:
Madame la présidente, mesdames, je vous remercie de faire connaître la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles de l'alimentation. Je sais que certaines d'entre vous se sont manifestées dans les médias sociaux, ce que nous apprécions grandement.
Les troubles de l'alimentation sont des états complexes, ayant plus d'une cause. Des influences biologiques, psychologiques et sociétales contribuent à leur développement. Par une intervention appropriée, il est possible d'empêcher le trouble de l'alimentation, d'abréger la durée de la maladie et de parvenir à un plein rétablissement.
Le Dr Woodside a donné au comité des renseignements sur la fréquence, la gravité et les conséquences des troubles de l'alimentation, ainsi que des options de traitement inadéquates partout au pays.
Au Canada, comme dans d'autres nations occidentales, existe une notion culturelle particulière du corps idéal, qui inclut des principes d'alimentation saine, de poids santé et d'apparence. Existent aussi des acceptions similaires des défis en matière de santé mentale. Ces notions se répercutent dans les troubles de l'alimentation comme mythes, stigmate, ainsi que difficultés socioéconomiques, qui perpétuent les problèmes de prévention, d'identification et de traitement.
Comme il a déjà été dit, je représente le National Eating Disorder Information Centre, que je désignerai, vu le peu de temps dont nous disposons, par son acronyme, NEDIC. C'est dans l'espace socioculturel que je viens d'évoquer qu'oeuvre le NEDIC et, par l'intermédiaire du NEDIC, que peut être explorée la situation partout au Canada.
Créé en 1985, le NEDIC est à bien des égards unique en son genre au Canada. Nous sommes en effet la seule organisation communautaire nationale axée sur les troubles de l'alimentation et les problèmes connexes. Nous avons une ligne d'appel nationale et une base de données où figurent approximativement 800 prestataires de services pour les troubles de l'alimentation. Il s'agit dans la très grande majorité de services payants. Or, environ 80 % des gens qui appellent ne peuvent se permettre de payer et recherchent des services couverts par l'assurance-santé provinciale.
Il est déjà difficile de trouver des services dans les zones urbaines et périurbaines; ils sont quasiment inexistants dans les régions rurales et reculées.
Le NEDIC fournit des renseignements, du soutien et des ressources aux personnes atteintes par des troubles de l'alimentation, à leurs amis et parents, aux professionnels de la santé et de l'éducation, aux médias et aux étudiants. Nous sommes souvent le premier contact de parents inquiets et, afin de rendre plus facile l'accès aux renseignements et aux services, la plupart de nos actifs sont déployés par le Web.
L'un des aspects les plus importants de notre travail est de faire mieux comprendre les troubles de l'alimentation dans la population, parmi les professionnels de la santé et de l'éducation, ainsi que dans les médias: de quoi il s'agit, qui ils touchent, ce qui influence leur développement et quelle aide est disponible.
Nous travaillons fort à tisser des partenariats. Nous sommes convaincus de la nécessité de collaborer pour maximiser ressources et répercussions. Par exemple, nous créons, pour les éducateurs et les organismes au service des jeunes, des curriculums encourageant chez les jeunes et les enfants un esprit critique et une résilience émotionnelle qui aident à prévenir les troubles de l'alimentation, un programme d'estime de soi pour les Guides du Canada, avec un badge « Love Yourself », un feuillet d'information pour le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, ou encore notre travail avec la Fédération des enseignantes et des enseignants de l'élémentaire de l'Ontario. Nous avons aussi élaboré pour les années 4 à 8, un curriculum d'approche critique des médias qui comble une lacune nationale et satisfait les attentes des ministères dans toutes les provinces et territoires.
Pour diffuser les renseignements les plus à jour, le NEDIC s'associe à des groupes comme le Réseau canadien pour la santé des femmes, autrefois financé par l'ancien Programme de contribution pour la santé des femmes. Or, il est de plus en plus difficile, pour un petit organisme comme le NEDIC, dont les objectifs sont intangibles (augmenter la compréhension, sensibiliser, prévenir), de trouver des partenaires capables de promouvoir nos priorités communes, sans dépendre d'intérêts commerciaux. La situation entraîne un manque de données probantes sur les troubles de l'alimentation et les questions connexes.
