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Bienvenue à la 12
e réunion du Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations sino-canadiennes. Conformément à l'ordre de renvoi du 20 juillet 2020, le Comité se réunit pour poursuivre son étude des relations sino-canadiennes.
La réunion d'aujourd'hui se déroule par vidéoconférence.
[Français]
Voici quelques règles à respecter pour assurer le bon déroulement de la réunion.
Pour la vidéoconférence, les services d'interprétation fonctionneront à peu près comme pour une réunion de comité ordinaire. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le son du parquet, l'anglais et le français. Lorsque vous avez la parole, si vous voulez passer d'une langue à l'autre, vous devez également changer de canal d'interprétation pour que celui-ci corresponde à la langue dans laquelle vous vous exprimez. Il serait bon de faire une courte pause entre les deux langues.
Avant de commencer à parler, attendez que je vous donne la parole en disant votre nom. Lorsque vous êtes prêt à parler, vous pouvez cliquer sur l'icône du microphone pour activer votre micro.
Si un député souhaite faire un rappel au Règlement, il doit activer son micro et indiquer qu'il souhaite faire un rappel au Règlement. Si un député souhaite intervenir au sujet d'un rappel au Règlement soulevé par un autre député, il doit utiliser la fonction « Lever la main » pour signaler au président qu'il désire prendre la parole. Pour ce faire, vous devez cliquer sur « Participants » au bas de l'écran. Lorsque la liste s'affiche, à côté de votre nom, vous verrez une option qui vous permettra de lever la main.
Assurez-vous de parler lentement et clairement. Lorsque vous n'avez pas la parole, mettez votre micro en sourdine. L'utilisation d'un casque d'écoute est fortement recommandée.
Avant de commencer, je demanderais à chacun de bien vouloir cliquer dans le coin supérieur droit de son écran pour s'assurer que l'option Vue Galerie est sélectionnée. Ce mode permet de présenter tous les participants dans une disposition en mosaïque. Vous pourrez ainsi tous vous voir les uns les autres. Comme c'est le cas pour les séances qui se tiennent en personne, le public ne verra que le participant qui a la parole.
Nous passons maintenant aux travaux du Comité. Nous avons deux avis de motion, ainsi qu'une motion. Nous en avons deux de M. Genuis, puis un de M. Harris.
Monsieur Genuis, par lequel voulez-vous commencer?
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Monsieur le président, je veux d'abord vérifier auprès de vous si vous voyez bien les mains levées, parce que, dès le moment où vous avez ouvert le débat, j'ai appuyé sur le bouton « Lever la main », mais vous ne semblez pas l'avoir vu. Si vous ne voyez pas les mains levées, je vais continuer à faire des signes de la main, car cela risque d'être plus efficace.
Quoi qu'il en soit, j'en reviens au débat. J'aurais un certain nombre de commentaires à formuler.
J'aimerais d'abord faire un commentaire sur l'amendement. Décider d'aborder ponctuellement des motions et des possibilités de rapports, alors que nous nous étions entendus dès le départ sur le fait de n'avoir qu'un seul rapport, illustre la difficulté devant laquelle nous nous trouvons. Si nous devions continuer dans cette voie et avoir des rapports sur des questions particulières, j'aimerais qu'ils soient considérés comme des rapports provisoires, de telle sorte que nous puissions continuer à discuter de la question tibétaine, par exemple, et que le tout ne soit pas conclu à travers ces motions que nous adoptons aujourd'hui.
Pour reprendre une expression bien québécoise, nous avons peut-être mis la charrue devant les bœufs. Puisque la communauté s'attend à ce que nous fassions écho aux propos du président de l'administration tibétaine, nous sommes dans une situation où nous devons adopter cette motion presque de façon obligée, et j'exprime mon malaise à l'égard du fait que nous nous retrouvions aujourd'hui devant une telle situation. Cette motion tombe sous le sens, mais je ne voudrais pas que cela mette un terme à notre approfondissement de la question problématique du Tibet.
C'est la raison pour laquelle je vais à tout le moins appuyer la motion de M. Harris dont il nous a donné avis et qui laisse entendre que nous allons poursuivre la discussion et la réflexion sur la situation tibétaine. Toutefois, je nous mets en garde une autre fois contre cette tentation de survenir à tout moment pour proposer des motions qui placent le Comité dans une position inconfortable et par lesquelles nous évitons d'aller au fond des choses et, surtout, de faire les liens qui doivent être faits entre différents enjeux.
Je reviens ensuite sur la proposition de Mme Alleslev. J'ai entendu les arguments de M. Harris et ceux avancés par les collègues libéraux jusqu'à présent. Ma première réaction a justement été de dire que le fait de devoir améliorer une motion qui nous a été lancée à la volée en pleine réunion du Comité, plutôt que de faire l'objet d'une discussion entre nous, illustre la difficulté devant laquelle nous nous trouvons présentement.
Je vous prierais donc d'éviter ce genre de manœuvre à l'avenir, puisque nous voyons bien la difficulté devant laquelle cela nous place.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je serai bref.
En ce qui concerne le dialogue sino-tibétain, pour la gouverne du Comité, il s'est poursuivi activement entre 2002 et 2005. Quatre réunions ont eu lieu, trois en République populaire de Chine et une en Suisse. Peu de temps après, le dialogue s'est arrêté brusquement. Depuis qu'il a pris fin, le Canada a pris publiquement position en faveur de sa reprise. Je pense qu'il est essentiel de le reprendre.
C'est essentiel pour les droits des Tibétains, qui luttent pour leur liberté linguistique, culturelle et religieuse. C'est également essentiel pour dissiper les malentendus au sujet de la cause tibétaine et pour clarifier ce que l'approche de la voie médiane cherche à faire, c'est-à-dire non pas un appel à la rébellion ou au séparatisme, mais un appel à l'autonomie sur ces bases, — une autonomie religieuse, culturelle et linguistique — dans le cadre du concept et des limites de la constitution chinoise. Il s'agit simplement de respecter les droits qui sont déjà garantis en vertu de la constitution chinoise. Cela a été bien décrit et expliqué par un universitaire du nom de Michael Van Walt Van Praag, que je vous recommande de lire.
J'ai entendu les appels à la reprise du dialogue lancés par mes électeurs, des gens de partout au pays et la diaspora partout sur la planète. Il est essentiel que le dialogue reprenne. C'est pourquoi mon parti et moi-même appuierons cette motion.
Je dirais que le moment est un peu mal choisi, en plein milieu de la réunion, alors que nous avons d'autres motions à examiner, comme celle de M. Harris sur l'audition d'autres témoins sur la cause tibétaine, mais j'en parlerai le moment venu. Je vais voter en faveur de cette motion, telle qu'amendée, à juste titre, par Mme Alleslev, parce que son élargissement est un grand pas en avant.
Merci. Thuk-je-che.
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Nous reprenons la séance. Bon retour parmi nous.
Je vais faire quelques observations à l'intention des nouveaux témoins.
Avant de commencer à parler, attendez que je vous donne la parole en disant votre nom. Lorsque vous êtes prêt à parler, vous pouvez cliquer sur l’icône du microphone pour activer votre micro. Tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Pour la vidéoconférence, les services d’interprétation fonctionneront à peu près comme pour une réunion de comité ordinaire. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le son du parquet, l’anglais ou le français. Lorsque vous avez la parole, si vous voulez passer d’une langue à l’autre, vous devez également changer de canal d’interprétation pour que le canal corresponde à la langue dans laquelle vous vous exprimez. Il serait bon de faire une courte pause entre les deux langues. Je rappelle aux témoins que s'ils ont besoin de l'interprétation en français, ils doivent choisir le canal anglais au bas de l'écran, et vice versa s'ils ont besoin de l'interprétation en anglais.
Lorsque vous n'avez pas la parole, veuillez mettre votre micro en sourdine, s'il vous plaît. L'utilisation d'un casque d'écoute est fortement recommandée, comme vous l'avez vu. Je dirais simplement que lorsque nous en serons aux questions, les membres du Comité indiqueront, je l'espère, à qui leur question s'adresse. S'ils vous demandent de répondre à une question, vous n'avez pas à attendre que je vous donne la parole. Vous pouvez répondre, et quand le député aura utilisé tout le temps dont il dispose, je vais l'interrompre si nécessaire et donner la parole au député suivant.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Nous accueillons Evan S. Medeiros, titulaire de la chaire de la famille Penner en études de l'Asie, de l'Université de Georgetown; Alvin Y.H. Cheung, de la New York University School of Law, chercheur affilié non-résident, U.S.-Asia Law Institute; Lynette H. Ong, de l'Université de Toronto, professeure de science politique et affaires mondiales. Chaque témoin disposera d'un maximum de 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, après quoi les membres du Comité leur poseront des questions. Nous allons commencer par M. Medeiros, de l'Université de Georgetown.
