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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 12 mai 1999

• 1536

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Mesdames et messieurs, la séance est ouverte. Nous n'avons la salle que jusqu'à 17 heures et nous ne disposerons que d'une heure et demie.

Nous recevons aujourd'hui un groupe d'éminents témoins. Je signale à l'intention de ceux qui regardent le CPaC que cette séance fait suite à celle qu'a tenue le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international au sujet de la position adoptée par le Canada en prévision des négociations qui selon nous devraient avoir lieu à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, à Seattle, à compter du mois de novembre. Dans le cadre de cette étude, nous avons parcouru le pays pour entendre des témoignages et nous envisageons de présenter un rapport au ministre avant que la Chambre ne cesse ses travaux à la mi-juin.

Nous sommes très heureux d'accueillir deux éminents experts du commerce international qui nous viennent des États-Unis: le professeur Paul Sauvé, de la John F. Kennedy School of Government de Harvard, et Jeffrey Schott, de l'Institute for International Economics de Washington.

Messieurs, soyez les bienvenus. Monsieur Schott, nous avons eu l'occasion de rencontrer vos collègues lorsque nous sommes allés dans votre ville. Monsieur Sauvé, nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau au Canada. Nous vous sommes très reconnaissants de venir nous consacrer aujourd'hui un peu de votre temps. Vous pourriez peut-être commencer, monsieur Schott, après quoi nous entendrons M. Sauvé. Si vous ne vous attardez pas trop, nous aurons beaucoup de temps pour poser des questions. Je vous remercie.

M. Jeffrey Schott (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de revenir devant votre comité pour traiter d'une question très importante: la préparation de la prochaine rencontre ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle. Je m'efforcerai de résumer très brièvement mon exposé—pourquoi de nouvelles négociations commerciales s'avèrent nécessaires, que faut-il mettre à l'ordre du jour des négociations et comment doivent procéder ces négociations.

Je conclurai par quelques brèves observations touchant les conséquences de l'impasse concernant l'adoption accélérée de la législation aux États-Unis, parce que j'estime que cela entraîne des conséquences à la fois sur la procédure et sur le fond des négociations envisagées. Je n'aborderai les difficultés relatives au renouvellement de la direction de l'OMC, qui fait beaucoup parler d'elle à Genève, mais je me ferai un plaisir de répondre aux questions qui me seront posées à ce sujet. J'ai quelque idée de ce qu'il faudrait faire dans ce domaine.

Le président: Monsieur Schott, j'ai bien hâte d'aborder cette question avec vous. Il y a certains partisans d'un ancien député canadien de cette Chambre.

M. Jeffrey Schott: Oui.

Laissez-moi vous exposer brièvement les raisons pour lesquelles une nouvelle ronde de négociations est nécessaire. Tout d'abord, il y a le fait que la crise financière mondiale a amené les pays à se poser des questions sur la nécessité de poursuivre la libéralisation du commerce même si cette réforme s'impose aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement pour que l'on puisse promouvoir et soutenir la reprise économique qui pointe en Asie et dans certains pays de l'Amérique latine. Des négociations au sein de l'OMC sont nécessaires si l'on veut favoriser les perspectives de croissance à moyen terme des pays qui ont été touchés par la crise et s'opposer à un retour protectionniste aux États-Unis et en Europe, qui s'opposent aux importations en provenance de ces pays. Je précise qu'uniquement dans mon pays on prévoit cette année un déficit commercial se montant à plus de 300 milliards de dollars. C'est un chiffre qui, en valeur absolue—même s'il reste relativement modeste par rapport au PNB—est de nature à favoriser une très forte montée protectionnisme aux États-Unis.

Une nouvelle ronde de négociations s'impose aussi parce que l'application de l'entente sur le règlement des conflits au sein de l'OMC a révélé un certain nombre de failles du système qu'il convient de corriger. Je pense que les affaires récentes des bananes et du boeuf aux hormones montrent bien qu'il y a des lacunes auxquelles il convient de remédier. Il faut que ce soit fait rapidement si l'on veut maintenir la crédibilité du mécanisme de règlement des conflits.

• 1540

Troisièmement, l'organisation de l'OMC a enfanté dans la douleur ces dernières années et présente un certain nombre de défauts de croissance qu'il faut corriger lors des prochaines négociations.

Surtout, l'OMC subit de très fortes contraintes budgétaires qui la gênent d'ores et déjà dans ces activités. Les pays membres ne lui ont pas fourni suffisamment de ressources pour lui permettre de procéder à ces nouvelles négociations, d'administrer tous les dossiers en souffrance dans le cas du règlement des conflits, de procéder à la révision des politiques commerciales, de négocier l'agrément des nouveaux membres ou de collaborer efficacement avec la Banque mondiale et le FMI en ce qui a trait aux réformes commerciales devant être adoptées par les pays en crise financière. C'est un problème extrêmement grave que ne prennent pas suffisamment au sérieux les différents gouvernements, y compris le mien.

Il y a un certain nombre de défauts originels. Le principal d'entre eux est probablement l'absence de comité directeur ou de conseil d'administration en mesure de diriger efficacement les activités de l'Organisation mondiale du commerce. Il n'y a rien de semblable à ce que l'on trouve à la Banque mondiale ou au FMI. C'est un comité plénier qui s'occupe de la gestion, ce qui est un mécanisme impossible à gérer lorsqu'il y a 134 pays membres.

C'est en fait la commission quadrilatérale qui sert de comité de gestion de l'Organisation mondiale du commerce. Nous considérons en Amérique du Nord que le système est excellent puisque les États- Unis et le Canada disposent de la moitié des votes au sein de la commission quadrilatérale, mais cela ne peut pas durer ainsi, lorsqu'on sait qu'il y a de plus en plus de membres et surtout lorsqu'on tient compte de la nature des nouveaux membres ou de ceux qui vont très vraisemblablement le devenir, comme la Chine, et qui voudront avoir leur mot à dire au sujet de l'administration du système étant donné leurs poids politique et économique.

Ces nouvelles négociations s'imposent sur un quatrième point en raison des effets de la mondialisation, qui ont rendu les opinions publiques, aux États-Unis et dans d'autres pays, moins favorables aux nouvelles initiatives de l'OMC. Des préoccupations sont évoquées dans le domaine de l'environnement, du travail et de la politique sociale. Les questions commerciales ont de nombreuses répercussions dans ces différents domaines et méritent d'être mises à l'ordre du jour même si les ententes commerciales ne sont pas les principaux moyens d'action. Une intervention dans ce domaine est indispensable si l'on veut réunir une large coalition permettant d'appuyer les nouvelles initiatives commerciales au sein de l'OMC et au niveau régional.

On pourrait consacrer beaucoup de temps à l'ordre du jour s'appliquant aux négociations. Il y a déjà un ordre du jour interne sur lequel se sont entendus tous les pays membres de l'OMC, notamment sur des questions importantes comme l'agriculture et les services. On s'est donc déjà entendu pour entamer les négociations plus tard dans l'année. La question est de savoir ce que doit englober l'ordre du jour de ces négociations. Est-ce que les thèmes abordés seront suffisamment larges pour que l'on puisse faire des compromis entre différents secteurs et dans différents domaines pour répondre aux intérêts prioritaires des pays développés et des pays en développement?

À l'heure actuelle, l'ordre du jour interne ne répond pas à cette exigence et l'on ne parviendra pas à des résultats si on ne l'élargit pas à d'autres questions que les services, l'agriculture ou même les droits de douane industriels. Je pourrais aborder de manière plus détaillée ces différents points en particulier.

Pour économiser du temps, je n'aborderai pas cette question dans mon exposé d'ouverture, je me contenterai de mentionner que le sujet que va aborder Pierre Sauvé—celui des investissements—figure en tête des questions qui à mon avis doivent être intégrées à l'ordre du jour des négociations de l'OMC.

Si l'on élargit l'ordre du jour, on s'exposera toujours à la critique de ceux qui ont peur que l'OMC soit débordée si les négociateurs cherchent à aborder de trop nombreuses questions, dont certaines ne sont pas mûres pour un règlement. Il est utile d'obtenir rapidement des résultats au sein de l'OMC pour que la procédure porte fruit et justifie que le public continue à apporter son soutien au mécanisme de négociation.

• 1545

Les critiques craignent que si l'on cherche à tout régler au cours d'une seule négociation, l'adoption de nouvelles ententes commerciales soit en réalité bloquée du fait que l'ordre du jour est trop ambitieux et que l'on cherche à régler des questions délicates qu'il faudra peut-être plusieurs années et même une décennie à régler en passant par tous les mécanismes de l'OMC.

J'estime que ces préoccupations partent d'une conception dépassée d'une négociation globale dans le cadre des rondes de négociations commerciales de l'ancien modèle du GATT alors qu'aujourd'hui on peut compter sur le fait que l'OMC est une institution qui permet de négocier en permanence. Je préconise depuis cinq ans que les pays acceptent de relever ce défi et cherchent à mettre en oeuvre un nouveau modèle de négociations commerciales que je qualifie de permanent et qui doit permettre d'entreprendre et de conclure les négociations sur certaines questions alors que d'autres restent en cours de négociation pendant que de nouvelles questions viennent s'ajouter à l'ordre du jour.

J'envisage des négociations permanentes et la possibilité pour les ministres du Commerce de mettre à profit tous les deux ou trois ans leurs réunions régulièrement prévues pour passer à l'action et étudier un ensemble d'accords commerciaux qui ne règlent pas nécessairement toutes les questions sur tous les points, mais qui abordent par exemple certains domaines de l'agriculture en supprimant ou en réduisant de manière significative les subventions à l'exportation dans un premier temps pour aborder ensuite la question des contingentements ainsi que d'autres restrictions imposées aux échanges agricoles. Les pays pourraient ainsi entreprendre une série de négociations commerciales sans discontinuité, de nouvelles négociations étant entreprises immédiatement après l'adoption d'un ensemble d'accords commerciaux, contrairement au mécanisme qui avait cours au sein du GATT, une longue interruption se produisant entre deux cycles de négociations, ce qui laissait systématiquement le temps aux pressions protectionnistes de s'accumuler, créant ainsi de nouvelles difficultés. Lors de chaque cycle de négociations, on pourrait s'appuyer sur les acquis des rondes précédentes, tout serait donc remis constamment sur le tapis et au bout de dix ans on aurait pu ainsi obtenir au sein de l'OMC trois ou quatre séries de résultats.

Aux États-Unis, une nouvelle loi d'application serait exigée lors de chaque cycle partiel. On serait donc davantage incité à faire autoriser assez tôt l'adoption accélérée de la législation. Laissez-moi conclure ces observations très sommaires par quelques commentaires concernant l'importance de cette opération et les raisons pour lesquelles le problème est particulièrement grave aujourd'hui.

