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Merci de m'accueillir ici aujourd'hui.
Je suis psychothérapeute et je traite les cas d'anxiété, de dépression et de troubles de l'alimentation à Burlington, en Ontario. Je suis également fière d'être membre du comité directeur de l'Initiative nationale concernant les troubles d'alimentation.
Je me fais ici le porte-parole de mes clientes et j'ajouterai mon propre témoignage en tant que survivante ayant souffert d'anorexie. Je suis fière de pouvoir dire que j'ai pu naviguer dans notre système malgré ces déficiences.
En tant que thérapeute, j'ai souvent constaté que le système ne vient pas en aide à certaines personnes, que certaines personnes doivent attendre. Je traite les cas les plus désespérés et les plus malades des malades. Ces patientes sont laissées à elles-mêmes et désespérées. Je n'exerce que depuis cinq ans et au début de ma carrière, une de mes patientes est morte d'anorexie. C'est une de trop. Elle était envoyée de service en service, renvoyée dans certains cas et incomprise. En plus de ses troubles de l'alimentation, elle devait composer avec une névrose obsessionnelle-compulsive et elle était paralysée par la peur. Elle est morte à 20 ans.
Trois autres femmes qui suivaient un traitement avec moi sont aussi mortes de complications dues à leurs troubles de l'alimentation. Elles avaient toutes moins de 30 ans et avaient été prises en charge par le système.
Je vous dis d'emblée que les statistiques concernant les troubles de l'alimentation sous-estiment le problème car des millions de femmes souffrent en silence.
Avant d'exercer dans mon cabinet privé, j'étais la directrice de programme à Danielle's Place, qui est un centre de ressources pour appuyer celles qui souffrent de troubles de l'alimentation, à Burlington, et qui est semblable à Sheena's Place. Pendant les trois années comme directrice, nous avons éprouvé de grandes difficultés par manque de financement. Notre objectif était d'offrir des services gratuitement et en temps opportun et nous avons pu aider des centaines d'hommes et de femmes chaque année. Malheureusement, quand j'ai quitté le centre, il a dû fermer ses portes. Cela a été dévastateur pour certains patients qui considéraient le centre comme un refuge solide.
Trop souvent, lors d'un diagnostic on ne reconnaît pas la gravité de l'anorexie nerveuse. Ce fut mon cas. J'étais parmi celles qui ne se doutaient pas de ce qui m'arrivait. Avant de diagnostiquer l'anorexie, on a diagnostiqué une grave dépression et un cas d'anxiété. Je souffrais tellement que je ne savais vraiment pas comment je pouvais continuer de vivre sans absorber une quantité de médicaments pour me calmer.
Mon trouble de l'alimentation a sans doute commencé alors que j'avais 16 ans. À ce moment-là, ma famille avait vécu un événement extrêmement traumatisant, ce qui typiquement déclenche une maladie mentale. L'anorexie était une bénédiction car mon cerveau était engourdi et cela m'a aidé à repousser les pensées négatives.
Les choses ont dégénéré assez rapidement, comme c'est le cas, et soudainement j'avais de plus en plus de mal à agir. Mon médecin m'a dit que mon insuffisance de poids était causée par le fait que j'étais une athlète de compétition. Il m'a prescrit une quantité d'antidépresseurs qui n'ont fait qu'ajouter à ma confusion. Je ne me pesais jamais. Cela étonne les gens. Quand je me suis pesée pour la première fois, j'ai été assez effrayée pour aller voir un spécialiste afin de me faire évaluer.
Les deux années qui ont suivi sont celles dont il m'est le plus difficile de parler. Pendant ces années-là, je me bagarrais avec le système et avec moi-même. Je ne savais absolument pas ce qui m'arrivait. Mon monde s'écroulait. J'étais anéantie. J'avais courtisé l'anorexie pendant des années et voilà que je la laissais prendre le dessus.