Monsieur Medeiros, vous avez 10 minutes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est un grand plaisir et un privilège pour moi d'être invité à comparaître devant le Comité parlementaire spécial sur les relations sino-canadiennes. Je vous félicite d'avoir mis l'accent sur les relations entre le Canada et la Chine en général et sur le sujet d'aujourd'hui, Hong Kong. [Difficultés techniques] toutes ses manifestations, est peut-être le défi le plus important dans le domaine des affaires mondiales. Pour pouvoir réagir efficacement, tous les pays doivent participer au genre de conversation nationale dont votre comité fait la promotion sur la façon de répondre à la montée de la Chine.
Mes commentaires d'aujourd'hui refléteront mon point de vue en tant qu'universitaire et ancien décideur politique aux États-Unis. J'ai passé 25 ans à faire des recherches et à écrire sur la Chine en tant qu'analyste à la RAND Corporation et, bien sûr, en tant que professeur à l'Université de Georgetown. Pendant six ans, j'ai fait partie, sous le président Obama, du personnel du Conseil de sécurité national des États-Unis, où j'ai été directeur pour la Chine, puis adjoint spécial du président Obama et directeur principal pour l'Asie.
Au cours de la séance d'aujourd'hui, je voudrais formuler trois observations générales au sujet de la tragédie que vit Hong Kong.
Premièrement, la communauté internationale doit s'attendre à ce que la situation à Hong Kong empire avant de se stabiliser. Les mesures prises par Pékin au cours des dernières semaines sont un indicateur avancé, et non un indicateur tardif, de la dégradation de la trajectoire politique de Hong Kong sous la coupe de Pékin. Le 31 juillet, Carrie Lam a annoncé que les élections au Conseil législatif de septembre seraient reportées d'un an. Le même jour, les autorités hongkongaises ont émis des mandats d'arrestation contre six militants basés à l'étranger, dont un citoyen américain, pour « incitation à la sécession et collusion avec des forces étrangères ». Le 10 août, pas plus tard que la semaine dernière, Jimmy Lai et plusieurs autres dirigeants des médias ont été arrêtés, tout comme Agnes Chow, ancienne chef de l'organisation pro-démocratie Demosisto.
Ces mesures montrent clairement que Pékin n'est nullement intéressé à préserver les libertés politiques fondamentales qui sont au cœur de la déclaration conjointe, de la Loi fondamentale et, en fin de compte, du modèle « Un pays, deux systèmes » qui, collectivement, ont été si importants pour le succès de Hong Kong jusqu'à aujourd'hui. Le fait que les services internes de sécurité et de renseignement chinois pourront désormais opérer ouvertement à Hong Kong ne fait qu'accroître la capacité de la Chine continentale à recourir à la peur, à l'intimidation et, en fin de compte, à la coercition pour faire taire les voix de l'opposition.
À mon avis, l'approche globale de Pékin consiste à utiliser la loi sur la sécurité nationale pour séparer la politique et les affaires à Hong Kong. Pékin veut préserver le deuxième élément tout en neutralisant le premier. En bref, la Chine veut que Hong Kong demeure capitaliste, et surtout que les marchés financiers dynamiques continuent de fonctionner, mais sans être libérale sur le plan politique et, par conséquent, qu'elle soit inféodée au Parti communiste chinois pour sa gouvernance politique.
En fin de compte, cette stratégie mènera, peut-être dans une décennie, à la diminution de Hong Kong en tant que centre financier en Asie de l'Est. À mesure que les risques et les contraintes liés aux opérations à Hong Kong augmenteront, les sociétés financières et non financières mondiales y réduiront graduellement leur présence à mesure qu'elles déménageront une partie de leurs activités en Chine continentale et ailleurs en Asie. Ainsi, Hong Kong deviendra peu à peu une version insolite et nostalgique d'une ville du sud de la Chine, regrettant sa grandeur passée.
Ma deuxième observation générale est que le sort de Hong Kong revêtira une plus grande importance sur la scène politique mondiale, en grande partie en raison de son impact sur les relations entre les États-Unis et la Chine. La répression de la Chine à Hong Kong aggravera les soupçons et la méfiance au cœur des relations entre les États-Unis et la Chine. Plus précisément, cela alimentera une concurrence idéologique naissante entre les deux pays. Hong Kong deviendra un enjeu central et un symbole de la rivalité entre les États-Unis et la Chine quant à la valeur des idéaux libéraux.
En effet, la répression de Pékin contre Hong Kong n'aurait pas pu tomber à un pire moment, car les États-Unis sont en train, et continueront, de réévaluer la nature du défi de la Chine et de recalibrer leurs stratégies et politiques en conséquence. Le traitement de Hong Kong par la Chine a accentué les différences de valeurs entre les États-Unis et la Chine. Cela s'est traduit par la perception que la Chine tente activement de miner les règles et les normes libérales à l'échelle mondiale, ce qui a suscité un débat aux États-Unis sur la question de savoir si la Chine représente un rival systémique des États-Unis et des autres démocraties.
Ma troisième et dernière observation est que le Canada, les États-Unis et les autres grandes démocraties doivent rester engagés et actifs dans le dossier de Hong Kong. Les voix et les actions de nos pays sont importantes maintenant et à l'avenir. Bien que notre influence pour changer la situation sur le terrain soit certes limitée, il y a beaucoup à faire pour façonner la trajectoire globale de Hong Kong, ainsi que les actions futures possibles de la Chine.
Ces mesures entrent dans plusieurs catégories.
La première recommandation, c'est que les États-Unis et le Canada devraient rassurer publiquement et continuellement les gens de Hong Kong, ainsi que les pays aux vues similaires partout dans le monde, que nos gouvernements défendront la protection des valeurs universelles. La situation à Hong Kong sera un défi à long terme, et la communauté internationale, surtout les États-Unis et le Canada, doit s'organiser pour le long terme et ne pas se contenter de marquer des points contre les excès de Pékin à l'heure actuelle. Les deux déclarations conjointes des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et de l'Australie à ce jour sont importantes à cet égard, tout comme la déclaration des ministres des Affaires étrangères du G7. Nos pays devraient élargir cette coalition pour y inclure d'autres pays, notamment le Japon, la Corée du Sud et les pays de l'Union européenne. Les nouvelles commissions parlementaires internationales sur la Chine au Royaume-Uni, dans l'Union européenne et au Japon, offrent une autre occasion d'envoyer de tels signaux.
La deuxième recommandation, c'est que les États-Unis et le Canada prennent des mesures coordonnées pour signaler à la Chine que sa répression aura des conséquences. La logique de ces actions est de faire réfléchir Pékin lorsqu'il envisage d'autres mesures contre Hong Kong. La récente décision de plusieurs pays de se retirer ou de suspendre leurs traités d'extradition vers Hong Kong a constitué un premier pas important à cet égard. Une idée digne de mention est qu'un groupe de pays emboîtent le pas au Royaume-Uni en ouvrant leurs portes aux résidents de Hong Kong qui souhaitent émigrer, ou une idée du même genre est d'offrir des bourses aux jeunes résidents de Hong Kong qui souhaitent étudier aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et ailleurs.
La troisième recommandation est que les États-Unis et le Canada collaborent avec la communauté internationale des affaires pour trouver des façons créatives de préserver, dans la mesure du possible, les attributs et l'identité uniques de Hong Kong. Pékin doit éviter de prendre des mesures qui minent considérablement l'environnement commercial à Hong Kong, en particulier en ce qui concerne les institutions financières mondiales. Ainsi, il pourrait écouter les préoccupations des dirigeants locaux et des chefs d'entreprise au sujet des restrictions comme les contrôles d'Internet et les mesures d'application de la loi qui sapent la confiance des entreprises à l'égard de leurs activités à Hong Kong. Le milieu des affaires de Hong Kong pourrait aider à pousser Pékin à conserver une partie du dynamisme de Hong Kong.
Ma dernière observation, c'est que les États-Unis, le Canada et d'autres gouvernements devraient travailler en coordination pour prendre des mesures qui détromperont Pékin de la croyance qu'il peut étendre sa coercition à Taïwan. Je crains fort que Pékin ne tire de mauvaises conclusions de la réponse de la communauté internationale à la situation à Hong Kong, ce qui, avec le temps, pourrait l'amener à étendre une telle approche à Taïwan.
Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter mon point de vue aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.
Mes travaux universitaires à NYU portent sur les abus autoritaires du droit à Hong Kong et ailleurs. Je suis également citoyen canadien d'origine hongkongaise et j'ai pratiqué le droit à Hong Kong pendant plusieurs années.
D'autres témoins vous ont déjà longuement parlé de la situation à Hong Kong. Je tiens à souligner l'importance particulière de ces événements pour le Canada. Bien que mes remarques portent sur la loi sur la sécurité nationale, la LSN, je dois souligner que d'autres faits nouveaux, comme la politisation croissante de la fonction publique et l'impunité généralisée dans les services en uniforme, sont également profondément troublants. Je me ferai un plaisir d'aborder ces sujets pendant la période de questions.
