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CC20 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-20


NUMÉRO 006 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 30 avril 2008

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

[Français]

    Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 3 février 2008, le comité reprend l'étude du projet de loi C-20.

[Traduction]

    Je souhaite un bon retour aux membres du comité qui viennent de passer une semaine à se consacrer à leur circonscription.
    Avant que nous ne commencions, je tiens à vous présenter notre nouveau greffier, M. Jim Latimer, et à lui souhaiter un accueil chaleureux. Il a une longue expérience; je suis sûre que beaucoup d'entre vous le connaissez déjà. Je sais que je parle ici au nom de tous les membres du comité en remerciant sincèrement la greffière sortante, Christine Lafrance.
    Nous avons également le privilège d'accueillir une nouvelle documentaliste de la Bibliothèque du Parlement, Karine Richer. Soyez la bienvenue.
    La séance d'aujourd'hui suscitera peut-être un brin de nostalgie chez ceux d'entre vous qui se souviennent du Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada, auquel j'ai eu l'honneur de siéger en 1992. Je peux vous dire que personne ne nous a donné plus ample matière à réflexion qu'un de nos invités aujourd'hui qui nous avait alors présenté la notion du fédéralisme à géométrie variable. Sans plus tarder, permettez-moi de vous présenter nos témoins: le professeur Errol Mendes; l'éminent universitaire John D. Whyte, professeur de droit à la Law Foundation of Saskatchewan, Université de la Saskatchewan; et comparaissant par large bande — c'est sans doute la version moderne d'être présent en esprit —, Charles-Emmanuel Côté, professeur adjoint, Faculté de droit, Université Laval.
    Sans plus tarder, j'aimerais céder la parole. Nous allons commencer par vous, monsieur Mendes.

[Français]

    Je vais présenter mes idées en anglais, mais je serai heureux de recevoir vos commentaires et de répondre à vos questions en français. Merci.

[Traduction]

