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D'accord, je ne prendrai pas sept minutes, mais je vais vous donner un aperçu de mon travail.
Mon travail a commencé comme étudiant à la fin des années 1970 auprès de parents qui avaient perdu des enfants à cause du cancer et d'autres maladies graves. À partir de 1980, j'ai travaillé pendant quatre ans à l'unité de soins intensifs néonatals à Bergen, où ma principale tâche consistait à faire le suivi auprès des parents qui avaient perdu des enfants dans cette unité, et aussi de tous les cas de syndrome de mort subite du nourrisson. Lorsque mon travail a commencé à être mieux connu, on m'a aussi demandé d'agir comme conseiller auprès de l'unité des soins intensifs et du service des urgences. Je suis ensuite retourné à l'université et j'ai passé quatre ans comme chercheur principal. J'y ai aussi fait mon doctorat, qui portait sur les parents qui perdent un enfant. C'était le sujet de ma thèse.
En 1988, j'ai créé le Centre de psychologie de crise, qui relève de l'université depuis 2017, mais j'ai travaillé sur le plan clinique auprès de parents qui perdent des enfants et d'enfants qui perdent des parents pendant toute ma vie professionnelle.
J'ai aussi participé à des recherches sur différents types de décès. J'ai été très impliqué après l'attentat terroriste qui a été commis en Norvège, en 2011. Nous avons fait une étude sur les effets sur les parents de la perte d'un enfant. Il s'agit d'un thème important dans mon domaine de travail. J'ai l'expérience clinique de rencontres et de travaux avec des professionnels et des groupes de soutien en Norvège, mais j'ai aussi une expérience de la recherche.
Il y a quelques années, j'ai mené une étude auprès de plus de 300 parents. Nous avons utilisé des questionnaires et mené des interviews qualitatives sur les problèmes relationnels et sur leur influence. J'ai écrit sur plusieurs aspects de ma pratique professionnelle et aussi de mes recherches, et j'estime bien connaître mon domaine. J'ai rédigé environ 20 livres et 300 articles, pas tous sur la question du deuil parental, mais beaucoup dans ce domaine.
Je suis fondamentalement un clinicien et je mène des travaux de recherche, mais c'est toujours le travail sur le plan clinique qui a été le plus important pour moi et celui pour lequel je peux aussi utiliser la recherche, afin d'améliorer la situation des parents qui perdent des enfants.
Je pense que cela résume bien mon parcours.
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Bonjour, et merci de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui.
J'ai l'honneur d'être la gestionnaire de programme du Pregnancy and Infant Loss Network en Ontario, souvent appelé le réseau PAIL.
J'ai eu le privilège de travailler avec le député provincial Mike Colle, aux côtés de nombreux autres parents endeuillés et engagés, afin de défendre le projet de loi 141, la Loi sur la sensibilisation au deuil périnatal, la recherche sur ce genre de deuil et l'aide aux personnes vivant un tel deuil, en 2015. Ce projet de loi a transformé la vie des familles endeuillées en Ontario, et nous en serons éternellement reconnaissants au député. Nous sommes également redevables au député Blake Richards pour le travail qu'il a accompli, afin de porter ce sujet à l'attention du gouvernement fédéral, ainsi qu'à d'autres députés et aux personnes qui ont fait part de leur expérience personnelle à ce comité.
Trop souvent, des familles comme la mienne sont réduites au silence après leur perte. Je participe à ce travail non seulement en tant que gestionnaire du programme, mais aussi en tant que mère endeuillée. Mon mari et moi avons perdu des jumeaux, Elora et Joseph, en août 2005. Nous avons quitté l'hôpital les bras vides et le coeur brisé. Nous n'avions aucune idée de ce qu'il fallait faire par la suite, ni où obtenir de l'aide.
Je me suis adressée à mon obstétricien et à mon médecin de famille, qui se sont limités à me donner une ordonnance de sédatifs afin que je puisse dormir. Mon mari travaillait à contrat et n'avait droit à aucun congé de maladie ou autre. Il était donc au travail devant son ordinateur le lendemain de notre retour de l'hôpital. Mon employeur m'a accordé cinq jours de congé de deuil et j'ai épuisé tous mes congés de maladie. J'étais de retour au travail à temps plein moins de trois semaines après le décès de mes bébés. Je m'occupais de 45 familles, qui m'avaient toutes vue enceinte de cinq mois de jumeaux et qui m'ont toutes demandé ce qui s'était passé.
J'ai appris à répondre à la question le plus brièvement possible et à changer de sujet. J'ai appris à me contenir jusqu'à 16 h 30, au moment où je prenais ma voiture pour rentrer à la maison. J'empruntais des routes secondaires afin de courir moins de risques d'avoir un accident en conduisant les yeux pleins d'eau. Ce n'est que lorsqu'un ami d'un ami qui connaissait quelqu'un qui avait vécu un deuil m'a donné des renseignements au sujet du réseau PAIL que j'ai commencé à voir comment je pouvais apprendre à intégrer la mort de mes bébés dans ma vie.
Le réseau PAIL est maintenant un programme financé par la province en Ontario, dont le mandat est d'accroître le soutien aux familles qui ont perdu un bébé pendant la grossesse ou jusqu'à l'âge de 12 mois. Cela comprend, sans s'y limiter, les fausses couches, les mortinaissances, les interruptions médicales de grossesse, le deuil périnatal, la perte d'un nourrisson, de même que les familles dont le bébé meurt subitement et de façon inattendue, comme dans les cas du syndrome de mort subite du nourrisson.
Nous offrons également de la formation aux professionnels de la santé qui s'occupent des familles au moment où elles vivent leur deuil, afin de leur fournir des renseignements fondés sur des données probantes pour leur permettre d'offrir l'aide la plus appropriée et compatissante. La première chose que nous avons faite a été de recueillir de l'information auprès des familles et des professionnels de la santé dans le cadre d'une évaluation provinciale des besoins et de mener un sondage en ligne.
