'est une mesure qui coûte cher, qui exige un bassin beaucoup plus grand, mais la sécurité du public n'a pas de prix. Je reviendrai sur des éléments autour de cette question.
Je vous remercie, messieurs et mesdames, membres du Comité.
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Merci, monsieur le président. Je remercie également les députés.
Par souci de transparence, je tiens à mentionner dès le départ que j'ai été candidat conservateur à l'élection de 2019.
Je dois vous dire que je suis extrêmement triste et consterné relativement au sort qu'a connu Marylène Levesque. Cette femme n'aurait jamais dû mourir sous les coups de couteau d'un meurtrier récidiviste. Le loup a été jeté dans la bergerie. En conséquence, ce qui était prévisible est survenu. Pourquoi? C'est parce que la Commission était dépourvue de sa capacité à exercer son mandat.
Ce meurtre est le résultat d'une série de failles majeures systémiques au sein du Service correctionnel du Canada, le SCC, de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, la CLCC, et de la maison de transition.
Le bureau du premier ministre a aussi une part importante de responsabilité dans ce qui a mené à ce meurtre sordide. Les modifications apportées au processus de nomination des commissaires ont eu des conséquences désastreuses sur le fonctionnement de ce tribunal indépendant administratif. Les Canadiens, la famille de Marylène Levesque et la fille de Chantal Deschênes, tuée par M. Gallese en 2004, s'attendent donc à des réponses claires sur les manquements du SCC et de la CLCC ainsi que sur les mesures qui seront prises pour assurer la protection des femmes au Canada.
Je parlerai maintenant du premier point de la motion, soit la décision de la CLCC. Les commissaires Lainé et Fortin ont pris une mauvaise décision le 19 septembre 2019 en reconduisant la semi-liberté de M. Gallese. Ces deux commissaires étaient peu expérimentés en évaluation du risque de délinquants fédéraux. Ce dossier présentait certaines complexités. Ils n'ont pas été en mesure de prendre les mesures appropriées pour protéger la société de ce meurtrier.
Pendant l'audience, les deux commissaires ont été informés de la stratégie de l'équipe de gestion de cas du délinquant, qui a permis à ce dernier de rencontrer des femmes afin de répondre à ses besoins sexuels, sur la base de sa transparence.
Puisqu'il s'agissait de nouvelles informations, les commissaires auraient dû obtenir plus de précisions quant à cette stratégie afin de bien évaluer le risque que représentait M. Gallese pour le public et pour les femmes.
Qui plus est, les commissaires n'ont fait qu'écrire quelques lignes au sujet du caractère inapproprié de cette stratégie, sans revoir le risque ni prendre les mesures de protection qui s'imposaient. Personnellement, je ne vois pas comment la stratégie permettant à M. Gallese de rencontrer des femmes pour assouvir ses besoins sexuels aurait pu représenter une perspective de réinsertion sociale. Je n'ai jamais vu l'utilisation d'une telle stratégie pendant toute ma carrière, et je suis effrayé par les commentaires du Syndicat des employés de la sécurité...
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Selon toute vraisemblance, la stratégie ne protégeait pas toutes les femmes et laissait sous-entendre que, dans notre société, il y a des « sous-femmes », ce qui est outrageant.
Enfin, le SCC et la maison de transition doivent expliquer leur laxisme en matière de surveillance.
Au sujet du deuxième point de la motion, les commissaires intéressés par un renouvellement devaient, par le passé, écrire une lettre au président. Ce dernier recommandait ou non un renouvellement au bureau du ministre. Cette façon de faire permettait de renouveler la nomination des commissaires méritants et désirant poursuivre leur service au Canada.
En mars 2016, lors de la remise de mon évaluation annuelle, j'ai manifesté au vice-président du Québec mon intérêt à solliciter un renouvellement. Ce dernier m'a informé que le gouvernement Trudeau allait mettre en place un nouveau processus de nomination des commissaires. Quelque temps après, le bureau national m'a expliqué que je devais poser ma candidature et recommencer le processus dans son entièreté. Conséquemment, l'ancien processus de renouvellement des commissaires n'existait plus.
