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Merci, monsieur le président.
C'est un honneur de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
Après avoir écouté certaines des délibérations de votre comité et certains des témoignages que vous avez déjà entendus, j'en suis venu à dégager trois prémisses parfois récurrentes et, à mon avis, fallacieuses.
La première est la prémisse selon laquelle la Chine est une singularité figée dans le temps, un pays monolithique, immuable et motivé par des considérations idéologiques.
La deuxième est la prémisse selon laquelle la politique de l'engagement général et complet a échoué et qu'elle visait principalement, et en toute naïveté, à changer la Chine de l'intérieur.
La troisième est la prémisse selon laquelle il suffit de formuler une nouvelle politique globale et cohérente à l'égard de la Chine pour corriger la trajectoire de l'intervention canadienne dans cette Chine immense et incroyablement complexe.
Avant d'aborder chacun de ces points, je voudrais dire un mot sur le contexte historique. Lorsque Xi Jinping est arrivé au pouvoir, rien ne laissait présager au départ qu'il allait détourner la Chine du chemin suivi depuis 35 ans pour assurer une réforme nationale et promouvoir une coopération et une convergence à l'échelle internationale. Toutefois, en dépit des signes avant-coureurs d'un élan réformiste, Xi Jinping a lancé, en 2014, un vaste programme de contre-réforme.
Ainsi, il a annoncé le programme « Fabriqué en Chine 2025 » pour nationaliser et dominer des secteurs économiques clés. Il a inversé la réforme des entreprises d'État, mis un terme aux réformes sociales et juridiques, supprimé la liberté d'expression et la tolérance religieuse, en particulier dans les zones musulmanes, renforcé la grande muraille informatique chinoise et considérablement étendu la mainmise de l'État sur les médias et sur Internet. Les objectifs étaient clairs: inverser le déclin du parti et de l'État, restaurer la pureté idéologique nationale, surmonter l'asservissement technologique de la Chine à l'Occident et réaffirmer le rôle de la Chine sur la scène mondiale.
Parlons maintenant de la première des trois prémisses. Je tiens d'abord à rappeler que la Chine d'aujourd'hui n'est pas la Chine de 1959 ou de 1966 et que Xi Jinping n'est pas Staline ou Kim Jong-un. Il ne fait aucun doute que Xi Jinping a centralisé le pouvoir d'une manière qui n'a pas eu d'égal depuis Mao Zedong et que le Parti communiste et l'État chinois parlent d'une seule voix ferme, le tout accompagné d'actions qui frôlent parfois la brutalité, comme le Canada a malheureusement pu le constater.
Pourtant, Xi Jinping et la direction du parti savent que, pour gouverner, ils ont besoin du soutien de la population et d'un large éventail d'élites. Alors que l'État parle d'une seule et même voix inébranlable sur la scène internationale, il existe une plus vaste gamme de points de vue et de voix parmi les élites chinoises dont le soutien est nécessaire au règne de Xi Jinping. Je suis moi-même témoin du mécontentement des hauts fonctionnaires réformistes et des chefs d'entreprises du secteur privé, et nous entendons tous parler des contestations dans le milieu universitaire et chez les jeunes vedettes du cinéma et de la télévision, sans oublier les influenceurs sur Internet. Dans tous ces milieux, ainsi que dans les groupes de réflexion et les segments internationalistes progressistes de la bureaucratie d'État, nombreux sont ceux qui déplorent le sentiment anti-chinois croissant à l'étranger et qui n'aiment pas voir leur pays délaisser la démarche gradualiste d'une institutionnalisation accrue de la primauté du droit et d'une politique étrangère axée sur la coopération.
L'absence d'élections démocratiques en Chine ne signifie pas qu'il n'existe pas de boucles de rétroaction efficaces. S'il y a une chose que j'ai apprise au sujet de la Chine pendant environ 45 ans d'observation et après y avoir vécu 20 ans, c'est que la Chine est en constante évolution. Chaque fois que j'ai présumé que le statu quo était au point mort ou que les voix qui réclamaient un changement avaient été écartées à tout jamais, j'ai inévitablement eu tort.
Quant à la deuxième prémisse, j'aimerais contester l'affirmation selon laquelle la politique générale d'engagement vis-à-vis de la Chine a échoué. Au contraire, l'existence d'un vaste consensus canadien plus ou moins constant à l'égard d'un engagement solide envers la Chine a apporté des retombées économiques dans tout le pays, en plus d'aider la Chine à améliorer sa sécurité alimentaire, à lutter plus efficacement contre la criminalité internationale, à collaborer dans le dossier de l'environnement et à participer aux efforts déployés à l'échelle mondiale pour s'attaquer aux changements climatiques.
Cela a, sans conteste, amené la Chine à être généralement disposée à collaborer au sein des institutions multinationales, à adopter un comportement fondé davantage sur des règles en matière de commerce international et d'économie, à mieux respecter la propriété intellectuelle — ce n'est pas parfait, mais c'est mieux — et à accepter les décisions de l'OMC, contrairement à ce que font d'autres pays.
Cela a également permis à des Canadiens issus d'une multitude de professions, d'activités et d'horizons d'établir de vastes relations avec leurs homologues chinois, ce qui nous a donné l'occasion de comprendre collectivement et d'influencer les cercles gouvernementaux et les dirigeants du milieu des affaires, ainsi que des milieux universitaire, artistique et sportif. Il en a résulté une image positive du Canada et des Canadiens, image très largement appuyée par la population chinoise en général.
L'engagement a toujours eu pour but principal de servir les intérêts canadiens, mais il a aussi visé, indirectement seulement, à encourager un changement interne systémique en Chine. L'engagement ne signifie pas qu'il faille accorder la priorité à l'absence de frictions ou à l'établissement de bonnes relations. Il s'agit de jouer avec une équipe complète de joueurs talentueux, au lieu de marquer un but dans un filet désert.
Nous pouvons accueillir des investissements chinois, et nous le faisons, en veillant à ce que les règles que nous établissons pour le comportement des entreprises soient strictement respectées. Lorsque des questions de sécurité nationale sont en jeu, nous pouvons et devons utiliser nos capacités et services remarquables en matière de renseignement pour déterminer s'il faut limiter les activités des entreprises chinoises et pour savoir comment nous y prendre.
Nous pouvons et devons jouer un rôle défensif, au besoin, en indiquant clairement qu'il y a des lignes à ne pas franchir, des lignes qui doivent être défendues lorsque des Canadiens sont maltraités en Chine, lorsque nous observons des comportements répréhensibles sur les campus canadiens, lorsque nous constatons des ingérences, voire des extorsions, dans les communautés sino-canadiennes ou lorsque l'on abuse de notre ouverture non réciproque à la presse et aux médias.
Même si certains plaident pour un passage à une sorte de politique d'endiguement — peut-être parce qu'ils sont encouragés par nos voisins du Sud, qui semblent être génétiquement programmés pour diviser le monde entre amis et ennemis —, choisir de ne pas tisser des liens avec la Chine n'est pas une option rationnelle. Comme elle se veut de plus en plus internationaliste, la Chine — qui est, rappelons-le, l'une des deux plus grandes économies du monde — a une incidence sur nos intérêts à tous les égards: flux mondiaux de capitaux, stabilité financière internationale, chaînes d'approvisionnement critiques, épidémies d'envergure mondiale. Bref, dans tous les domaines qui mettent en cause les biens communs de la planète, allant des changements climatiques au commerce illicite des drogues, en passant par la criminalité financière internationale, la Chine est et restera un acteur mondial essentiel.
Pour promouvoir et protéger les véritables intérêts canadiens, et ce, à long terme, il est primordial que les Canadiens de tous horizons nouent des relations d'échange, de confiance et d'influence avec leurs homologues chinois, qui pourront à leur tour influencer le comportement de leur pays dans leurs domaines respectifs.
Enfin, le caractère erroné de la troisième prémisse se manifeste clairement à la lumière de celui des deux premières. La promotion et la protection des intérêts et des valeurs du Canada, ce qui est l'objectif de notre politique étrangère, ne peuvent pas se réduire à une politique simpliste à l'égard de la Chine, comme certains l'ont laissé entendre. Si je proposais que nous adoptions une nouvelle politique vis-à-vis des États-Unis, vous me reprocheriez d'être un simple d'esprit. Les intérêts canadiens et les relations avec nos voisins du Sud sont bien trop profonds et variés pour être confinés dans un cadre simpliste. Nous avons appris non seulement que notre gouvernement doit entretenir une relation étroite et influente avec l'administration à Washington, mais aussi que notre pays doit disposer d'un vaste réseau de relations avec les dirigeants du Congrès, des régions, des municipalités, du monde des affaires, des universités et d'autres représentants américains. Nous ne permettons pas que la poursuite et la protection de nos intérêts aux États-Unis soient mises en péril par un changement de gouvernement national, par une dérogation non voulue aux politiques ou aux engagements du passé ou par les déclarations particulières, voire singulières, d'un dirigeant qui est choisi sans la moindre influence de notre part.
Nous savons que tourner le dos aux aspects positifs et potentiels de nos relations transfrontalières n'est pas une option. Lorsque nous nous trouvons devant un défi, nous redoublons d'efforts, au lieu de croiser les bras. Nous ferions bien d'agir de la sorte dans nos démarches auprès de la Chine.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Je vous remercie de cette invitation, monsieur le président.