Notre évaluation des besoins dans la province nous a appris que les familles et les professionnels de la santé considèrent la formation comme une priorité claire, car trop souvent, les familles sont encore plus blessées par leur expérience des soins en santé au moment de leur perte. C'est ce qui est ressorti également de notre sondage. Cette recherche a été menée par Jo Watson, notre directrice, et les résultats ont été renversants.
En résumé, la recherche a révélé que 53 % des familles n'avaient pas l'impression d'avoir été traitées avec gentillesse et respect au moment de leur perte; 72 % n'ont pas reçu l'information dont elles avaient besoin à ce moment-là, et 45 % n'ont pas été informées des mesures de soutien disponibles.
La formation permet d'équilibrer les choses, tant pour les professionnels de la santé que pour les fonctionnaires qui administrent des programmes conçus pour aider les familles. Je sais que vous avez entendu parler de familles qui ont été traitées avec un grand manque de tact lorsqu'elles ont demandé de l'information et de l'aide financière au gouvernement, tout comme le réseau PAIL a entendu des familles dire qu'elles n'avaient pas reçu le soutien et l'aide nécessaires au moment de leur perte. La formation peut changer cela, la formation sur les besoins uniques des familles qui ont subi des pertes incommensurables et qui se retrouvent dans le noir à la recherche de la voie à suivre. Il est bien reconnu dans le domaine de la périnatalité et de la perte d'un enfant que la mort d'un bébé est une perte traumatisante qui mérite d'être traitée comme telle, peu importe si un diagnostic clinique de trouble de stress post-traumatique a été fait.
Les parents endeuillés méritent que soient protégés leurs droits, qui sont énoncés dans un document du Women's College Hospital de Toronto et cités dans des programmes partout en Amérique du Nord. L'un de ces droits prévoit que les parents reçoivent de l'information sur les ressources susceptibles de les soutenir dans le processus de guérison.
Selon moi, ces ressources de soutien devraient comprendre des programmes gouvernementaux permettant aux familles d'avoir accès à des congés. Une prestation universelle de deuil par suite de la perte d'un enfant offerte par du personnel formé du gouvernement pourrait faire une réelle différence pour les familles qui ont besoin de temps pour entreprendre le travail pénible de deuil de leur bébé.
À cette fin, j'aimerais souligner l'incidence qu'une stratégie nationale d'aide aux personnes endeuillées pourrait avoir sur les familles partout au Canada. Des programmes comme le réseau PAIL, peut-être sous la forme de sections locales dans chaque province, sont susceptibles de remédier à l'iniquité des services de soutien aux parents endeuillés dans notre pays. Cette approche permettrait d'assurer l'uniformité des services tout en répondant aux besoins individuels des provinces.
La prise en charge conjointe du financement par la province et le gouvernement fédéral assurerait la durabilité de la démarche et entraînerait sans nul doute l'amélioration de la santé mentale des parents, ainsi que de l'accès au soutien et à l'information, tout en réduisant la stigmatisation associée à la grossesse suivie par la perte d'un nourrisson. Les programmes financiers mis en place pour appuyer le congé de deuil doivent être expliqués à la famille, et l'accès à ces programmes devrait prévoir que les familles disposent de professionnels de confiance pour les guider tout au long du processus.
Des programmes comme le réseau PAIL pourraient jouer un rôle important pour combler l'écart très grand qui existe entre une famille en deuil et les services nécessaires pour l'aider à s'engager sur la voie de l'espoir et de la guérison.
En terminant, je vous exhorte à envisager des recommandations qui comprennent du soutien, de la formation et des lignes directrices claires pour les familles qui ont besoin d'un congé de deuil.
De tout mon coeur, merci.
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Nous devons songer à mettre en place des systèmes correspondant aux différents types de décès. Ce à quoi nous assistons lorsque se produisent des catastrophes et des situations de terreur — souvent en même temps — justifie une intervention gouvernementale. Nous avons un bien meilleur système dans ces cas que pour ce que vivent les gens au quotidien, mais nos systèmes doivent inclure à la fois ce qui se passe individuellement et collectivement. Par exemple, la Norvège est un très grand pays, comme le vôtre, et il est extrêmement long de voyager du nord au sud. Il faut disposer de ressources localement. Des structures doivent être en place dans les hôpitaux et les collectivités au niveau local.
Nous avons fait des recherches sur les structures nécessaires pour obtenir un bon soutien au fil du temps. Un responsable doit être désigné. Il doit y avoir un bon lien entre l'aide primaire et l'aide secondaire, au moment où une aide plus spécialisée est nécessaire, et compte tenu du nombre de cas qui se présentent — des complications liées au deuil, qui font maintenant partie de la Classification internationale des maladies... Je ne sais pas si vous connaissez la classification de l'OMS. En juin, on y a inclus le trouble du deuil persistant. En Europe, nous suivons la CIM, et non pas le DSM comme États-Unis. Je ne sais pas ce que vous utilisez au Canada. On peut ainsi reconnaître qu'il y a des gens qui vivent un deuil, puis qui continuent à éprouver des problèmes. Lors de la perte d'un enfant, les risques d'avoir ce genre de problèmes sont très élevés.
Dans notre première étude, nous avons déterminé qu'environ 50 % des personnes éprouvent ce genre de problèmes après un suicide, une expérience de syndrome de mort subite du nourrisson et un accident. Les cas étaient un peu moins nombreux pour le syndrome de mort subite du nourrisson que pour les deux autres. Il faut beaucoup de choses pour mettre en place un système permettant d'obtenir une recommandation précoce ou un transfert à des services spécialisés. Tous les membres des familles qui perdent un enfant sont affectés.
L'une des choses que nous constatons maintenant, c'est que même si nous avons une équipe de crise dans chaque collectivité en Norvège, qui assure un suivi en cas de décès soudain, il y a un manque de continuité lorsqu'il faut plus qu'un suivi immédiat. Il faut un protocole pour la suite des choses, afin de veiller à ce que les familles reçoivent l'aide dont elles ont besoin au fil du temps. Si vous examinez les études qui ont été faites dans le monde entier, vous constaterez que plusieurs pays ont mis en place des systèmes de suivi à court terme, mais pas à long terme. C'est là que le besoin est le plus criant.