Entretemps, un groupe d'une dizaine de commissaires du Québec, dont je faisais moi-même partie, a amorcé des discussions sur les répercussions des changements dans le processus nominatif sur le mandat de la CLCC.
Pour nous, il n'y avait aucun doute que ces changements allaient avoir des conséquences majeures sur le fonctionnement de la CLCC, sur la perte d'expertise, de connaissances et d'expérience des commissaires, sur le manque d'encadrement en audience par des commissaires d'expérience, sur le climat de travail et sur le surmenage des commissaires et du personnel.
À la fin de novembre 2017, nous avons fait parvenir une lettre au premier ministre Justin Trudeau, au ministre de la Sécurité publique et au greffier du Conseil privé, leur faisant part de nos sérieuses préoccupations.
Je cite un extrait de cette lettre:
Il est bien connu qu'une organisation comme la nôtre nécessite l'apport de nouveaux commissaires régulièrement. Mais elle a aussi besoin de membres expérimentés en nombre suffisant, avec de bonnes performances à leur actif, afin de transmettre la mémoire corporative, d'encadrer les nouveaux commissaires qui nécessitent de 18 à 24 mois de formation, et de maintenir la très grande qualité des décisions nécessaires pour la protection du public. Notre mandat premier est la protection du public et nous craignons que ce mandat soit actuellement en péril.
De plus, nous avons demandé au premier ministre de maintenir en place le processus de renouvellement des commissaires. Ni MM. Trudeau, Goodale ou Wernick n'ont donné suite à cette lettre. Pourquoi?
Le contenu de cette lettre était de première importance, car il les alarmait des répercussions potentielles sur la protection de la société canadienne.
Le 11 janvier 2018, j'ai terminé mon mandat à la Commission sans savoir ce qu'il adviendrait. En avril 2018, j'ai passé une entrevue de moins de 30 minutes devant un comité de sélection dont aucun membre n'avait fait le travail de commissaire.
Je suis d'avis que le cœur du problème dans l'affaire Gallese est directement lié au nouveau processus de nomination mis en place par le gouvernement Trudeau. Ce nouveau processus a fait que la Commission a considérablement perdu de son autonomie et de son indépendance dans le recrutement des commissaires. Conséquemment, la majorité de ceux qui possédaient de l'expérience et qui avaient été nommés par le gouvernement précédent a été évincée.
Ce nouveau processus avait comme particularité d'inclure un membre du comité de sélection qui provenait du bureau du premier ministre.
En outre, la première vice-présidente nommée en 2018, Mme Sylvie Blanchet, dont les liens entre son conjoint et un influent ministre libéral du Nouveau-Brunswick étaient connus, siégeait aussi au comité de sélection. L'intégration de Mme Blanchet et d'un membre de son bureau permettait au premier ministre d'influencer les décisions concernant les personnes qui allaient se retrouver ou non sur la liste potentielle des nominations. De plus, en éliminant le processus de renouvellement des commissaires d'expérience, il forçait ces derniers à refaire en entier le processus de nomination.
Ce nouveau processus était l'instrument du gouvernement Trudeau pour faire le ménage, pour sélectionner les personnes de son choix. Malheureusement, tout porte à croire que ces choix se sont faits au détriment de la sécurité publique.
La Commission n'a pas été en mesure d'encaisser le choc brutal d'un presque total changement de garde de ses commissaires en l'espace de quelques mois. Une large part du difficile travail de commissaire s'apprend sur le terrain, en prenant des décisions de qualité sur des dossiers et en participant à des audiences. Les commissaires expérimentés agissent comme des mentors en permettant un transfert de la connaissance pratique, de l'expérience et, surtout, de l'expertise nécessaire pour procéder à l'évaluation du risque. De là toute l'évidence et la validité d'associer un commissaire d'expérience à un nouveau commissaire lors des audiences.
C'est exactement ce qui a manqué dans le cas précis d'Eustachio Gallese. Des commissaires ayant l'expérience et l'expertise nécessaires auraient détecté que cette stratégie allait directement mener à l'augmentation du risque de récidive et mettre la société en danger.