Le budget limité du NEDIC nous contraint à compter sur des bénévoles et nous empêche de saturer les marchés comme il le faudrait pour avoir un véritable impact. Faute d'un financement suffisant et stable, les organisations communautaires qui, à l'échelle nationale, s'intéressent à l'éducation, à la prévention et au soutien dans le domaine des troubles de l'alimentation restent malheureusement éphémères.
Ce sont souvent des personnes s'étant rétablies après des troubles de l'alimentation ou leurs parents qui lancent ces organisations: Sheena's Place, à Toronto; Hopewell, à Ottawa; la National Initiative for Eating Disorders. Les efforts déployés pour améliorer l'accès à l'information et au traitement sont héroïques mais, généralement, ce n'est pas un modèle viable.
Pour amener un changement des croyances, des attitudes ou du comportement, il faut une approche stratégique de longue haleine sur des plates-formes multiples, avec un financement adéquat. Faute de quoi, nos tentatives de sensibilisation aux troubles de l'alimentation sont des coups d'épée dans l'eau. Il faut absolument atteindre avec notre message un seuil ou une masse critique. Il y a en effet dans notre culture trop de messages provenant des secteurs du régime et de l'apparence, et trop d'information erronée sur la santé du corps et des esprits.
Certains messages de santé publique, notamment l'écho de ceux diffusés aux États-Unis, contribuent au stigmate du poids et à la honte du corps. Ils peuvent favoriser l'apparition d'une préoccupation d'ordre général quant à l'alimentation et au poids et, parfois, celle de troubles de l'alimentation. Or, la recherche montre que les filles qui n'aiment pas leur corps sont moins susceptibles de se prévaloir des occasions scolaires, sociales et économiques; moins susceptibles aussi d'exprimer leur opinion.
La stigmatisation d'un trouble de l'alimentation est complexe. Quelle face prête-t-on habituellement à un trouble de l'alimentation? Celle d'une jeune femme émaciée, généralement blanche. On croit souvent que les individus ayant des troubles de l'alimentation s'en prennent à eux-mêmes, que c'est juste une phase, qu'ils devraient manger et en finir, que c'est juste un moyen d'attirer l'attention. La recherche montre que ces mythes ont la vie dure, tant dans la population en général que chez les professionnels de la santé. Mais, dans la pratique, il est impossible de déterminer l'état de santé de quelqu'un d'après sa taille et son poids ni d'identifier ainsi un trouble de l'alimentation.
Le visage d'un trouble de l'alimentation? Il est en fait multiple: des femmes surtout, mais aussi des hommes; des gens qui s'identifient avec le sexe et le genre qui leur sont assignés, d'autres non; des individus racialisés; des nouveaux venus au Canada, des Canadiens de souche; des gens ayant des incapacités physiques, d'autres troubles médicaux ou psychologiques, comme le diabète, l'abus d'alcool ou d'autres drogues, la dépression, le syndrome de stress post-traumatique, etc. Les troubles de l'alimentation touchent tous les milieux.
Et ces troubles entraînent le plus fort taux de mortalité de toutes les maladies psychiatriques. Ils viennent au troisième rang des maladies les plus répandues chez les adolescentes.
Les mythes qui entourent les troubles de l'alimentation sont facteurs de honte et entraînent un silence qui peut s'avérer mortel. Et lorsqu'on a honte de ce qui nous arrive, on est moins susceptible de chercher de l'aide. Il faut élargir la conversation sur les troubles de l'alimentation au Canada, de façon réfléchie, approfondie et empreinte de respect.
Or, la situation est claire: aucun niveau de gouvernement ne fournit le soutien financier assurant la viabilité, avec des ressources suffisantes, d'une organisation visant à mieux faire connaître les troubles de l'alimentation — leur nature, leur évolution, les facteurs qui y contribuent, le type de traitement disponible et comment y avoir accès.
Le NEDIC, par exemple, emploie 2,5 personnes à temps plein. Notre seule source de financement annuel est un petit budget accordé par le ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée. Le plus gros de nos initiatives s'effectue en ficelant le travail d'étudiants et de bénévoles avec un financement de projets.
