FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 12 février 1998
[Traduction]
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.
Au nom des membres du comité, je souhaite la bienvenue à M. Jim Fergusson, du Centre for Defence and Security Studies, de l'Université du Manitoba, et également à M. Tariq Rauf, du International Organizations and Non-Proliferation Project, qui est venu de Californie. Merci beaucoup à tous les deux d'être présents ici aujourd'hui.
Je tiens à rappeler aux membres du comité qu'un vote se tiendra à 10 h 15, si bien que le timbre commencera probablement à sonner à 10 heures. Nous devrions vraisemblablement quitter la salle à 10 h 05, alors essayons de respecter cet horaire lors des questions que nous poserons à nos hôtes. Lorsque nous reviendrons, nous entendrons les fonctionnaires de l'OTAN. Nous devrons faire une pause aux environs de 10 h 05, si bien que nous disposons tout juste de 55 minutes. Si chacun de vous deux peut limiter ses remarques d'ouverture à environ 10 minutes, il nous restera plus de temps pour les questions. Je vous remercie encore une fois de votre présence.
Monsieur Fergusson, voulez-vous prendre la parole puisque vous êtes le premier sur la liste?
M. Jim Fergusson (Centre for Defence and Security Studies, Université du Manitoba): Très bien. Merci beaucoup. C'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Mon exposé ne devrait pas durer plus de cinq minutes. Je pense que tous les membres ont reçu une copie de mon mémoire et j'espère que vous avez eu l'occasion de le lire.
Très brièvement, j'essaie dans mon mémoire de souligner trois points importants concernant les armes nucléaires et la dissuasion nucléaire.
Le premier point concerne l'évolution des conditions structurales qui ont émergé depuis la fin de la guerre froide. Cette situation a en fait créé d'importants incitatifs structuraux qui ont poussé les États non dotés de l'arme nucléaire à se lancer ou à investir davantage dans la mise au point non seulement d'armes nucléaires mais aussi, possiblement, d'armes chimiques et biologiques ainsi que de systèmes de lancement perfectionnés.
Le deuxième point concerne l'OTAN et le rôle joué par les armes nucléaires dans le concept stratégique de l'OTAN, centré autour de la question de l'usage en premier qui, à mon avis, sera le seul enjeu important et intéressant qui sera abordé durant l'examen stratégique imminent ou permanent de l'OTAN, annoncé au sommet de Madrid.
• 0910
Enfin, je ferai une série d'observations générales concernant
la politique et le multilatéralisme du Canada et l'importance de
l'engagement du Canada envers l'OTAN ainsi que la relation avec les
États-Unis qui pourrait être influencée par un changement radical
de la politique canadienne.
Très brièvement en ce qui concerne les nouveaux incitatifs structuraux, comme je l'ai mentionné dans le mémoire, la guerre froide a freiné considérablement les incitatifs, pour les États non dotés de l'arme nucléaire dans la périphérie de l'Europe, en vue d'acquérir des armes nucléaires et des systèmes de lancement perfectionnés. Cela n'a pas signifié que les États n'ont pas continué à s'y intéresser ou tout au moins à conserver ou maintenir cette option ouverte mais, pour diverses raisons précises, les liens stratégiques, qui se sont développés respectivement entre les États-Unis et l'Union soviétique et leurs protégés et alliés à la périphérie, ont conféré un éventail d'avantages à ces nations en matière de sécurité, ce qui les a moins incitées à acquérir des armes nucléaires.
Depuis la fin de la guerre froide et l'effondrement de la bipolarité, ainsi que depuis la domination des États-Unis comme chef de file du groupe des nations occidentales, ces contre-incitations structurales ont maintenant disparu. Nous sommes aujourd'hui dans un nouvel environnement stratégique dans lequel, du point de vue de la périphérie ou du monde en développement, il existe de plus en plus d'incitatifs structuraux à acquérir des armes nucléaires et des systèmes de lancement perfectionnés.
Ces incitatifs concernent tout d'abord l'absence de toute capacité d'empêcher notoirement les États-Unis d'intervenir dans des conflits locaux régionaux, si on le souhaite. Cela signifie que ces États nécessitent ou seront intéressés à obtenir des moyens pour essayer d'empêcher l'intervention des États-Unis et de l'Ouest en l'absence de leurs anciens liens de sécurité avec l'Union soviétique.
Ensuite, il y a l'absence ou le caractère contestable des engagements des pays occidentaux en matière de sécurité. Dans le contexte, comme c'était le cas pendant la guerre froide, il n'est plus garanti que les alliés et les protégés de l'Ouest situés dans la périphérie peuvent compter sur une implication des États-Unis dans l'Ouest pour garantir leur sécurité stratégique suite à la division du monde pendant la guerre froide. Au lieu de cela, ils doivent maintenant contester la façon dont les États-Unis feront ou ne feront pas, ou auront la liberté de faire ou de ne pas faire, des choix concernant leur intervention et leurs engagements politiques dans cette région.
Enfin, dans ces deux contextes, il y a la nature changeante de la guerre. Comme je le mentionne, même sous les parapluies nucléaires tacites des États-Unis et de l'Union soviétique, et même en vertu du processus de gestion ou du résultat de gestion qui a découlé de ce parapluie ou de ces ensembles de liens stratégiques politiques, la guerre n'a pas été éliminée comme option possible à des fins politiques. Élément important, cela a servi à limiter la nature de la guerre, c'est-à-dire l'utilisation potentielle de la force militaire pour des options politiques limitées.
En l'absence de liens de sécurité contestables—surtout de la part de l'Ouest, l'effondrement des liens de la Russie avec le monde en développement—les conflits et les crises constatées dans diverses régions pourraient maintenant connaître une éventuelle escalade vers des niveaux beaucoup plus extrêmes, ce qui souligne l'importance croissante des équilibres militaires régionaux et la rentabilité relative, du moins en bout de ligne, de l'achat d'armes nucléaires à des fins dissuasives et éventuellement contraignantes.
Ceci m'amène à mon deuxième point, qui est l'importance de l'OTAN, le rôle joué par l'OTAN, et notre relation au sein de l'OTAN en vue de maintenir son aptitude à pratiquer la dissuasion nucléaire, au besoin, à l'avenir; cela veut dire que, pour l'OTAN, pour l'intérêt de l'Alliance occidentale, pour la communauté des pays de l'Ouest, il existe assurément des situations réelles et potentielles dans lesquelles une intervention ou la nécessité d'exprimer une volonté politique a une importance cruciale. Cette situation pourrait être considérablement minée dans le cas d'une alliance non nucléaire traitant avec des pays déclarés ou secrets ou ambigus à la périphérie, en ce qui concerne leur capacité réelle de déployer et d'utiliser, au besoin, des armes nucléaires. Ce sera dans le cadre d'opérations effectuées en dehors de la zone, comme on les appelle généralement, pour l'OTAN à propos de l'Alliance elle-même par rapport à ses intérêts, mais également à propos d'un rôle potentiel que l'OTAN jouerait en vertu du chapitre 7 des Nations Unies.
En ce qui me concerne, l'enjeu central pour l'OTAN ne consiste pas à savoir si elle devrait maintenir sa capacité nucléaire à un faible niveau avec des aéronefs à double usage ou à double capacité et un nombre relativement faible d'ogives nucléaires qui peuvent être lancées par ces aéronefs, mais plutôt si l'OTAN a besoin de réexaminer sa politique nucléaire actuelle.
• 0915
Comme vous le savez, la politique nucléaire actuelle de l'OTAN
prévoit l'utilisation des armes nucléaires en dernier recours, avec
une réserve à propos de la question de l'usage en premier. Il
s'agit, en soi, d'un changement d'orientation important par rapport
à la politique nucléaire de l'OTAN pendant la guerre froide, qui
était une doctrine explicite d'usage en premier dans le contexte du
conflit en Europe centrale.
Aujourd'hui avec le retrait de la Russie de l'Europe centrale, l'amélioration des relations avec la Russie et les capacités militaires actuelles des membres de l'Alliance de l'OTAN, j'oserais affirmer que la doctrine actuelle de l'usage en premier, d'un point de vue stratégique, n'est plus nécessaire et représente à mes yeux une question importante qui devrait être le sujet abordé dans le cadre de l'examen stratégique qui se déroule dans les sphères de l'OTAN.
Cependant, d'autres questions surgiront à propos du volet politique de l'usage en premier. Je porte à votre attention le fait que la France et le Royaume-Uni, dans le contexte de la nouvelle doctrine stratégique de l'OTAN, ont été les plus réticents à apporter des modifications importantes à la politique stratégique de l'OTAN, pas pour des raisons stratégiques en soi mais principalement pour des questions concernant l'engagement américain en Europe.
Cela me rappelle, et il serait bon de le souligner à l'intention de tous les membres du comité ici présents, que la question des armes nucléaires au sein de l'OTAN est surtout une question politique. C'est une question politique en ce qui concerne l'engagement de l'Amérique du Nord envers la sécurité de l'Europe et de la collectivité des nations occidentales. Le débat se concentrera sur la question de l'usage en premier, ou sur la réserve à propos de l'usage en premier, et sur les images et les croyances concernant cet engagement. Je dirais qu'il y a certains indices à l'horizon qui soulèvent des questions à propos de l'engagement de l'Amérique du Nord dans l'avenir de l'OTAN et de la sécurité en Europe.
Cela m'amène enfin, et très brièvement, à la question du Canada et d'un changement radical de politique. Je ne pense pas ou ne crois pas que le Canada va modifier radicalement sa politique, en dehors de négocier et de discuter ou d'argumenter dans les sphères de l'OTAN au sujet de l'usage en premier, parce que je pense que nous sommes tous conscients du fait qu'un changement radical de la politique canadienne ne servira en fait qu'à marginaliser le Canada encore davantage dans cette collectivité des nations dont nous sommes membres.
Je suggère donc avec insistance et j'affirme aux membres du comité qu'en tant que membres d'une collectivité—et nous sommes membres de la collectivité des nations, de la collectivité transatlantique—grâce à notre engagement nous partageons un certain nombre d'avantages, mais que pour partager ces avantages, nous devons également partager des risques. L'un de ces risques est celui de la sécurité qui découle du rôle important de maintien d'une politique nucléaire de la part de l'OTAN. Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup, professeur Fergusson.
Monsieur Rauf.
M. Tariq Rauf (Directeur, International Organizations and Non-Proliferation Project (IONP), Centre for Non-Proliferation Studies, Monterey Institute of International Studies): Merci beaucoup. Monsieur le président, j'aimerais, par votre intermédiaire, remercier les membres du comité pour cette occasion qui m'est donnée de vous présenter un exposé sur le thème général "Le Canada, l'OTAN et le contrôle des armes nucléaires". Je tiens à vous adresser mes excuses car le texte dont je dispose n'est pas bilingue.