    À mon avis, le projet de loi C-20, intitulé Loi sur les consultations concernant la nomination des sénateurs, donne faussement aux régions du Canada, notamment à l'Ouest canadien, l'impression que l'actuel gouvernement tente de réaliser des réformes démocratiques importantes afin de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement en vertu de notre Constitution. Comme l'ont fait remarquer beaucoup d'experts, le projet de loi aura pour effet de consacrer, d'étendre et de dynamiser, non pas le Sénat selon la proposition « des trois e » dont parle Bert Brown, mais l'inégalité flagrante dont souffre l'Ouest canadien, les provinces et même l'Ontario au Sénat.
    Je m'explique. L'actuelle répartition des sièges au Sénat reflète le Canada des années 1860. En raison du contexte démographique de l'époque et de la participation des régions fondatrices du Canada, les provinces Maritimes, l'Ontario et le Québec ont eu droit à 24 sièges chacun. Terre-Neuve, au moment de s'unir au Canada, a obtenu six sièges. La Colombie-Britannique, avec sa population qui atteint maintenant les quatre millions d'habitants et qui croît rapidement, a six sièges, tandis que la Nouvelle-Écosse, avec une population de moins d'un million, a dix sièges. L'Île-du-Prince-Édouard, avec ses quatre sièges, a une influence 21 fois plus grande que celle de la Colombie-Britannique au Sénat, et ce, d'après leurs populations respectives. La population grandissante de l'Alberta est également sous-représentée. Même l'Ontario pourrait avec raison se sentir moins égale que les autres, étant donné qu'elle n'a que 22 p. 100 des sièges, alors qu'elle représente 40 p. 100 de la population. Cela n'a toutefois rien de surprenant de la part d'un gouvernement fédéral qui cherche à priver l'Ontario d'un nombre important de sièges à la Chambre des communes aux termes du projet de loi C-22, au sujet duquel j'aurais beaucoup à dire si j'en avais l'occasion et le temps.
    Si donc le premier ministre poursuit ses efforts pour faire adopter cette mesure qui trahit de manière flagrante l'esprit du Sénat selon la proposition « des trois e », ou quelque mesure qui lui ressemblerait un tant soit peu, la légitimité démocratique de l'inégalité de l'Ouest canadien s'en trouverait accrue. Je dirais même que toute tentative pour modifier la Constitution à l'avenir afin de corriger cette inégalité pourrait être bloquée par les sénateurs élus des petites provinces, et ce, en perpétuité.
    En outre, les sénateurs élus se sentiront à juste titre tout aussi autorisés que les députés élus à opposer leur droit de veto à des projets de loi, ce qui aurait encore une fois pour effet de défavoriser l'Ouest canadien et l'Ontario, sans parler de l'impasse qui pourrait en résulter. Le projet de loi C-20 ne contient aucune disposition sur la façon de résoudre une impasse entre les deux chambres. C'est d'ailleurs là une omission étonnante.
    Tenir une élection déguisée en consultation pour la nomination des sénateurs constituerait à mon avis une tentative inconstitutionnelle pour contourner le libellé très clair de l'article 42 de la Loi constitutionnelle, laquelle énonce expressément que la formule générale de modification prévue au paragraphe 38(1) — soit le Parlement du Canada et au moins deux tiers des provinces représentant 50 p. 100 de la population — s'applique aux pouvoirs du Sénat et au mode de sélection des sénateurs. À mon avis, le projet de loi C-20 est une tentative pour faire indirectement ce qui ne peut pas être fait directement dans le respect des instructions clairement énoncées à l'article 42. La mesure est manifestement inconstitutionnelle.
    Je sais que le gouvernement du Québec et même d'autres provinces partagent cet avis juridique, et ce fait devrait à lui seul amener le gouvernement fédéral à réfléchir, ce gouvernement qui a adopté avec tellement d'enthousiasme la motion reconnaissant que les Québécois forment une nation. Cette nation devrait certainement être consultée et avoir son mot à dire relativement à une des deux chambres du Parlement qui exerce son droit de regard sur les mesures législatives qui pourraient avoir une incidence sur elle.
    Il convient également de signaler que la Loi de la Chambre des communes accorde un droit de veto fédéral aux régions du Canada relativement à la modification de la Constitution, loi qui a été adoptée à la suite du référendum de 1995 au Québec. Toutes les régions du Canada ne devraient-elles pas maintenant pouvoir exercer ce droit de veto relativement à toute tentative pour modifier la Constitution, que ce soit de façon directe, indirecte ou furtive?
    Il ne faut pas oublier que la Cour suprême du Canada, dans le célèbre renvoi sur le rapatriement, avait fait savoir au premier ministre Trudeau qu'il violerait les conventions constitutionnelles s'il faisait directement ce qu'il ne pouvait pas faire directement, à savoir chercher à rapatrier la Constitution sans le consentement de la majorité des provinces. Le cas qui nous occupe représente peut-être une tentative encore plus grave pour faire indirectement ce qui ne peut pas être fait directement en vertu des conventions constitutionnelles canadiennes, voire en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867.
    Il n'est même pas clair, d'après moi, que le gouvernement fédéral ait compétence en vertu de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour adopter une loi qui viserait à faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement. On ne peut guère dire qu'il s'agit d'un pouvoir qui s'inscrit dans la paix, l'ordre et le bon gouvernement que de miner les dispositions existantes de la Constitution sur la modification de la Constitution.
    Certains avocats du ministère de la Justice et d'autres constitutionnalistes à qui on a demandé leur avis soutiennent que, dans la mesure où le premier ministre conserve son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'actuelle Constitution de recommander au gouverneur général les personnes à nommer au Sénat, un cadre électoral fédéral de nature consultative serait conforme à la Constitution.
(1535)
    J'aimerais demander à ces experts ce qui arriverait la première fois où le premier ministre refuserait de recommander la nomination d'une personne dûment élue en vertu du cadre électoral consultatif si toutes les autres personnes ainsi élues étaient nommées? Que dirait la Cour suprême du Canada de ce refus de nommer ainsi quelqu'un qui aurait été élu? Qu'arriverait-il si la Cour déclarait tout le processus inconstitutionnel, si bien que les personnes qui auraient été nommées ne seraient même pas sûres de pouvoir continuer à siéger? Qu'arriverait-il aux lois qu'auraient adoptées le Sénat composé en partie de sénateurs élus? Ces lois seraient-elles valides ou seraient-elles frappées de nullité?
    La gravité de ces conséquences éventuelles exigent, à tout le moins, une vaste consultation auprès de tous les partenaires de l'État fédéral canadien et, de préférence, un renvoi à la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la constitutionnalité du cadre dans son ensemble, non pas seulement du projet de loi à l'étude mais aussi du projet de loi C-19, qui vise à limiter le mandat des sénateurs à huit ans, projet de loi sur lequel le Sénat a à juste titre, à mon avis, refusé de se prononcer tant que la Cour suprême du Canada n'aura pas donné son avis.
    Le plus paradoxal dans tout cela, ce sont les raisons avancées pour justifier le dépôt du projet de loi, soit la nécessité de réformer le Sénat afin qu'il reflète les valeurs démocratiques des Canadiens, afin que les régions du Canada y soient équitablement représentées et que le Sénat soit maintenu comme lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive. Si le projet de loi est adopté, il consacrera l'inégalité entre les régions, il conduira à l'impasse démocratique, il ne renforcera pas les valeurs démocratiques et il mettra même en doute l'indépendance des sénateurs qui ne seront pas vraiment élus.
    Comme l'a fait remarquer le directeur général des élections, Marc Mayrand, même les dispositions du projet de loi sur le financement politique pose problème. Si la publicité payée par les partis politiques n'est pas autorisée en vertu du projet de loi, des dépenses massives sous forme de transfert de biens et de services pourraient quand même être engagées, ce qui pourrait créer une dette de reconnaissance envers les bailleurs de fonds qui auraient financé la campagne électorale.
    En outre, le leader à la Chambre, Peter Van Loan, quand il a présenté la version initiale du projet de loi, a soutenu qu'il s'agissait du point culminant de la lutte historique pour assurer aux femmes, aux minorités et aux Autochtones le droit de vote. Ces divers groupes seront-ils représentés en vertu du cadre à l'étude s'il est adopté? Miner la Constitution ne peut guère être considéré comme une valeur démocratique des Canadiens. Par ailleurs, le projet de loi, comme je l'ai indiqué, consacre l'inégalité entre les régions du Canada.
    Le plus paradoxal, c'est peut-être que le principe qui sous-tend l'élection consultative des sénateurs est que le premier ministre se réserve le droit de faire fi des résultats du scrutin mené auprès de tous les Canadiens. Cela ne peut guère être considéré comme démocratique. Cela pourrait en conduire beaucoup, notamment dans l'Ouest canadien, et peut-être même dans le reste du Canada, à conclure que cette tentative d'amendement indirecte et inconstitutionnelle, à mon avis, s'explique en fait par la volonté de donner l'illusion de faire quelque chose au sujet de la réforme du Sénat à des fins électorales.
    À mon avis, il est très dangereux de jouer des jeux politiques avec un des documents et une des institutions les plus fondamentaux du Canada.
    Merci, madame la présidente.
(1540)
    Merci.
    Vous avez la parole, monsieur Whyte.
    D'entrée de jeu, je tiens à dire que c'est un grand honneur d'avoir été invité à participer aux délibérations d'un gouvernement national. Je vous remercie pour cette invitation.
    Il ne fait aucun doute que la composition du Parlement du Canada constitue une anomalie. Elle est incompatible avec les principes qui ont cours en matière de légitimité politique. Cette incompatibilité tient à la nomination, et non pas à l'élection, des membres d'une des deux assemblées législatives dans une structure législative bicamérale, c'est-à-dire une structure législative où chaque Chambre a le droit d'opposer son veto à des loi.
    Ce serait peut-être une erreur, cependant, de considérer qu'il s'agit là d'une dérogation flagrante au principe démocratique, tel qu'il est généralement exercé dans des États complexes fondés sur la primauté du droit. Il y a toujours diverses considérations possibles dans l'art de gouverner, dont certaines rendent la nomination des sénateurs acceptable dans un État démocratique.
    Premièrement, les sénateurs sont nommés par le gouvernement, et leur nomination reflète donc les préférences de la majorité. Les sénateurs sont nommés à vie, si bien que le Sénat constitue une tribune moins sujette aux rivalités politiques intenses qui découlent de l'imminence des élections. En reconnaissance de la légitimité démocratique plus grande des Communes, le Sénat fait généralement preuve de prudence et de réserve dans l'exercice de son droit de veto.
    Si nous avons un Sénat dont les membres sont nommés, c'est pour représenter les différences régionales et provinciales qui se trouvent moins bien représentées quand les allégeances politiques entrent davantage en ligne de compte.
    Le rôle de cette chambre dont les membres sont nommés est d'étudier les mesures législatives en se fondant sur des considérations moins partisanes que celles qui l'emportent à la Chambre des communes, où l'échec d'une mesure peut déclencher des élections.
    Comme le précise le projet de loi C-20, il s'agit d'un « lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive », et il y a une raison valable pour justifier qu'il en soit ainsi. La composition du Sénat constitue effectivement une anomalie, mais qui peut se justifier dans l'art de gouverner. Ce n'est pas quelque chose qu'une démocratie comme le Canada ne saurait tolérer.
    Il n'en reste pas moins que les arguments en faveur de la réforme du Sénat pour y assurer une responsabilité législative en conformité avec les principes démocratiques sont convaincants. Dans les États démocratiques, l'appui donné aux législateurs par la population est la norme.
    Mais toute réforme du Sénat mérite une réflexion approfondie. Mon collègue, le professeur Mendes, vient de vous dire que, d'après lui, il pourrait y avoir en aval des imperfections qui résulteraient de cette réforme et d'autres réformes.
    Voici quelques questions qu'il convient de se poser. Si les sénateurs étaient élus non pas pour un mandat d'une durée limitée, mais jusqu'à l'âge de 75 ans, en quoi la responsabilité démocratique se trouvera-t-elle accrue? S'ils sont nommés pour une période de 15 ans, sans possibilité de reconduction, en quoi cela améliore-t-il la responsabilité? À l'heure actuelle, les sénateurs ne sont-ils pas nommés en fonction de l'appui qu'ils reçoivent d'un parti politique? N'est-ce pas ce même appui politique qui permet à des personnes de devenir candidats aux élections? Les sénateurs ne sont-ils pas nommés par le parti qui a obtenu le plus grand nombre de voix? Le choix des sénateurs dans le cadre du processus de consultation ne se fera-t-il pas de façon identique? Allons-nous vraiment changer quoi que ce soit?
    Si le Sénat est censé réduire l'influence des considérations partisanes dans l'étude des mesures législatives, le nouveau processus électoral minera-t-il cet objectif? Si le Sénat est censé refléter les intérêts régionaux, cet objectif sera-t-il compromis par la force de la discipline de parti et la loyauté engendrée par les élections? Si le fait que les sénateurs soient nommés amène le Sénat à faire preuve de réserve et à ne pas s'opposer de manière générale à la volonté des Communes, cette restriction sur le pouvoir du Sénat disparaîtra-t-elle avec le choix électoral? Les règles du gouvernement responsable vont-elles s'effondrer? L'exigence sous-jacente voulant que le gouvernement puisse réaliser ses objectifs législatifs disparaîtra-t-elle?
    Si valables que soient ces préoccupations et si approprié qu'il soit de s'inquiéter des conséquences du projet de loi C-20, la véritable question qui se pose concerne en fait le processus. Depuis 22 mois, le gouvernement a tenté à trois reprises d'effectuer des réformes constitutionnelles importantes relatives à la structure fondamentale de notre Parlement national: il a cherché à limiter la durée du mandat des sénateurs; il a refusé systématiquement, sauf dans un cas depuis l'arrivée au pouvoir de l'actuel gouvernement, de combler les vacances au Sénat; et, enfin, il a cherché à créer des consultations électorales en vue de la nomination des sénateurs. Chacune de ces initiatives soulève de graves doutes quant à sa constitutionnalité.
    Je crois que la première viole l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982. La deuxième continue manifestement à violer, avec chaque jour qui passe, l'article 32 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui crée l'obligation de nommer des sénateurs pour combler les vacances. Enfin, la troisième, que nous étudions aujourd'hui, viole les articles 42 et 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.
(1545)
    En outre, chacune de ces initiatives modifie ou modifiera la façon dont fonctionne le Parlement, la façon dont les organes et organisme du gouvernement national représentent les intérêts, la façon dont les intérêts sont pris en considération et la façon dont se jouent les rapports politiques. Mais ce sont là autant de changements à la structure du gouvernement qui sont en train de se produire sans analyse, sans débat et sans qu'il soit possible de choisir entre différentes options. Nous sommes témoins d'une tentative pour refaçonner le Parlement national en l'absence d'un débat constitutionnel. Cela se justifie, bien sûr, si le gouvernement souhaite apporter des changements précipités, quels qu'ils soient, tout en étant indifférent aux conséquences de ces changements, et ce, en dépit de leur caractère permanent.
    Si nous avons une Constitution et un processus de modification constitutionnelle, c'est notamment pour forcer les gouvernements qui souhaitent simplement changer les choses à ne pas les changer de façon unilatérale sans qu'il y ait un débat raisonné et sans qu'on cherche dans le cadre d'un processus réfléchi à en arriver au consensus qui est censé être partie intégrante de la politique constitutionnelle.
    Il se peut bien que la marche à suivre pour modifier la Constitution en vue d'élire les sénateurs soit lourde ou peu commode, mais c'est justement pour cette raison que la procédure est fixée par la Constitution. S'il est compliqué de modifier la loi c'est précisément pour nous obliger à avoir ces discussions difficiles que nous n'aurions pas si nous n'y étions pas obligés et si nos prédécesseurs n'avaient pas jugé, pour une raison quelconque, qu'il était important que nous ayons ces discussions.
    Dans le cas qui nous occupe, nous savons ce qui a motivé nos prédécesseurs. Cela faisait partie du marché de la Confédération entre les communautés politiques existantes du Canada — marché qui, soit dit en passant, n'a rien perdu de sa force ou de sa signification morale pour notre pays. La fidélité au texte et au processus constitutionnels exige que nous nous conformions à ce qui a été décidé par nos prédécesseurs. Si nous voulons modifier le Parlement du Canada, nous devons nous engager dans le processus constitutionnel qui est décrit à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.
    Je ne veux pas être naïf. Tout processus de réforme constitutionnelle intergouvernementale envisagé par les articles 38, 41 et 42 achopperait vraisemblablement sur les demandes traditionnelles: ainsi, le Québec exigerait des modifications qui pourraient l'amener à avaliser la Constitution de 1982, et les organisations autochtones nationales pourraient exiger, par convention, de participer aux réformes.
    Bien sûr, le processus pourrait être encore plus difficile que nous ne l'avions imaginé. Tout projet de modification du Sénat pourrait fort bien avoir une incidence sur les dispositions qui ne concernent que le Québec, celles relatives à la représentation régionale à l'intérieur de la province, et pourrait exiger plus que le simple consentement selon la formule sept et 50, le Québec devant en fait y consentir. Je ne cherche pas à amoindrir l'importance de la difficulté.
    Cette difficulté porte à croire qu'il doit y avoir un moyen de réformer le Sénat par voie législative, mais cela n'est pas possible. Nous devons faire preuve d'une force de caractère suffisante en tant que pays pour nous engager dans ces discussions difficiles. Elles pourraient nous être salutaires.
    Quand je me suis prononcé devant le Sénat sur le projet de loi S-4 il y a de cela environ un an, j'ai dit qu'état de malaise général par rapport au Sénat actuel, le peu de place qu'il semble y avoir pour modifier la Constitution de façon unilatérale, la simple invocation des valeurs démocratiques et la perception populaire erronée selon laquelle le Sénat ne joue pas vraiment un rôle important dans la gouvernance nationale sont autant de facteurs qui tendent à légitimer des réformes constitutionnelles qui peuvent paraître attrayantes à première vue, mais que l'on poursuit de façon irresponsable à mon avis.
    Si je me reporte plus précisément au projet de loi C-20, la proposition visant à donner à l'électorat une voix sur le choix des sénateurs est ni plus ni moins qu'une modification au mode de sélection des sénateurs, qui est expressément mentionné à l'alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982 et dont il est précisé justement qu'il échappe au pouvoir du gouvernement fédéral de le modifier de façon unilatérale.
    Il y a quatre raisons qui expliquent que la réforme législative par le projet de loi C-20 pose problème sur le plan de la Constitution.
    Premièrement, l'alinéa 42(1)b) traite du mode de sélection des sénateurs qui seront nommés, et non pas du mode de nomination. Le mode de sélection sera dorénavant que le gouvernement ne retiendra comme candidats — et selon les impératifs qui caractérisent généralement les considérations politiques électorales — que ceux qui auront remporté les élections visant à déterminer qui devrait choisi pour être nommé au Sénat.
(1550)
    N'est-il pas ironique que pour justifier cette initiative de démocratisation du Sénat, les réformateurs affirment, et doivent affirmer, qu'ils ne se considèrent pas du tout contraints par le processus démocratique qu'ils veulent maintenant si désespérément?
    Deuxièmement, en vertu de l'article 32 de la Loi constitutionnelle, c'est le Cabinet fédéral — la loi dicte le gouverneur général, ce qui signifie le Cabinet — qui a le pouvoir discrétionnaire de déterminer qui est apte et compétent à être mandé au Sénat. Le projet de loi C-20 propose un mécanisme électoral pour indiquer au Sénat qui devrait être mandé.
    Une responsabilité constitutionnelle claire affectée spécifiquement à un organisme particulier du gouvernement sera érodée ou contrainte par un autre élément du gouvernement public: les électeurs. En droit administratif, on dit que le décideur prévu par la loi a décliné sa compétence, qu'il a soumis la décision à une source extérieure ou qu'il a fait entrave à son pouvoir discrétionnaire. Ses actions sont toutes ultra vires.
    Bien entendu, certains soutiendront que le processus consultatif et ses résultats ne mineront pas le pouvoir discrétionnaire du Cabinet, et que la consultation n'est pas conçue pour réduire la liste de ceux considérés pour une nomination, mais bien pour ajouter des noms à cette liste — liste qui renferme aussi des noms ne résultant pas de l'élection.
    Si on lit le projet de loi C-20, on peut voir qu'il n'est pas crédible de dire que la consultation ne déterminera pas qui sera choisi par le Cabinet. L'ampleur du processus; la visibilité du processus; le contexte d'une élection générale fédérale et l'engagement politique qui en découle, dans la plupart des cas; l'énergie politique et l'attention que portera la population à des votes à l'échelle de la province — un nombre de votes supérieur à ce que pourrait obtenir un député — tout exclut la possibilité que le Cabinet fasse fi des résultats électoraux.
    La disposition de sauvegarde du projet de loi C-20, que ce processus permet aux électeurs de faire connaître leurs préférences quant à la nomination au Sénat « dans le cadre du processus de nomination actuel », ne garantit pas la constitutionnalité du projet de loi. En effet, le processus précis de nomination — les décrets — n'est pas modifié. C'est le mode de sélection de sénateurs à nommer que le gouvernement cherche à modifier, et en vertu de l'alinéa 42(1)b), cela ne peut être fait que par une modification constitutionnelle en bonne et due forme.
    Troisièmement, le processus électoral prévu par la loi ne satisfait pas aux exigences spécifiques touchant la nomination de sénateurs du Québec. Le Cabinet pourrait peut-être joindre au processus électoral de la nouvelle loi la limite constitutionnelle prescrivant que toutes les nominations du Québec doivent correspondre aux circonscriptions électorales à représenter, mais ce sera sans doute impossible pour des élections à l'échelle provinciale sauf, bien sûr, si l'on prend la décision de faire fi du paragraphe 23(6) de la Loi constitutionnelle de 1867. D'ailleurs, c'est ce qui devrait se produire, car le Québec ne pourrait pas tolérer un système de vote qui ne s'appliquait pas seulement au Québec.
    Il existe d'autres divergences entre le projet de loi C-20 et la Constitution. Il y a des différences touchant les qualités, la citoyenneté, et l'âge. Il existe une différence entre l'article 32, qui rend obligatoires les nominations, et le projet de loi C-9, qui rend discrétionnaire la tenue d'un processus de consultation. Il y a des divergences importantes entre les exigences constitutionnelles et le processus établi par le projet de loi C-20. Cela n'est pas nécessairement inconstitutionnel. Dans la pratique, les chances que le projet de loi soit inconstitutionnel sont presque absolues, mais il n'est pas nécessairement inconstitutionnel, car il est possible que les administrateurs du projet de loi C-20 fassent fi, afin d'être conformes à la Constitution, de toutes ces dispositions. Cela semble improbable.
    En dernier lieu, la Constitution n'est pas un code des impôts. Elle exige que l'on demeure fidèle à ses structures, ses relations, ses concepts et ses principes. Ceux qui proposent cette modification ont admis eux-mêmes qu'ils sont incapables de mettre en place un processus électoral puisqu'ils ont pris ce qui était clairement un processus électoral, en ont conservé tous les attributs, puis en ont changé le nom pour « consultation ». Puis, dans les « attendu que », ils cherchent à nier l'objectif et l'effet de la loi. Ce processus qu'ils appellent consultation a en fait tout d'une élection sauf le nom.
(1555)
    Si le Parlement, de son propre aveu, emploie un tour de passe-passe aussi évident pour modifier la Constitution contrairement aux dispositions modificatives, il jettera le discrédit sur le Parlement, et causera de graves dommages à la Constitution, à nos engagements constitutionnels et à la primauté du droit.
    Monsieur Whyte, pourriez-vous conclure rapidement?
    Il me reste une phrase.
    Très opportun.
    Comme le prévoit le paragraphe 2(2) du projet de loi: « Sauf indication contraire, les termes de la présente loi s'entendent au sens de la loi électorale du Canada. » Eh bien, il n'y a pas d'indication contraire.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Whyte.
    Passons maintenant à M. Côté. Vous avez la parole.