Il est essentiel d'oeuvrer en amont, dans le domaine de l'éducation, de la promotion de la santé mentale et de la prévention des troubles de l'alimentation. Pourquoi les campagnes de sensibilisation et d'information sont-elles importantes? Parce qu'elles peuvent améliorer la santé de la population et diminuer le nombre de troubles de l'alimentation subcliniques. Elles peuvent atténuer la honte et le déni, ainsi que la stigmatisation et la discrimination à l'encontre de personnes souffrant de troubles de l'alimentation. Elles peuvent améliorer l'identification précoce des personnes à risque. Elles peuvent amener une intervention plus rapide et donc, c'est prouvé, de meilleurs résultats. Enfin, si on traite plus tôt les troubles de l'alimentation moins enracinés, on diminue la pression sur les services déjà inadéquats offerts aux personnes gravement malades.
Manifestement, une prévention appropriée, accompagnée d'une intervention, d'une identification et d'un traitement précoces, aura des répercussions socioéconomiques qu'il est difficile de mesurer. Les parents de personnes ayant des troubles de l'alimentation n'auront pas à s'absenter du travail pour s'occuper d'enfants gravement malades. Les jeunes resteront à l'école, continueront de participer à la société et d'y contribuer, enrichissant ainsi notre vie à tous.
Il y a au Canada d'énormes lacunes dans le continuum des soins qui devraient exister pour les troubles de l'alimentation; cela va de la recherche et de la promotion de la santé à la prévention et au traitement. Le Canada a désespérément besoin d'une stratégie nationale cohérente de lutte contre les troubles de l'alimentation. Je pense qu'il est impératif d'investir dans l'information de la population en général, ainsi que de certains segments clés.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui et serai heureuse de répondre à vos questions.
:
J'aimerais remercier le comité de réaliser cette étude sur les troubles de l'alimentation chez les filles et les femmes et de considérer qu'il s'agit d'une préoccupation de santé importante au Canada. J'aimerais ajouter que ces troubles touchent également les hommes, bien que dans une moindre mesure. À l'heure actuelle, je suis activement quatre jeunes hommes aux prises avec cette maladie et un système dans lequel ils ont du mal à évoluer.
Je suis pédiatre et chercheur dans le domaine de la médecine adolescente. Je travaille dans le domaine des troubles de l'alimentation depuis environ 14 ans. Les patients que je suis ont généralement entre 11 et 23 ans, mais malheureusement, j'ai aussi vu récemment des jeunes qui ont à peine 7 ans.
J'ai examiné les transcriptions du témoignage du Dr Blake Woodside. Je sais qu'il a procédé à un examen approfondi de l'épidémiologie, y compris l'incidence, la prévalence et les caractéristiques des troubles de l'alimentation, ainsi que les statistiques de ceux qui en meurent, de sorte que je ne répéterai pas ces renseignements aujourd'hui
Je tiens toutefois à souligner à nouveau que les causes des troubles de l'alimentation ne sont pas entièrement comprises. Toutefois, depuis de nombreuses années, les influences socioculturelles et les facteurs de risque environnementaux sont considérés comme étant importants.
Les recherches à ce sujet ont avancé récemment et on soupçonne maintenant que le développement d'un trouble de l'alimentation repose sur de nombreux facteurs, avec des influences socioculturelles, biologiques et génétiques. Des recherches au sujet de la neurobiologie des troubles de l'alimentation ont révélé des liens génétiques. De façon globale, l'anorexie mentale et la boulimie semblent être beaucoup plus communes chez les parents biologiques des proposants anorexiques et boulimiques que dans la population générale. Les troubles de l'alimentation peuvent représenter des solutions pathologiques à un défi lié au développement, surtout chez les enfants. Les recherches indiquent également qu'un type de personnalité obsessif, perfectionniste et anxieux peuvent être des traits pré-morbides qui contribuent au développement de ces troubles.
