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Les privilèges collectifs de la Chambre des communes et les privilèges individuels des députés ne sont pas illimités. Ils sont soumis aux limites que leur impose la Constitution. La première limite est énoncée à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui dispose que le Parlement ne peut se doter de privilèges supérieurs à ceux dont bénéficiait la Chambre des communes du Royaume-Uni. La seconde découle du préambule, qui prévoit un système parlementaire de type britannique, y compris des privilèges fondés sur la nécessité[94]. La Chambre a la prérogative de déterminer comment elle entend exercer ces privilèges et si elle veut les mettre en valeur ou non[95]. Comme les privilèges du Parlement font partie du droit général et public du Canada, les tribunaux doivent les admettre d’office, les interpréter et les défendre comme ils le feraient dans n’importe quelle branche du droit[96]. Il était donc inévitable que les tribunaux soient appelés à trancher des questions relatives au privilège parlementaire. Étant donné que l’affirmation d’un privilège peut avoir pour effet d’empêcher l’examen judiciaire de certaines fonctions, les tribunaux ont dû concilier leur rôle qui consiste à faire appliquer la loi avec la liberté constitutionnelle du Parlement d’agir en toute indépendance et sans ingérence extérieure. Dans une décision de 2003, le Président Milliken a décrit comme suit la relation entre le Parlement et les tribunaux en ce qui concerne le privilège parlementaire : Nous bénéficions de privilèges parlementaires afin que les autres ordres de pouvoirs du gouvernement, soit le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, respectent l’indépendance du pouvoir législatif qui est constitué de notre Chambre et de l’autre endroit. Cette indépendance ne pourrait exister si l’un des deux autres pouvoirs avait la possibilité de redéfinir ou de restreindre ces privilèges. […] Bien que les privilèges de cette Chambre et des députés ne soient pas illimités, ils sont néanmoins aujourd’hui bien ancrés dans le droit parlementaire et les usages parlementaires au Canada, et les tribunaux doivent les respecter. Les juges doivent se tourner vers le Parlement pour trouver les précédents ayant trait au privilège plutôt que de se reporter aux jugements de leurs collègues, car c’est au Parlement même que le privilège est défini et revendiqué[97]. Dans deux arrêts rendus en 1993 et en 2005, la Cour suprême du Canada a établi le cadre juridique et constitutionnel pour l’examen des questions relatives au privilège parlementaire. Comme le privilège parlementaire est issu de la Constitution, les tribunaux peuvent déterminer l’existence et l’étendue d’un privilège revendiqué. Cependant, compte tenu du fait qu’une décision établissant l’existence d’un privilège entraîne une exemption de contrôle judiciaire, les tribunaux ne peuvent se pencher sur l’exercice d’un privilège ou sur une question qui relève du privilège. Une fois que l’existence et l’étendue d’un privilège ont été déterminées, leur rôle cesse. Il appartient uniquement à la Chambre de trancher les questions qui relèvent du privilège parlementaire[98]. La principale question que se pose un tribunal consiste à savoir si le privilège revendiqué est nécessaire pour permettre à la Chambre des communes et à ses députés d’exercer leurs fonctions parlementaires — légiférer, délibérer et demander des comptes au gouvernement — sans ingérence du pouvoir exécutif ou du pouvoir judiciaire[99]. Pour déterminer son existence et son étendue, le tribunal établit d’abord s’il peut être démontré que le privilège revendiqué existait au Canada ou au Royaume-Uni au moment de la Confédération. Si c’est le cas, l’examen prend fin. Autrement, le tribunal peut quand même conclure à l’existence du privilège si la Chambre peut démontrer qu’il est nécessaire aux députés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. La Cour suprême a reconnu l’existence des catégories suivantes de privilège :
Les tribunaux statuent au cas par cas sur l’existence d’autres privilèges revendiqués et sur l’étendue exacte de tous les privilèges. Une question qui a été tranchée par la Cour suprême à trois occasions[101] est le lien entre le privilège parlementaire et d’autres volets de la Constitution, en particulier la Charte canadienne des droits et libertés[102]. Étant donné que le privilège parlementaire et les droits prévus par la Charte font partie de la Constitution, ils sont d’égale valeur. La Cour a toujours confirmé que la Charte ne l’emporte pas sur le privilège parlementaire[103]. Les tribunaux jouent un rôle lorsqu’il s’agit de déterminer si un privilège existe et est nécessaire à l’exercice des fonctions législatives et délibératives de la Chambre, mais ils ne peuvent pas, non plus que les autres institutions, s’immiscer dans l’exercice du privilège ou diriger autrement les affaires de la Chambre[104].
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