[Français]

    Je remercie les membres du comité pour le privilège qui m'a été fait de venir virtuellement témoigner devant vous.
    Je partage les doutes qui ont été émis par mes éminents collègues qui m'ont précédé quant à la constitutionnalité du projet de loi C-20. Ce sont ces doutes que je vais partager avec vous maintenant.
    D'une part, je pense qu'il faut rejeter toute interprétation qui serait restrictive de l'exclusion du mode de sélection des sénateurs faite dans l'article 44, qui concerne la compétence du Parlement fédéral de modifier unilatéralement la Constitution. À mon sens, il n'y a aucune raison de faire une interprétation restrictive de cette exclusion concernant le mode de sélection des sénateurs.
    Selon moi, tant le texte que le contexte historique qui a conduit à l'adoption de cette procédure de modification constitutionnelle soutiennent une telle interprétation. Les versions, tant anglaise que française du texte, concordent et le renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute renforce cette interprétation, qui serait large, de l'exclusion, donc, concernant le mode de sélection des sénateurs.
    En effet, ce qui est exclus de la compétence unilatérale du Parlement fédéral, c'est bien le mode de sélection des sénateurs et non pas simplement le mode de nomination ou le pouvoir de nomination des sénateurs. Le mode de sélection, à mon sens, englobe tout le processus précédent et conduisant à la nomination d'un sénateur par le gouverneur général. Cela engloberait la manière dont on procède à cette sélection, la pratique que l'on suit, le processus que l'on suit ou encore l'absence de processus.
    Le renvoi de 1980 sur la compétence du Parlement sur la Chambre haute vient, à mon sens, renforcer cette acception large du mode de sélection des sénateurs. On reconnaît généralement que l'article 42 visait notamment à codifier les modifications aux caractéristiques essentielles du Sénat qui était visées par ce renvoi.
    Je vous rappelle que dans le renvoi, la Cour suprême du Canada a estimé que la nature — et j'insiste sur le mot « nature » — non élective du Sénat en est un trait fondamental. La Cour suprême s'est ensuite prononcée spécifiquement sur le fait que l'élection directe des sénateurs échapperait au Parlement fédéral.
    Parmi les autres questions qui étaient posées à la Cour suprême du Canada dans ce renvoi, auxquelles elle n'a pas répondu faute de preuves suffisantes, dans le décret du gouvernement fédéral qui avait fait le renvoi, on évoquait également la possibilité que les sénateurs soient sélectionnés par la Chambre des communes, puis nommés par le Gouverneur général ou encore sélectionnés par les assemblées législatives, puis nommés par le lieutenant-gouverneur. Selon moi, quand les constituants, en 1982, ont rédigé le paragraphe 42(b) et utilisé l'expression « mode de sélection des sénateurs  », ils étaient tout à fait conscients de ce contexte, de ces différents modes de sélection des sénateurs qui étaient visés. Ils ont donc choisi une expression générique englobante qui est celle de « mode de sélection des sénateurs ».
    En conclusion, j'estimerais que ce qui est exclus, ce qui est soustrait de la compétence, ce qui échappe à la compétence du Parlement fédéral, ce n'est pas seulement tout changement quant au mode de nomination des sénateurs prévu à l'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais bien toute question touchant au processus de sélection des sénateurs. Cette acception large permet de dépasser la distinction formelle entre un processus obligatoire ou simplement facultatif ou consultatif.
    Selon moi, toute loi qui toucherait au processus de sélection des sénateurs échapperait à la compétence du Parlement fédéral et relèverait de la procédure normale de modification constitutionnelle, dite du 7/50, prévue à l'article 38.
    Si on s'intéresse plus particulièrement au projet de loi C-20, j'estimerais, à la lumière de cette analyse de l'article 44, que le projet de loi C-20 échappe à la compétence du Parlement fédéral. Comme toute loi, le projet de loi C-20 doit nécessairement survivre à l'examen de sa validité constitutionnelle. Pour ce faire, la jurisprudence bien établie nous indique qu'il faut qualifier le caractère véritable de ce projet de loi et le rattacher à un chef de compétence du Parlement et que, pour faire cette qualification, on peut utiliser tant la preuve intrinsèque que la preuve extrinsèque entourant ce projet de loi, à la lumière de ses effets juridiques et pratiques.
(1600)
    À mon sens, la seule compétence fédérale envisageable, qui pourrait être invoquée au soutien du projet de loi C-20, est effectivement l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui donne compétence au Parlement fédéral à l'égard du Sénat sous réserve, notamment, de l'exclusion concernant le mode de sélection des sénateurs. Or, à mon sens, il est clair que le caractère véritable du projet de loi C-20 touche le mode de sélection des sénateurs. On vise à créer un nouveau processus d'élections consultatives dans le cadre de la sélection des sénateurs.
    À mon avis, le caractère facultatif et consultatif de ce nouveau processus n'est pas déterminant. L'essence même du projet de loi C-20 est d'ajouter un processus qui n'existait pas dans le cadre de la sélection des sénateurs.
    Par ailleurs, les effets pratiques et juridiques du projet de loi C-20 viennent renforcer cette conviction quant au caractère véritable de celui-ci. L'effet pratique du projet de loi C-20, s'il est utilisé — et on peut penser qu'il le sera puisqu'on veut l'adopter, on veut le mettre en place —, sera donc, même s'il est théoriquement facultatif, d'ajouter un nouveau processus dans le cadre de la sélection des sénateurs. Par ailleurs, un effet juridique prévisible ou envisageable du projet de loi C-20 pourrait être la création de conventions constitutionnelles qui viennent intervenir, à nouveau, dans le mode de sélection des sénateurs.
    Enfin, je pense que cette conclusion concorde avec l'esprit du renvoi de 1980 sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, qui voulait soustraire à la compétence du Parlement fédéral tout ce qui touchait aux caractéristiques essentielles du Sénat. Or, il est prévisible que, si ce projet de loi est adopté et qu'il est appliqué, lorsqu'il y aura une masse critique de sénateurs nommés à la suite d'une élection consultative, ils sentiront qu'ils sont tout aussi légitimes dans leur représentativité démocratique que les membres de la Chambre des communes. En conséquence, on peut prévoir que le rôle du Sénat dans le processus législatif fédéral pourrait être renforcé et que les sénateurs éprouveront moins de retenue dans le processus législatif face aux décisions de la Chambre des communes. Je pense que cela toucherait directement, au bout du compte, aux caractéristiques essentielles du Sénat.
    Finalement, face à ces doutes sérieux concernant la constitutionnalité du projet de loi C-20, j'estime qu'il serait certainement plus prudent de soumettre ce projet de loi à la Cour suprême du Canada pour qu'elle puisse se prononcer sur sa constitutionnalité et éclaircir ces doutes, s'il y a lieu.
    Je vous remercie.
(1605)

[Traduction]

    Merci, monsieur Côté.
    Nous allons commencer notre première série de questions.
    J'aimerais demander aux membres de faire des efforts pour être concis et de respecter le temps alloué pour permettre à tous les membres de poser une question, car la liste des intervenants est longue. Veuillez adresser votre question à la personne dont vous souhaitez une réponse.
    Merci.
    Nous amorcerons la première série avec M. Murphy.
    Merci, madame la présidente.
    J'aimerais commencer en disant que je suis d'accord avec les observations de nos trois experts aujourd'hui. J'ai deux questions précises pour chacun d'entre eux, et j'essaierai d'être bref pour leur permettre de répondre de façon adéquate.
    Je crois, monsieur Whyte — vous l'avez bien dit —, que le pouvoir du Sénat est présentement soigneusement circonscrit. Et monsieur Côté, vous avez bien expliqué qu'en vertu du système proposé par le projet de loi C-20, les sénateurs pourraient considérer, puisqu'ils sont élus, qu'ils ont autant de légitimité que les députés de la Chambre des communes. Donc, avec deux chambres concurrentes tout aussi puissantes et sans véritable système pour résoudre les impasses, quel serait le résultat?
    Ma deuxième question est un peu plus intense, je crois, d'un point de vue législatif. M. Hogg a comparu devant le comité. Il est très respecté. Il a dit très clairement que le premier ministre respecterait sans doute dans tous les cas le vote du processus de sélection, et que cela n'enfreindrait ni l'article 24, ni l'article 42. Ce n'est qu'une autre façon de choisir les sénateurs, qui n'est pas présentement prévue à l'alinéa 42c). C'est simplement une convention. Peut-être y aurait-il une nouvelle convention que chaque premier ministre accepte les résultats du processus d'élection pour les sénateurs, mais ce n'est pas le cas. Et j'ajouterais qu'il le dit de façon très stricte. C'est une façon de s'immuniser; tout bon avocat le fait lorsqu'il s'attend à ce que l'autre partie ne respecte pas son interprétation.
    Le concept — et M. Hogg a été très clair — est que le premier ministre et le Cabinet continueront de suggérer des candidats à la gouverneure générale, qui mande les sénateurs, et il n'y a aucun changement, car le premier ministre a un parachute, car il a le droit de ne pas respecter le résultat. Qu'en pensez-vous?
    Je serai bref, car je sais que mes collègues voudront sans doute ajouter des choses à ce que je vais dire.
    Tout d'abord, s'il existe une raison pour ne pas adopter ce projet de loi, c'est bel et bien le risque d'impasse. Imaginez ce qui se produirait si, comme vous dites, monsieur Murphy, le Sénat considérait qu'il pouvait opposer son veto à presque tout ce que fait la Chambre des communes. Nous le déplorons lorsque cela se produit au Congrès, et nous courons le risque d'avoir une situation encore pire ici.
    Quant à Peter Hogg, bien que je respecte son opinion, je crois qu'il n'a pas posé la question essentielle de ce qui se produirait si le premier ministre refusait de nommer quelqu'un après qu'il a été élu. Compte tenu de tout ce qu'a dit mon collègue John Whyte à propos du processus électoral fédéral, si un premier ministre, malgré tout cela, décidait de dire non, je ne vous nommerai pas au Sénat, alors cette personne pourrait saisir les tribunaux de l'affaire et leur demander de déclarer le processus inconstitutionnel — ou de la nommer au Sénat. On court le risque d'un chaos constitutionnel.
(1610)
    Monsieur Whyte, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Toute une faille à franchir.
    Si deux chambres légitimes au point de vue électoral en arrivaient à des conclusions différentes sur une mesure, cela représenterait une menace claire à la théorie du gouvernement responsable et à l'exigence constitutionnelle fondamentale qu'un gouvernement doit être en mesure de gérer le programme législatif dans les chambres législatives.
    Je crois que la réponse à ce problème auquel nous sommes confrontés, comme d'autres nations y ont été confrontées, est un ensemble de conventions, peut-être des conventions touchant la négociation en comité ou un comité mixte des divergences sur les projets de loi, comme ils le font à Washington. Peut-être y aura-t-il une convention selon laquelle l'échec d'un gouvernement à gérer son programme législatif en raison de l'intransigeance du Sénat n'exprime pas un manque de confiance.
    Toutes sortes de conventions pourraient voir le jour pour assurer le fonctionnement d'un gouvernement responsable dans un Parlement bicaméral dans lequel les deux chambres sont élues. Ces conventions évolueront, et je ne crois pas que ce soit impossible à gérer.
    Je crois qu'il y aura des moments où nous croirons que nous sommes au bord d'une crise constitutionnelle, comme en Australie en 1975, mais je ne crois pas que ces moments soient fréquents et impossibles à gérer. À dire vrai, nous devons, comme nation, aspirer à une époque où nous aurons des Parlements entièrement élus démocratiquement. Nous devrions faire face à cette avenue.
    Pour répondre au deuxième point, il existe une différence théologique entre M. Hogg et nous, j'imagine. M. Hogg est un constitutionnaliste de renom très respecté — et d'ailleurs, son opinion était aussi celle du doyen Patrick Monahan, son successeur à Osgoode Hall, qui occupe le même poste. Ils sont, et je le dis avec toute la générosité dont je suis capable, bien connus comme étant des avocats qui appliquent la Constitution à la lettre. D'autres constitutionnalistes vivent selon l'esprit de la Constitution. Ceux-ci considèrent que la Constitution représente l'expression d'où se trouve une nation à un certain point de son histoire, et cela établit une ligne directrice pour guider cette nation dans son cheminement en termes d'engagements moraux et d'honorabilité.
    Avec les ententes conclues en 1867 et en 1982, nous, le peuple — et je sais que c'est un concept atténué de « nous, le peuple » — avons décidé de vivre ensemble de cette façon, avec ces moments de respect mutuel et une compréhension de la façon dont le pouvoir doit s'exercer. On ne peut pas restreindre ces ententes et conserver l'intégrité de la Constitution dans l'esprit des Canadiens. Il existe un esprit dans la Constitution et M. Hogg ne parvient pas à le saisir, ni son importance fondamentale pour le Canada comme bon État.
    Merci monsieur Whyte.