Bonjour, mesdames et messieurs.
Je suis un diplomate de carrière, ayant passé 39 ans à Affaires mondiales Canada, dont 13 ans en Chine: 2 ans à Hong Kong et 11 ans à Pékin. J'ai été ambassadeur pendant les quatre dernières années de cette période, soit de 2012 à 2016.
Aujourd'hui, j'aimerais discuter de trois sujets: l'état des relations bilatérales, la Chine sous Xi Jinping et, finalement, les ajustements requis, à mon avis, à la stratégie d'engagement du Canada à l'égard de la Chine.
Avant de commencer, laissez-moi vous faire part de mes principaux messages. Ce comité offre la chance non seulement de faire le point sur les relations bilatérales, mais aussi d'ajuster la stratégie d'engagement du Canada envers la Chine.
[Traduction]
Il est devenu très difficile de maintenir une position ambivalente à l'égard de la Chine après que nous avons été victimes de ses mesures de représailles brutales dans la foulée de l'arrestation de Mme Meng Wanzhou, sans oublier son ingérence dans les affaires de Hong Kong et le traitement réservé aux Ouïghours et aux autres minorités musulmanes dans la région du Xinjiang.
Colin Robertson a souligné ce qui suit dans le Globe and Mail en juillet dernier:
Nous avons besoin d'une politique réaliste, et non romantique, envers la Chine. Il faut commencer par reconnaître que la Chine est un État autoritaire, un concurrent stratégique et un rival systémique. La Chine ne suivra jamais les normes démocratiques occidentales, car cela déstabiliserait le Parti communiste, qui est à l'origine et à la base de la République populaire de Chine.
Par conséquent, nous devons revoir notre stratégie d'engagement à l'égard de la Chine et baser notre approche sur la protection de nos valeurs et sur la réciprocité. Cela signifie également qu'il faut diversifier nos échanges commerciaux avec d'autres pays d'Asie. De plus, nous devons travailler avec nos partenaires pour renforcer le système multilatéral. À l'échelle nationale, nous devons réagir fermement à toute tentative d'ingérence du Parti communiste chinois ou du gouvernement chinois. Tout comme l'Australie, le Canada doit adopter des lois pour empêcher une telle ingérence. Enfin, nous devons continuer à perfectionner nos compétences pour mieux comprendre la Chine, car elle n'est pas près de disparaître.
Permettez-moi de parler des relations bilatérales. Comme vous le savez, tout dialogue officiel est suspendu. Les communications officielles sont très rares et très limitées. Quinze mois après le début de la crise, quelles ont été les répercussions de la stratégie suivie par le gouvernement canadien jusqu'à présent? Bien que Michael Kovrig et Michael Spavor aient enfin eu accès à un avocat, il existe une incertitude quant à leur sort judiciaire. Leur procès pourrait être annoncé d'un jour à l'autre. Le cas échéant, ils devront attendre entre 18 et 24 mois avant de recevoir leur peine. Une fois la procédure entamée, il sera beaucoup plus difficile de les faire sortir du pays. J'ai vécu cette situation dans le dossier de Kevin et Julia Garratt. Par ailleurs, nous n'avons pas de nouvelles de la Cour suprême chinoise au sujet de l'appel interjeté contre la condamnation à mort de Robert Schellenberg. La Chine nous a avertis qu'il n'y aurait aucune amélioration des relations tant que Mme Meng Wanzhou ne sera pas libérée. À moins que le juge ne décide, en juin prochain, que les droits de Mme Wanzhou ont été bafoués lors de son arrestation, et à moins que celle-ci ne soit ensuite remise en liberté, sa procédure d'extradition s'éternisera pendant des années.
Sur le plan commercial, nos exportations vers la Chine ont chuté de 16 % l'année dernière, ce qui représente 4,5 milliards de dollars, et elles vont probablement encore baisser cette année en raison des conséquences de la COVID-19 et de l'accord commercial entre la Chine et les États-Unis. De plus, nous pourrions faire l'objet de mesures supplémentaires si le gouvernement décide que Huawei ne participera pas au développement de la technologie 5G au Canada. En somme, nous devons nous préparer à des années de relations difficiles.
M. Balloch a parlé de la Chine sous Xi Jinping. Je vais résumer ici mes observations, car je suis d'accord sur tout ce que mon collègue a dit à propos de Xi Jinping. Cette crise met en évidence les défis que représente le fait de transiger avec une superpuissance qui boude les règles internationales quand celles-ci ne lui plaisent pas et qui n'hésite pas à punir sévèrement les pays qui refusent d'obéir à ses diktats. Si le Canada n'est pas le premier pays à subir le mécontentement de la Chine, c'est bien la première fois qu'un pays rallie le soutien de ses alliés. En fait, cela illustre aussi comment la Chine est devenue beaucoup plus ferme, agressive et, je dirais même, arrogante depuis que Xi Jinping a pris le contrôle du Parti communiste en novembre 2012. Bien sûr, la crise actuelle liée à la COVID-19 frappe très durement l'économie chinoise. Elle survient après une année 2019 difficile pour Xi Jinping, compte tenu de la situation non résolue à Hong Kong, des résultats électoraux peu reluisants à Taïwan, de la guerre commerciale avec les États-Unis, qui a ralenti l'économie chinoise, et de l'épidémie de grippe porcine africaine.
Il lui sera également presque impossible d'atteindre deux de ses objectifs — soit éliminer la pauvreté cette année et faire de la Chine une société globalement prospère. Pour y arriver, la croissance économique doit être d'au moins 5,6 %, et je pense qu'elle se situera plutôt aux environs de 4 % ou 5 %. Même s'il y a beaucoup de grogne populaire, je ne pense pas que le leadership de Xi soit menacé.
C'est ce qui m'amène à mon troisième point et à la grande question que doivent se poser le Canada et les autres pays occidentaux: est-il possible d'avoir des relations normales avec la Chine? Je dirais que malgré les problèmes actuels qui pourraient assombrir les relations pendant des années, il faut nous demander où nous voulons être dans 10 ans. Malgré le ralentissement de son économie et en particulier la crise de la COVID-19 en cours, la Chine peut maintenir une croissance entre 4 % et 6 % pendant de nombreuses années. Je fonde cette affirmation sur son taux d'urbanisation, qui demeure bas à environ 59 %, et sa volonté d'effectuer la transition vers une économie où la croissance reposera sur la consommation et les services. Il faut, bien sûr, surveiller sa dette, qui atteint actuellement environ 300 % du PIB. Tout cela pour dire que la Chine demeurera un marché important pour les exportateurs canadiens.
Selon moi, le gouvernement peut prendre diverses mesures sur le plan bilatéral et multilatéral. Sur le plan bilatéral, nous devrions tout d'abord définir nos valeurs et nos intérêts fondamentaux. Il ne devrait donc y avoir aucune tolérance à l'égard des activités des enquêteurs chinois qui viennent au Canada pour rapatrier des fugitifs économiques, et aucune tolérance à l'égard de l'ingérence de la Chine dans la politique canadienne, dans les campus canadiens et au sein de la communauté sino-canadienne. Comme je l'ai mentionné plus tôt, je vous encourage à examiner les quatre lois adoptées par l'Australie pour prévenir l'ingérence dans ses affaires internes. Il ne devrait y avoir aucune tolérance à l'égard des activités d'espionnage du gouvernement chinois ou de l'Armée de la libération populaire pour en tirer un avantage commercial. En fait, nous devrions expulser les espions chinois lorsque leurs activités sont mises au jour, ou porter des accusations contre les auteurs d'activités d'espionnage.
Je pense en outre que nous devrions annoncer que nous renonçons à conclure un accord de libre-échange avec la Chine. Nous devrions procéder à un examen spécial des activités de collaboration en cours dans le domaine de l'intelligence artificielle, afin de nous assurer que la technologie canadienne n'est pas utilisée pour mettre en place le système de crédit social en Chine. Il faudrait aussi vérifier s'il est nécessaire d'apporter des modifications au traité bilatéral d'investissement. Il faudrait également procéder à des inspections plus rigoureuses et plus constantes des produits chinois pour s'assurer qu'ils satisfont à nos normes de sécurité. Nous devrions annoncer le redéploiement de délégués commerciaux dans d'autres pays en Asie et tirer parti des accords de libre-échange, tout en explorant les façons de mieux aider les entreprises en Chine. À mon avis, le gouvernement chinois devrait disposer du même accès à Ottawa que celui dont dispose l'ambassadeur Barton à Pékin. J'entends par là qu'aucun ministre fédéral ne devrait accepter une invitation à déjeuner ou à dîner à l'ambassade de Chine.
Comme M. Balloch l'a mentionné,nous devons continuer de collaborer avec la Chine sur les enjeux mondiaux, comme les changements climatiques — il y a quelques mois, en fait, je pensais aux pandémies, et voilà que nous sommes en plein cœur d'une —, les questions économiques et la prolifération nucléaire. Le Canada a beaucoup à offrir à la Chine dans de nombreux domaines.