J'aimerais également profiter de cette occasion pour louer les efforts déployés à la Conférence sur le désarmement, dont le siège est à Genève, et à d'autres tribunes portant sur le contrôle multilatéral des armements, par l'ambassadeur canadien pour le désarmement auprès des Nations Unies et par les deux autres membres de sa petite délégation, ainsi que par la Direction de la non-prolifération et du contrôle des armements et du désarmement au ministère des Affaires étrangères. Ces efforts pourraient bénéficier considérablement d'un appui visible de haut niveau de la part de nos chefs politiques et du Parlement du Canada, parlant tous d'une même voix.
À propos de la non-prolifération des armes nucléaires et du contrôle des armements et du désarmement, les leaders politiques du Canada doivent assumer la responsabilité de travailler à la recherche d'un consensus multipartite.
Étant donné les contraintes de temps, j'aimerais déposer devant votre comité cinq points ou recommandations portant sur des questions de non-prolifération des armes nucléaires et de contrôle des armements et du désarmement.
La première recommandation est une coordination plus étroite et améliorée entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense nationale, conduisant à des énoncés harmonisés et à des lignes directrices qui traduisent un équilibre entre les engagements de non-prolifération des armes nucléaires, de contrôle des armements et de désarmement internationaux exécutoires du Canada et les obligations de l'Alliance, le ministère des Affaires étrangères assumant le rôle de chef de file.
• 0920
La deuxième est la réduction et l'élimination des armes non
stratégiques de l'Europe, la zone d'application étant celle définie
en vertu du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe
(FCE), c'est-à-dire de l'Atlantique à l'Oural.
La troisième est un réexamen des politiques d'emploi des armes nucléaires de l'OTAN aboutissant à une déclaration exécutoire, en collaboration avec la Fédération de Russie, sur le principe du non-usage en premier.
La quatrième est un programme, financé par les membres de l'OTAN, en vue de faciliter un délestage du plutonium des armes excédentaires (WPu) en Russie, impliquant sa conversion en combustible à oxyde mixte (MOX) et sa combustion subséquente dans des réacteurs canadiens CANDU.
Et la cinquième est la création d'un groupe de réflexion indépendant et d'un organisme de recherche sur les politiques, à Ottawa, en vue d'élaborer des options stratégiques et de former la prochaine génération de spécialistes canadiens et internationaux en matière de sécurité, le financement étant assuré par un partenariat entre le gouvernement fédéral, l'industrie et des fondations philanthropiques.
Permettez-moi de m'étendre quelque peu sur la première recommandation, c'est-à-dire sur la coordination entre le MAECI et le MDN. Depuis quelques années maintenant, le Canada emmène visiblement le peloton en vue de promouvoir de nouvelles initiatives destinées à faire progresser le contrôle des armes nucléaires dans diverses tribunes internationales. Malheureusement, le Canada a été déçu par ses alliés, ceux de l'OTAN en particulier, qui ont eu tendance à réagir davantage aux points de vue ou aux contraintes exprimés par le leader de l'Alliance.
Dans de nombreux pays membres de l'OTAN, et j'affirmerais même au Canada, les diplomates et les planificateurs de la défense ont tendance à oeuvrer au sein de deux solitudes. Par exemple, dans le cadre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et d'autres tribunes de non-prolifération et de contrôle des armes, les diplomates reconnaissent le lien intégral entre la non-prolifération et le désarmement qui est incorporé dans la "négociation" du TNP et font la promotion des initiatives visant à réduire et à dévaluer le rôle des armes nucléaires dans la sécurité internationale. Par ailleurs, tandis que les communiqués de l'OTAN parlent du rôle réduit des armes nucléaires dans sa stratégie, les planificateurs de l'OTAN trouvent difficile d'aborder sérieusement le rôle des armes nucléaires ou d'envisager des stratégies qui ne reposent pas sur de telles armes dans un environnement d'après-guerre froide.
Cependant, la politique concernant les armes nucléaires et leur rôle permanent dans la sécurité internationale nous incitent à conclure, à l'heure actuelle, qu'au moins à court et à moyen terme il est peu probable que les régimes d'interdiction, du type de ceux négociés pour les armes biologiques et les armes chimiques, puissent être atteints pour les armes nucléaires. Une option constructive pourrait consister à donner du poids à l'engagement juridique, pris par les États dotés de l'arme nucléaire, de poursuivre le désarmement nucléaire, dans le contexte du Traité de non-prolifération, à titre d'objectif sérieux de politique et en raison du fait que le Canada a préconisé d'insister pour que la Conférence sur le désarmement crée un comité spécial chargé de la discussion de fond portant sur les questions de désarmement nucléaire.
À mon avis, ce qu'il faut pour le Canada, c'est qu'à la fois le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense nationale fassent valoir nos points de vue sur les armes nucléaires d'une façon coordonnée et énergique, traduisant à la fois nos propres engagements internationaux et ceux de nos alliés de l'OTAN. Dans la pratique, cela pourrait impliquer des choix difficiles entre nos engagements de non-prolifération, de contrôle des armes et du désarmement, légalement exécutoires sur le plan international, et nos obligations vis-à-vis de l'Alliance.
Dans ce contexte, le comité pourrait envisager de recommander qu'un processus interministériel de consultation et de coordination soit mis sur pied entre le MAECI et le MDN en vue de coordonner et d'harmoniser nos politiques sur la non-prolifération multilatérale et le contrôle des armes avec nos positions au sein de l'OTAN, sous la gouverne et la direction du MAECI. Il serait utile qu'un représentant du MDN puisse se joindre aux délégations canadiennes présentes aux tribunes multilatérales de non-prolifération, dans le but de faire rapport sur les évaluations des positions de la communauté internationale qui pourraient ensuite être pondérées dans nos interventions au sein de l'OTAN.
Le second point porte sur les armes nucléaires non stratégiques. Au cours des cinq dernières années, l'attention a été concentrée sur les réductions, ainsi que la sûreté et la sécurité, des armes nucléaires stratégiques dans le contexte des traités START I et II.
• 0925
Les armes nucléaires non stratégiques, ou tactiques, ont
largement été ignorées après le succès de la conclusion et de la
mise en oeuvre du Traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée
intermédiaire (FNI) et des initiatives unilatérales de Bush et de
Gorbatchev, à l'automne de 1991, sur les armes nucléaires non
stratégiques.
Les armes nucléaires non stratégiques sont celles qui ont une portée maximale de 500 kilomètres. Il paraît que la Russie détient actuellement tout le stock des quelque 19 000 ogives nucléaires non stratégiques produites par l'ancienne Union soviétique, tandis que le stock tactique actif des États-Unis avoisine 1 500 ogives, dont plusieurs milliers en entreposage, et que quelque 150 ogives diverses pour avion B-61 sont toujours déployées en Europe. Traditionnellement, les armes non stratégiques ont été jugées les plus dangereuses et les plus déstabilisatrices, en raison de leur proximité des zones de conflit, du manque de dispositifs PAL sérieux, du danger de prédélégation, ainsi que du risque d'utilisation précoce, préemptive ou accidentelle.
En raison de la détérioration des forces armées russes et du complexe nucléaire, la sûreté et la sécurité des armes nucléaires non stratégiques demeurent très préoccupantes. Ces préoccupations sont encore aggravées suite aux menaces russes de redéployer des armes nucléaires non stratégiques au Bélarus et dans certains des nouveaux États indépendants ou le long des frontières occidentales et méridionales de la Russie. Avec l'avènement des munitions conventionnelles perfectionnées "intelligentes", les armes non stratégiques ne sont plus aussi cruciales, pour les planificateurs militaires, qu'elles l'étaient autrefois à l'apogée de la guerre froide. Même l'armée de l'air américaine préférerait retirer de l'Europe ses bombes restantes B-61.
La sécurité de l'OTAN serait rehaussée si des mesures étaient prises pour codifier les déclarations de 1991 de Bush et de Gorbachev et pour s'entendre sur un cadre d'échange de données concernant le nombre et l'emplacement, l'entreposage central sous surveillance, la neutralisation et le démantèlement des ogives nucléaires non stratégiques.
Votre comité pourrait envisager de recommander au ministre des Affaires étrangères que, dans le cadre du réexamen du concept stratégique de l'OTAN, une discussion générale ait lieu sur les enjeux ou les concepts destinés à trouver des moyens pratiques d'envisager les limites du traité sur les armes nucléaires non stratégiques, ou leur élimination totale, tout au moins dans la partie de l'Europe s'étendant de l'Atlantique à l'Oural.
À propos de la dissuasion nucléaire et du non-usage en premier, dans le monde actuel de l'après-guerre froide, définir la sécurité nationale principalement en termes militaires transmet une fausse idée de la réalité. Près d'un demi-siècle de guerre froide a façonné la question de la sécurité sous forme de simplifications conventionnelles puissantes qui ne sont plus valables. Malheureusement, bon nombre de ces concepts traditionnels et désuets sont toujours très répandus chez certains analystes de la sécurité et planificateurs de la défense. La domination des considérations militaires et stratégiques dans la conduite des relations internationales se poursuit comme un héritage pathétique de la guerre froide.
La dissuasion, en particulier nucléaire, a dominé outrageusement l'équation de la sécurité internationale pendant la guerre froide. L'une des conséquences a été de mélanger diplomatie et stratégie et cette confusion continue à s'infiltrer dans la pensée de bon nombre de gens, même de nos jours. La dissuasion a entraîné les relations internationales dans un processus fondamental de négociation avec des menaces de force. La coercition et la soumission de l'adversaire sont devenues le fondement et le but dominants de la politique étrangère.
Une mentalité résultante instable a envahi la diplomatie et les relations internationales militarisées. Même si les présidents des États-Unis et de l'U.R.S.S. ont convenu qu'une guerre nucléaire ne peut pas être gagnée et ne doit jamais avoir lieu, les armes nucléaires continuent à être maintenues en alerte instable.
Malgré leurs efforts admirables, les partisans du concept de la dissuasion nucléaire ne peuvent pas prouver que les armes nucléaires ont préservé la paix en Europe. Ce que l'on peut cependant prétendre, c'est qu'elles ont joué un rôle de soutien dans le maintien de la paix. Les partisans de la dissuasion ne peuvent pas non plus prouver que les nombreuses crises survenues pendant la guerre froide ont été résolues ou endiguées principalement à cause de la menace d'une guerre nucléaire.
En dépit du climat politique modifié et de la conjoncture favorable pour restructurer les relations internationales sans dépendre des armes nucléaires, d'influents penseurs et planificateurs de la défense aux États-Unis, à l'OTAN et au Canada croient encore en l'intégrité de la dissuasion nucléaire, c'est-à-dire que la stabilité et la sécurité seraient mises en péril en l'absence d'armes nucléaires. Des croyances si profondément ancrées résistent de façon extraordinaire à la nouvelle pensée ou au changement. Le mythe de la dissuasion nucléaire ne mène qu'à un monde irréel.