Il est certain que les fonctionnaires du commerce des États- Unis n'ont pas besoin d'une législation accélérée pour être autorisés à entamer de nouvelles négociations commerciales. D'ailleurs, si l'on prend l'exemple de la zone de libre-échange des Amériques, on constate que les États-Unis sont en train de négocier avec 33 autres partenaires de l'hémisphère occidental sans disposer de ce pouvoir. L'adoption accélérée de la législation est en substance une mesure de bonne entente passée entre le Congrès et l'exécutif pour accélérer l'examen de la loi d'application des accords commerciaux et par conséquent il n'est pas indispensable, du moins on pourrait le penser, d'en disposer au début de la procédure. C'est l'argument des fonctionnaires du commerce des États-Unis.

Il est d'ailleurs arrivé par le passé que pendant plusieurs années on ne dispose pas du pouvoir d'adoption accélérée et que cela n'ait aucune répercussion sur les négociations. Toutefois, il était admis implicitement à l'époque que le pouvoir exécutif recevrait du Congrès, bien avant la conclusion des négociations, l'autorisation de procéder à l'adoption accélérée de la loi, et l'on ne craignait donc pas que les États-Unis se retrouvent à la fin du cycle de négociations sans les pouvoirs nécessaires.

Aujourd'hui, toutefois, on ne peut pas garantir une autorisation du Congrès à une date ultérieure. Au contraire, l'adoption accélérée de la loi a été refusée par le Congrès et il est peu probable qu'elle soit autorisée dans les prochaines années. L'impasse de cinq ans concernant l'adoption accélérée de la législation a deux conséquences importantes pour les négociations de l'OMC sur lesquelles je tiens à insister et qui constituent peut-être l'élément le plus important de mon témoignage aujourd'hui.

Cette impasse permet tout d'abord de remettre en cause la vigueur de l'engagement politique des États-Unis vis-à-vis des nouvelles initiatives commerciales. Il ne s'agit pas de l'engagement politique de l'ambassadrice Barshefsky et de son équipe, qui sont tout dévoués à la cause noble que partagent nos deux pays sur le plan commercial, mais de l'appui politique apporté à ces politiques, qui semble faible. Les hésitations de l'administration Clinton à défendre les initiatives commerciales régionales et multilatérales qui sont en cours contre les critiques de la mondialisation au sein de son propre parti, notamment en prévision de la campagne des élections présidentielles de l'année prochaine, renforcent ces préoccupations et les divergences qui apparaissent en matière de travail et d'environnement font partie de ce problème.

• 1550

En second lieu, l'impasse concernant l'adoption d'une législation accélérée lie les mains des négociateurs des États-Unis lorsqu'il s'agit de préparer l'ordre du jour des nouvelles négociations commerciales et limite les perspectives d'accords multilatéraux. Les négociateurs des États-Unis rechignent à présenter des projets exigeant des modifications importantes des pratiques, politiques et barrières commerciales des États-Unis, notamment dans des domaines comme l'agriculture, les textiles, les pratiques déloyales et la politique de la concurrence. Si l'on fait l'historique des cinq dernières années en matière d'accords commerciaux, on peut voir qu'il y a eu de grandes réussites dans le secteur des services financiers et des technologies de base en matière de télécommunications et d'information, mais aucun de ces accords n'a exigé une modification significative des lois ou des règlements existants des États-Unis. D'une certaine manière, les États-Unis ont eu beau jeu du fait que le reste du monde souhaitait adopter des normes qui étaient essentiellement celles des États- Unis, du Canada et de l'Europe.

La situation sera différente lorsqu'on en arrivera à un ordre du jour élargi aux services, à l'agriculture, au textile et à d'autres secteurs dans lesquels les États-Unis conservent des barrières commerciales, peu nombreuses mais significatives, qu'il conviendra de négocier si l'on veut obtenir un accord global à Genève. En l'absence d'un mandat du Congrès, les fonctionnaires des États-Unis craignent que ces mesures ne suscitent une opposition généralisée à un renouvellement du pouvoir d'adoption d'une législation accélérée, émanant d'une coalition d'intérêts divers regroupant les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales. Malheureusement, cette situation permet difficilement aux fonctionnaires des États-Unis de répondre aux objectifs prioritaires d'autres membres de l'OMC, notamment des pays en développement. C'est donc à mon avis l'une des raisons pour lesquelles les pays en développement ne sont pas très chauds pour que l'on procède à une nouvelle ronde de négociations, parce qu'ils voient difficilement où est leur intérêt à partir du moment où les grands marchés ne sont pas disposés à négocier leurs propres barrières commerciales.

Dans ces circonstances, il est de plus en plus difficile de s'entendre au plan international sur un élargissement de l'ordre du jour de l'OMC et c'est à mon avis le dilemme dans lequel je trouve aujourd'hui l'ambassadrice Barshefsky lorsqu'elle s'efforce de préparer la réunion ministérielle de Seattle. Elle veut lancer avec succès un nouveau cycle de négociations renforçant le système international des échanges mais elle est limitée par ce qu'elle peut dire au sujet de ses propres barrières commerciales en préparant l'ordre du jour de ces discussions. On peut espérer que le Canada et d'autres grandes nations commerçantes prendront la relève et s'assureront que le nouvel ordre du jour des négociations soit plus large et mène à la libéralisation du commerce, au renforcement du système des échanges internationaux et à la promotion de la prospérité dans le monde.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Schott. C'était très instructif. Vous avez réussi à dire énormément de choses en peu de temps.

[Français]

Monsieur Sauvé.

M. Pierre Sauvé (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Vous m'avez décrit comme étant à la fois fellow à Harvard et fellow au Brookings Institution, ce qui est est vrai. Le cumul des mandats n'étant pas prohibé dans ma profession, j'ai aussi des liens avec l'OCDE, dont je suis fonctionnaire en détachement aux États-Unis. J'aimerais signaler que ce que j'ai à vous dire aujourd'hui n'engage pas du tout le secrétariat de l'OCDE. J'exprimerai mes vues personnelles, qui n'engagent pas non plus les vues des pays membres de l'OCDE.

Jeff Schott a fait une présentation très intéressante du paysage global auquel sont confrontés les ministres alors qu'ils essaient de préparer un ordre du jour conséquent pour la réunion ministérielle de Seattle. Une des questions importantes qui vont se poser sera celle de savoir ce qu'on fait en matière d'investissements. C'est un sujet qui a beaucoup défrayé la chronique au Canada et dans de nombreux de pays de l'OCDE ces derniers temps, dans le contexte des négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement.

J'aimerais limiter l'essentiel de mon intervention d'aujourd'hui à l'ordre du jour possible en matière d'investissement à l'OMC. Bien que j'aimerais souscrire à ce que Jeff vient de dire, à savoir qu'il serait souhaitable en principe de lancer une négociation plus globale sur l'investissement, mon analyse m'amène à être beaucoup plus timide dans mes propositions et beaucoup plus sombre dans mes anticipations.

[Traduction]

Si vous me permettez d'apporter mon grain de sel, je ferai les trois propositions qui suivent.

• 1555

La première, c'est que les investissements donnent vraiment l'impression d'avoir été mis au rancart, ou d'être en voie de l'être, pour ce qui est de l'ordre du jour s'appliquant aux échanges multilatéraux. C'est ce que je préconise en premier.

Je propose ensuite que l'on n'en perde pas le sommeil pour autant. Il ne faudrait pas trop se formaliser de ce que je qualifierais d'un recul passager. Si je parle ainsi, c'est parce que l'orientation fondamentale des marchés en ce qui a trait aux politiques et à l'action menées par les différents pays en matière d'investissement continue à être très favorable à une libéralisation, même si ce n'est pas sanctionné par les lois.

Troisièmement, même si l'on ne cherche pas à intégrer une discipline globale du type de l'ALENA ou de l'AMI au sein de l'OMC...

[Français]

Le président: On sait bien que vous venez de l'OCDE, et pas d'ailleurs.

M. Pierre Sauvé: J'espère que non. Je vais donc m'arrêter là.

Le président: Vous êtes donc toujours couvert par l'anonymat professorial aux États-Unis?

M. Pierre Sauvé: Tout à fait, et je souhaite demeurer le plus anonyme possible au sujet de cette question épineuse.

Je reprends mon troisième sound bite.

[Traduction]

Même si l'on ne cherche pas à intégrer une discipline globale s'appliquant aux investissements au sein de l'OMC, je considère que l'ordre du jour prévu à Genève en matière d'investissement nous donne largement la possibilité de progresser sur la question des investissements d'une manière qui réponde à la fois aux intérêts des investisseurs et des pays hôtes, et je suis convaincu que les négociations qui sont sur le point de reprendre dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, sont très prometteuses et devraient permettre d'atteindre cet objectif.

Je vais maintenant rapidement vous expliquer comment j'en suis arrivé à ces conclusions.

Quelle est tout d'abord la situation s'appliquant aux politiques d'investissement alors que nous nous préparons à réglementer ce champ d'activité à Genève? Je vais ébaucher un certain nombre d'éléments—économiques, politiques et juridiques—qui à mon avis vont caractériser la position des différents pays sur la question à Seattle.

Je commencerai par les forces du marché parce qu'il est important de ne jamais oublier ce que nous dit le marché, ce qu'est la réalité économique. En fait, les entrées et les sorties d'argent correspondant à des investissements directs étrangers continuent à progresser fortement. Les dernières statistiques de l'OCDE que j'ai consultées m'indiquent qu'en dépit des bouleversements financiers enregistrés en Asie, de leur prolongement et des séquelles constatées ou là, l'activité correspondant aux IDE reste extrêmement forte et qu'en réalité les flux d'investissement en direction des pays en développement restent supérieurs à 100 milliards de dollars par an, et ce depuis quatre ans. Au lieu de refroidir les entreprises et de les empêcher de déployer des capitaux productifs à l'étranger, je dirais que les récents événements ont encouragé encore plus les investissements directs étrangers hors des frontières. Je crois que c'est un important élément à signaler lorsqu'on se penche sur ces questions.

Un deuxième élément très caractéristique de la situation et, bien entendu, tout à fait spectaculaire, c'est la chute particulièrement rapide de l'AMI, une chute à mon avis aussi spectaculaire et aussi soudaine que l'ont été les promesses que faisait miroiter cet accord aux yeux de ses partisans. Je pense qu'il nous faut absorber, digérer et étudier les leçons de cette chute—et je me ferai un plaisir de vous faire part de mes réflexions à ce sujet, si je peux garder l'anonymat—avant de se lancer véritablement dans une nouvelle négociation.