Il a été beaucoup question de Huawei. J'ai travaillé sur ce dossier lorsque j'étais ambassadeur. Je pense que nous devons ouvrir le processus 5G à toutes les sociétés publiques en adoptant une position semblable à celle du Royaume-Uni. Jusqu'à maintenant, la stratégie du Centre de la sécurité des télécommunications, qui consiste à tester toute pièce d'équipement avant d'être déployée au Canada, fonctionne bien. Au risque de me répéter, le gouvernement, tout comme les entreprises d'ailleurs, devra s'appliquer à mieux comprendre la Chine et à se doter d'une stratégie bien documentée et plus éclairée à son égard.
Sur le plan multilatéral, le Canada n'est pas, de toute évidence, dans une position pour critiquer seule la Chine au sujet de ses pratiques commerciales ou des droits de la personne. Nous devons être conscients que nous avons une capacité très limitée d'exercer une influence sur ce pays. Comme la Chine est soucieuse de sa réputation internationale, nous devrions continuer à chercher des appuis auprès de nos alliés, y compris en Asie, soit au Japon, en Corée du Sud et à Singapour, pour exercer des pressions sur le gouvernement chinois afin qu'il libère nos prisonniers, mais nous devrions aussi penser à élaborer une stratégie pour conjuguer nos efforts sur les questions d'intérêt commun afin d'éviter que la Chine ne punisse encore une fois unpays qui lui a déplu. Nous devrions également exercer des pressions communes à Pékin relativement à la situation au Xinjiang ou aux violations des droits de la personne, et exhorter la Chine à respecter sa propre constitution et à améliorer sa façon d'administrer sa justice. Il s'agit également d'un élément important pour rassurer les investisseurs étrangers.
Nous devrions également examiner les façons de mieux soutenir la démocratie à Hong Kong et à Taïwan. Nous devrions collaborer avec nos alliés à des stratégies communes pour contrer l'opposition de la Chine aux technologies étrangères et aux investissements étrangers en général, pour nous assurer qu'elle respecte les promesses faites lors de son entrée à l'OMC, et pour veiller au respect des normes internationales, afin de ne pas fragiliser le système multilatéral pour qu'il fonctionne bien et que tous respectent leurs obligations.
En guise de conclusion, comme le soulignaient Kurt Campbell et Jake Sullivan dans l'édition de septembre du magazine Foreign Affairs:
La meilleure façon de défendre la démocratie est de mettre l'accent sur les valeurs qui sont essentielles à une saine gouvernance, en particulier la transparence et la responsabilisation, et d'appuyer la société civile, l'indépendance des médias et la libre circulation de l'information.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Eh bien, tout a commencé de la même façon, soit que nous avions reçu une demande des États-Unis d'extrader M. Su Bin, une personne d'origine chinoise qui habitait à Vancouver et qui était recherchée pour espionnage. Une semaine plus tard, malheureusement, Kevin et Julia Garratt ont été arrêtés. Tout comme c'est le cas actuellement, il nous a été impossible de leur parler pendant l'étape de l'interrogatoire. Nous savions qu'ils étaient détenus dans un centre près de Dandong. Après avoir exercé beaucoup de pressions, nous avons fini par obtenir un accès consulaire, mais ils ne pouvaient toujours pas communiquer avec leurs avocats.
Ce qui a changé, c'est que contrairement à ce que s'attendait le gouvernement chinois, M. Su Bin a conclu un accord avec les autorités américaines et accepté de négocier un plaidoyer. Il a donc renoncé à ses droits et été extradé rapidement aux États-Unis. Pendant ce temps, les procédures judiciaires pour M. Garratt ont été enclenchées. Dans le système chinois, lorsqu'une personne est formellement accusée, elle est jugée coupable dans 99,9 % des cas, si bien que ce n'était qu'une question de temps.
L'affaire a débuté en août 2014, sous l'ancien gouvernement. Malgré toutes les tentatives du ministre Baird et du premier ministre — M. Harper a aussi soulevé la question des Garratt auprès des autorités chinoises —, et malgré les demandes du gouverneur général à l'époque, M. Johnston, rien n'a abouti. Enfin, lors de la première visite en Chine du à la fin août, nous en avons profité pour négocier un règlement.
En fait, les représentants du gouvernement chinois étaient furieux chaque fois qu'un dirigeant canadien voulait discuter d'un cas consulaire très médiatisé au cours d'une rencontre bilatérale, si bien qu'ils ont insisté pour créer un nouveau dialogue. Nous avions toute une panoplie de dialogues. Dans ce cas, il allait porter sur la sécurité nationale, et ils ont décidé que ce serait dans le cadre de ce dialogue que nous allions discuter des cas consulaires très médiatisés. Nous avons répondu que nous étions d'accord avec sa création, pourvu qu'il soit baptisé « dialogue sur la sécurité nationale et la primauté du droit ».
Ils voulaient également discuter d'un traité d'extradition. Nous leur avons répété que nous ne négocierons pas un traité qui ne satisferait pas à nos normes, mais j'ai vu là une bonne occasion de discuter du fonctionnement de la loi au Canada. La première rencontre des membres du comité a eu lieu en septembre 2016, soit deux semaines après la visite de . C'est là où nous avons pu négocier.
Les autorités chinoises ont terminé le procès. Ils ont condamné M. Garratt et ont accepté ensuite de l'extrader.
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Monsieur le président, puis-je, s'il vous plaît, prendre trois jours et demi pour répondre à la question?
Des voix: Oh, oh!
M. Howard Balloch: C'est une question très complexe. La question n'est pas complexe, mais la réponse l'est.
La Chine est très vaste. Historiquement parlant, le pays est plus ou moins unifié depuis très longtemps, contrairement à l'Europe, mais il est beaucoup plus grand que l'Europe, et il est culturellement plus diversifié qu'il n'y paraît du point de vue ethnique, alors pour comprendre… Beaucoup de Canadiens comprennent la Chine comme ils la perçoivent. La Chine du sud, la Chine du nord-est et la Chine de l'extrémité ouest abritent des cultures très différentes, malgré le fait que les Han s'y trouvent en majorité partout, et c'est ce qui nous pousse à croire que la Chine est unifiée. Elle l'est moins que nous le pensons.
En fait, l'histoire de la Chine en est une d'unification, puis, graduellement, les dynasties se sont effondrées au fur et à mesure que les intérêts régionaux ont pris le pas sur la centralisation. C'est l'une des craintes de Xi Jinping, c'est-à-dire que la centralisation ne tienne pas le coup. C'est pourquoi il s'est opposé vigoureusement à 30 ans de transformation, qui affaiblissait l'influence du parti au pays. Il s'y est fermement opposé pour renverser la vapeur.
Fait intéressant au sujet de la Chine, elle se transforme. L'un des bons côtés de ce qu'a accompli Mao Zedong — les mauvais ont été de loin plus nombreux — a été de faire d'une société plus ou moins complètement illettrée, une société instruite. Nous en voyons les acquis aujourd'hui, puisque les étudiants chinois sont présents dans toutes nos universités et partout dans le monde. Nous voyons la jeune Chine devenir de plus en plus présente sur la planète.
Je vais mentionner un élément, toutefois, dont les Canadiens devraient prendre conscience, soit que la Chine est au beau milieu d'une très grande transition qui n'est pas encore terminée. Nous ne savons pas ce qui se produira à la fin, au moment où une société très instruite et de plus en plus éduquée commencera à prendre ses aises dans la vie et à vouloir obtenir autre chose, notamment plus de respect pour la primauté du droit et un processus politique qui fait écho à leurs intérêts. Cela prendra du temps, mais la tranformation est en marche.
Nous avons assisté aux balbutiements de cette énorme transformation entre 1978 et 2014, une transformation presque continue — qui n'avançait pas toujours au même rythme, mais presque continue — et ce n'est qu'au cours des cinq dernières années qu'une sorte de contre-réforme s'est installée.
Dans mes premières années comme ambassadeur, soit il y a bien longtemps, au tournant du siècle, nous avons contribué à cette transformation en aidant la Chine à mettre en place son collège national des juges, où l'on enseignait les principes internationaux de la primauté du droit, le droit à un avocat, etc. Des juges de la Cour suprême, des juges de la Cour du Québec — d'un intérêt particulier en raison du Code civil —, et d'autres membres de la magistrature se sont rendus en Chine pour enseigner aux Chinois, qui voulaient apprendre.
J'ajouterais qu'il ne faut pas présumer que la Chine a cessé de se transformer.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs, d'être des nôtres aujourd'hui. Je vous remercie de vos éclairages extrêmement pertinents pour les travaux de ce comité, ainsi que du travail que vous avez effectué au cours de vos carrières respectives.
Vous aurez certainement l'occasion de poursuivre sur la question de mon collègue du gouvernement, mais vous avez tous les deux insisté sur la nécessité, pour le Canada, d'abord de ne pas accepter de comportements arrogants et injustifiés, voire illégaux, de la part de la Chine, particulièrement à l'endroit des compagnies ou des ressortissants canadiens, et ensuite de réagir.
Or c'est là le dilemme auquel nous sommes confrontés: nous nous sentons un peu comme la fourmi à côté de l'éléphant. Que pouvons-nous faire? Quelles suggestions pourriez-vous formuler à l'endroit des membres de ce comité quant aux mesures que devrait prendre le Canada en réaction aux comportements inacceptables de la Chine à l'égard des ressortissants canadiens ou des entreprises canadiennes?