[Français]

    Monsieur Côté, je remarque que vous êtes en train d'écrire. Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Oui, j'ai des commentaires à faire sur les deux questions qui ont été posées.
    Pour ce qui est d'un mécanisme visant à dénouer d'éventuelles impasses, je pense que pour l'instant, le seul mécanisme dont nous disposerions serait celui prévu à l'article 26 de la Loi constitutionnelle de 1867, c'est-à-dire la possibilité pour le premier ministre de nommer jusqu'à huit sénateurs supplémentaires. Pour mettre en oeuvre ce pouvoir, aurait-il recours à des sénateurs figurant sur la liste ou procéderait-il de façon traditionnelle? Je l'ignore. C'est en effet une question importante.
    Je connais certains détails de la crise qu'a connue l'Australie pendant les années 1970. Même si un mécanisme prévoyait de telles impasses, il y a eu une crise constitutionnelle grave. Il est évident que le fait de procéder à une élection consultative des sénateurs sans réfléchir davantage à un mécanisme pour dénouer les impasses est un problème additionnel, à mon avis.
    Quant au professeur Hogg, j'ai évidemment beaucoup de respect pour lui et j'ai beaucoup appris de ses livres. J'ai pris connaissance des grandes lignes de son témoignage et j'ai l'impression qu'il adopte une vision extrêmement stricte de l'exclusion de la compétence du Parlement fédéral en vertu de l'alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce dernier, pour ce qui est du mode de sélection des sénateurs, a à mon avis une portée beaucoup plus large que le simple pouvoir du Gouverneur général de mander une personne au Sénat, ce qui est prévu à l'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je pense que le renvoi de 1980 clarifie le texte, qui est déjà clair. Il rend évident le fait qu'on a voulu soustraire de la compétence du Parlement fédéral beaucoup plus qu'une simple modification technique à l'article 24. À mon avis, le contexte nous montre bien que les intentions des constituants dépassaient cela, qu'on voulait soustraire davantage de choses de la compétence du Parlement fédéral.
(1615)
    Merci.
    Monsieur Paquette.
    Merci beaucoup.
     M. Hogg n'était pas le seul à être de cet avis. M. Fabien Gélinas défendait à peu près la même thèse en disant en gros que sur le plan juridique, le gouvernement avait trouvé le moyen de faire indirectement ce qu'il ne pouvait pas faire directement. Il reste que selon ces deux personnes, la constitutionnalité du projet de loi C-20 est inattaquable sur le plan juridique parce qu'il n'oblige pas de nommer les sénateurs choisis dans le cadre de la consultation. Il s'agit tout simplement d'une modification qui vise des questions faisant partie du champ de compétence du Parlement.
    Je ne suis pas un spécialiste des questions constitutionnelles, et mes connaissances sont assez limitées, dans le cas présent. Jacques Gourde a même avoué, lors de la dernière réunion, qu'il n'en était pas un non plus.
    J'aimerais que vous nous expliquiez exactement ce qui, dans le cadre d'une réforme du Sénat, relèverait de la compétence de la Chambre des communes, d'une part, et de modifications constitutionnelles, d'autre part. C'est beaucoup là-dessus qu'insistaient MM. Hogg et Gélinas. J'avoue ne pas avoir vraiment compris.
    Je répondrais d'abord que l'avis de 1980 éclaircit un peu cette question. Parmi les questions posées à la Cour suprême, auxquelles elle n'a pas répondu faute de preuve, se trouvait notamment celle à savoir si le Parlement fédéral pouvait unilatéralement changer le nom du Sénat. À mon avis — et c'est une hypothèse que je soumets —, un changement à la dénomination du Sénat pourrait entrer dans la compétence unilatérale du Parlement fédéral, qui pourrait transformer son nom pour en faire, par exemple, la Chambre des provinces ou des régions ou la Chambre de la fédération. Il s'agirait simplement d'un changement de dénomination, d'une part.
    Par ailleurs, il existe dans les qualifications des sénateurs certains critères qui, à mon sens, pourraient être altérés unilatéralement par le Parlement fédéral. On lit à l'alinéa 42(1)c) que parmi ce qui est soustrait à la compétence du Parlement fédéral, il y a, et je cite:
c) le nombre des sénateurs par lesquels une province est habilitée à être représentée et les conditions de résidence qu'ils doivent remplir;
     Donc, les conditions, en ce qui concerne leurs avoirs ou la propriété, à mon sens, pourraient être modifiées unilatéralement par le Parlement fédéral, dans la mesure où cela n'affecterait pas les pouvoirs du Sénat. Il y a un espace quand même pour des changements mineurs ou de régie interne qui pourraient être faits.
    On pourrait parler de la nomination d'un Président du Sénat, de l'orateur. C'est une mauvaise traduction, ce serait plutôt le Président du Sénat. Il a fallu, à l'époque, modifier la Loi constitutionnelle pour le faire. C'est le type de changements assez mineurs qui pourraient être faits.
(1620)
    Je veux permettre aux autres de rajouter à ce que dit M. Côté. Je voudrais savoir si des lois ont déjà été adoptées par la Chambre des communes qui modifiaient le Sénat.
    D'abord, je voudrais dire que je suis tout à fait d'accord avec le professeur Côté.

[Traduction]

    La seule loi à laquelle je peux songer a limité le mandat des sénateurs, qui auparavant étaient nommés à vie, pour qu'il prenne fin à l'âge de 75 ans, mais c'était avec le consentement du Sénat également.
    J'aimerais ajouter un autre élément à la discussion.
    L'idée selon laquelle on peut prendre une convention, comme l'ont fait le professeur Hogg et le professeur Monahan, et essayer de dire que cela se produira avec le temps ne tient pas compte de l'événement très important qui s'est produit lorsque Pierre Trudeau a essayé de rapatrier la Constitution sans le consentement des provinces. Je suis sûr que vous vous en rappelez.
    En fait, la cour lui a dit, « Oui, vous pouvez le faire en toute légalité » — c'est un aspect dont on ne se rend pas compte, qu'il est possible de le faire en toute légalité — « mais il existe des conventions qui vous empêchent de le faire, et vous devrez obtenir le véritable consentement des provinces pour le faire ». La cour lui a dit essentiellement qu'il est impossible de faire directement ce que l'on peut faire directement, tandis que dans ce cas-ci le gouvernement essaie de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement.
    À mon avis, il y a en fait une convention qui se dégage du renvoi relatif au rapatriement et qui les empêche d'adopter cette loi au premier chef. Cette convention intervient immédiatement, ce qui empêche le gouvernement fédéral d'agir ainsi sans recourir au processus d'amendement approprié et, comme je l'ai dit, sans consulter comme il se doit les provinces, y compris le Québec.
    Monsieur Whyte, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de dire que ce projet de loi est anticonstitutionnel parce qu'il enfreint la convention. Ce qui m'intéresse, c'est de dire qu'il enfreint la Constitution parce qu'il est illégal.
    Les avocats qui disent qu'il s'agit simplement d'une façon de la part du gouvernement du Canada — et de la Chambre des communes et du Sénat, s'il est adopté — de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement, sauf votre respect, ne me semblent pas avoir lu le renvoi relatif à la sécession, l'arrêt Sparrow, l'arrêt Oakes et l'arrêt de la Nation haïda. Est-ce qu'ils lisent les arrêts de la Cour suprême du Canada?
    La Cour suprême du Canada ne se penche pas sur ce que les gens peuvent faire indirectement lorsqu'ils ne peuvent pas agir directement. Depuis 20 ans, la Cour suprême du Canada essaie de préserver l'intégrité constitutionnelle de ce pays en défendant les structures qui ont été inscrites dans la Constitution et en s'assurant qu'on les respecte, et non qu'on les mine et qu'on les contourne. Nous ne vivons pas à une époque, sur les plans de la jurisprudence, où nous analysons des points de détail; nous tâchons de préserver un arrangement constitutionnel et nous tâchons d'obtenir le consentement prévu par la Constitution pour la restructuration.
    C'est ce qui s'est produit à l'origine dans le renvoi de 1980 relatif au Sénat. À l'époque, la Cour suprême du Canada a déclaré que lorsque l'on change une institution aussi fondamentale du gouvernement national, il faut tenir compte des intérêts reconnus par la Constitution qui risquent d'être touchés par cette mesure et obtenir leur participation.
    Ce sont les règles de droit.

[Français]

    Monsieur le président, j'aurais une question à poser. En tant que comité législatif, on aura à faire des recommandations à la Chambre des communes. Notre recommandation devrait-elle porter sur le fait qu'on devrait soumettre immédiatement le projet de loi à la Cour suprême afin de voir s'il est constitutionnel ou non, ou devrait-on carrément suggérer de retirer le projet de loi et de passer à autre chose?
(1625)

[Traduction]

    Je recommanderais que l'on fasse les deux: que l'on retire ce projet de loi, mais aussi...

[Français]

     M. Parizeau disait que tout est bon dans le poulet.
    Oui, c'est ça.

[Traduction]

    Obtenir leur avis.

[Français]

    Monsieur Côté, est-ce que vous pourriez donner votre avis?
    Il y a un jugement politique qui dépasse mon expertise quant à la décision à prendre dans ce cas. Je dirais que le message n'est pas nécessairement le même. Si on demande un renvoi à la Cour suprême, le message est peut-être que ce pourrait être une bonne idée de réformer le Sénat. Alors, on va un peu tracer les paramètres d'une réforme à venir. Il y a peut-être un geste d'ouverture sur l'idée de discuter, ce qui pourrait être l'effet utile de ce projet de loi, soit de remettre sur la table l'idée qu'on peut peut-être parler de Constitution dans ce pays. Simplement laisser mourir le projet ferait en sorte d'arrêter tout. À mon avis, cela dépend du message qu'on veut lancer.
    Monsieur Whyte, est-ce que vous voulez compléter la réponse?

