Passer au contenu

FEWO Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

PRATIQUES DE TRAITEMENT PROMETTEUSES

Les troubles de l’alimentation sont des maladies très complexes. Des témoins ont avancé qu’il n’y a pas de traitement universellement efficace pour l’anorexie mentale, la boulimie mentale ou la frénésie alimentaire. Ils ont toutefois mentionné des traitements qui s’avèrent prometteurs auprès de certaines populations. Giorgio Tasca, titulaire de la chaire de recherche en psychothérapie, a résumé les pratiques actuelles en matière de traitement en ces termes :

Les interventions psychologiques sont axées sur les meilleures données scientifiques pour traiter les troubles de l’alimentation. La plupart des directives internationales demandent d’appliquer ces traitements en priorité pour les troubles alimentaires. Il est possible de fournir ces traitements aux patientes non hospitalisées qui représentent des cas moins graves. Cependant, il faut donner des soins spécialisés aux patientes atteintes de troubles graves, dont la vie est menacée, qui suivent un programme de jour et qui sont hospitalisées.
Pour connaître du succès, le traitement des troubles alimentaires doit s’appuyer sur un plan exhaustif qui comprend le suivi continu des symptômes et la stabilisation de l’état nutritionnel, des interventions psychologiques mettant à profit la thérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie et la thérapie familiale, ainsi que la médication dans certains cas[300].

A. Thérapie cognitivo-comportementale

Selon le Dr Blake Woodside, directeur médical du programme des troubles de l’alimentation de l’Hôpital général de Toronto, la thérapie cognitivo-comportementale (ou TCC) constitue « l’étalon de référence » en matière de traitement de la boulimie mentale[301]. Des témoins ont indiqué que la TCC est le traitement de première ligne pour les adultes atteints de troubles de l’alimentation[302]. La TCC vise à amener les patients à comprendre quel est leur raisonnement et comment celui-ci contribue au trouble de l’alimentation, et à apprendre à changer ce raisonnement pour modifier leurs comportements[303]. Certains témoins ont également signalé que la thérapie comportementale dialectique peut être utilisée de pair avec la TCC, surtout auprès des personnes souffrant de boulimie nerveuse[304].

Pour un grand nombre de patients, la TCC est un traitement complexe généralement offert par des psychologues, dont les services en pratique privée ne sont pas couverts par les régimes d’assurance-maladie provinciaux[305]. Autrement dit, à moins d’avoir une assurance privée, les personnes doivent payer de leur poche, ce qui représente un obstacle important pour un grand nombre d’entre elles.

Le Dr Woodside a expliqué comme suit la base théorique du traitement de la boulimie nerveuse et de l’anorexie nerveuse :

La frénésie alimentaire qui caractérise la boulimie nerveuse n’est pas une dépendance alimentaire. Il s’agit plutôt d’une réaction à un jeûne, semblable à celle que vous auriez si votre reteniez votre souffle pendant une minute ou deux — vous chercheriez ensuite à respirer pour combler votre manque d’oxygène. Une certaine proportion de la population — environ 5 % — connaîtra de tels épisodes de frénésie alimentaire par suite de jeûne — c’est ce qui rend les gens de ce groupe différents des autres.
Pour traiter une personne boulimique, on doit la nourrir. À notre hôpital de jour, nous lui faisons manger un dîner, une collation d’après-midi et un souper, et nous lui enseignons des stratégies lui permettant de résister aux impulsions de goinfrerie et de purgation, car les impulsions de ce genre, les facteurs de stress et d’autres éléments finissent par s’emmêler. Le traitement consiste essentiellement à nourrir le patient. De manière assez paradoxale, on traite une personne boulimique en la faisant manger. Les personnes qui reçoivent des soins à notre hôpital de jour cessent de vivre des épisodes d’alimentation impulsive au bout d’une ou deux semaines, si elles parviennent à faire ce que nous leur demandons de faire.
À certains égards, pour la plupart, nous traitons l’anorexie nerveuse de la même façon. Les personnes boulimiques n’aiment pas vivre des épisodes de frénésie alimentaire, et feront tout ce qu’elles peuvent pour se débarrasser de cette manie. Toutefois, dans le cas de l’anorexie nerveuse, l’équilibre décisionnel est bien souvent beaucoup plus subtil, car la maladie présente non seulement des désavantages pour la personne malade, mais également des avantages. Ce qui est essentiel, c’est d’aider les gens à s’alimenter et à prendre du poids. Il s’agit du premier changement comportemental que l’on doit susciter.
Par la suite, on doit s’attaquer aux facteurs cognitifs sous-jacents — les points de vue sur le poids, la forme du corps, la nourriture et l’alimentation — qui touchent également les personnes boulimiques, puis on doit se pencher sur les autres problèmes d’ordre psychologique qui sont à l’origine de la maladie ou qui y sont liés. Selon leur nature, ce travail peut prendre de nombreuses années[306].