• 0930
Votre comité pourrait recommander que le Canada, dans le cadre
de l'examen du concept stratégique de l'OTAN, encourage un débat
général sur l'utilité des armes nucléaires en Europe, en
particulier à propos de la politique de l'OTAN de ne pas éliminer
le concept de l'usage en premier. Ce qu'il faut, c'est une révision
et un examen fondamental complet de la politique nucléaire de
l'OTAN. La question du non-usage en premier pourrait être abordée
en collaboration avec la Russie.
La disposition des matières fissiles des armes excédentaires est le quatrième point. Par suite des accords radicaux de réduction des armes nucléaires, la Fédération russe libérera environ 89 tonnes de plutonium et près de 500 tonnes d'uranium très enrichi provenant des ogives nucléaires démantelées. Comme je l'ai mentionné précédemment, en raison de l'effondrement de l'infrastructure nucléaire de l'ancienne Union soviétique, la sécurité des matières fissiles directement utilisables dans des armes est très douteuse.
Il existe un certain nombre de propositions en vue de résoudre la question. Les États-Unis achèteront tout le stock de 500 tonnes d'uranium provenant des ogives démantelées. Le problème qui reste à résoudre est celui du plutonium des armes excédentaires. Le Canada, le Japon et la France se sont tous montrés intéressés à brûler du plutonium ainsi libéré une fois qu'il aura été converti en combustible à oxyde mixte (MOX). Tandis que la proposition française prévoit la combustion de MOX en Russie avec l'aide technique de la France, certains doutes sont émis à ce sujet en raison de l'absence de contrôles appropriés en Russie. Par conséquent, il ne serait pas recommandé de construire un nouveau réacteur au plutonium en Russie.
De même, le Japon ne possède pas les réacteurs pour brûler ce plutonium mais le Canada les a. Sans modifications techniques considérables, nos réacteurs CANDU pourraient consommer ce combustible à oxyde mixte et le combustible utilisé pourrait ensuite être conservé en vertu de garanties internationales.
Cependant, la responsabilité ne devrait pas incomber au seul Canada. Votre comité pourrait envisager d'adresser une recommandation au gouvernement afin qu'il approche ses alliés de l'OTAN et le Japon pour mettre sur pied un programme multilatéral destiné à fournir l'expertise technique et le financement en vue de faciliter l'entreposage provisoire sécuritaire des matières fissiles provenant des armes excédentaires, à aider la Fédération de Russie à convertir le plutonium des armes excédentaires en combustible MOX et à prendre en charge la combustion ultérieure de cette matière dans des réacteurs canadiens CANDU, suivie d'un entreposage permanent avec des garanties de l'AIEA.
En ce qui concerne mon dernier point, je pense que les membres du comité seront quelque peu choqués et inquiets d'apprendre que le Canada est le seul pays du G-7 qui ne dispose pas d'un groupe de réflexion indépendant ou d'un organisme de recherche s'occupant des questions de sécurité nationale et internationale. Alors que le ministère de la Défense nationale finance au moins une dizaine de centres universitaires dans le cadre de son Programme d'études stratégiques et militaires, le Parlement du Canada et le MAECI ont mis fin tous les deux à leurs programmes de financement respectifs destinés à des institutions autres que ce comité.
Le Centre canadien pour le développement de la politique étrangère, créé récemment, fait partie du MAECI. Il réagit au programme de politiques du gouvernement et, à ma connaissance, il n'a pas encore entamé son travail de fond sur les importantes questions de sécurité.
Je prétends que des groupes de réflexion indépendants et des organismes de recherche convenablement gérés font partie intégrante de la société civile et contribuent à une bonne gouvernance. Ils peuvent aider à renforcer les processus démocratiques et à encourager un débat ouvert. L'examen public, l'ouverture et la transparence, bien que présentant des inconvénients, peuvent néanmoins aboutir à de meilleurs politiques gouvernementales et peuvent également contribuer à accroître la compétitivité du secteur privé. Votre comité pourrait envisager de recommander au gouvernement la création d'un groupe de réflexion indépendant ou d'un organisme de recherche, ayant son siège à Ottawa, qui reposerait sur l'expertise de ce comité et qui serait financé par un partenariat entre le gouvernement, l'industrie et des fondations philanthropiques.
• 0935
Enfin, sauf votre respect, puis-je me permettre de dire pour
mémoire qu'il aurait été bénéfique pour les membres du comité
d'entendre les deux fonctionnaires du MAECI et du MDN, qui
viendront après nous, dans le cadre d'une audience ouverte, en
facilitant ainsi le dialogue entre les témoins, entre les
fonctionnaires et entre les points de vue des ONG.
Il y a très peu de choses concernant les questions nucléaires et l'OTAN qui ne sont pas du domaine public.
Pour terminer, permettez-moi de citer un extrait du récent rapport de la Carnegie Commission on Preventing Deadly Conflict, dont les conclusions ont été, paraît-il, bien accueillies par le ministre Axworthy: ”Le monde serait un endroit plus sécuritaire et les risques d'un conflit meurtrier seraient réduits si les armes nucléaires n'étaient pas déployées activement.”
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Les exposés des deux témoins ont été très utiles.
Monsieur Mills.
M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Je pense que tous les membres du comité seraient d'accord pour dire qu'il serait formidable de ne pas avoir d'armes nucléaires.
Ceci étant dit, vous avez minimisé toute l'idée de l'utilisation des armes nucléaires comme moyen de dissuasion.
Il est plutôt futile d'en parler tant qu'il y aura des armes nucléaires en circulation, en parlant de la Russie, des États-Unis, de la Chine, de la France et de la Grande-Bretagne. Ce n'est peut-être pas le véritable problème, car tant que quelqu'un en possédera, je ne peux pas imaginer de ne pas en avoir sur un plan stratégique.
Vous pourriez dire qu'il s'agit d'une idée démodée, mais il me semble tout simplement que c'est la mentalité que vous rencontrerez à propos de cette question.
Lorsque vous dites que vous aimeriez que l'on se débarrasse de toutes les armes nucléaires, nous sommes tous d'accord. Pour moi, ce n'est pas vraiment la question, mais espérons qu'il n'y en aura peut-être plus du tout d'ici 50 ans.
J'imagine que le véritable problème est le danger de voir d'autres gens s'en procurer. Comme le dit M. Fergusson, la nécessité d'en posséder semble croître. Il me semble que les États dévoyés et les groupes individuels d'influence concernés sont ceux... Si ces armes sont aussi mobiles qu'elles semblent l'être, c'est ce que nous pourrions aborder.
Comment les empêcher de les obtenir? C'est une question.
Une deuxième question a été soulevée au sujet du transport de ce plutonium. Sur le plan politique, il me semble également qu'il s'agit là d'un problème très délicat à résoudre. Vous parlez de prendre du plutonium russe et de le transporter, avec les problèmes de sécurité, les problèmes de contamination possible—toute la question du transport. Un problème énorme serait ensuite l'entreposage, car on ne consomme pas tout le plutonium et il reste des déchets nucléaires dont il faut encore s'occuper.
Si vous parlez de chiffres comme 89 000 tonnes, cela semble faire beaucoup de matière.
M. Tariq Rauf: Quatre-vingt neuf tonnes.
M. Bob Mills: Parfait. Je ne sais pas très bien où j'ai trouvé les milliers, mais cela ne fait rien de toute façon.
Vous parlez de l'entreposage de cette matière et des difficultés d'entreposage. Nous avons de la misère à entreposer ce que nous avons à l'heure actuelle. Il me semble que nous nous préoccupons constamment de la façon dont nous allons entreposer ce qui vient de nos propres réacteurs CANDU. Si nous rapportons toute cette matière, cela semble poser un problème.
Je me demande simplement si vous croyez que c'est une idée que l'on pourrait vendre au public canadien sur le plan politique. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.
M. Tariq Rauf: Sauf votre respect, pour répondre à la première partie de votre question, cet argument se résume à l'idée que nos armes nucléaires et celles de nos alliés sont bonnes mais que celles de tous les autres pays sont mauvaises.
En ce qui concerne les armes nucléaires, les menaces de prolifération diminuent et je suis vigoureusement en désaccord avec les énoncés de politique émis par Washington, rédigés par des personnes écoutées qui brandissent de petites fioles d'anthrax, et cetera, et parlent de pays qui mettent au point des armes nucléaires.
Nous n'avons connu que deux cas, et parmi ces deux cas le plus grave était celui de l'Irak. Ce fut un échec de la collectivité internationale qui n'a pas réussi à détecter ce programme plus tôt, mais ce fut également une collusion au sein de la collectivité internationale. Les États-Unis ont appuyé activement l'Irak dans sa guerre contre l'Iran. Ils ont partagé des renseignements de reconnaissance par satellite avec l'Irak. Les Irakiens étaient très bien renseignés sur la façon d'échapper aux satellites américains.
Je pourrais vous donner une longue explication, ce que je ne souhaite pas faire ici maintenant.
L'autre cas qui reste encore à résoudre entièrement est celui de la Corée du Nord. Toutefois, en partenariat avec les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon, ce problème est en voie de résolution.
• 0940
Nous avons donc trois pays à capacité nucléaire qui demeurent
en dehors du traité de non-prolifération—l'Inde, Israël et le
Pakistan. Ces trois pays sont situés dans deux régions de conflits.
Tant que le processus de paix restera dans l'impasse au
Moyen-Orient, ou que les gains réalisés antérieurement seront
annulés, le problème nucléaire, chimique et biologique ne
disparaîtra pas au Moyen-Orient.
En Asie du Sud, nous avons malheureusement un conflit insoluble qui dure depuis 50 ans. Le Canada et d'autres pays ont essayé d'intervenir, mais n'ont malheureusement pas réussi.
À l'heure actuelle, 186 pays sont parties au traité de non-prolifération. Le traité vérifie les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire et vérifie si de nouvelles matières ont été détournées. Nous devons améliorer nos capacités de vérification. L'AIEA le fait encore.
Si, pour les pays les plus puissants au monde, les armes nucléaires sont encore nécessaires, alors je trouve très difficile de justifier pourquoi les petits pays ne voudraient pas également mettre au point ces mêmes armes. Cette logique selon laquelle nos armes nucléaires sont bonnes et nécessaires à cause de la menace de reprolifération est, à mon avis, une fausse logique.
Pour ce qui est du plutonium tiré des armes, oui, il y a des risques au niveau du transport, mais on peut les atténuer. Nous pouvons utiliser des porte-avions et tout le reste. On peut également aborder le problème de l'entreposage des déchets nucléaires. Si nous brûlons le plutonium, il remplacera l'uranium que nous consommerions normalement dans nos réacteurs. Les déchets résultant de la combustion du MOX seraient inférieurs de 30 p. 100 en quantité ou en volume à ceux produits par la combustion de l'uranium naturel. Toutefois, l'inconvénient c'est qu'ils seraient plus chauds sur le plan radiologique. Il faudrait donc les conserver plus longtemps dans des piscines de refroidissement. Puisque le plutonium remplacerait l'uranium qui serait consommé dans tous les cas, nous n'augmenterions pas la quantité de déchets nucléaires à stocker. En réalité, on la diminuerait à un certain niveau.