Je ferai valoir trois choses aujourd'hui. Premièrement, les événements à Hong Kong sont mauvais pour les entreprises canadiennes qui y mènent des activités; deuxièmement, les événements à Hong Kong sont mauvais pour les citoyens canadiens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de Hong Kong; et troisièmement, les événements à Hong Kong sont directement liés aux priorités de la politique étrangère du Canada.
L'un des principaux attraits de Hong Kong pour les entreprises canadiennes est la perception qu'elle maintient la primauté du droit. En fin de compte, il s'agit de ne pas être soumis à l'exercice arbitraire du pouvoir de l'État, et il s'agit de pouvoir prévoir avec une certitude raisonnable ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire.
La LSN impose un système juridique parallèle à Hong Kong, un système où les infractions sont mal définies, où la police secrète n'a pas de comptes à rendre et où les peines sont sévères. Ce système remplacera le système juridique normal chaque fois que les autorités invoqueront la « sécurité nationale ». En termes simples, la question de savoir si la loi normale s'applique à vous dépend des caprices de l'État. Même les institutions administratives normales sur lesquelles comptent les entreprises, comme le Registre des sociétés, ont été asservies à la politique. Depuis 2014, plusieurs partis de l'opposition, dont le parti de Joshua Wong, Demosisto, se sont vu refuser l'enregistrement d'une société, ce qui a nui à leur capacité de louer des bureaux ou de recueillir des fonds.
Pour au moins trois raisons, l'apathie politique ne protégera pas le milieu des affaires. Premièrement, les entreprises de Hong Kong subissent d'énormes pressions politiques pour appuyer publiquement la LSN. Deuxièmement, les entreprises seront obligées de choisir entre se conformer à la LSN et se conformer à d'autres régimes réglementaires, y compris les sanctions américaines. Troisièmement, les affaires courantes peuvent de plus en plus être considérées comme mettant en cause la sécurité nationale. Par exemple, tout analyste financier dont les conclusions pourraient être interprétées comme portant atteinte à la confiance du public à l'égard des gouvernements de Hong Kong ou de Pékin risque d'être poursuivi en vertu de la LSN.
De nombreuses chambres de commerce se sont opposées au projet de loi sur l'extradition, en 2019, parce qu'elles craignaient que toute personne se trouvant à Hong Kong ou transitant par Hong Kong soit extradée vers le continent pour être assujettie à son système de droit pénal. Après avoir largement échoué à mettre les gens de Hong Kong à la portée du droit pénal continental, Pékin le leur impose chez eux.
Les événements à Hong Kong ont également de graves conséquences pour les citoyens canadiens, qu'ils vivent ou non à Hong Kong. Il y a plus de 300 000 Canadiens à Hong Kong, et ils doivent tous vivre maintenant dans la peur des conséquences possibles d'une violation de la LSN, ce qui comprend l'extradition vers la Chine continentale, des poursuites devant les tribunaux du continent et l'emprisonnement à perpétuité.
Même une brève lecture de la LSN révèle qu'elle définit ses infractions en termes extrêmement généraux. Dans les circonstances, il ne peut y avoir de certitude réelle quant à ce qui sera traité ou non comme une infraction. Lorsque les autorités chinoises affirment, comme elles l'ont fait à maintes reprises, que la LSN ne sera utilisée que contre un petit nombre de personnes, elles admettent implicitement qu'elles ont un pouvoir discrétionnaire extrêmement large en matière d'application de la loi. Pourtant, elles ont très peu parlé de la façon dont ce pouvoir discrétionnaire sera exercé ou réglementé. C'est contraire à la primauté du droit.
Les effets paralysants de la LSN s'étendent également aux citoyens canadiens au Canada. Comme d'autres témoins l'ont déjà souligné, la LSN englobe les actes commis à l'extérieur de Hong Kong par des personnes qui ne sont pas des résidents permanents de Hong Kong. Par conséquent, tout Canadien qui pourrait devoir se rendre à Hong Kong, transiter par Hong Kong ou prendre un vol exploité par une compagnie aérienne basée à Hong Kong fait maintenant face à des pressions considérables pour s'autocensurer. Les citoyens canadiens comme moi devraient pouvoir participer au processus politique canadien sans craindre de représailles s'ils se rendent à Hong Kong ou y transitent.
Les citoyens canadiens d'origine hongkongaise courent un risque particulier. Bon nombre d'entre eux, en particulier ceux qui vivent à Hong Kong, sont également considérés comme des ressortissants de la RPC en vertu de la loi de la RPC. Comme la RPC ne reconnaît pas la double citoyenneté, ces personnes risquent de se voir refuser l'accès aux autorités consulaires si elles sont détenues à Hong Kong.
Il apparaît aussi que la RPC a forcé des gens à renoncer à leur citoyenneté étrangère ou à demander de l'aide consulaire. Le 30 juin dernier, un tribunal de la RPC a condamné Sun Qian, une citoyenne canadienne, à huit ans d'emprisonnement pour avoir pratiqué le falun gong. Elle aurait renoncé à sa citoyenneté canadienne durant ce temps, apparemment sous la contrainte des autorités chinoises. De même, les libraires de Hong Kong Gui Minhai et Lee Bo, citoyens de la Suède et du Royaume-Uni respectivement, auraient eux aussi renoncé à la citoyenneté étrangère dans des circonstances semblables.
Les citoyens canadiens ayant des liens avec Hong Kong doivent maintenant se demander si les propos qu'ils tiennent au Canada seront retenus contre eux s'ils font ne serait-ce que mettre le pied dans un avion immatriculé à Hong Kong. De plus, des manifestations menées au Canada en faveur de Hong Kong ont donné lieu à des contre-manifestations et à des actes de provocation; des participants ont été victimes de harcèlement et d'intimidation. Des agents consulaires de la République populaire de Chine au Canada ont fait l'éloge public de pareils agissements.
Les événements de Hong Kong se répercutent également sur la politique étrangère du Canada.
Premièrement, la loi sur la sécurité nationale empêchera le gouvernement du Canada d'obtenir des renseignements précis sur l'évolution de la situation à Hong Kong et en Chine. Tout citoyen canadien établi à Hong Kong est passible de poursuites s'il fait ce que je fais aujourd'hui.
Deuxièmement, la conduite de la Chine à Hong Kong sème le doute sur sa volonté de respecter d'autres engagements internationaux. Depuis 2014, les autorités du continent et de Hong Kong ont déclaré à maintes reprises que la Déclaration commune sino-britannique était lettre morte, même si elle demeure en vigueur jusqu'en 2047. Le fait que la communauté internationale, le Canada y compris, n'ait pas condamné ces répudiations publiques a contribué au climat d'impunité dans lequel la RPC agit maintenant à Hong Kong. Dans ce contexte, il est permis de se demander si elle respectera ses autres engagements bilatéraux et multilatéraux.
Troisièmement, et c'est le plus important, les événements qui se déroulent actuellement à Hong Kong sont une épreuve décisive pour la volonté du Canada de respecter ses propres engagements.
Pour les raisons que j'ai énoncées, la situation à Hong Kong menace la sécurité personnelle de Canadiens qui se trouvent là-bas, ou même au Canada. Elle met aussi en péril des entreprises canadiennes à Hong Kong. Notre pays a l'obligation de les protéger. Par-dessus tout peut-être, la façon dont le Canada réagira aux événements de Hong Kong en dira long sur le pays que nous sommes et les valeurs que nous défendons. Notre gouvernement s'est engagé publiquement à renforcer l'ordre international fondé sur des règles avec le concours de ses partenaires régionaux, bilatéraux et multilatéraux. J'espère que les mesures que le Comité spécial recommandera, et celles que le gouvernement choisira d'appliquer, seront à la hauteur de ces engagements déclarés envers le multilatéralisme et la primauté du droit.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous fournir des réponses supplémentaires par écrit, au besoin.
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Merci, monsieur le président. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de comparaître devant le Comité.
Permettez-moi d'abord de me situer par rapport au sujet. Mon point de vue sur les événements de Hong Kong a été façonné par les travaux que j'ai menés en Chine et sur la Chine, d'abord comme consultante, puis comme universitaire, depuis la fin des années 1990. Je travaille à l'Université de Toronto depuis 14 ans, dans le premier et seul poste universitaire que j'aie jamais occupé.
La loi sur la sécurité nationale peut avoir des répercussions de toutes sortes. En tant que spécialiste de la Chine, je pense à la diffusion de contenu sur des plateformes en ligne et à la préservation de la rigueur et de l'intégrité des cours que j'enseigne. Je pense à la sécurité de mes étudiants qui participent en ligne, que ce soit à Toronto ou à partir de leur pays d'origine. Je pense à la possibilité de soutenir mon propre programme de recherche. Je pense aussi à mes collègues de Hong Kong qui sont aux premiers rangs de la lutte contre l'érosion de la liberté universitaire.
