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Merci de l'honneur qui m'est offert de témoigner devant vous au nom de l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ainsi que des cliniciens qui traitent les troubles alimentaires des jeunes.
Comme vous le savez, les troubles de l'alimentation sont des maladies dévastatrices. Les recherches laissent entendre qu'il faut de deux à sept ans pour se remettre d'un trouble alimentaire et que seuls 50 % des patients s'en remettent complètement. Les troubles de l'alimentation accusent le plus haut taux de mortalité de toutes les maladies psychiatriques, à cause des complications médicales et du suicide. Pour diverses raisons, les troubles alimentaires et les facteurs de risque de développer ces troubles sont en hausse.
Je vais commencer par situer le contexte social.
Les taux d'insatisfaction corporelle des femmes excèdent les 87 %. À l'heure actuelle, 70 % des femmes suivent un régime pour perdre du poids. Dans un sondage réalisé en Amérique du Nord, la majorité des femmes à qui trois souhaits sont offerts désirent avant tout maigrir. Aux États-Unis, 10 millions de femmes souffrent de troubles alimentaires, soit plus que le nombre de femmes atteintes du cancer du sein. J'aimerais disposer de données équivalentes au Canada. Nous avons besoin d'un registre national des troubles de l'alimentation. Nous ne connaissons pas le nombre de Canadiens qui souffrent de ces troubles, les délais d'attente moyens pour recevoir un traitement ou le pourcentage de patients qui reçoivent des traitements.
Voici d'autres statistiques. Parmi les filles de 11 à 15 ans, 45 % indiquent qu'elles doivent perdre du poids, et 61 % des élèves des 1re et 2e années du secondaire cherchent à maigrir. À Edmonton, des chercheurs ont constaté chez 700 élèves de 5e, 6e et 7e années que plus de 15 % se purgent ou font trop d'exercice physique, que 16 % sont atteints de frénésie alimentaire et que 19 % ne mangent qu'un repas par jour ou moins.
C'est un problème grave. Selon une étude, les adolescentes de 14 et 15 ans qui suivent des régimes stricts courent 18 fois plus de risque de développer un trouble alimentaire avant six mois et près de 20 % plus de risque avant un an que celles qui ne suivent pas de régimes.
Non seulement les troubles alimentaires sont en hausse, mais la maladie mentale chez les jeunes en général augmente au Canada et en Amérique du Nord. Dans une même année, un Canadien sur cinq éprouve un problème de santé mentale. Jusqu'à 70 % des jeunes adultes qui souffrent de tels problèmes soulignent que les symptômes ont commencé durant l'enfance.
Les maladies mentales graves et invalidantes connaissent une hausse fulgurante aux États-Unis. En 2011, Marcia Angell a signalé qu'il y avait 35 fois plus de troubles mentaux chez les enfants en 2007 par rapport à 1987. Ce sont des chiffres alarmants.
En 1998, le Dr Martin Seligman, qui était alors président de l'American Psychological Association, a présenté les résultats de ses recherches, que voici:
Il y a maintenant de 10 à 20 fois plus de dépression que 50 ans auparavant. C'est un problème qui affecte les jeunes de nos jours. Il y a 30 ans, la dépression se déclarait en moyenne pour la première fois à 29,5 ans, tandis que c'est maintenant entre 14 et 15 ans.
Ces statistiques sont précieuses, parce qu'en tant que psychiatrique de l'enfant et de l'adolescent, je dois mettre en contexte les troubles alimentaires, qui sont étroitement liés aux autres maladies mentales, surtout la dépression et l'anxiété.