J'aimerais donc savoir ce que nous faisons dans nos écoles et dans les programmes de prévention en intervention précoce pour aider les enfants à apprendre à se contrôler et à assimiler des techniques de pleine conscience afin de contrer ces traits et ces pressions? La gravité d'un problème médical associé aux troubles de l'alimentation est importante et ne devrait pas être sous-estimée, peu importe l'apparence extérieure du patient.
La mortalité des suites de l'anorexie mentale est parmi les plus élevées des maladies psychiatriques. Il s'agit de la troisième maladie chronique chez les adolescentes de par sa prévalence. Les complications médicales de la boulimie et de l'anorexie son multi-système et peuvent avoir des séquelles à long terme mettant la vie en danger.
Il est encore une fois important de souligner qu'une personne ayant un poids normal ou plus élevé que la normale et perdant du poids de façon excessive peut constater des changements semblables à son statut médical que la personne qui a au départ un poids normal. Il s'agit d'une histoire que bon nombre de mes patients souffrant de boulimie m'ont relatée. Leur omnipraticien dit qu'ils n'ont pas l'air de souffrir d'un trouble de l'alimentation alors que ces personnes de poids moyen ou pouvant avoir un surpoids peuvent avoir des problèmes graves d'électrolyte causés par des activités répétées de boulimie-purgation.
La réponse pathophysiologique primaire à une perte de poids importante est une réduction du métabolisme en tant qu'adaptation physiologique, comme nous l'avons constaté dans une étude très connue réalisée dans ...[Note de la rédaction: difficultés techniques]... expérience au Minnesota.
Je suis consultante médicale pour le programme des troubles de l'alimentation à Calgary. Ce programme utilise une approche en équipe interdisciplinaire et plurimodale afin de fournir des services dans le cadre d'un continuum de soins. Nous estimons qu'il est impératif de travailler en équipe et d'inclure le patient et sa famille dans le processus. À cet égard, nous nous efforçons de veiller à ce que le patient et sa famille contrôlent son propre traitement et de leur donner des choix et des options dans les limites des soins responsables. Nous, y compris tous les membres de l'équipe nécessaires, utilisons une approche biopsychosociale à l'égard du traitement, afin de répondre aux besoins du patient et de sa famille. Nous travaillons également très fort pour renforcer les capacités communautaires.
Voici quelques statistiques au sujet de notre programme.
Depuis 2009, nous sommes passés de 276 recommandations par année à 437 à l'heure actuelle, pour l'exercice financier 2012-2013.
Nos diagnostics ont tendance à être divisés...[Note de la rédaction: difficultés techniques]... troubles de l'alimentation sans précision à environ 42 %, anorexie mentale à environ 29,4 % et boulimie à environ 22 %. Un très petit pourcentage de patients très jeunes se présentent avec un trouble de l'alimentation précoce.
La fourchette d'âge au cours des cinq dernières années est demeurée constante, la majorité des cas se situant entre l'âge de 18 et 24 ans et l'autre groupe d'âge le plus touché se situe entre 14 et 17 ans.
Notre programme est géré par un centre de soins tertiaires, je reconnais néanmoins que les médecins de famille sont des acteurs clés en matière de soins de santé. Leurs connaissances ainsi que leurs capacités à dépister, à soutenir et à adresser ces personnes sont essentielles.
Je me suis toujours efforcée d'offrir de la formation médicale continue aux médecins de famille parce que c'est grâce au dépistage, à la prévention et à la sensibilisation qu'on peut vraiment changer les choses. Si nous n'adoptons pas d'approches audacieuses, ces médecins se sentent souvent démunis.
Il existe très peu de soutien financier pour ce genre de présentations éducatives organisées en marge de conférences officielles. Je propose d'accorder du financement pour la création d'un programme de formation médicale continue sur le Web dont les cours seraient assortis de crédits et de bonifier les programmes dans les écoles de médecine.
Au cours des 15 dernières années j'ai vu le traitement des troubles de l'alimentation à Calgary passer d'une approche orpheline dépourvue de l'aspect humain lorsque personne n'était formé ou disposé à les traiter, à des programmes bien organisés et fondés sur des données probantes.
