Je tiens à vous présenter les excuses de mon collègue, Robert Roach, qui devait être ici. Il est tombé malade par suite de certains déplacements pendant la fin de semaine à Winnipeg, et je comparais donc ici tout seul.
Je suis heureux de l'occasion qui m'est ici donnée de m'entretenir avec vous. La réforme du Sénat m'intéresse depuis environ 1973. La question intéresse également depuis longtemps la Canada West Foundation, pour laquelle j'oeuvre à l'heure actuelle. Je tiens à souligner que ce que je vais vous soumettre n'est pas une position adoptée par la Canada West Foundation. En tant qu'organisation, nous n'avons pas de position formelle, ni sur le projet de loi, ni sur la réforme du Sénat en soi.
Je tiens également à souligner en guise de préambule que je suis politicologue de formation, et non pas avocat de droit constitutionnel. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas d'opinions relativement à la Constitution, mais celles-ci sont davantage le fait d'instincts politiques que de formation juridique.
Mes notes seront mises à la disposition du comité dès que la traduction sera prête, peut-être d'ici la fin de la semaine. Je vais en traiter assez brièvement ici, et je me ferai bien sûr un plaisir de répondre à toutes vos questions.
Permettez-moi de commencer mes remarques en soulignant l'importance du contexte dans lequel s'inscrit le . Le contexte qui est important pour moi est l'engagement pris par le gouvernement du Canada de poursuivre une réforme exhaustive du Sénat. Ce n'est que dans ce contexte que le projet de loi C-20 a un sens, et j'y reviendrai plus loin, dans le coeur de mes remarques.
Dans l'ébauche écrite, j'établis de manière générale le bien-fondé de la réforme du Sénat. Je ne vais pas en répéter le détail ici, car le comité connaît bien ces arguments. Je mentionnerai simplement les trois points les plus saillants. Le premier est la nécessité d'une représentation régionale plus efficace. Deuxièmement, il importe qu'il y ait un contrepoids face au gouvernement majoritaire à la Chambre des communes. Les gouvernements parlementaires tendent à concentrer le pouvoir, et le Sénat offre au moins la possibilité de faire contrepoids, en un sens.
Le troisième argument est réellement un argument démocratique. J'emploierais le vocabulaire de l'environnementalisme: le Sénat canadien n'est pas durable à long terme. Je soulignerais que, bien que mon intérêt original pour cette question soit né des échecs en matière de représentation régionale, aujourd'hui l'argument le plus convaincant en faveur de la réforme du Sénat est à mon sens le renouveau démocratique. J'estime que les arguments en faveur de la représentation régionale demeurent importants, mais ils sont pour moi moins probants que la nécessité d'un renouveau démocratique.
Bien que la puissance des arguments en faveur de la réforme du Séant ait augmenté au fil du temps, nous n'avons fait aucun progrès en matière de réforme d'une institution du XIXe siècle afin de lui permettre de mieux relever les défis du XXIe siècle. Nous sommes en train de faire du sur place tandis que le monde change autour de nous.
En réfléchissant à cette situation, il me semble que nous nous trouvons confrontés à deux possibilités. Nous pouvons attendre que le Sénat s'effondre à la suite d'une crise de légitimité démocratique, d'un grave conflit à la Chambre des communes, ou bien tenter de le restructurer de manière à le rendre plus conforme aux valeurs démocratiques libérales. À mon sens en tout cas, ne rien faire ne fait que retarder l'inévitable, et transmettre le statu quo à nos enfants et petits-enfants serait des plus irresponsables. L'image du Sénat qui me vient à l'esprit est celle d'une institution improvisée il y a de cela 141 ans et maintenant figée dans le temps tel un insecte pris au piège dans l'ambre jaune.
Et maintenant, quel lien cela a-t-il avec le ? Mes observations en la matière seront plutôt directes. Je considère que le projet de loi C-20 est un pas en avant raisonnable. Il cadre avec ce qui existe dans des États fédérés comme l'Australie et les États-Unis. Il est même conforme à la notion la plus rudimentaire d'un gouvernement démocratique. Il correspond aux résultats obtenus dans le cadre des récents sondages d'opinion publique, ainsi qu'aux valeurs canadiennes.
Je conviens que le projet de loi C-20 ne nous mène pas très loin sur le chemin vers une réforme exhaustive du Sénat, et vous savez quels aspects n'y sont pas abordés. Il ne traite pas de tout un tas d'aspects du Sénat. Il ne constitue donc pas une destination finale et n'est qu'un tout petit premier pas, mais il est malgré tout un pas en avant et montre qu'une réforme progressive est possible.