Les jeunes qui sont heureux ne développent pas de troubles alimentaires. Ces troubles se développent si le jeune se sent inadéquat, comme s'il ne méritait pas d'occuper la place qui lui revient dans ce monde, au propre comme au figuré. Les troubles de l'alimentation surviennent si la jeune fille ressent de la peur, de la tristesse, de l'inquiétude, de la culpabilité, de la colère ou du stress ou si elle se sent indigne au point que la privation de nourriture semble la meilleure façon de composer avec ces sentiments intolérables et de s'aider à se sentir digne. Les troubles alimentaires sont donc une forme d'autotraitement qui ressemble à la toxicomanie ou à l'alcoolisme. La seule différence, c'est que le jeune est dépendant à la frénésie alimentaire, à la purge ou à la perte de poids affichée sur la balance.
Malheureusement, un effet secondaire du manque de nutrition est l'obsession accrue. Donc, ce qui peut commencer comme un régime amaigrissant peut devenir hors de contrôle et se transformer en une maladie semblable au trouble obsessionnel-compulsif. La patiente se dit qu'elle mange trop et prend trop de poids. Pour diminuer l'intensité de ces obsessions, les symptômes comme la privation, la purge et l'exercice physique apparaissent.
La faim extrême qui en découle peut ensuite mener à la frénésie alimentaire, quoique souvent, les enfants continuent simplement de se priver et de perdre du poids.
Comme vous pouvez l'imaginer, les troubles alimentaires sont étroitement liés aux autres maladies mentales, comme l'anxiété, la dépression, le trouble obsessionnel-compulsif et la toxicomanie. Tout comme ces maladies, les troubles alimentaires deviennent de plus en plus répandus. Mais d'autres facteurs sont aussi liés à l'augmentation des troubles de l'alimentation, comme l'anxiété accrue causée par les aliments consommés, l'épidémie d'obésité, l'accent accru qui est mis sur l'apparence, la culture de la célébrité ainsi que la vaste industrie des régimes amaigrissants. Tous ces facteurs amènent de plus en plus de jeunes femmes à se remettre en question et à se sentir insatisfaites de leur apparence.
Alors que les maladies mentales et les troubles alimentaires sont en augmentation, les ressources et le peu de cliniciens qui traitent ces troubles ne suffisent pas à la demande. Il n'y a presque aucun médecin de famille formé pour traiter les troubles de l'alimentation. En général, les organismes communautaires qui traitent la maladie mentale manquent de temps ou de fonds pour la formation et sont surchargés par le nombre de patients qu'ils doivent accueillir. Il y a un manque criant de psychiatres partout au pays, surtout pour les enfants et les adolescents. Très peu d'entre nous ont reçu une formation spécialisée sur le traitement des troubles alimentaires chez les jeunes.
Donc, que pouvons-nous améliorer? Examinons les divers niveaux d'intervention, en commençant par la prévention.
En fait, les efforts visant à prévenir l'obésité ont augmenté les cas de troubles alimentaires. C'est fâchant d'entendre à répétition que les troubles alimentaires des jeunes filles ont été déclenchés par un cours sur la santé, un projet scolaire, un enseignant, un entraîneur ou leurs médecins de famille. Nous devons mener d'autres recherches sur les causes, les facteurs de risque et la façon de prévenir les troubles alimentaires et l'obésité, sans par le fait même provoquer une augmentation de ces troubles.
Nous devons diffuser un message qui s'adresse à tous et qui prône l'équilibre, la modération, l'acceptation de sa taille et une image corporelle saine. Nous n'en savons pas encore assez sur la prévention des troubles de l'alimentation. L'enseignement sur ces troubles dans les écoles n'aide pas, il augmente au contraire le nombre de cas. Pourtant, nous n'avons pas apporté de changements. Ces cours font toujours partie du programme. C'est une lourde tâche.
Il faut aussi améliorer la formation des médecins de famille et des étudiants en médecine et les conscientiser non seulement aux troubles alimentaires, mais aussi aux dangers des régimes. Un poids insuffisant n'est pas plus sain qu'un excès de poids. Nous devons traiter l'obésité sans causer de troubles de l'alimentation.