Oui, j'affirme qu'il serait politiquement difficile de vendre le projet au public canadien, en particulier les itinéraires que les camions suivraient en transportant cette matière, mais j'estime que c'est encore une fois une question sur laquelle il faudrait un débat multipartite et, espérons-le, un consensus. Nous aidons à réduire les dangers de prolifération. Nous aidons à réduire le danger que ce plutonium fasse son chemin vers ce que vous appelez les ”pays dévoyés”—et je ne suis pas d'accord avec l'utilisation de cette expression—comme l'Iran ou l'Irak ou la Libye, qui s'intéressent peut-être à ces matières.
Je vous remercie.
Le président: Très brièvement, M. Fergusson. Il ne nous reste que 20 minutes et nous avons encore environ quatre personnes qui voudraient poser des questions.
M. Jim Fergusson: Je n'approfondirai pas la question de savoir pourquoi ou pourquoi pas et sous quelles conditions—il y a des arguments divers—des États décideront de suivre une filière nucléaire ou une filière chimique et biologique. Bien sûr, s'il y avait une harmonie des intérêts entre tous les États, nous n'aurions pas ce problème, mais la réalité constate la présence d'un conflit. La question des forces militaires et du maintien de ces forces demeure importante pour les États et leur sécurité.
Je tiens à souligner un point concernant la prolifération. Si on emprunte la voie qui mènera à l'avenir à un monde dénucléarisé, de graves problèmes surgiront pour savoir ce que nous ferons lorsque nous découvrirons la présence d'un État qui se procure des armes nucléaires en cachette. C'est dans l'intérêt de notre pays et de nos alliés, et quelle est la probabilité que nous puissions réellement adopter une politique de contre-prolifération—c'est-à-dire une politique américaine—en vertu de laquelle la menace d'une intervention surgira dans des cas où un État est pris sur le point de déployer des armes nucléaires? Serons-nous disposés à le faire? Serons-nous disposés, en fait, à avoir les capacités d'un service de renseignements pour pouvoir identifier le problème et agir assez rapidement dans ces circonstances très dangereuses?
Un monde possédant des milliers d'armes nucléaires n'est pas un monde sécuritaire, mais un monde sans armes nucléaires et dans lequel une des parties parvient par hasard à en acquérir deux ou trois est un monde extrêmement dangereux. J'estime que nous devons faire preuve d'une grande prudence lorsque nous prenons ces éléments en considération.
Le président: Merci.
Monsieur Sauvageau.
[Français]
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Mon premier commentaire est à l'intention de M. Fergusson, qui a déclaré qu'il fallait se méfier des petits pays susceptibles de se doter en cachette d'armes nucléaires. À moins que je ne me trompe, il me semble que, selon ce qu'ont dit les témoins précédents, on ne pourrait voir cela que dans les films. En effet, il leur faudrait un territoire immense, dont la radioactivité serait détectée par les satellites perfectionnés d'aujourd'hui. Donc, à toutes fins utiles, cela semblait impossible.
• 0945
Pourriez-vous d'abord répondre à ce que nous avons
entendu de témoins précédents? Il serait bon de savoir si
effectivement il est possible de faire une telle chose
en cachette ou non.
Vous avez parlé tous deux, principalement M. Rauf, de principes que le Canada devrait proposer sur le plan international. Je n'ai rien contre cela. Cependant, si on agissait de façon concrète et rapide, selon un échéancier, quelles devraient être les actions concrètes que devrait entreprendre le Canada?
Tout d'abord, si on veut, un peu comme on l'a fait dans le cas des mines antipersonnel, occuper une place prépondérante sur l'échiquier international, ne serait-il pas souhaitable que le Canada interdise lui-même la production de corps fissiles sur son territoire, dans le pays, là où il peut agir «unilatéralement».
En deuxième lieu, ne serait-il pas souhaitable que le Canada se déclare zone libre de toute production nucléaire et de transport d'armes nucléaires?
Après avoir fait ces deux actions concrètes sur son propre territoire, ce qu'il peut faire rapidement, le Canada pourrait se placer à la tête d'un groupe de pays favorables à des zones où les armes nucléaires sont interdites.
Si vous en aviez le temps, pourriez-vous répondre à une question concernant l'Irak? C'est un tout autre dossier. Y a-t-il seulement l'Irak, au Moyen-Orient, qui possède des armes chimiques, bactériologiques et de destruction massive, ce qui fait que les Américains se sentent autant menacés?
Je vous remercie.
[Traduction]
M. Jim Fergusson: Si je comprends bien la question, vous demandez s'il est impossible de mettre au point des armes nucléaires en cachette et si nous ne possédons pas de garanties à l'effet que nous pouvons en détecter la mise au point.
L'histoire de la politique internationale est une histoire d'échecs répétés des services de renseignements, et je pense que l'Irak illustre parfaitement ce point. La Corée du Nord constitue un autre bon exemple d'échec des services de renseignements. On suppose beaucoup de choses, en se fiant à l'ancienne technologie, sur ce qu'il faut pour se doter de l'arme nucléaire, et à des hypothèses exigeant de tester l'ogive.
Israël et l'Afrique du Sud—cela dépend de ce que vous pensez des arguments concernant le mystérieux éclair vu dans le sud de l'Atlantique il y a plusieurs décennies et de la probabilité qu'il s'agissait d'un essai nucléaire ou non. L'Inde a assurément fait exploser un engin nucléaire pacifique. Le Pakistan—soupçonné—ne l'a pas fait. À un moment donné, l'Argentine et le Brésil suivaient apparemment cette voie. Personne ne sait exactement jusqu'où ces pays sont allés, bien qu'ils y aient tous les deux renoncés. Quant à la Corée du Nord, évidemment, nous savons maintenant qu'elle possède ou a possédé en réalité au moins suffisamment de matières fissiles pour fabriquer une bombe nucléaire et en a peut-être possédée une, mais une fois encore c'était à cause des événements politiques. Je suis donc très réticent à garantir que nos services de renseignements seraient capables de découvrir de telles infractions.
Il importe de se rappeler que ce n'est pas l'ancien système d'armes mises au point et déployées, de missiles et de silos facilement identifiables, comme au temps de la guerre froide entre les États-Unis et l'Union soviétique. Il existe tout un éventail de systèmes de missiles à lanceurs mobiles qui existent et qui sont mis au point pour être lancés. Il y a également des systèmes aéroportés. Il est évident que ces systèmes ont des limites en ce qui concerne leur utilité militaire mais, en termes politiques, nous assistons à l'émergence de ce que nous pourrions appeler une stratégie ambiguë.
À bien des égards, la question n'est pas de savoir si oui ou non ils possèdent les armes, mais plutôt de savoir si oui ou non nous pensons qu'ils possèdent les armes. Si nous le pensons, l'ambiguïté restructure ou modifie une relation de négociation politique. À mon avis, la chose la plus importante consiste à reconnaître que le rôle et l'utilité des armes nucléaires, en termes de déploiement secret et ambigu aussi bien que manifeste, structurent et modifient les relations politiques. C'est une question politique et non pas militaire et elle ne devrait pas être conçue en termes militaires.
Le président: Mais pour être une question politique crédible, elle doit également être crédible militairement, n'est-ce pas?
M. Jim Fergusson: Oui, il faut que la menace comporte un certain degré de crédibilité, mais la préoccupation entourant les armes nucléaires consiste à les concevoir en termes stratégiques politiques, pas en termes militaires.
Le président: Oui, je comprends cela. Je saisis ce que vous voulez dire.
Benoît.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: Monsieur Rauf, pourriez-vous seulement me répondre par oui ou non? Je m'excuse si je n'ai pas bien compris. Dites-moi seulement si un pays peut en posséder secrètement. Je n'ai pas saisi, dans votre réponse qui était très intéressante, si un pays pouvait être détenteur de l'arme nucléaire en cachette. Est-il possible de répondre à cette question par oui ou non?
[Traduction]
Le président: Si j'ai bien compris la question, la réponse était nettement positive mais je crois que la citation que j'ai entendue disait ”L'histoire de la stratégie politique est une histoire d'échecs répétés de nos services de renseignements”. Je pense qu'il voulait nous dire que nous ne pouvons pas supposer que nous savons tout ce que les autres pays font.
Monsieur Rauf, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Tariq Rauf: Je voudrais exprimer mon désaccord. Israël a eu besoin de l'aide de la France, avec la fourniture du réacteur Dimona, pour obtenir l'expertise nucléaire. L'Inde et le Pakistan ont reçu l'aide du Canada et des États-Unis avec des réacteurs nucléaires pacifiques. La Chine a aidé le Pakistan. La République populaire démocratique de Corée n'a pas été un échec. C'est l'AIEA qui a détecté à temps le problème du plutonium.
L'Irak a été un échec des services de renseignements. J'ai déjà expliqué en partie pourquoi ce fut un échec.
Pour répondre aux questions directes qui m'ont été posées, je n'ai pas préconisé d'échéancier pour les réductions nucléaires. Ce que j'ai dit c'est que le Canada devrait appuyer, et nous le faisons à Genève, un débat sur les armes nucléaires. Malheureusement, les États-Unis ne sont pas intéressés à des débats sur les réductions des armes nucléaires dans un forum multilatéral.
Lorsque vous avez dit que le Canada accroîtrait sa crédibilité en se débarrassant de toutes les installations nucléaires sur son territoire, je pense qu'il faut faire une distinction entre les armes nucléaires et les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité, pour la radiothérapie dans les hôpitaux, pour le traitement par rayonnement en agriculture. Il s'agit de deux choses tout à fait distinctes. On peut vérifier très facilement les utilisations pacifiques à des fins non militaires. Au Canada, à l'aide des deniers publics, nous avons aidé l'AIEA à renforcer ses propres garanties et mécanismes.
Au Moyen-Orient, selon la CIA, l'Égypte, l'Iran, l'Irak, la Syrie et Israël seraient censés posséder des armes chimiques et biologiques.
[Français]
Le président: Merci bien. Monsieur Bachand.
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): J'aimerais continuer dans la même veine que mes collègues, MM. Mills et Sauvageau. M. Mills a beaucoup parlé de la réaction du public à la façon de disposer du plutonium contenu dans nos réacteurs CANDU. Donc, en fin de compte, le Canada ferait sa part pour qu'il y ait moins d'armes nucléaires dans le monde.
Cependant, si on pense seulement à l'exemple des BPC, au Québec ou ailleurs au pays, mais surtout au Québec, il faut oublier l'idée de faire traiter le plutonium d'autres pays au Québec ou ailleurs au Canada. Oubliez cela complètement. Ça ne fonctionnera pas. C'est clair.
Cependant, cela étant dit, lorsqu'un gouvernement prend position en faveur du désarmement, il se fait demander ce que lui-même fait dans ce sens ou ce qui peut être fait.