[Traduction]

    En vertu de l'article 55 de la Loi sur la Cour suprême, la prérogative de renvoi à la Cour suprême appartient uniquement au gouverneur en conseil. Cela ne signifie pas, bien entendu, que la Chambre ne pourrait pas adopter de résolution recommandant que le Cabinet procède à ce renvoi, mais évidemment il ne serait pas exécutoire, et il serait impossible de procéder directement au renvoi.
    Devriez-vous faire cette recommandation au Cabinet actuel? Je n'en vois pas l'utilité. Le Cabinet actuel sait que cette option existe et préfère soit agir selon la règle de droit, élaborée par la Cour suprême du Canada, soit échouer et peut-être rejeter le blâme sur quelqu'un d'autre ou exercer des pressions.
    Je pense que le comité n'a pas l'intention d'orienter l'exercice de cette prérogative du Cabinet du gouvernement du Canada.
    Merci.
    Monsieur Moore, vous avez sept minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente, et je tiens à remercier tous les témoins qui sont présents ici aujourd'hui.
    De toute évidence, nous avons deux opinions divergentes ou plus à propos du caractère constitutionnel de ce texte de loi. Mon collègue M. Murphy avait raison. C'était une très bonne question à propos de certains des commentaires faits par le professeur Hogg, et j'en ai d'autres.
    Lorsqu'il a parlé du projet de loi, le professeur Hogg a dit:
La portée du projet de loi C-20 est limitée au dénombrement des votes et à l'annonce des résultats au premier ministre. Le projet de loi ne va pas jusqu'à rendre effective l'élection des candidats ni ne précise qu'ils seront effectivement nommés. Ce projet de loi ne pose aucune responsabilité au premier ministre (ni au gouverneur général). De toute évidence, le projet de loi implique que le premier ministre aurait une obligation politique de respecter les résultats de la consultation qu'il a commandée, auquel cas il devrait conseiller au gouverneur général de nommer les candidats choisis aux postes vacants du Sénat. Il ne s'agit cependant pas d'une obligation légale.
    Le professeur Hogg a été très clair. De toute évidence, nous avons tous probablement une idée de ce à quoi ressemblerait la situation idéale. Nous connaissons les vues du NPD à propos du Sénat, de même que celles des libéraux, du Bloc et de notre parti, mais de toute évidence, il existe des contraintes constitutionnelles. Le professeur Hogg a indiqué très clairement qu'il n'existait pas d'obligation juridique.
    Pour revenir à l'argument que vous avez présenté, professeur Mendes, je crois que le professeur Hogg a effectivement envisagé une situation où le premier ministre à un certain moment, une fois que ce processus serait en place depuis un certain temps, pourrait envisager de ne pas nommer l'une des personnes qui aurait été choisie. En fait, il dit:
C'est probablement ce que le premier ministre fera, et je ne vois rien qui soit contraire à l'éthique ou frauduleux là-dedans. Le premier ministre verra ces consultations du même oeil que les citoyens. Mais à dire vrai, il n'est pas tenu de respecter les résultats.
    Cette réponse avait été donnée à une question à propos de nominations futures. Est-ce que nous sommes en train de dire que le professeur Hogg s'est tout simplement trompé? Je sais qu'il s'agit d'un éminent juriste. Il a indiqué très clairement qu'à l'heure actuelle, la Chambre était tout à fait en droit d'adopter ce projet de loi et de le mettre en oeuvre, puis de faire des nominations futures découlant de cette consultation. En fait, l'adoption de ce projet de loi ne porterait aucunement atteinte à la Constitution.
(1630)
    Je tiens tout d'abord à dire que non seulement le professeur Hogg a tort, mais qu'il ne fait pas encore partie de la Cour suprême du Canada.
    En tant que législateurs, vous devez tenir compte des risques que comporte l'adoption de ce projet de loi, entre autres de la possibilité que ce projet de loi soit invalidé par la Cour suprême du Canada, sans compter les conséquences que cela pourrait avoir sur la légitimité ou la légalité des sénateurs en poste et la légitimité ou la légalité de la loi adoptée. Il s'agit donc d'un risque grave dont vous êtes fondamentalement obligé de tenir compte en tant que législateurs; vous ne devez donc pas vous fier à l'opinion d'un seul professeur de droit, aussi éminent soit-il, ni vous fier à nos opinions, aussi éminents que nous pensions être.
    L'une des choses fondamentales que vous devez faire en tant que législateurs c'est de tenir compte des risques possibles auxquels fera face le pays suite aux décisions que vous prendrez, et pour cette raison, il serait extrêmement négligent, à mon avis, de ne pas tenir compte des risques potentiels qui découlent d'une telle loi en raison de l'impasse qu'elle risque de créer et des contestations constitutionnelles auxquelles elle risque de donner lieu, sans compter le fait que ce projet de loi risque d'être anticonstitutionnel dès le départ, comme mes collègues viennent de le dire.
    Je vous remercie, monsieur Mendes.
    J'ai d'autres questions à poser si personne ne tient absolument à répondre.
    Monsieur Whyte.
    Comme vous le savez, un avocat est une personne qui peut songer à une idée ou à une notion sans parvenir à tenir compte de l'aspect qui s'y rattache de façon inextricable. C'est ce dont nous sommes témoins ici. Cette loi prévoit un processus de sélection des sénateurs, et nous parvenons à envisager que le Cabinet procède à la sélection d'un sénateur en omettant complètement de tenir compte du processus selon lequel on lui soumet sa candidature. C'est ridicule.
    Cependant, est-ce que c'est illégal? Oui. Le processus prévu par le projet de loi C-20, s'il est suivi à la lettre, restreindra les dispositions particulières de la Constitution concernant l'âge, concernant les besoins, concernant la représentation. Deuxièmement, le pouvoir constitutionnel précis attribué au Cabinet pour ce qui est de la nomination d'un Sénat selon son pouvoir discrétionnaire se trouve limité de manière anticonstitutionnelle par les limites qu'il a acceptées en adoptant et appliquant le projet de loi C-20.
    On pourrait soutenir qu'il ne connaît pas de limite en vertu du projet de loi C-20. Cela rendra sa décision indépendante de son adoption et de son application et du résultat du projet de loi C-20. Mais personne ne croit que c'est vrai. Ce que nous sommes en train de faire, c'est de modifier la façon dont le Sénat du Canada sera formé à l'avenir.
    Comme le professeur Côté l'a répété à maintes reprises, aussi clairement que possible, lorsque l'on modifie la façon dont le Sénat du Canada est formé, cela relève de l'alinéa 42(1)b) et ce serait donc anticonstitutionnel.
    Vous ne pourrez pas dire d'un processus utilisé inévitablement dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire constitutionnel qu'il est inopérant dans le cadre de l'exercice de ce pouvoir. Je ne crois pas que la Cour suprême du Canada joue à ce genre de petit jeu. C'est la raison pour laquelle je considère que le professeur Hogg fait fausse route.
    Monsieur Moore, avez-vous d'autres questions?

[Français]

    Monsieur Côté, voulez-vous répondre?
    J'ajouterais simplement que je relisais récemment un article du professeur Hogg où il relatait qu'à l'époque précédant le renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, plusieurs constitutionnalistes avaient témoigné devant un comité parlementaire pour affirmer que le Parlement fédéral pouvait procéder unilatéralement, qu'il n'y avait aucun doute et que, finalement, la Cour suprême du Canada leur a donné tort. Voilà.
(1635)

[Traduction]

    Avez-vous une brève question?
    Oui, sur la question de l'impasse.
    Professeur Mendes, une personne que vous avez certainement appuyée par le passé, Scott Brison, qui s'exprimait sur cette question d'impasse, a déclaré:
Certains disent que cela peut causer un risque d'impasse. La rivalité entre les deux chambres n'est pas une mauvaise chose. En fait, elle peut empêcher les politiciens d'agir bêtement sans la moindre opposition.
    Je pense qu'il est tout à fait clair que ce problème d'impasse en soi ne soulève pas de question constitutionnelle. Mais ce qui est considéré comme une impasse par certains peut être vu par d'autres comme une façon de vérifier les décisions que nous prenons à la Chambre. Ce que nous pourrions affirmer, c'est que toute possibilité d'impasse ou tout pouvoir de la part du Sénat, en tant que lieu de second examen objectif, de dire « Nous ne sommes pas d'accord avec ce que la Chambre propose » est simplement une façon d'améliorer le processus démocratique.
    Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet, sur le fait que je n'ai entendu personne présenter cet argument? J'aimerais que l'on confirme, si mon interprétation de ce que vous dites est effectivement fondée, que le risque d'impasse, pour ainsi dire, ne soulève pas forcément de question constitutionnelle en soi.
    Monsieur Moore, je suppose que votre circonscription est en Colombie-Britannique.
    Il s'agit de James Moore. La mienne est au Nouveau-Brunswick.
    Au Nouveau-Brunswick. Seriez-vous satisfait d'un Sénat élu qui ne reflète pas l'égalité des régions du Canada, si une partie de ce Sénat élu s'opposait en fait au consensus de l'ensemble du Canada à la Chambre des communes? Seriez-vous satisfait d'une situation où la prépondérance des sénateurs provenant de certaines régions du Canada, à cause de l'inégalité que cela créerait, pourrait essentiellement paralyser un projet de loi?
    Je conviens que ce n'est pas encore une question de validité constitutionnelle. Mais pour le bon fonctionnement de l'institution la plus démocratique de ce pays, il est absolument essentiel d'étudier cette question.
    Monsieur Whyte, vous avez l'air très pensif. Voudriez-vous répondre à la question?
    Oui, l'impasse portera atteinte à un principe constitutionnel, sans que cela soit forcément grave. Ce n'est pas nécessairement inquiétant.
    Il s'agit du principe constitutionnel selon lequel le gouvernement est responsable envers le corps législatif. Il s'agit d'un principe fondamental de la démocratie parlementaire. Et lorsqu'un gouvernement n'est pas en mesure de s'acquitter de son programme législatif parce qu'il ne peut pas commander et contrôler la chambre législative, il doit démissionner. C'est un principe dans lequel nous croyons depuis des siècles. Il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi, mais c'est la situation telle qu'elle existe.
    Lorsque les deux chambres législatives se retrouvent dans une impasse, les gouvernements sont incapables de contrôler le programme législatif, et nous devons alors revoir les principes d'un gouvernement responsable. Je ne crois pas que cela soit catastrophique. Nous serions certainement en mesure d'établir des principes de gouvernement responsable qui permettraient de composer avec le risque d'impasse.
    Donc, en réponse à votre question, il ne fait aucun doute que cela aurait une incidence sur le principe constitutionnel. Cette incidence serait-elle catastrophique? Je ne le crois pas.

[Français]

    Monsieur Côté.
    Je n'ai rien à ajouter.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons passer au tour suivant.
    Monsieur Maloney.
    Le projet de loi C-20 a fait l'objet d'importantes critiques aujourd'hui. À votre avis, serait-il possible de modifier le projet de loi pour le rendre constitutionnel et crédible, ou sommes-nous simplement obligés d'accepter la suggestion voulant que l'on élimine le projet de loi?
    Je répondrai simplement qu'il faudrait éliminer le projet de loi. Il est complètement anticonstitutionnel.
    Professeur Whyte.
    Je ne veux pas qu'on m'accuse d'irréalisme. Je pense que le Canada devrait engager des discussions constitutionnelles à propos du Parlement national. Il est temps qu'il le fasse — il aurait dû le faire il y a longtemps. Je sais qu'il existe des intérêts extrêmement passionnés qui retarderont ces discussions, mais il serait à notre avantage de les tenir.
(1640)
    Nous partons du principe qu'un jour nous aurons un Sénat élu qui représentera les intérêts régionaux. Or, comment pouvons-nous aussi défendre les intérêts des minorités, des personnes défavorisées et des femmes au sein d'un Sénat élu? Est-il possible de protéger ou de préserver ces valeurs?
    Nous pouvons absolument le faire si nous tenons des discussions pour déterminer le rôle que nous voulons que joue la Chambre haute. Lorsque vous avez des assemblées législatives bicamérales, c'est d'abord pour obtenir un second examen objectif. Parfois, l'assemblée est structurée de façon à ce que vous obteniez un second examen objectif, une réflexion un peu moins partisane. Enfin, cette chambre a habituellement des objectifs de représentation différents de ceux d'une représentation directe en fonction de la population, y compris la représentation des groupes vulnérables ou des minorités. Bien entendu, tout cela pourrait être structuré en conséquence.
    En passant, le mode de scrutin à vote unique transférable prévu par le projet de loi C-20 pourrait également favoriser la diversité de la représentation. Il est difficile de déterminer précisément comment, mais cela serait possible. On considère généralement que la représentation proportionnelle favorise jusqu'à un certain point une plus vaste représentation. Cette disposition du projet de loi C-20 pourrait présenter un avantage.
    Votre question m'amène en fait à vous révéler ce que je considère être la façon appropriée de procéder.
    Tout d'abord, je conviens avec mon collègue John Whyte qu'il faudrait tenir des consultations en bonne et due forme avec l'ensemble des provinces. À ma connaissance, cela n'a pas été fait, bien que le gouvernement fédéral, comme je l'ai dit, ait reconnu que les Québécois forment une nation, tout en faisant la sourde oreille à la demande du gouvernement du Québec d'entamer des consultations. Le Québec, par exemple, prend ce projet de loi tellement au sérieux qu'il risque même d'en saisir les tribunaux, comme le feront certaines d'autres provinces.
    Il faut commencer par tenir des consultations appropriées avec les différents partenaires de la Confédération. Je pense que la loi que nous avons adoptée à la suite du référendum nous y oblige de toute façon, alors que nous avons promis de consulter toutes les régions du Canada.
    Ensuite, je pense que nous devons sortir des sentiers battus. Mme Guarnieri se rappellera que l'un des aspects qui nous plaisait à propos de l'accord de Charlottetown, c'était la possibilité d'avoir des élections indirectes au Sénat par l'intermédiaire des assemblées législatives provinciales, avec le consentement de la Chambre des communes et du Sénat.
    Il y avait un consensus à cet égard. Ceux qui considèrent qu'il sera impossible d'effectuer une véritable réforme ne tiennent pas compte du fait que dans le cadre de l'accord de Charlottetown, une forme indirecte d'élection au Sénat avait fait l'objet d'un consensus national. Cela montre qu'une telle chose est possible.