J'ai du mal à m'expliquer la raison, mais toujours est-il que j'ai abouti dans une aile psychiatrique dans une autre ville. J'étais la seule patiente anorexique dans tout le programme. Ma maladie ayant pris le dessus à ce moment-là, on m'a demandé de quitter le programme. J'ai été hospitalisée à l'unité de soins d'urgence de mon hôpital local. De nombreux médecins m'ont confié qu'ils ne savaient pas comment j'avais survécu.
Si je vous dis tout cela, ce n'est pas pour que vous me preniez en pitié, mais pour vous expliquer que mon cas n'est pas unique. Tous ces événements se sont déroulés alors que j'attendais une évaluation au central local de traitement. Tout cela s'est produit alors que mes parents suppliaient que quelqu'un me parle et me comprenne. Tout cela s'est produit parce que j'ai été expulsée de l'aile psychiatrique car on ne savait pas comment m'aider et je continuais de perdre du poids. J'avais 20 ans et on m'a demandé de quitter le programme parce que j'avais atteint ... livres. [Conformément à une motion adoptée le 30 avril 2014, un passage du présent témoignage a été supprimé du compte rendu. Voir le Procès-verbal] En me donnant mon congé de l'hôpital à cause de mon poids, on m'a dit que je ne me conformais pas.
À partir de ce moment-là j'ai perdu toute volonté de vivre ou de me bagarrer. Mon poids a chuté de façon appréciable et je me suis retrouvée à l'unité de soins d'urgence entourée de patients trois, quatre ou cinq fois plus âgés que moi et qui mourraient d'insuffisance cardiaque, de cancer ou d'autres maladies mortelles.
Mon dossier a été retenu pour une évaluation à l'hôpital général de Toronto, dans le programme de troubles de l'alimentation mais j'avais attendu quatre mois pour cette évaluation. On m'a refusé de me laisser faire l'évaluation au téléphone et on ne pouvait pas envoyer un spécialiste pendant que j'étais à l'hôpital si bien que j'ai été transportée en ambulance de Burlington à Toronto, reliée à une intraveineuse, intubée de sorte que j'étais alimentée et qu'on surveillait mes battements de coeur afin de s'assurer que je ne subisse pas un arrêt cardiaque, tout cela pour prouver que j'étais assez malade pour justifier une participation au programme. Je me souviens être allongée tout à fait déconnectée alors qu'une équipe de médecins me posaient des questions.
Cela vous semble-t-il acceptable?
Il y a quelque chose qui ne va pas dans notre système. Obligerait-on un enfant atteint du cancer à parcourir une longue distance pour déterminer qu'il a besoin d'un traitement au rayon ionisant ou d'une chimiothérapie ou pour prouver qu'il lui faut voir un oncologue? À partir de ce moment-là j'ai été inscrite sur une liste d'attente. J'ai attendu encore quatre mois dans un hôpital où j'ai subi les propos les plus abjects de la part du personnel, ce qui m'a donné le courage et la passion de faire ce que je fais aujourd'hui.
Je ne veux pas que qui que ce soit se fasse dire qu'il y a beaucoup d'autres gens qui sont plus malades et qu'il suffit de manger et qu'il faut libérer un lit ou s'entendre dire qu'on est trop malade pour parler à qui que ce soit ou se voir refuser des explications permettant de comprendre la situation.
Par la suite, j'ai pu obtenir un lit à l'Hôpital général de Toronto, dans le programme des troubles de l'alimentation. J'y suis restée quatre mois et je suis partie de façon prématurée. J'ai fait une rechute immédiatement et à partir de ce moment-là, j'ai été traitée en externe et j'ai suivi une thérapie personnelle très coûteuse.
J'ai travaillé sans relâche avec ma famille et mon mari pour parvenir où je suis aujourd'hui. De nombreux événements qui se sont produits dans ma vie ont eu une grande influence sur mon rétablissement. Les sept années que j'ai décrites ont été les plus dures et je me suis bagarrée avec le système. Toutefois, je suis convaincue que mon trouble de l'alimentation m'a permis de devenir meilleure. Cependant, je ne sous-estimerai jamais l'emprise que cette maladie a sur une personne diagnostiquée.
Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour faire comprendre que les troubles de l'alimentation sont véritablement des maladies mortelles. Ils peuvent entraîner des pertes de vie et détruire des familles. Comme pour bien d'autres maladies mentales, les gens ne comprennent tout simplement pas. Ils estiment qu'un trouble de l'alimentation peut être surmonté, que c'est un état de santé dont il faut s'occuper et se débarrasser. Nous savons désormais que c'est une maladie du cerveau, une maladie psychologique, qui anéantit toute logique et tout raisonnement. J'ai du mal à croire à quel point j'ai de la chance de pouvoir être assise ici aujourd'hui et pourtant j'ai failli perdre la vie. J'ai beaucoup de mal à m'expliquer cela. J'ai du mal à me l'expliquer car c'est inexplicable.
Si certains meurent de cette maladie, c'est parce qu'il n'y a pas assez de ressources pour les traiter. Les médecins se trompent dans leur diagnostic et sous-estiment la lutte que doivent mener les patients. En fin de compte, ces patients se sentent responsables de leur état et blâmés pour une situation qu'ils ne comprennent pas. L'avenir des troubles de l'alimentation est sombre. Nous savons qu'il est difficile de se rétablir et plus les troubles sont laissés sans intervention, moins grandes sont les chances d'aboutir à un rétablissement complet.
Il faut veiller à ce que lorsque les gens sont prêts à se faire soigner, un traitement soit disponible. Il faut que les troubles de l'alimentation soient dans le collimateur afin que les gens se débarrassent de leur fausse conception concernant cette maladie, et afin d'enrayer la stigmatisation.
Il y a trois éléments sur lesquels il faudrait travailler en priorité pour l'instant.
Tout d'abord, le financement. Comme d'autres témoins l'ont dit dans cette enceinte, il faudrait un financement équitable pour ce qui est des troubles de l'alimentation et des maladies connexes. Il faut mettre à disposition plus de lits et plus de places afin de raccourcir les listes d'attente.
Deuxièmement, je pense qu'il faut une couverture équivalente de l'assurance-médicale de l'Ontario pour les jeunes comme pour les adultes qui luttent contre les troubles de l'alimentation. L'assurance-santé de l'Ontario n'hésite pas à envoyer un jeune de moins de 18 ans bénéficier des programmes qui existent aux États-Unis afin qu'il puisse avoir accès à des soins spécialisés en temps opportun. Toutefois, tous ceux qui sont plus âgés s'entendent dire de compter sur leurs propres ressources ici.
Troisièmement, on devrait imposer une formation obligatoire aux professionnels de la santé afin qu'ils puissent adéquatement dépister et diagnostiquer les troubles de l'alimentation. Les généralistes, les infirmières, les psychiatres et les autres professionnels de la santé doivent être mieux sensibilisés et mieux travailler de concert pour garantir que cette maladie cesse d'être marginalisée.
Maintenant, je répondrais volontiers aux questions que vous auriez pour mieux comprendre ma perspective et pour contribuer dans la mesure du possible à l'étude que vous effectuez.
Merci.
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Je tiens à remercier les membres du comité de me donner l'occasion de témoigner. Je vous suis reconnaissante de me permettre de vous donner une idée de ce que vit une famille quand un de ses enfants souffre de trouble de l'alimentation et qu'elle doit lui prodiguer des soins.
Il y a eu des changements appréciables dans le domaine de la recherche et du traitement des troubles de l'alimentation au cours des 10 dernières années. L'attitude des parents et leur rôle ont changé de façon spectaculaire. Pour les adolescents, on peut compter désormais sur un traitement disponible, effectif et probant et ce traitement s'appuie intensément sur la participation de la famille. Nous savons maintenant que les familles ne sont pas la cause des troubles de l'alimentation et qu'en fait elles sont vitales pour le rétablissement des enfants.