Quant à ma deuxième question, elle recoupe celle de M. Sauvageau quant à l'opportunité de déclarer le Canada zone exempte d'armes nucléaires. Pour la plupart des gens, l'énergie nucléaire, c'est l'équivalent d'une bombe nucléaire. Depuis un bon bout de temps, les messages qui me sont adressés concernant le nucléaire au Canada réclament le désarmement complet, bien sûr. On veut que le Canada adopte une position très ferme là-dessus, mais on veut aussi que l'énergie nucléaire disparaisse complètement du paysage canadien à cause des risques qu'elle comporte.
Alors, selon vous, quelle serait la crédibilité du Canada? Lorsqu'on propose quelque chose sur le plan international, il est bon de regarder ce qui se fait chez soi et l'opinion de ses propres citoyens. Quelle position le Canada est-il en mesure de défendre sur la scène internationale dans le domaine nucléaire?
Le président: Monsieur Rauf ou monsieur Fergusson, ou les deux?
M. André Bachand: Ou encore vous, monsieur le président.
Le président: Non. Nous ne sommes pas encore du niveau des savants.
[Traduction]
M. Jim Fergusson: Ce n'est pas mon domaine de compétence du tout, les produits fissiles, mais il me semble qu'il y a une chose que votre comité et le Canada pourraient envisager de faire, c'est d'élaborer un programme semblable à celui de Nunn-Lugar aux États-Unis, qui est destiné à faciliter la tâche de la Russie et à l'aider à respecter ses obligations en vertu du traité START I et par la suite les réductions en vertu du traité START II, à fournir des capitaux et une expertise technologique à la Russie pour lui venir en aide. Il s'agit à mon avis d'un élément important et d'une question qui obtiendrait un vaste appui au Canada.
M. Tariq Rauf: Je suis d'accord avec M. Fergusson. Le Canada appuie déjà le Centre international des sciences et de la technologie à Moscou et le Centre des sciences et de la technologie à Kiev, précisément selon les grandes lignes suggérées par M. Fergusson.
• 0955
Il y a un faible pourcentage de la population canadienne qui
aimerait que l'énergie canadienne destinée aux Canadiens soit
produite à partir de sources d'énergie non nucléaires. Parfois il
y a une confusion à l'effet que les matières nucléaires sont les
plus toxiques sur terre; cependant, il existe bien d'autres
matières—le césium, le plomb et d'autres choses—d'autres produits
chimiques que nous utilisons couramment pour fabriquer divers
produits et qui ont également une très longue durée de vie. Le gros
problème avec l'énergie nucléaire provient évidemment du fait que
les accidents ont tendance à être beaucoup plus catastrophiques,
comme à Chernobyl ou à Three Mile Island. Toutefois, nous avons un
excellent dossier sécuritaire au Canada pour le fonctionnement de
nos réacteurs nucléaires. Avec plus de capitaux et une meilleure
formation, nous pourrions encore améliorer davantage nos résultats.
J'estime que nous avons une responsabilité à assumer. Pendant cinquante ans, nous avons vécu sous le parapluie nucléaire. Nous sommes les co-inventeurs de la bombe atomique avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Nous avons été le premier pays à abandonner volontairement notre droit de mettre au point des armes nucléaires.
Les répercussions des essais nucléaires effectués dans l'atmosphère aux États-Unis ont affecté la population canadienne. Selon Santé Canada, les radiations ont traversé la frontière internationale. Selon la position officielle du Canada, ces déchets radioactifs se sont mystérieusement arrêtés au 49e parallèle et n'ont pas traversé la frontière, mais si vous examinez les données provenant de Santé Canada, un certain pourcentage de la population canadienne a été touché.
Nous avons donc de bonnes références et notre technologie fonctionne bien. C'est à un exercice d'information du public que le gouvernement et les partis politiques devraient se livrer si nous voulons progresser avec ce projet.
[Français]
M. André Bachand: Monsieur le président, pour compléter ma question, lorsque le Canada a décidé de renoncer à l'arme nucléaire, la décision n'a pas été tellement difficile à prendre. Lorsque tu as un voisin comme les États-Unis, lorsque tu fais partie de l'OTAN, de NORAD, lorsque tu as une frontière commune avec les États-Unis et que la Russie n'est pas tellement loin, tu sais bien que les Américains vont te protéger. C'était une décision facile à prendre. C'est alors qu'on a commencé à développer davantage l'utilisation domestique de l'énergie nucléaire plutôt que son utilisation militaire.
Mais, encore aujourd'hui, comme je vous le dis, avant que le gouvernement canadien adopte une position, il faut être certain que les gens comprennent bien la différence entre l'énergie nucléaire et l'arme nucléaire. Je vous dirai que les gens en général ne font pas la différence. Comme vous le disiez très bien, une catastrophe dans un réacteur CANDU, c'est bien pire qu'une tempête de verglas au Québec, avec Hydro-Québec. Pour les gens, le nucléaire est très dangereux, mais la seule image qu'ils en ont, c'est celle des deux bombes qui ont explosé au Japon lors de la Deuxième Guerre mondiale. C'était il y a 52 ans, mais les gens conçoivent encore l'énergie nucléaire comme destructive.
Comme je vous le dis, c'est toute la crédibilité politique qui est en jeu, à savoir quelle position les gens d'ici au pays sont prêts à appuyer pour qu'elle puisse être proposée sur le plan international.
Le président: Si je vous comprends bien, le vrai ennemi, le vrai danger, c'est Hydro Ontario.
[Traduction]
De toute façon, avant de passer la parole à M. Assadourian, parce que nous aurons après comme témoins les représentants canadiens de l'OTAN—j'ai retenu votre point sur l'utilité que leurs témoignages soient publics. Avant de partir, vous pourriez peut-être vous assurer de nous dire ce que, à votre avis, nous devrions leur demander au niveau de la flexibilité dont l'OTAN devrait faire preuve en vue de modifier sa politique d'usage en premier et dans quelle mesure cela exigerait également d'obtenir une acceptation convenable de la Russie. À mon avis, vous semblez suggérer tous les deux que cela serait nécessaire pour avoir une chance de progresser. La question est de savoir jusqu'à quel point ces deux-là seraient fiables, car il me semble que nous entendons parler de fiabilité.
En plus de cela, ce que j'ai entendu l'autre jour était plutôt préoccupant. Il s'agissait de ces armes nucléaires non stratégiques dont les Russes, on semble dire, sont plus dépendants aujourd'hui que jamais auparavant. Leurs forces conventionnelles sont plus faibles et ils n'ont peut-être pas tous ces gadgets magiques dont les Américains disposent pour supprimer intentionnellement les gens, alors peut-être qu'ils vont s'en tenir à la vieille méthode nucléaire qu'ils possèdent actuellement.
Vous pourriez donc peut-être nous aider à ce sujet.
M. Tariq Rauf: Maintenant ou plus tard?
Le président: Nous allons tout d'abord donner la parole à M. Assadourian. Voulez-vous poursuivre, monsieur Assadourian?
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Pouvez-vous prendre une décision? Dois-je poser la question ou attendre sa réponse?
Le président: Si les membres souhaitent obtenir des réponses à ces questions, nous pourrions peut-être le faire en premier et passer ensuite à vous, si cela vous convient.
M. Tariq Rauf: Étant donné la lenteur dans les sphères de l'OTAN, il serait difficile d'avoir un examen fondamental de la politique de l'OTAN et d'obtenir un non-usage en premier.
Je veux séparer les deux questions. À propos du non-usage en premier, j'estime que nous devons parler avec les Russes car, en 1993, ils ont révoqué l'ancienne stratégie du non-usage en premier. Comme vous l'avez suggéré, ils sont plus confiants—c'est également leur façon de nous revenir au sujet de l'élargissement de l'OTAN. Mais ce sont leurs armes nucléaires non stratégiques qui constituent une menace, alors nous pouvons trouver des moyens permettant tout au moins d'avoir une zone exempte de ces armes pour ce qui est des bases des Forces canadiennes en Europe.
L'une des questions que vous pourriez envisager de poser aux fonctionnaires consiste à savoir si l'OTAN est disposée à effectuer, comme je l'ai mentionné, un examen complet de la politique nucléaire de l'OTAN et de sa politique d'emploi des armes nucléaires. C'est l'équivalent de l'examen ascendant effectué aux États-Unis.
La pensée n'a pas changé avec la fin de la guerre froide. Au lieu d'avoir des arsenaux gonflés, nous avons des arsenaux nettement plus réduits, mais toute la pensée et la logique qui nous ont conduit à déployer 70 000 armes nucléaires ont entraîné une production totale de près de 150 000 armes nucléaires. Cette pensée n'a pas bougé dans le fond et nous devons la changer.
Les menaces qui pèsent sur l'Europe proviennent de conflits ethniques, de problèmes concernant les réfugiés, de privations économiques. Dans ce contexte, les armes nucléaires sont complètement et totalement inutiles. Elles ne se justifient pas du tout. Malheureusement, une fois de plus, comme je l'ai mentionné, lorsque le Canada fait de telles suggestions dans les sphères de l'OTAN, nos autres alliés non nucléaires ne nous appuient pas parce qu'ils ont peur de la réaction de Washington. On m'a dit qu'ils approchent parfois les délégués canadiens en privé et leur disent qu'ils sont d'accord avec eux, mais que malheureusement ils ne sont pas en mesure d'avoir le courage de leurs opinions.
Par conséquent, même si nous pouvons formuler ces recommandations, politiquement je ne pense pas que l'OTAN soit sur le point de faire quelque chose de vraiment significatif.
M. Jim Fergusson: Très brièvement au sujet de l'usage en premier par la Russie, en ce qui me concerne je ne pense pas que c'est un sujet que l'on devrait même aborder. Pour diverses raisons de politique intérieure et pour d'autres raisons de politique stratégique, les Russes ont subi une série d'affronts qu'ils considèrent comme des revers de politique étrangère. Essayer de les aborder maintenant à propos de l'usage en premier dans le contexte des préoccupations entourant la défense contre les missiles balistiques, le traité ABM, l'élargissement de l'OTAN et une foule d'autres questions politiques en Europe centrale et de l'Est, consiste dans le fond à les provoquer.
C'est vital pour la Russie pour des raisons politiques, stratégiques et de sécurité. Cela a un rapport avec l'important vestige qui subsiste du prestige russe et je ne pense pas que ce soit très fructueux pour l'OTAN ou pour l'Ouest en général d'engager la Russie de quelque façon que ce soit sur la question de l'usage en premier.
Pour ce qui est de l'OTAN, je pense qu'il y a des questions importantes qu'il faut poser à son sujet, tout d'abord surtout en ce qui concerne les nations membres, et cela concerne évidemment la Grande-Bretagne et le statut actuel des armes nucléaires et l'examen permanent de la défense stratégique—Trident est en place; si la Grande-Bretagne envisage ou non d'autres changements importants, le cas échéant, à sa politique de dissuasion; la France; la question d'un élément dissuasif européen, que beaucoup prétendent être vital pour remplacer l'absence d'une base nucléaire de l'Alliance de l'OTAN... Il y a eu très peu d'indices, du moins à ma connaissance, que la France, malgré des allusions à ce sujet, est disposée à suivre cette voie. De même, l'Allemagne a laissé entendre avec fermeté qu'elle ne se procurera pas d'armes nucléaires par une porte dérobée, par le biais de la coopération franco-allemande.