Cette loi pourrait avoir une incidence profonde sur la grande communauté universitaire qui gravite autour de Hong Kong et de la Chine, mais nous devons nous rappeler que ce n'est pas la première fois que le courage des intellectuels chinois est mis à l'épreuve — la dernière fois, c'était en 1989 —, et pourtant nous tenons bon, nous nous adaptons et nous continuons de prospérer.
Lorsque la loi a été proposée pour la première fois, j'ai d'abord estimé qu'elle ne ferait que légaliser la répression clandestine que Pékin exerce sur Hong Kong depuis plus d'une décennie. D'après mes propres recherches, la répression secrète par procuration ou la mise au secret de certaines personnes ont cours à Hong Kong depuis un certain temps, comme en témoignent l'enlèvement des libraires frappés d'interdit et l'attaque de Yuen Long en juillet 2019.
Cependant, des événements récents montrent clairement que la loi a en fait renforcé et cautionné une répression accrue de la liberté d'expression et des libertés civiles. De plus, en raison d'un libellé laissé vague à dessein, elle a en quelque sorte paralysé la société de Hong Kong et plus encore. Il s'agit d'une violation flagrante du principe « Un pays, deux systèmes » reconnu dans la Loi fondamentale.
À l'avenir, toutefois, la situation pourrait évoluer dans l'une de ces deux directions: Pékin pourrait accentuer sa répression, ce qui grugerait davantage l'autonomie de Hong Kong et la marge de manœuvre de la société civile; ou bien la répression pourrait diminuer après un premier temps marqué par des mesures sévères. Vu que la loi est tellement nouvelle, on aurait voulu frapper fort au début afin d'établir un précédent et de faire un exemple pour tous ceux qui seraient tentés d'y contrevenir.
À mon avis, la direction qui sera prise dépend de la valeur de Hong Kong pour l'élite du Parti communiste chinois. Malgré la compétitivité croissante de villes chinoises comme Shanghai et Shenzhen, la bourse de Hong Kong demeure le lieu de prédilection des sociétés chinoises pour lever des capitaux.
Selon un récent rapport d'enquête du New York Times, des familles de l'élite du Parti posséderaient à Hong Kong des résidences de luxe valant plus de 50 millions de dollars américains. C'est un signe, je pense, que l'élite de Pékin a tout intérêt, politiquement et personnellement, à ce que Hong Kong demeure prospère. Elle forme le noyau des appuis sur lesquels repose le leadership du président Xi. La perte de ce soutien essentiel le rendrait vulnérable.
À bien des égards, Hong Kong et la loi sur la sécurité nationale sont une arme à double tranchant pour les dirigeants du PCC. D'une part, ils ont besoin de cette loi pour empêcher des manifestations violentes de ravager l'économie, à leur détriment. D'autre part, la loi entraînera des sanctions, comme celles imposées par les États-Unis, qui nuiront à l'attrait de Hong Kong en tant que centre financier international et centre d'affaires régional.
Jusqu'à maintenant, les effets sur la compétitivité économique de Hong Kong sont plutôt mitigés. Au cours des six derniers mois, les sociétés chinoises ont levé plus de capitaux à la bourse de Hong Kong et intensifié leurs investissements dans le territoire. Par contre, la révocation du statut commercial spécial de Hong Kong a fait grimper les tarifs auxquels sont assujetties les marchandises qui entrent dans le territoire et qui en sortent, jusqu'à hauteur des tarifs pratiqués dans la Chine continentale. Selon un récent sondage de la Chambre de commerce des États-Unis, quatre entreprises sur dix prévoient déménager leur siège social régional de Hong Kong.
Cela m'amène à mon point suivant, à savoir les mesures que le Canada devrait ou ne devrait pas prendre.
De façon générale, le message du Canada devrait être très clair: nous condamnons la répression à Hong Kong et nous sommes solidaires de la population de Hong Kong. Cependant, à mon avis, quelles que soient les mesures punitives que nous prendrons, il faudra tenir compte de la double nature de Hong Kong aux yeux des dirigeants du Parti communiste chinois.
Pour les dirigeants du PCC, Hong Kong est à la fois une poule aux œufs d'or et un enfant rebelle qui a besoin d'être discipliné. Si nous imposons des mesures qui empêchent la poule de pondre, la valeur de Hong Kong se réduira à celle de l'enfant rebelle, avec les conséquences que nous connaissons trop bien, pour en avoir vu des exemples. Pour dire les choses simplement, si nous tuons la poule, nous risquons davantage de nuire à la quête de liberté et d'autonomie de Hong Kong que de l'appuyer.
Ma deuxième recommandation est que le Canada ouvre ses portes à l'immigration et au talent de Hong Kong.
Ma troisième recommandation, qui s'adresse autant au secteur universitaire qu'au gouvernement canadien, est d'offrir des bourses aux étudiants de Hong Kong.
À court terme, nous ne devrions pas nous faire d'illusions quant au retour de la liberté d'expression à Hong Kong ou au suffrage universel promis par la Loi fondamentale. Lors de la signature de la Déclaration commune sino-britannique en 1984, de nombreux observateurs occidentaux avaient évoqué l'espoir ténu que la démocratie arriverait un jour en Chine par la voie de Hong Kong. C'est un rêve chimérique jusqu'à présent.
Il ne faudrait pas non plus nous imaginer que le maintien du commerce avec la Chine pourra à lui seul amener le pays à s'ouvrir davantage, comme beaucoup l'avaient espéré lorsqu'ils ont appuyé l'entrée de la Chine à l'OMC, en 2001. N'allons pas non plus nous imaginer que si nous accordons à la Chine le respect dû à un pays de sa taille, ce respect sera réciproque. Il suffit de penser au sort de M. Kovrig et de M. Spavor, qui sont détenus depuis plus de 600 jours, pour voir que la Chine fait peu de cas des règles internationales. Les dommages collatéraux causés par la pandémie, qu'aucun pays n'a réussi à éviter jusqu'à présent, viennent encore exacerber les effets extérieurs de son régime politique autoritaire.
Je crois que nous ne pourrons pas saisir correctement la situation à Hong Kong sans nous demander aussi comment nous allons composer avec la montée de la Chine. Ce sont deux problèmes intimement liés, alors je suis pessimiste dans l'immédiat. Mais à plus long terme, je crois que la résilience de la ville et des habitants de Hong Kong, façonnée par une culture de migrants débrouillards, créatifs et travailleurs, aura le dessus. J'ai bon espoir que Hong Kong redeviendra un jour dynamique et libre.
Je vous remercie de m'avoir écoutée.
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Merci beaucoup. C'est une excellente question, monsieur Bergeron. Je vais répondre en deux temps.
D'abord, en ce qui concerne la politique américaine, je suis d'avis que les coalitions internationales sont beaucoup plus crédibles lorsqu'un membre de la coalition, comme les États-Unis, agit de manière cohérente. Une chose qui m'inquiète dans la politique étrangère des États-Unis, c'est cette question des valeurs et de la promotion de la démocratie. L'administration Trump a été d'une profonde incohérence, ce qui mine la crédibilité des Américains et réduit en fin de compte la capacité de former des coalitions dans des situations comme celle de Hong Kong tout en restant crédibles aux yeux de Pékin.
J'espère qu'à l'avenir, peut-être après l'élection présidentielle et quelle qu'en soit l'issue, les États-Unis recommenceront à promouvoir la démocratie, parce que leur crédibilité est une condition essentielle pour bâtir des coalitions plus fiables dans ce genre de situations.
Quant à votre question sur Taïwan, le fait est que Taïwan ne peut pas et ne doit pas être une monnaie d'échange. C'est une piètre monnaie d'échange, et je pense qu'au bout du compte, nous trahirions nos valeurs et nos engagements envers les 24 millions d'habitants de Taïwan. Si nous commençons à traiter Taïwan comme une monnaie d'échange dans la relation sino-canadienne ou sino-américaine, nous ne ferons que donner des arguments de poids à Pékin en lui faisant savoir que nous sommes indifférents à l'avenir de Taïwan, ce qui, à mon avis, n'est certainement pas dans l'intérêt des Américains.
Il vous appartient, je pense, à vous et aux autres membres du Comité spécial, de déterminer comment vous voulez aborder la question de Taïwan, parce que Taïwan est trop souvent perçue comme un pion dans la relation entre les États-Unis et la Chine, alors qu'elle devrait être traitée en tant qu'elle-même.
Bien sûr, les États-Unis ont une relation très spéciale avec Taïwan. Je le comprends et ce n'est pas nécessairement applicable à votre situation, mais il y a des choses que vous pouvez faire, et que peut-être vous devriez faire, à propos de Taïwan, des choses qui n'ont pas de lien avec la relation Canada-Chine. Cela renforcerait votre crédibilité dans vos rapports avec les Chinois.