Un troisième paramètre important de la situation qui caractérise les investissements est la nouvelle réalité des négociations mondiales et le fait que les réseaux des ONG opérant par la voie d'Internet ont une présence bien plus considérable et font entendre bien davantage leur voix. Les ONG se sont en réalité faits les dents sur l'AMI et vont être au centre des négociations sur l'avenir de l'OMC. Ce n'était pour elles qu'un entraînement, une avant-première, en prévision de la grande bataille qui va suivre. Je pense qu'il nous faut réfléchir aux répercussions de cette nouvelle réalité et il faudra bien entendu que les gouvernements sachent se doter des nouvelles formes de communication pour répondre aux ONG—aux inquiétudes légitimes et à celles qui le sont moins. Il y en a des deux types. C'est donc un défi à relever sur le plan de la communication, ce que l'on n'a pas su faire à mon avis dans le cas de l'AMI.

• 1600

Le quatrième facteur déterminant est le fait que le gouvernement américain n'a toujours pas vraiment décidé de la politique à suivre même si ce sont probablement les États-Unis qui ont le plus à gagner à la signature d'un accord multilatéral sur les investissements à Genève. Toutefois, étant donné que l'administration des États-Unis et le secteur privé ont tellement investi dans l'AMI, ils restent à mon avis quelque peu échaudés sur cette question.

Il y a ensuite le fait que toute cette question va être occultée de plus en plus par la politique de la campagne présidentielle des États-Unis, car la campagne est d'ores et déjà ouverte. Dans le cadre du débat public qui a lieu aux États-Unis, l'investissement reste considéré d'un point de vue politique comme une question qui risque d'affecter les syndicats et l'environnement, ce qui va déterminer l'action ou l'inaction de l'administration.

Le cinquième élément de la situation, c'est l'Europe—une commission européenne affaiblie et un délégué au commerce près de prendre sa retraite alors qu'il avait très actif sur la question, qu'il s'était intéressé personnellement et de très près aux questions liées à l'investissement et qu'il s'était fait le champion de la cause de l'adoption d'un régime d'investissement au sein de l'OMC.

J'ajouterai que l'Europe a par ailleurs deux autres caractéristiques. La première, c'est l'importance toute nouvelle qu'a prise le Parlement européen, ce que je considère comme un élément positif. Toutefois, le Parlement européen s'est montré très sceptique au sujet de l'AMI et l'on peut penser qu'il restera assez sceptique au sujet de l'adoption de règles s'appliquant aux investissements à Genève. Enfin, il y a le fait que le paysage politique en Europe est dominé par des gouvernements situés à gauche, qui sont au pouvoir dans la plupart des pays d'Europe. La plupart de ces gouvernements ne sont pas nécessairement bien disposés en faveur d'une très forte libéralisation du commerce ou des investissements.

Le sixième élément de la situation se rapporte à Genève. Depuis la rencontre ministérielle de l'OMC qui s'est tenue à Singapour, les membres de l'OMC se réunissent périodiquement au sein d'un groupe de travail sur le commerce et les investissements qui a été établi en décembre 1996. Cette procédure a été bien entendu très lente et je pense que cela reflète un certain nombre de choses. Tout d'abord, il y a le fait que la pente de ce que j'appellerai la courbe d'apprentissage sur les questions d'investissement est en soi très prononcée. C'est un domaine très complexe. C'est donc par définition très lentement que l'on doit parcourir tout ce chemin à Genève, avec de nombreux membres très divers et des pays qui en sont à des stades de développement différents et dont les priorités commerciales sont loin d'être les mêmes. Les principaux tiers ici, en plus des États-Unis et de l'Europe—les pays en développement—sont aujourd'hui comme hier très prudents sur les politiques envisagées en la matière alors que nous entrons dans les derniers préparatifs de la réunion de Seattle.

Le septième élément de la situation, c'est bien entendu la réunion ministérielle elle-même, qui va nous obliger à décider ce que nous allons faire au sujet des investissements. Va-t-on entreprendre des négociations? Va-t-on tout simplement laisser de côté la question? Va-t-on renouveler le mandat du groupe de travail en lui disant de continuer à discuter puisqu'il fait effectivement un excellent travail?

Enfin, je dirais que la situation se caractérise finalement par le fait qu'il semble tout à fait justifié, sur le plan économique et réglementaire, d'adopter des règles en matière d'investissement pour faire en la matière ce qui a été réussi sur le plan du commerce au cours des 50 dernières années. On ne peut pas affirmer d'un côté que la libéralisation des échanges, sanctionnée par des règles contraignantes à Genève—au sein du GATT et aujourd'hui de l'OMC—est responsable en partie de la prospérité remarquable dont a bénéficié le monde au cours de l'après-guerre, ajouter par ailleurs qu'il est démontré que les investissements sont plus importants aujourd'hui que le commerce en tant que force d'intégration de l'économie mondiale, et ne pas en arriver d'autre part à la conclusion que ce qui est bon pour le commerce devrait être bon pour les investissements. Je pense que vue sous cet angle, la situation justifie au moins que l'on envisage d'adopter une discipline en matière d'investissement au sein de l'OMC.

• 1605

Je juxtaposerai tous ces éléments de la situation pour en venir à une seule conclusion. Elle est contenue essentiellement dans mon premier argument ou en découle. Nous devons limiter nos attentes concernant ce qu'il nous est possible de faire à Seattle en matière d'investissement, quelle que soit la nécessité de l'entreprise.

J'en arrive à cette conclusion pour un certain nombre de raisons. La première, c'est qu'avant de se lancer dans une croisade en matière de réglementation, il y a une question tout à fait fondamentale qu'il faut se poser. Quel est le problème que nous cherchons à régler? Où est le défaut du marché? Quel est le défaut des politiques auxquelles une réglementation exhaustive cherche à remédier?

Lorsqu'on examine les tendances dans la réalité, ce qui s'est passé dans le monde au cours des 20 ou 25 dernières années, il est difficile d'en conclure que l'absence d'une discipline multilatérale en matière d'investissement a gêné les investissements internationaux. Ce n'est pas parce que la question fait énormément de bruit dans les milieux politiques qu'il faut oublier le fait qu'une forte libéralisation du régime des investissements s'est poursuivie en réalité avec bonheur et de manière unilatérale.

Il y a une chose qui distingue les investissements du commerce, c'est le jeu très différent du protectionnisme sur le plan politique. En matière commerciale, il y a une tendance cyclique à voir apparaître des poches de protectionnisme et des demandes de politiques protectionnistes.

Il semble qu'en matière d'investissement on ait naturellement tendance à faire ce qu'il faut, et cela ressort des enquêtes effectuées d'une année sur l'autre par la CNUCED au sujet de l'évolution des politiques nationales en matière d'investissement. Au cours des six ou sept dernières années, il y a eu quelque 600 changements significatifs apportés aux politiques d'investissement dans le monde. Dans 26 cas seulement on a adopté un traitement moins libéral des investissements étrangers. La tendance incontestable est donc en faveur de ce que je qualifierai de vertu unilatérale. C'est donc quelque chose qui nous garantit automatiquement, il faut s'en féliciter, que nous pouvons dormir sur nos deux oreilles même si nous n'avançons pas à Seattle.

La deuxième raison de ne pas trop nous préoccuper de la limitation de nos ambitions en matière d'investissement, c'est le fait que l'investissement est déjà englobé dans notre système des échanges. Le cycle d'Uruguay a entraîné l'adoption d'un grand nombre de dispositions qui traitent d'ores et déjà des questions d'investissement d'une façon assez confuse, assez accessoire, qui réclame davantage de cohérence et une meilleure intégration. Toutefois, il existe déjà de nombreux ancrages dans le système actuel en matière d'investissement, qu'il s'agisse de l'accord sur les mesures concernant les investissements liés au commerce, de l'accord sur les droits de la propriété intellectuelle lié au commerce, qui peut être considéré comme un accord de protection des investissements, du GATT, où l'on retrouve bien entendu le plus gros des dispositions, de l'accord sur les subventions et sur les mesures compensatrices; ou encore de l'entente sur le règlement des conflits.

Ce sont là des éléments d'un début de régime d'investissement qui figure déjà au sein de l'OMC et qui nous sert de base de départ en prévision du prochain cycle de négociations à l'ordre du jour.

Le dernier point que je veux relever, et pour que l'on ne se fasse pas trop d'espoir, c'est le fait que dans une certaine mesure l'existence du groupe de travail sur le commerce et l'investissement—et il faut assister aux réunions pour s'en faire une bonne idée—revient en fait à un lancement des négociations à Genève. Il n'a pas légalement le mandat de négocier mais, si l'on en juge par la façon dont les pays ont envisagé cet ordre du jour, il m'apparaît que l'on en est d'ores et déjà au stade préalable des négociations.

• 1610

Je dirais que nous avons d'excellentes raisons de ne pas vouloir aller trop vite, de ne pas passer du stade de la pratique au stade légal, parce que cela susciterait des réflexes mercantiles qui nous empêcheraient de nous pencher sur les questions de fond et de nous demander ce qu'il faut faire, quels sont les objectifs recherchés et quels sont les meilleurs moyens de les atteindre. C'est le premier défi qui nous attend à Genève.

Je terminerai donc sur une recommandation essentielle, qui comprend deux volets. Le premier, c'est de renouveler le mandat du groupe de travail sur le commerce et l'investissement pendant trois années supplémentaires, ce qui correspond essentiellement à la durée des négociations qui s'en viennent aux yeux de la plupart des intervenants. Il reste beaucoup de travail pédagogique à faire pour que l'on comprenne ce qu'entraîne l'adoption d'un ensemble global de règles en matière d'investissement.

En second lieu, il convient de tirer parti des éléments actuels de l'OMC pour faire avancer la cause de l'établissement de règles en matière d'investissement d'une façon qui serve les objectifs légitimes et utiles des investisseurs et des pays hôtes.

Je dirais en conclusion—et je me suis efforcé de développer ces idées dans mon mémoire—que le secteur des services offre le plus grand potentiel de libéralisation du régime des investissements parce que c'est essentiellement sur les services que se joue la libéralisation des investissements. C'est là que la plupart des obstacles aux activités internationales par l'intermédiaire d'une présence commerciale sont érigés dans la plupart des pays.

La protection n'est pas à l'ordre du jour, contrairement à ce qui était si évident dans l'AMI. La question ne se pose pratiquement plus, ou du moins elle ne se poserait que si l'on rédigeait mal la réglementation, ce qui a éventuellement été le cas dans l'ALENA et ce que l'on risquait de faire dans l'AMI. C'est en fait la libéralisation qui est à l'ordre du jour. Je pense qu'il y a beaucoup à faire à partir des dispositifs actuels du système tout en continuant à se faire l'avocat de cette cause au sein du groupe de travail. Voilà les deux volets de ma proposition.