Monsieur Saint-Jacques, plus particulièrement, vous avez évoqué quatre lois de l'Australie. Vous n'avez guère eu le temps, en 10 minutes, d'en dire davantage à ce sujet, alors peut-être aurez-vous le temps de le faire en répondant à cette question. L'Australie étant une puissance moyenne, comme le Canada, cela nous intéresse certainement.
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Je vous remercie de votre question, monsieur Bergeron.
D'abord, en ce qui concerne votre première question, je pense qu'il faut adopter un langage beaucoup plus ferme avec la Chine. Aussitôt qu'on découvre un cas d'ingérence dans les affaires canadiennes, il faut réagir. Cependant, il y a une différence entre l'influence et l'ingérence. Le rôle d'une ambassade est d'essayer d'être aussi influente que possible. Quand on envoie des ambassadeurs à l'étranger, on s'attend à ce qu'ils deviennent amis avec les leaders politiques, les leaders économiques et les universitaires. Ils développent donc un réseau, et c'est la valeur de celui-ci qui détermine leur propre valeur.
Cela dit, la Chine s'attend à ce qu'on exerce de l'autocensure. On le voit sur les campus universitaires canadiens, où certains sinologues ne sont pas très critiques à l'endroit de la Chine, à mon avis. Peut-être est-ce parce qu'ils ne veulent pas couper leur accès là-bas.
Or le seul langage que la Chine comprend est celui de la fermeté. Par exemple, quand j'étais ambassadeur, nous avons négocié une entente en vertu de laquelle des enquêteurs chinois pouvaient venir au Canada pour rencontrer des criminels économiques en fuite. Un protocole avait été établi afin qu'il y ait nécessairement un membre de la GRC parlant le mandarin à toutes les rencontres. À la fin d'une visite, des représentants du SCRS m'ont informé qu'il y avait eu des rencontres à l'extérieur de ce cadre. Je leur ai demandé de me donner l'information nécessaire, et je suis allé voir le vice-ministre de la Sécurité publique.
Je lui ai demandé comment s'était déroulée la visite. Il m'a dit qu'elle s'était très bien déroulée et il nous a remerciés de notre collaboration. Je lui ai demandé comment il se sentirait si, après avoir reçu des invités chez lui, il découvrait que l'argenterie avait disparu. Il m'a demandé ce que je voulais dire. Je lui ai dit que les membres de son personnel s'étaient crus bien intelligents, et je lui ai montré ce qu'ils avaient fait. Je lui ai dit que si cela se reproduisait une autre fois, plus jamais un enquêteur chinois ne remettrait les pieds au Canada. Il a dit que personne n'allait contrevenir aux protocoles d'entente. Je pense donc que c'est ce qu'il faut faire dans tous les domaines.
J'aimerais maintenant parler des quatre lois en Australie. La première concerne la création d'un registre auquel doivent être inscrits tous les anciens politiciens et hauts fonctionnaires qui travaillent pour le compte d'un État étranger. Je pense que c'est une bonne méthode pour assurer plus de transparence.
Le deuxième projet de loi, qui a été adopté, visait à empêcher les activités d'ingérence au sein du système politique australien, mais aussi au sein de la communauté chinoise australienne et sur les campus, au moyen de règles et de punitions.
Le troisième projet de loi a entraîné la création d'un superministère où les questions de renseignement et de sécurité ont été regroupées pour mieux traiter les questions de sécurité nationale.
Finalement, le dernier projet de loi concernait les dons étrangers à des organisations politiques. La loi empêche maintenant de tels dons.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous deux d'être ici aujourd'hui.
Pas plus tard qu'hier, on m'a demandé quel aspect de mon travail de secrétaire parlementaire m'empêchait de dormir, et il s'agit sans aucun doute des questions consulaires. Je veux parler des Canadiens qui sont à l'étranger et qui vivent diverses situations de troubles ou de détention, etc. Les problèmes qui me tiennent le plus éveillé sont probablement les détentions arbitraires comme celles de Michael Kovrig et Michael Spavor, ainsi que la nouvelle condamnation arbitraire de M. Schellenberg.
Je vais peut-être commencer par vous, monsieur Saint-Jacques, parce que je sais que vous avez un intérêt personnel dans cette affaire et un souci que vous n'avez pas manqué d'exprimer. Vous dites tous les deux de différentes manières que l'engagement doit être réaliste, et non sentimental, mais qu'il est nécessaire. Nous ne pouvons pas ne pas traiter avec la Chine.
Je travaille à cela depuis de nombreux mois, mais je n'ai pas encore trouvé de solution miracle sur la façon dont nous devrions interagir, sur la mesure dans laquelle nous devrions interagir, sur ce que nous devrions exiger et sur la façon dont le Canada devrait fonctionner dans ce monde en ce moment, étant donné notre accord d'extradition avec les États-Unis, nos procédures judiciaires qui se poursuivent et notre préoccupation absolue pour le bien-être des Canadiens détenus arbitrairement.
Je voudrais insister un peu sur ce point pour obtenir votre avis sur ce que nous n'avons peut-être pas utilisé parmi les outils diplomatiques qui sont à notre disposition et sur ce que nous pouvons faire de plus. Nous avons un nombre sans précédent d'alliés avec lesquels nous travaillons — et d'autres pays ne l'ont pas fait —, mais cela ne fonctionne pas encore. Certains ambassadeurs d'autres pays m'ont dit que nous devons nous calmer et reconnaître que cela prendra un certain temps, mais je suis anxieux et impatient.
Je me demande si vous pourriez nous aider à ce sujet.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier tous les témoins pour les services qu'ils ont rendus à notre pays. Leur expertise est fort bienvenue aujourd'hui.
Je m'adresserai d'abord à M. Saint-Jacques.
En décembre 2019, vous avez publié un éditorial dans le Vancouver Sun. Vous y avancez que le Canada devrait réagir rapidement et avec fermeté quand il constate des cas d'ingérence dans les affaires canadiennes et de la communauté canadienne d'origine chinoise, de même que des activités d'espionnage ou des tentatives de juguler les débats d'idées dans les campus canadiens. Votre témoignage aujourd'hui semble confirmer cette affirmation.
En consultant les médias sociaux la fin de semaine dernière, je suis tombé sur une entrevue avec la surintendante du district scolaire no 43, à Coquitlam, où elle admet que les responsables de son district jugent tout à fait approprié d'utiliser des fonds versés par le gouvernement chinois pour financer diverses activités. Bon, je n'ai jamais entendu parler d'un État étranger qui finançait ce genre de choses. Je ne suis pas au courant de tous les détails. J'aimerais que ces détails soient rendus publics.
Sam Cooper, ce matin, a écrit sur son fil Twitter que, au début des années 2000, Li Zhe, ancien officier de l'Armée de la libération populaire et entrepreneur, a commencé à faire la tournée des maires de la région de Vancouver et, bien évidemment, les emmener en Chine à l'occasion de voyages d'agrément. Cette situation est devenue assez problématique en 2007.
Je n'avais jamais entendu parler de ce phénomène dans les administrations locales. Avez-vous entendu parler de ce genre de choses? Comment devrions-nous réagir à une telle situation? Quelle est l'ampleur de telles activités au sein de la structure politique selon vous?
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Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner dans le cadre de cette audience sur les relations sino-canadiennes. En ma qualité d’observatrice de la politique chinoise en matière de sécurité et d’affaires étrangères depuis plus de 40 ans, je suis heureuse de vous communiquer mon évaluation du rôle en constante évolution de la Chine à l’échelle mondiale.
La participation de la Chine dans le monde est un tableau très complexe. Plusieurs de vos témoins précédents ont cité des exemples de l’incidence positive que la Chine a, dont la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et la contribution de la Chine aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. Toutefois, il est également important d’examiner des exemples de l’incidence négative de la Chine et de comprendre pleinement son intention de modifier le système international d’une façon nuisible aux démocraties.
Lorsque les représentants officiels de la Chine affirment chercher à respecter le système international, il est important de comprendre qu’ils définissent le système international d’une manière qui diffère de celle des démocraties libérales occidentales. Pékin appuie des institutions mondiales, mais rejette les normes et les valeurs libérales. Le gouvernement chinois s’oppose au réseau d’alliances que les États-Unis ont établi après la Seconde Guerre mondiale et qui sous-tend le système international.
Xi Jinping a demandé que la Chine puisse non seulement participer, mais aussi diriger la réforme de la gouvernance mondiale. Par l’intermédiaire de diverses tribunes, y compris des organismes clés des Nations unies, la Chine cherche à reformuler les normes qui prévalent et à présenter ses propres concepts. Pékin exprime depuis longtemps son insatisfaction à l’égard du système de gouvernance démocratique, mais c’est seulement au cours des dernières années que le gouvernement chinois a commencé à exercer des pressions pour que sa propre vision de rechange soit adoptée. L’attitude plus déterminée de la Chine découle du fait qu’elle a déterminé que, depuis le début de la crise économique mondiale de 2008, l’équilibre international des pouvoirs évolue en sa faveur. Pour être franche, elle découle aussi des occasions qui se sont présentées parce que l’administration Trump s’est retirée de plusieurs organisations multilatérales clés.