Ces structures sont nécessaires. Il faut un système qui fournit de bons renseignements. L'information est souvent ce que les parents trouvent le plus utile, mais celle-ci doit leur être fournie avec des précautions. Cela veut dire qu'il faut fournir cette information prudemment. Il ne s'agit pas seulement d'obtenir l'information. Il s'agit d'obtenir l'information dans un environnement bienveillant. La combinaison des deux est la plus appropriée pour les interventions en situation de crise.
Par ailleurs, un accès à des groupes de soutien parental est nécessaire. Je ne me souviens plus du nom. C'est un nom français que vous avez mentionné, avec l'autre personne qui comparaît ici. Il y a beaucoup à faire pour mettre en place des structures pour le suivi et répondre aux besoins à long terme également.
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La plupart des familles dépendent des services institutionnels. Cela signifie que l'équipe de crise de la collectivité rencontre chaque famille. Si c'est à l'hôpital, la responsabilité revient à l'hôpital.
Les services spécialisés sont des services de deuxième ligne. Si une personne souffre vraiment beaucoup, on la réfère aux services de deuxième ligne et elle rencontre habituellement un spécialiste en psychologie. Ce n'est pas automatique, et nous faisons un meilleur suivi des traumatismes que des pertes. Maintenant, compte tenu de la nouvelle situation en ce qui a trait au diagnostic, le deuil est davantage reconnu dans le système public. Les équipes de crise que nous avons, dans toutes les communautés en Norvège, s'occupent principalement des pertes soudaines, c'est-à-dire souvent le décès d'un enfant. Environ 90 à 95 % de leur travail est consacré au deuil. C'est ainsi que notre système fonctionne.
Ensuite, il y a les organisations nationales. Il n'y en a pas beaucoup, seulement trois ou quatre. L'une d'elles s'occupe du deuil par suite d'un suicide. Une autre est chargée des enfants, avant l'âge de 4 ans. Il y en a une troisième également. Ces organisations offrent des services de soutien. L'ancienne association qui s'occupait des morts subites du nourrisson et qui porte maintenant un autre nom, a organisé une fin de semaine consacrée à cette question. Je vais à Tromso demain, à Trondheim le lendemain, puis à Oslo, où quelque chose est organisé en lien avec les façons de réagir advenant un deuil. Il y a beaucoup de gens qui participent à ces événements, qui sont donc très utiles.
Ce qui manque, c'est que ces organisations ne sont pas appelées à intervenir toutes en même temps. Ce n'est pas prévu automatiquement dans le système hospitalier. J'aurais aimé cela. C'est là qu'intervient la science, mais elles ne sont pas autorisées à simplement jouer un rôle d'information. Il y a des lois qui l'interdisent. Il serait beaucoup mieux de les voir collaborer directement avec le gouvernement ou que les choses soient payées par le gouvernement.
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Attendez que je parle en français.
Je suis titulaire d’une chaire de recherche canadienne sur la santé psychosociale de la famille.
[Français]
Je suis chercheuse-boursière principale du Fonds de recherche du Québec en santé.
[Traduction]
Je suis également directrice du Centre d’études et de recherche en intervention familiale. Chantal est co-chercheuse principale.
Nous avons réalisé environ sept travaux de recherche, principalement au cours des 15 dernières années, mais je fais de la recherche depuis 20 ans sur le deuil prénatal. Nous sommes toutes deux cliniciennes. Nous animons des groupes de soutien prénatal depuis 20 ans à l’Université du Québec en Outaouais. Nous rencontrons les familles tous les mois et nous organisons aussi des groupes de soutien pour la prochaine grossesse. Tout ce travail est du bénévolat.
[Français]
Je vais vous présenter un bref survol du phénomène du décès périnatal et vous parler très brièvement des séquelles qu'il peut avoir sur la santé mentale des parents, sur la relation de couple et sur le développement de l'enfant, des effets du manque de reconnaissance de deuil dans la société et au travail, des conséquences économiques de l'absentéisme et du présentéisme et de ce dont les familles canadiennes ont besoin.
On estime qu'une grossesse sur cinq se termine par un décès périnatal et précoce — j'aimerais d'ailleurs qu'on me pose une question sur la raison pour laquelle je dis « on estime ». Cela représente environ 100 000 décès par année au Canada.
Les services de santé et les services sociaux offerts aux familles en deuil sont inégaux d'une province à l'autre, d'une région à l'autre dans une même province et même à l'intérieur d'une même région. Un parent peut donc avoir accès à un service donné s'il demeure, par exemple, à Laval, mais pas s'il demeure à Montréal. Il doit alors aller dans une autre région pour avoir accès à ce service.
L'accès à un congé parental payé est aussi inégal entre les pères et les mères. Pour les mères, il varie selon la province de résidence et la durée de la grossesse. Je pourrai également répondre à des questions là-dessus.
Ces éléments contribuent à la non-reconnaissance du deuil périnatal et, selon nous, réduisent le rôle du père à un rôle de géniteur et de pourvoyeur financier. Cela perpétue le stéréotype selon lequel l'engagement du père dans le projet familial se situe sur le plan de la conception et non sur le plan de l'engagement affectif.
Pourtant, les séquelles d'un décès périnatal sont réelles, à court et à long terme. Des familles sont venues vous parler. Les deux parents vivent une lourde perte et un chagrin intense. Le décès périnatal et le deuil subséquent ont des effets délétères sur la santé mentale des femmes et des hommes jusqu'à cinq ans après le décès. On parle ici de dépression, d'anxiété et de deuil persistants. En matière de recherche, on commence à parler de stress post-traumatique et de somatisation.
Dans le cadre de nos études, nous avons rencontré des milliers de parents au cours des 15 dernières années. Les femmes ont parlé de pensées suicidaires. En effet, 16 % d'entre elles ont pensé au suicide. Présentement, nous faisons des accompagnements dans le cadre d'une autre étude longitudinale en cours, et certains pères pensent au suicide après la naissance de l'enfant suivant. Les symptômes persistent donc durant la grossesse et perdurent après la naissance d'un enfant en bonne santé.