Le président: Je vous remercie, monsieur Sauvé. Nous allons passer aux questions. Je rappelle aux députés que nous ne disposons que de 45 minutes et qu'il leur faut être brefs.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): Merci de ces excellents exposés. J'imagine qu'il me faudra beaucoup lire avant de pouvoir poser des questions intelligentes.

Jeffrey, vous avez abordé dans votre exposé les enjeux politiques et la situation actuelle de l'OMC en donnant votre interprétation pour l'avenir. Toutefois, les négociations à venir vont être préparées au sein des différents pays.

Lors de nos déplacements, nous avons entendu les arguments de chacun. Vous avez évoqué le rôle important que vont désormais jouer les ONG et le fait qu'il va falloir les écouter. Deux questions ont pris beaucoup d'importance, ce sont celles des critères liés à l'environnement et au travail que l'on veut intégrer aux activités de l'OMC, alors que les entreprises veulent qu'on les laisse de côté ou que l'on signe à leur sujet des accords distincts. La difficulté, c'est comment concilier ces deux choses? Certains ne veulent pas qu'on en parle, d'autres exigent qu'on le fasse.

Vous avez bien souligné le fait que l'OMC est soumise à de fortes pressions. Ce que je me dis, c'est qu'à partir du moment où l'on intègre toutes ces choses, l'OMC va peut-être crouler tout simplement sous la pression de tous ces règlements et de tous ces conflits sans pouvoir en fait s'acquitter de son mandat, qui doit être en réalité de promouvoir le libre-échange et les droits de la personne. La question est donc devenue de plus en plus importante.

Je ne pense pas que vous l'ayez traitée sauf pour dire que c'est une question importante. Quel est votre sentiment? Doit-on adopter un accord distinct indépendamment de l'OMC? Comment raccorder les deux choses? Qu'en pensez-vous?

M. Jeffrey Schott: Très brièvement, je pense qu'il y a des questions connexes, liées à l'environnement et au travail qui revêtent un très grand intérêt pour la conduite du commerce international et qui doivent faire partie intégrante de notre réglementation du système des échanges.

En matière d'environnement, il existe d'ores et déjà nombre de dispositions et d'accords qui s'appliquent aux différentes questions d'environnement reliées au commerce international. Il y a d'autres questions qui ont été débattues par le Comité sur le commerce et l'environnement au sein de l'OMC de façon à pouvoir en aborder d'autres qui ne sont pas encore assujetties à la réglementation de l'OMC, notamment la façon de garantir la conformité des accords multilatéraux en matière d'environnement, les obligations nées de ces accords, avec la réglementation de l'OMC—comment aborder par exemple la question de l'étiquetage écologique. Ce ne sont pas des questions faciles à résoudre.

• 1615

Toutefois, je considère qu'il y a une plus grande marge de manoeuvre sur les questions environnementales. Il ne faut donc pas assimiler les problèmes d'environnement et les problèmes liés au travail. Ils sont différents.

Le problème du travail est largement faussé par le fait qu'il a été évoqué au départ, principalement par les États-Unis, en 1994. Cette caractéristique particulière a empêché les pays de se réunir pour parler des véritables problèmes qui touchent le travail—les normes et les conditions de travail—qui faussent les règles internationales du commerce et des investissements et qui devraient légitimement être pris en compte par le système des échanges.

Étant donné cette situation et le fait que l'on a carrément déclaré lors de la réunion ministérielle de Singapour que les questions liées au travail ne figureraient pas à l'ordre du jour de l'OMC, tout en reconnaissant qu'il y a des groupes importants dans les pays développés et en développement qui soutiennent à bon droit que certains type de problèmes méritent d'être mis à l'ordre du jour, je propose dans mon mémoire, chose que je n'ai pas abordée dans mon exposé, que l'on cherche au minimum à rouvrir le débat à Genève sur le plan de la procédure en créant un comité de travail conjoint de l'OMC et de l'OIT, donnant ainsi force légale à une pratique informelle déjà en cours, en demandant à ce comité de répertorier, d'examiner et de signaler aux membres de l'OMC les différents problèmes qui touchent le commerce et les investissements internationaux et qui pourraient faire l'objet d'une étude ultérieure. Les pays pourraient ainsi rester à l'écart de la procédure tout en commençant à institutionnaliser la discussion afin que l'on puisse se pencher sur les problèmes dans le domaine du travail.

Sans vouloir trop m'étendre sur le sujet, j'ajouterai une dernière chose. L'une des raisons pour lesquelles on s'affronte tellement sur la question des conditions de travail, c'est le fait que nombre de pays soutiennent que ceux qui réclament cette mesure, notamment les États-Unis, le font en fait pour masquer une intention protectionniste, cherchant à appliquer des sanctions commerciales à des pays qui ont des normes moins strictes que les normes nord-américaines en matière de travail de façon à revenir sur la libéralisation du commerce obtenue lors des négociations antérieures. Je ne vais pas commenter ce genre d'allégations. Je pense qu'il y a peut-être certains éléments protectionnistes, mais qu'il s'agit davantage de favoriser une amélioration des normes de travail. Toutefois, c'est ce que font aussi tous les gouvernements du monde.

Si l'on négociait ou si l'on discutait au sein de l'OMC en appliquant la politique de la carotte et du bâton, ou même en laissant de côté le bâton pour discuter tout simplement de l'amélioration des normes s'appliquant au travail, éventuellement en donnant le feu vert aux subventions, ce qui n'a pas fait l'objet des discussions au sein de l'OMC, je pense que l'on aurait ainsi la possibilité de relancer de manière bien plus constructive les discussions et la négociation sur les liens existants entre le travail et le commerce.

Je pense toutefois que l'initiative doit venir des États-Unis parce que ce sont eux qui ont été à l'origine du problème il y a cinq ans en présentant des exigences assez radicales.

Le président: Merci.

M. Deepak Obhrai: Ai-je le temps de poser une autre question?

Le président: Non, il nous faut poursuivre, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Nous aurons peut-être le temps de revenir à vous.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Merci, messieurs, de vos présentations. Si le temps me le permet, je poserai des questions à nos deux témoins.

Monsieur Schott, vous nous avez gentiment fait parvenir un texte dans les deux langues officielles avant le début de notre séance et je tiens à vous en remercier.

Ma première question portera sur quelques éléments de votre texte. Vous dites entre autres que les décisions des groupes spéciaux et de l'organe d'appel devraient être communiquées sur-le-champ à tous les membres de l'OMC et au public. Est-ce que vous avez une idée de la façon dont on pourrait diffuser cette information aux membres de l'OMC et au public le plus rapidement possible?

• 1620

Plus loin dans votre texte, on lit:

    Étrangement, les États-Unis s'opposent à des augmentations de budget même si les engorgements causés à l'OMC par le manque de moyens nuiront aux intérêts commerciaux des États-Unis...

Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée sur cet aspect?

M. Obhrai nous a parlé de normes sociales, et vous nous avez entretenus de la possibilité d'un comité mixte OMC-Bureau international du travail, et peut-être même OMC-Organisation internationale du travail. J'aimerais aussi vous entendre préciser votre pensée là-dessus. Cela représente peut-être une piste de solution intéressante pour joindre ces deux sujets dont on nous a parlé à plusieurs reprises.

Monsieur Sauvé, vous avez beaucoup parlé de l'Accord multilatéral sur l'investissement, ainsi que du rôle croissant des ONG et de l'Internet. On entreprend de nouvelles rondes de négociation pour l'OMC, où on soulèvera probablement la question des investissements ou peut-être celle de la culture, sait-on jamais. Vous avez parlé d'un manque de communication de la part de ces différentes institutions à l'endroit du public et des ONG. Pourriez-vous nous proposer une solution afin qu'on évite de se retrouver dans le même guêpier dès le mois de septembre et de faire face à des manifestations où on orienterait tout de suite le débat vers l'antidémocratie, etc.?

Je tiens à vous dire que nous avons consulté 400 groupes représentant de nombreux membres. Je suppose que nous entendrons encore une fois dire que ces négociations sont menées de façon secrète et non transparente. Avez-vous des idées à nous proposer à ce niveau-là?

[Traduction]

Le président: Monsieur Schott, vous voulez commencer?

M. Jeffrey Schott: Je commencerai par répondre très brièvement aux questions parce qu'à bien des égards plusieurs d'entre elles se rattachent à la diffusion des décisions sur les conflits et aux restrictions budgétaires.

Je commencerai par les restrictions budgétaires. Le budget de l'OMC est réduit comparativement à celui de presque toutes les autres organisations internationales que je connais alors même que les États-Unis, le Canada et bien d'autres pays considèrent l'OMC comme l'organisation internationale de premier plan dans la conduite des relations commerciales internationales. Il s'agit là d'économies de bouts de chandelle.

Ce budget restreint a d'ores et déjà grandement limité les ressources analytiques de l'OMC sur le plan juridique et économique, et cette dernière a plus de difficultés à mettre en oeuvre en temps utile et efficacement son mécanisme de règlement des conflits. On en vient à épuiser le personnel juridique très compétent de l'OMC. On en vient à épuiser les éminents juges d'appel, qui s'occupent à temps partiel de la conduite des affaires de l'OMC mais qui finissent par résider presque tout le temps à Genève. Le chef du personnel chargé des appels portés devant l'OMC est d'ailleurs un éminent juriste canadien qui travaille au sein de cette organisation depuis ses débuts. L'organe d'appel a très bien fonctionné. Je dois dire qu'il est tout simplement débordé par le nombre d'affaires qui lui sont soumises.

Pour ce qui est maintenant de la diffusion des décisions portant sur le règlement des conflits, étant donné la limitation des ressources, on a pris du retard pour rédiger les décisions dans les délais très stricts prévus par le règlement de l'OMC, pour les traduire dans les différentes langues requises et pour les diffuser. Dans la pratique, les rapports font de toute façon l'objet de fuites et sont publiés dans la presse spécialisée, et presque tous ceux qui veulent s'informer au sujet d'une décision peuvent de toute façon en prendre connaissance très tôt.

J'ai donc préconisé que l'on diffuse immédiatement les décisions. Par le passé, on a toujours accordé un certain délai aux gouvernements participant aux conflits pour qu'ils commentent les décisions des groupes dans l'espoir de corriger les erreurs évidentes, ce qui pour l'essentiel ne s'est jamais produit de toute façon. J'ai préconisé que l'organisme d'appel en cas de conflit accorde aux pays la possibilité de contester les erreurs de fait ou de droit dans les décisions sans qu'il soit nécessaire de retarder la diffusion des décisions de façon à ce que les questions faisant l'objet d'un conflit soient plus largement diffusées dans le public.