Soyons clairs: la région du Québec de la CLCC a connu une véritable purge en 2018 au sein de ses commissaires d'expérience. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: seulement deux commissaires d'expérience sur seize ont survécu à cette purge. Les nominations de tous les autres n'ont pas été renouvelées, et ceux-ci n'ont pas obtenu la moindre explication. C'est donc dire que 14 nouvelles personnes ont chaussé les souliers de commissaire.
Pour ajouter à ce non-sens, j'ai appris que les commissaires signataires de la lettre envoyée au premier ministre avaient fait l'objet d'une enquête commandée par le Bureau de recherche libéral. Une source anonyme m'a envoyé un document présentant les résultats de l'enquête à mon sujet qui date du printemps 2018. Cela est extrêmement préoccupant et ne représente pas une pratique qui devrait avoir cours dans un État de droit comme le Canada.
Ces changements dans le processus de nomination ont, de mon point de vue, porté directement atteinte à l'article 3.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Selon cet article, « la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel ».
Je désire conclure mon allocution en affirmant haut et fort que l'enquête interne commandée par le ministre de la Sécurité publique ne permettra pas de faire la lumière sur l'entièreté des manquements qui ont mené au meurtre de Marylène Levesque, ni à envisager qu'il soit possible que la stratégie appliquée par l'agent de libération, approuvée par son équipe de gestion de cas et cautionnée par les commissaires, s'apparente curieusement à de la négligence criminelle.
En conséquence, il est impératif qu'une enquête externe soit menée par des ex-commissaires ou des ex-juges et que la totalité des résultats soit rendue publique. L'objectif fondamental est de comprendre les manquements qui sont survenus dans cette triste affaire et de les corriger dans les plus brefs délais. Cette tragédie ne touche pas uniquement les travailleuses du sexe, mais bien l'ensemble de notre société.
Aussi, le Canada a intérêt à prendre connaissance des pratiques correctionnelles et de libération conditionnelle qui se font dans d'autres pays, dont le Royaume-Uni, où, dans certains dossiers, trois commissaires siègent lors des audiences et peuvent être assistés par des spécialistes de la santé mentale ou de la criminologie. Les commissaires ayant une appartenance politique sont aussi clairement identifiés.
De plus, pour obtenir des réponses précises plus particulièrement en lien avec le nouveau processus nominatif, il apparaît indispensable et conséquent que le premier ministre, M. Justin Trudeau, soit questionné, car il est à l'origine des changements. Dans le présent cas, un meurtre aurait pu être évité.
Enfin, j'offre mes sincères condoléances à la famille et aux amis de Marylène Levesque.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, mesdames et messieurs les membres du Comité, de me donner l'occasion d'être ici.
La Société John Howard du Canada souhaite offrir ses condoléances à la famille et aux amis de Marylène Levesque.
Le décès d'une jeune femme est indéniablement tragique, mais il est terrible d'apprendre qu'elle a été assassinée par un libéré conditionnel qui avait tué une femme dans le passé. Je pense que nous croyons tous qu'un individu qui a reçu une sentence pour meurtre, qui a été assujetti à des conditions strictes et qui a été surveillé par des agents de l'État dans la collectivité ne devrait pas être capable de tuer quelqu'un.
Bien qu'il soit rare qu'un libéré conditionnel commette une infraction violente, encore moins un meurtre, je pense qu'il faut mener une enquête complète et impartiale sur la façon dont cet incident s'est produit pour veiller à ce que les erreurs soient cernées et corrigées.
Nous espérons que l'étude par ce comité parlementaire des événements qui ont mené au décès de Mme Levesque rendra le processus objectif et transparent.
J'aimerais simplement signaler que je ne suis pas au courant des faits particuliers de la situation, si bien que je n'ai pas de preuves directes à offrir au Comité. Je sais que les crimes violents commis par des individus qui purgent leur peine dans la collectivité après la prison sont rares et sont en baisse. Je pense que vous le constaterez lorsque vous examinerez les rapports statistiques sur le sujet.
Si je peux me permettre de faire des observations sur l'exposé de M. Blackburn, je pense que le fait de se fier aux procédures utilisées par des anciens membres de la commission et de penser que ces procédures sont meilleures est fort probablement réfuté par les statistiques qui révèlent qu'il y a des améliorations quant à la façon dont les commissions des libérations conditionnelles prennent leurs décisions. Cela dit, je pense qu'il est très important qu'une enquête complète soit menée pour tenter de relever les problèmes qu'il y a eus dans ce cas particulier.