La formation des médecins de famille doit leur permettre de diagnostiquer les troubles alimentaires et de parler aux filles de nutrition, d'image corporelle ainsi que des pensées, des pulsions et des symptômes qui sont liés aux troubles alimentaires.
Davantage d'infirmières formées en santé mentale doivent aller dans les écoles secondaires pour aider les jeunes qui souffrent de dépression, d'anxiété et de troubles de l'alimentation.
Il faut former plus de conseillers communautaires spécialisés en santé pour conseiller les étudiants qui souffrent de dépression, d'anxiété et de troubles alimentaires et qui s'automutilent.
Concernant les soins secondaires, les médecins et les infirmières des petits hôpitaux communautaires ne comprennent pas les troubles alimentaires et se butent à l'obstination des adolescentes qui souffrent d'anorexie mentale grave et qui refusent de se nourrir. Ils ont recours à des approches comportementales qui consistent souvent à tenir les parents à l'écart, tandis que les filles restent seules au lit toute la journée jusqu'à ce qu'elles acceptent de coopérer. C'est insensé, car c'est la maladie qui contrôle la patiente plutôt que l'inverse.
J'entends des histoires épouvantables de jeunes filles à l'urgence qui accusent un poids dangereusement faible, mais qui reçoivent leur congé parce que leur analyse sanguine est normale. Les médecins doivent comprendre que leur poids seul les place dans la catégorie des personnes instables, même si leur corps compense la privation.
J'entends parler de médecins de famille qui rassurent les mères préoccupées à cause de leurs adolescentes qui s'entraînent de façon obsessive, dont le pouls est faible et qui n'ont plus de menstruations. Ces médecins disent que c'est simplement parce qu'elles sont des athlètes de haut niveau.
Mes collègues en psychiatrie de l'enfant disent souvent qu'ils ne sont pas confrontés à des cas de troubles alimentaires. Ils n'arrivent pas à comprendre qu'une adolescente qui a un poids insuffisant refuse de manger, parce qu'elle se trouve grosse. Il faut les aider à comprendre que c'est semblable au trouble obsessionnel-compulsif, qui amène la personne à nettoyer sa maison ou à se laver les mains sans cesse. Le problème, ce n'est pas la propreté de la maison ou des mains, mais l'intensité des obsessions et des compulsions.
Bien des cliniciens jugent trop difficile de traiter une maladie qui compromet à l'extrême la santé physique et mentale de la jeune fille, qui la rend colérique et déprimée. Cette fille ne veut pas d'aide, car elle a très peur de gagner du poids. En général, elle résiste au traitement et demande beaucoup de temps et de soins spécialisés. Le clinicien doit se sentir à l'aise de travailler avec ces patientes, mais aussi avec leurs familles. Il y a une grave pénurie de psychiatres de l'enfant dans la plupart des collectivités. Rares sont ceux qui peuvent consacrer assez de temps aux patientes ou aux parents et aux familles désemparés et épuisés.
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Merci de nous avoir invités aujourd'hui. La Société canadienne de psychologie est l'association nationale de psychologie au Canada. Les quelque 18 000 psychologues au pays forment le principal groupe de fournisseurs de soins de santé mentale au Canada.
Les soins dispensés par les psychologues se fondent sur des données scientifiques en matière d'efficacité clinique et de coûts. Nos traitements et nos programmes font l'objet d'évaluations et portent sur un large éventail de troubles mentaux et comportementaux, dont les troubles alimentaires.
Les troubles alimentaires se caractérisent par un grave problème de comportement lié à l'alimentation, à l'image corporelle et à l'estime de soi, qui commence en général à l'adolescence ou au début de l'âge adulte. Les garçons, les hommes, les filles et les femmes peuvent tous être affectés par les troubles alimentaires, mais ce problème concerne en général 10 fois plus de femmes que d'hommes.
Deux des troubles alimentaires les plus fréquents sont l'anorexie mentale, qui se définit par le refus de maintenir un poids normal en suivant un régime strict, et la boulimie mentale, qui amène la personne à manger trop avant de se purger, souvent en se faisant vomir. La frénésie alimentaire est moins connue, mais constitue le trouble alimentaire le plus répandu. La personne mange trop, sans se purger.