• 1625

Pour ce qui est de la coordination entre l'OIT et l'OMC, dans ce domaine là encore le manque de ressources empêche l'OMC d'amener son personnel à collaborer étroitement avec les organisations internationales qui sont ses homologues, qu'il s'agisse de l'OIT, de l'OMPI, de l'OCDE, de la Banque mondiale, du FMI ou d'un certain nombre d'autres organisations pour que chacun puisse bénéficier de la compétence des autres. Il est évident que l'OMC ne peut être le spécialiste sur place de la propriété intellectuelle ou des questions du travail, mais il lui est possible de tirer parti de la compétence des autres organisations et il convient qu'elle le fasse. Nous ne devons pas chercher à refaire l'OIT au sein de l'OMC. C'est pourquoi je demande instamment une collaboration et une action coordonnée mais je vous signale, et votre question relie très clairement les deux choses, que toutes ces initiatives souffrent d'un manque de ressources et du budget trop limité qui est celui de l'OMC.

Le président: Je vous remercie.

[Français]

Monsieur Sauvé.

M. Pierre Sauvé: Il faudrait peut-être que l'OMC tente de faire ce que les Nations unies ont obtenu de Ted Turner, c'est-à-dire des fonds à long terme lui permettant de régler ce problème budgétaire qui est extrêmement aigu.

D'abord, j'aimerais présenter mes excuses au comité pour ne pas avoir distribué un document avant mon intervention et ne l'avoir diffusé que dans une seule langue officielle. J'ai commencé à rédiger ce document à 20 heures hier soir. À 19 h 59, il n'était dans aucune langue officielle parce qu'il n'existait pas. Je me suis dit que c'était quand même honteux de venir ici sans document. Le semestre universitaire s'est terminé cette semaine, et j'ai passé toute ma semaine à corriger des examens.

M. Benoît Sauvageau: Ce n'est pas un commentaire à votre égard.

M. Pierre Sauvé: Non, mais je...

M. Benoît Sauvageau: Nous n'avions pas reçu votre texte et j'ai donc fait ce commentaire...

M. Pierre Sauvé: Mais je me sens coupable d'être venu ici avec un texte qui ne répond que partiellement aux exigences linguistiques du pays.

J'aimerais avoir une réponse intelligente à vous donner, monsieur Sauvageau, concernant le problème de la communication. L'un des problèmes de l'AMI est qu'on ne s'est rendu compte du déficit en matière de communications que lorsque la négociation était déjà en cours. Il était trop tard, le dommage était fait. Il faut aussi dire que l'AMI était, d'une certaine manière, la première négociation multilatérale à faire face à un assaut du genre de la part des ONG et de la société civile. L'AMI

[Traduction]

L'AMI a en quelque sorte suscité toutes les craintes que l'on pouvait avoir au sujet de la mondialisation. C'était le symbole de la mondialisation et il n'avait aucune chance d'y échapper. C'était la seule cible disponible à l'époque. Il ne se passait rien à Genève. Tout a été mis sur le dos de l'AMI. Toutes les précautions qu'auraient pu prendre les gouvernements auraient échoué face à cette attaque généralisée, surtout compte tenu de ses faiblesses sur le plan de l'économie politique. Cet accord s'appuyait au départ sur des concepts incertains et ne bénéficiait que d'un appui limité de la part du secteur privé, qui aurait dû être son défenseur. C'était un très grand défi à relever sur le plan de la communication.

[Français]

Je crois que le seul moyen de pallier à ce problème, c'est de l'attaquer le problème en amont. Les devoirs que les gouvernements ont faits durant les négociations de l'AMI serviront leur cause lors des prochaines séances de négociations. On a élaboré un argumentaire qui permettra au gouvernement de défendre l'idée qu'il peut être utile, et même noble, de poursuivre la libéralisation des échanges et de l'investissement, que cette idée est ancrée dans une analyse économique rigoureuse et que les bénéfices découlant de sa poursuite sont convaincants.

Mais le défi qui restera entier sera celui de la communication. Comme vous l'indiquiez vous-même, vous avez rencontré 400 groupes et vous n'êtes pas à l'abri du 401e groupe qui va vous accuser d'avoir fait preuve d'un manque de transparence inacceptable. Les gouvernements ne seront jamais à l'abri de ces critiques-là, lesquelles se propagent très facilement sur l'Internet.

• 1630

Il faut avoir un peu d'humilité et se dire que, finalement, on ne pourra pas parer à toutes les attaques. Mais il faut quand même se donner les moyens de communiquer utilement le fond des choses et équiper les fonctionnaires et la classe politique des arguments nécessaires pour répondre aux préoccupations. Certaines d'entre elles sont profondément légitimes, tandis que d'autres sont totalement farfelues.

Le monde dans lequel on vit est un monde très très imparfait sur le plan de la communication. Il n'y a pas de solution magique à ce problème-là, mais il faut certainement se former à la tâche de la communication. C'est quelque chose qui est nouveau dans le domaine du commerce; on n'a jamais vraiment négocié sur la place publique et on ne s'est jamais préoccupé du besoin de communiquer le pourquoi et le b.a.-ba de la négociation. On vit dans un monde radicalement différent. Il va falloir en tenir compte et s'y préparer.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

Le président: Merci.

[Traduction]

Madame Finestone.

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Je vous remercie.

Je n'avais pas l'intention d'enchaîner dans cette même voie,

[Français]

mais je crois que vos observations au sujet de la préparation du terrain sont fort importantes. On devrait toujours tenir compte de l'importance de bien informer la société civile. Les pays qui souhaitaient la mise en oeuvre de l'AMI ont failli à cette tâche. Il est temps qu'on tienne compte de M. et Mme Tout-le-Monde.

[Traduction]

Donc, de ce point de vue, je ne regrette pas que l'AMI ait échoué. Je pense qu'il méritait de tomber dans l'oubli pour de nombreuses raisons, et c'est pourquoi entre autres je suis préoccupé par le nouveau projet sur les investissements.

J'aimerais aborder deux questions. J'étais tout d'abord dans le sud-est asiatique lorsqu'il y a eu cet énorme spéculation sur les marchés qui a amené la chute, s'accompagnant de terribles séquelles, des marchés monétaires et de l'économie, ou de l'absence d'économie, dans ces pays. Lorsque dans un pays donné on passe de 20 millions de chômeurs à près de 45 millions à la suite d'une simple spéculation sur les marchés monétaires, je crois qu'il y a là un problème grave auquel il convient de remédier. C'est ma première observation.

En second lieu, il semble que de la part d'un grand nombre de pays que je qualifierai de moyens—le Brésil et d'autres pays de ce genre—il y ait une véritable résistance ou une résistance officielle à négocier une forme quelconque de libéralisation des investissements au sein de l'OMC. J'imagine que ce sont des pays en développement, ou doit-on les qualifier de développés? Je ne sais pas comment vous les définissez, mais même si tous les pays veulent attirer les investissements, nombre d'entre eux hésitent à abandonner pour cela leurs politiques intérieures et leurs moyens d'action nationaux, autrement dit leur propre souveraineté dans ce domaine, lorsqu'il s'agit de contrôler ces flux.

Quelle forme de négociation des investissements est susceptible selon vous de répondre aux préoccupations de ces pays et de leur population, qui ont bien le droit de savoir et de comprendre ce que vous proposez? Qu'est-ce qui selon vous peut avoir raison de leur résistance lorsqu'il s'agit d'aborder les nouvelles questions portant sur les investissements dans le secteur des services et toutes celles qui vont suivre, j'imagine, à la suite des réunions de l'OMC ou des négociations du millénaire à Seattle? J'aimerais bien savoir en fait ce que vous pensez par ailleurs des répercussions de l'entrée de la Chine dans le système.

[Français]

Cette question peut aussi bien s'adresser à vous, monsieur Sauvé, qu'à

[Traduction]

Monsieur Schott, parce que je suis très tenté de vous demander quelles sont les perspectives qui s'offrent alors que le chef de l'OMC n'est pas encore nommé. Vous pouvez commencer par cela si vous le voulez.

M. Jeffrey Schott: Très bien.

M. Pierre Sauvé: Voulez-vous répondre à la dernière question?

M. Jeffrey Schott: En fait, j'aimerais aussi répondre à la première. Nous n'avons peut-être la même opinion.

On ne peut plus considérer les pays en développement comme un bloc. La situation a changé du tout au tout depuis le début du cycle d'Uruguay lorsque pour l'essentiel les pays en développement se sont alliés pour bloquer les discussions sur les investissements sauf sur la question limitée des mesures concernant les investissements liés au commerce.

Depuis 1986, les politiques nationales en matière d'investissement on changé du tout au tout. Comme Pierre l'a dit dans son exposé, ces pays veulent désormais avoir notre argent, et ils se font largement concurrence sur ce point. C'est ce que j'ai appelé parfois un concours de beauté à l'échelle mondiale. Les pays s'efforcent de concevoir les plus belles politiques économiques de façon à pouvoir disposer du meilleur climat pour les investissements. La plupart des pays en développement qui participent largement à l'heure actuelle aux mécanismes des échanges ont d'ores et déjà adopté à l'échelle nationale des régimes d'investissement que nous aurions aimé leur voir adopter lors des négociations antérieures.

• 1635

Il reste des pays qui se tiennent à l'écart. La Malaisie, l'Inde, le Pakistan et l'Égypte sont les quatre pays qui s'opposent avec vigueur à de nouvelles négociations sur les investissements au sein de l'OMC. Bien d'autres sont très réticents car ils nous ont demandé ce que nous comptions faire pour répondre à leurs objectifs prioritaires en contrepartie de ce que nous leur demandons dans ce domaine. Ils n'ont pas reçu de réponse satisfaisante de la part des pays de la commission quadrilatérale.

Je pense que si les pays de la commission quadrilatérale se montrent plus réceptifs, nombre de pays en développement feront preuve d'une attitude plus conciliante au sujet du grand nombre de discussions sur les investissements qui me paraissent nécessaires en plus de celles qui concernent les investissements dans le secteur des services.

Mme Sheila Finestone: Vous ne pensez pas que cette question remet en cause leur souveraineté et leur droit de gérer leurs propres affaires?

M. Jeffrey Schott: Je pense qu'à bien des égards ils se rendent compte que leur souveraineté est d'ores et déjà limitée. Ils peuvent maintenir leur indépendance, comme l'a fait M. Mahathir, en contrôlant les capitaux, mais ils ne peuvent pas en tirer les bénéfices qu'ils en attendent.

Prenez le cas du Brésil—et je connais très bien le ministre et les hauts fonctionnaires de ce pays—qui est très favorable à un régime d'investissements libres. Je pense que le Brésil est l'un des pays du monde en développement, après la Chine, à avoir su le mieux attirer les investissements directs étrangers; il arrive en deuxième position.