Quant à la relation de couple, il y a un risque accru de tensions conjugales, de séparations et de divorces. Même si certains couples peuvent se raffermir et se consolider après une telle tragédie, cela dépendra beaucoup du soutien qu'ils recevront et de la façon dont ils réussiront à traverser ensemble cet événement. Quand monsieur retourne travailler le lundi matin après la fausse couche ou après le décès et que madame est seule à la maison à pleurer, on peut imaginer que cela crée des tensions.
Il y a des risques accrus de troubles de santé mentale tels que l'anxiété, entre autres, lors de grossesses suivantes. Il y a un risque accru de décès périnataux. Lors d'une première grossesse, une femme de 25 ans a une chance sur cinq de vivre une fausse couche ou un décès périnatal, et une chance sur quatre une fois qu'elle a vécu un premier événement. Le risque de vivre plusieurs décès périnataux au cours d'une vie est donc accru.
Il existe des études internationales et canadiennes en ce qui concerne les effets postnataux. À Calgary, les bébés nés de mères qui sont dépressives au départ, et pas nécessairement à la suite d'un décès, courent davantage de risques de faire eux-mêmes une dépression plus tard. On commence donc à parler d'un trouble immunitaire qui serait génétiquement transmis de la mère à l'enfant durant la grossesse. Si elle porte une fille, la mère va transmettre ceci à sa fille, qui va le transmettre aussi à la prochaine génération. Il y a donc une transmission intergénérationnelle de troubles de santé mentale et des coûts y sont associés.
Certains effets postnataux sont aussi nommés. Certains de nos collègues américains ont fait des études sur une période de 25 ans sur des cohortes de parents qui ont vécu des traumatismes, dont des décès. On voit que les bébés qui ont un parent dépressif ont un risque accru de dépression et de troubles intériorisés et extériorisés pendant l'enfance et à l'âge adulte. Cela varie selon le genre du parent. Je pourrai vous en reparler.
Les effets du manque de reconnaissance du deuil dans la société au travail se vit dans les espaces médicaux, familiaux et sociaux, mais l'espace du travail est celui où le deuil est le moins reconnu. Je pourrai y revenir tantôt.
Le silence qui entoure la souffrance et la détresse des hommes endeuillés qui, comme les mères, doivent apprendre à vivre avec le décès d'un enfant, les force à retourner au travail, alors qu'ils sont physiquement et psychologiquement ébranlés. Il en résulte un haut taux de présentéisme et d'absentéisme.
Je vais passer tout de suite au coût du présentéisme et de l'absentéisme. Les évaluations canadiennes indiquent: que les coûts de productivité liés aux troubles de santé mentale sont de 17,7 milliards de dollars annuellement; que les coûts de présentéisme sont habituellement de 5 à 10 fois plus élevés que ceux de l'absentéisme; et que les symptômes de dépression de deuil et d'anxiété sont liés à une baisse de productivité, de concentration, d'habileté de résolution de problèmes, de prises de décision et à davantage d'accidents au travail.
Il y a aussi des conséquences économiques directes et indirectes en matière d'utilisation accrue des systèmes de santé. Si on n'a pas l'aide dont on a besoin au moment de l'événement, on va consulter à répétition pour le même événement. Les conséquences sur les enfants déjà présents et les enfants qui naissent par la suite sont encore très méconnues, de même que celles sur la famille étendue — monsieur en parlait tantôt —, soit les grands-parents qui sont en deuil, et sur les familles d'origines culturelles diverses. On en sait encore très peu sur ce qu'elles vivent.
Ce dont ont besoin les familles — tant les mères que les pères —, c'est la reconnaissance de leur deuil par des programmes de sensibilisation sociétale, par des programmes en milieu de travail et par des congés de deuil pour les deux parents. Ils ont besoin d'être accompagnés par du personnel sensible et compétent qui reconnaît leur spécificité culturelle et leur trajectoire de deuil, qui peut varier, et ce, tout au long d'un continuum de soins. Il faut non seulement mettre en oeuvre des programmes, mais également les évaluer. En effet, on élabore et on met en place des programmes, mais on ne sait pas s'ils apportent quelque chose à la vie des parents. Il nous faut plus de statistiques précises qui nous permettent de savoir combien il y a de décès tardifs et précoces. Il nous faut plus également des recherches longitudinales, pour que ce ne soit pas toujours alimenté par des résultats recueillis dans d'autres pays. Nous avons une spécificité culturelle, au Canada, et nous ne connaissons pas les trajectoires de deuil des familles et leurs répercussions à long terme, parce que nous n'avons pas d'études là-dessus.
Nous n'avons pas non plus d'études sur les effets du deuil au travail. Un article qualitatif va être soumis prochainement, mais nous n'avons pas d'étude quantitative. Nous avons peu d'études. Nous avons réalisé une petite étude sur la spécificité culturelle lors de l'accompagnement des familles, mais nous avons besoin d'une évaluation des programmes. Les groupes de deuil, entre autres, ont peu souvent été évalués. Nous ne savons pas s'il est mieux qu'ils soient formés de deux parents bénévoles ou d'un professionnel accompagné d'un parent.
Je vous remercie.
Le 29 mai 2014, j’ai donné naissance à mon premier enfant, ma fille Hazel Rose. Elle est née en bonne santé, heureuse et parfaite à tous points de vue. Nous avons passé trois mois extraordinaires avec elle dans nos bras, les trois mois les plus heureux de notre vie. Il n’y avait aucun signe, aucun avertissement, aucune pensée qu’elle aurait pu nous quitter aussi brusquement qu’elle l’a fait, mais le 31 août, elle s’est endormie et ne s’est jamais réveillée.
Cette journée restera gravée à jamais dans ma mémoire. Quand j’y pense, même quatre ans plus tard, la tête commence à me tourner et mon ventre à se nouer. Ce que nous avons vécu ce jour-là et dans les semaines et les mois qui ont suivi, personne ne devrait avoir à le vivre. C’est une expérience que personne ne peut imaginer, à moins d’avoir soi-même perdu un enfant.