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La séance reprend. Je souhaite à nouveau la bienvenue aux députés et aux témoins.
J’ai quelques indications à donner aux nouveaux témoins.
Avant de commencer à parler, attendez que je vous donne la parole en vous désignant par votre nom. Lorsque vous êtes prêt à parler, vous activez votre micro en cliquant sur l'icône. Je dois préciser que, au stade des questions des députés, ceux-ci diront qui doit répondre et vous n'aurez pas à attendre mon signal.
Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
Pendant la vidéoconférence, l’interprétation fonctionne à peu près comme au cours d'une séance ordinaire. Vous avez le choix, au bas de l'écran, entre le son du parquet, l’anglais et le français. Lorsque vous parlez, si vous prévoyez alterner entre les deux langues, vous devrez également changer de canal d’interprétation pour qu’il corresponde à la langue utilisée. Vous pouvez faire une courte pause lorsque vous changez de langue.
Un rappel aux témoins: si vous avez besoin de l'interprétation vers le français, vous devez sélectionner le canal anglais, au bas de l'écran. Si vous avez besoin de l'interprétation vers l'anglais, c'est l'inverse.
Lorsque vous ne parlez pas, mettez votre micro en sourdine.
L’utilisation du casque d’écoute est fortement encouragée.
Je souhaite la bienvenue au deuxième groupe de témoins. Nous accueillons, à titre personnel, Stéphane Chatigny, avocat; au nom de Human Rights in China, Sharon Hom, directrice exécutive; et, de l’Université de Surrey, Malte Philipp Kaeding, professeur adjoint en politique internationale.
[Français]
Nous allons commencer par l'intervention de M. Chatigny.
Vous avez la parole pour 10 minutes.
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Très bien, monsieur le président. Je vous remercie.
Je remercie le Comité spécial de bien vouloir entendre mes commentaires aujourd'hui au sujet des relations sino-canadiennes et de la situation actuelle à Hong Kong.
Avocat depuis 1992, j'ai eu l'expérience unique de vivre à Hong Kong pendant 10 ans, soit de 2008 à 2017.
Dans ma pratique professionnelle, je me concentre sur l'immigration économique au Canada et, plus spécialement, sur le programme des immigrants investisseurs du gouvernement du Québec. J'ai assisté plus de 2 000 candidats à ce programme, principalement des dirigeants et des propriétaires d'entreprises privées établies en Chine continentale, à Taïwan et à Hong Kong. Ces candidats m'ont raconté comment ils étaient devenus riches, en Chine et ailleurs autour de ce pays, lequel a mis moins de 30 ans à atteindre le statut de deuxième puissance économique mondiale et rivalise maintenant avec l'Amérique du Nord et l'Union européenne dans plusieurs secteurs industriels.
Pendant toutes ces années, j'ai vécu à Hong Kong, une démocratie de 7,5 millions d'habitants, sans avoir de crainte vis-à-vis de l'État. J'ai aussi circulé à Taïwan, une autre démocratie asiatique de 23 millions d'habitants, toujours sans craindre l'État.
Les populations de Hong Kong et de Taïwan sont courageuses et déterminées. À l'instar des Canadiens, elles veulent élire librement leur gouvernement et continuer de vivre dans un environnement légal qui est transparent et prévisible, qui porte les valeurs, les libertés et les garanties démocratiques énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Basic Law of Hong Kong et la Constitution de Taïwan.
Comme l'ont souligné plusieurs témoins avant moi, les liens entre Hong Kong et le Canada sont étroits, et la crise actuelle sur ce territoire exige une attention et une action ferme et coordonnée de la part du gouvernement canadien.
Vivre à Hong Kong, c'est se trouver dans la périphérie corrosive d'un régime autoritaire dur et d'un système de gouvernement en parfaite contradiction avec les valeurs démocratiques que porte et défend chaque avocat canadien.
Quand je rentrais chez moi, à Hong Kong, après chaque séjour en Chine continentale, je respirais plus profondément, comme soulagé, habité par l'impression de m'être trouvé pendant quelques jours dans un environnement social placé sous une cloche de verre, grouillant d'individus policés, endoctrinés, neutralisés, à qui le Parti communiste chinois ne permet qu'un spectre de vie limité à une existence économique.
Depuis peu, grâce à de puissants algorithmes et à un réservoir grandissant de données, la Chine soumet les individus et les entreprises sur son territoire à une cote de crédit social qui tient notamment compte de la navigation et des commentaires sur le Web.
Or, la loi relative à la sécurité nationale de Hong Kong de juillet 2020 étend cette cloche de verre liberticide au-dessus de la démocratie de Hong Kong. Le Parti communiste chinois amorce ainsi l'application de son écosystème d'hypersurveillance et de répression bien avant juillet 2047, en violation de la Déclaration commune sino-britannique de 1984.
Cet écosystème produit l'autocensure, un réflexe de protection qui m'a semblé profondément ancré chez les habitants de la Chine continentale, d'autant plus que la délation est encouragée et même organisée.
Véritable cheval de Troie dans le système juridique de Hong Kong, la loi relative à la sécurité nationale produit déjà l'autocensure chez les Hongkongais. Des individus et des organisations ferment leurs comptes sur les réseaux sociaux de façon précipitée, retirent le carré jaune et les livres qui peuvent fâcher. La loi inocule ainsi une peur de l'État qui n'existait pas auparavant. Au bout du compte, le régime communiste confinera les Hongkongais à un spectre de vie limité à une existence économique.
Cet été, j'ai mis la main sur l'édition de janvier-février 2008 de la revue Foreign Affairs dont le titre était « Changing China ». Cela m'a fait plutôt sourire, 12 ans plus tard. Espérer changer la Chine, c'est nourrir l'espoir d'amener sa classe dirigeante à réformer sa gouvernance politique et économique et de l'amener vers le respect de la règle de droit, des droits de la personne et de l'économie de marché. L'épreuve des faits, depuis 20 ans, révèle une certaine naïveté.
L'instinct crédule et imprudent du gouvernement du Canada, des entreprises et des établissements de recherche et d'enseignement du pays est parfois consternant.
Dès mes premières années en Chine, j'ai espéré des déclarations comme celle faite en mars 2019 par le président français, M. Emmanuel Macron, qui affirmait que « le temps de la naïveté européenne est révolu » dans les relations avec la Chine.
La sympathie et l'engagement de l'Occident envers cette belle et noble civilisation, entretenus en dépit de son régime répressif et prédateur, ne se sont pas convertis en confiance, bien au contraire, et ce sont les peuples qui sont finalement privés d'une relation plus fertile.
Depuis 2014, le président Xi Jinping convie sa population à poursuivre « le rêve chinois de la grande revitalisation de la nation chinoise ». La légitimité et la sincérité de cet appel paraissent indiscutables pour ce pays longtemps surnommé « the sick man of Asia ».
Cependant, la propagande actuelle conduit à des sentiments nationalistes presque fanatiques et xénophobes, dans une société privée d'informations fiables et critiques. De plus, cette propagande trouve un terrain fertile dans une éducation nationale qui met l'accent sur les 100 ans d'humiliation de la Chine aux mains des puissances étrangères.
Dès à présent, il est nécessaire que le Canada tienne pour acquis que le régime chinois, dans sa poursuite d'un socialisme avec des caractéristiques chinoises, est profondément opposé à plusieurs valeurs occidentales.
En septembre 2013, le magazine Mingjing, basé aux États-Unis, a publié un document qui était destiné au 18e congrès du Parti communiste chinois et qui s'intitule « Communiqué sur l'état courant de la sphère idéologique — Une note du bureau général du Comité central du Parti communiste chinois ». Le document souligne la constance de la lutte idéologique et énonce des mises en garde contre les tendances, activités et positions idéologiques erronées telles que la promotion de la démocratie constitutionnelle occidentale, les valeurs universelles, la société civile, le néo-libéralisme et la conception occidentale du journalisme.
Il semble irréaliste de croire encore que la Chine changera dans le sens que nous souhaitons. Au XXIe siècle, le risque est plutôt que ce soit le régime communiste qui nous change dans un sens que nous ne voulons pas.
Dès lors, il devient éminemment important pour le Canada de s'assurer que nos relations avec ce pays, devenu prééminent dans l'ordre international, ne nous amènent pas à relativiser et à atténuer le contour et l'importance de nos normes, de nos valeurs et de nos intérêts.
Dans sa relation avec le Canada, le régime chinois applique une approche holistique où plusieurs aspects, même très éloignés, peuvent servir de points de pression, y compris des points de pression manifestement en dehors des normes internationales, tels que la détention de Kevin et Julia Garratt, en 2014, et celle de Michael Kovrig et Michael Spavor, en 2018.