Bien que la TCC soit prometteuse, le Comité a appris qu’il n’y a pas d’« approche universelle » pour le traitement des troubles de l’alimentation[307]. Giorgio Tasca, titulaire de la chaire de recherche en psychothérapie, a expliqué au Comité qu’environ la moitié des patients atteints de boulimie « se portaient mieux grâce à une thérapie cognitivo-comportementale », mais que ce taux se situait autour de 25 ou 30 % pour les patients souffrant d’anorexie mentale[308]. Selon le Dr Woodside, si elles ont accès à un traitement, de 65 à 70 % des personnes atteintes d’anorexie nerveuse et de 70 à 80 % des personnes atteintes de boulimie nerveuse finiront par guérir[309].

B. Thérapie familiale (approche Maudsley)

De nombreux témoins ont informé le Comité que la forme de traitement la plus efficace pour les enfants et les adolescents atteints de troubles de l’alimentation est la thérapie familiale ou l’approche Maudsley[310], qui tire son nom de l’hôpital Maudsley de Londres, en Angleterre, où le traitement a été mis au point[311]. Jadine Cairns, présidente de l’EDAC-ATAC, débordait d’enthousiasme pour cette thérapie, car « cela arrête vraiment la progression » de certains troubles de l’alimentation[312]. Le traitement semble très efficace pour bien des jeunes[313], bien que 25 à 30 % des jeunes n’y répondent pas, selon des témoins[314].

D’après la psychiatre Dre Wendy Spettigue, de l’ACPEA, la thérapie familiale a pour avantage d’être peu coûteuse par rapport au traitement en milieu hospitalier[315]. Bien que les coûts soient nettement inférieurs, les parents qui ont fait appel à la thérapie familiale pour aider un enfant à surmonter un trouble de l’alimentation ont indiqué que ce traitement représentait un lourd fardeau financier pour eux[316]. Malgré leur emballement pour l’efficacité du traitement, les parents, y compris Lisa LaBorde, ont précisé qu’ils avaient à supporter un fardeau encore plus lourd sur le plan émotif :

[Les parents doivent] être des murs de brique incontournables, fort de [leur] amour, de [leur] compassion et de [leur] force. Le rôle de parents prend une tournure différente et rien dans votre passé ne vous prépare à cela. Cela va à l’encontre de tous nos instincts, car plutôt que de cajoler son enfant nous devons lui tenir tête dans une situation de détresse extrême. Avec le temps, on obtient des résultats et le poids grimpe. Ainsi, au fur et à mesure de la guérison, on voit revenir l’enfant à ce qu’il était. La vigilance doit être constante. Ma fille a dormi dans mon lit pendant huit mois. Je l’ai observée au cours de chaque repas pendant des mois. La courbe d’apprentissage est raide. L’expérience est dure pour une famille. Tout le monde la ressent: les frères et sœurs, les conjoints, les grands-parents. L’expérience isole les familles. On constate une stigmatisation et on ressent de la honte. La plupart des gens ne comprennent tout simplement pas. Votre monde alors se rétrécit [...] Les parents sont capables de faire cela, mais il leur faut un réseau d’appui. Ils ne peuvent pas y parvenir seuls et ils ne devraient pas avoir à le faire[317].

Un autre parent, Laura Beattie, présidente du F.E.A.S.T. Canada Task Force, a décrit en ces termes le processus de réalimentation, un des volets les plus difficiles de la thérapie familiale :

Premièrement, j’aimerais que vous pensiez à ce qui vous fait le plus peur au monde. Vous pouvez probablement éviter cette situation anxiogène. Nous exposions notre fille à ce qui lui fait le plus peur, mais elle ne pouvait pas refuser la nourriture, car elle en serait morte. Notre fille pleurait, hurlait, crachait, frappait, égratignait, criait que c’était trop de nourriture, qu’elle avait mal au ventre, qu’elle voulait mourir. Elle lançait des assiettes pleines de nourriture. Ensuite, elle devenait catatonique. On aurait dit une scène du film L’Exorciste. Les repas pouvaient durer des heures, mais la nourriture est un remède. Nous avons appris à distinguer le trouble de l’alimentation de notre propre fille. Notre instinct nous dicte d’éviter de mettre en colère ou de faire souffrir notre enfant, mais pendant la réalimentation, nous n’avons pas le choix. On ne peut pas faire entendre raison à un trouble de l’alimentation. Ce n’était pas du gavage, ce n’était pas punitif. C’était simplement un besoin, et nous faisions tout en notre pouvoir pour y répondre. La vie s’arrête tant que la personne ne mange pas. Il n’y a pas d’alternative : la solution passe par l’alimentation. Et si la personne refuse de manger, le plan B est mis en branle: une visite à l’urgence pour procéder à l’alimentation par sonde naso-gastrique, ou encore un appel à l’unité de crise mobile[318].