Pendant des années, les Canadiens se sont fait dire que la réforme du Sénat est peut-être souhaitable, mais qu'elle doit être abordée de manière exhaustive plutôt que de façon progressive. On nous a également dit qu'une réforme exhaustive exigerait des modifications à la Constitution, et qu'une telle révision de la Constitution est impossible et que la réforme du Sénat est de ce fait impossible.
Nous avons donc ainsi un argument bien net et circulaire selon lequel la perfection devient l'ennemi du bien. On nous dit que toute réforme progressive, même la plus petite intervention qui soit, doit être évitée s'il y a risque de dérapage vers une réforme constitutionnelle. Ce raisonnement a à mon sens favorisé un débat public quelque peu déloyal, car si tout le monde s'aligne en faveur de la réforme du Sénat, cela ne fait que diviser ceux et celles qui pensent que la chose est vraiment souhaitable mais non réalisable de ceux qui prônent une réforme progressive, et je suis certainement de ce deuxième groupe.
D'aucuns avancent que le projet de loi pourrait très bien finir par être la destination finale, être non seulement le premier pas mais également le dernier, auquel cas l'élection ou la sélection de sénateurs pourrait ainsi geler l'actuelle distribution régionale des sièges au Sénat et les pouvoirs législatifs de ce dernier. Je pense que cette préoccupation est fondée sur l'hypothèse que les sénateurs nouvellement élus risqueraient d'être encore plus hostiles au changement que les sénateurs déjà en place. Je n'accepte pas cet argument. Je pense que les sénateurs en place ont déjà fixé très haut la barre en matière de résistance, et je ne peux imaginer aucune combinaison de sénateurs élus ou nommés qui serait plus résistante que les membres actuels de cette chambre.
Je conviens, et je pense que la chose est extrêmement importante, que les changements proposés par le projet de loi nous placeraient dans une situation quelque peu chaotique en ce qui concerne le Sénat. Mais j'y vois une vertu du projet de loi plutôt qu'un défaut fatal. Le projet de loi déstabiliserait le statu quo et obligerait ainsi les Canadiens à prendre en main la conception d'une chambre haute modernisée et démocratique. Le processus doit débuter quelque part, et le projet de loi C-20 établit un point de départ raisonnable. Je crois que le fait d'apporter des changements modestes aujourd'hui améliorera nos chances d'instiller la volonté politique de faire face à des changements plus importants demain. Si nous commençons par entamer petit à petit le statu quo, nous pourrons mettre en branle la dynamique politique qui nous permettra de faire avancer le processus.
Je reconnais que le projet de loi repousse les limites de la constitutionnalité, bien que les contraintes constitutionnelles soient, au mieux, inconnues, dans le contexte d'une constitution évolutive. Nous savons que la Constitution évolue dans le temps. Nous savons que les tribunaux ne sont pas liés par une application littérale de la loi. Nous avons pu le constater dans la manière dont les tribunaux ont progressivement élargi la Charte des droits et libertés. De toute façon, je tiens à souligner que je ne suis pas un avocat de droit constitutionnel, ce qui explique peut-être pourquoi je ne suis pas prêt à remettre toute la question de la réforme du Sénat entre les mains des tribunaux qui ne sont à mon avis pas suffisamment outillés pour traiter de ce qui est, en fin de compte, une question politique. La démocratisation des institutions parlementaires et l'établissement d'une représentation régionale efficace ne sont pas, à la base, des questions de droit; elles sont des questions politiques.
De la même manière, d'aucuns prétendent que nous ne devrions rien entamer sans avoir obtenu au préalable l'appui des provinces. Cependant, j'hésite à concéder que la conception des institutions parlementaires nationales doive revenir aux gouvernements provinciaux. Je ne crois pas que la fédération devrait être décentralisée au point de permettre aux gouvernements provinciaux d'empêcher, dans leur propre intérêt, la réforme démocratique d'institutions parlementaires nationales. Je ne crois pas non plus que leur opposition potentielle à la réforme du Sénat reflète nécessairement le désir des habitants des provinces, et ce sont ces citoyens que nous voulons représenter.