Aux Nations unies, la Chine présente ses propres règles et normes. Au Conseil des droits de l’homme, Pékin fait la promotion d’interprétations orthodoxes de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires internes qui affaiblissent les normes internationales généralement acceptées en matière de droits de la personne, de transparence et de responsabilité. Dans les domaines où le droit international évolue encore, la Chine participe d’une façon particulièrement active. De concert avec la Russie, la Chine fait la promotion de sa version de la gouvernance d’Internet, qui met l’accent sur la souveraineté et la territorialité de l’État dans l’espace numérique. Parmi d’autres exemples des sphères d’influence de la Chine, on retrouve l’espace extra-atmosphérique, la haute mer et les régions polaires. Dans l’Arctique, la Chine s’est déclarée comme un État quasi arctique dans le but de s’ingérer dans les débats internationaux sur la gouvernance de l’Arctique.
Xi Jinping a pris des mesures pour concrétiser les positions qu’il a adoptées depuis longtemps, selon lesquelles les alliances réalisées par les États-Unis sont des reliques de la guerre froide qui devraient être éliminées. En 2014, Xi Jinping a présenté sa vision d’une Asie exempte d’alliances et de la présence militaire des États-Unis. Dans la mer de Chine méridionale, où transitent chaque année des échanges commerciaux d’une valeur estimée à 3,4 billions de dollars, la Chine exerce énergiquement des pressions pour chasser les acteurs étrangers. Dans le cadre de ses négociations avec les membres de l’ANASE pour l’établissement d’un code de conduite, Pékin a proposé que toutes les parties bannissent la tenue d’exercices militaires avec des pays de l’extérieur de l’Asie du Sud et interdisent la coopération avec des entreprises du secteur énergétique de l’extérieur de la région.
À l’étranger, la Chine fait activement la promotion de son modèle de développement. Lors du 19e congrès du parti en octobre 2017, Xi Jinping a vanté explicitement l’expérience de la Chine en soutenant que le miracle de la croissance économique rapide de la Chine et sa stabilité sociale à long terme « offre une nouvelle option aux autres pays et nations qui souhaitent accélérer leur développement tout en préservant leur indépendance ». Cette insistance sans précédent vise en partie à consolider la position du Parti communiste chinois au pays, mais c’est aussi censé renforcer la légitimité des régimes politiques autoritaires à l’échelle mondiale et réduire l’attrait de la démocratie.
En ce qui concerne les règles internationales, la Chine est sélective, et c’est dans le domaine maritime que son observation de la loi est la plus faible, c’est-à-dire dans les mers proches de la Chine, où elle accorde la priorité à la protection de sa souveraineté, de sa sécurité et de ses intérêts en matière de développement. Pékin a rejeté les conclusions qu’un tribunal d’arbitrage de l’UNCLOS a tirées en juillet 2016. Le tribunal en question a jugé que la ligne en neuf traits de la Chine était invalide à titre de revendication liée à des droits sur des ressources.
Par ailleurs, les tentatives d’intimidation de la part de la Chine à l’égard de Taïwan, un territoire démocratique où résident 23 millions de personnes, ont atteint de nouveaux sommets dernièrement. Les exercices militaires de la Chine sont devenus de plus en plus provocateurs et dangereux, étant donné qu’un grand nombre de chasseurs, de bombardiers et d’appareils de reconnaissance franchissent la ligne centrale du détroit de Taïwan. Depuis 2016, Pékin a soutiré à Taipei sept de ses partenaires diplomatiques, ce qui laisse seulement 15 pays qui reconnaissent l’île. Les pays et les entreprises qui paraissent contester la souveraineté de la Chine sur Taïwan reçoivent des avertissements sévères et des menaces de sanctions.
Bien entendu, le Canada fait partie des pays qui ont été ciblés pour avoir nui aux intérêts de la Chine et avoir offensé sa sensibilité. L’arrestation de citoyens canadiens et l’interdiction de l’importation de l’huile de canola et d’autres produits agricoles canadiens ne sont que les derniers exemples des mesures de coercition économique que la Chine a prises en vue de punir les pays qui portent atteinte aux intérêts chinois.
La liste des pays ciblés est longue et englobe la Norvège, pour avoir accordé le prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo; le Japon, pour avoir arrêté un capitaine de navire ayant percuté un navire de la garde côtière japonaise dans des eaux contestées; les Philippines, pour avoir affronté des pêcheurs chinois qui exerçaient leurs activités près de l’atoll de Scarborough; la Corée du Sud, en raison du système de défense de zone de théâtre à haute altitude, ou THAAD, etc.
La Chine ne respecte pas la primauté du droit, ne partage pas nos valeurs démocratiques libérales et ne protège pas les droits de la personne. Elle cherche à modifier le système international d’une façon qui profitera à la Chine et qui nuira aux intérêts occidentaux. L’outil de gouvernance interne de la Chine, sa détention de plus d’un million d’Ouïghours, sa censure de la liberté d’expression et son système de crédit social ne devraient pas être des modèles pour le reste du monde.
Même si je ne suis pas une citoyenne canadienne, j’aimerais faire quelques suggestions que le Canada pourrait prendre en considération dans l’élaboration de ses politiques à venir.
Premièrement, établissez des priorités pour vos relations avec la Chine. Déterminez les points sur lesquels le Canada doit insister et ce qu’il ne tolérera pas. Soyez fermes et cohérents. Une condition préalable à la reprise des relations bilatérales normales devrait être la libération de Michael Kovrig et Michael Spavor. Au bout du compte, Pékin respecte les pays qui défendent leurs intérêts. Le Canada pourrait énoncer ses priorités et les principes à respecter dans ses relations avec la Chine dans un document stratégique semblable à celui que la Suède a publié, ou le Canada pourrait insérer cette information dans un document plus général, comme l’Australie l’a fait dans un livre blanc sur la politique étrangère.
Deuxièmement, dans la mesure du possible, employez-vous à intervenir de manière collective. Cherchez à collaborer avec des pays aux vues similaires dans le but de protéger des intérêts communs. Le Japon, ainsi que les États-Unis et l’Union européenne ont soumis un cas à l’OMC contre les mesures prises par la Chine pour réduire radicalement les exportations de terres rares en 2010, et les contestataires ont eu gain de cause en 2014. Je pense que le Canada, les États-Unis et d’autres pays aux vues similaires devraient établir un fonds de réserve multilatéral pour compenser tout membre du fonds pour les coûts découlant des mesures de coercition économique prises par la Chine. Le fonds devrait être capitalisé par ses membres, ainsi que par des entreprises du secteur privé qui pourraient être touchées par ces mesures de coercition.
Enfin, troisièmement, déterminez vos sources d’influence et utilisez-les. Même si le Canada est une puissance moyenne, et non une super puissance, il dispose tout de même de moyens pour attirer l’attention de la Chine. Le fait de se retirer de la BAII, ce qu’à ma connaissance, certains politiciens ont préconisé, n’aurait, bien sûr, pas un effet important sur la capacité de prêt de la banque, mais cela porterait un coup dur à la réputation de la Chine. Le Canada devrait également envisager de poursuivre la Chine aux termes de la loi de Sergueï Magnitski, qui permet au gouvernement de bloquer la délivrance de visas à des représentants officiels, ainsi que de geler ou saisir leurs biens canadiens.
La décision de dénoncer la Chine pour ses violations des droits de la personne au Xinjiang cadrerait avec le soutien de longue date que le Canada apporte à la défense des droits de la personne et des libertés et, en faisant cela, le Canada pourrait encourager d’autres pays à prendre des mesures semblables.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir invitée à témoigner devant le comité spécial.
C’est en effet un honneur et un privilège pour moi d’être invité à me présenter devant ce distingué comité parlementaire spécial.
Je m’excuse de ne pas avoir soumis cette déclaration d’ouverture à temps pour qu’elle soit traduite, mais je n’ai reçu l’invitation à témoigner qu’il y a quelques jours. Je n’ai pu préparer la déclaration que pendant le week-end, mais je l’ai soumise et j’espère que vos interprètes l’ont devant eux et qu’elle leur sera utile.
Cela fait 45 ans que j’étudie la Chine et que je m’y intéresse comme chercheur. Je lis et parle le chinois assez couramment. J’ai visité la Chine, Hong Kong et Taïwan des centaines de fois pendant 41 années consécutives et j’ai vécu en Chine pendant cinq ans au total. Jusqu’à il y a cinq ans, j’avais un excellent accès aux institutions et aux personnes du parti, du gouvernement, de l’armée, du monde universitaire et de la société en Chine.
Bien que ce pays soit toujours fascinant et complexe, sa trajectoire actuelle me préoccupe à bien des égards. Je félicite votre comité spécial pour l’étude qu’il mène, car elle constitue un élément essentiel de la réévaluation par le Canada de ses relations avec la République populaire de Chine, en particulier à la suite, mais pas exclusivement, de la détérioration des relations bilatérales qui a découlé des cas de Meng Wanzhou, Michael Kovrig, Michael Spavor et Robert Schellenberg.
La raison pour laquelle je dis « pas exclusivement » est qu’il me semble apparent — du moins, au sud de notre frontière commune — qu’au cours des deux ou trois dernières années, le gouvernement canadien et la société civile se soient engagés dans un mode de fonctionnement national collectif sur vos relations avec la Chine.