[Français]

    Je répondrai simplement à votre première question en disant que je crois qu'il est impossible de sauver la validité constitutionnelle du projet de loi C-20. Je crois qu'il est fondamentalement invalide constitutionnellement.

[Traduction]

    J'ai une question à vous poser.
    Nous examinons le projet de loi C-20. Or, il est également question, dans le projet de loi C-19, de la limite du mandat des sénateurs . Est-ce que l'on peut examiner les deux projets de loi séparément, ou doit-on les examiner ensemble?
    Lorsque j'ai comparu devant le comité sénatorial chargé d'étudier ce qui était à l'époque le projet de loi S-4, j'ai dit qu'il fallait les examiner ensemble, parce qu'ils font partie de l'intention du gouvernement actuel de modifier la Constitution de manière furtive — pour employer un terme que je me suis abstenu d'utiliser avant.
    On ne peut pas modifier la Constitution de manière furtive. Ensemble, les deux projets de loi représentent une tentative de faire cela.
    Il est tout à fait logique, bien entendu, de réformer le Sénat tout d'un coup, de ne pas élire les sénateurs à vie ou pour un mandat de 15 ou huit ans — on ne connaît pas vraiment la durée. Toutefois, il n'est pas logique de limiter la durée du mandat à 15 ou huit ans sans savoir quelle sera la méthode de sélection des sénateurs. On ne peut pas concevoir une assemblée nationale de cette façon — lancer une réforme comme ça pour voir ce qui en résultera. On peut le faire quand on pratique un sport, mais pas quand on bâtit une nation. Bien sûr que les deux projets doivent être examinés ensemble.
    Le professeur Hogg et moi ne partageons pas les mêmes vues au sujet du projet de loi S-4, et maintenant, du projet de loi C-19. Il estime qu'il n'y a pas de problème constitutionnel, que cela relève parfaitement de l'article 44, c'est-à-dire du pouvoir de modification unilatéral du gouvernement fédéral. Je suis de l'avis contraire.
    Selon moi, la question de la validité constitutionnelle est plus ténue — et j'ai présenté mon analyse au Sénat --, plus complexe.
    Permettez-moi de dire brièvement qu'à mon avis, la structure, la composition, le mandat et les compétences du Sénat font partie de l'arrangement fédéral, de l'accommodement fédéral. Le Sénat fait partie de l'arrangement historique fédéral, et on ne peut pas simplement dresser une longue liste de modifications qui ne relèvent pas des alinéas 42(1)b) et c) de la Constitution, et dire que tout peut être modifié unilatéralement par le gouvernement fédéral. Ce n'est pas comme cela que la Confédération fonctionne.
(1645)
    Merci, monsieur Whyte.
    Votre temps est écoulé, monsieur Maloney.
    Nous allons passer maintenant à M. Reid.
    Merci, madame la présidente. Je tiens également à remercier nos témoins de leur présence.
    Après avoir écouté les observations de nos trois témoins — et pour être juste, je dois dire que je pense surtout au professeur Mendes —, je conclus qu'on nous a présenté un mélange de considérations politiques légitimes, avec lesquelles j'avoue ne pas être d'accord, et d'absurdités constitutionnelles que l'on fait passer pour de l'érudition.
    Vous n'avez pas fourni de texte écrit, professeur Mendes, ou bien, s'il y en avait un, il n'était pas traduit et donc n'a pas été distribué. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas de texte sous les yeux. Mais certaines de vos réponses reprennent presque mot à mot les réponses que vous avez données lors de votre comparution devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, où vous avez parlé d'un scénario cauchemardesque complètement ridicule. Ce n'est pas digne de vous.
    Vous avez posé trois questions rhétoriques. Vous avez dit:
Qu'arriverait-il la première fois qu'un premier ministre refuse de recommander la nomination d'une personne dûment élue en vertu de ce soi-disant cadre consultatif électoral, si tous les autres candidats ont été nommés?
    Ensuite:
Que dirait la Cour suprême d'un tel refus si jamais on lui demandait de se prononcer sur la validité constitutionnelle du processus?
    Et enfin:
Qu'arriverait-il si la cour déclarait tout le processus anticonstitutionnel, et que ceux qui avaient été nommés ne savaient pas s'ils pouvaient continuer ou non à siéger?
    Vous avez ajouté, et vous l'avez répété aujourd'hui, que la loi serait écartée, qu'il n'y aurait pas de crise constitutionnelle à proprement parler, mais qu'il y aurait une crise, car la primauté du droit n'existerait plus.
    Tout ce que vous avez dit est parfaitement ridicule. Permettez-moi d'examiner les trois questions rhétoriques que vous avez posées sans y répondre.
    Que va-t-il se passer la première fois qu'un premier ministre ne nomme pas un sénateur?
    Vous savez, nos témoins ne sont pas venus ici pour se faire malmener.
    Est-ce que cela fait partie de mon temps de parole?
    Monsieur Reid, soyez plus courtois, s'il vous plaît. Laissons de côté les insultes. Vous pouvez dire ce que vous voulez. Personne ne vous censure. Faites preuve d'un peu de courtoisie, s'il vous plaît.
    Je vous remercie.
    Je veux juste fournir les réponses que je considère appropriées, monsieur Mendes. Vous pourrez ensuite me dire si, selon vous, j'ai tort ou raison.
    Puis-je vous interrompre?
    Il peut continuer de me malmener, car cela démontre que ses arguments ne tiennent pas.
    Alors continuez, s'il vous plaît, de me malmener, monsieur Reid.
    D'accord; allons-y.
    D'abord, le fait que le premier ministre ne nomme personne une fois le processus entamé constitue une question politique. Pourtant, c'est ce qui est arrivé après la nomination du premier sénateur élu. Jean Chrétien a nommé des sénateurs et fait abstraction des élections sénatoriales qui avaient eu lieu en Alberta.
    Dans le même ordre d'idées, suite au référendum de 1898 sur la prohibition, Sir Wilfrid Laurier a choisi de ne pas respecter les résultats de celui-ci, même s'ils étaient positifs, et il a réussi à le faire. Alors ce genre de chose pourrait se produire, ce qui répond à la première question.
    Dans votre deuxième question, vous avez demandé ce que dirait la Cour suprême. Eh bien, elle ne nous renverrait pas, comme vous l'avez fait, à l'arrêt de 1981 dans lequel elle a confirmé l'existence d'une obligation conventionnelle, parce qu'il n'y avait pas de formule de modification à cette époque, tandis que maintenant, il y en a une. Donc, l'obligation conventionnelle citée à l'époque et visant toute modification de la Constitution, à savoir si l'on a choisi la bonne formule, ne s'appliquerait pas dans ce cas-ci. Il n'y a pas de doute là-dessus. L'arrêt de 1981 précède la ligne de démarcation très nette qui a été tracée légalement par suite de l'adoption de la Constitution et de la formule de modification.
    Troisièmement, imaginez le chaos qui s'ensuivrait si la Cour invalidait cette loi. On assisterait probablement au même genre de chaos qui a suivi le renvoi de 1985 relatif au Manitoba dans lequel toutes les lois de la province ont été invalidées. Les tribunaux ont dit, « Vous devez remettre en vigueur toutes les lois. » Ils ont tout fait pour s'assurer qu'il n'y ait pas de chaos.
    À mon sens, invalider la loi — ce qui serait presque invraisemblable, mais si cela devait arriver — signifierait qu'il faudrait trouver un nouveau processus, non pas que les lois adoptées par le Sénat, et par des titulaires élus ou nommés en vertu de cette mesure législative, sont maintenant nulles et sans effet.
    Ces réponses me semblent être raisonnablement évidentes.
    Enfin, j'ai constaté que vous n'avez pas cité la décision rendue en 1919 par le comité judiciaire du Conseil privé, décision qui annulait la loi référendaire adoptée par l'assemblée législative du Manitoba au motif qu'elle empiétait trop sur la prérogative de la Couronne, qui est la question fondamentale ici. Dans sa décision, le comité judiciaire du Conseil privé a indiqué qu'il est possible, si l'on respecte les prérogatives de la Couronne, d'avoir recours à d'autres méthodes, plus démocratiques, pour élaborer des lois. Ce précédent semble être très pertinent.
    Merci.
(1650)
    Merci, monsieur Reid.
    Je vais permettre à M. Mendes de répondre.
    Comme je l'ai déjà mentionné, je n'ai pas l'intention de m'abaisser au niveau de M. Reid. Je pense qu'il a su faire montre de sa maturité en tant que législateur au cours de ce débat.
    Je vais... J'ai posé les mêmes questions au cours de l'audience. J'ai posé les trois mêmes questions, et je suis heureux que vous ayez soulevé ce point. Encore une fois, monsieur Reid, votre devoir en tant que législateur est de tenir compte des risques lorsque vous proposez des mesures législatives. Vous n'êtes pas la Cour suprême du Canada — moi non plus —, mais vous devez tenir compte des risques quand vous adoptez des lois.
    Et oui, il y aura des conséquences, si des élections consultatives ont lieu et que des sénateurs sont nommés. Les conséquences seront draconiennes si la Cour suprême du Canada déclare la loi inconstitutionnelle.
    Peut-être avez-vous pris à coeur le fait que la décision concernant le renvoi relatif au rapatriement a été rendue avant l'adoption de la formule de modification. Très bien. La décision concernant le renvoi relatif à la Chambre haute a elle aussi été rendue avant. Est-ce que vous faites également fi de celle-là?
    Même si nous acceptons votre position, comme l'a mentionné mon collègue John Whyte, les dispositions de la formule de modification indiquent clairement que ce que vous faites est inconstitutionnel.
    Je ne compte pas m'abaisser à votre niveau, car ce que cela démontre essentiellement, c'est que vous avez décidé de ne pas aborder le sujet, mais plutôt de vous abaisser à un niveau où je n'irai pas.
    Je vous prie d'adresser vos commentaires à la présidence. Essayons de maintenir le décorum comme nous l'avons fait jusqu'à maintenant.
    Madame Picard, vous avez la parole.

[Français]

    M. Whyte a un commentaire à faire.

[Traduction]

    Oh, excusez-moi. Monsieur Whyte, voulez-vous dire quelques mots?
    Je ne veux pas couper l'herbe sous le pied de qui que ce soit, madame la présidente. Toutefois, je voudrais revenir aux deux affaires auxquelles a fait allusion M. Reid qui, en l'occurrence, sont fort pertinentes. D'une part, il y a le renvoi relativement au Sénat sur lequel, d'après lui, la Constitution de 1982 a préséance. Il y a lieu de se demander si c'est vraiment le cas. Je ne pense pas, mais je comprends tout de même son raisonnement.
    Dans mon esprit, le renvoi sur la sécession, qui s'inscrivait également dans le cadre de la nouvelle formule de modification, mais dont le poids normatif, en dernière analyse, remontait bien plus loin dans l'histoire de la compréhension de la Confédération, donne à penser que la cour va se fonder sur les interprétations antérieures à 1982 de la Confédération pour interpréter la Constitution de 1982. Je ne crois pas qu'elles soient devenues caduques sur le coup, mais vous avez raison. Il s'agissait d'une ère différente.
    La loi sur le référendum d'initiative populaire est très intéressante, et il a raison. La loi précise que lorsqu'un référendum d'initiative populaire mène automatiquement à la mise en oeuvre d'une nouvelle loi, que c'est anticonstitutionnel. Si le processus n'était que consultatif, ce ne serait pas anticonstitutionnel.
    C'est ce qui, en passant, justifie la décision du professeur Hogg: ce n'est qu'une décision consultative auprès de l'électorat — plutôt qu'une décision appliquée d'office. D'où la disposition dont a parlé M. Moore: on tient des élections; elles tombent à l'eau.
    Je ne pense pas que c'est de cette façon que le pouvoir constitutionnel prévu dans l'article 32 de la Loi de 1867 va être interprété: autrement dit, que cela échappe tout à fait au processus selon lequel le conseil des ministres a pris sa décision.
    Je conviens que la loi sur le référendum d'initiative populaire représente une démarcation claire, et que si elle était appliquée dans ce cas-ci, elle viendrait appuyer le point de vue du professeur Hogg. Toutefois, je ne pense pas qu'elle le sera, en l'occurence.
(1655)
    Merci, professeur Whyte.
    Madame Picard, vous avez la parole.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Je tiens à vous dire que je suis extrêmement désolée qu'on vous ait manqué de respect. Cette opinion n'est pas celle de tous les membres de ce comité. Veuillez accepter nos excuses.
    C'est compliqué de parler de droit constitutionnel quand on n'est pas avocate en droit constitutionnel. J'ai tout de même noté certaines choses que vous avez mentionnées. Vous avez dit, notamment, que pour que ce projet de loi soit approuvé, il faudrait absolument le consentement du Québec. Vous avez dit qu'il serait très difficile de modifier la Constitution sans le consentement du Québec. Je sais qu'il faut aussi l'assentiment des provinces pour modifier la Constitution, mais je voudrais savoir quelle partie pourrait faire en sorte que les amendements du Québec retardent beaucoup les choses.