Comme on l'a souligné, les décisions prises concernant les libérations sont complexes car le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada participent étroitement à la prise de décisions concernant les prisonniers qui purgent une peine d'emprisonnement de plus de deux ans. Ils partagent la responsabilité concernant les libérations. Autrement dit, ils préparent les prisonniers pour leur remise en liberté, décident quand ils devraient être libérés et les conditions qu'ils doivent respecter, assurent l'observation de ces conditions, et suspendent et révoquent les remises en liberté si le risque ne peut pas être géré de façon sécuritaire dans la collectivité.
Le défi est de savoir quel organisme est responsable de quelle partie de ce continuum. Ce n'est pas tout à fait clair car l'expression « libération conditionnelle » entre en ligne de compte, ce qui donne lieu à de fausses perceptions et à une mauvaise compréhension de la population pour déterminer qui est responsable de quoi.
SCC est responsable de préparer les prisonniers pour leur libération conditionnelle, habituellement par l'entremise de plans correctionnels, et d'assurer le respect des conditions lorsqu'ils sont dans la collectivité, ce qui est établi par la Commission des libérations conditionnelles.
C'est essentiellement l'unité opérationnelle. Les agents traitent en personne avec les prisonniers dans les établissements correctionnels et dans les collectivités pour les préparer et voir si des progrès sont réalisés dans le cadre de ces plans correctionnels.
La Commission des libérations conditionnelles du Canada décide quand les gens devraient être libérés s'ils sont admissibles, quelles conditions s'appliquent à leur libération et si les libérations conditionnelles devraient être révoquées. Ce sont les décideurs. Ils dépendent énormément de SCC pour ce qui est des facteurs qu'ils doivent prendre en considération dans la prise de décisions.
Ce sont des tâches difficiles, et elles s'appuient sur des outils d'évaluation des risques et une compréhension des facteurs criminogènes. La prédiction des comportements futurs n'est jamais absolue. Comme je l'ai mentionné, les statistiques laissent entendre que cette procédure fonctionne bien et améliore la sécurité des collectivités.
Quelque chose a clairement mal tourné dans ce cas-ci, ce qui a eu des conséquences tragiques pour Mme Levesque.
Pendant que SCC et la Commission des libérations conditionnelles du Canada mènent des examens, bon nombre d'entre nous sont favorables à la tenue d'un examen externe pour assurer la transparence. Cependant, des examens externes risquent de créer des contraintes trop sévères et une culture d'aversion au risque pour gérer les craintes du public. Cela peut miner la sécurité publique à long terme.
Dans la population carcérale fédérale, environ deux tiers des prisonniers sont détenus pour avoir commis des infractions violentes. Bon nombre des individus avec lesquels nous traitons ont des antécédents de violence.
Environ le quart des détenus dans la population carcérale sous responsabilité fédérale purgent une peine d'emprisonnement pour une période indéterminée. Ils peuvent seulement réintégrer la communauté par l'entremise d'une libération conditionnelle. Les trois quarts des détenus dans la population carcérale sous responsabilité fédérale ont des peines d'une durée déterminée fixées par des juges, et ils seront remis en liberté si le CST et la Commission des libérations conditionnelles du Canada estiment que c'est une bonne idée.
Je pense que la présidente Oades, lorsqu'elle a comparu, a signalé qu'environ 60 % des libérations conditionnelles sont attribuables à des obligations légales et ne sont pas laissées à la discrétion de la Commission des libérations conditionnelles. Les membres de ce groupe ne reçoivent généralement pas les programmes correctionnels et le soutien à la réinsertion dont ils ont besoin.
Ce qui me préoccupe le plus, ce sont les prisonniers à risque élevé ayant des besoins importants qui ont été détenus par la Commission des libérations conditionnelles du Canada jusqu'à l'expiration du mandat ou jusqu'à la fin de leur peine, de crainte qu'ils commettent un sévice grave à la personne s'ils sont libérés plus tôt.