J'aimerais simplement porter à votre attention une analogie utile avec la Charte des droits et libertés. Nombre des gouvernements provinciaux étaient au départ opposés à la Charte des droits et libertés. Le gouvernement du Canada a maintenu le cap et il s'est avéré que les habitants des provinces étaient majoritairement en faveur, et les gouvernements provinciaux ont dû se plier à leur volonté.
Si le ouvre le bal relativement à la réforme du Sénat, quelles pourraient être les étapes suivantes?
Je vais conclure avec les points que voici. Nous sommes confrontés à un problème d'envergure. Nous n'avons pas de modèle acceptable de ce à quoi pourrait ressembler un Sénat entièrement réformé. Nous n'avons tout simplement pas quelque chose que nous puissions ramasser sur l'étagère.
Mon organisation s'est beaucoup intéressée au modèle « triple E ». Je trouve que le modèle triple E commence à fatiguer et qu'il manque aujourd'hui de pertinence dans le pays que nous sommes en train de devenir.
Il n'est guère étonnant pour moi que nous n'ayons pas de modèle acceptable ou consensuel de ce à quoi pourrait ressembler un Sénat réformé. Nous avons consacré une si grosse part de notre énergie intellectuelle à empêcher la réforme du Sénat qu'il ne nous en est resté que très peu pour réfléchir à ce à quoi pourrait ressembler un Sénat réformé.
S'il nous est possible d'avancer, alors il nous faut déterminer un mode d'élection approprié. Si nous ne trouvons pas la bonne formule électorale, nous pourrions nous retrouver en très sérieuse difficulté. Il nous faut une formule de représentation régionale qui cerne la complexité de ce pays et qui réponde à la distribution très inégale de la population entre les différentes provinces. Il nous faut trouver le moyen d'inscrire dans un Sénat réformé les territoires du Nord à la population très clairsemée.
Il nous faut établir une représentation non territoriale dans le Sénat — comment faire pour avoir un système électoral qui veille, par exemple, à ce que la population autochtone de la Saskatchewan, les Acadiens du Nouveau-Brunswick ou les libéraux de l'Alberta soient d'une manière ou d'une autre représentés au sein du Sénat.
Nous n'avons pas déterminé quelle incidence un Sénat réformé pourrait avoir sur la Chambre des communes. Je pense qu'une réforme du Sénat déclencherait un certain nombre de réformes plutôt fondamentales au sein de la Chambre des communes, dont, peut-être enfin, une pleine représentation selon la population à la Chambre des communes.
Je serais heureux de discuter longuement avec vous de toutes ces questions, car vous êtes le seul groupe avec lequel je puisse le faire. Je pense que si notre tir est bon, nous pourrons créer un Sénat qui sera véritablement une assemblée législative nationale, reflétant non seulement la diversité régionale, mais également la diversité à l'intérieur des communautés provinciales. Cependant, si nous nous trompons dans le détail de la conception, nous ne ferons qu'aggraver une situation qui est déjà mauvaise.
D'aucuns disent que nous devrions tout arrêter en attendant d'avoir trouvé toutes les solutions, mais l'expérience passée montre que les Canadiens ne commenceront même pas à s'attaquer à ces questions importantes de conception tant que le train de la réforme du Sénat n'aura pas quitté la gare. Si nous ne profitons pas de la dynamique qu'amènera le , alors il ne se passera rien. Il faut stimuler la pensée créatrice, et c'est ce que fera le .
En conclusion, certains feraient également valoir qu'il nous faut être prudents, qu'il nous faut attendre que les premiers ministres des provinces entrent dans le rang ou que les tribunaux tracent la voie à suivre. Or, nous avons été prudents, excessivement prudents, pendant des générations, et il ne s'est rien passé. Il ne s'est rien passé pendant 141 ans.
Pour citer maintenant le projet de loi, je dirais que le Parlement du Canada a pour responsabilité première de veiller à ce que « les institutions représentatives du pays, notamment le Sénat, continuent d'évoluer dans le respect des principes d'une démocratie moderne et des attentes des Canadiens ». L'abdication de cette responsabilité par le Parlement infligerait de sérieux dommages au tissu même de la vie politique démocratique au Canada.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser.
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Merci, madame la présidente et merci, monsieur Gibbins.
Il y a plusieurs éléments dans le projet de loi C-20 qui non seulement me dérangent, mais pour lesquels je n'ai pas de réponse. Il y a aussi des éléments qui ne semblent pas avoir été abordés dans le projet de loi.