La prévalence à vie de l'anorexie mentale s'élève à environ 0,9 % dans la population. C'est de 1,5 à 2 % pour la boulimie mentale et 3,5 % pour la frénésie alimentaire. Toutefois, la prévalence des troubles alimentaires est la plus élevée chez les adolescentes et les jeunes femmes.
Comme la Dre Spettigue l'a indiqué, il n'y a pas de registre au Canada, mais nous estimons d'après ces pourcentages que de 450 000 à 500 000 Canadiennes éprouvent un trouble alimentaire au cours de leur vie. Les taux de prévalence pourraient augmenter dans les prochaines années, entre autres à cause de facteurs sociaux, mais aussi parce que les critères de diagnostic des troubles alimentaires ont changé. Nous comprenons enfin que des niveaux moins extrêmes de troubles alimentaires peuvent nuire à la santé et au fonctionnement.
Je répète que les troubles alimentaires ont un effet dévastateur sur les personnes et leurs familles. Ces troubles surviennent souvent en même temps que d'autres troubles mentaux débilitants, comme la dépression et l'anxiété. La qualité de vie, le travail, les études, la famille et le fonctionnement social pâtissent tous grandement des troubles alimentaires. Par rapport à tous les autres troubles mentaux, l'anxiété est associée au taux de mortalité le plus élevé.
Les interventions psychologiques sont axées sur les meilleures données scientifiques pour traiter les troubles de l'alimentation. La plupart des directives internationales demandent d'appliquer ces traitements en priorité pour les troubles alimentaires. Il est possible de fournir ces traitements aux patientes non hospitalisées qui représentent des cas moins graves. Cependant, il faut donner des soins spécialisés aux patientes atteintes de troubles graves, dont la vie est menacée, qui suivent un programme de jour et qui sont hospitalisées.
Pour connaître du succès, le traitement des troubles alimentaires doit s'appuyer sur un plan exhaustif qui comprend le suivi continu des symptômes et la stabilisation de l'état nutritionnel, des interventions psychologiques mettant à profit la thérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie et la thérapie familiale, ainsi que la médication dans certains cas.
En général, les personnes qui souffrent de troubles alimentaires vont d'abord se tourner vers les soins primaires pour obtenir de l'aide. C'est pourquoi il est essentiel que les médecins de famille reçoivent une formation sur la gravité des symptômes de ces troubles et puissent les diagnostiquer et établir si une patiente a besoin de soins spécialisés.
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Madame la présidente, l'un des plus grands défis pour les Canadiens qui ont besoin de soins de santé mentale, c'est l'accès aux services. Seul le tiers des personnes qui auraient besoin de soins de santé mentale reçoivent l'aide nécessaire. Nous avons des traitements psychologiques qui fonctionnent et des experts formés pour les offrir, mais comme ces services ne sont pas financés par les régimes d'assurance-maladie provinciaux et que les régimes d'assurance privés offrent fréquemment une couverture insuffisante pour offrir un service significatif, les Canadiens n'ont souvent pas accès aux services dont ils auraient besoin.
On estime que la maladie mentale coûte 51 milliards de dollars par année au Canada. En réaction à la stratégie nationale du Canada en matière de santé mentale qui réclame un accès élargi à des services de psychothérapie fondés sur des données probantes et offerts par des professionnels qualifiés, la Société canadienne de psychologie a commandé un rapport pour étudier des pistes de solution. Notre association a pour position que les évaluations et les traitements psychologiques pour tous les problèmes de santé mentale, y compris les troubles de l'alimentation, sont des services de santé de base essentiels. Je précise que plusieurs des modèles recommandés dans notre rapport sont particulièrement pertinents, tout spécialement pour les troubles de l'alimentation.