Après la fin de leur peine, ils ne seraient plus considérés comme étant un échec du système de libérations conditionnelles ou de mise en liberté sous condition, mais ils ne sont pas moins susceptibles de commettre une infraction. On leur demande de trouver leur voie, souvent après de longues périodes d'emprisonnement, sans aucun soutien du Service correctionnel.
Nous avons préparé de nombreux balados, intitulés « Voices Inside and Out ». Les deux premiers épisodes montrent des discussions avec deux prisonniers qui ont été libérés à l'échéance du mandat de détention, et je pense qu'il y a une véritable préoccupation à cet égard.
Pour assurer la sécurité publique, nous sommes d'avis que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada doivent consacrer des ressources et des efforts aux prisonniers à risque plus élevé et non pas concentrer seulement les efforts sur les prisonniers à faible risque qui pourraient davantage bénéficier d'une semi-liberté.
Je serais inquiet à propos des recommandations provenant des comités d'examen qui ont l'effet de dissuader le SCC et la Commission des libérations conditionnelles du Canada de préparer tous les détenus fédéraux à la réinsertion sociale et de favoriser leur remise en liberté graduelle et supervisée. L'aversion au risque pouvant survenir à la suite d'incidents tragiques a un prix sur le plan de la sécurité publique, et je pense que nous devons nous en préoccuper.
J'ai très bon espoir que le projet de loi du député , qui propose un cadre fédéral pour réduire la récidive, franchira l'étape de la deuxième lecture et sera renvoyé à ce comité. Il offrirait une occasion de réaliser des progrès pour réduire la récidive et de promouvoir la sécurité communautaire pour tous.
Je sais que certains demandent au Comité de voir au-delà de la situation de M. Gallese et de Mlle Levesque pour examiner la compétence générale de la Commission des libérations conditionnelles et l'efficacité de ses processus de nomination. Si c'est ce qui est proposé, je pense que vous devez aussi vous pencher sur les individus qui ont enfreint leurs conditions dans la communauté, qui ont vu leur libération conditionnelle être suspendue et qui ont été traités injustement, comme l'ont signalé les tribunaux.
Je note plus particulièrement l'affaire de Jim DeMaria, qui avait été remis en liberté par la Commission des libérations conditionnelles et avait purgé une peine dans la collectivité pendant 20 ans sans enfreindre les conditions. Il a fini par les enfreindre, sa libération conditionnelle a été suspendue et il a été placé dans le système correctionnel pour avoir assisté à deux mariages qui avaient été approuvés par son agent de libération conditionnelle. Il est détenu depuis six ou sept ans sans qu'il puisse réussir à ce que les tribunaux le traitent d'une manière juste et impartiale.
Je pense qu'il y a clairement ce type de rigidité et d'aversion au risque qui peut compromettre les droits des gens, les intérêts en matière de sécurité et la sécurité publique lorsqu'on insiste pour faire preuve d'une prudence excessive, mais quoi qu'il en soit, il faut comprendre que des erreurs ont été commises qui ont causé la mort de cette femme.
Je souhaite au Comité tout le succès possible dans le cadre de cette étude, et si je peux apporter mon aide, je me ferai un plaisir de le faire.
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Chaque fois qu'il y a un incident, au Service correctionnel, on tape vers le bas au lieu de regarder en haut de la pyramide.
Un rapport, quel qu'il soit, a plusieurs signatures. Il y a la signature de l'agent responsable du dossier. Un contrôle de qualité est fait et son supérieur immédiat va le signer. Cela fait partie d'une équipe de gestion de cas à l'intérieur du bureau de libération conditionnelle. Ce n'est pas une fantaisie de l'agent de libération. De plus, je regrette que son nom soit sorti dans les journaux. Une enquête est en cours et l'on a déjà décidé qui est responsable.
Lorsque la commissaire dit que, en 37 ans, elle n'a jamais entendu parler d'un tel cas, c'est inadmissible. Je peux vous assurer qu'au Canada il y a environ huit cas de meurtres par année qui sont perpétrés par des détenus en liberté conditionnelle dans la communauté. Ces recherches proviennent du Service correctionnel et je suis l'auteur de l'une d'elles.