Tout d'abord, je me suis rendue compte que dans le projet de loi tel que présenté, il ne semble pas y avoir un article ou un élément pour protéger les groupes minoritaires, par exemple des francophones au Canada ou des anglophones au Québec ou d'autres groupes minoritaires tels que les Autochtones. Il n'y a rien qui les touche. Il me semble qu'aujourd'hui, au XXIe siècle au Canada, la protection constitutionnelle — bien que ceci ne soit pas lié à la Constitution —, la protection législative, dans la structure de ces groupes, devrait être prise en ligne de compte de façon importante, sinon fondamentale. Donc, j'aimerais bien vous entendre à ce sujet par rapport à la consultation des électeurs.
Deuxièmement, il s'agit d'une question que j'ai déjà posée, mais pour laquelle je n'ai pas encore obtenu de réponse. Je me mets à la place d'une personne qui se présenterait à des élections — je ne prendrai pas le Québec comme exemple parce que c'est un peu différent — en Ontario, par exemple, où il y a une base urbaine importante, mais également une base rurale importante. Il me semble que si je me présentais dans une région rurale, mes chances d'être élue seraient plutôt minces parce qu'il faudrait que je me promène sur un territoire extrêmement étendu pour recevoir le même nombre de votes que je pourrais recevoir dans un milieu urbain de quelques kilomètres de longueur. Donc, il me semble que cette structure de vote pour les sénateurs, telle qu'elle est proposée dans le projet de loi C-20, donnerait un avantage très précis aux personnes venant de milieux urbains et que, donc, les personnes venant de milieux ruraux seraient un peu comme les minorités que je viens de mentionner.
Pourriez-vous répondre à ces questions? Ce n'est pas tout à fait la même question, mais presque.
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J'aurai une ou deux réponses, et elles vont peut-être paraître quelque peu sévères, mais là n'est pas mon intention.
Le premier point est que démocratie et intergouvernementalisme ne sont pour moi pas synonymes. Je ne pense pas que l'établissement d'ententes entre gouvernements soit la seule façon de procéder dans une société démocratique.
Deuxièmement, je crois que de temps à autre les gouvernements ont la possibilité, voire même l'obligation, de déstabiliser le statu quo. Je songe un petit peu ici à la campagne de Barack Obama aux États-Unis, campagne qui est axée sur le changement. Personne dans les élections primaires américaines n'est en train de dire « Mon message est que rien ne va changer, à moins que nous puissions peut-être rallier les gouvernements de tous les États et qu'ils puissent s'entendre, auquel cas je ferai quelque chose ». Vous auriez perdu d'avance si c'était là votre plate-forme aux États-Unis.
À mon avis, donc, à long terme, le consentement des provinces sera nécessaire, compte tenu de la nécessité tôt ou tard de changements constitutionnels. À mon avis, cela est inévitable. Mais comment faire pour ne serait-ce que lancer la conversation? Comment faire pour ne serait-ce qu'obtenir des gens qu'ils viennent s'asseoir à la table?
Eh bien, il vous faut un déclencheur. Si ce gouvernement ou n'importe quel autre gouvernement disait simplement nous avons une chambre de personnes nommées et elle ne fonctionne pas très bien, elle est de plus en plus partisane, mais si les gens parvenaient à se réunir et en discuter, alors nous pourrions nous asseoir à la table avec le reste d'entre vous, je pense que... Encore une fois, je ne voudrais pas paraître trop sévère ici, mais je vois là une abdication par le gouvernement du Canada de ses responsabilités.
Je ne vois pas ici de tentative de contourner les provinces. C'est une manière d'engager la conversation, car vous ne pouvez contourner les provinces que dans une mesure très limitée, après quoi vous vous trouvez confrontés à cette nécessité ultérieure d'obtenir le consentement des provinces. Il s'agit là d'une nécessité constitutionnelle incontournable. C'est ainsi que le pays a été structuré. Cela se comprend. Mais il faut commencer par lancer la conversation.
Peut-être que cela tombera en panne à long terme, mais je demeure convaincu qu'il vous faut commencer par enclencher cette conversation.
C'est tout.
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Permettez que je vous livre une réponse en l'inscrivant dans une perspective albertaine très étroite, mais qui rejoint, je pense, ce que vous dites.