Il y a la question du prestige politique, de la politique rattachée à l'engagement américain à l'égard des armes nucléaires, comme je l'ai mentionné précédemment. J'estime que c'est un enjeu très important et que c'est un véritable problème qui exige une compréhension de la sensibilité européenne à l'égard du lien entre la présence d'armes nucléaires au sein de l'OTAN à ces faibles niveaux comme symbole de cet engagement américain. C'est une question très importante.
Enfin, il y a évidemment les préoccupations latentes sur ce qui arriverait à d'autres puissances à l'intérieur et à l'extérieur de l'OTAN au sujet de l'absence de capacité nucléaire de dissuasion nucléaire. Il faut mettre l'accent sur un sujet important. À l'heure actuelle, le problème de la stratégie nucléaire de l'OTAN est l'absence d'une telle stratégie parce qu'elle n'en a pas besoin. Ce dont elle a besoin, c'est d'une capacité et d'une politique déclaratoire pour structurer la négociation politique et les relations politiques tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Europe.
Le problème du dernier recours et la question de la réserve à propos de l'usage en premier n'ont rien à voir avec une stratégie exacte car l'OTAN n'a personne à dissuader à l'heure actuelle. Personne ne pratique la dissuasion. Nous maintenons la capacité de la pratiquer au besoin dans certaines conditions à l'avenir.
Le président: Merci beaucoup. C'est utile.
Monsieur Assadourian.
M. Sarkis Assadourian: Merci. La semaine dernière, des témoins nous ont dit que l'ancienne U.R.S.S. a tant d'armes et que sa technologie de tenue à jour de son stock est si mauvaise qu'elle ne sait pas exactement où se trouvent ces armes et combien elle en a réellement.
Si cela est vrai, et après la guerre froide, avec l'éclatement de l'Union soviétique, pouvez-vous garantir aux Canadiens et à notre gouvernement qu'aucun autre pays de l'ancienne U.R.S.S., que ce soit en Europe de l'Est, au Caucase ou en Extrême-Orient, ne possède une capacité nucléaire?
M. Tariq Rauf: Les successeurs nucléaires de l'ancienne Union soviétique, les pays qui se sont retrouvés avec des armes nucléaires sur leur territoire après l'effondrement de l'Union soviétique, étaient le Bélarus, le Kazakhstan, l'Ukraine et la Russie.
En vertu de l'accord START I, qui a été modifié dans le protocole de Lisbonne, toutes les armes nucléaires non stratégiques et stratégiques ainsi que leurs lance-missiles ont été enlevés des territoires du Bélarus, du Kazakhstan et de l'Ukraine. Ces trois pays ont adhéré par la suite au traité de non-prolifération à titre d'États non dotés de l'arme nucléaire et, il y a quelques mois, en Ukraine, l'ancien secrétaire d'État américain à la Défense a présidé à la destruction du dernier silo de missiles à longue portée ICBM qui restait en Ukraine; il s'agissait seulement d'un endroit où les missiles étaient entreposés.
Les services de renseignements américains ont rassuré les leaders américains au plus haut niveau que toutes les armes nucléaires non stratégiques avaient été transportées sur le territoire de la Fédération de Russie avant même l'effondrement de l'Union soviétique.
À l'heure actuelle, des rapports mentionnent que certaines armes tactiques ou des soi-disant dispositifs ou ”bombes de petit format” ont pu être vendus aux Iraniens ou acquis par quelqu'un d'autre. Personne ne peut prouver si cela est vrai ou faux. Il semble très peu probable que cela ait pu se produire.
Si on parle aux dirigeants militaires de la Russie, ils se fâchent vraiment si on les accuse d'exercer un contrôle laxiste ou de permettre que des dispositifs ou ce matériel nucléaire à usage militaire puissent sortir de leur territoire.
Les deux programmes que j'ai mentionnés et celui dont M. Fergusson a parlé—le programme coopératif de réduction des menaces—dans le cadre duquel les États-Unis ont maintenant dépensé environ 3 ou 4 milliards $ pour aider à construire, avec les Russes, des installations de stockage dans lesquelles les armes nucléaires seraient entreposées—ils leur ont fourni des moyens de transport sûrs et sécuritaires. Il s'agit de wagons qui sont conçus spécialement pour transporter des armes nucléaires, avec des couvertures en kevlar afin de pouvoir recouvrir l'arme nucléaire dotée d'ogives au cas où quelqu'un attaquerait ces convois avec une carabine ou autre chose.
Il existe bien d'autres mesures qui pourraient être mises en vigueur et qui le sont. La situation se stabilise tout doucement en Russie. Il y a encore beaucoup de pain sur la planche. En outre, c'est un processus très coûteux.
M. Sarkis Assadourian: En gros, vous nous assurez à 100 p. 100 qu'aucun autre pays de l'ancienne U.R.S.S. ne possède des armes nucléaires, en dehors de la Russie.
M. Tariq Rauf: Comme quelqu'un l'a dit, personne ne peut donner une garantie à 100 p. 100 sur quoi que ce soit mais, d'après ce que nous savons et d'après ce que les États-Unis prétendent et pensent, seule la Fédération de Russie possède les armes nucléaires de l'ancienne Union soviétique.
M. Jim Fergusson: Je ne vous donnerai certainement pas du tout cette assurance. Dans le cas du Bélarus et du Kazakhstan, je serais plus confiant de vous donner une assurance de ce genre, d'après ce que j'ai lu, principalement à cause du lien politique—qui demeure très étroit—entre ces deux pays et Moscou.
Dans le cas de l'Ukraine, je serais moins affirmatif quant à savoir si elle a pu conserver une certaine capacité tactique ou nucléaire limitée; à quelles fins, il est difficile de le savoir. Il y a eu certaines preuves et assez d'indices à l'effet que l'Ukraine a bien tenté d'obtenir le contrôle sur les codes d'accès et a en fait obtenu le contrôle des ICBM opérationnels sur le sol ukrainien et a raté son coup. Des arguments ont été avancés pour dire que cet échec a en fait été en lui-même l'une des raisons qui ont incité l'Ukraine à abandonner la question stratégique et de fait à adhérer ensuite au TNP pour des raisons politiques.
Mais l'Ukraine est un pays à capacité nucléaire et, dans certaines conditions de sécurité, il ne lui faudrait pas très longtemps, à mon avis, pour suivre la filière nucléaire si elle l'estimait vitale pour sa sécurité. Je ne vous donnerais assurément pas des garanties à 100 p. 100.
M. Sarkis Assadourian: Ces pays au seuil du développement, Israël, l'Inde et le Pakistan, sont donc en réalité seulement des numéros. Ils ne sont pas les seuls que l'on devrait appeler des pays au seuil du développement. D'autres sont des candidats potentiels pour les armes nucléaires. C'est ce que vous dites.
M. Jim Fergusson: Oui. Je suis d'accord.
M. Sarkis Assadourian: Qu'en est-il de la Chine? Mon collègue m'a rappelé le cas de la Chine. Que pourriez-vous nous dire à propos de sa capacité nucléaire?
M. Jim Fergusson: La capacité nucléaire de la Chine est extrêmement limitée. Elle dispose d'une petite capacité de missiles balistiques intercontinentaux. Selon certaines sources, tout au moins, elle n'a pas développé de systèmes de lancement évolués et perfectionnés, j'entends par là des missiles à ogives multiples indépendamment guidées ou MIRV.
Elle a investi bien davantage dans les missiles tactiques et de théâtre, ce qui reflète les conditions de sécurité auxquelles la Chine faisait face pendant la guerre froide, en particulier sa relation tacite avec l'Ouest vis-à-vis de l'Union soviétique.
Elle a déployé et essaie de mettre au point un système de missiles balistiques à lanceur sous-marin. C'est ce qui se passe malgré les craintes ressenties par beaucoup de pays à l'effet que la Chine, dans certaines conditions politiques naissantes, étoffera rapidement sa force stratégique offensive, en particulier ses forces à longue portée. Cela se déroule dans le contexte de préoccupations concernant les déploiements nationaux de défenses antimissiles aux États-Unis qui, selon les Chinois, menacent leur capacité de dissuasion stratégique.
Tous les indices semblent indiquer que la Chine investira dans des besoins de sécurité militaire beaucoup plus urgents. Je ne prévois pas pour l'avenir une expansion considérable des forces nucléaires chinoises. Je prévois une modernisation très progressive par une amélioration de leurs capacités au cours des prochaines décennies. Pour l'instant, la Chine demeure une puissance globale par le fait qu'elle a un nombre très limité de systèmes de lancement à longue portée.
M. Sarkis Assadourian: Merci.
Le président: Merci.
Madame Beaumier.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Merci.
Doug Roche a témoigné en disant que si nous ne poursuivons pas le processus en agissant davantage, alors le traité de non-prolifération se terminera en queue de poisson. Quel avenir envisagez-vous pour le traité de non-prolifération?
M. Jim Fergusson: J'aurais tendance à affirmer que le traité de non-prolifération a été utile. Il a été utile dans deux sens et il le demeurera dans ces deux sens. C'est un mécanisme dans les accords internationaux et par le biais du rôle de l'AIEA en matière de vérification et de protection de la prolifération des matières nucléaires, qui sert de garde-fou. Il retarde la capacité et la vitesse à laquelle les États peuvent, s'ils le désirent, se procurer des armes nucléaires.
L'envers de la médaille, c'est qu'il a également, à cause du TNP et des intérêts politiques entourant la signature des divers États, entraîné en fait un certain nombre de programmes dans la clandestinité en rapport avec un éventail de coûts et d'avantages politiques concernant les intérêts de la sécurité nationale. Néanmoins, il continuera à servir ce but. La grande majorité des États continueront de l'appuyer, indépendamment de ce qui arrivera ou pas entre les États-Unis et la Russie.
Il y a un deuxième point à l'égard duquel il demeurera en place et utile. Pour certains États, qui se retrouvent dans des situations de sécurité qui ne les incitent pas à suivre la filière nucléaire mais qui sont quelque peu préoccupés par leurs voisins, le TNP offre une garantie mutuelle valable qu'ils ne le feront pas. Cela demeurera utile et dans l'intérêt des États dans l'ensemble du système international, indépendamment de ce que feront ou ne feront pas les puissances nucléaires avancées. Cela restera un bâton politique pour nous frapper sur la tête, mais c'est ainsi.
M. Tariq Rauf: J'aimerais ajouter que le TNP est la pierre angulaire du régime mondial de non-prolifération. Sans le TNP, il n'y aurait pas de réductions des armes stratégiques et pas de réductions des armes nucléaires. Sans le TNP, nous n'aurions pas l'assurance que les nombreux pays—environ 38—ayant des programmes nucléaires civils ne détournent pas ces technologies et ces matières pour les utiliser dans des armes nucléaires.