En général, je pense que nous jouissons d'excellentes ressources en Alberta, à l'exception de quelques aspects critiques qui pourraient diminuer tant la morbidité que la mortalité. La situation est peut-être la même partout au Canada, mais encore là, le financement et les programmes sont très différents.
D'abord, il n'y a pas d'unités d'hospitalisation dédiées aux patients souffrant de troubles mentaux de moins de 14 ans ni de soins intensifs de longue durée. Souvent, il n'y a nulle part où admettre les patients s'ils sont déjà stables sur le plan médical, mais qui présentent une insuffisance de poids ou des retards de croissance. Ceci peut entraîner des conséquences graves pour la croissance et le développement pour les maladies psychiatriques concomitantes et l'aspect chronique de la maladie.
Nos unités d'hospitalisation multidisciplinaires souffrent d'un manque d'espace et d'organisation. Les conditions sont très préoccupantes. Nous avons six patients dans une chambre de quatre lits à l'hôpital Foothills. Souvent, d'autres patients doivent partager les chambres avec des malades âgés, qui souffrent souvent de démence, et l'espace dédié au soutien essentiel pour les repas et à la thérapie est d'à peine 150 pieds carrés. Les patients décident parfois de partir de l'hôpital sans le consentement d'un médecin parce que les conditions sont si mauvaises qu'ils deviennent ambivalents par rapport à la poursuite du traitement.
Je vais conclure en vous parlant d'un exemple pertinent, celui d'un patient que j'ai vu lundi, ironiquement, juste après avoir reçu l'invitation à venir témoigner ici.
Il s'agit d'une femme de 19 ans souffrant d'anorexie mentale et ayant un indice de masse corporelle de 16, ce qui est bien en deçà du troisième centile pour une personne de son âge. Elle n'est pas stable sur le plan médical, sa fréquence cardiaque au repos est basse, elle est déshydratée et ses troubles cognitifs s'aggravent chaque jour. Elle a besoin d'être hospitalisée, mais nous n'avons pas de lits pour l'accueillir, car nous avons déjà huit patients pour les six lits qui nous sont attribués. Et comme je l'ai dit, ils se retrouvent dans une chambre d'à peine 150 pieds carrés.
Je n'ai nulle part où admettre cette patiente qui, en passant, souhaite être admise et obtenir du soutien. Par conséquent, je continue mes consultations externes deux fois par semaine et je la prépare à entrer dans notre programme de jour qui bénéficie de plus de ressources, mais qui n'est pas la meilleure option pour elle sur le plan médical en ce moment.
Pendant le rendez-vous, sa mère éclate en sanglots: « Je me sens démunie. Ma fille a perdu énormément de poids et elle n'a pas mangé depuis quatre jours. Elle est ma priorité, mais elle n'est qu'un numéro aux fins du programme et des ressources médicales. J'espère qu'elle ne fera pas partie des statistiques de mortalité sur lesquelles on se penchera dans 10 ans ».
Je l'ai évidemment réconfortée et je lui ai assuré qu'elle n'était pas un numéro à mes yeux et que je ferais tout en mon possible pour la défendre et lui obtenir le traitement dont elle a besoin. Malheureusement, il ne s'agit pas d'un cas unique chez les 18 ans et plus. J'espère que nous pourrons continuer d'analyser les difficultés et l'attribution des ressources pour nous assurer que ces jeunes femmes et hommes, qui ont tellement de potentiel, reçoivent les soins dont ils ont besoin pour retrouver un état de santé et de bien-être optimal.
Merci.
:
Bonjour. J'aimerais remercier les membres du Comité permanent de la condition féminine de m'avoir invitée à témoigner à propos des troubles de l'alimentation chez les filles et les femmes.
Je suis la Dre Debra Katzman. Je suis professeure et spécialiste de la médecine de l'adolescence à l'Hôpital pour enfants de l'Université de Toronto. Je travaille depuis 28 ans dans le domaine des troubles de l'alimentation. J'ai mis sur pied un programme pédiatrique sur les troubles de l'alimentation à l'Hôpital pour enfants et j'en étais la directrice médicale pendant 22 ans. Mes recherches se concentrent sur les troubles de l'alimentation chez les jeunes filles, et plus précisément sur les complications médicales de ces maladies dévastatrices. J'ai aussi participé à des recherches portant sur les diagnostics précoces chez les enfants et les adolescents et sur le traitement de ces maladies potentiellement fatales.