Il y a deux faits concrets dans la politique en Alberta. Premièrement, nous avons une énorme concentration du pouvoir car le gouvernement majoritaire du jour n'est assujetti à aucun frein. Et nous avons un gouvernement majoritaire du jour depuis 1971, toujours le même parti, alors il n'y a aucun frein. Je m'inquiète donc pour la Chambre des communes, en situation analogue. Il est difficile de se rappeler de ce qu'était la situation avec un gouvernement majoritaire, mais cela pourrait revenir. Notre système politique ne crée pas de freins très efficaces à l'égard de gouvernements majoritaires. Nous avons les tribunaux, nous avons les gouvernements provinciaux, et je ne les exclus pas. Mais au sein du Parlement, ces freins ne sont pas très efficaces.
Mais pour moi, la raison la plus convaincante fournie par l'expérience albertaine est que nous avons des systèmes électoraux aux niveaux fédéral et provincial qui ne réussissent pas du tout à saisir la diversité de la population. Nous avons un seul parti, aux échelles fédérale et provinciale, avec différents partis remportant une majorité écrasante des sièges, bien que la population soit beaucoup plus diverse — dans un sens partisan, dans un sens urbain-rural, ou autre. Le système électoral que nous avons pour la Chambre des communes a tendance à exagérer l'homogénéité. Il projette une personnalité albertaine unique sur la scène politique, alors que la province est beaucoup plus complexe.
L'une des raisons pour lesquelles j'appuie la réforme du Sénat, si le tir est le bon, est que nous pourrons avoir un système électoral qui reflète, grâce à ses représentants élus au Sénat, la diversité de la province. Si nous avons un système électoral pour le Sénat qui livre, mettons, dix sénateurs, et que les dix sont toujours des conservateurs, alors nous aurons simplement reproduit les failles sur le plan de la représentation qui existent au sein de la Chambre des communes.
Voilà pourquoi je ne cesse de me dire qu'il nous faut nous doter du bon système électoral, sans quoi nous ne ferons que nous creuser un trou.
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Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Gibbins, d'être des nôtres ici aujourd'hui.
J'aimerais examiner une ou deux choses. Je voulais vous interroger plus particulièrement au sujet du système électoral à bulletin unique avec vote transférable, mais j'aimerais au préalable faire un commentaire, et libre à vous d'y réagir ensuite.
Je m'inspire un petit peu de l'observation de M. Angus au sujet de la tenue d'un référendum sur l'abolition du Sénat. Cela remonte à des discussions qui ont eu lieu ailleurs, au sujet de l'idée de s'engager dans... Je ne pense pas qu'il nous faille nous engager dans ce genre de processus constitutionnel avec les provinces, car au Canada, nous n'avons pas l'option de traiter d'amendements constitutionnels par voie de référendum.
Nous pouvons ajouter cela à notre système formel de modification constitutionnelle, mais notre mécanisme de modification de notre Constitution est très différent de celui des Australiens ou des Suisses. En Australie, par exemple, il faut la majorité des électeurs dans une majorité d'États votant en faveur d'une modification constitutionnelle, mais la modification est proposée au Parlement, fait l'objet d'un vote au Parlement, et les premiers ministres des différents États n'ont aucun rôle à jouer.
La situation est très semblable en Suisse, ainsi qu'aux États-Unis, où il ne s'agit pas de faire du troc: nous vous donnerons vos changements au Sénat si vous nous donnez la société distincte. Dès lors que l'on se lance dans ce genre de chose, l'on se trouve confronté à une collection toujours croissante de propositions différentes émanant de groupes différents exigeant d'avoir leur mot à dire, jusqu'à ce que cela amène la création d'une énorme boule cancéreuse comme l'Accord de Charlottetown, qui englobait absolument tout et qui en bout de ligne n'avait pas été peaufiné avant d'être soumis aux électeurs et qui, fort heureusement, a été rejeté dans ce référendum informel que nous avons eu. Voilà la grosse crainte: que vous commenciez avec la réforme du Sénat et que vous vous retrouviez en fin de compte avec un processus de type lac Meech, de type Charlottetown.
Mon argument est que c'est là une très bonne raison d'essayer d'éviter à tout prix d'utiliser la formule sept et cinquante. En tout cas, voilà l'observation que je voulais faire.
En ce qui concerne le système électoral, la proposition ici vise un système de vote unique transférable. Cela ressemble de beaucoup au système australien. Il est un petit peu différent. Il n'y a pas d'option de vote pour la liste de parti; il vous faut voter pour des candidats individuels. Mais il me semble que ceci — et je suppose que je suis en train de vous demander si vous êtes d'accord avec moi — réalise l'objectif de permettre une représentation des minorités, ce qui manque à notre système uninominal majoritaire à un tour.