Toutefois, il y a des différences suivant les pays et je pense qu'il est important que votre comité n'oublie pas qu'il faut considérer les coalitions de pays dans lesquelles figurent à la fois des pays développés et en développement, à l'image de ce qui se passe au sein du groupe de Cairns en agriculture. Sur un certain nombre de points il y a des pays développés et en développement qui ont aujourd'hui les mêmes intérêts, et il nous faut en tenir compte.

Sur la question de la succession à Genève, je dirais qu'il y avait trois candidats très solides, très qualifiés, qui se sont présentés. Le premier, le Marocain, était moins qualifié que les autres. Toutefois, la situation s'est maintenant dégradée. M. Moore et M. Supachai sont tous deux qualifiés, mais l'impasse, l'impossibilité de trouver un consensus pour se ranger derrière l'un des deux fait qu'il me paraît plus difficile pour l'un comme pour l'autre d'assumer efficacement sa position au cas où il serait choisi. Je pense que M. Supachai a brûlé ses vaisseaux. Le GATT et l'OMC ont toujours opéré par consensus, ce qui signifie qu'à la fin tout le monde se range derrière un candidat et confère au directeur l'autorité morale lui permettant d'assumer sa fonction. Contrairement au directeur du FMI ou de la Banque mondiale, le directeur de l'OMC ne peut pas distribuer de l'argent pour trouver les appuis lui permettant de faire ce qu'il croit bon de faire. Il doit user de la persuasion politique et si au départ il ne bénéficie pas d'un fort appui de la part des membres, il est gêné dans son action.

Plus on va rester longtemps dans l'impasse, plus à mon avis les deux candidats risquent d'être irrémédiablement handicapés et il va falloir chercher quelqu'un d'autre, éventuellement au sein du monde en développement, susceptible de recevoir presque immédiatement l'appui des pays développés et en développement. Je pense qu'il y a des candidats qui sont susceptibles de répondre à ces conditions, qui ont déjà dirigé une grande organisation internationale et qui possèdent les solides compétences commerciales et financières qui s'avèrent indispensables face aux difficultés qui se présentent dans le monde actuel de l'économie.

Mme Sheila Finestone: Ne diriez-vous pas que...

Le président: Excusez-moi, madame Finestone, n'aviez-vous pas aussi une question à poser à M. Sauvé?

Mme Sheila Finestone: Oui.

Le président: Il ne vous restera qu'une minute pour cela, et si vous continuez à en poser à M. Schott...

Mme Sheila Finestone: Très bien, je m'arrête.

M. Jeffrey Schott: Excusez-moi d'avoir pris autant de temps pour mes réponses.

Le président: Je tenais simplement à vous prévenir parce que nous avons trois autres députés qui veulent poser des questions et qu'il ne nous reste plus que 20 minutes. Il faut surveiller la montre.

• 1640

M. Pierre Sauvé: Très brièvement, je dirais que l'échec de l'AMI est riche d'enseignements et même d'enseignements fort utiles. En ce qui concerne votre question, il faut dire qu'un de ces enseignements aura été fort surprenant: ce ne sont pas les pays en développement qui ont fait preuve de prudence ou qui ont rejeté cet accord, ce sont les pays développés qui n'étaient pas prêts à jouer la partie.

Mme Sheila Finestone: C'est que vous ne leur aviez pas parlé.

M. Pierre Sauvé: À terme, cela limite considérablement ce qui peut être fait dans un contexte multilatéral. Vous avez parlé du problème des marchés émergents qui ont été ébranlés par la volatilité des marchés financiers. Eh bien, j'estime que sur le plan de l'information nous devrons faire la distinction entre portefeuille d'actions et investissements directs étrangers. Ce sont là deux concepts qu'on a tendance à amalgamer; par ailleurs, on a aussi tendance à analyser la volatilité des marchés financiers par le prisme de la libéralisation du régime des investissements, qui concerne plus principalement les investissements directs étrangers. Ce sont pourtant deux questions très différentes.

J'estime important de faire la distinction entre ces deux réalités et je crois que tout régime d'investissement négocié dans le cadre de l'OMC devrait être davantage axé sur les investissements productifs, ce que sont justement les investissements directs étrangers. La démarcation entre ces deux réalités est parfois assez floue, même si la différence est pourtant importante. Nous devrions focaliser davantage le débat, tout comme avec la libéralisation et ne plus nous soucier de protectionnisme, parce que les traités d'investissement bilatéraux conviennent tout à fait pour régler ce genre de problème.

Dans les années 90, on a assisté à une explosion de traités sur les investissements bilatéraux entre pays développés et pays en développement. Tout à l'heure, Jeff disait que les questions de souveraineté ont été circonscrites. Mais il faut savoir qu'en 1996- 1997, on a signé un traité d'investissement bilatéral tous les deux jours. Les pays en développement sont donc disposés à signer ce genre d'entente pour montrer aux investisseurs étrangers qu'ils sont prêts à les accueillir, moyennant l'application de certaines mesures protectionnistes. Quant à moi, il n'est pas nécessaire de porter de telles dispositions à l'échelle multilatérale, surtout que, dans nos sociétés déjà fortement réglementées, nous ne sommes pas disposés à nous plier à ce genre de discipline.

Voilà donc des enseignements qui donnent à réfléchir, tant en ce qui concerne les pays développés que les pays en développement, et que nous mettrons un peu de temps à digérer.

Un dernier mot sur la Chine et le Brésil. Ces deux pays sont assez grands pour se passer de règles. Ils bénéficieront d'investissements étrangers quelles que soient les politiques en place, parce que leurs marchés sont tellement importants que les investisseurs seront prêts à y prendre beaucoup de risques. D'ailleurs, voyez ce qui se passe. La tendance dans ces deux pays est à une libéralisation plus systématique du traitement accordé aux investissements étrangers sans que cela donne lieu à un important renversement des politiques en place.

Encore une fois, la tendance de fond est rassurante et elle soulève la question de savoir s'il est vraiment nécessaire d'adopter un régime multilatéral étant donné les difficultés que cela soulève, notamment sur le plan des politiques.

Mme Sheila Finestone: Merci beaucoup.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président. Je remercie également nos deux invités.

Monsieur Sauvé, dans votre exposé, que j'ai grandement apprécié, sans mettre un frein aux futures négociations, vous posez à l'OMC des questions très importantes, dont celle de la pertinence d'essayer d'en arriver à des conclusions le plus rapidement possible. Vous nous avez aussi parlé d'un élément majeur dans ces nouvelles négociations, soit l'arrivée remarquée des ONG, en particulier celles qui se préoccupent de questions liées au travail, aux droits de la personne et à l'environnement.

M. Sauvageau vous a parlé au tout début du guêpier des dernières négociations dans le cadre de l'AMI. Je voudrais aller plus loin que le manque de communication que vous avez évoqué. Puisque, comme on le sait très bien, les discussions de l'OMC se déroulent en vase clos, de quelle façon doit-on intégrer ces ONG et la société civile? Le comité a entendu plusieurs groupes d'ONG et des représentants de la société civile. Peut-on les intégrer uniquement en tenant compte de leurs préoccupations dans le rapport que nous remettrons au ministre, ou peut-on, dans le cadre des règles actuelles, élargir leur participation à l'OMC si on veut vraiment que les prochaines négociations soient un succès?

Votre exposé nous porte à croire que vous êtes très satisfait du travail du

[Traduction]

Le groupe de travail de l'OMC sur le commerce et l'investissement.

[Français]

Une des premières recommandations que vous formulez à l'intention des ministres qui se rencontreront à Seattle, c'est de renouveler leur mandat pour les trois prochaines années. J'apprécierais que vous précisiez un peu ce que fait ce groupe de travail.

• 1645

M. Pierre Sauvé: J'aimerais répondre plus rapidement à la dernière de vos questions. Ce groupe de travail mène des recherches et est le théâtre de discussions très concrètes sur les tenants et les aboutissants des règles multilatérales sur l'investissement et leur lien avec les disciplines existantes à l'OMC. C'est un sujet complexe, en partie parce que l'OMC recèle déjà un très grand nombre de disciplines en matière d'investissement.

La question fondamentale du renouvellement du mandat doit circonscrire un peu la teneur de l'ordre du jour de ce comité pour lui demander de réfléchir à deux questions fondamentales. D'une part, quel type d'accord-cadre sur l'investissement peut-on concevoir? Quel consensus existe-t-il au sein de cette organisation sur le contenu d'un accord sur l'investissement? Quel type de discipline est-on disposé à développer?

Deuxièmement, quelles sont les conséquences concrètes de l'intégration de ces disciplines pour les disciplines existantes? Comment va-t-on faire le ménage pour qu'il y ait, sur le plan de la coexistence juridique, de la cohérence et non pas des contradictions juridiques internes à l'OMC?

Un accord multilatéral sur l'investissement à l'OMC aurait des conséquences très pratiques pour le fonctionnement de l'accord sur les services, par exemple, qui s'occupe d'une certaine manière de l'investissement dans les services. Il faut faire un peu le ménage dans tout cela. Voilà un peu le mandat renouvelé, mais plus focalisé, que j'entrevois pour ce groupe de travail à Genève.

Quant à votre première question, je considère que l'OMC est une organisation intergouvernementale. La plupart des gouvernements présents ont une certaine légitimité démocratique. On aimerait en voir plus, mais on vit avec le système qu'on a. Je crois que c'est au niveau des représentations nationales et au niveau des pays membres de l'OCDE qu'incombe l'obligation d'arbitrer les points de vue qui s'expriment dans les opinions publiques nationales. Je vois mal comment on peut, dans l'enceinte qu'est l'OMC, donner à des ONG, quel que soit leur point de vue, un fauteuil égal à ceux des gouvernements dont elles sont elles-mêmes issues. Il se pose un problème de légitimité politique à intégrer directement les ONG dans le processus de négociations.

Cela dit, je pense que l'OMC doit faire preuve de beaucoup plus d'ouverture dans un travail de communication, de pédagogie, d'intégration, de forums et de conférences. C'est déjà le cas; depuis quelques années, de nombreuses conférences internationales associent les ONG au dialogue en cours dans tous les domaines couverts par l'OMC. Je crois que ce processus doit continuer, mais l'idée d'associer les ONG directement aux négociations, de leur donner une voix égale à celle des États souverains, me paraît un peu suspecte. Merci.

[Traduction]

Le président: J'aimerais enchaîner sur cette question avec M. Schott qui voulait de toute façon ajouter quelque chose à ce propos. S'est posée bien sûr toute la question du lien entre la société civile et les accords commerciaux, que ce soit dans le cas de l'OMC ou encore dans celui de l'Accord de libre-échange des Amériques. Comme vous savez, tout un pan de ces discussions concerne la société civile.