Très franche lorsqu’elle racontait le stress lié à la thérapie familiale, Mme Beattie était tout aussi candide en parlant de la réussite de sa fille : « Notre fille souriait et était moins repliée sur elle-même à l’école. Elle avait recommencé à chanter. Pendant les cinq mois suivants, grâce à l’appui du Programme de traitement familial et à notre participation subséquente à un programme de traitement multifamilial d’un an, nous avons réussi à rétablir le poids de ma fille et à la mettre sur la voie de la guérison[319]. »

Recommandation 22

Que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces, les territoires et les intervenants afin que les programmes communautaires misent sur des approches intégrées en matière de traitement, à titre de pratiques exemplaires reconnues, qui incluent les membres de la famille et les personnes souffrant d’un trouble de l’alimentation.

Recommandation 23

Que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces, les territoires et les intervenants afin d’envisager de considérer comme une pratique exemplaire le traitement des patients par des équipes médicales multidisciplinaires possédant une expérience et une expertise en matière de traitement des troubles de l’alimentation.

Recommandation 24

Que le gouvernement du Canada envisage d’améliorer la recherche sur le traitement des troubles de l’alimentation, notamment par la stimulation cérébrale profonde et la stimulation magnétique transcrânienne.

Recommandation 25

Que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces, les territoires et les intervenants afin d’encourager les autorités compétentes à examiner les programmes d’hospitalisation en résidence, de manière à ce que les patients soient traités assez longtemps pour contrôler leur trouble de l’alimentation, avant d’être renvoyés chez eux, contribuant ainsi à favoriser une guérison optimale et durable.



[300]       Témoignages, 24 février 2014, 1540 (Giorgio A. Tasca).

[301]       Témoignages, 28 novembre 2013, 1610 (Dr Blake Woodside).

[302]       Témoignages, 5 mars 2014, 1550 (Carly Lambert-Crawford); Témoignages, 24 février 2014, 1610 (Giorgio A. Tasca).

[303]       Témoignages, 28 novembre 2013, 1610 (Dr Blake Woodside).

[304]       Témoignages, 12 février 2014, 1725 (Dre Monique Jericho); Témoignages, 5 février 2014, 1700 (Dre April S. Elliott); Témoignages, 5 mars 2014, 1550 (Carly Lambert-Crawford).

[305]       Témoignages, 28 novembre 2013, 1605 (Dr Blake Woodside).

[306]       Ibid., 1545.

[307]       Témoignages, 12 février 2014, 1650 (Andrea LaMarre).

[308]       Témoignages, 24 février 2014, 1610 (Giorgio A. Tasca).

[309]       Témoignages, 28 novembre 2013, 1535 (Dr Blake Woodside).

[310]       Témoignages, 5 février 2014, 1700 (Dre Debra Katzman); Témoignages, 5 février 2014, 1720 (Dre April S. Elliott); Témoignages, 12 février 2014, 1725 (Dre Monique Jericho); Témoignages, 5 février 2014, 1625 (Merryl Bear); Témoignages, 24 février 2014, 1635 (Dre Wendy Spettigue); Témoignages, 26 février 2014, 1555 (Jadine Cairns); Témoignages, 5 mars 2014, 1555 (Carly Lambert-Crawford); Témoignages, 3 mars 2014, 1720 (Laura Beattie).

[311]       Témoignages, 3 mars 2014, 1655 (Laura Beattie).

[312]       Témoignages, 26 février 2014, 1550 (Jadine Cairns).

[313]       Témoignages, 5 février 2014, 1700 (Dre Debra Katzman); Témoignages, 5 février 2014, 1700 (Dre April S. Elliott); Témoignages, 24 février 2014, 1605 (Dre Wendy Spettigue); Témoignages, 26 février 2014, 1555 (Jadine Cairns).

[314]       Témoignages, 5 février 2014, 1710 (Dre Debra Katzman); Témoignages, 24 février 2014, 1635 (Dre Wendy Spettigue).

[315]       Témoignages, 24 février 2014, 1605 (Dre Wendy Spettigue).

[316]       Témoignages, 5 mars 2014, 1605 (Lisa LaBorde); Témoignages, 3 mars 2014, 1550 (Laura Beattie).

[317]       Témoignages, 5 mars 2014, 1545 (Lisa LaBorde).

[318]       Témoignages, 3 mars 2014, 1550 (Laura Beattie).

[319]       Ibid., 1600.