Les cas susmentionnés ont peut-être cristallisé et fait remonter à la surface un débat souterrain qui couvait, mais il y a d’autres dimensions troublantes des relations avec la Chine que vous avez constatées ces dernières années, en rapport avec l’espionnage, les investissements chinois dans des secteurs clés de l’économie canadienne, le vol de technologies, le vol de droits de propriété intellectuelle — des choses que d’autres pays connaissent également —, les activités du Front uni chinois au sein de la diaspora sino-canadienne, les opérations d’influence auprès des élites chinoises, la situation des droits de la personne en Chine et d’autres difficultés. Je dirais que ces questions ont collectivement donné lieu à votre débat national et à l’étude de ce comité spécial.
C’est, je dirais, un mode de fonctionnement très sain et très normal, si vous voulez, pour toute démocratie. D’après ce que j’ai pu observer au sud de notre frontière, cette discussion nationale s’est déroulée de manière très rationnelle, responsable, mais approfondie. Elle n’est pas encore terminée, et l’étude de ce comité jouera un rôle important dans son issue.
Ces derniers jours, j’ai lu les transcriptions de tous les témoignages précédents devant le Comité et, ce matin, j’ai pu voir certains témoignages des ambassadeurs, mais pas tous, en venant ici. Permettez-moi de m’associer tout particulièrement aux déclarations liminaires de Phil Calvert, de Paul Evans et de Charles Burton. Bien que je ne sois pas d’accord avec toutes les réponses qu’ils ont données pendant la période des questions, j’ai trouvé que leurs remarques liminaires correspondaient largement à ce que je pense.
Je suis aussi périodiquement la presse canadienne et j’ai tenu des discussions au cours de la dernière année avec des collègues universitaires canadiens, ainsi qu’avec des diplomates et des fonctionnaires d’autres ministères à Ottawa.
En fonction de tout cela, je discerne qu’il y a une remise en cause assez fondamentale au Canada concernant les hypothèses et les principes fondamentaux sur lesquels repose sa relation avec la Chine. Encore une fois, cette réflexion est tout à fait normale, très thérapeutique et probablement attendue depuis longtemps, et elle permettra, je l’espère, de recalibrer l’approche envers la Chine de manière à servir au mieux les intérêts nationaux du Canada.
Le Canada est loin d’être le seul pays à mener une telle réflexion nationale sur la Chine. Au sud de la frontière, les Américains ont assisté ces dernières années à un débat national très similaire concernant leurs relations avec la Chine. Mes collègues et moi-même serions heureux d’en discuter avec vous aujourd’hui si vous le souhaitez, mais je vais simplement dire quelques mots à ce sujet.
Tout d’abord, elle se prépare depuis plusieurs années. Elle existait avant le gouvernement Trump, mais elle s’est consolidée depuis. Elle a suscité une importante critique et une réévaluation du soi-disant paradigme d’engagement qui a sous-tendu les relations des États-Unis avec la Chine pendant quatre décennies. Elle a entraîné un durcissement fondamental et très bipartite de la politique américaine envers la Chine. Bien qu’il n’y ait pas d’accord total sur ce point aux États-Unis, je dirais que la majorité des gens sont d’accord sur ce point. Encore une fois, nous serions heureux de vous donner des précisions à ce sujet si cela vous intéresse.
En outre, les États-Unis et le Canada ne sont pas les seuls à entreprendre une réévaluation aussi fondamentale des relations avec la Chine. L’Union européenne le fait aussi. Les relations entre l’Europe et la Chine sont un sujet que je suis de près depuis des décennies, et je reviens tout juste de Berlin, où nous avons organisé un symposium transatlantique sur les relations des États-Unis et de l’Europe avec la Chine. Ma collègue Bonnie Glaser, qui est aussi présente, a récemment coorganisé un dialogue germano-américain similaire sur la Chine, de sorte que nous connaissons bien la situation européenne. Yun Sun se trouve, bien sûr, aujourd’hui en Norvège.
En Europe, il y a également eu une réflexion et un durcissement des politiques à l’égard de la Chine à l’échelle du continent. Tout en continuant à appeler à la collaboration et à la coopération dans plusieurs domaines, pour la première fois dans une déclaration officielle de la Commission européenne, sa plus récente communication, qui ressemble à un livre blanc, a décrit la Chine comme un « concurrent stratégique » et un « rival systémique ».
En Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon, en Corée du Sud et dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, on procède à une réflexion similaire. D’autres témoins, dont ceux de ce matin, ont évoqué la loi adoptée par l’Australie à l’issue de son débat national. Je suis d’accord avec eux pour dire que c’est un bon modèle à suivre pour le Canada et d’autres démocraties.
Le Canada est loin d’être le seul à repenser ses relations avec la Chine, et il existe de bonnes raisons empiriques pour lesquelles ces pays réévaluent tous leurs relations avec la Chine, à savoir que le monde entier est confronté à un régime chinois beaucoup plus répressif sur le plan national et beaucoup plus conflictuel sur le plan international sous Xi Jinping.
La Chine a changé; il faut donc repenser les anciennes prémisses de nos politiques d’engagement et les remplacer par des réponses beaucoup plus fermes au comportement plus agressif de la Chine. Nous ne pouvons pas nous accrocher aux préférences libérales kantiennes dépassées et aux politiques de coopération avec un régime qui figure parmi les plus répressifs au monde; qui est largement mercantiliste dans ses politiques commerciales et d’investissement; qui construit une armée offensive de classe mondiale; qui a des politiques étrangères de plus en plus expansionnistes, notamment en ce qui concerne sa ceinture et sa route; et qui intimide de plus en plus les autres pays.
Très brièvement, à ce propos, j’ai été très intéressé par les témoignages de ce matin. L’un des membres de votre comité a soulevé une question vraiment intéressante. Qu’est-ce que les Canadiens ont besoin de savoir sur la Chine qu’ils ne savent pas? Nous pouvons en parler aujourd’hui, mais je dirais que les universitaires canadiens, à tout le moins, ont intérêt à cesser de se focaliser sur la Chine en tant qu’entité culturelle et civilisationnelle et à commencer à l’étudier en profondeur en tant qu’État léniniste communiste chinois, dont l’économie est essentiellement mixte, mais avec des caractéristiques soviétiques.
Selon moi, les universitaires doivent commencer à penser davantage comme des analystes du renseignement. L’expérience du Royaume-Uni est utile à cet égard. J’ai vécu et enseigné dans ce pays. Ils ont connu une situation très similaire il y a une vingtaine d’années. Ils ont mené une enquête parlementaire sur l’état des études chinoises au Royaume-Uni, qui a débouché sur une série de postes financés par le gouvernement dans certains domaines prioritaires. Nous pouvons poursuivre dans cette voie, et je voudrais simplement recommander que le Canada en fasse autant.
Permettez-moi de conclure ma brève intervention par ce dernier point. Une fois encore, le Canada n’est pas le seul pays à faire l’objet de mesures punitives de la part de la Chine pour des comportements que Pékin considère comme inamicaux ou qui violent ses soi-disant intérêts fondamentaux. D’après mon calcul, en comptant le Canada, 17 pays ont été sanctionnés par des mesures de rétorsion punitives de la part de la Chine. Mme Glaser vient d’en citer plusieurs, je vais donc en rester là. Nous pouvons examiner les 17 cas si vous le souhaitez, mais vous n’êtes pas le seul. On observe un schéma ici. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste des sciences sociales pour le constater.
Les événements déclencheurs varient selon les pays, mais le comportement de la Chine et ses mesures de rétorsion varient également selon les cas. Je note, simplement pour vous mettre au courant, que le Canada n’est pas dans une position unique à l’heure actuelle, même si c’est regrettable. Les Américains sont entièrement solidaires du Canada dans ces circonstances difficiles.
La Suède connaît actuellement des circonstances similaires dans l’affaire Gui Minhai et d’autres difficultés bilatérales, mais ce que le Canada et la Suède vivent actuellement est devenu un modèle international manifeste des actions punitives et agressives de Pékin envers les autres.
Le monde entier a maintenant affaire à un parti et à un État communistes chinois qui se sentent enhardis, légitimés et puissants. Les questions qui en découlent pour nous tous — certainement pour les démocraties, mais je dirais pour tous les pays du monde — sont les suivantes: quel type de riposte est justifié? Pouvons-nous tolérer une relation conflictuelle avec la Chine? Pouvons-nous échapper au piège du paradigme de l’engagement qui nous pousse à rechercher ou à retrouver une relation de coopération dite normale avec la Chine? Le monde va-t-il se plier aux moyens de pression et à l’extraordinaire influence commerciale de la Chine? Enfin, si le monde se plie à de telles tactiques, qu’est-ce que cela signifie pour l’ordre international?
Le Canada et la Suède sont actuellement les premiers à se pencher sur ces questions, mais le monde entier, peu importe les systèmes politiques, a tout intérêt à élaborer des réponses convaincantes et efficaces à ces questions difficiles. Je pense que Mme Glaser vient de vous donner une série de bonnes recommandations que je partage également.
Merci beaucoup pour votre attention. Je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour. C’est pour moi un grand honneur d’être invitée à donner mes perspectives et mon analyse au Comité spécial sur les relations sino-canadiennes.
On m’a demandé de m’exprimer sur le rôle de la Chine dans le monde et son approche à l’égard du système international, ainsi que de formuler des recommandations sur les relations sino-canadiennes.