Je vais aller plus loin, madame. Pour une moyenne de huit détenus sous contrôle dans la communauté qui commettent un meurtre par an, il y en a 10 qui ont déjà commis un meurtre, si l'on considère une période d'une dizaine d'années. Donc, cela correspond à un cas Gallese par an.
Quand j'entends des aberrations comme le taux de 99,9 % de cas semi-liberté réussie, j'estime que cela relève de la propagande. C'est risible de donner ce chiffre à n'importe qui. On va revenir là-dessus. Si vous avez des questions sur la récidive, cela me fera plaisir d'y répondre. Profitez-en, je suis juste de passage et on parle d'un sujet qui relève de mon domaine. Je ne vous parlerai pas de pâtisseries; le domaine criminel est mon domaine par excellence.
Alors, je vous écoute. Si vous avez d'autres questions, cela me fera plaisir d'y répondre.
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Merci, monsieur Harris.
[Français]
J'aimerais rappeler que les boules de cristal n'existent pas. Tous les détenus, quels qu'ils soient, quelle que soit la nature du délit, vont tous être mis en liberté sous condition dans la communauté. C'est une question de temps. Maintenant, on a beau mettre en place des programmes et avoir n'importe quel type d'encadrement, le geste n'appartient ni au Service ni à la Commission. Le geste appartient à celui qui le fait. On peut encadrer un détenu, mais, si l'individu veut agresser, voler, trafiquer ou enlever la vie de quelqu'un, ce n'est pas vous, ni la police ni les tribunaux qui allez l'en empêcher. Le risque zéro n'existe pas. Il y a des limites.
Dans le cas de Gallese, en tant que professionnel, je ne peux pas me prononcer. Je ne le ferai pas, parce que je n'ai pas le dossier entre les mains.
Cela étant dit, d'après ce que j'ai entendu — des confrères m'ont appelé — il ne faut pas revoir uniquement l'individu dans la communauté, il faut remonter dans la chaîne. Combien de temps est-il resté dans un établissement à sécurité maximale, combien de temps est-il resté dans un établissement à sécurité moyenne, combien de temps est-il resté dans un établissement à sécurité minimale avant d'être relâché dans la communauté? Je pense qu'on est allé trop vite dans son cas. On parle de plus de 300 sorties. Est-ce que vous vous en rendez compte? C'est quelque chose qui est complètement aberrant. J'ai été longtemps responsable de détenus condamnés pour un ou plusieurs meurtres, soit des cas très lourds, et il n'y a jamais eu autant de sorties. On parle de 10, 15, ou 20 sorties, mais pas de 300. Je pense que l'individu a été dans la communauté beaucoup trop rapidement. C'est ce qu'on appelle un déclassement graduel beaucoup trop rapide.
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Merci, monsieur Harris.
Je l'ai dit tout à l'heure dans mon préambule. Il y a un manque de personnel. Que l'on quadruple les agents de libération conditionnelle du fédéral dans la communauté et qu'ils aillent rencontrer les détenus dans les maisons provinciales. Il y a un manque de temps, un manque d'effectifs. Si ce détenu avait été placé dans un CRC, je ne dis pas que le geste n'aurait pas été fait, mais le détenu aurait été beaucoup plus encadré.
Je vous invite à aller visiter des maisons de transition provinciales; ce sont des duplex, des maisons. Il n'y a pratiquement aucun contrôle; on entre, on sort. Je n'ai rien contre cela, parce qu'il y a beaucoup de détenus qui méritent d'y être, mais on n'envoie pas d'individus avec de lourdes peines dans un CRC. Là-dessus, j'insiste. Ils ont besoin d'être structurés, avec un couvre-feu. Il faut y aller modérément. C'est ce qu'on appelle la gestion de cas. Par exemple, combien de temps reste-t-il en sécurité maximale avant de descendre en sécurité moyenne, et avant qu'on l'envoie en sécurité minimale, pour le préparer à aller sur le trottoir, donc dans la communauté? Dans le cas de Gallese, je pense, sous toute réserve — je le répète, je n'ai pas le dossier —, qu'on a été beaucoup trop rapide.