Ayant moi-même été élu en Ontario en tant que candidat de l'Alliance canadienne en 2000, j'ai vécu l'expérience d'être un de deux membres de mon parti à avoir été élus dans le cadre de notre système uninominal majoritaire à un tour sur les 103 sièges de l'Ontario. Mon parti a remporté 25 p. 100 des voix. Les libéraux ont quant à eux remporté 50 p. 100 des suffrages, soit seulement le double, mais ont été récompensés avec 100 sièges. Cela va au coeur du problème du système uninominal majoritaire à un tour.
Il a beaucoup été dit au sujet de la nécessité d'une réforme électorale dans la Chambre basse. Il me semble que ce système atteint jusqu'à un certain point l'objectif dans la Chambre haute, tout particulièrement pour les grosses provinces comme l'Ontario et le Québec, mais moins pour les petites provinces, comme l'Île-du-Prince-Édouard, avec seulement quatre sénateurs. Il me semble néanmoins qu'il s'agit d'un pas concret en vue d'avoir une variété de représentants de différents éléments du spectre politique, de différents segments de la société, pour ces plus grosses provinces.
La question qui me vient dans cette veine, du fait que nous discutions au comité d'amendements potentiels au projet de loi, est la suivante: devrions-nous faire quelque effort pour essayer de veiller à ce que lors de la tenue d'élections un nombre maximal de sénateurs soient élus en même temps, ou bien faudrait-il faire en sorte que les mandats soient décalés, comme c'est le cas aux États-Unis et en Australie, par exemple?
Monsieur Gibbins, je me dis parfois que certaines des choses dont nous discutons ici ne sont peut-être pas toujours appropriées. J'ignore si vous savez que la seule manière dont le premier ministre pourrait tenir ces élections sans en fait violer la Constitution serait de faire ce qu'il a fait, c'est-à-dire suggérer qu'après les élections il utiliserait la liste, à partir de laquelle il choisirait les personnes à nommer. En d'autres termes, il pourrait ou ne pourrait pas accepter le résultat, et ne l'accepterait pas nécessairement. En fait, il ne pourrait pas être lié par les élections, car il violerait ainsi immédiatement la Constitution.
En bout de ligne, donc, nous parlons ici de sémantique ou d'une chose qui n'a aucun sens, car si vous allez tenir des élections — que vous allez ensuite ignorer et qui vont au départ coûter énormément d'argent — pour ensuite décider si vous allez ou non tenir compte du résultat, alors il s'agit là, premièrement, d'une trahison de la démocratie. Deuxièmement, vous aurez créé un système de manière furtive, comme le disait, je pense, mon collègue néo-démocrate, système dans le cadre duquel vous essayez d'obtenir une réponse à quelque chose. Vous faites intervenir Élections Canada. Vous faites toutes ces choses, mais vous n'allez pas écouter ce que disent les gens.
Voilà donc quelle est ma première question, car cela est, pour moi, au coeur de ce qui m'ennuie avec ce projet de loi. Il s'agit d'une initiative furtive. Il s'agit d'une initiative qui, comme l'a dit un des témoins que nous avons entendus, ne peut pas être prise de manière légale, alors vous tentez d'obtenir la même chose en passant par la porte arrière. Voilà pour ce qui est de la première chose.
Deuxièmement, en faisant cela, le a en fait ignoré les provinces et manqué de respect envers elles dans la mesure où il n'a pas jugé utile de s'asseoir et de discuter tout d'abord avec elles de certaines des choses qui revêtent une importance fondamentale, alors que les provinces sont déjà intervenues et ont déjà exprimé leurs vues. Là encore, cela ne cadre pas très bien avec l'idée d'essayer d'obtenir de bonnes contributions, d'essayer d'élaborer quelque chose qui fonctionnera, de veiller à ce que même si tout le monde n'est pas d'accord, au moins on a fait preuve de respect envers les autres intéressés en ayant discuté avec eux.
L'idée, donc, que vous puissiez assurer la diversité par le biais d'un système électoral, alors qu'en vérité vous ne tenez pas vraiment à une élection, est sans intérêt pratique.