Premièrement, il faut intégrer des psychologues aux équipes de soins de santé primaires au Canada. Selon les estimations, on évalue que de 30 à 60 % des consultations chez les médecins de famille et dans les cliniques de soins primaires sont liées de près ou de loin à un problème de santé mentale. Si l'adolescent ou le jeune adulte qui souffre d'un trouble de l'alimentation pouvait rencontrer un psychologue lorsqu'il se présente à une clinique de soins de santé primaires, il aurait accès au bon type de soins, au bon endroit, au bon moment.
Les patients souffrant de troubles de l'alimentation sont souvent ambivalents quant à leur volonté d'obtenir de l'aide, si bien qu'un médecin de famille peut facilement ne pas voir leurs symptômes. Si un spécialiste de la santé mentale comme un psychologue était présent lors des consultations de première ligne, un plus grand nombre de cas serait détecté. De plus, les filles et les femmes qui souffrent de faibles symptômes de troubles de l'alimentation pourraient être confiées aux soins d'un spécialiste en pratique privée. Le fardeau des centres de soins tertiaires s'en trouverait réduit, et les médecins de famille auraient des spécialistes à qui renvoyer un patient souffrant d'un trouble de l'alimentation.
Deuxièmement, il faut inclure ou garder des psychologues au sein des équipes de soins spécialisés dans les établissements de soins secondaires et tertiaires pour soigner les troubles de santé physique et mentale. À cause des compressions budgétaires imposées aux centres de soins secondaires et tertiaires ces dernières années, les patients souffrant de troubles de l'alimentation ont plus difficilement accès à des services psychologiques et autres. Compte tenu de l'incidence et de la prévalence des troubles mentaux, particulièrement des troubles de l'alimentation, il faut maintenir et même augmenter le niveau de ressources en santé mentale accordé aux institutions de santé financées par le secteur public.
Troisièmement, nous recommanderions un financement soutenu aux centres d'aide et de ressources communautaires qui ont pour mission d'aider les personnes qui se rétablissent d'un trouble de l'alimentation. Ces centres ne reçoivent que peu ou pas de financement public en ce moment, et leur succès dépend d'une panoplie de services et de professionnels de la santé.
Enfin, le Canada doit bonifier sa couverture d'assurance privée et inciter les employeurs à financer les services psychologiques. Le meilleur retour sur l'investissement en santé mentale s'observe lorsque des services et des ressources sont offerts aux enfants et aux jeunes. La plupart des troubles de santé mentale commencent avant l'âge adulte, c'est particulièrement vrai pour les troubles de l'alimentation. Les enfants, les jeunes et les familles ont besoin d'un accès élargi aux soins psychologiques dont ils ont besoin, que ce soit dans un établissement de santé, dans un centre de soins primaires ou dans un centre communautaire.
L'ASCP s'est donné comme mandat, depuis la publication de son rapport en 2013, d'intervenir auprès de ceux qui financent les soins de santé, ainsi qu'auprès des organisations qui offrent les services, afin de créer la parité dans l'offre de soins de santé mentale et physique aux citoyens de tout le Canada
Merci.
Je participe aujourd'hui à ces consultations à titre d'infirmière praticienne en soins tertiaires forte de 22 ans d'expérience en santé mentale. J'ai eu l'occasion, pendant ma carrière, de participer à la création de programmes en santé mentale gériatrique, en troubles de l'humeur chez l'adulte et en anxiété. Pendant neuf ans, j'ai été infirmière praticienne en santé mentale pédiatrique, et j'ai exercé dans le domaine des troubles de l'alimentation chez l'adulte pendant deux ans. En cours de route, j'ai eu l'occasion d'observer et d'influencer la mise en place de traitements de santé mentale fondés sur des preuves. J'ai très à coeur de défendre le droit de tous les patients en santé mentale et de leur famille de recevoir les soins les plus appropriés possible et de la plus grande qualité. Je suis donc persuadée que des recherches de qualité et les traitements fondés sur des preuves devraient guider la pratique. La qualité passe par des programmes de formation et une diffusion des connaissances efficaces. Les décideurs et les législateurs devraient d'ailleurs se fonder sur ces recherches pour élaborer leurs programmes.