J'ai joué un rôle dans l'éducation et la sensibilisation en matière de troubles de l'alimentation à l'échelle nationale et internationale en tant que membre du comité directeur du programme communautaire sur les troubles de l'alimentation de l'Ontario, à titre d'ancienne présidente d'un organisme international, l'Academy for Eating Disorders et actuellement à titre de présidente de la Society for Adolescent Health and Medecine. Comme vous le constatez, les troubles de l'alimentation en pédiatrie me passionnent ainsi que ce que nous pouvons faire à titre de professionnels de la santé, de chercheurs et de citoyens canadiens afin de prévenir, d'identifier et de traiter ces maladies.
Chaque jour j'ai le privilège de travailler et de prendre soin d'enfants et d'adolescents qui sont très malades, qui souffrent des formes les plus graves de troubles de l'alimentation, en plus de prendre soin de leurs familles. Les troubles de l'alimentation, comme le Dr Elliott en a si bien parlé, sont des maladies mentales à caractère biologique, graves, et potentiellement fatales. Ces maladies requièrent le même type de sensibilisation, de diagnostic, de traitement, de prévention et de financement de la recherche que d'autres maladies. Je vais vous expliquer pourquoi.
Depuis le début de ma carrière en médecine il y a environ 30 ans, la recherche biomédicale a eu des retombées sur les maladies infantiles et a entraîné des progrès incroyables concernant l'issue de nombreuses maladies graves. Lorsque j'étais étudiante en médecine, la leucémie lymphoblastique aiguë, le cancer le plus commun chez les enfants, affichait un taux de mortalité de 95 %. Aujourd'hui, ce taux a été réduit de 85 %. Six mille enfants par année qui, autrefois seraient morts de la maladie, sont maintenant guéris.
Le VIH-sida est un autre exemple de progrès scientifique considérable. Il y a 20 ans, un jeune homme de 17 ans infecté par le VIH n'aurait vécu que quelques mois, et maintenant il peut vivre jusqu'à 60 ou 70 ans.
Ces changements remarquables sont attribuables au financement de la recherche scientifique portant sur la compréhension de ces causes de mortalité tragique. Malheureusement, lorsqu'il s'agit de troubles de l'alimentation, on ne peut pas relater les mêmes histoires de succès.
Au cours des 20 dernières années, nous avons effectivement réalisé des avancées dans le domaine des troubles de l'alimentation, mais pas dans la même mesure que le cancer, les maladies cardiovasculaires ou le sida. Je vais toutefois vous parler de ce que nous savons à propos des troubles de l'alimentation.
Les troubles de l'alimentation constituent un problème de santé publique majeur. De plus en plus d'enfants en souffrent. À l'Hôpital pour enfants, nous avons mené une étude en collaboration avec le Programme canadien de surveillance pédiatrique selon laquelle des enfants d'à peine cinq ans développent des troubles de l'alimentation. Ces troubles ont un taux de prévalence relativement élevé. Environ 1,5 % des femmes âgées de 15 à 24 ans souffrent d'un trouble de l'alimentation. Cela signifie qu'environ 525 000 Canadiennes en souffriront par rapport à 10 000 enfants atteints de cancer ou 25 000 atteints de diabète de type 1 ou de type 2. Malgré ces chiffres, les troubles de l'alimentation ne reçoivent pas autant de financement pour la recherche et on n'y porte pas la même attention en général.
Les troubles de l'alimentation se manifestent à un jeune âge. Il y a deux âges clés, 14 ans et 18 ans. Cette maladie est unique et ne se compare pas à d'autres, telles que les maladies cardiovasculaires ou l'hypertension qui se manifestent à l'âge adulte. La plupart des enfants et des adultes aux prises avec des troubles de l'alimentation sont des filles et des femmes.