Historiquement et traditionnellement, le système international que la Chine a connu et auquel elle est habituée repose sur une stabilité hégémonique, centrée et dominée par l’Empire du Milieu, nation ou civilisation supérieure qui se perçoit comme étant bienveillante. La supériorité de l’hégémonie chinoise en matière de puissance militaire et économique a constitué le fondement de la paix et de la stabilité par la dissuasion, la coercition et la guerre. La bienveillance, comme le démontre la fourniture de biens publics par l’hégémonie pour aider à faire progresser la culture par le truchement des infrastructures, a, selon la Chine, ancré l’opportunité d’un tel système pour les autres États.
Du point de vue de la Chine, la supériorité chinoise est le fondement de la stabilité et de l’harmonie du système. Dans la conception chinoise de l’ordre mondial, l’harmonie ne découle pas [Difficultés techniques] de l’égalité entre tous les pays. Au contraire, l’harmonie provient d’une hiérarchie bien définie et bien appliquée, dans laquelle les rôles et les responsabilités ont été attribués en fonction du pouvoir de chaque pays [Difficultés techniques]. La vision stipule que les États reconnaissent et s’engagent à respecter l’hégémonie forte et bienveillante, et c’est alors que la paix et la stabilité s’installeront.
Ce système a existé pendant 2 000 ans en Chine, jusqu’à ce qu’il rencontre sa plus grave menace existentielle, lorsque le système occidental d’États-nations...
Ce système a été confronté à sa plus grave menace existentielle lorsque le système occidental d'États-nations a prévalu en Asie. Alors que le système centré sur la Chine prêchait l'homogénéité de la civilisation chinoise entre tous les États de sa périphérie, la notion occidentale d'États-nations met l'accent sur leur hétérogénéité et, par conséquent, sur des intérêts nationaux différents et concurrentiels.
Ce que nous avons constaté avec la politique étrangère de la Chine ces dernières années est une tentative assidue de rompre avec le discours occidental et de rétablir le modèle chinois traditionnel de stabilité hégémonique. Selon la Chine, la primauté de la Chine dans la région a une chance raisonnable de l'emporter. La Chine, par sa puissance, créera un ordre alternatif fondé sur un ensemble différent de valeurs.
C'est essentiellement l'objectif que les dirigeants chinois actuels cherchent à atteindre. La vitalité croissante de la Chine et l'intensification de ses comportements en matière de politique étrangère sont la manifestation de sa volonté d'hégémonie régionale et de puissance mondiale. Cette hégémonie régionale n'empêchera peut-être pas les États-Unis d'accéder aux régions de l'Asie de l'Est et du Pacifique occidental, mais elle dicte que les États-Unis doivent suivre les règles élaborées et appliquées par la puissance régionale. Il s'agit de la cause fondamentale de l'escalade de la rivalité stratégique et de la concurrence entre grandes puissances à laquelle nous assistons entre les États-Unis et la Chine.
Les États-Unis ont traditionnellement joué le rôle d'un équilibreur extraterritorial pour assurer la pluralité de la région en canalisant le pouvoir dans celle-ci. Cependant, comme la Chine applique stratégiquement sa politique étrangère de la « carotte et du bâton » pour déloger les États-Unis, d'abord dans la région asiatique puis de manière plus générale dans le monde entier, cette concurrence entre grandes puissances va très probablement continuer à s'intensifier.
Je voudrais ici dire quelques mots en particulier sur la mentalité de la Chine à l'égard de l'Occident, qui est très pertinente pour notre discussion d'aujourd'hui. Lorsque la supériorité régionale de la Chine s'est effondrée au XIXe siècle, il en est résulté un sentiment de pathos, d'apitoiement sur soi et de victimisation face à l'Occident. Avec l'ascension de la Chine et la reprise de son statut de grande puissance, elle a rapidement évolué pour devenir le propre manifeste du destin de la Chine, une croyance ferme en la supériorité prédestinée et préétablie de la Chine pour diriger le monde et une mentalité ainsi qu'un désir de vengeance lorsque l'Occident semble rejeter ou manquer de respect au statut légitime de la Chine. En d'autres termes, la Chine maintient encore aujourd'hui un niveau élevé de mentalité de victime anormale pour une grande puissance, qui se traduit par un sentiment accru de vulnérabilité, d'hostilité et d'actions de représailles lorsqu'il est provoqué. En raison de cette mentalité et de la capacité et des instruments nouvellement acquis par la Chine pour faire du tort à d'autres pays, la politique de tout pays à l'égard de la Chine est devenue de plus en plus compliquée.
Comme le montrent la récente affaire Meng Wanzhou et les représailles de la Chine, le Canada est pris entre deux grandes puissances dans leur lutte acharnée. En Chine, il ne fait aucun doute que la réparation des liens ou de la soi-disant renormalisation des relations bilatérales devra se faire sur la base de la libération de Meng ou, à tout le moins, sur le fait qu'elle ne soit pas extradée vers les États-Unis, de concert avec d'importantes mesures politiques de la part du gouvernement du Canada pour faire preuve de bonne volonté envers la Chine. Tout geste moins que significatif sera apprécié par la Chine, mais peu susceptible de générer le changement de politique que les gens souhaiteraient voir. La récente réaction de Pékin à la position du Canada sur l'épidémie de coronavirus en Chine en est un bon exemple.
La question de savoir comment traiter efficacement avec la Chine tout en protégeant les intérêts nationaux du Canada est apparemment compliquée. Bien que le désir soit de maintenir la neutralité et d'éviter la situation binaire difficile de choisir un camp, le Canada pourrait finir par ne plus avoir la possibilité ou le luxe de le faire. Le Canada et les États-Unis sont de proches alliés, et nous partageons d'importants intérêts communs, allant des valeurs démocratiques aux normes et règles internationales, en passant par la sécurité nationale, le commerce bilatéral et la prospérité économique. Les récents développements ont aggravé les désaccords entre le Canada et la Chine, tant sur les questions de politique nationale que sur ses comportements en matière de politique étrangère. Il s'agit là de réalités fondamentales.
Pour traiter efficacement avec la Chine en cette période difficile, le Canada doit user de plus de moyens de pression et d'influence vis-à-vis de la Chine et ouvrir plus d'espace, un nouvel espace, entre les États-Unis et la Chine à l'ère de la concurrence des grandes puissances. La direction de l'alliance ne doit pas se contenter d'être le chef de l'alliance qui gère les partenaires. En ces temps de fluidité, il est également essentiel que les partenaires gèrent la relation de l'alliance afin d'atténuer ou de minimiser le risque potentiel de victimisation ou de dommages collatéraux sur des questions spécifiques.
Le Canada pourrait développer une compréhension plus astucieuse et plus sophistiquée de la Chine et calibrer les résultats de chaque interaction entre la Chine et le Canada avant qu'ils ne se produisent, mais au-delà de cela, la manière de façonner les politiques et les comportements des grandes puissances, ainsi que de préparer et de gérer les conséquences des décisions, sera de la plus haute importance. En outre, les puissances moyennes d'Europe et d'Asie demandent de plus en plus à instaurer une coopération entre elles afin de limiter et d'équilibrer les comportements hostiles des grandes puissances. Il s'agit là d'une orientation potentielle que le Canada pourrait également considérer davantage comme une orientation politique.
Merci encore, monsieur le président. Je me réjouis à la perspective de participer à la discussion.
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Volontiers. Tout d'abord, ce durcissement se manifeste à l'échelle tant sociétale que gouvernementale. Celui auquel j'ai fait référence concerne le gouvernement, mais en fait, si on examine les enquêtes et les sondages d'opinion publique réalisés auprès de la population américaine depuis deux ou trois ans, on constate que depuis le milieu des années 1960, un pourcentage accru d'Américains voient la Chine sous un jour que d'aucuns qualifieraient de défavorable.
La suspicion à l'égard de la Chine s'observe au sein du gouvernement et de la société, bien que lorsque je voyage aux États-Unis, je constate une variation substantielle du degré de suspicion. Fait intéressant, plus on se dirige vers l'Ouest, moins les Américains sont soupçonneux. Les États de la côte Ouest, comme ceux de Washington, de l'Oregon et de la Californie, transigent énormément avec la Chine, particulièrement sur les plans économique et culturel. Je ne veux pas passer beaucoup de temps sur cette question. Dans les Rocheuses, dans le Centre-Sud, dans le Haut-Midwest et, certainement, dans certaines régions de l'Est, les perceptions varient à l'égard de la Chine, mais dans l'ensemble, une majorité équivalant à environ les deux tiers des Américains voient maintenant la Chine d'un mauvais œil.
Le durcissement auquel j'ai fait référence se manifeste toutefois dans un certain nombre de domaines stratégiques. Il a commencé sous l'administration Obama, mais a réellement augmenté sous le règne de Trump. Les contrôles à l'exportation ont été considérablement renforcés. Les entreprises américaines n'ont maintenant plus le droit de vendre certains produits, comme les puces et d'autres composantes électroniques que vous connaissez fort bien.
Curieusement, Huawei ne suscite pas tellement de controverse au pays. Nous lui claquons tous simplement la porte au nez et lui interdisons de participer aux appels d'offres concernant nos réseaux, selon ce que je comprends. Contrairement à votre pays et à l'Europe, qui tenez un débat d'envergure à ce sujet, nous ne débattons pas vraiment de la question.