Nous devions répondre à des questions qui ne nous étaient jamais venues à l’esprit et nous ne savions pas si les décisions que nous prenions étaient bonnes. Serait-elle inhumée ou incinérée? Quels vêtements voulions-nous qu’elle porte? Où resterait-elle, au cimetière ou chez nous?
Ensuite, nous avons dû planifier les funérailles. Mon mari Gareth et moi avons créé un diaporama de nos photos les plus précieuses. Nous avons dû choisir le lieu de la cérémonie, prévoir de la nourriture et des breuvages chauds à servir, puis composer des discours pour montrer, tant bien que mal, à tous combien nous avions aimé notre petite fille et combien elle nous manquait. Je pouvais à peine me brosser les cheveux, encore moins être présente auprès de la centaine d’amis et membres de notre famille, mais je n’avais pas le choix. Car même si le coeur de Hazel avait cessé de battre, le mien, lui, continuait de battre, que je le veuille ou non.
Le monde, pourtant, continuait de tourner autour de moi, mais je restais submergée de chagrin et de tristesse. Je ne voulais m’occuper l’esprit de rien d’autre que les souvenirs de ma magnifique fille. Assez tôt, j’ai commencé à voir un conseiller de personnes en deuil que m’avaient proposé les Services de santé de l’Alberta. J’avais besoin d’un exutoire et de quelqu’un qui pouvait m’aider à comprendre les nouvelles émotions qui m’habitaient. Je ne m’étais jamais imaginée que le chagrin pouvait entraîner un tel flot de sentiments affreux.
Je ne reconnaissais pas la personne que j’étais devenue, mais je ne me souvenais pas non plus de la personne que j’avais été. Disparue la femme extravertie, heureuse, bavarde et confiante que j’avais été. J’avais peur de me trouver en public. J’étais remplie d’anxiété sociale intense, et je craignais tout ce qui pouvait me rappeler ce que j’avais perdu et qui j’avais perdu, mais les rappels étaient partout: femmes enceintes, familles rieuses, bébés au sein. Le terrain était semé de mines.
Il y avait tant de choses auxquelles je ne voulais pas penser dans les jours qui ont suivi le drame, comme l’argent, le travail, l’exercice, la cuisine, l’alimentation, pour n’en nommer que quelques-unes. Le retour au travail était la dernière chose à laquelle je voulais penser, mais le sujet revenait dans la conversation beaucoup plus souvent que je ne l’aurais voulu.
Ceux autour de moi qui ne comprenaient tout simplement pas ma détresse supposaient, bien à tort, que le travail était un bon dérivatif. J’ai pour profession d’enseigner à des élèves ayant des besoins spéciaux. Je n’ai pas de bureau où je peux m’enfermer, pour pleurer s’il le faut. Je suis plutôt entourée toute la journée de dizaines de personnes et j’ai à prendre des décisions importantes concernant les besoins des élèves que je soutiens et des adjoints que je supervise. La dernière chose que je voulais, c’était un dérivatif.
Je me suis sentie tellement isolée, si seule dans ma douleur, que j’avais besoin de la comprendre et de passer au travers pour me sentir humaine à nouveau et trouver quelque espoir. Personnellement, je ne crois pas qu’on comprenne bien la détresse du deuil, surtout dans le cas de la mort d’un enfant, et les gens savent rarement comment soutenir les parents en deuil. Souvent, on dit ou on fait des choses avec de bonnes intentions, mais avec des résultats lamentables, causant dans bien des cas plus de tort que de bien. Revenir au travail quelques semaines ou même quelques mois après la perte d’un enfant, c’est devoir répondre à des questions au sujet de sa famille de la part de personnes qui ne savent pas que vous êtes toujours en deuil, c’est devoir écouter les autres parler de leur famille et de leurs enfants et se faire servir des platitudes sur la façon de s’en sortir. Pour moi, ce n’était tout simplement pas un milieu sain.
Mon mari et moi avons fait des recherches en ligne pour nous renseigner sur ce qu’il fallait faire quant à l’assurance-emploi, à mon travail et à notre situation financière, puisque personne au salon funéraire ou à l’hôpital ne nous a dit ou ne savait ce que nous étions censés faire. Nos recherches nous ont appris qu’il existait une prestation d’assurance-emploi pour les parents d’enfants assassinés ou enlevés, qui, je le sais, a été récemment remplacée par une prestation pour les parents de jeunes victimes d’actes criminels. J’ai lu cela à maintes reprises et j’ai poursuivi mes recherches, persuadée qu’il devait y avoir quelque chose pour les parents ayant perdu un enfant disparu autrement, mais je n’ai rien trouvé. J’en étais incrédule et je me suis dit que le gouvernement devait penser que, dans le cas d’un enfant enlevé ou assassiné, les conséquences étaient peut-être plus graves que dans le cas d’un enfant mort de maladie ou de cause indéterminée et que les parent de celui-là méritaient d’être soutenus, mais pas les parents de celui-ci. Malheureusement, le résultat est identique: un parent fera le deuil de son enfant jusqu’à son dernier jour, quelle que soit la cause de sa mort.
Quelques jours plus tard, j’ai appris que je devais me présenter à Service Canada pour annuler mes prestations d’assurance-emploi et me renseigner sur mes options. On m’a dit qu’il y avait de bonnes chances que je sois admissible aux prestations de maladie. J’étais un peu confuse, car je savais que c’était différent du soutien accordé aux parents d’un enfant assassiné, mais les prestations de maladie ne me semblaient pas devoir s’appliquer non plus, car je n’étais ni malade ni blessée. J’étais brisée et en deuil, mais je sentais bien que je n’entrais dans aucune des cases définies.