Le récit de ma famille à bien des égards, est un exemple de scénario optimum dans le contexte actuel du traitement. Voici pourquoi.
Très tôt, j'ai décelé que quelque chose n'allait pas chez ma fille. J'étais prête à agir sur-le-champ. J'ai réussi à trouver rapidement des informations à jour, probantes. Ensuite, j'ai été mise en contact avec un traitement hospitalier de premier ordre et je me suis mise à chercher des appuis. Le récit de ma famille est un exemple d'une situation aussi idéale que possible mais il n'en demeure pas moins que l'expérience a été dévastatrice. Il a fallu qu'il s'écoule neuf mois entre mon premier dépistage chez ma fille et son admission à l'hôpital pour commencer un traitement. Il s'est écoulé une autre année entre le début du traitement et son rétablissement complet.
L'expérience est longue et ardue. Prodiguer des soins à une enfant atteinte d'une maladie qui risque d'être mortelle est chose difficile. C'est indéniable. Toutefois, des renseignements erronés, la stigmatisation et le manque de ressources accessibles alourdissent notre fardeau. Ma fille avait 10 ans quand on a diagnostiqué l'anorexie chez elle. Dans le cas de cette maladie, l'intervention précoce est cruciale. Un traitement précoce aboutit à de meilleurs résultats. Souvent, les parents ne prennent conscience de la situation au moment où les derniers symptômes se manifestent. C'est en septembre 2010 que j'ai constaté pour la première fois qu'il y avait quelque chose qui clochait. Ce que j'ai d'abord constaté n'était pas une modification liée aux troubles de l'alimentation mais plutôt des modifications dans son tempérament. J'avais deux enfants, 17 et 10 ans et tous deux étaient heureux et en santé. Je ne songeais pas à un trouble de l'alimentation.
Notre environnement familial était sans doute un exemple de prévention des troubles de l'alimentation. Nous n'avions pas de pèse-personne à la maison. Nous n'avions pas le câble. Jamais je n'ai suivi de régime amaigrissant de ma vie et j'ai grandi dans une culture où l'on ne préconisait pas l'idéal de la minceur. J'ai tenté de transmettre ces valeurs à mes enfants également. Nous parlions constamment de corps en santé, quelle que soit la taille, et je les ai invitées à se méfier des messages médiatiques et à garder un esprit critique à leur égard. Pourtant, ma fille a été atteinte d'un trouble de l'alimentation.
Ma fille était une enfant amusante et indépendante. Elle avait de bonnes relations sociales et de nombreux amis. Elle adorait l'école. Elle faisait du piano et participait à un choeur, ne faisait pas de danse ni de gymnastique. Elle était affectueuse et espiègle et elle avait 10 ans. Comment peut-on être atteinte d'un trouble de l'alimentation à 10 ans? Me suis-je dit? Le fait qu'elle ne corresponde pas au portrait stéréotypé qu'on se fait d'une personne atteinte de trouble de l'alimentation nous a rendu un mauvais service. C'est ainsi que j'ai contesté mes instincts et que je n'ai rien vu venir. Le fait est que je n'ai pas perçu ce que je sais être maintenant des signes indéniables.