Chaque silence, chaque omission d'agir ou chaque compromis sur nos valeurs, nos normes ou nos intérêts alimente le confort du régime dans la pratique de l'intimidation. Il est nécessaire que le Canada prive le régime chinois des effets souhaités, c'est-à-dire l'autocensure et le bon comportement.
Avec nos alliés, il nous faut développer et soutenir une vigilance et une action internationales, interdisciplinaires et interministérielles sans cesse mieux coordonnées à l'égard des comportements du régime chinois, notamment en matière de droits de la personne, d'interférence dans la vie politique étrangère, d'intimidation en sol étranger, d'érosion des droits civils et politiques à Hong Kong et à Taïwan, de vol de propriété intellectuelle, d'espionnage industriel, d'intelligence artificielle et de partenariats éducatifs, scientifiques et commerciaux qui font courir un risque à l'autonomie, à la sécurité ou aux intérêts économiques du Canada.
Cette vigilance permettra de mener à l'égard de la Chine une politique étrangère, commerciale et de sécurité nationale sans cesse plus fidèle aux réalités et à l'identité des 37 millions de Canadiens, incluant les 300 000 citoyens canadiens qui vivent à Hong Kong.
Assurons-nous que la Chine ne nous changera pas.
Je vous remercie.
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Merci de me donner l’occasion de témoigner devant le Comité. C’est vraiment un honneur et un défi de prendre la parole après les témoins qui ont présenté des points de vue aussi solides et éclairés la semaine dernière et ce matin. Ils ont notamment mis en évidence l'évolution critique observée à Hong Kong, évolution qui ne sera pas sans conséquence pour les Canadiens tant à Hong Kong que dans leur propre pays. La COVID-19 a montré très clairement que les répercussions sur la santé et la stabilité du monde et de la région ne connaissent pas de frontières.
Je suis Hongkongaise de naissance et je possède la résidence permanente à Hong Kong. Je suis également professeure émérite à la faculté de droit de la City University of New York. J’ai enseigné le droit pendant 18 ans, et j’ai notamment formé des avocats, des juges, des professeurs de droit et des cadres juridiques chinois pendant 10 ans, à partir de la fin des années 1980.
Mon organisation, Human Rights in China, a vu le jour en mars 1989 pour appuyer le mouvement démocratique de la même année. Dans un cadre international des droits de la personne, nous appuyons les défenseurs des droits de la personne et les groupes de la société civile pour promouvoir la protection des droits de la personne. Nous sommes présents à Hong Kong depuis 1996.
La dernière fois que je suis venue à Ottawa, c’était en 2012, pour la conférence du Congrès international des parlementaires sur le Tibet. La question que Mme Zann a posée ce matin au sujet des signaux prémonitoires a été pour moi un rappel. En fait, les politiques de Pékin, la militarisation et la sécurisation complète, y compris les lois sur la sécurité nationale et les tactiques de répression sociale et de contrôle, ont été déployées il y a des décennies et ont clairement montré ce qui se tramait pour Hong Kong. Il aurait fallu qu'on ait la volonté politique d'en prendre conscience.
Je commencerai par un point d'ordre général, avant de faire quelques observations improvisées et de me concentrer sur la loi sur la sécurité nationale. Je voudrais ensuite passer directement aux recommandations, en espérant que, à la faveur des questions, nous pourrons avoir une discussion plus poussée.
Ce que je veux dire par-dessus tout, c’est qu’il est très important que le Comité, dans son rapport ou tout autre résultat concret découlant de cette série d’audiences, fasse attention à la façon de présenter les faits. Les grands titres de Hong Kong qui proclament la mort de Hong Kong, la fin de Hong Kong telle que nous la connaissons, disant que le pays n'a aucun avenir, etc., sont en fait des descriptions sinistres fondées sur des faits quotidiens qui donnent à réfléchir: attaque en règle contre la primauté du droit, les valeurs et le mode de vie de Hong Kong, attaque qui a effectivement mené à la censure, plombé le climat, etc. Mais je tiens à nous exhorter tous à la prudence, lorsque nous parlons de Hong Kong, en nous gardant de reprendre ou de mettre en exergue ce récit tronqué inspiré par le désespoir, d'autant plus qu'on se prononce prématurément sur un avenir qu'il reste à écrire.
Il est important de tenir compte, dans le débat public au Canada et dans les recommandations du gouvernement, du fait que, même si le droit de réunion pacifique a été vidé de presque toute sa substance à Hong Kong, les Hongkongais ne sont pas silencieux et n’ont pas perdu espoir. Vous pouvez voir la une du Apple Daily au sujet du nouveau mur de Lennon. Les Hongkongais écrivent en ligne: « Nous sommes toujours en vie. Arrêtez de dire que nous sommes morts. Nous avons besoin de solidarité et de soutien concret, et non de lamentations funèbres. » Un militant a répondu à la question de M. Williamson, qui voulait savoir s’il y avait des raisons d’espérer: « Nous n'avons pas perdu. C’est simplement que nous n’avons pas encore gagné », reconnaissant qu'il y a encore une longue route à parcourir.
Il ne faut donc pas adopter, consciemment ou non, les versions officielles de Pékin, qui contribuent au travail de sape des organes officiels de propagande.
On a beaucoup parlé et discuté de la loi sur la sécurité nationale, et les critiques générales ont beaucoup porté sur la façon dont elle contribue à l’écosystème, sur son importation à Hong Kong depuis la Chine continentale, mais je voudrais ajouter rapidement quelques points.
Le nouveau Bureau de la sécurité nationale est composé de personnel dépêché par la Chine continentale pour superviser tout le travail lié à la sécurité nationale. Non seulement ces personnes ne sont-elles pas assujetties à la compétence de Hong Kong, mais elles détiennent également un document d’identité délivré par le Bureau, et tout véhicule utilisé par le titulaire est soustrait à l’inspection, à la fouille ou à la détention par les agents d’application de la loi de Hong Kong. Il y a quelques jours, un incident a mis en cause Ted Hui, un législateur de Hong Kong. Il a été suivi pendant des jours, comme d’autres législateurs, par des gens cachés dans des voitures banalisées ou sombres. Il est allé leur demander qui ils étaient et pourquoi ils le suivaient. La voiture l’a heurté, et il a appelé la police. Les policiers sont arrivés et ont plaqué au sol Ted Hui, le législateur, et la voiture qui l’avait heurté, dont les occupants n'ont pas été interrogés, est partie sous escorte. C’est vraiment très préoccupant.
L’autre exigence dont je tiens à parler, qui n’a pas été soulignée, c’est que les dirigeants des nouveaux services de sécurité nationale de la police de Hong Kong doivent prêter le serment d’allégeance et respecter l’obligation du secret. Ce n’est pas très bon pour la transparence et la lutte contre l’impunité, ni pour la bonne gouvernance qui est nécessaire pour le milieu des affaires, pour la protection des citoyens canadiens et celle de tous ceux qui se trouvent à Hong Kong.
Enfin, en vertu du règlement d’application de l’article 43, la police de Hong Kong, qui n’a déjà pas de comptes à rendre, a maintenant des moyens renforcés de procéder aux arrestations.
Je vais parler d’extraterritorialité dans un instant.
Les Canadiens et le Comité sauront parfaitement comprendre les problèmes de traduction. La loi sur la sécurité nationale à Hong Kong est la seule de la RAS de Hong Kong dont la version chinoise a seule force de loi. Mais une lecture attentive de la « traduction » anglaise proposée par le gouvernement de la RAS suffit pour relever des erreurs, des omissions et des traductions trompeuses.
Ainsi, à l’article 1, le texte chinois fait suivre du mot dang l'énumération des types de problèmes visés par la loi. Or, ce terme ne figure pas dans le texte anglais. Que signifie-t-il? Il veut dire « et autres ». Autrement dit, la liste de ce qui est visé par la loi n'est pas exhaustive.
De plus, dans d’autres dispositions, l’expression gung tung, « responsabilité commune », n’a pas d'équivalent dans la version anglaise.
Aux articles 9 et 10, l'équivalent d'« universités » n’existe pas dans le texte chinois, qui dit hok haau, c'est-à-dire « écoles ». C’est un problème à cause de tout le débat sur la liberté universitaire. De quelle façon la loi s’applique-t-elle aux établissements d’enseignement supérieur?
Voici une autre traduction trompeuse: le chinois hoeng gong tung baau est traduit par « Hong Kong people », c'est-à-dire « peuple de Hong Kong ». Or, cette expression veut dire plutôt « compatriotes de Hong Kong », ce qui porte toutes les résonances de l'adhésion au parti.
Quant aux préoccupations relatives à la mise en œuvre, je voudrais dire ceci rapidement, puisque je suis à court de temps. C’est comme si, dans l'empressement à adopter cette loi, on avait décollé dans un avion et qu'on ne savait plus comment atterrir.