Cependant, je me sentais soulagée d’être admissible à la prestation, même si je savais que 15 semaines ne seraient pas assez. Je sais maintenant que je n’avais droit aux prestations de maladie que parce que je n’y avais pas eu recours pendant ma grossesse avec Hazel. Au bout du compte, je n’ai pas pu bénéficier de l’assurance-emploi, mais plutôt d’un congé d’invalidité de courte durée dans le cadre de mon emploi, puis d’un congé de longue durée. J’ai fini par m’absenter du travail pendant exactement deux ans. En tant qu’enseignante, je suis reconnaissante d’avoir eu accès à ces prestations et de ne pas avoir été obligée de retourner au travail alors que je n’étais pas physiquement ou mentalement capable d’y être.
Quelques semaines après la mort de Hazel, j’ai reçu par la poste un avis de Service Canada m’informant que j’avais reçu de l’argent en trop au titre de la prestation fiscale pour enfants et que je devais rembourser la somme excédentaire au gouvernement sans tarder. La somme à rembourser était environ 550 $. Je ne me doutais aucunement que j’avais trop reçu et que je devais rembourser une somme de cette importance.
Je n’ai pas eu la possibilité de payer en ligne. J’ai même téléphoné pour voir si c’était possible, car j’évitais à tout prix de me trouver en public. Partout où j’allais, il y avait des rappels déclencheurs, et je n’étais pas émotionnellement prête à me livrer à des bavardages légers, ni à prendre le volant en toute sécurité. Malheureusement, je n’avais pas d’autre choix que de me présenter à la banque en personne. C’est ce que je redoutais, car ce n’était que quelques semaines plus tôt que j’y avais ouvert un compte REEE pour Hazel. La banque étant à distance de marche de ma maison, je me suis forcée d’y aller. Je n’avais pas tellement le choix.
La caissière m’a immédiatement reconnue et m’a demandé où était mon beau bébé. Je l’ai regardée en silence, puis j’ai réussi à lui dire qu’elle était décédée. La caissière a froncé les sourcils et m’a répondu que sa nièce avait fait une fausse couche récemment et qu’elle comprenait ce que je vivais. Je suis restée là, hébétée, puis je suis sortie aussi vite que j’ai pu. J’ai été physiquement incommodée, alors même que les clients circulaient autour de moi. Il va sans dire que je ne suis pas retournée à cette banque depuis. J’espère que les choses ont changé depuis la mort de Hazel il y a quatre ans et que les parents peuvent désormais faire ces remboursements en ligne ou, mieux encore, pas avoir à les faire.
Après deux ans de deuil, j’ai créé, en souvenir de Hazel, une fondation appelée Hazel’s Heroes. Elle offre, sans frais pour la famille, des retraites de guérison aux mères qui ont perdu un enfant de moins de 12 ans. Grâce à la société Hazel’s Heroes et aux divers groupes de soutien dont je fais partie, j’ai rencontré des dizaines, voire des centaines, de parents endeuillés. Beaucoup d’entre eux m’ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de leur retour au travail et de leurs difficultés à gagner suffisamment d’argent, faute de toucher un chèque de paie ou des prestations sociales. C’est tout simplement déchirant. Le deuil ne vous touche pas seulement sur le plan émotionnel; il vous atteint dans chaque fibre de votre être. Ce qui m’a le plus aidée dans mon deuil, ce n’est pas de retourner au travail et de trouver des distractions, mais plutôt de consacrer du temps à des activités se rattachant à mon deuil, comme le counselling, la participation à des groupes de soutien, la tenue d’un journal et ma présence auprès de personnes qui comprenaient ce que je vivais.
Il est tellement important de reconnaître, en tant que société, la nécessité de donner aux parents endeuillés la possibilité de vivre paisiblement leur épreuve, de trouver de nouvelles façons de prendre soin de l’enfant qui n’est plus dans leurs bras et de trouver une nouvelle normalité. Le gouvernement peut aider à faire en sorte que cela se produise, et j’espère que le Comité pourra trouver une solution pour mieux soutenir les parents après la perte tragique d’un enfant.
Merci de votre attention.
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Eh bien, je pense que c’est différent pour chaque personne, tout comme je sais que le deuil est différent pour chaque personne. Dans le cas de mon mari, il est retourné travailler trois semaines après la perte de Hazel. J’aime l’idée de la motion M-110 qui prévoit au moins un délai de grâce. C'est un peu de temps que le gouvernement nous donne en nous disant: « Écoutez, nous savons que le retour au travail en ce moment n’est pas la meilleure chose pour vous. » Cependant, les gens ont aussi le choix de retourner au travail et de ne pas profiter de cet avantage. Ils auraient le choix.
Dans mon cas, j’ai pris ces deux années supplémentaires. Je pense que cela dépend vraiment, pour les familles, du travail qu'elles ont choisi de faire. Pour ma part, j’ai eu un autre enfant pendant ces deux années et je n’aurais pas pu retourner travailler avec un nouveau-né. Je pense que chaque situation est différente, mais je pense qu’accorder un délai de grâce...
Je ne pense pas que le fait de dire 12 ou 15 semaines, ou un nombre quelconque de semaines, veut dire que vous allez avoir oublié ou que votre deuil sera terminé, mais je pense que c’est une façon d'apporter une certaine aide à ces familles pour qu’elles aient accès à certaines des mesures de soutien qui, je l’espère, sont disponibles.
J’ai beaucoup de chance d’être à Calgary. Je constate, en faisant partie de Hazel's Heroes et en entendant les témoignages des familles de partout au Canada, et même des États-Unis, que j’entends parler des différentes aides offertes dans leurs villes et leurs provinces. J'ai été très chanceuse, à Calgary, de recevoir gratuitement des services d'aide aux personnes endeuillées par l’entremise du Rotary Flames House. Je sais que ce n’est même pas une option dans certaines grandes villes du Canada. Je pense que c’est une chose que nous devons... Je ne sais pas si le gouvernement pourrait examiner l'appui qu'il apporte du côté de la santé mentale.