Entre janvier et la fin du mois d'avril 2011, j'ai emmené ma fille chez le médecin à trois reprises. J'ai fait part de mes craintes, le fait qu'elle ne mangeait pas, qu'elle se plaignait de maux de ventre, qu'elle semblait perdre du poids et qu'elle n'était plus elle-même. Cela n'a pas sonné l'alerte. Toutefois, dès le mois de mai, je savais que nous avions là un programme grave. Le 15 mai, je l'ai rencontrée à l'école et je l'ai emmenée manger une pizza pour le déjeuner, en lui disant qu'elle devait finir son assiette. Elle a pris deux bouchées et fébrile, elle m'a dit: « Maman, je ne peux pas manger. » Après le déjeuner, je suis retournée à l'école pour informer les autorités qu'elle ne retournerait pas et je suis allée directement chez le médecin. Le médecin s'est entretenu avec elle et a dit finalement: « En effet, il y a un problème. » Il m'a donné une recommandation pour le programme pédiatrique des TA à l'hôpital local pour enfants. Le médecin a ajouté: « N'essayez pas de la faire manger. Vous ne pourrez pas. Ne soyez pas le gendarme de la nourriture. »
On ne m'a rien dit de plus à ce moment-là. Aucune information sur les troubles de l'alimentation et aucun conseil. Je suis rentrée à la maison et j'essayais de la faire manger mais en vain. Je suis alors allée consulter Internet et j'ai commencé mes recherches. Je me souvenais que j'avais lu un article du New York Times quelques années auparavant concernant un nouveau traitement pour l'anorexie appelée Maudsley. J'ai trouvé cet article et j'ai trouvé des renseignements sur un traitement familial. J'ai alors commencé à apprendre.
Il me fallait de meilleurs renseignements et un traitement de première ligne plus solide. Il me fallait un médecin de famille qui avait les compétences nécessaires pour faire du dépistage précoce et pour me donner des renseignements fiables afin que je puisse agir. J'ai trouvé par moi-même tout ce qui pouvait m'être utile et cela n'aurait pas dû être le cas. On aurait dû me dire d'alimenter mon enfant et on aurait dû m'appuyer dans cette tâche.
Face à cette maladie, les parents doivent rapidement acquérir de nouvelles compétences. Comprendre les manifestations de cette maladie et les méthodes de traitement efficace précoce est chose utile à cet égard. En l'absence de renseignements, il y a une perte de temps, la fragilisation de la confiance en soi alors que la maladie de votre enfant ne cesse de s'aggraver. Je me demande souvent ce qui aurait pu changer si je n'avais pas perdu le temps de ces premiers mois.
Quand nous étions encore inscrits sur la liste d'attente pour une évaluation, j'ai essayé de trouver de l'aide dans la communauté. J'ai téléphoné à plusieurs sources potentielles, tant que j'ai pu, et j'ai eu l'impression de crier dans le vent. Il n'y avait pas d'aide pour un enfant de 10 ans dans la communauté. Je savais que sa réadaptation nutritionnelle devait être mon point de mire mais il me fallait de l'aide. J'avais l'impression d'assister à la mort lente de mon enfant.
Je l'emmenais tous les jours à la salle d'urgence de l'Hôpital pour enfants et après deux semaines, son état de santé étant instable, elle a été admise. Elle y a passé sept semaines. Dans l'aile où elle se trouvait, il y avait un autre enfant de 10 ans et deux enfants de 8 ans. Nous sommes passées des soins hospitaliers à une clinique externe où une fois par semaine, nous avions rendez-vous et un rendez-vous pour le traitement en milieu familial. Le reste du temps, six jours et demi, j'étais responsable des soins qu'il fallait lui prodiguer.
Cette phase du traitement est qualifiée d'externe mais le travail de traitement ne se fait pas lors de la visite à la clinique. Le travail de traitement se fait à la maison. Elle a engraissé de 20 livres à l'hôpital et d'encore 30 livres à la maison.
Dans le cas du traitement en milieu familial, le gros du travail se fait à la maison, accompli par les familles. Le traitement consiste à alimenter les patients et à interrompre les symptômes. La nourriture est le médicament. Cela semble facile mais parvenir à ce qu'un enfant anorexique mange ne l'est absolument pas. Ma fille me dit maintenant qu'à ce moment-là elle avait l'impression que je la poussais hors d'un avion sans parachute et ce six fois par jour. Nous procédions par thérapie d'exposition avec des cajoleries, du chantage et de la fermeté. Rien ne nous facilitait la tâche. Nous n'obtenions de résultat qu'en affirmant qu'il n'était pas question de ne pas manger. Si ma fille se réfugiait sous le lit, je devais l'en retirer. Si elle lançait la nourriture, je devais préparer une autre assiette. Si elle ne faisait que rester assise, je devais m'asseoir à ses côtés aussi longtemps qu'il le fallait.