L'anorexie mentale est la troisième maladie chez les adolescentes. Les troubles de l'alimentation peuvent sévir peu importe la race, la couleur, le sexe ou le statut socioéconomique. Personne n'est immunisé contre les troubles de l'alimentation.
Comme l'a dit le Dr Elliott, les troubles de l'alimentation sont causés par de nombreux facteurs, dont une combinaison de vulnérabilité génétique, biologique et tempéramentale en interaction avec un environnement très toxique.
Les troubles de l'alimentation sont liés à des déficiences émotives et cognitives. Nous savons que les femmes et les filles atteintes de troubles de l'alimentation présentent des difficultés de fonctionnement cognitif, et plus précisément des difficultés qui nuisent à leur jugement et à leur mémoire, à leur capacité de prendre des décisions et de saisir les situations dans leur ensemble.
Pendant notre étude sur un groupe de patients à l'hôpital pour enfants, nous avons constaté que les jeunes femmes présentent des déficits cognitifs marqués pendant la phase aiguë de la maladie qui nuisent considérablement à leur habileté cognitive et à leur habilité à créer des liens avec d'autres personnes. On croit que ce type de déficience cognitive compromet la capacité des jeunes femmes à participer à un traitement psychologique, faisant en sorte que le traitement est moins efficace. De plus, nous ne savons pas si ces déficiences cognitives sont éventuellement comblées.
Nous savons également que les filles et les jeunes femmes sont atteintes d'importantes comorbidités psychiatriques. Dans le cas de l'anorexie mentale, les comorbidités psychiatriques les plus courantes sont entre autres la dépression majeure et les troubles d'anxiété. Souvent, dans le cas de la boulimie mentale, les comorbidités sont entre autres les troubles d'anxiété, la dépression majeure et les troubles de consommation. Environ 80 % des personnes atteintes d'anorexie mentale ou de boulimie mentale recevront un diagnostic d'un autre trouble psychiatrique à un moment dans leur vie.
Les troubles de l'alimentation restreignent les activités de vie des jeunes femmes et des filles qui en sont atteintes. Les personnes atteintes d'anorexie ou de boulimie mentales estiment que leur qualité de vie est très basse. Les troubles ont tendance à nuire à l'adaptation sociale, aux habiletés de communication sociale et les réseaux sociaux ont tendance à être très restreints.
Le fonctionnement éducationnel et professionnel des personnes atteintes de troubles de l'alimentation se situe en deçà des attentes; on remarque qu'elles s'absentent du travail ou de l'école. Une étude a démontré que les filles qui souffrent de troubles de l'alimentation passent environ cinq mois et demi par année à l'école sur une période de deux ans.
Il s'agit de maladies potentiellement mortelles qui peuvent entraîner de nombreuses complications médicales. Parmi tous les troubles psychiatriques, les troubles de l'alimentation présentent le plus haut taux de complications médicales.
Les troubles de l'alimentation ont une incidence sur tous les systèmes du corps. Les complications médicales représentent des formes de handicap important. Parmi ces complications, on remarque des déficiences considérables dans la croissance et le développement normal des adolescents sur les plans physique, social et psychologique, des anomalies cardiaques, des problèmes gastro-intestinaux et de l'ostéoporose. En effet, notre groupe a mené la première étude du genre et a observé que les jeunes atteints d'anorexie mentale depuis seulement trois mois sont aux prises avec des os fragiles ou de l'ostéoporose. En plus, comme je l'ai dit, ces jeunes présentent des déficiences cognitives. Nos études ont également permis de remarquer des changements dans la structure de leur cerveau.
Voilà seulement quelques exemples de complications médicales. De plus, la recherche que nous avons menée ne nous permet pas de conclure que ces complications médicales à long terme sont réversibles.
Ces complications médicales peuvent entraîner la mort. Parmi les troubles psychiatriques, l'anorexie mentale présente le plus haut taux de mortalité. Il est 12 fois plus élevé que le taux de mortalité annuel de toutes les causes de mortalité chez les femmes âgées de 15 à 24 ans. Les enfants atteints de troubles d'alimentation sont 10 fois plus susceptibles de mourir que les enfants du même âge en santé. Ce risque accru et inexcusable de mortalité à cause des troubles d'alimentation est fréquemment attribuable aux nombreuses complications médicales ou au suicide.