Le traité de non-prolifération est le seul engagement juridique multilatéral qui a été pris par les cinq puissances nucléaires en vue de réduire et d'éliminer en bout de ligne leurs armes nucléaires.
Cet engagement a été renforcé en 1995, comme l'ambassadeur Roche a dû en parler ici, lorsque le TNP a été prolongé indéfiniment. En outre, en vertu de la résolution 984 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 11 avril 1995, les cinq États dotés de l'arme nucléaire ont donné des assurances de sécurité négatives exécutoires à tous les membres du TNP non dotés de l'arme nucléaire, à l'effet qu'ils n'utiliseraient pas ou ne menaceraient pas d'utiliser des armes nucléaires contre eux.
Par conséquent, je suis très préoccupé par ce nouveau discours émanant de Washington, qui a été adopté dans les sphères de l'OTAN et même par certains de nos planificateurs militaires, à l'effet que les armes nucléaires sont nécessaires pour dissuader les attaques chimiques et biologiques, parce qu'il s'agirait d'une violation claire et nette des assurances de sécurité négatives données en 1995. Cela pourrait saper le TNP. Le seul rôle des armes nucléaires est de dissuader l'utilisation d'autres armes nucléaires.
Mme Colleen Beaumier: Qu'envisagez-vous pour son avenir? Devons-nous franchir une nouvelle étape?
M. Tariq Rauf: Oui. Le TNP est une négociation, dans le cadre de laquelle 181 pays non nucléaires ont abandonné leur droit de fabriquer des armes nucléaires, et les cinq États dotés de l'arme nucléaire sont obligés de réduire et d'éliminer en bout de ligne leurs armes nucléaires.
À la dernière page de mon mémoire, il y a un graphique qui montre que même en l'an 2007, lorsque les traités START I, START II et START III, qui n'a même pas encore été négocié—même après la mise en application du traité START III—les deux plus gros États nucléaires disposeront encore de plus d'armes nucléaires qu'ils en avaient en 1970 lorsque le traité de non-prolifération est entré en vigueur.
Quel genre de message est-ce que cela envoie aux États non nucléaires? Ici, vous avez les détenteurs de l'arme nucléaire. Pour eux, les armes nucléaires sont légitimées à perpétuité, tandis que d'autres États doivent vivre sous la menace existentielle d'armes nucléaires, d'un accident, d'un usage non autorisé, et cetera.
M. Jim Fergusson: Je ne peux m'empêcher d'être en désaccord. Tariq, je ne pense pas que ces chiffres soient exacts du tout. Les nombres d'ogives stratégiques ont nettement diminué par rapport au niveau des années 70 et 60, et en fait par rapport au niveau de la fin des années 50 et après. Ils ont nettement diminué.
On peut se livrer à de petits jeux de calcul avec ce que l'on appelle une arme stratégique et ce que l'on n'appelle pas une arme stratégique. Néanmoins, il y a une réduction importante. Je suis également en désaccord avec M. Rauf par le fait que les accords START n'ont absolument rien à voir avec le TNP—rien du tout. Ils constituent un volet du lien stratégique politique modifié entre Moscou et Washington; un volet d'un nouvel ensemble d'exigences politiques qui a nécessité—exigé à maints égards—pour des raisons politiques et légitimé une importante réduction du nombre d'ogives nucléaires.
Leur nombre continuera à diminuer. J'oserais dire qu'ils descendront encore au-dessous des niveaux de START III, en supposant que le lien stratégique politique demeure ce qu'il est. Elles ne disparaîtront pas, tout au moins dans un avenir prévisible.
M. Tariq Rauf: Je mets au défi M. Fergusson de me fournir les données qui démontrent qu'en l'an 2007 le nombre de ces ogives sera inférieur.
M. Jim Fergusson: Je vous les enverrai.
Le président: Nous allons mettre au défi nos recherchistes de trouver lequel de vous deux a les bons chiffres, parce que si nous ne pouvons nous mettre d'accord là-dessus, nous allons avoir pas mal de difficultés.
C'est une bonne question que nous pourrons peut-être poser lorsque nous serons à Washington et à New York. Nous apprécierions également toute aide que vous pourriez nous offrir en nous donnant des suggestions à ce sujet.
Avant de passer la parole à Mme Debien, permettez-moi de vous poser une question. Je crois, monsieur Rauf, que vous avez dit qu'en termes de collaboration avec les Russes—c'est peut-être M. Fergusson qui a dit cela—nous devrions envisager des moyens de les aider à réduire leur arsenal, de la même façon que les Américains le font. Je ne connais pas le succès de ce programme. Je sais que lorsque notre comité s'est rendu en Russie, un certain nombre d'entre nous ont rencontré le directeur de la commission de l'énergie atomique de Russie. Lorsque nous avons parlé de l'évacuation des déchets nucléaires autour de Mourmansk, il a répondu qu'on leur avait promis 20 millions $ par an, ou quelque chose du genre, simplement pour les aider à faire le nettoyage. Ils n'ont jamais vu la couleur de cet argent, alors ils ne le font pas.
Nous avons entendu des histoires d'horreur en Russie car il y a beaucoup de réticence à donner de l'argent aux Russes parce qu'on ne sait pas où cet argent ira une fois donné. On ne sait pas si cet argent servira au but prévu. Entre ces deux extrêmes, il y a peut-être du vrai.
Avez-vous des commentaires? Vous avez mentionné que ce serait une chose importante à faire pour le Canada. Êtes-vous confiant que, si le Canada s'avérait plus actif et fournissait davantage de fonds dans cette optique, ce serait un développement positif, que l'argent serait utilisé à bon escient et que nous pourrions être persuadés d'avoir en fait apporté une certaine contribution dans ce dossier?
M. Tariq Rauf: Au début, les États-Unis éprouvaient beaucoup de difficultés à s'assurer de la bonne utilisation de ces fonds mais, au fil des années, ils ont acquis beaucoup d'expérience. Ils ont mis en place un certain nombre de méthodes qui confèrent au gouvernement américain une assez bonne mainmise sur l'utilisation finale de ces fonds.
Il y a un certain nombre de problèmes. Il y a les déchets provenant des sous-marins nucléaires et des réacteurs sous-marins démantelés à Mourmansk et dans la partie extrême est du Pacifique. Il y a les déchets nucléaires provenant des installations de production des armes nucléaires. Ensuite, il y a les armes excédentaires—les matières nucléaires provenant des ogives nucléaires démantelées.
Les Russes éprouvent toute une série de problèmes et aucun montant d'argent ne les aidera à les résoudre tous. Nous continuons nos contributions aux centres des sciences et de la technologie de Kiev et de Moscou par le biais de la BERD, alors on ne peut pas dire que le Canada ne fait rien. Nous pourrions augmenter notre contribution un peu si nous avions l'argent, mais il faudrait la diriger vers des programmes précis que nous contrôlons. La plupart des montants qui sont consacrés aux centres des sciences et de la technologie sont contrôlés par les États-Unis, le Japon et les pays européens. Nous avons très peu notre mot à dire dans la façon de dépenser nos dollars canadiens.
Le président: C'est probablement la raison pour laquelle nous contribuons très peu en proportion. Notre mot à dire est proportionnel à notre contribution.
M. Tariq Rauf: C'est exact, mais notre économie représente le dixième de celle des États-Unis, alors notre contribution est proportionnellement la même.
Le président: Dans l'optique des Russes, ils disent qu'ils n'ont pas obtenu les montants qu'on leur avait promis. Avez-vous des commentaires à ce sujet ou savez-vous si cela est vrai?
M. Tariq Rauf: C'est vrai en partie. Parfois à cause de problèmes linguistiques, lorsque les Américains disent quelque chose, c'est interprété par les Russes comme une promesse de donner de l'argent tandis que les Américains pourraient explorer la possibilité de donner de l'argent.
Il y a également eu des goulots d'étranglement du côté américain lors du transfert réel des montants. D'après des rapports des services comptables de l'État, ce programme n'était pas très bien géré à ses débuts, et certains de ces goulots d'étranglement subsisteront.
Le président: Merci.
[Français]
Madame Debien.
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Ma question s'adresse à M. Fergusson.
Monsieur Fergusson, dans le dernier paragraphe du mémoire que vous nous avez présenté, vous insistez beaucoup sur la notion du burden sharing, une philosophie propre à l'OTAN qui remonte aux années 1980 en termes de sécurité planétaire.
Croyez-vous vraiment, comme vous le soulignez dans votre texte, que le Canada pourrait être marginalisé au sein de l'alliance s'il décidait, par exemple, de faire la promotion de l'abolition totale des armes nucléaires? On sait, d'une part, que les États-Unis sont actuellement à peu près la seule puissance nucléaire d'importance sur la planète et jouent, depuis la fin de la guerre froide et même avant, le rôle de gendarmes de la planète. D'autre part, on sait que le Canada n'est qu'un joueur moyen au sein de l'alliance et qu'il occupe à peu près la place d'une aiguille dans une botte de foin quant au partage des risques au sein de l'alliance. Croyez-vous vraiment que le Canada puisse être marginalisé?
[Traduction]
M. Jim Fergusson: Très rapidement, je suis tout à fait d'accord avec vous. De fait, j'ai constaté et j'ai affirmé en d'autres lieux que diverses politiques ont été entreprises par le Canada en ce qui concerne l'OTAN et notre adhésion à cette Alliance au cours des dernières années. Cela a été fait pour diverses raisons compréhensibles et explicables mais, aux yeux de nos alliés européens en particulier, et à un degré moindre des États-Unis, cela a suscité des questions au sujet de notre engagement réel envers l'Europe, cet engagement de longue date du Canada envers la sécurité européenne et la collectivité transatlantique.
J'ose affirmer qu'un changement radical de politique en faveur de l'idée que nous allons appuyer l'abolition des armes nucléaires rendrait notre adhésion à l'OTAN insoutenable et influencerait également notre lien avec les États-Unis pour ce qui est de notre rôle dans la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord. Si cela ne la rendait pas insoutenable, nous serions complètement marginalisés. Cela nous reléguerait dans les antichambres où nous aurions très peu de possibilités d'exercer une influence et d'émettre une voix dans les questions de sécurité qui intéressent le Canada. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
[Français]
Mme Maud Debien: Moi, je soutenais le contraire. Je ne pense pas que nous serions marginalisés, étant donné que nous ne sommes qu'un joueur moyen et que nous occupons la place d'une aiguille dans le partage des risques au sein de l'alliance. Je ne pense pas que nous serions marginalisés si nous faisions la promotion du désarmement total des armes nucléaires.
Ma position est tout à fait contraire à la vôtre. Je ne pense pas que le Canada serait marginalisé s'il prenait les devants quant à l'interdiction totale des armes nucléaires en proposant un programme bien précis pour l'élimination des armes nucléaires, étant donné la place peu importante qu'il occupe en tant que joueur au sein de l'alliance. Il n'y aurait pas grand-chose de changé dans les avantages qu'il peut en retirer. En fait, nous n'avons pas grand-chose à dire. Nous jouissons plutôt d'un pouvoir moral.