En deux mots, les parents doivent être plus solides que le trouble de l'alimentation. Nous devons être des murs de brique incontournables, fort de notre amour, de notre compassion et de notre force. Le rôle de parents prend une tournure différente et rien dans votre passé ne vous prépare à cela. Cela va à l'encontre de tous nos instincts car plutôt que de cajoler son enfant nous devons lui tenir tête dans une situation de détresse extrême. Avec le temps, on obtient des résultats et le poids grimpe. Ainsi, au fur et à mesure de la guérison, on voit revenir l'enfant à ce qu'il était. La vigilance doit être constante. Ma fille a dormi dans mon lit pendant huit mois. Je l'ai observée au cours de chaque repas pendant des mois. La courbe d'apprentissage est raide. L'expérience est dure pour une famille. Tout le monde la ressent: les frères et soeurs, les conjoints, les grands-parents. L'expérience isole les familles. On constate une stigmatisation et on ressent de la honte. La plupart des gens ne comprennent tout simplement pas. Votre monde alors se rétrécit.
Je me suis concentrée sur le rétablissement. C'est devenu la priorité des priorités pour moi. J'ai pris un congé au travail et je me suis assurée d'un crédit à la banque. Grâce à l'appui qu'on lui a donné, ma fille a réintégré l'école à l'automne. Je la rencontrais tous les jours pour le déjeuner pendant toute l'année scolaire. À la fin de l'année, elle était complètement rétablie. En septembre dernier, nous avons constaté une résurgence des symptômes en raison de l'anxiété qu'elle éprouvait à l'idée de changer d'école. Cette fois-là, je savais ce qu'il fallait surveiller et j'ai réagi sur-le-champ. Je l'ai réinscrite au traitement et maintenant elle va parfaitement bien.
Les parents sont capables de faire cela mais il leur faut un réseau d'appui. Ils ne peuvent pas y parvenir seuls et ils ne devraient pas avoir à le faire.
Merci.
Je répondrai à vos questions.
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Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, j'aimerais remercier nos deux invitées d'avoir partagé avec nous leurs expériences différentes, l'une ayant pris en charge sa propre fille et l'autre étant une survivante de l'anorexie mentale.
J'aimerais signaler que je suis une professionnelle de la santé. Je suis d'accord avec vous parce qu'avec le temps que nous avons passé avec tous les témoins qui ont comparu devant notre comité, nous avons bien compris le message indiquant que le système de santé connaissait des déficiences relativement aux ressources médicales, aux infrastructures et à l'aide apportée aux parents.
Je suis aussi troublée que vous par le fait que, lorsque des personnes souffrent de troubles alimentaires, elles doivent être sur une liste d'attente avant de recevoir un traitement. Je crois que c'est un problème sur lequel tous les paliers de gouvernement devraient se pencher et devraient trouver des solutions.
Dans le domaine médical, il y a toujours eu des maladies qui apparaissaient sans qu'on puisse en faire un diagnostic, comme dans les cas de la dépression. Auparavant, les gens étaient traités de paresseux lorsqu'ils ne se présentaient pas au travail. On n'avait pas diagnostiqué qu'ils souffraient d'une maladie biologique, comme le diabète, pour laquelle il faut un traitement, un soutien et un suivi.
Lorsqu'on parle de personnes qui n'ont pas les ressources nécessaires pour se payer une thérapie dans une clinique privée ou qui n'ont pas une mère aussi dévouée que Mme LaBorde qui a pris soin de son enfant, que faudrait-il faire? J'aimerais entendre votre opinion sur ce que pourraient faire les divers paliers de gouvernement pour améliorer cette situation afin que d'autres personnes ne passent pas par le processus par lequel vous êtes passées.
Ma question s'adresse à vous deux.