Mais tout cela étant dit, j'aimerais revenir à la question de la diversité. Vous avez déclaré qu'une élection est un meilleur moyen d'assurer la diversité que des nominations, et vous avez dit que cela dépend du premier ministre. Ne serait-il pas plus sage de proposer en fait de modifier de quelque manière le mode d'élection du Sénat, non pas en changeant la Constitution, mais en proposant que le premier ministre établisse une liste de personnes qui reflète la diversité du Canada — linguistique, régionale ou autre — et qu'il soit tenu par cela, auquel cas c'est à ce genre de formule qu'il faudrait réfléchir? Puis, au fur et à mesure qu'évoluerait le Canada, la formule évoluerait elle aussi, et il s'agirait de veiller à ce que les nominations soient bel et bien faites.
Je sais que M. Chrétien, dans le cadre de ses nominations, a fait quelque chose que nous n'avons jamais pu faire par le biais d'élections: il a réussi à faire en sorte que près de 50 p. 100 des sénateurs soient des femmes. Et il a également nommé des Autochtones, ce qui n'avait jamais été fait auparavant dans le cas du Sénat. Et il a également nommé au Sénat des représentants de minorités visibles et de groupes linguistiques, ce que l'on n'avait jamais vu auparavant.
Je pense qu'il y aurait moyen de le faire par voie de nominations, si cela vous tenait vraiment à coeur. Voilà donc ce que je voulais vous soumettre.
Premièrement, il y a la question de savoir quand une élection est une élection lorsqu'elle n'en est pas une. Et, deuxièmement, il y a la question du manque de respect pour les provinces. Et le troisième point concerne l'établissement de la diversité par le biais de nominations.
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Ce sont là de bonnes questions.
À l'heure actuelle, le premier ministre cherche conseil auprès de je ne sais qui lorsqu'il fait des nominations. Nous n'avons pas la moindre idée quant aux personnes qui le conseillent. Nous ne savons pas s'il accepte ou s'il rejette les conseils qu'on lui donne. Il s'agit d'un processus tout à fait hermétique qui s'opère dans la tête du premier ministre. Nous voyons les résultats. Nous applaudissons à certains et condamnons d'autres, et nous n'avons aucune idée du processus qui est suivi.
Je pense qu'il est inconcevable — et je ne saurais trop insister là-dessus — qu'un premier ministre tienne ou déclenche des élections, pour ensuite rejeter les conclusions. En tant que convention, cela s'inscrit si vite dans le jeu canadien d'attentes auquel serait lié le premier ministre. L'un des arguments constitutionnels avancés au sujet de toute cette question est que le premier ministre serait lié. Il ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Ou il est lié par un processus électoral, ou il ne l'est pas. Je pense que, pour le meilleur et pour le pire, le premier ministre serait ainsi lié.
La perspective, donc, de la tenue d'élections — et j'utilise ce terme en connaissance de cause — pour que le premier ministre en ignore ensuite le résultat est fort peu probable au départ, et deviendrait vite inconcevable en regard de la convention. Cela ne me préoccupe pas.
L'argument concernant l'entrée par la porte arrière est certainement plus troublant — l'idée de ne pas faire intervenir dès le départ les provinces. Je suppose qu'il y a deux réponses que je pourrais offrir.
Si le Sénat fonctionnait bien et si nous ne courrions pas ce que je considère comme un risque très réel de confrontation entre une chambre élue et un Sénat nommé, du fait des grands déséquilibres partisans qui existent entre les deux, alors je recommanderais que l'on bouge aussi lentement en la matière qu'on le veuille.
Je ne pense pas que le système fonctionne bien à l'heure actuelle. La façon de faire venir à la table les provinces est d'enclencher de quelque manière le processus. C'est ici encore que je pense que le accroche l'intérêt. Si vous dites aux gouvernements provinciaux « Nous n'allons rien faire de notre propre initiative » et attendez qu'ils se rallient tous et pondent quelque chose, alors il ne va rien se passer.
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Le petit pas est qu'avec le projet de loi , le premier ministre accepterait les conseils des gens des provinces au lieu d'écouter sa propre conscience, ses conseillers, ou d'autres. Il s'agit là à mon sens d'un changement tout à fait fondamental.
La difficulté, et je pense que c'est un domaine dans lequel le comité pourrait fort bien avoir un important rôle à jouer, réside dans la période de transition. Comme je l'ai mentionné, je peux penser à différents régimes électoraux qui fonctionneraient très bien relativement à quantité des préoccupations qui ont été exprimées dans cette salle, mais à court terme, ce serait incomplet et embrouillé.