Comment y arriver? Tout commence par la collecte d'information sur les recherches et la consultation d'experts, un peu comme vous êtes en train de le faire aujourd'hui, et un engagement doit s'en suivre afin de viser l'excellence dans les traitements auxquels ont droit tous nos patients et leurs familles.
Mes prochaines observations s'articulent autour de trois demandes formulées par d'autres témoins consultés avant moi.
Les médecins de famille et les infirmières praticiennes sont bien positionnés en tant que fournisseurs de soins primaires pour repérer et diagnostiquer les troubles de l'alimentation. Il est impératif d'enseigner les nouveaux critères de diagnostic du DSM-5 publié en mai 2013 dans les programmes d'éducation, comme dans les milieux de travail, aux professionnels déjà en fonction. Je souligne particulièrement que l'importance que les fournisseurs de soins primaires accordent au poids et aux analyses de sang apparemment normales est l'un des obstacles actuels au renvoi rapide de personnes souffrant de troubles de l'alimentation à des spécialistes. Quand le poids et les analyses de sang d'une personne sont dans les limites de la normalité, les professionnels, les patients comme leurs familles peuvent facilement croire que la personne se porte encore bien. Le DSM-5 ne recommande plus les anciens critères stricts liés au poids et à l'aménorrhée, soit l'interruption du cycle menstruel, comme mesure diagnostique.
Les médecins et les infirmières praticiennes doivent donc mieux comprendre et communiquer aux patients que même si leurs analyses sanguines semblent normales, leurs réserves de certains éléments dans le sang sont excessivement basses et témoignent d'une malnutrition. Une personne peut donc avoir faussement l'air en santé et de poids normal. Ses pensées et ses émotions au sujet de son corps et de son poids ainsi que sa relation malsaine avec les aliments sont donc plus évocatrices de détresse clinique. J'ai vu dans ma pratique énormément de patients qui affichaient un poids normal et des valeurs sanguines normales.
Je pense à une jeune de 18 ans que j'ai cotraitée l'année dernière avec notre équipe médicale en clinique interne, qui correspondait bien à cette description...
J'ai vu dans ma pratique énormément de patients qui affichaient un poids normal et des valeurs sanguines normales. Je pense à une jeune de 18 ans que j'ai cotraitée l'année dernière avec notre équipe médicale en clinique interne, qui correspondait bien à cette description. Elle avait pourtant des symptômes extrêmes deux mois avant d'être hospitalisée, elle s'empiffrait puis se faisait vomir jusqu'à huit fois par jour. Du coup, elle était extrêmement mal nourrie. Cependant, son poids était stable et ses valeurs sanguines, normales.
Pendant son hospitalisation, elle a contracté la coqueluche; elle a développé le syndrome de Stevens-Johnson, une forme d'éruption cutanée systémique potentiellement mortelle, et il a fallu à deux reprises la mettre en état précédant l'arrêt parce qu'elle se trouvait en détresse respiratoire aiguë de l'adulte. L'équipe médicale traitante s'est progressivement rendu compte qu'elle était immunodéprimée et à risque en raison de ses symptômes de troubles de l'alimentation, même si, sur papier, son poids et ses analyses sanguines semblaient assez normaux.
J'aimerais vous donner une idée de ce dont elle avait l'air deux semaines après son admission à l'hôpital. Elle était enflée, oedémateuse, de la tête aux pieds; elle était couverte de lésions de la tête aux pieds; elle était en isolement complet (jaquette, gants, lunettes, masques), et les visiteurs qui venaient la voir à l'hôpital avaient du mal à la reconnaître. C'est vous dire à quel point elle n'allait pas bien.