Bon nombre des questions de procédure et de fond, sur lesquelles j’espère que vous pourrez poser des questions, n’ont pas été mûrement réfléchies ni abordées. Par exemple, le droit civil prédomine sur le continent, et la common law à Hong Kong. On tente maintenant de fusionner les deux, en vertu de l’article 55, pour les causes qui seront jugées sur le continent selon un système « légaliste-fasciste-staliniste », comme l’a décrit le sinologue Barmé. Même la Cour suprême du Canada s’assure que vos juges ont des connaissances en droit civil et en common law. Or, rien de tout cela n’existe là-bas.
Comme je n’ai plus de temps, je vais passer aux recommandations.
J’ai cinq recommandations à soumettre au Comité et au gouvernement.
D’abord, toutes les recommandations — l'action multilatérale, les sanctions conjointes, les sanctions ciblées, les refuges sûrs, etc. — sont extrêmement importantes et ont été réitérées avec beaucoup de vigueur.
J’ai une proposition au niveau national concernant les instituts Confucius. Étant donné qu’il y a des controverses — et je ne veux pas me mêler des controverses internes —, vous pourriez songer à adopter l’approche suédoise en les fermant tous, ou bien l’approche américaine, qui consiste à les désigner comme des « missions étrangères ». Cela enverrait un message conforme aux valeurs canadiennes et à votre engagement à l’égard de la liberté d’expression.
Nous n’avons plus de temps.
Quant aux exhortations au sujet du recours aux normes, aux institutions et aux valeurs internationales en matière de droits de la personne — cela répond à la question de M. Harris sur la façon dont nous pouvons amener la Chine à adopter un système davantage fondé sur des règles —, oui, cela vaut pour le long terme, mais il y a aussi des possibilités dans l'immédiat. Premièrement, la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong est la seule loi continentale qui incorpore explicitement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Si nous prenons l’article 4 au sérieux, nous devrions examiner les possibilités qui se présentent, et le gouvernement du Canada pourrait se servir des problèmes énumérés par le Comité permanent comme autant de préoccupations au regard des normes internationales. Il y aura élection au Conseil des droits de l’homme. La Chine se présente. Vous devriez prendre position à ce sujet. Vous pouvez aussi utiliser plus largement les tribunes existantes, comme l’Union interparlementaire et le CCI, bien sûr.
Je suis désolée, mais mon temps de parole est écoulé. S’il vous plaît, posez-moi des questions sur tout ce que je n’ai pas pu aborder.
Merci.
C'est un grand honneur, en même temps qu'un privilège, de pouvoir témoigner à cette importante audience, qui arrive à point nommé. Merci beaucoup au Comité de m'avoir invité.
J'effectue des recherches sur Hong Kong depuis près de 20 ans. Ces dernières années, j'ai fait des recherches sur le mouvement du localisme et de l'indépendance. Je vais utiliser une approche de psychologie politique pour expliquer comment les événements récents survenus à Hong Kong remettent vraiment en question la perception ou, comme Mme Hom l'a mentionné, le récit au sujet de la Chine. Il est utile d'établir un nouveau récit sur les relations sino-canadiennes, pour faciliter toutes les mesures à prendre pour le Canada au niveau de la diplomatie, des sanctions et des réfugiés, que mes estimés collègues ont déjà décrites en détail dans le cadre d'autres audiences.
Nous savons déjà que les engagements internationaux de la République populaire de Chine ne sont pas crédibles. La RPC utilise son propre récit pour dévaluer les traités et les institutions internationales. Pékin, comme vous l'avez déjà entendu, a commencé à Hong Kong, dès 1997, à abolir les conseils élus, à modifier le système électoral et à faire dérailler la démocratisation en imposant une démocratie à la chinoise. Après le Mouvement des Parapluies de 2014, il ne restait plus vraiment d'espoir pour les réformes démocratiques promises dans la Loi fondamentale.
La question qui se pose aujourd'hui, bien sûr, est la suivante: pourquoi cette loi musclée, avec toutes ces arrestations et disqualifications et ce report des élections législatives? Je soutiens que les actions du régime de Pékin sont en fait motivées par la peur. L'arrestation de Jimmy Lai et d'Agnes Chow, le raid sur l'Apple Daily, les arrestations du groupe d'adolescents qui débattaient de leur indépendance — autant d'incidents, bien sûr, qui devraient intimider les Hongkongais. En même temps, cela montre à la clientèle chinoise que le régime est très sévère à l'égard des groupes dits séparatistes de connivence avec les forces étrangères.
Nous devons comprendre que le régime de Pékin règne par la peur, mais qu'il est aussi lui-même motivé par la peur, c'est-à-dire la peur de fissures dans son élite dirigeante, la peur de ralentissements économiques et la peur d'un mécontentement croissant de sa population. C'est pourquoi, malgré la disqualification des candidats de l'opposition, le gouvernement de Hong Kong a quand même reporté les élections du Conseil législatif. Pékin craignait de ne pas être en mesure de transporter des milliers de sympathisants pro-Pékin du continent qui sont toujours des électeurs inscrits à Hong Kong. Le gouvernement pro-Pékin compte beaucoup sur l'attribution de ces votes, sans lesquels il ne peut garantir le contrôle complet à Hong Kong. Pire encore, il ne peut pas communiquer le résultat à ses citoyens chinois.
Nous savons que Xi doit être très dur sur Hong Kong, parce que Pékin a été complètement surpris par le mouvement anti-extradition l'année dernière. Il craint surtout les tactiques et les attitudes radicales des protestataires. Le répertoire des protestations, y compris le slogan principal, est inspiré du mouvement dit localiste. Permettez-moi d'en dire quelques mots.
Les localistes veulent protéger les valeurs démocratiques de Hong Kong ainsi que son identité culturelle propre. Entre le début et le milieu de la décennie 2010, ils ont vu la Chine rompre toutes ses promesses et affaiblir de façon de plus en plus flagrante le cadre de deux systèmes dans un même pays. Les localistes ont vraiment été les premiers à remettre en question la relation avec la Chine et à exprimer leur méfiance à l'endroit de Pékin et de ses promesses. Certains ont réclamé un référendum sur l'avenir de Hong Kong, et d'autres, l'indépendance de Hong Kong.
J'ai fait de nombreuses entrevues très secrètes avec les dirigeants et une foule de sympathisants de ces localistes. Bon nombre d'entre eux, bien sûr, se disaient uniquement Hongkongais, et pas Chinois. La partie la plus marquante, c'est qu'ils n'avaient pas peur de payer un prix personnel extrêmement élevé pour la protection de Hong Kong. Après les succès remportés aux élections du Conseil législatif de 2016, une foule de localistes ont été acculés à la faillite, exilés ou condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement. Nous avons entendu parler d'Edward Leung, qui purge toujours une peine d'emprisonnement de six ans.
L'élimination des localistes a vraiment creusé le désespoir dans la société. Mme Hom a déjà mentionné ce sentiment. Les localistes offraient l'indépendance de Hong Kong comme une sorte d'espoir à leurs sympathisants, en leur permettant de composer avec les émotions négatives infligées par la pression chinoise. Cette idée au départ farfelue de l'indépendance de Hong Kong unit aujourd'hui la jeune génération après la répression du mouvement actuel. Autrement dit, l'indépendance de Hong Kong est un mécanisme palliatif psychologique qui résulte de la répression menée par les gouvernements de Hong Kong et de Pékin.
La deuxième chose que je veux souligner au sujet du mouvement actuel, c'est qu'il reprend une part des idées et du répertoire de ces localistes. Un élément clé est l'idée de l'auto-sacrifice, ou ce qu'ils appellent la destruction mutuelle. « Si nous brûlons, vous brûlerez avec nous », pourrait-on dire. Cela montre, en fait, que beaucoup de Chinois de la Chine continentale — des cadres, des gens d'affaires ou des familles de la classe moyenne — utilisent Hong Kong pour leur sécurité personnelle, pour obtenir un passeport différent ou pour garder leurs biens à l'étranger, en raison des incertitudes permanentes du système chinois. On n'est jamais en sécurité en Chine, peu importe ce que l'on fait.
Au cœur de l'idée de destruction mutuelle, se trouve le rejet de l'approche instrumentale du Parti communiste chinois pour ce qui est du système libéral de Hong Kong. L'idée de destruction mutuelle transforme, chez les Hongkongais, la peur de l'érosion autoritaire en une peur concrète pour l'élite chinoise: d'abord en créant une situation économique et politique imprévisible à Hong Kong par des protestations et différentes choses, et ensuite, en refusant à Hong Kong, par des sanctions internationales, par exemple, la capacité d'être un refuge.