On nous a refait la même suggestion que celle qui avait été formulée en atelier lors de la dernière réunion de l'OMC à Genève, réunion à laquelle certains membres de ce comité ont participé, à savoir qu'on crée une assemblée parlementaire au sein de l'OMC. On reprendrait pour cela le modèle du parlement européen, sans toutefois aller aussi loin. Quoi qu'il en soit, on se retrouverait avec une sorte d'association parlementaire, un peu comme l'association proposée pour l'OEA et dont beaucoup d'entre nous discutent en ce moment.

Étant donné votre expérience aux États-Unis, pensez-vous que cette suggestion pourrait être bien reçue par les Américains? Pensez-vous qu'elle pourrait passer? Pensez-vous que cette idée soit réalisable? Avez-vous des remarques à faire à ce sujet? Une telle formule permettrait de faire participer la société civile par la voix de représentants élus, plutôt que par le truchement d'ONG qui défendent plutôt des intérêts spéciaux d'un genre ou d'un autre.

M. Jeffrey Schott: Je trouve utile d'élargir la portée de la discussion sur les problèmes de commerce et j'ai toujours favorisé l'admission d'organismes non gouvernementaux. Leur point de vue est important, surtout parce qu'il sert à influencer les politiques nationales et donc à promouvoir des résultats susceptibles de recevoir un plus large soutien de la population.

• 1650

Toutefois, nous n'avons pas uniquement affaire à un problème de légitimité politique, comme le disait Pierre. En effet, comme il arrive souvent que les organisations non gouvernementales ne soient pas d'accord avec leurs gouvernements nationaux, elles essaient d'arracher sur la scène internationale des changements de politiques gouvernementales qui n'ont pas la faveur de leurs élus. Elles essaient donc de court-circuiter leurs gouvernements dans des tribunes internationales qu'elles utilisent pour promouvoir des normes que leurs propres représentants devront ensuite adopter.

Il n'y a rien de mal à cela, mais ce faisant, les organisations non gouvernementales et leurs représentants se retrouvent parfois en contradiction avec leurs élus. Ainsi, vous ne parviendrez pas à calmer ces gens-là en leur disant simplement que ce sont leurs élus qui feront désormais ce genre de travail, parce que très souvent ils ne sont pas d'accord avec eux. C'est du moins très clairement ce qui se passe aux États-Unis entre les ONG et la majorité des membres de la Chambre des représentants.

Mme Sheila Finestone: C'est étonnant qu'ils aient été élus.

M. Jeffrey Schott: Ils l'ont été, certes, mais pas par les ONG, et ils le sont plutôt envers et contre l'opposition véhémente d'une grande partie de ces groupes.

Le président: Par exemple, nous ne parlerons pas des PAC qui sont peut-être un type d'ONG spéciales dans le système politique américain.

M. Jeffrey Schott: Ils n'ont d'ailleurs pas posé grand problème dans certains secteurs.

Le président: Vous vouliez ajouter quelque chose, monsieur Sauvé?

M. Pierre Sauvé: Mon expérience de négociateur commercial me porte à dire que tout ce qui contribue au dialogue a un effet très positif sur le plan de la société civile. Tout ce qui favorise le dialogue conduit à un rapprochement tel qu'on peut au moins commencer à parler la même langue et à comprendre ce dont on parle.

Je vais vous donner un exemple concret que j'ai vécu lors de l'Uruguay Round, puis des négociations de l'ALENA. Les gens des services financiers ne voulaient pas participer aux négociations de l'OMC ni de l'ALENA, prétendant que le commerce n'avait rien à voir avec les finances. Ils disaient que nos entretiens ne concernaient que du commerce oiseux, sordide, que tout ça n'était que politique. Ils s'estimaient être les régulateurs du domaine des finances, autrement dit des gens importants s'intéressant à des questions systémiques tout aussi importantes, raison pour laquelle ils répugnaient à s'engager dans le débat.

En fait, durant la première année de négociations sur les services financiers, ces gens-là se sont réunis dans un restaurant japonais à l'extérieur de l'édifice de l'OMC. On les a même baptisés «Groupe Fu-Lung», du nom du restaurant.

Dix années sont passées et ces mêmes responsables des services financiers prennent part aux discussions de l'OMC. Ils s'y sentent tout à fait à l'aise. Ils en sont venus à comprendre qu'il y a des occasions à saisir à travailler ainsi avec les autres. D'un point de vue bureaucratique, je trouve que c'est un exemple riche d'enseignements qui nous montre bien qu'il faut trouver un moyen de se parler et de comprendre mutuellement ce qui se dit.

Dès qu'on veut intégrer la société civile, on se heurte évidemment à des contraintes sur le plan des ressources et à des problèmes de légitimité politique, ce qui ne fait que compliquer davantage la chose. Il est toutefois indéniable que l'OMC continuera d'intensifier son dialogue avec la société civile tout au long des prochaines négociations, parce que celle-ci légitimise la démarche entreprise d'une façon qui ne serait autrement pas possible. Même si vous n'êtes pas du tout d'accord avec les points de vue qu'exprime la société civile, elle demeure une voix légitime qu'il faut écouter dans les limites des contraintes imposées au système sur le plan des ressources.

[Français]

Le président: Votre expérience s'apparente à l'expression française qui dit que «le Quai d'Orsay n'est que le portier du Trésor». Cela traduit bien votre expérience internationale.

M. Pierre Sauvé: Mais ça change.

Le président: Ça a changé.

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Messieurs Schott et Sauvé, lors de vos interventions, vous n'avez ni l'un ni l'autre abordé la question culturelle. Vous savez qu'au Québec en particulier et dans d'autres pays, cette question revêt une importance capitale. J'aimerais entendre votre point de vue là-dessus.

J'aimerais également vous entendre parler de l'entrée de la Chine à l'OMC. Vous savez très bien qu'actuellement, la Chine négocie son entrée à l'OMC, par Kosovo interposé.

• 1655

Nous convenons tous qu'il y a eu une croissance importante des échanges commerciaux depuis la libéralisation du commerce. On avait dit que cette libéralisation devait profiter à tous. Or, on se rend compte que c'est un échec total quant à l'augmentation de la richesse pour le simple citoyen, et par ricochet pour les pays en voie de développement. Comment expliquez-vous cela?

Ma troisième question s'adresse plus particulièrement à M. Sauvé. Dans votre conclusion, vous disiez qu'il fallait réduire les attentes en vue de la prochaine rencontre de Seattle et qu'il ne fallait pas s'en faire. Vous disiez également qu'avant de lancer de grandes croisades, il fallait d'abord évaluer les échecs et les problèmes. Est-ce que vous nous conseillez de marquer un temps d'arrêt avant d'entreprendre les prochaines négociations pour évaluer tout ce qui s'est passé précédemment, lors de l'Uruguay Round et des rondes de négociations précédentes? Un certain nombre d'intervenants sont venus nous parler de cette possibilité. Ils disaient qu'avant d'entreprendre de nouvelles croisades, il fallait peut-être réfléchir à ce qui s'était passé jusqu'à maintenant. J'aimerais aussi entendre votre avis là-dessus.

M. Pierre Sauvé: L'occasion de réfléchir se présente en ce moment au gouvernement. Le problème est que l'idée de relancer la machine au 1er janvier 2000 est déjà accréditée. Tous les membres de l'OMC ont souscrit à l'accord de Marrakech, qui a donné naissance à l'OMC. En signant l'accord, ils ont aussi appuyé l'idée de se remettre à table le 1er janvier de l'an 2000, dans sept mois.

C'est maintenant qu'il faut se prévaloir de cette occasion de faire cette réflexion. Bien sûr, cette réflexion va se poursuivre tout au long du processus de négociations et, d'une certaine manière, va conditionner la prédisposition de tel ou tel pays à se mettre à table de façon sérieuse ou à exiger beaucoup de concessions pour aller de l'avant. Cela, c'est le jeu normal des négociations. Donc, l'idée voulant qu'il faille faire une espèce de time out et revoir ce qu'on a fait et ce qui s'est passé concrètement depuis la conclusion de l'Uruguay Round me paraît difficilement compatible avec le calendrier qui est en cours.

Cela n'est pas tout à fait le cas de l'investissement, dès lors que c'est un sujet nouveau. On n'a pas encore intégré de façon globale ces questions. Donc, nous avons l'occasion de réfléchir sur un certain nombre de sujets dits nouveaux: l'environnement, la concurrence, l'investissement, les normes du travail, la fiscalité et la culture.

Parlons de la culture. J'étais à Paris il y a quelques semaines et j'ai fait une allocution qui portait le titre «Un accord multilatéral sur la culture est-il possible ou souhaitable?» Ma réponse était oui, à double titre, parce qu'on a réussi à négocier dans le passé des accords relatifs à des sujets aussi complexes et délicats que la culture, et peut-être même plus pour certains pays. Donc, il ne faut pas se dire que la complexité de la situation est telle qu'il est impossible d'agir. C'est nécessaire parce que, selon moi, c'est un sujet qui touche à l'épiderme...

Mme Maud Debien: À l'épiderme.

M. Pierre Sauvé: ...et qu'il faut cesser de se se réfugier derrière les notions d'exception culturelle qui, sur le plan juridique, sont un leurre: elles n'existent pas. Le Canada n'a pas véritablement de défense crédible lui permettant de se mettre à l'abri de mesures potentiellement discriminatoires en matière de commerce et de culture, comme les panels récents de l'OMC l'ont démontré. Il faut songer sérieusement à une façon de se sortir de l'échappatoire actuelle parce qu'on est face à une machine de guerre américaine qui conçoit la culture comme du business et de l'entertainment, qui comprend mal les préoccupations des Canadiens et qui mettra sur la table le 1er janvier de l'an 2000 des demandes très offensives en matière de services audiovisuels. Il faut s'y préparer.

Charlene Barshefsky l'a déjà annoncé; cet ordre du jour est préannoncé. La question est de savoir si on peut se mettre à table et circonscrire les paramètres d'un accord qui déterminent ce que les gouvernements peuvent légitimement faire en matière de soutien à la culture et peuvent circonscrire, prohiber ou limiter progressivement, comme on négocie dans n'importe quel autre secteur.

• 1700

Est-ce qu'on peut affirmer d'une certaine manière qu'il s'agit ici d'un secteur un peu différent, qui touche à l'épiderme? Il va falloir crever l'abcès d'une certaine manière et trouver un équilibre. L'équilibre actuel est intenable, et les procédures juridiques américaines ne vont pas cesser tant que les Américains n'auront pas obtenu entièrement gain de cause. La machine procédurale américaine dans ce domaine ne s'arrêtera pas de sitôt. Il me semble que c'est un argument convaincant pour se mettre à table. Est-ce que les Américains en ont envie? Pas du tout!