[Traduction]

    Voulez-vous répondre en premier?
    Nous avons adopté une loi, après le référendum de 1995, qui précise que tout amendement constitutionnel futur devra obtenir le consentement des régions du Canada, et cela inclut le Québec. Mais vous pourriez contourner ce processus en tentant de réaliser votre objectif de façon indirecte. Par conséquent, vous pourriez dire que vous n'avez pas besoin du consentement du Québec. Voilà ce à quoi je veux en venir.
    Si nous voulons réformer de fond en comble les institutions du Canada, étant donné tout ce qui s'est passé dans le passé, nous devons absolument obtenir le consentement des grandes régions du Canada, y compris le Québec. Sinon, nous ne ferons qu'ignorer non seulement la loi adoptée après le référendum de 1995, mais également l'annonce récente proclamant que le Québec est une nation. Ce qu'on dit en fait, c'est que nous ne sommes pas obligés de consulter le Québec au sujet de l'une des institutions les plus fondamentales qui influe sur le Québec. Je crois que c'est un argument que le gouvernement du Québec pourrait invoquer pour demander d'être consulté. Si la réponse est non, le Québec serait en droit de renvoyer la question à une cour d'appel provinciale pour faire invalider la loi.
    Monsieur Côté.

[Français]

    J'ai peu de choses à ajouter. Effectivement, la lettre de la Constitution demande que sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, la Chambre des communes et le Sénat votent une résolution qui mettrait une telle réforme en vigueur. À cela, on a ajouté une couche après le référendum de 1995, avec cette loi sur les veto régionaux dans laquelle le Parlement fédéral s'est engagé à ne pas adopter de résolution avant d'obtenir l'accord des différentes régions. Au regard de cette loi, le Québec est une région, ce qui signifie que son consentement serait effectivement requis, même si, avant cette loi, le consentement spécifique du Québec n'était pas exigé en vertu du texte de la Constitution, à mon sens. Ce serait un acquis datant de la période postréférendaire et de l'adoption de cette loi sur les veto régionaux.

[Traduction]

    Monsieur Whyte.
(1700)
    La question est assez compliquée.
    D'après moi, le projet de loi établit un mode de sélection des sénateurs qui, une fois mis en oeuvre, ne permettra pas de respecter l'engagement constitutionnel énoncé à l'article 22 de la Loi de 1867, soit que les sénateurs doivent être domiciliés ou détenir des biens fonciers dans la région électorale concernée parmi les 24 régions électorales du Québec. Si cette disposition ne peut être respectée, le projet de loi C-20 se trouve alors à modifier un des éléments de la Constitution qui s'applique à une ou plusieurs provinces, mais pas à toutes, et à faire intervenir, par conséquent, le consentement bilatéral obligatoire. Il y a des arguments très convaincants à mon avis pour dire que le projet de loi C-20 ne serait pas valide à moins que le Québec n'y consente.
    Certes, on pourrait soutenir que le processus permettant de nommer les sénateurs devant représenter le Québec aux termes du projet de loi C-20 sera circonscrit, non pas tellement par l'élection, mais plutôt par l'exigence énoncée à l'article 22 qui oblige le sénateur à être domicilié ou à détenir des biens fonciers dans le district approprié. Mais, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, le Canada se trouvera dans une situation peu enviable du fait que ce sont les élections qui détermineront le choix des sénateurs pour la plupart des provinces, sauf pour le Québec, où les élections compteront pour rien ou presque.
    Le Québec pourrait, à mon avis, invoquer des arguments juridiques très solides pour s'opposer à cette modification, mais il pourrait aussi décider de ne pas s'y opposer. Dans le cas d'une réforme plus générale du Sénat, toutes les réformes auxquelles nous pouvons penser feraient disparaître cette disposition vraiment obsolète concernant les 24 divisions électorales. Elles feraient également intervenir l'article 43, qui exige que le Québec puisse opposer son droit de veto, indépendamment de la formule 7-50.
    Si nous voulons changer le Sénat, nous allons devoir traiter avec le Québec, et si nous traitons avec le Québec, la Loi constitutionnelle de 1982 va entrer en ligne de compte. Voilà le défi auquel nous faisons face.

[Français]

    Madame Picard, avez-vous une autre question à poser?
    Non, merci, madame la présidente.
    Monsieur Gourde, c'est votre tour.
    Pour faire la sélection des sénateurs, toute modification semble difficile mais sûrement pas impossible.
    Selon vous, quelle serait la voie à prendre pour nous permettre d'avoir un Sénat élu? Compte tenu que la Cour suprême, à mon avis, applique et interprète la loi mais ne la vote pas, elle doit prendre en considération les libellés des lois qui sont votées par la Chambre des communes.
    Quels sont les risques, pour le législateur, que la Cour suprême annule la loi pour que l'on ait un Sénat élu?

[Traduction]

    Comme je l'ai mentionné, si le projet de loi est adopté, que des élections consultatives ont lieu et que la loi est ensuite annulée, quel sera le statut des sénateurs qui auront été élus? C'est là le risque auquel vous vous exposez en adoptant le projet de loi.
    Personne d'entre nous ne sait de manière certaine ce qu'en dirait la Cour suprême du Canada. Mais supposons qu'elle annule la loi. Ce serait là une entrave sérieuse au fonctionnement de l'institution démocratique la plus importante du Canada. Pour cette raison, il est en fait essentiel d'en arriver à un consensus sur la constitutionnalité. Ne me croyez pas sur parole, si défavorable que soit l'opinion que vous avez de moi, mais tentez d'arriver à un consensus général sur la constitutionnalité de ce projet de loi avant que vous ne décidiez de l'adopter et de mettre ainsi gravement en péril le fonctionnement de l'une des chambres du Parlement.

[Français]

    Monsieur Côté.
    Le risque que la Cour suprême se prononce sur l'invalidité de cette loi, si elle était adoptée, est assez élevé. Pour ce qui est du chemin à prendre pour constituer un Sénat élu — puisqu'on peut tout à fait envisager de le faire —, la Constitution nous fournit les outils à cette fin. On n'a simplement pas choisi le bon outil. À mon avis, l'outil à utiliser pour constituer un Sénat élu est la procédure ordinaire de modification constitutionnelle, la formule 7/50.

[Traduction]

    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Je n'ai rien à ajouter, merci.
    Merci, monsieur Whyte.

[Français]

    Monsieur Gourde, avez-vous d'autres questions à poser?

[Traduction]

    Non.
    Voulez-vous intervenir, monsieur Preston?
    Vous avez quelque chose à dire, madame Fry?
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je trouve toujours très intéressant d'écouter toutes les opinions exprimées par les juristes, qui, bien souvent, ne semblent pas d'accord les uns avec les autres.
    Cela dit, nous avons entendu le témoignage de M. Hogg, qui était clairement axé sur la lettre de la loi. J'ai trouvé cela intéressant, car si l'on considère qu'il y a aussi l'esprit de la loi — et les tribunaux ont tendance à interpréter la loi en se fondant non pas seulement sur la lettre, mais aussi sur l'esprit de la loi —, le problème alors est que, si les provinces avaient un rôle à jouer, ou si elles n'en avaient pas, pour contourner la participation des provinces, il ne serait pas nécessaire de contester la Constitution. C'est donc ce que fait la mesure dont nous sommes saisis. Elle donne à entendre... Nous parlons de certains éléments liés à la politique, mais il faut que la politique intervienne dans cette discussion, parce qu'il s'agit de modifier une institution importante et son fonctionnement.
    Les considérations politiques donneraient à penser qu'il ne serait pas nécessaire d'écouter les électeurs. Les électeurs auraient en quelque sorte un rôle consultatif. Or, les provinces pourraient jouer un rôle très important dans les élections qui se tiendraient et, par conséquent, dénoncer le fait que le projet de loi n'est pas transparent, qu'il cherche à contourner la Constitution de manière furtive — certains penseront que c'est là une bonne chose, alors que d'autres ne seront pas du même avis, comme vous l'avez tous fait remarquer à juste titre. Les provinces pourraient donc contester la validité des élections, la validité du mode de sélection, et il y aurait alors tous ces arguments, toute cette controverse, qui déclencheraient un véritable tollé au Canada. Est-ce là ce que nous voulons vraiment?
    Toute mesure législative doit être transparente. Elle doit énoncer l'objet en ce qui concerne non pas seulement la lettre de la loi, mais aussi l'esprit de celle-ci.
    Étant donné que le 20 juillet 2006, le Conseil de la fédération a émis un communiqué, entériné par toutes les provinces et tous les territoires, dans lequel il affirmait le principe voulant que le Conseil de la fédération doive participer à toute discussion sur d'éventuelles modifications à des éléments importants d'institutions canadiennes clés comme le Sénat et la Cour suprême du Canada et, étant donné que ce principe n'aurait pas été respecté puisqu'il n'y aurait pas eu de consultation, nous pourrions nous retrouver aux prises avec les conséquences qui en découleraient. Les provinces se sentiraient lésées, tout comme le Conseil de la fédération. Il s'agit là d'une décision très récente.
    L'Association du Barreau canadien a fait une suggestion. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et, si vous jugez qu'il s'agit d'une bonne idée, quelles questions poseriez-vous? L'Association a proposé que le projet de loi C-20 soit renvoyé à la Cour suprême pour qu'elle statue sur sa constitutionnalité au regard de l'esprit et de la lettre de la Constitution. Si vous pensez que c'est ce qui devrait être fait, et si les gouvernements sont transparents, ils ne verront aucun inconvénient à procéder de la sorte parce qu'ils auront la confirmation qu'ils ont raison ou ils devront accepter qu'ils ont tort, quelles questions poseriez-vous à la Cour suprême?
(1705)
    En tant que membre de l'Association du Barreau canadien, je suis entièrement d'accord avec ce que propose l'Association. Je crois qu'on pourrait simplement poser la question que j'ai soulevée dans mes remarques préliminaires: peut-on faire indirectement ce que l'on ne peut pas faire directement en modifiant la Constitution?
    Ensuite, y a-t-il obligation de consulter les provinces étant donné que, en conformité avec les exigences de la formule de modification générale, comme l'a fait remarquer mon collègue John Whyte, il faudrait que cette consultation ait lieu pour que le processus de modification se déroule en bonne et due forme?
    Enfin, je serais ravi qu'on pose une question d'ordre général comme celle-ci: peut-on en fait mener de front diverses mesures visant à réformer des institutions d'une importance cruciale, comme le projet de loi à l'étude et celui sur le mandat des sénateurs, sans établir de liens entre elles? C'est là une autre question très importante qui mérite d'être discutée au grand jour.
    Ce sont là trois sujets que je recommanderais à la Cour suprême du Canada.