Vous vous souviendrez qu'il y a eu très peu de réactions lorsque la Chine a été dénoncée pour son traitement des Ouïghours. La Chine n'a pas fait grand-chose lorsqu'elle a reçu des critiques, mais dès que la cible est devenue Hong Kong, le gouvernement Xi est allé jusqu'à mettre en œuvre la loi sur la sécurité nationale, de portée extraterritoriale, et dont on peut même dire qu'elle légalise la diplomatie des otages. La réaction exagérée que nous observons confirme, je crois, la peur de la Chine.
Je conclurai en parlant de ce que tout cela signifie pour le Canada. Au moment où Hong Kong et les États-Unis ferment leurs frontières à l'élite dirigeante chinoise, le Canada pourrait devenir une destination cible. Si on laisse faire, le système démocratique du Canada sera vite confronté à l'érosion autoritaire et à la mobilisation politique du PCC, comme on l'a vu à Hong Kong.
À mon avis, le Canada devrait être conscient des peurs du régime chinois. Elles font partie du récit que Mme Hom a mentionné. Si nous constatons que la Chine elle-même a vraiment peur, nous verrons que le régime chinois n'est pas tout-puissant et que la coalition au pouvoir laissera paraître de nombreuses fissures éventuelles. Ce nouveau récit serait une bonne base d'alliance avec des pays d'optique commune pour dénoncer et limiter l'affaiblissement des institutions démocratiques et ouvertes par les régimes autoritaires.
Compte tenu du solide héritage de diplomatie créative et très efficace du Canada, je suis convaincu que le Canada a les responsabilités et les moyens de protéger les Hongkongais et notre foi commune en la démocratie.
Merci beaucoup de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Avant de continuer dans le même sens que M. Williamson, dont j'ai trouvé les questions fort intéressantes, j'aurais quelques brèves demandes à faire.
Madame Hom, je vous saurais gré de nous fournir par écrit un aperçu de votre analyse de la loi, notamment pour ce qui est des problèmes de traduction. Vous aideriez ainsi le Comité à profiter vraiment de votre expertise juridique en la matière. C'est un peu différent; nous avons eu des commentaires génériques au sujet de la loi, mais vous étiez entrée dans les menus détails, et nous n'avons pas le temps pour cela ici. Je fais cette demande par l'entremise du président.
Monsieur Chatigny, encore une fois, j'aimerais sonder la profondeur de vos connaissances en matière d'immigration. Si vous avez des suggestions précises à nous faire, compte tenu du nouveau contexte de Hong Kong, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous les transmettre. Si vous pouviez nous fournir quelque chose par écrit, même si c'était par courrier, pour exposer certains de vos points clés sur l'immigration, cela pourrait nous être utile.
Pour revenir aux excellentes questions de M. Williamson, la contrepartie de la poule aux œufs d'or est que nous devons trouver une façon de condamner fermement les actions de Pékin à Hong Kong. Nous devons trouver un moyen de porter un grand coup, mais on nous a déjà dit aujourd'hui que le coup doit être évidemment ciblé et ne pas faire mal aux Hongkongais. Ce matin, Mme Ong a fait valoir que si nous allions trop loin, nous pourrions anéantir les avantages de Hong Kong pour que Pékin veuille protéger son succès.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez, madame Hom, et peut-être vous aussi, monsieur Kaeding, si c'est possible.
Je ne cherchais pas à attribuer des intentions impérialistes à qui que ce soit, mais à propos de la question, il faut savoir que, en date du 7 juillet 2020, 15 246 481 personnes avaient participé à 1 096 manifestations. Tout cela est documenté et suivi régulièrement par des gens et des groupes de Hong Kong qui étayent les analyses et les recherches sur la situation en cours.
S'agit-il d'un mouvement monolithique? Non, l'âge des participants et leurs antécédents sont très divers. Il y a les jeunes... Il faut rappeler que 80 % des personnes arrêtées l’an dernier dans le cadre du mouvement étaient des jeunes — pas selon la définition du Parti communiste, qui va jusqu’à 40 ou 45 ans, mais des gens de moins de 30 ans. Il y a parmi eux des travailleurs sociaux, des fonctionnaires, des journalistes, des travailleurs de la santé. Le mouvement a entraîné une croissance rapide des syndicats à Hong Kong. Il se passe donc beaucoup de choses, et le mouvement est diversifié.
Vous avez souvent entendu les slogans « Sois comme l’eau » et « Aucun chef », mais ce qui importe, ce sont les cinq revendications, dont une seule a été satisfaite, à contrecœur et douloureusement, tandis que les quatre autres sont toujours en suspens: fin de l’impunité pour les responsables des violences policières, suffrage universel promis dans le cadre du principe « Un pays, deux systèmes » et respect des droits et libertés.
Vous pouvez constater que plus de 500 000 personnes ont voté pour la démocratie aux primaires et que 17 des 18 districts ont été remportés par le camp prodémocratie. C’était un vote de confiance. C’est ce que veulent les gens de Hong Kong, et ce sont des signaux assez forts.
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J'ai vraiment besoin de prendre du recul pour pouvoir réfléchir à toute l’expérience des dernières années.
Je vous dirai, très rapidement, que j'ai retiré une chose très importante de la formation que j’ai dispensée en Chine continentale: il faut faire appel à des « bras ». On ne peut instaurer la primauté du droit si l'on ne peut compter sur des gens. Voilà pourquoi il était si important de former de jeunes avocats et de jeunes enseignants. D'ailleurs, c'est maintenant à leur tour de relever l'énorme défi des réformes juridiques sur le continent. Et c'est ce qu'ils font.
Je suis très impressionnée par le fait que ce comité parlementaire, plus que n'importe quel autre devant lequel j’ai comparu, ait effectivement lu nos écrits et qu'ils nous les resservent. C’est la question des droits de la personne. Personnellement, sur un plan intellectuel, je suis assez pessimiste, mais en tant qu’avocate et militante des droits de la personne, je n'ai pas vraiment ce luxe. Notre travail consiste à proposer une solidarité et un espace sûr qui permettent aux Hongkongais de poursuivre le travail. Le syndicat des étudiants de Hong Kong a fait paraître une annonce pleine page pour dire que ses membres sont prêts à mourir, qu'ils sont prêts à donner leur vie pour la liberté, avec une lettre d’introduction percutante citant Mme Hannah Arendt sur le totalitarisme. Même dans ces circonstances difficiles, on voit ces étudiants, ces jeunes gens, continuer de parler haut et fort.
Je dois ajouter que, sur le continent, là où une véritable répression s'exerce depuis 75 ans, il existe un soutien pour les Hongkongais. Les Chinois du continent sont poursuivis, emprisonnés, harcelés. Douban est la plus grande plateforme en ligne qui permet d'avoir accès à des films et à des médias sociaux. Il y a des millions d’abonnés. Malgré toute cette répression, quelqu’un vient d’afficher un commentaire sur la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Douban a eu l'audace et le courage de lui donner une étoile. Pour moi, cela revient à dire que nous pensons gagner parce qu'ils ne peuvent pas tous nous tuer.
C'est la métaphore du coq: « Même si l'on tue tous les coqs, le jour continuera de se lever. » C’est un fait.
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N'oublions pas que les ressortissants du continent qui sont interviewés à la télévision publique ne peuvent pas dire n'importe quoi. Bien sûr, certains croient en la diplomatie du loup guerrier, mais je crois que, si on leur posait la question, ils avoueraient qu'il vaut mieux être prudent à la télévision.
Il y a des signes qui ne trompent pas, malgré ce que j'ai dit. En effet des gens ordinaires de Chine continentale, comme des chauffeurs de taxi — pas des militants — déclarent leur appui aux gens de Hong Kong dans les médias sociaux, et sont arrêtés pour cela. Voilà, je crois, qui montre à quel point cette vague est puissante, car en dépit de toute la censure, il est impossible d'arrêter la circulation de l’information, malgré la loi en vigueur, malgré tout l’appareil législatif, policier et technologique. D'ailleurs, nous n’avons pas parlé des aspects technologiques qui seraient peut-être un bon thème pour une séance de suivi.
Tout cela est donc extrêmement important. En fait, nous avons tenté de recenser les cas d'appui pour le mouvement par des résidents de la Chine continentale. Je trouve à la fois surprenant et encourageant de voir qu’une personne... La loi continentale exige l’enregistrement du nom réel. Autrement dit, quand on publie ou qu'on fait quoi que ce soit en ligne sur le continent, il faut décliner sa véritable identité, ce qui revient à dire que les autorités peuvent vous retracer à partir de votre adresse IP. Ainsi tout Chinois qui critique ouvertement la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong est vraiment courageux.
On peut dire tout ce qu'on veut en Chine, à condition que ce soit conforme au discours du parti. Dès qu'on remet ce discours en question ou qu'on le module, on court le risque de se faire accuser d’incitation à la révolte, de sédition, de manque de loyauté, de sinophobie, etc.
Je ne suis pas certaine d’avoir répondu à la question.