La décision d'intégrer 30 infirmières praticiennes à la structure d'équipe des programmes de traitement des troubles de l'alimentation en Ontario était audacieuse, mais combien nécessaire. Les infirmières praticiennes, grâce à leur formation et à la vaste étendue de leur pratique, sont bien placées pour faire des évaluations efficaces et en profondeur et offrir des traitements adéquats pour répondre aux besoins de santé complexes physiques et mentaux des personnes souffrant de troubles de l'alimentation.
Cependant, les programmes de formation qu'elles reçoivent, tout comme ceux des médecins, ne semblent pas prévoir suffisamment de temps pour l'apprentissage de techniques de dépistage et de diagnostic des personnes ayant besoin de services spécialisés. Il faut continuer d'améliorer la formation offerte aux infirmières praticiennes qui travaillent avec cette population complexe, et les autres provinces devraient s'inspirer de ce modèle.
L'Association des infirmières et des infirmiers de l'Ontario offre déjà des bourses cliniques avancées et pourrait offrir de la formation dans le cadre de ce programme. Celui-ci permet de jumeler des infirmières praticiennes d'expérience avec des novices afin de favoriser le partage des connaissances par la pratique et le mentorat. Toutes les provinces ont déjà des associations professionnelles d'infirmières qui permettraient d'utiliser ce modèle.
Il suffirait de concevoir puis de suivre un programme afin de diffuser partout les mêmes pratiques fondées sur des données probantes. Ce programme serait extrêmement bénéfique, en combinaison avec une formation plus approfondie dans les programmes de médecine et des possibilités de formation clinique.
En plus d'améliorer la formation offerte sur les troubles de l'alimentation, il serait important de commencer par adopter des directives canadiennes à l'intention des médecins, des infirmières et des infirmières praticiennes en soins de santé primaires. Les directives sont un outil fiable pour aider les fournisseurs de soins de santé primaires à offrir des soins médicaux de la même qualité partout, fondés sur des données probantes, à tous leurs patients, depuis des dizaines d'années. Elles sont devenues essentielles à la pratique fondée sur des données probantes en soins de santé primaires et pourraient assurer une qualité plus uniforme dans les examens, la détection précoce et le renvoi des patients à des traitements spécialisés pour traiter les troubles de l'alimentation.
Les décisions entourant la pratique doivent se fonder sur de bonnes données. Comment obtenir de bonnes données? Comme d'autres témoins l'ont expliqué avant moi, le registre national réclamé par d'autres cliniciens avant moi constituerait un bon moyen de mieux comprendre l'étendue des troubles de l'alimentation dans chaque province. Nous devrions recueillir des données pour suivre l'incidence et la prévalence des troubles de l'alimentation, les temps d'attente pour l'évaluation et le traitement ainsi que les résultats obtenus des divers services offerts. Il faudrait également noter combien de personnes abandonnent le traitement et évaluer l'état de bien-être qu'atteignent les personnes qui reçoivent le traitement. Est-ce qu'elles rechutent? Est-ce qu'elles réussissent à atteindre une qualité de vie qui en fait des membres actifs de la société?
Le suivi à l'échelle fédérale des résultats de traitement nous permettrait de véritablement savoir si nous réussissons à traiter les troubles de l'alimentation. Ces données nous aideraient également à mieux évaluer l'effet de nos programmes de formation et de nos efforts pour améliorer l'accès à des soins de qualité.
J'aimerais que tout le monde s'imagine le scénario qui suit. Deux médicaments existent pour une terrible maladie. Le premier est connu depuis longtemps et fonctionne pour 15 % de la population. L'autre est plus nouveau, et il faut suivre une formation spéciale pour pouvoir l'administrer adéquatement. Il fonctionne pour environ 45 % de la population.