Je ne suis pas d'accord lorsque vous dites que vous partagez mon opinion. Moi, je dis que je ne partage pas la vôtre quant à la marginalisation éventuelle du Canada au sein de l'alliance.
[Traduction]
M. Jim Fergusson: Il n'y a pas de réponse facile à cette question de marginalisation. Cela revient à la question de l'influence, des intérêts du Canada, du rôle que le Canada souhaite jouer, du rôle que le Canada pourrait jouer, et ensuite des engagements que le Canada est disposé à prendre à l'égard de notre relation avec nos alliés européens.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la politique permanente du Canada a généralement été un engagement envers la sécurité européenne. Cet engagement a été matérialisé ou mis en évidence par le déploiement de forces en Europe, par notre engagement envers l'infrastructure de l'OTAN et par notre solidarité générale à l'égard de nos alliés de l'OTAN.
Il n'y a rien de délicat ou de mal à ce qu'un pays membre, comme le Canada, fasse connaître ses points de vue au conseil de l'OTAN. Mais je dirais que, pour un pays qui s'enorgueillit du concept et de la politique du multilatéralisme, nous nous trouvons dans un contexte multilatéral dans lequel certaines contraintes s'imposent évidemment au Canada.
Serions-nous marginalisés? À quelles fins? Qu'est-ce que cela signifierait pour le Canada? Peut-être qu'à la fin du compte cela ne signifierait absolument rien, mais cela dépend de ce que nous voulons y mettre et de ce que nous voulons en tirer, et c'est une question qui est très rarement abordée à mon avis. Pourquoi faisons-nous partie de l'OTAN? Pourquoi sommes-nous présents en Europe?
Je peux vous fournir une foule de bonnes raisons pour lesquelles nous devrions être présents en Europe et pour lesquelles nous avons des intérêts communs et des valeurs communes qui exigent que nous prenions des engagements supérieurs à ceux que nous avons à l'heure actuelle. Mais il serait un peu trompeur de penser qu'il n'y aura aucun prix politique à payer en modifiant radicalement le lien avec nos alliés de façon unilatérale ou en leur faussant compagnie.
[Français]
Mme Maud Debien: Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit. Je n'ai pas suggéré d'abandonner l'alliance ni que le Canada s'en retire. J'ai tout simplement soutenu que si le Canada, au sein de l'alliance, décidait de faire la promotion du désarmement total par rapport aux armes nucléaires, cela ne le marginaliserait pas au sein de l'alliance. Au contraire, cela pourrait lui donner un pouvoir moral extraordinaire au niveau planétaire. C'est là mon point de vue.
La question que je pose, au fond, c'est si le Canada pourrait le faire dans le cadre de l'OTAN et s'il se marginaliserait au sein de l'OTAN en faisant la promotion du désarmement total. Ce n'est pas en pensant qu'il se retire de l'alliance.
Le président: Désarmement nucléaire total?
Mme Maud Debien: Désarmement nucléaire, oui, bien sûr.
Le président: Pas total.
Mme Maud Debien: Non.
Le président: D'accord.
Mme Maud Debien: C'est en ce sens-là que je me pose la question.
[Traduction]
M. Jim Fergusson: Je ne sais pas si vous parlez d'une situation derrière des portes closes. Si c'est la rhétorique dans un sens—
[Français]
Mme Maud Debien: Non. Je pense à une politique officielle.
[Traduction]
M. Jim Fergusson: À une politique officielle? Comment allons-nous officiellement et publiquement promouvoir le désarmement nucléaire au sein d'une Alliance qui émet des communiqués à saveur nucléaire? Il me semble qu'il s'agit d'une contradiction fondamentale de la politique canadienne de dire une chose et d'en faire une autre.
[Français]
Une voix: Ce ne serait pas la première fois.
Mme Maud Debien: Ce ne serait pas la première fois, de toute façon.
[Traduction]
Le président: Pour l'information des membres, c'est une sonnerie qui retentit une demi-heure avant le vote. Tout le monde devient un petit peu nerveux.
[Français]
Nous avons encore un peu de temps.
[Traduction]
M. Tariq Rauf: Je pense que la politique de l'OTAN concernant les armes nucléaires est essentiellement confuse. La France a essayé de faire passer sa dissuasion nucléaire comme une dissuasion européenne lorsque le président Chirac a repris les essais d'armes nucléaires en 1995, mais un certain nombre d'États de l'Union européenne non dotés de l'arme nucléaire, membres de l'OTAN, ont essentiellement refusé d'accepter cet argument français.
En ce qui concerne cette identité européenne de sécurité et de défense (IESD), qui est la suite de Maastricht, dans le cadre de laquelle l'Union européenne aura une politique commune étrangère et de défense, là aussi il y a beaucoup de confusion.
D'après ce qu'on m'a dit, ce qui se passe habituellement dans de nombreux forums internationaux c'est que l'Union européenne arrive avec une position européenne qui est très difficile à faire changer. On me dit que cela complique énormément la tâche de pays comme le Canada, s'ils veulent proposer de nouvelles idées, pour faire changer d'avis l'Union européenne, parce qu'il faut reconvoquer une réunion des pays membres de l'Union européenne afin de connaître leur position et, sur les sujets nucléaires, la France et la Grande-Bretagne dominent.
À cause de leur histoire, les Allemands demeurent silencieux sur les questions nucléaires. C'est un problème fondamental en Allemagne au sujet du déploiement continu des armes nucléaires américaines sur leur territoire.
Je tiens à rappeler aux membres qu'en 1995, dans le cadre de la négociation, ce document sur les principes et les objectifs de non-prolifération prolongée a été adopté, en vertu duquel tous les membres de l'OTAN, dont les cinq États dotés de l'arme nucléaire, se sont engagés à entreprendre un programme aboutissant à l'élimination finale des armes nucléaires.
• 1030
Le vice-président Gore et le président Clinton ont prononcé
ces mots. Malheureusement, notre premier ministre, et en autant que
je sache notre ministre des Affaires étrangères, n'ont pas prononcé
les mots ”élimination finale des armes nucléaires”. C'est surtout
parce qu'ils sont retenus par des fonctionnaires qui sont
préoccupés par les réactions en provenance de Londres et de Paris.
Dans un contexte d'après-guerre froide, je pense qu'il est temps de
se lever et d'assumer un certain leadership sur ces questions.
Le président: Souhaitiez-vous poser une question rapide, madame Augustine?
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Ma question rapide en serait une que j'ai déjà posée. Si vous rédigiez ce rapport, que recommanderiez-vous?
M. Tariq Rauf: C'est une question qui nécessiterait une réponse très longue. Je recommanderais que le Canada, dans les sphères de l'OTAN, préconise une réévaluation honnête et fondamentale du rôle des armes nucléaires en Europe. Nous pouvons supprimer les armes nucléaires non stratégiques de l'Europe car il y aura toujours des sous-marins américains équipés de missiles nucléaires qui seront destinés à l'usage du commandement allié en Europe si la situation l'exigeait.
Les armes nucléaires tactiques n'ajoutent rien à la sécurité de l'Europe. Si des armes nucléaires tactiques sont nécessaires en Europe pour fournir la colle destinée à cimenter cette Alliance, alors j'estime que cette dernière ne sert plus à rien et qu'il est temps de le reconnaître. Nous devrions passer à de nouveaux défis du 21e siècle au lieu d'être pris dans une Alliance qui a été créée pour la guerre froide. Cette dernière est finie et nous devons aborder ces questions dans une optique fondamentalement différente.
Le président: Monsieur Fergusson.
M. Jim Fergusson: C'est un défi plutôt intimidant. Pour ce qui est de l'OTAN, le rapport de votre comité devrait, à mon avis, insister à nouveau sur l'importance de notre engagement envers l'OTAN, de notre engagement envers l'Europe.
Pour ce qui est des considérations précises en matière de politique, je crois que le Canada devrait se présenter dans les conseils de l'Europe et aborder la question de l'usage en premier, de la réserve à propos de l'usage en premier. Je crois qu'il y a, au sein de l'Alliance, plusieurs pays européens partageant les mêmes idées qui seraient également probablement d'accord pour effectuer un examen sérieux de la question de l'usage en premier.
Quant à la question de la politique nucléaire de l'OTAN, à savoir si l'OTAN devrait conserver ou non sa capacité de dissuasion nucléaire en cas de besoin futur, et les importantes raisons politiques pour lesquelles une petite capacité nucléaire demeure vitale pour l'OTAN, c'est une question qui, à mon avis, ne fera pas l'objet d'un débat de fond. Toute tentative visant à soulever cette question fondamentale provoquera davantage de problèmes et de difficultés et serait, en fait, ignorée si nous nous en tenons strictement à l'OTAN.
Le président: À votre avis, quels seraient ces autres États européens?
M. Jim Fergusson: C'est une question délicate. Probablement si vous regardez en dehors de la Grande-Bretagne et de la France en particulier, parce que ces deux pays étaient les plus concernés par la question de l'usage en premier au cours de la dernière étude concernant l'élaboration du nouveau concept stratégique, je pense que pour la plupart des pays européens l'enjeu sera la question de la réserve concernant l'usage en premier. Je ne pense pas que l'on manquera d'États qui seront intéressés par cette question.
Le président: Est-ce que les Hollandais, par exemple, seraient...
M. Jim Fergusson: Oui, je dirais les Hollandais et peut-être les Belges. Je ne suis pas certain au sujet des Allemands. Je serais d'accord avec M. Rauf pour dire que les Allemands ne veulent pas vraiment aborder ce sujet pour une foule d'autres raisons.
Le président: Merci beaucoup à tous les deux de votre présence. Nous apprécions énormément vos conseils et vous savez certainement que cette étude se poursuivra jusqu'au printemps. Si vous avez d'autres observations ou si vous souhaitez communiquer avec nous, n'hésitez pas à contacter nos greffiers et notre personnel.
Nous serions extrêmement heureux de recevoir d'autres observations de votre part, surtout si vous avez des suggestions sur les questions que nous pourrions poser ou sur les sujets que nous pourrions aborder lorsque nous nous rendrons à Washington ou à New York ou lorsque nous aurons des entretiens avec des représentants d'autres pays.
Merci beaucoup à tous les deux de votre présence.
Je vais lever la séance jusqu'après la tenue du vote car la greffière m'informe que d'ici que nous ayons débarrassé la salle pour la séance à huit clos et tout le reste, nous aurons perdu cinq autres minutes, et il ne nous restera alors plus que six minutes avant de devoir partir de toute façon pour aller voter. Alors, allons voter.
Puis-je demander aux membres de revenir
[Français]
assez rapidement après le vote afin qu'on puisse reprendre le débat assez rapidement.
[Traduction]
La séance est levée jusqu'aux environs de 11 h 15, immédiatement après le vote.
Merci beaucoup.