Si on veut que ce genre de situation ne se répète pas, il faut qu'on prenne les vrais moyens, sans chercher toujours un coupable. Moi, cela me fait mal au cœur de voir que l'agente — parce que maintenant on sait que c'est elle, et il y a d'autres personnes autour d'elle — a été pointée du doigt. Regardez en haut ce qui se passe. Regardez les responsables. Les vrais responsables, ce ne sont pas les agents de libération conditionnelle, c'est trop facile. Tout repose sur les agents de libération conditionnelle. Je trouve que c'est une honte de les attaquer parce que le travail du Service correctionnel repose sur les agents de libération conditionnelle.
Je reviendrai là-dessus parce que c'est important. Il y a énormément de choses à dire. On pourrait en parler pendant trois jours et je n'aurais pas fini.
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Je vous parlerai de mon cheminement personnel. Tout d'abord, j'ai étudié dans ce domaine. Mon baccalauréat est en criminologie, ma maîtrise est en service social et mon doctorat est en sociologie de la santé.
J'ai travaillé dans des maisons de transition pendant je faisais mon baccalauréat et ma maîtrise. Ensuite, j'ai fait un stage de maîtrise au Service correctionnel du Canada, au bureau sectoriel de Hull, ici, comme agent de libération conditionnelle en communauté.
Par la suite, j'ai poursuivi ma carrière dans les Forces armées canadiennes en tant qu'officier aux services de santé. J'ai été déployé en Afghanistan, et j'ai été en Allemagne pendant quatre ans. Durant tout ce temps, j'ai eu à faire beaucoup d'évaluations psychosociales, mais pas d'évaluations du risque.
À ma sortie des Forces armées canadiennes, en 2014, j'ai posé ma candidature au processus de nomination de la Commission. J'ai passé l'ensemble des étapes, j'ai été mis sur la liste de nomination puis j'ai été sélectionné. Tout comme les autres, j'ai suivi une formation de cinq semaines initialement: deux semaines à Ottawa et trois semaines à Montréal.
Pendant ma première année, j'étais toujours jumelé avec un commissaire d'expérience, principalement avec Pierre Cadieux, qui avait une vingtaine d'années d'expérience à la Commission. C'est un excellent commissaire. Il m'a appris les rouages de ce métier; il m'a montré à écrire des décisions de qualité et à aller chercher l'information de qualité lors de l'évaluation du risque pendant les audiences, ou encore sur des votes concernant des dossiers. J'ai été très bien encadré, notamment pendant ma première année.
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C'est une question au sujet de laquelle je me ferai reprendre par M. McKay.
Je vais sans doute dépasser le temps alloué. Nous pourrions en parler pendant des heures. J'ai écrit de longs articles de recherche sur cette question. C'est une industrie, un business.
Les programmes fonctionnent si la personne le veut bien. Vous pouvez avoir les meilleurs professionnels, mais, si l'individu n'est pas prêt, l'efficacité des programmes n'est pas la même. N'oubliez pas que, en théorie, les détenus ne sont pas obligés de suivre les programmes.
Or, un détenu qui ne suit pas de programme n'a rien. Lorsqu'il comparaît devant les commissaires, la première question qu'on lui pose est à savoir quel programme il a suivi. S'il n'a rien fait, il n’aura rien. Les détenus ne suivent pas les programmes par remord ou regret envers les victimes ou parce qu'ils en ressentent le besoin, mais parce que c'est la seule porte de sortie.
Très souvent, les membres du personnel croient beaucoup plus au programme que le détenu. Je vous mets au défi de faire un sondage parmi la population carcérale et de demander aux détenus s'ils sont plus heureux après avoir suivi un programme et s'ils ont une vision beaucoup plus positive de la vie.
À qui s'adressent ces programmes? Est-ce aux membres d'un cartel, à des gens psychopathes ou à des bandes criminelles? Qui les donnera? Le meilleur des programmes ne vaut rien si la personne ne veut pas se prendre en main. Tant que la personne n'a pas touché le fond du baril, le programme ne veut rien dire. N'oubliez pas que c'est une industrie.
Des milliers d'articles prouvent les bienfaits des programmes. Là encore, les programmes fonctionnent pour certains types de population et pour une durée limitée. En dehors de cela, on nage dans le vide.