Vous, les membres de ce comité, seriez-vous d'accord avec les arguments qui suivent pour justifier qu'on continue d'utiliser le premier médicament? Un, j'aimerais beaucoup apprendre à administrer le nouveau médicament, mais je n'ai pas le temps d'apprendre la nouvelle technique. Deux, je ne vis pas dans un grand centre, et personne ici ne peut m'enseigner la nouvelle technique. Trois, je ne partage pas la philosophie associée au nouveau médicament. Lequel de ces arguments pèserait plus lourd que le devoir d'utiliser les meilleures pratiques connues et d'offrir les meilleurs soins possible? Lequel de ces arguments pourrait atténuer l'indignation des 30 % de patients dont la situation se serait améliorée s'ils avaient reçu le nouveau traitement?
Je serais portée à croire qu'aucun de ces arguments n'est acceptable, mais on les entend souvent pour expliquer le non-recours à des pratiques fondées sur des données probantes dans le traitement des troubles de l'alimentation. Comme mes collègues l'ont expliqué, il existe des pratiques fondées sur des données probantes pour traiter les troubles de l'alimentation, et il importe de souligner que tous les traitements des troubles de l'alimentation n'ont pas la même efficacité.
Par exemple, Poulsen et ses collègues ont effectué un essai comparatif randomisé afin de comparer la thérapie cognitivo-comportementale, la TCC, à la psychothérapie psychoanalytique pour traiter les personnes souffrant de boulimie. La psychothérapie psychoanalytique durait environ trois fois plus longtemps. À la fin du traitement, seuls 15 % des personnes de ce groupe n'avaient plus de frénésies alimentaires, comparativement à 44 % des personnes qui avaient suivi une TCC.
Des cliniciens de Calgary ont été sondés pour expliquer leurs méthodes de traitement habituelles des troubles de l'alimentation. Les chercheurs ont constaté que sur les 52 cliniciens participant à l'étude, 32,7 % utilisaient la CTT, contre 1,9 %, dont la thérapie interpersonnelle ou TIP était le principal outil de traitement. Veuillez également noter que 86,5 % et 53,8 % des cliniciens ont également déclaré utiliser respectivement la TCC et la TIP souvent ou toujours, bien qu'on ne sache pas si les traitements offerts par ces cliniciens respectaient les principes de traitement étudiés.
Une autre étude plus récente porte sur les membres d'associations internationales consacrées aux troubles de l'alimentation. On pourrait donc s'attendre à ce que la proportion des répondants offrant des traitements fondés sur des données probantes soit plus élevée. Sur les 402 participants sondés, entre 35 et 44 % utilisaient exclusivement des méthodes fondées sur des données probantes pour traiter les personnes atteintes de divers troubles de l'alimentation.
Ces conclusions nous portent encore une fois à constater que beaucoup de thérapeutes n'offrent pas des traitements fondés sur des données probantes conformément aux recommandations qu'on trouve dans les manuels de traitement. Toutes ces statistiques nous portent à croire que les traitements offerts aux patients comptent, mais qu'en ce moment, les pratiques fondées sur des données probantes ne sont pas utilisées universellement. De plus, beaucoup de programmes de traitement ne prévoient pas prioritairement l'évaluation longitudinale du programme qui nous permettrait d'examiner son efficacité réelle.
Je crois que pour utiliser le plus efficacement possible notre budget en santé, nous devons nous doter d'une stratégie nationale afin de favoriser les traitements fondés sur des données probantes pour les patients souffrant de troubles de l'alimentation, puisque nos efforts actuels ne nous permettent pas d'offrir le traitement le plus efficace possible aux patients. Dans cette optique, il serait important de songer à créer une chaire de recherche nationale sur les traitements des troubles de l'alimentation fondés sur des données empiriques. Il serait ensuite important de créer un centre d'excellence pour le traitement des troubles de l'alimentation, dont les pratiques exemplaires fondées sur des données probantes pour le traitement en clinique interne ou externe ou les soins de jour serviraient de modèle pour d'autres programmes au Canada et qui pourraient également servir de milieu de formation.
Merci beaucoup.