Comme je l’ai dit, ce peut être une chose bien simple. De toute évidence, la caissière ne savait pas quoi dire, et c’est très normal. Les gens ne savent pas quoi dire lorsqu’il s’agit de deuil et de la perte d’un enfant. Je pense que le fait d'obliger un parent à sortir en public au cours des premières semaines de deuil est un châtiment cruel et inusité. J’avais envie de brandir une pancarte disant « Mon enfant vient de mourir », simplement pour que les gens comprennent de ne même pas me demander: « Comment allez-vous aujourd’hui? » Quelqu’un au supermarché était en train d’emballer mon épicerie et m'a dit: « Comment allez-vous? » Je ne pouvais même pas répondre « Bien. » Mon regard était fixe et j'avais envie de vomir. L’anxiété sociale extrême que vous ressentez, je ne peux même pas l'expliquer. Je n’avais aucune idée que c'était quelque chose qui arriverait.
Dire aux gens qu’ils ne peuvent pas payer en ligne, qu’ils doivent aller dans une banque où ils viennent juste d'ouvrir un REEE pour leur enfant, c’est ajouter beaucoup de cruauté. Je pense que cela pourrait être facilement réglé par une option en ligne. C’est une chose simple qui, à mon avis, devrait être changée rapidement.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie l'ensemble des témoins.
Mesdames de Montigny et Verdon, dans le cadre de cette étude, nous devrons faire des recommandations. J'aimerais que nous réfléchissions au financement des organismes sur le terrain, qui font un travail extraordinaire avec peu de ressources.
Dans l'une de vos recherches intitulée « Les services offerts aux familles lors d'un décès périnatal », un constat ressort de façon évidente: les ressources existantes sont méconnues des intervenants et des parents.
Cette recherche met aussi en lumière un élément qui a été soulevé par de nombreux témoins, et on vient encore de l'entendre: à la suite du décès d'un enfant, les intervenants n'ont pas toujours toutes les réponses et ne savent pas toujours où diriger les parents.
Lors de notre dernière rencontre, j'ai été surprise d'apprendre que Service Canada n'avait aucun outil pour aider les parents ni même pour les diriger vers les services appropriés.
À la lumière de vos recherches et de votre expertise, comment le gouvernement fédéral pourrait-il mieux appuyer les organismes pour qu'ils puissent aider les parents, d'une part, et faire la promotion de leurs services, d'autre part? Ces services existent, mais ils sont méconnus. Est-ce seulement le manque de financement qui fait que ces services sont méconnus? Un organisme comme Service Canada pourrait-il servir de porte d'entrée pour orienter ces gens vers les différents services?
Vous pouvez toutes les deux me parler de financement, d'orientation vers les services et d'accès à l'information.
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L'étude dont vous parlez date de 2010, mais la situation est la même aujourd'hui. Si on refaisait la même étude, on constaterait encore que les services sont méconnus et mal distribués dans la province de Québec et ailleurs au Canada.
En ce qui concerne le décès périnatal, les provinces les plus actives sont le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique. Il y a aussi présentement un peu de services offerts au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Il n’y a pas qu’une solution, il y en a plusieurs. Oui, Service Canada peut répondre aux questions, mais il faut de la formation. Il faut former les gens qui répondent au téléphone.
Nous sommes dans une société qui nie la mort. Dans notre société, il n’y a pas de place pour la mort, alors il est très facile de... Quand une personne ayant perdu un proche retourne au travail, pendant un jour ou deux, les gens lui demandent: « Comment vas-tu? » La semaine suivante, ils s’attendent à ce qu'elle redevienne aussi productive qu'elle l'était, comme si rien ne s'était passé dans sa vie.
La mort est troublante. C’est troublant quand c’est un enfant. C’est troublant lorsqu’il s’agit d’un parent, d’un frère ou d’une soeur. Nous avons besoin d’espace pour vivre ces émotions, pour les intégrer dans nos vies afin que nous puissions éventuellement être plus productifs.
Si vous retournez au travail trop tôt lorsque vous n’avez pas envie d'y retourner, cela fera en sorte que vous serez là, présent, mais que vous ne ferez pas grand-chose, vous serez un simple automate. Certains pères ont raconté qu’ils avaient perdu leur emploi après la perte de leur bébé parce qu’ils étaient retournés au travail trop rapidement et qu’ils n’étaient pas aussi passionnés par leur travail ou aussi productifs qu’avant.
Nous avons besoin de ce temps, et c’est différent pour tout le monde.
Je ne suis pas du même avis que M. Dyregrov, à savoir qu’ils devraient tous retourner au travail rapidement. Certains d’entre eux ont besoin de retourner au travail rapidement, mais nous constatons aussi que, parmi les parents que nous aidons, lorsque les hommes retournent rapidement... Les femmes ont souvent un congé parce qu’elles ont accouché et qu’elles ont des symptômes postpartum. Même si la grossesse n’a duré que 16 semaines et qu’elles n’ont pas droit aux prestations, il y a des changements dans leur corps après l’accouchement. Elles peuvent produire du lait et subissent différents types de changements hormonaux, de sorte qu’elles obtiennent plus facilement un congé de maladie de leur médecin que les hommes. Lorsque l'homme retourne au travail, cela affecte la relation, ils s’éloignent l'un de l'autre.
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Je veux préciser que Service Canada est une porte d'entrée extrêmement importante. Les familles, surtout les familles immigrantes qui arrivent ici, s'adressent à des institutions. Or je pense que Service Canada a bonne presse. Si on écrit sur un site que c'est un deuil reconnu et important et qu'il faut s'y attarder, je crois qu'on envoie déjà un message. Si le message n'est pas passé au sein des centres hospitaliers ou des services offerts dans les diverses provinces et régions, je crois que vous devez être cette porte d'entrée, qui demeure extrêmement importante pour ce qui est de lancer un message convaincant.
Oui, il y a une portée financière mesurable. Les organismes ne sont pas viables s'ils ne reçoivent pas de subventions et s'ils sont méconnus. Une porte d'entrée comme Service Canada pourrait assez facilement mettre sur le Web des ressources accessibles à monsieur et madame Tout-le-monde dans toutes les provinces du Canada. Je pense que, de cette façon, on enverrait déjà un message clair. Il faudrait mettre le site à jour et envoyer un message clair aux provinces sur l'importance de s'attarder à cela, à tous les niveaux, notamment dans les régions et les municipalités.