[Français]

    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    La principale question qui devrait être posée, si on devait décider de suivre la recommandation de l'Association du Barreau canadien, concerne spécifiquement la constitutionnalité des projets de loi C-19 et C-20. Dès lors qu'on poserait des questions trop abstraites, il y aurait un risque que la Cour suprême décide de ne pas se prononcer. C'est précisément ce qui est arrivé dans le cas du renvoi de 1980, où la Cour suprême a refusé de répondre à une série de questions jugées trop abstraites et pour lesquelles il semblait manquer de preuves factuelles. À mon avis, le renvoi devrait porter plus spécifiquement sur les projets de loi à l'étude.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Whyte.
    Madame la présidente, pour revenir aux inquiétudes de Mme Fry au sujet des objections des provinces, j'invoquerais la préoccupation générale que suscite le fait que l'élément central qui régit le fédéralisme canadien puisse être modifié unilatéralement.
    Quant aux préoccupations que soulève le projet de loi en tant que tel, il ne faut pas oublier que l'article 13 du projet de loi C-20 prévoit la tenue d'une consultation dans le cadre d'une élection provinciale générale. On peut imaginer ce qui arriverait si des élections générales étaient déclenchées dans une province et que l'attention était détournée en faveur de l'élection fédérale au Sénat, qui aurait plus d'importance et de visibilité qu'une simple élection provinciale. Cela ferait des mécontents. Les provinces se rebifferaient, non pas seulement pour des raisons théoriques, mais pour des considérations d'ordre tout à fait pratique.
    Pour ce qui est d'un éventuel renvoi à la Cour suprême du Canada, je pense qu'on pourrait lui poser la question suivante: le Parlement du Canada a-t-il compétence législative pour faire des lois qui établissent des mandats de durée limitée et non renouvelables pour les sénateurs et qui prévoient que la nomination des sénateurs se fasse à partir d'un processus électoral qui se déroulerait avant la nomination? Ces questions iraient au coeur des enjeux dont nous discutons aujourd'hui et vous auriez ainsi une réponse. Elles sont assez précises, je pense, et vont droit au but.
(1710)
    Merci, monsieur Whyte.
    Votre temps de parole est écoulé, madame Fry.
    Monsieur Reid, c'est de nouveau à votre tour.
    Merci, madame la présidente.
    Ma question s'adresse encore une fois à M. Mendes.
    La réponse que j'ai donnée à la troisième question hypothétique qu'il a posée au comité sénatorial visait essentiellement à faire remarquer ceci: ce n'est pas la prérogative du premier ministre, d'après les termes de la Constitution, qui est au coeur du débat ici, mais plutôt la prérogative royale, le premier ministre étant une construction juridique et la Couronne étant une construction constitutionnelle. C'est pour cette raison que j'ai invoqué le précédent du renvoi de 1919 relativement à la loi sur le référendum d'initiative populaire du Manitoba.
    Il n'a pas eu l'occasion dans sa réponse de dire ce qu'il en pensait, alors je lui serais reconnaissant de bien vouloir nous indiquer maintenant dans quelle mesure ce précédent serait applicable d'après lui.
    Monsieur Reid, si déterminé que vous soyez à ce que je réponde à ce à quoi vous voulez que je réponde, permettez-moi simplement de répéter ce que j'ai dit, à savoir que la tentative de contourner le processus de modification constitutionnelle énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1982 l'emporte sur tous les cas que vous invoquez. Il est clair que c'est sur cette disposition clé que le comité devrait se concentrer. Comme l'ont dit mes collègues, nous sommes entièrement d'accord pour dire que les cas que vous avez cités n'ont pas préséance par rapport aux articles 42 ou 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.
    Combien de temps me reste-t-il?
    Il vous reste cinq minutes. Vous avez beaucoup de temps.
    Merci. J'ai ma propre minuterie, mais j'avais oublié de la régler.
    Sauf le respect que je vous dois, monsieur Mendes, je pense que vous avez peut-être compris les arguments de travers. Je disais que le renvoi sur le rapatriement n'était plus pertinent parce que nous avons maintenant ces formules de modification et que les conventions constitutionnelles qui existaient à l'époque ont été remplacées par le texte noir sur blanc de la loi constitutionnelle que nous avons maintenant, si bien qu'une partie du renvoi ne s'applique plus... On pourrait néanmoins soutenir que le Parlement du Canada peut faire tout ce qu'il est autorisé à faire dans les limites de sa prérogative juridique, à moins qu'il s'agisse de quelque chose d'inconstitutionnel. Donc, je pense que vous avez compris les arguments de travers.
    Cela dit, je crois que la question qui se pose ici au sujet de la prérogative royale est l'une des questions qui serait soulevée dans les arguments devant la Cour suprême. Vous pensez peut-être qu'elle n'est pas très importante, mais j'aimerais savoir si, à votre avis, elle est ou non applicable, et pour quelles raisons.
    D'accord. Je veux être clair, le plus clair possible.
    Premièrement, vous avez tort de dire que les conventions ne sont plus des considérations valables. Vous vous trompez carrément là-dessus. La décision issue du renvoi sur le rapatriement se fondait sur les conventions et, parce que le préambule de la Constitution du Canada stipule que notre Constitution est semblable à celle du Royaume-Uni, les conventions continuent à jouer un rôle. Le Cabinet du premier ministre est d'ailleurs lui-même une convention qui n'est pas consacrée dans la Constitution, exception faite d'une toute petite mention à cet effet. Toute l'idée du gouvernement responsable se fonde sur les conventions.
    Ainsi, toutes ces conventions continuent de s'appliquer, y compris la prérogative royale et les restrictions conventionnelles qui limitent le pouvoir exécutif. Cependant, aucune de ces conventions n'a préséance sur le texte de la Constitution et, plus précisément, aucune d'elles ne peut l'emporter sur les processus de modification de la Constitution.
    Par conséquent, s'il y a conflit entre un pouvoir tiré d'une prérogative ou un pouvoir issu des conventions et le texte comme tel de la Constitution, notamment les processus de modification qui y sont énoncés, c'est ce texte qui a préséance.
(1715)
    La convention à laquelle je faisais allusion, monsieur Mendes, est celle voulant que les provinces soient consultées au sujet des modifications à la Constitution du Canada. Personne ne doute plus que cette convention a été remplacée par les formules de modification établies en 1982. Voilà ce à quoi je faisais allusion.
    En ce qui concerne les prérogatives de la Couronne, je pense que vous venez vous-même de confirmer la validité de mon argument, à savoir que la prérogative de la Couronne n'est pas touchée dans les faits par les modifications apportées en 1982. Aussi, les décisions précédentes portant sur les prérogatives de la Couronne sont des plus pertinentes. L'une des décisions les plus importantes sur le sujet, celle de 1919, l'est au plus haut point.
    Je vous demande donc encore une fois si vous croyez que cette décision-là est applicable dans le cas qui nous occupe.
    Je veux être très clair. Dans la mesure où une prérogative serait incompatible avec les processus de modification, notamment avec les articles 42 et 38, la prérogative royale est sans effet. Toute tentative indirecte de contourner les dispositions constitutionnelles énoncées aux articles 38 et 42 sera, à mon avis, réputée être inconstitutionnelle et conduira au bout du compte à une décision d'inconstitutionnalité de la part de la Cour suprême du Canada.
    Alors, vous pouvez invoquer la décision de 1919 tant que vous voulez. La situation actuelle, aux termes de la Constitution du Canada, est qu'il n'y a aucun pouvoir tiré d'une prérogative...
    Avez-vous lu l'arrêt, professeur Mendes? Avez-vous lu la décision?
    Voulez-vous vérifier mes connaissances? Voulez-vous me faire passer un examen?
    Eh bien, je suis curieux de savoir pourquoi vous semblez vouloir éviter de répondre à la question.
    Je viens tout juste de vous donner une réponse, monsieur Reid. Les procédures de la Constitution ont préséance sur cette affaire. Mais si vous le désirez, vous pouvez me faire passer un examen après la discussion.
    Cet échange a beau être intéressant, le temps est écoulé.
    Monsieur Murphy, c'est à vous que revient la dernière série de questions. Le timbre devrait sonner sous peu, mais vous avez cinq minutes.
    Merci.
    Il est encourageant de voir que M. Reid et M. Mendes peuvent au moins s'entendre sur ce dernier point, qu'il existe des conventions en vertu du cadre constitutionnel actuel.
    Les réponses à ma première question en deux volets ont surtout porté sur l'impasse. Nous avons discuté un peu des conventions. Mais je trouve cela curieux... Je possède une formation juridique; des fois, c'est un atout, des fois, ce ne l'est pas. Mais dans ce cas-ci, M. Hogg — une fois de plus, je vous le présente comme je l'ai compris, et j'ai la transcription de son témoignage devant moi — a été très clair: la convention qui existe présentement quant à la nomination de sénateurs par le gouverneur général veut que le premier ministre suggère des noms à la gouverneure générale. Et peu importe la façon dont il trouve ces noms — en les faisant sortir d'un chapeau, en tirant pile ou face, en passant un coup de téléphone, en utilisant un processus de sélection —, rien ne change. C'est ce qu'a dit M. Hogg, en résumé.
    M. Whyte était de l'avis qu'il s'était peut-être trompé, qu'il avait adopté une interprétation trop littérale des articles de la Constitution et de leur rapport avec les conventions. Je vous donnerai la chance de préciser votre opinion.
    J'aimerais que les trois témoins nous disent si l'argument de M. Hogg repose sur des bases solides.
    Ensuite, a-t-il raison lorsqu'il dit qu'il n'est pas certain qu'une nouvelle convention découlerait du processus de sélection? Nous semblons tous croire, M. Whyte en particulier, qu'il y aura une nouvelle convention, que les élections dicteront au premier ministre qu'il nomme les sénateurs par le biais de la gouverneure générale. M. Hogg a d'ailleurs dit dans son témoignage que l'élection pourrait être contaminée si ce n'était pas le cas. Y aura-t-il une nouvelle convention, si le projet de loi est adopté, qui contraindra le premier ministre, et cela fera-t-il parti du droit constitutionnel?
    Deuxième question, moins importante: lorsque l'on choisit les juges de la Cour suprême, croyez-vous qu'il soit important de leur demander s'ils pensent que la Constitution est fondée sur des conventions ou sur des règles strictes, ou si son interprétation devrait être axée sur l'esprit ou la lettre de la Constitution?
    Juste deux petites questions.
(1720)
    Les conventions ne sont pas des pratiques. Les conventions ne sont pas des lois. Je pense que lorsqu'il est question de modification constitutionnelle, nous vivons — je suis d'accord avec vous, monsieur Reid — dans un monde juridique, dans le monde du droit: les dispositions de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, les précisions sur ses dispositions découlant du renvoi sur la sécession, et j'ajouterais les suites données à certaines concepts entourant la modification issue du renvoi de 1980 sur le Sénat. Un argument discutable, mais c'est le droit.
    Les nouvelles conventions corrompent-elles la loi? Je ne crois même pas que ce sera une nouvelle convention qui servira de base au processus de consultation en vertu desquels les gens seront nommés. Je crois que ce sera une pratique. Lorsque l'on crée une pratique par le biais d'une loi pour contraindre, pour gouverner — pas nécessairement de façon absolue, mais simplement pour contraindre et gouverner —, une prérogative constitutionnelle claire ou un pouvoir discrétionnaire, on modifie ce pouvoir, le pouvoir défini à l'article 32. Un changement se produit, se concrétise.
    Monsieur Hogg et monsieur Reid, en faisant référence à la loi sur le référendum d'initiative populaire, disent qu'il ne se produit pas de véritables changements, qu'il y a un pouvoir discrétionnaire absolu et complet en vertu de l'article 32 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour nommer les sénateurs, sans entrave aucune.
    Eh bien, ce n'est pas le cas actuellement sur le terrain, et ce ne sera jamais le cas. De plus, plusieurs aspects de ce projet de loi enfreignent des dispositions précises de la Constitution. Je ne fais que présenter un point de droit, pas un point de convention: lorsque l'on impose, par le biais d'une loi, une contrainte importante à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire défini par la Constitution, on modifie de façon unilatérale ce pouvoir discrétionnaire.
    La quantité de limites m'importe peu. Je crois qu'elles sont suffisantes. Elles sont lourdes. Elles existent. À 10 h, on ne se demande pas à quelle heure le soleil s'est levé. Après une élection, on ne se demande pas quand l'influence a vraiment joué.
    Excusez-moi — c'est un peu trop métaphorique. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il ne faut pas commencer à se demander si cela contrôle vraiment le résultat. La réponse est oui: cela contrôle le résultat et modifie le pouvoir défini à l'article 32.
    Merci, monsieur Whyte.

[Français]

    Monsieur Côté, vous avez le dernier mot.
    J'essaierai d'en user avec discernement.
    Mon dernier commentaire concerne la lettre de la Constitution. À l'alinéa 42(1)b), on parle de mode de sélection des sénateurs, et non de mode de nomination des sénateurs. À mon sens, ce qui est soustrait de la compétence du Parlement fédéral est plus que la modification spécifique de l'article 24, c'est tout ce qui touche au processus de sélection des sénateurs. C'est ce qu'on peut lire à l'alinéa 42(1)b).
    C'est tout ce que j'avais à dire.

[Traduction]

    Le timbre ne sonne toujours pas. Monsieur Mendes, voulez-vous ajouter quelque chose?
    J'aimerais répondre à la question de M. Murphy. Je ne crois pas que l'on puisse créer une convention en enfreignant une obligation constitutionnelle. C'est tout.
    Très bien.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier les témoins de nous avoir fait part de leurs points de vue éclairés sur les aspects constitutionnels et juridiques du projet de loi que nous étudions.

[Français]

    J'aimerais vous remercier tous.
(1725)

[Traduction]

    Voici qui conclut nos audiences. À la semaine prochaine.
    Merci.
    La séance est levée.