Soit dit en passant, le Québec pose un problème particulier, mais sans doute pas néfaste, du fait que les circonscriptions pour le Sénat soient définies dans la Constitution, alors que ce n'est pas le cas pour les autres provinces. Il pourrait y avoir, en Alberta, une seule élection pour combler en même temps les postes des six sénateurs, mais je ne vois pas très bien comment cela se déroulerait au Québec, avec des districts sénatoriaux définis dans la Constitution. Pour le Québec, donc, il y a un difficile travail à faire.
Le projet de loi représente par ailleurs un important rameau d'olivier pour les provinces en ce qu'il propose, si je l'interprète bien, que les élections soient tenues ou en même temps qu'une élection fédérale ou en même temps qu'une élection provinciale. Il y a dans ma province des partisans du mouvement pour un Sénat triple E qui tiennent mordicus à ce que les élections aient lieu en même temps que les élections provinciales. Personnellement, j'estime que ce serait là la mauvaise façon de procéder, mais je nous verrais bien avancer en conservant une partie de cette distinction, certaines des élections ayant lieu à l'échelle nationale et certaines ayant lieu à l'échelle provinciale.
Tout en oeuvrant à faire en sorte que la formule soit logique et vendable au Québec, il y a tout un tas d'éléments dans la conception qui offrent selon moi une certaine flexibilité.
Le dernier point... J'hésite tellement à employer des expressions comme « porte arrière » ou « changement furtif », et ainsi de suite, car cela donne l'impression que la chose est de quelque façon illégitime. Or, je regarde la paralysie qu'il y a eu en matière de réforme du Sénat, sans mouvement aucun, et je pense qu'il y a ici une certaine possibilité de créativité, d'imagination, d'engagement dans une discussion.
Je parle, en ma qualité d'universitaire, de réformer le Sénat depuis 35 ans, et je me plais à croire que certains changements modestes seront possibles avant ma mort. Je me plais à croire qu'il y aura certains changements modestes pendant la durée de vie de mes enfants, mais je n'en suis pas convaincu. Si le Sénat fonctionnait bien, cela me serait égal, mais je ne crois pas qu'il fonctionne bien, et c'est pourquoi cela compte pour moi.
Excusez-moi, cela a été une longue réponse à votre question.
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Il s'en est approché de près concernant le libre-échange, la TPS et d'autres lois.
J'ai en tête le danger de sombrer dans une telle confrontation avec le Sénat actuel, en raison de la distribution partisane très différente dans les deux chambres. Je pense donc qu'il y a quelques risques réels.
Si je pouvais dicter ma volonté, j'aimerais que la Chambre des communes soit élue sur la base de la représentation selon la population, afin de se débarrasser des distorsions que nous avons actuellement du fait que nous voulons assurer à la Chambre une représentation régionale. J'aimerais un mécanisme de départage donnant la prépondérance à la Chambre des communes, car je pense que celle-ci reflète l'expression la plus claire de la volonté démocratique du peuple. Cela doit être assuré.
Cela suppose une modification du statu quo. On croit aujourd'hui que le Sénat n'a pas de pouvoir et pas de légitimité. Il n'a pas de légitimité, mais il possède le pouvoir. J'aimerais renforcer la légitimité du Sénat mais limiter son pouvoir. Je pense que c'est possible. Il existe des mécanismes pour cela. Je ne veux pas exclure toute possibilité d'impasse, de confrontation et ainsi de suite, car le gouvernement démocratique n'est pas toujours libre de confusion. Les choses ne sont pas toujours simples, mais il faut parvenir à s'y retrouver.
J'en reviens aux responsabilités de votre comité, telles que je les conçois. Les questions qui m'ont été posées aujourd'hui me paraissent extraordinairement importantes et réfléchies. Ce ne sont pas des questions triviales que les gens soulèvent. Je n'aimerais pas que le comité arrête la discussion à ce stade, plutôt que de nous pousser, nous, les Canadiens, le gouvernement du jour, qui vous voudrez — à commencer à réfléchir sérieusement à ces questions.
Je ne sais pas comment vous pouvez le faire dans le cadre de la procédure parlementaire. Mais plutôt que d'appliquer les freins, je préférerais que ces questions difficiles soient mises sur le tapis et que l'on réfléchisse à un mécanisme permettant d'y répondre. Vu que ce sont des questions importantes, les Canadiens jugeraient que vous avez négligé vos responsabilités si vous fonciez tête baissée, sans poser toutes ces questions et sans réfléchir à un mécanisme permettant d'y répondre. Toutes ces réponses ne se trouvent pas dans le lui-même.