Cela permettrait de former des groupes de soutien dans tous les organismes de santé ou communautaires. Le message aurait alors une portée pour les parents, parce qu'ils peuvent eux-mêmes banaliser leur situation à force d'entendre un certain message. Il s'agit parfois simplement de démarches auprès du gouvernement pour annuler une carte d'assurance-maladie qu'ils ont reçue alors que le bébé est décédé. Tout peut être compliqué pour ces familles. Par exemple, certains médecins ne signent pas automatiquement le document permettant à la mère de prendre un congé parce qu'ils veulent d'abord lui demander ce qu'elle en pense. Nous sommes tous d'accord sur le fait que, si un médecin pose cette question, il fait naître un doute dans l'esprit de la mère. Ici, c'est clairement indiqué.
Malheureusement, les professionnels de la santé eux-mêmes ne connaissent pas bien ce phénomène. Il faut donc se pencher sur les croyances et les connaissances des professionnels qui travaillent sur le terrain. Il faut savoir que, dans la formation qui est offerte, le deuil fait partie des cours optionnels. Tout à l'heure, il a été question du deuil d'un père ou d'une mère, mais je peux vous dire que le deuil périnatal passe en dernier. Il est donc extrêmement important d'envoyer un message clair, et vous en êtes la porte d'entrée. Qu'il s'agisse des professionnels, des familles ou des municipalités, je pense qu'il est temps que le deuil soit reconnu au Canada. C'est un gage de santé pour la population. Les deuils reportés et banalisés sont souffrants. Les gens accumulent alors toutes sortes de problèmes de santé à long terme. Il faut donc envoyer un message clair.
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Merci, monsieur le président.
Encore une fois, merci à nos témoins de ce matin.
J’aimerais commencer par vous, madame de Montigny et madame Verdon.
Votre présentation était remarquable. Il y a tellement d’information, de faits, d’études, etc. Je suis d’accord avec tout cela, soit dit en passant.
À un moment donné — et je l’ai noté rapidement —, vous avez dit que le travail est un domaine où le deuil est moins reconnu. Cela m'a interpellé, parce qu’il y a de nombreuses années, un ami a vécu le même genre de choses. Vous avez parlé de quelqu’un qui a perdu un être cher en janvier et, qu'en mars, on l'avait mis à pied en lui disant que c'était parce qu’il manquait de passion. Cela me touche parce que j’ai un ami qui a vécu exactement la même chose.
Que peut faire le gouvernement fédéral pour améliorer la situation des gens qui doivent retourner sur le marché du travail et qui souffrent vraiment en silence? C’est une question très vaste.
Nous, politiciens fédéraux, entendons sans cesse dire qu’il y a des limites à ce que nous pouvons faire, parce que c’est peut-être davantage de compétence provinciale. Est-ce plus d’argent pour les provinces? Y a-t-il un soutien direct que nous pouvons donner aux organisations, peut-être un mécanisme de financement fédéral afin que les organisations puissent profiter directement des fonds du gouvernement fédéral?
C’est un problème évident. Encore une fois, votre présentation était excellente. Il y a tellement de choses. Selon vous, comment pouvons-nous aider dans cette situation?
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Il y en a très peu à l’échelle internationale. Nous avons soumis un projet à cinq reprises à l’institut de recherche en santé. Le but était de faire un suivi quantitatif des parents sur une période de trois à cinq ans. On nous a dit, étant donné que les statistiques n’étaient pas vraiment bonnes, qu’il n’y avait qu’une centaine de personnes par année qui étaient endeuillées d’un enfant, alors nous n’aurions pas les parents que nous voulions suivre. Nous avons dû démontrer que les fausses couches sont aussi un facteur important, et nous avons publié des articles sur l’impact des fausses couches sur la santé mentale des mères — jusqu’à deux ans après la fausse couche —, qu’elles sont toujours aux prises avec ce problème.
Je pense que nous devons vraiment nous pencher sur les parents: à partir de leur parcours de deuil, de leur parcours de services, les répercussions sur leur vie, et le déroulement de la grossesse suivante et la croissance et le développement de ces enfants par la suite, pour voir comment nous pouvons le mieux aider ces parents. Nous mettons en place toutes sortes de mesures de soutien, mais elles ne sont pas toujours évaluées.
Chantal et moi avons organisé des ateliers de quatre heures avec des infirmières dans les salles d’urgence. Nous avons pu améliorer les soins de ces infirmières de 100 %, non seulement auprès des parents endeuillés d’un enfant, mais aussi auprès de tous les patients qui arrivaient avec un problème de santé mentale. Après cet atelier, ces patients étaient accueillis différemment.
Ce n’est pas vraiment un gros investissement — quatre heures —: toucher 100 infirmières qui vont toucher 4 000 familles par année, seulement avec le deuil, et toutes les autres. Parfois, mettre l’argent au bon endroit, former correctement les gens, évaluer les résultats de cette formation, les projets que nous avons réalisés avec Movember que vous pouvez voir, avec les DVD et les choses qui sont disponibles en ligne... Ce sont toutes des choses qui aident les parents et qui sont disponibles.
Une chose que je voulais dire, c’est que les 20 semaines dont j’ai parlé tout à l’heure — idéalement, ce serait un an, mais nous devons être réalistes — doivent être flexibles. Certains pères peuvent dire qu’ils sont capables de retourner au travail au bout de quelques semaines, mais peut-être qu’ils seront rattrapés six mois plus tard et constateront qu’ils ont moins d’énergie et de productivité. À mesure que leur conjointe s’améliore, les pères empirent, et ils en sont surpris.
Avoir accès à un soutien en cas de deuil dans le milieu de travail est aussi une façon — pas seulement un soutien psychologique, mais aussi un soutien aux personnes endeuillées, n'ayons pas peur des mots, un chat est un chat. Un soutien en cas de deuil, pour les pères, pour les hommes. Il pourrait être plus acceptable pour eux d’aller chercher ce genre d’aide que d’aller chercher un soutien psychologique.