Les sphères dirigeantes ont instauré de nouvelles politiques concernant les investissements de la Chine dans les infrastructures essentielles. Les procédures d'examen du Committee on Foreign Investment in the United States, ou CFIUS, ont également été renforcées. Ce comité est saisi d'un nombre accru d'affaires relatives à la Chine, et le FBI surveille davantage les activités d'espionnage des Chinois dans les campus, les laboratoires et le secteur privé du pays. Selon les déclarations du directeur du FBI, M. Wray, la Chine est, et de loin, le pays qui s'adonne le plus au vol de technologies américaines.
Mme Glaser peut traiter plus en profondeur du secteur de la défense. La situation perdure depuis longtemps et existait avant l'arrivée de l'administration Trump. Vous avez vu ce qu'il s'est passé la semaine dernière. Au cours de la séance de ce matin, il a été question des nouvelles restrictions imposées aux journalistes chinois aux États-Unis en ce qui concerne quatre organismes, auxquelles s'ajoutent d'autres mesures, comme la vérification des visas des érudits chinois qui entrent aux États-Unis. L'administration Trump a vraiment durci ses mesures. Je ne qualifierais pas nécessairement ces mesures de « représailles », mais plutôt de politiques mûrement réfléchies visant à surveiller plus étroitement l'ampleur des interactions entre les Chinois et les Américains aux États-Unis. Et c'est sans compter les préoccupations de longue date concernant les entreprises, les universitaires et le gouvernement américains, notamment en ce qui concerne la diplomatie publique.
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Voilà une question très importante.
Pour clore brièvement mon propos, j'indiquerais que Pékin craint que des pays ne forment une coalition contre elle afin de se défendre. Je pense qu'il faudrait en tirer parti.
Je vous donnerai en exemple le Japon, qui me semble s'en sortir particulièrement bien à cet égard. Le Japon est dans l'eau chaude depuis 2012, quand son gouvernement a acheté, auprès de citoyens privés japonais, certaines des îles Senkaku faisant l'objet d'un conflit. Les Chinois ont alors commencé à envoyer des navires d'exécution de la loi dans les eaux territoriales environnant ces îles. Ils ont exercé d'autres pressions sur le Japon, mais leur objectif consistait à forcer le gouvernement de Tokyo, dirigé par le premier ministre Abe, à admettre l'existence d'un conflit territorial que le Japon a longtemps nié.
Aujourd'hui, huit ans plus tard, les relations ont graduellement commencé à s'améliorer, même si cela a pris du temps, et je dirais que c'est en décembre 2014 que le vent a tourné. Xi Jinping était censé participer à un sommet le mois prochain, mais ce dernier a été reporté en raison de la COVID-19, mais ces relations se sont améliorées, et le premier ministre Abe n'a fait aucune concession fondamentale auxquelles la Chine tient vraiment dans le cadre de ce conflit territorial.
Le Japon dispose-t-il de moyens d'action? Certainement. Il a probablement avec la Chine plus d'investissements et plus d'échanges commerciaux que le Canada. Au bout du compte, toutefois, je pense que Pékin, ayant constaté que le refroidissement prolongé de ses relations ne servait pas ses intérêts, cherche à trouver un terrain d'entente avec le Japon et le premier ministre Abe.
Ma question s'adresse à Mme Sun.
Bonjour. J'espère que vous allez bien.
Nous venons de célébrer la Journée internationale de la femme, et j'ai donc à l'esprit la question des droits des femmes. À la veille de la Journée internationale de la femme de 2015, les autorités chinoises incarcéraient cinq militantes féministes pour avoir planifié la distribution d'autocollants contre le harcèlement sexuel dans les métros et les autobus. La nouvelle de l'arrestation des « cinq féministes » s'est répandue comme une traînée de poudre, provoquant des manifestations à l'échelle mondiale et suscitant l'indignation dans les milieux diplomatiques. Heureusement, le gouvernement a libéré les femmes après 37 jours.
Puis, le jour même de la Journée internationale de la femme, il y a deux ans, les médias sociaux Weibo et WeChat ont tous les deux banni le compte féministe ayant le plus d'influence, Feminist Voices, parce qu'il publiait de l'information prétendument délicate et illégale. Des milliers d'étudiants ont signé des pétitions #MoiAussi pour exiger que des mesures soient prises contre le harcèlement sexuel, mais un grand nombre de ces pétitions ont été supprimées par des censeurs peu de temps après leur publication dans les médias sociaux.
Le rétrécissement de l'espace public où il est possible de discuter des droits des femmes en Chine est très préoccupant d'après moi. Je trouve cela particulièrement ironique, compte tenu de l'importance que revêtait l'égalité des sexes pendant la révolution communiste, au début de l'ère Mao, après la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Les premiers communistes avaient enchâssé l'égalité des femmes et des hommes dans la constitution de la République populaire de Chine, et le gouvernement avait mis en place des initiatives ambitieuses pour faire en sorte que les femmes contribuent à construire la nouvelle nation communiste à temps pour les années 1970. Le gouvernement s'était en fait vanté d'avoir, en Chine, le plus grand nombre de femmes sur le marché du travail au monde.
Est-ce que vous pourriez faire le point sur les droits des femmes en Chine et sur ce que le Canada et d'autres pays peuvent faire pour soutenir le mouvement féministe en Chine?
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C'est un abus honteux de la procédure, et vous le savez. Je ne vous ai pas interrompu quand vous répondiez directement à mes commentaires. Nous nous attendons à mieux de votre part.
Je veux poser deux questions à M. Shambaugh. Premièrement, nous utilisons le mot très à la mode « engagement », et il revient très souvent avec ce comité. Vous avez parlé du piège que constitue le paradigme de l'engagement. C'est intéressant, car nous dirions tous qu'il faut de l'engagement par rapport à ce sujet, concernant les occasions d'en discuter. En même temps, nous devrions rejeter l'idée voulant que l'engagement implique que nous pensions qu'une bonne relation amicale et collégiale est une fin en soi. L'objectif est de s'engager d'une façon qui montre de la fermeté et de la cohérence et qui cherche à porter nos valeurs et nos intérêts.
Pouvez-vous nous dire un peu ce qui peut constituer un engagement efficace et un engagement qui ne l'est pas, compte tenu de l'importance de ce mot?
En ce qui concerne la deuxième question, vous avez écrit un texte pour le Wall Street Journal en 2015, dans lequel vous avez imaginé le dénouement de… Je ne dis pas le verbe « imaginer » d'une manière péjorative. Vous avez dit: « La phase finale du régime communiste chinois a commencé… Sa chute sera vraisemblablement longue, désordonnée et violente. »
Je me demande si vous croyez toujours, cinq ans plus tard, que nous en sommes à la phase finale du régime communiste en Chine. Nous tous, ici présents, voulons sans doute voir la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit s'installer partout dans le monde, y compris en Chine. Croyez-vous qu'un changement politique soit possible à court ou à moyen terme en Chine? Quelles approches stratégiques pouvons-nous utiliser, ici au Canada, pour favoriser le développement d'une société libre dans un régime démocratique multipartite, et ce, d'une façon qui réduirait au minimum tout type de conflagration au cours de la transition?
Il vous reste deux minutes. Utilisez ce temps comme vous le souhaitez.
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Deux minutes ou deux heures…?
En ce qui concerne votre première question sur l'engagement, je recommanderais au Comité de lire, si ce n'est déjà fait, l'excellent livre de Paul Evans intitulé Engaging China. Il relate l'histoire des relations du Canada avec la Chine depuis le début de l'ère Trudeau, dans toute cette affaire du paradigme d'engagement. Deuxièmement, lisez le livre de l'ambassadeur David Mulroney, que vous entendrez au Comité, je l'espère. Son livre s'intitule Middle Power, Middle Kingdom, et il s'agit d'une excellente étude. Il se penche aussi sur ces enjeux.
L'engagement, d'après moi, n'est pas une fin en soi. C'est un moyen de favoriser l'atteinte des intérêts nationaux et des intérêts internationaux communs. J'ai aussi trouvé intéressante l'annexe qu'Affaires mondiales Canada a fournie au Comité. Il y a un très bel organigramme montrant plus d'une vingtaine de dialogues bilatéraux entre le Canada et la Chine. À la vue de ce graphique, je me suis dit qu'ils ne voyaient l'engagement que comme une fin en soi. Les diplomates d'Affaires mondiales Canada estiment suffisant d'afficher toutes ces cases dans le graphique et d'avoir les dialogues.
Ce n'est pas suffisant. Les dialogues doivent mener à des résultats. En passant, les États-Unis en avaient 94. Bonnie a écrit des articles à ce sujet. Nous avions 94 dialogues avec la Chine en même temps quand l'administration Trump est arrivée au pouvoir. Il y en a maintenant moins de 10. L'administration Trump en a tout simplement annulé un certain nombre. Est-ce que nous sommes dans une pire situation à cause de cela? Je ne le pense pas. C'est un gaspillage épouvantable d'argent, de ressources, de temps, de carburant d'avion et ainsi de suite, à moins que vous obteniez des résultats concrets.
L'engagement bilatéral, s'il est institutionnel, est un moyen d'arriver à une fin, peu importe l'enjeu ou le domaine dont il est question. C'est ma réponse courte à cela.