Dans l'ensemble, les troubles de l'alimentation sont associés à certains des taux les plus élevés de handicap médical et social parmi tous les troubles psychiatriques. Ces maladies entraînent des conséquences graves pour les personnes qui en souffrent, leur famille et la société dans son ensemble.
Les troubles de l'alimentation entraînent des conséquences graves pour les jeunes femmes qui en souffrent. Les filles et les femmes atteintes d'anorexie mentale présentent des taux plus élevés de complication lors de la grossesse. Elles présentent des taux plus élevés d'infertilité et de fausse couche et il semble y avoir parmi leurs enfants une plus grande prévalence de problèmes émotionnels et nutritionnels. Les parents et les soignants des patients souffrant d'anorexie ou de boulimie mentales affichent des taux plus élevés de détresse psychologique.
Enfin, les troubles de l'alimentation entraînent un fardeau économique considérable et une utilisation importante des services de soins de santé. Une récente étude des admissions d'adultes souffrant de maladie psychiatrique à l'hôpital en Angleterre a démontré que les troubles de l'alimentation constituent la proportion la plus élevée de tous les patients admis en psychiatrie. La plupart des lits réservés aux soins psychiatriques des enfants et des adolescents sont occupés par des jeunes atteints de troubles de l'alimentation, une proportion plus élevée que tout autre groupe de diagnostics. Aux États-Unis, les personnes atteintes de troubles de l'alimentation utilisent les soins de santé dans une plus grande proportion que les personnes qui souffrent d'autres formes de maladie mentale.
Nous venons tout juste de terminer une étude...
:
À la fin de mon exposé, j'ai énuméré ce que nous devons faire. Si vous le permettez, je vais vous le lire. Il y a sept choses que je pense que nous devrions faire.
Nous devrions dépister plus rapidement les jeunes qui ont un trouble de l'alimentation. Cela implique un vaste programme d'éducation et de formation des professionnels de la santé.
Il nous faut des modalités de traitement plus efficaces. Comme je le disais, nous en avons quelques-unes qui donnent de bons résultats, mais elles ne suffisent pas. C'est dans ce domaine que les cliniciens et les chercheurs doivent collaborer pour trouver des solutions.
Nous devons nous assurer que des programmes de traitement fondés sur des données probantes sont disponibles dans toutes les provinces afin que ceux qui en ont besoin aient un accès égal et immédiat à ces programmes. Il faut que toute la gamme des lieux de traitement soit disponible au Canada, et cela comprend l'hospitalisation, des traitements en clinique externe, des programmes de traitement et des programmes de traitement en établissement. À l'heure actuelle, en Ontario, nous n'avons pas de programme de traitement en établissement et les enfants qui en ont besoin doivent aller chez nos voisins du Sud. Notre système de soins de santé en fait les frais, alors que nous avons d'excellents cliniciens compétents ici en Ontario qui pourraient facilement traiter ces enfants dans le cadre approprié.
Nous devons assurer un accès immédiat aux programmes car il y a d'excellentes raisons de croire qu'un diagnostic rapide et des traitements énergiques fondés sur des données probantes sont d'importants facteurs de guérison.
Nous devons sensibiliser davantage la population à ces troubles, comme nous venons de le dire, particulièrement les personnes qui travaillent avec les enfants et les jeunes femmes.
Nous devons également travailler à la prévention. Il nous faut des programmes efficaces de prévention, et cela commence par nous tous. Nous devons faire de la prévention à plusieurs niveaux afin d'assurer un message cohérent et la collaboration entre les secteurs de la santé, de l'éducation et des sports.
Enfin, nous devons mener des recherches de pointe et fournir d'excellents soins cliniques. Il nous faut un programme de recherche et les moyens de financer cette recherche. Dans toutes les rencontres internationales, il y a des Canadiens qui font de la recherche, mais qui ne trouvent pas les fonds nécessaires ici. Il y a des gens très qualifiés ici même au Canada, surtout parmi ceux qui travaillent avec les enfants, les adolescents et les jeunes adultes.