Ce que j'appelle un Big Mac, un accord multilatéral en matière de culture, ne les intéresse aucunement, parce qu'à leurs yeux, d'une certaine manière, cela légitime le protectionnisme dans ce secteur. Ils ne se font pas d'états d'âme lorsqu'il suffit de légitimer le protectionnisme en matière de marchés publics, en matière d'importation d'acier ou en matière de transport maritime.

Mme Maud Debien: Ou de subventions à l'agriculture.

M. Pierre Sauvé: Ou de subventions à l'agriculture, quoique là on est tous des pécheurs.

Mme Maud Debien: Pas au Canada.

M. Pierre Sauvé: Y compris au Canada, malheureusement.

[Traduction]

M. Jeffrey Schott: Vous savez, nous sommes tous des pécheurs dans le domaine de la culture également.

[Français]

M. Pierre Sauvé: Donc, je crois qu'il faut se mettre à table, d'autant plus que la prochaine négociation sur le GATT va remettre ces questions à l'ordre du jour. Est-ce qu'on peut créer des coalitions sur le plan mondial pour soutenir le Canada dans sa croisade culturelle? J'en doute à l'instant où on se parle.

Mme Maud Debien: Même avec la France?

M. Pierre Sauvé: Curieusement, la France n'a pas non plus envie d'un Big Mac, mais on pourrait en débattre bilatéralement. C'est une des grandes leçons que j'ai retenues de mon voyage en France.

[Traduction]

M. Jeffrey Schott: Les Français ont Disneyland.

Monsieur le président, pourrais-je brièvement répondre à ces trois questions?

Premièrement, je ne me lancerai pas dans un grand exposé sur le thème de la culture, parce que nous n'en avons pas le temps, mais quant à moi, ces pays devraient enrichir leur patrimoine culturel, et nécessairement adopter pour cela certaines mesures de protection. Il est toujours possible de protéger la culture, que ce soit par l'exclusion de produits étrangers ou par l'octroi de subventions, peu importe, j'ai toujours pensé qu'un pays qui veut vraiment enrichir son patrimoine culturel peut le faire en octroyant des subventions. Cependant, cette formule ne semble pas avoir reçu la même faveur que les autres moyens de protection au Canada, à cause de contraintes financières ou budgétaires ces dernières années. Sur le plan pratique, cette situation a été source de tensions entre les États-Unis et le Canada, mais je reconnais que c'est un dossier qui va beaucoup plus loin et je n'ai malheureusement pas assez de temps pour vous en parler.

Deuxièmement, pour ce qui est de la Chine et de l'OMC, l'entente qui aurait dû être conclue entre ces deux pays le mois dernier aurait normalement dû accélérer l'adhésion de la Chine à cette organisation d'ici la fin de cette année. Personnellement, je crois que c'est parce que l'administration Clinton n'était pas politiquement prête à accepter l'offre très généreuse des Chinois—et donc qu'elle n'a pas «préparé» le Congrès à accepter ces conditions qui allaient bien au-delà de ce quiconque aurait pu penser possible il y a à peine trois ou quatre mois—que cela ne s'est pas fait.

Se pose entre-temps la question de savoir si cette proposition des Chinois résistera au débat interne qui se déroule chez eux et aux complications qu'a entraîné l'intervention militaire dans les Balkans. Une partie de la hiérarchie politique chinoise a toujours jugé plus facile que ce pays continue de faire cavalier seul dans le système commercial international, parce que cela lui donne la plupart des avantages que confère l'adhésion à l'OMC sans en avoir les obligations. Bien sûr, cela est faux et les dirigeants chinois l'ont admis, mais cette position pourrait refaire surface en réaction au développement des dernières semaines.

Troisièmement, vous avez parlé d'un aspect très important au sujet de la redistribution des dividendes commerciaux dans les pays en développement. On a vu que, dans les nombreux pays en développement, mais surtout en Amérique latine, qui ont libéré leur commerce, les économies ont très bien réagi et ont connu une croissance rapide, même si les dividendes de cette croissance n'ont pas été équitablement répartis entre les citoyens et donc que l'écart entre les riches et les pauvres s'est accentué.

• 1705

D'où les aspects sur lesquels la Banque mondiale et le FMI se concentrent de plus en plus, à savoir la deuxième génération des réformes, moyen de parvenir à des politiques nationales mieux adaptées—par une meilleure administration, par un meilleur système judiciaire, par des services publics améliorés—politiques qui bénéficieront principalement aux tranches les plus pauvres de la société. Cela doit se faire à l'échelon national, mais avec l'assistance technique des organismes internationaux, pour réduire l'écart de revenu entre les riches et les pauvres et pour régler plus rapidement la question de la pauvreté, qui est encore très réelle dans les pays en développement—y compris dans ceux qui ont beaucoup progressé au cours de la dernière décennie. Je dirais donc que vous avez mis le doigt sur un problème très important.

Le président: Merci.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Monsieur Speller, nous étions censés avoir quitté ce lieu à 17 heures, mais si vous avez une brève question à poser, vous pourriez sans doute...

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): J'ai effectivement une brève question pour M. Schott. Vous avez dit qu'il était nécessaire d'abandonner les subventions à l'exportation. J'aimerais savoir si vous pensez qu'il sera possible de conclure un accord dans le secteur agricole et si cet accord pourra également porter sur les programmes d'aide nationaux.

M. Jeffrey Schott: Vous connaissez cette question sans doute mieux que moi. Les chances de parvenir à un accord agricole lors de la prochaine série de négociations se sont estompées après le repli de l'Union européenne, à Berlin, dans le dossier de la réforme de la Politique agricole commune. Ainsi, à moins qu'on parvienne à arracher une politique ou une position ferme aux Européens, c'est tout l'accord agricole qui va être dilué. Je ne fais pas porter tout le blâme aux Européens. Les États-Unis, eux aussi, sont très protectionnistes dans quelques secteurs. Par exemple, pour le sucre, qui préoccupe bien des pays...

Le président: Notamment le Canada.

M. Jeffrey Schott: ...notamment le Canada, et cette question sera au centre des négociations de l'OMC et de la Zone de libre- échange des Amériques. L'USTR et le ministère de l'Agriculture ont- ils pour autant un plan à poser sur la table? Je n'en suis pas sûr. Ainsi, la seule façon d'obtenir un accord élargi dans le domaine de l'agriculture consiste à refaire ce que nous avions fait pour l'Uruguay Round, c'est-à-dire à négocier des accords plus larges dans d'autres domaines pour que chaque pays soit gagnant. Pour que le Canada accepte d'infléchir ses mesures protectionnistes actuelles, il lui faudra retirer d'importants gains en général de sorte à pouvoir améliorer les économies de toutes les provinces, d'Est en Ouest. C'est là, quant à moi, une entreprise très difficile qui se trouve compliquée par le fait que les principaux acteurs hésitent à dévoiler toutes les barrières qu'ils érigent.

Le président: Je vous remercie beaucoup. On a beaucoup entendu parler d'agriculture lors de ces audiences. Il est plutôt décourageant d'entendre dire que les Européens ont peut-être sapé d'avance toutes les chances de parvenir à un résultat, mais il n'en demeure pas moins que l'agriculture semble être l'un des secteurs épineux de la prochaine série de négociations.

Oui, madame Finestone.

Mme Sheila Finestone: Pourrais-je poser une question à M. Schott en complément de la réponse qu'il a donnée à Mme Debien au sujet des produits culturels.

Le président: Vous voulez savoir si les accords culturels devraient ou non faire partie de l'OMC?

Mme Sheila Finestone: Effectivement. En fait, je veux savoir s'il serait mieux de chercher à négocier des ententes spéciales au sein de l'OMC ou en dehors de l'OMC.

M. Jeffrey Schott: Il se trouve que j'ai été négociateur en matière de subventions. C'est dans ce domaine que je me suis fait les dents en commerce international. Bien sûr, j'ai travaillé sous la direction de Rodney Grey qui m'a aidé dans mes premières négociations, sans doute pour le plus grand bénéfice du Canada. Pour en revenir à votre question, je dirais qu'une partie de la solution réside peut-être dans le fait qu'on devrait autoriser les pays membres à verser certaines subventions à l'appui des activités culturelles, subventions qui ne seraient donc pas soumises à examen au titre des droits compensateurs. Ce pourrait être une façon, du moins dans un des volets de l'OMC, de ménager un espace sûr à la protection culturelle. En outre, ce serait une façon positive d'agir—dans la mesure où la protection des marchés peut-être positive—par le biais de subventions plutôt que par celui de l'application de quotas.

• 1710

Mme Sheila Finestone: Ce genre d'accord aurait-il préséance sur l'ALENA ou sur l'Accord de libre-échange d'où la culture est exclue?

M. Jeffrey Schott: S'agissant de la relation entre l'ALENA et un nouvel accord de l'OMC, il faudrait sans doute que je demande un avis juridique.

Mme Sheila Finestone: Parfait.

Le président: Cet accord viendrait après et l'on pourrait donc soutenir que c'est un accord ultérieur...

Mme Sheila Finestone: N'était-ce pas un des aspects qui...

Le président: ...survenus entre les parties. Mais vous vous rappelez que cet aspect a été soulevé dans un cas avec les États- Unis. Je suis certain que vous avez suivi cela de près au Canada, monsieur Schott, et vous savez peut-être que les groupes culturels de chez nous sont très... je ne dirais pas méfiants, mais plutôt préoccupés par l'idée d'appliquer des subventions pour régler ce problème. C'est peut-être une solution qui convient davantage en droit commercial international, mais elle est moins garantie aux yeux de ceux qui en bénéficient, à cause des changements de gouvernement et des restrictions budgétaires qui peuvent survenir à l'occasion...

M. Jeffrey Schott: Tout à fait.

Le président: ...de sorte que les acteurs eux-mêmes hésitent beaucoup à opter pour la formule des subventions, précisément parce qu'ils ne savent pas pendant combien de temps ils pourront en bénéficier. C'est donc là un problème très délicat.

M. Jeffrey Schott: C'est une des raisons pour lesquelles les gens intéressés à la libéralisation du commerce ou au libre-échange ont toujours préféré les subventions, parce qu'avec le temps, les contraintes budgétaires infléchissent le protectionnisme.

Le président: Merci beaucoup à tous deux de vous être déplacés, vous de Washington et vous de Harvard. Sachez que nous avons apprécié le temps que vous avez bien voulu nous consacrer. Nos échanges ont été très utiles et vos remarques ont enrichi notre débat.

Nous allons lever la séance et nous revoir demain matin à 9 heures pour accueillir l'ambassadeur Juneau de l'Union européenne à qui nous pourrons poser des questions sur la PAC. De 10 heures à 12 heures ou de 10 h 30 à 12 heures, nous tiendrons nos audiences sur le projet de loi S-22, Loi sur le précontrôle. Demain, nous siégerons donc de 9 heures à midi.

Merci beaucoup. La séance est levée. Rendez-vous demain.